Connexion

Actualités

Vampire Junction

Coté S-F, Folio a sorti la version définitive de Mallword. Puis « Lunes d'encre » l'édition intégrale des Chroniques de l'inquisition. C'est maintenant au tour de l'œuvre fantastique de Somtow de quitter le purgatoire éditorial. Folio « SF » réédite Vampire junction aux côtés d'un très bon cru de fantastique : Brite, Bradbury et Piccirilli (cf. critique plus haut dans le présent Bifrost). Vu la disette éditoriale du fantastique en général, et en poche en particulier, on ne s'en plaindra évidemment pas.

Vampire junction est le premier tome d'une volumineuse trilogie, Timmy Valentine.

Timmy est un vampire. Ses premiers souvenirs datent de la Rome antique, aux côtés d'une sibylle dont il fut l'un des jeunes eunuques. S'il ne meurt pas, il ne vieillit pas non plus. Il a donc toujours 12 ans, et une voix de castrat. Cette particularité lui a rendu de grands services, puisque, après avoir été chanteur classique au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il est devenu une immense pop star dans les années 80. Autant de siècles de souvenirs, où Auschwitz croise le terrible Gilles de Rais (que l'auteur rend plus proche des clichés de Huysmans que du remarquable essai de Georges Bataille : Le Procès de Gilles de Rais). C'est donc dans le but de mettre un peu d'ordre dans tout ça que Timmy entreprend une psychanalyse. Une psychanalyse jungienne, tant qu'à faire, puisqu'elle semble plus susceptible de convenir à un archétype comme le vampire qu'il est.

Sauf que bien sûr, sa psychanalyste est divorcée, et que — cerise sur le gâteau — son ex est le plus jeune des Dieux du chaos. Qui sont-ils ? Une bande de vieux sybarites qui ont, dans leur jeunesse, croisé la route de Timmy. Que cherchent-ils vraiment ? Bien malin qui pourrait le dire, à la fin des 500 premières pages. Il faut même attendre les 80 dernières (sur 600 !) pour que l'auteur nous torche vraiment le dénouement du livre en deux parties : 40 pages pour joindre les intrigues, et 40 autres pour bâcler une fin à la va-vite, tout en se ménageant une porte de sortie pour le tome suivant. Vampire junction est une réussite majeure sur au moins une chose : comment faire un pavé avec une intrigue de novella ? De ce point de vue, il n'y a rien à redire : le livre est une grande réussite. La seconde réussite du roman est le coup d'esbroufe psychanalytique. Outre un personnage de psychanalyste bien inconsistant, essentiellement ravalé au rôle de témoin et de confident, c'est finalement la psychanalyse elle-même qui est la grande absente du livre. À part quelques lieux communs sur les archétypes, inutile d'avoir l'espoir d'en apprendre davantage sur l'inconscient collectif jungien. Dommage, car la psychanalyse reste pourtant un terreau potentiellement riche pour l'imaginaire, comme on a pu le voir avec des auteurs comme Ballard.

« Vampire Junction est le premier volet d'une trilogie mêlant rock et vampires, meurtre abominables et déviances sexuelles », nous affirme la quatrième de couverture. Je me sens donc à la fois soulagé et inquiet d'avoir réussi à lire le premier tome. Soulagé, parce qu'il ne m'en reste plus que deux sur les trois à lire. Angoissé, aussi, en me disant qu'il m'en reste encore deux… L'indécrottable pessimiste que je suis ne peut qu'espérer un léger mieux, car après tout, ça pourrait difficilement être pire.

Mauvaise pioche, donc, pour ce titre. Mais gardons tout de même le sourire : entre Brite et Piccirilli, l'amateur de fantastique trouvera son bonheur dans la dernière livraison de Folio « SF ». Croisons donc les doigts pour que les prochaines rééditions soient mieux inspirées : on trouve en effet de nombreuses perles dans la défunte collection « Présence du fantastique »…

Bloodsilver

Brite, Somtow et maintenant Wayne Barrow : le vampire est à l'honneur ces temps-ci !

Wayne Barrow serait un nouveau venu dans l'Hexagone. Bloodsilver serait son premier livre traduit. Ce rebelle au grand cœur, exilé au Canada pour éviter le Viêt-Nam, est officiellement traduit par Héliot et Mauméjean

Officieusement, il serait le prête-nom de ses deux « traducteurs », qui auraient écrit le livre à quatre mains. Mais peu importe l'auteur, pourvu qu'on ait un bon texte. Boris Vian nous l'avait bien démontré avec Vernon Sullivan.

Mais tout d'abord, situons le roman. Parler d'uchronie fantastique serait le plus approprié. C'est en effet une autre histoire de l'Amérique, de la fin du XVIIe siècle à 1917, que nous propose le livre.

1691 : des vampires débarquent à Manhattan.

1917 : l'Amérique met fin à la doctrine Monroe, et intervient dans un conflit européen.

Entre les deux, c'est toute l'histoire révisée des USA qui va défiler sous nos yeux. Le tout sous forme de fix-up, où chaque chapitre couvre une courte période, et où l'on peut compter parfois quelques dizaines d'années d'un chapitre à l'autre. Peu de narrateurs récurrents, même si beaucoup sont d'authentiques personnages, qui verront parfois leur vie changée par rapport à la réalité que nous connaissons. C'est ainsi que l'on va croiser des figures mythiques du Far West, comme les Dalton, Calamity Jane ou Billy the Kid. Mais aussi Mark Twain, et de grands évènements artistiques, comme la naissance des pulps ou de Hollywood.

Tous les protagonistes seront mêlés à l'épopée des vampires, les Brookes, et à leur fringale de sang, humain ou animal selon ce qu'ils trouvent. Les Brookes errent à travers le territoire, dans un long convoi de charrettes plombées, payant des fortunes pour acheter tout l'argent disponible.

L'argument essentiel du livre reste la coexistence entre humains et vampires, que le livre intègre à merveille dans l'histoire américaine, sur fond de passions humaines. Car ce sont bel et bien les sentiments humains qui façonnent la toile de fond du roman. Ainsi l'histoire de ce Français, exilé pour venger la mort de sa dulcinée. Ou bien la cupidité des humains, prêts à tout pour s'enrichir en vendant de l'argent aux Brookes. Et puis l'instinct de survie de cette famille d'origine mexicaine, prête à tout pour survivre face à l'assaillant brooke. On peut d'ailleurs y voir un petit clin d'œil au fameux Je suis une légende, du grand Matheson.

Les destins et les passions individuels se mêlent aussi aux pages sombres de l'Histoire US. Du procès de Salem à l'effrayant massacre de Wounded Knee, rien ne nous est épargné. Mais ne sombrons pas pour autant dans le pessimisme et la noirceur. En effet, Brookes et humains parviennent à vivre ensemble, dans un Etat pour le moins excentrique.

Certes, on ne tient pas là un chef-d'œuvre impérissable. Mais cette mosaïque de destins individuels et du destin collectif d'une nation est une œuvre suffisamment originale et bien écrite pour valoir le détour. Au final, ce Bloodsilver apparaît comme une talentueuse curiosité dont il serait dommage de se priver.

Le sommeil de la raison

Nous sommes au début du XVIe siècle. L'Europe sort la tête et les épaules du Moyen-âge, se tourne vers un humanisme riche d'idées nouvelles qui fonderont bientôt ce qu'on appellera les Lumières, lumières encore bien vacillantes face à un obscurantisme hérité de temps plus troublés. Charles de Habsbourg, qui n'est pas encore Quint, s'embarque pour l'Espagne afin de prendre possession d'un royaume hérité et fraîchement unifié, un royaume dont il ne sait rien, dont il ne parle même pas la langue. Au sein de la cour bourguignonne et flamande accompagnant le monarque, Juan Louis Vives, disciple d'Erasme, se trouve forcé de regagner une terre qu'il a fuie sous la pression inquisitoriale. Un voyage comme une révélation, bien sûr, au cours duquel il découvrira le stupéfiant complot planant sur la couronne de Charles et, plus largement, la véritable nature du monde, un monde nourrit de son pendant spirituel — l'annwn des sorcières — dans lequel s'enracine l'inconscient collectif humain, là où sommeille la raison…

Avec une belle régularité (entêtement ?), le Diable Vauvert continue de publier Aguilera, chef de file de l'imaginaire hispanique, auquel on préfèrera toutefois, au regard de leurs derniers bouquins respectifs, Javier Negrete. Car si Aguilera avait suscité l'intérêt au travers de ses deux premiers livres publiés par chez-nous, La Folie de Dieu et Rihla, il est peu de dire que les suivants ont déçu (Les Enfants de l'éternité, coécrit avec Javier Redal chez les défuntes ISF, et plus récemment Mondes et démons, au Diable). Las, son cinquième roman dans l'Hexagone est une nouvelle déception. Mesurée, certes, mais déception tout de même.

On retiendra toutefois une ambition indéniable. Celle de peindre un XVIe siècle cohérent, tout en cernant les enjeux fondamentaux de cette période charnière où, notamment, le scepticisme s'opposa au dogmatisme, creusé, déjà, d'une révolution industrielle annoncée. Mêlant habilement personnages historiques et fictifs, Le Sommeil de la raison est en ce sens une réussite. Mais à quel prix ? Celui de l'ennui, sans doute, qui gagne à la lecture de ce roman narrativement mal équilibré, aux personnages qui peinent à passionner et dans l'ensemble desservi, une fois encore, par une traduction française d'Antoine Martin qui, si elle n'est pas aussi médiocre que celle de Mondes et démons, n'en oublie pas de semer des phrases qui ne veulent rien dire. À quand un roman à la hauteur des ambitions (considérables) de Juan Miguel Aguilera, ce roman attendu depuis la lecture de ses deux premiers titres publiés en France, et qui restent à ce jour les meilleurs ? Attendons, donc, avec de plus en plus de scepticisme, justement.

Le soleil du nouveau monde

New York, décembre 1835. Riley Steen, surnommé Grand Chapeau par sa servante indienne, provoque l'incendie de la maison des Prescott afin de marquer la chair de leur fille Jane. L'enfant est destinée à devenir l'incarnation de Nanahuatzin le Buboneux, divinité aztèque qui doit être immolée pour faire advenir Tlaloc dont le nouveau soleil embrasera toute chose, afin que naisse un nouveau monde sur les cendres de l'ancien. Sept ans plus tard, Archie Prescott n'est plus qu'une loque. Depuis la mort de son épouse et de la petite Jane, ce typographe au New York Herald Tribune continue de vivre sans raison d'exister. Pourtant, une enquête à l'American Museum de Phineas Taylor Barnum va lui révéler les desseins de Riley qui, par l'entremise du Chacmool, momie précolombienne revenue à la vie, œuvre plus que jamais au retour de Tlaloc. Des bas-fonds de la cité tenus par le gang des Lapins Morts aux boyaux sans lumière de la caverne du Mammouth, Archie empruntera un chemin de douleurs, sillonnant l'Amérique afin de revoir sa fille qu'il n'avait jamais quitté du regard…

Il est des dictons communs dont on use sans se soucier de leur origine. Ainsi, « La beauté véritable est la beauté intérieure » est certainement le fait d'une personne laide, et un pauvre a dû dire le premier que « L'argent ne fait pas le bonheur ». Il faut être européen pour parler de « Rêve américain », singulière expression jamais déclinée au pluriel. Le roman d'Alexander C. Irvine décrit au contraire l'extrême complexité d'un pays qui autorise des songes antagonistes, désirs d'une nation unique que l'on ne souhaite pas de la même façon. Comment en effet concilier la ferveur religieuse de la Méso-Amérique, l'ardente foi d'un Cortès, le Libéria rêvé d'un esclave noir et l'éducation d'un New-yorkais « chrétien par accident du simple fait d'avoir grandi en Amérique » ? L'historien, parce qu'il se veut objectif, est impuissant à rendre compte de cet imaginaire foisonnant dont le sacré est la meilleure part. À l'inverse, l'écrivain le peut, à condition de s'en tenir à ce qui fait l'essence même de la littérature américaine : la road story et les mille métiers qui sont deux manières d'initiation. L'Amérique d'Irvine est un personnage à part entière, décrit du ciel par les dieux, en surface par le héros, des profondeurs par Stephen Bishop, esclave qui n'est libre qu'à condition d'être enfermé. Riley Steen et Archie Bishop ne cessent de bouger, en charrette, bateau ou train, accumulant les emplois : Grand Chapeau est dentiste itinérant, vendeur d'élixirs et montreur de marionnettes ; Archie sera typographe, employé de bar et marinier. Une éducation américaine qui rapproche les antagonistes, dans un récit où même les dieux sont en formation. Tlaloc évolue et les populations suivent, Mexicains, Canadiens français ou Indiens delaware qui participent tous du Greatest Show on Earth si cher à Barnum. L'auteur est prétendument un descendant du célèbre montreur, parenté accessoire comme on le dit d'un ustensile destiné à assurer le numéro. Exercice réussi puisque Le Soleil du Nouveau Monde est en tout point remarquable. Sacrifices aztèques et complot, on imagine sans mal le charclage qu'en aurait fait Graham Masterton, saucissonnage métronomique débitant l'horreur toutes les trente pages. Rien de tel chez Irvine, qui semble annoncer un nouveau courant littéraire, celui d'une « science humaine fiction », pendant historique et anthropologique à la hard science, loin du steampunk qui n'était qu'un faux départ. Une tendance que nous appelons de tous nos vœux, et dont Le Trône d'ébène de Thomas Day, à paraître au Bélial (en mai prochain), s'annonce comme l'un des plus beaux fleurons. Saluons enfin le travail de Luc Carissimo, ne serait-ce que pour la traduction des poésies sacrificielles, authentiques ou fictives :

« Le cœur du soleil
palpite dans la coupe.
Sa chair
est l'ombre des fleurs. »

Le Papillon des étoiles

Inepte ! c'est le mot qui s'impose pour qualifier ça ! Jamais je n'ai lu pareil ramassis d'inepties, vu monceau de conneries aussi compact, trouvé tant de sornettes, sottises et billevesées à la page, sans parler de la belle constance de la niaiserie de l'ensemble. C'est un sommet… Que dis-je ? Un Everest du foutage de gueule !

Tordons tout de suite le cou à des objections que de belles âmes, par trop charitables, pourraient tenter d'opposer.

1/ La science-fiction, ce n'est pas tout et n'importe quoi. Non. En science-fiction, on pose des postulats qui peuvent être autres que ceux de la réalité : voyage temporel, anti-gravité, vitesse supérieure à celle de la lumière, etc., pour lesquels on suspend l'incrédulité. On pose que, dans le roman, c'est possible. Ensuite, ces postulats, on les respecte. Exactement comme dans le roman historique on reprend les règles de l'époque choisie puis l'on s'y tient. Et si l'on accorde un appui aérien aux légions de César, on entre dans le grand n'importe quoi. En S-F comme ailleurs, le récit est soumis à un impératif de cohérence interne qui n'est pas ici respecté.

2/ Non, Le Papillon des étoiles n'est pas un roman kitsch à lire au second degré. Non. C'est certes grotesque, mais ce n'est pas drôle. Le seul sourire que fait naître ce « texte » est celui, méchant, qu'inspire le ridicule le plus achevé. Pas kitch non plus. Rien d'inauthentique. Rien du charme désuet d'un futur dépassé, d'une mode « néo » déjà datée. Ni Roby ni 6PO. Pas de fusée pisciforme. Pas de Robida revival. On n'aura pas droit ici à l'amusement laissé par les chaudières à charbon de la fusée de Course vers Pluton de Vargo Statten (Fleuve Noir « Anticipation » n° 20, 1953).

Dans un environnement quasiment contemporain (« Il faut faire avec ce que l'on a actuellement comme connaissances techniques éprouvées » (p. 29)), où Werber prétend jouer le jeu de la hard science — ce type de S-F scientifiquement aussi réaliste que possible, qui ne recourt à la suspension de l'incrédulité qu'à minima —, Yves Kremer, le héros d'une époque qui n'en produit plus, entend lancer un vaisseau interstellaire.

Nous avons peut-être les connaissances scientifiques nécessaires, mais en aucun cas les capacités politiques, économiques ni technologiques de le faire. Foin de ces considérations oiseuses ! Revenons-en (presque) au bon vieux laboratoire dix-neuvièmiste des arrière-cours à la Thomas Edison chers à la S-F la plus archaïque, celle des années 30. La « scientifiction », comme disait Hugo Gernsback, l'inventeur du terme, qui introduisait des récits d'imagination dans ces magazines d'électricité où la part belle était faite aux inventions en tous genres. Kremer, ingénieur placardisé de l'ESA, chargé de classer (sans suite) et d'archiver les projets trop peu réalistes pour une agence éprise de rationalité économique avant tout, juge bon d'exhumer de sous la poussière celui de son père : un voilier photonique.

Werber s'adresse au très grand public, qui n'est pas forcément au fait de cette technologie tout sauf récente et déjà envisagée dès les années 20 par Konstantin Tsiolkovski (1857-1935), le père de l'astronautique, que l'auteur paraphrase piteusement (p. 100). Que Werber s'adresse à un public non informé n'est pas un blanc-seing pour lui refiler ce genre de fadaises. Au contraire. L'auteur fait l'impasse sur l'histoire réelle de la voile solaire, l'article de Carl Wiley, sous le pseudonyme de Russell Sanders, paru dans les années 50 dans Astounding science fiction et intitulé « Clipper Ships of space », ou celui de R. Garwin, de chez IBM, en 1958. La voile solaire a donc un passé technique réel — et les gens intéressés liront Les Voiliers de l'espace de Louis Friedman (L'Etincelle, SCE, 1989 — Québec) — et un passé littéraire : Les Voiliers du soleil de Gilles d'Argyre (Gérard Klein, Fleuve Noir « Anticipation », 1960) ou Le Vol de la libellule de Robert E. Forward (Robert Laffont). Autant de livres dont Werber aurait pu et dû faire son profit plutôt qu'insulter son public — qui le fait bouffer, soit dit en passant —, en faisant étalage de son ignorance crasse du sujet qu'il traite. Mais ainsi, il laisse à penser que l'idée serait de lui. Ça frise la malhonnêteté intellectuelle.

L'ESA, donc, renvoie Kremer et son projet à la poussière des archives. Qu'à cela ne tienne ! Un milliardaire — vous savez bien, cette race particulière de gens avant tout altruistes, ignorants du CAC 40 comme du Dow Jones, qui font fortune en finançant des projets abracadabrants sans escompter de retour sur investissements — Mc Namarra, va, lui, financer son joujou au gouvernail (parce que ça en aura un !) duquel on mettra une ex-navigatrice en solitaire en fauteuil à roulettes du fait que Kremer a eu le bon goût de l'écraser sur les clous… Gnan, gnan, gnan…

Malgré les remerciements que l'auteur adresse en fin de volume à Guy Pignolet, président de l'Union pour la Promotion de la Propulsion Photonique, on voit que, hélas, l'auteur n'en a guère fait profit. Notons qu'en général, les auteurs ont la décence de dédouaner leurs conseillers en prenant pour eux les erreurs restant dans le roman. Pas celui-là.

Il y a un tel foisonnement de conneries qu'on ne sait par où commencer. « Papillon des Etoiles 1, petite fusée d'un mètre de haut (…) au moment où la moitié de la voile était sortie le Mylar s'entortilla et rien ne put l'empêcher de se mettre en torche » (p.44) Ce sont les dimensions d'une roquette juste bonne à chasser le char en Iraq, pas question d'atteindre quelque orbite que ce soit avec ça, ni donc de déployer une voile solaire. L'auteur n'explique rien, mais cet aspect des choses ne semble l'avoir nullement effleuré. On comprend plutôt que c'est un problème inhérent à la voile. Il y a une taille minimale requise pour atteindre une orbite, et elle est autrement conséquente.

Après moult révision à la hausse, le Papillon des Etoiles emportera dans ses flancs 144 000 passagers, soit, en gros, 10 000 tonnes de barbaque. L'auteur prétend faire décoller son engin du sol ! À titre de comparaison, pour calibrer la magnitude de l'ineptie, la Navette Spatiale peut emporter 25 tonnes en orbite basse. Soit, un camion ou une chambre moderne presque remplie d'eau. L'étage utile fait 1 km de haut, 500 m de diamètre. Quid des étages de poussée ? En plus, l'étage utile va se déployer « comme une longue-vue » en 32 segments d'un kilomètre. Rien n'est dit sur le 32e, qui n'a vraisemblablement plus 500 m de diamètre et où la gravité créée par la force centrifuge sera donc moindre à vitesse angulaire identique… Pfff. Il existe un superbe roman paru naguère au « CLA », qui parle de ce vaisseau-là. C'est Les Seigneurs du navire-étoile de Mark S. Geston : l'un des romans les plus sombres et désespérés de toute la S-F, où une société entière se saborde délibérément en épuisant ses ultimes forces dans un projet aussi impossible.

« La plus proche étoile avec des planètes probablement habitable (…) est à… environ 2 années-lumière. » (p. 25) La plus proche étoile est Alpha du centaure, à environ 4,3 années-lumière.

« … mais pour 10 000 (cosmonautes). Quant à la voile de Mylar, elle devrait atteindre quelques centaines de mètres carrés. » (p. 32) En matière de propulsion photonique, il est actuellement vraisemblable d'évoquer 1 tonne de charge utile pour une voile de 1 km² pesant 10 tonnes, ce qui permet une accélération d'environ 0,5 mm/s². Or, il envisage déjà 700 tonnes de biomasse humaine ! Page 46, on en sera à 100 000 passagers (soit 7 000 tonnes) pour 40 km². On se demande comment, finalement, la voile va atteindre la surface « plausible » d'un million de km² ? Quoique, un million de tonnes — soit 2 hyper tankers — semble très insuffisant au vue du matériel apparemment embarqué : un (petit) lac, un sol suffisamment profond pour enterrer les morts et creuser des tunnels sous les fortifications, et patati, et patata…

Les accélérations sont tout aussi baroques (p. 130). La vitesse de 100 km/h atteinte le premier jour correspond à une accélération de 0,3 mm/s/s. C'est faible, même pour une voile solaire. L'accélération sera multipliée par 16 durant la semaine suivante, pour que la vitesse soit centuplée, puis par 8 pour que la vitesse soit décuplée à nouveau et par 5, enfin, durant la fin de ce premier mois pour la décupler encore. Pourquoi ces variations, alors que la poussée due à la pression de la radiation doit très progressivement décroître au fur et à mesure que le vaisseau s'éloigne en fonction du carré de la distance au soleil ? De toute façon, une voile photonique interstellaire ne saurait se concevoir sans pousseur laser… Outre que le papillon va « décoller » d'une orbite au lieu de la quitter, il va le faire « perpendiculairement (!) » à l'orbite géostationnaire. Ce qui ne veut rien dire, toutes les directions étant possibles : vers le sol, vers le soleil, sur le plan de l'écliptique, perpendiculairement au plan de l'écliptique… si l'orbite n'est pas déterminée ainsi que l'instant où on la quitte. Et, cerise sur le gâteau, il la quitte à 27 m/s ! On est loin des 8 km/s nécessaires pour quitter l'orbite terrestre ! Les lois du mouvement orbital restent lettre morte : Werber semble n'avoir jamais entendu parler de Kepler ou de Newton…

La technique ! La technique ! Ouais, et alors ? Me direz-vous. Qu'on se rassure : l'intrigue est à l'avenant. Aussi conne. Voir plus. Si c'est possible. La sélection des 144 000 passagers est un must dégoulinant d'imbécillité bien-pensante. On commence par exclure les alcooliques et, tout le reste du voyage, on biberonne sec. On essaie de nous faire croire qu'un projet de cette envergure peut rester secret en mettant les milliers d'ingénieurs qui y travaillent au secret, coupés de leur famille. (p. 46 encore !) L'intervention de la police pour empêcher le vaisseau de décoller est un grand cru, style Gendarmes de St Tropez. On ne s'occupe bien sûr pas des fenêtres de tir et autres contingences techniques, dont on n'a que faire. Heureusement que LE CHAT fait décoller tout ce cirque en gambadant sur les consoles où on avait rajouté des trucs à la dernière minute. Le recrutement des passagers est un autre grand moment. Ce n'est qu'après la sélection qu'on révèle aux sélectionnés qu'ils partiront pour un voyage sans retour de 1000 ans. Aucun ne refusera, ou presque… Deux romans auraient pu éclairer l'auteur sur le recrutement de colons stellaires et lui épargner un brin de ridicule supplémentaire : l'excellent Projet Diaspora de Michael P. Kube Mc Dowell (J'ai Lu) et La Semence de la Terre de Robert Silverberg (Le Masque). « … parce que nous ne pourrons pas en fabriquer (des médicaments) dans le vaisseau. » (p.60) Donc, pas de malades. Pas de péridurale. Pas étonnant du coup que l'héroïne finisse par mourir en couches. Notre — enfin, leur — vaisseau fait 500 mètres de diamètres pour 32 km de long, ressemble davantage à une libellule qu'à autre chose, et est en rotation pour créer une pesanteur artificielle. La surface du cylindre est en gros de 50 km². Soit l'équivalent d'un carré de 7 kilomètres de côté pour y faire vivre la population d'une ville comme Nancy. Ça devrait aller. Mais l'auteur entend leur imposer le mode de vie rurale du XIXe siècle avec des champs, des charrues, des vergers, le fameux lac et ses poissons, Pour ce nombre d'habitants et ce mode de vie, la Meuse conviendrait, mais ce département fait plus de… 6 000 km² !

Comme pour le recrutement, Kremer a caché dans le gouvernail la destination du vaisseau comme si c'était l'Ile Au Trésor ! Et le secret se transmet de génération en génération, jusqu'à la fin… La navigation spatiale, ce n'est que du calcul, rien que du calcul. Kremer laisse aussi trois livres à sa descendance, cachés pendant 1 000 ans dans le tronc d'un pommier du cimetière — l'olivier, passe encore — où ils n'auront même pas pourri. Nouvelle planète, mode d'emploi, Journal de bord, et Encyclopédie de l'Ancien Monde, qu'il a rédigé lui-même, ce con qui a dû se prendre pour Diderot et D'Allembert, comme si on ne trouvait pas tout l'art et les techniques de l'humanité (hormis les civilisations primitives menacées) sous forme numérique. Lorsque le vaisseau touche enfin au but, il est dans le même état que celui de Croisière sans escale de Brian W. Aldiss, et si les survivants sont un tantinet moins dévastés, ils sont encore moins nombreux et on a peine à croire que quiconque sache encore lire dans ce vaisseau fantôme…

Werber ne cesse de casser du sucre sur les sociétés contemporaines, politiquement incorrectes. Il s'acharne tout particulièrement sur les religions, prenant le contre-pied de Harry Harrison dans L'Univers captif. L'ennui — ou le chapeau, plutôt — c'est qu'il nous livre une fin biblique avec un remake de la Genèse, serpent inclus. En reste six, au final, deux débarquent sur le nouveau monde. La fille meurt et Adam se fait une fille à partir d'une de ses côtes.

Bref, si vraiment le billet à vingt euros vous démange que ça en devient insupportable, vous pouvez : a) aller chez le coiffeur, b) le donner à un pauvre, c) acheter une poupée Barbie à votre chien ou un gros paquet d'os à votre fille, d) acheter et lire Pavane de Keith Roberts (tout juste réédité chez Terre de Brume), e) brûler le billet, f) aller voir un match du PSG, g) me l'envoyer (la meilleure option), h) vous torcher les fesses avec ou en faire une cocotte. Mais n'investissez pas dans ce panthéon d'âneries qu'est Le Papillon des étoiles. Ça ferait pitié s'il ne s'en vendait pas autant. Certains livres, même pour les fanatiques de la liberté d'expression, justifient, mais alors amplement, l'Index et les autodafés. Celui-ci en est un. Après lecture, on comprend mieux la fort piètre image qu'a Werber de l'espèce à laquelle il appartient, s'il la juge à l'aune de sa propre production. On reste pantois devant l'ampleur du scandale que représente ce bouquin.

Je le donne aux Razzies à 1,5 contre 1, et il tient bien la corde. Nullissime, il devrait l'emporter de nombreuses longueurs pour s'imposer comme la référence incontournable de la décennie en matière de nullité. Mal écrit, mal pensé, mal conçu, d'une stupidité abyssale. Bien pire que Casiora de Juliette Ninet, et il n'y a pas photo. C'est bien simple, s'il est battu aux Razzies, je m'engage à manger en public le vainqueur (le livre, pas l'auteur…).

Axiomatique

Depuis une douzaine d'années, Greg Egan jouit en France d'une excellente réputation, surtout de nouvelliste. Aussi peut-on s'étonner qu'Axiomatique, dont la VO date de 1995, n'ait été que partiellement édité à ce jour. Les mystères de l'édition sont insondables, et ce recueil était bien parti pour devenir un livre maudit. Mais enfin le voilà, lui et bientôt deux autres volumes, toujours au Bélial'.

Egan a détrôné William Gibson comme auteur emblématique de l'époque. Sylvie Denis et Francis Valéry d'abord, puis Gérard Klein, Gilles Dumay, Olivier Girard et Quarante-Deux ont entrepris de révéler Egan au public francophone. C'est dans la forme courte que cet Australien donne sa pleine mesure. Ses romans n'ont pas la même force, Téranésie étant même franchement quelconque. Le souffle épique, le sens du romanesque sont des qualités dont Greg Egan n'est que parcimonieusement pourvu ; par contre, c'est un authentique visionnaire. Personne mieux que lui ne sait mettre en scène l'impact social et humain des nouvelles technologies, et tout particulièrement des avancées médicales. Il est la vivante illustration de la science-fiction considérée comme une littérature d'idées. Parce que d'idées, il en regorge. Malgré cela, jusqu'à présent, qui voulait lire les nouvelles d'Egan s'engageait dans un véritable parcours du combattant : outre les deux courts recueil parus naguère chez DLM et depuis très épuisés, Notre-Dame de Tchernobyl et Axiomatique (contenant quatre nouvelles reprises ici — 4, 6, 7 et 13), il lui fallait les chercher ici et là en revue, et dans diverses anthologies. Il aura fallu pas moins de dix ans et de trois tentatives éditoriales pour que ce recueil voie enfin le jour en français dans son intégralité. Tout vient à point à qui sait attendre, mais tout de même…

1 — « L'Assassin infini » nous montre à l'œuvre un tueur omniprésent dans quantité d'univers parallèles et chargé de liquider les incarnations de drogués engendrées par l'usage d'une substance qui leur permet de voyager entre les univers tout en les déstabilisant de plus en plus. Ce texte n'est pas typique de la manière Egan, mais c'est un des récits les plus actifs.

2 — « Lumière des événements ». Un astronome a découvert des galaxies à temporalité inversée. C'est-à-dire qu'au lieu que les photons provenant du fond de l'espace frappent le télescope, ils le quittent pour plonger dans le passé et rejoindre l'étoile, à rebours. Grâce à de gigantesques jeux de miroirs spatiaux, on parvient à envoyer ainsi des messages dans le passé et, donc, à connaître l'avenir. La science va-t-elle triompher du libre-arbitre ou pourra-t-on faire mentir les massages venus du futur ?

3 — « Eugène ». Dans cet avenir où l'on achète quasiment sa progéniture en kit, si l'on a gagné à la loterie, on peut s'offrir l'enfant le plus merveilleux dont on puisse rêver. Ne se pourrait-il pas que la mariée soit trop belle ? Que l'enfant ne soit TROP parfait ? Que les Pygmalion soient pris à leur propre jeu ?

4 — « La Caresse » évoque les rapports malsains, quasi incestueux, que l'Art et l'Argent entretiennent. Pouvoir de l'Art, pouvoir pour l'Art qui ouvre sur un hédonisme par-delà bien et mal, qui échappe à la morale et, donc, à l'humain. Le créateur, l'artiste en vient à s'investir d'un pouvoir tel qu'il s'apparente au surhomme nietzschéen, s'élève et élève l'Art au-dessus du jugement. Un texte fort.

5 — « Sœurs de sang » est cependant mon préféré et j'aimerais connaître l'avis d'un professionnel de la santé et de la fiction tel que Martin Winckler à son sujet. C'est un récit à la fois dur et touchant. Deux jumelles : l'une meurt en Afrique, l'autre vit en Amérique. Pour tester un médicament, l'industrie pharmaceutique l'administre à l'une, et à l'autre un simple placebo. Ça fait réfléchir et donne froid dans le dos.

6 — « Axiomatique », qui prête son titre au recueil, est l'archétype de la nouvelle eganienne. En plein dans le motif central de l'œuvre de l'Australien. Les états de conscience, les choix moraux ne sont-ils que des axiomes que l'on peut altérer avec des implants cérébraux ? Par exemple, pour acquérir le mépris de la vie humaine nécessaire à un homicide quand on n'est pas un tueur né ? Mais dès lors que l'humanité ne vaut plus rien, à quoi bon la venger ?

7 — « Le Coffre-fort » reste l'un des points faibles du recueil. Un enfant martyr a acquis l'étrange pouvoir de migrer chaque nuit, durant son sommeil, d'un corps à un autre, sans contrôle. Eviter de trop perturber la vie de son hôte d'un jour et se forger néanmoins une identité n'est pas si facile que ça…

8 — « Le Point de vue du plafond » est l'un des textes les plus étranges de ce recueil, où le personnage vit une expérience de décorporation. Il se voit du plafond, comme s'il y était, regardant son corps en contrebas, mais reçoit les informations par le truchement de son corps réel. En fin de compte, l'histoire, qui se conclut par l'exploitation médiatique de la situation, nous laisse sur notre faim.

9 — « L'Enlèvement » est peut-être un peu moins surprenant mais bien mieux réussi. Quand on saura créer de véritables copies conformes d'un être humain, pour l'immortaliser par exemple, ne suffira-t-il pas simplement d'un rapt virtuel ? Menacer de faire souffrir une copie dont on se sera emparé aura-t-il la même influence qu'un rapt réel en permettant d'obtenir tout aussi bien une rançon. Egan livre là son récit le plus psychologique mais pas le moins intéressant.

10 — « En apprenant à être moi » nous fait découvrir le dispositif Ndoli. Un cristal de réseaux neuraux imite parfaitement le cerveau. Quand ce dernier vient à se dégrader avec l'âge, le cristal prend le relais pour l'éternité… Egan pose une fois encore sa question favorite, celle qui l'intéresse vraiment et donne une teinte philosophique à son œuvre : Et ça, c'est humain ?

11 — « Les Douves ». Très beau texte, simple, parlant et fort, avec la mise en abîme du racisme primaire, avoué et revendiqué, de pauvres qui redoutent la concurrence de plus pauvres et désespérés qu'eux et celui, discret, secret, de la classe dominante, qui s'affranchit de son humanité même pour créer une frontière plus infranchissable qu'aucun mur. Ceux qui réclament un mur et ceux qui édifient un mur génétique pour, de classe, se constituer en espèce, pire, en une forme de vie alternative et dominante. Des douves, jolie métaphore…

12 — « La Marche ». Le moins bon à mon sens. Un tueur conduit sa victime à travers bois et échange avec elle son point de vue. Point de vue que des implants peuvent modifier. Du pur Egan.

13 — « Le P'tit mignon ». Parmi les thèmes favoris de Greg Egan, on compte tout ce qui touche de près ou de loin à l'identité sexuelle. Comment la technique va-t-elle fournir au Marché le moyen de répondre — ici à la demande d'un homme d'avoir lui-même un enfant — et avec quel questionnement éthique ? Quelles seront les conséquences émotionnelles de faire les choses à moitié ? Il y a quelques risques à vouloir un super tamagoshi.

14 — « Vers les ténèbres » est une nouvelle moins spéculative, plus imaginaire… Des trous de vers apparaissent çà et là, arbitrairement, capturent des gens dans un labyrinthe où il est impossible de revenir en arrière, même pour la lumière, et où donc, de fait, on avance dans le noir total. Des « pompiers » y pénètrent pour essayer de sauver ces prisonniers en les menant au centre dans le temps imparti.

15 — « Un Amour approprié » est la toute première nouvelle d'Egan que nous ayons pu lire en français sous le titre « Baby Brain ». La technique et le droit. Encore et déjà. Liée par un contrat d'assurance avec des clauses en petits caractères, une femme doit accepter de porter dans son utérus le cerveau de son mari victime d'un accident, le temps de lui cloner un nouveau corps ou de renoncer à le sauver.

16 — « La Morale et le virologue ». Un biologiste fou de Dieu entend « améliorer » l'œuvre du Tout Puissant, créateur du sida, en produisant une nouvelle souche virale plus performante, religieusement parlant, qui parvienne à tuer tous les impies, homosexuels, partenaires multiples, femmes allaitant… Sinistre.

17 — « Plus près de toi ». Grâce au dispositif Ndoli, toutes sortes d'expériences deviennent possibles : échanger corps et sexes, avoir le même sexe que son partenaire et inversement. Devenir l'autre. Absolument identique. Tout connaître de lui, d'elle, à la perfection. Mais attention, une fois qu'il n'y a plus de mystère, quel échange reste encore possible ? Egan aime présenter les revers de médaille. Dans tout marché, il y a ce que l'on reçoit mais aussi ce que l'on donne. La technique le permet, mais qu'y gagne-t-on au final ?

18 — « Orbite instable dans la sphère des illusions » rappelle davantage la S-F des années 70 et aussi l'univers de Roland C. Wagner et sa fameuse Psychosphère. Un beau jour, les croyances ont créé des attracteurs, géographiquement parlant, qui, dès que l'on s'en approche, vous convertissent à la croyance génératrice dudit attracteur. Une minorité continue d'évoluer librement aux marges des zones attractrices, à moins que ces marges ne soient en fait, elles aussi, qu'un attracteur quelque peu différent ? Une idée marginale chez Greg Egan pour conclure comme on avait commencé.

Véritable monument de la S-F des années 90, Axiomatique est le recueil à ne manquer sous aucun prétexte, à découvrir absolument. Greg Egan propose une science-fiction crédible et éprise de questionnements éthiques. Il ne cesse d'interroger le progrès technique et surtout médical. Ni technophobe ni technophile, il envisage le pour et le contre des demandes que notre époque adresse au proche futur. La question de l'immortalité et, sans aller si loin, de la prolongation de la vie. La science et la technique avancent, mais la loi, dans son esprit comme dans sa lettre, reste ce que nous connaissons. C'est à cette aune-là qu'il faut peser les réponses qu'il propose.

Chez Egan, l'action est bien souvent réduite à la portion congrue. Sa prose est froide, et si son faisceau thématique est plus étroit que celui de Ted Chiang, ces deux auteurs sont bel et bien comparables. Si La Tour de Babylone, le recueil de Chiang (Denoël « Lunes d'Encre » — cf. critique et interview de l'auteur dans le Bifrost n°42), vous a laissé de marbre, gageons qu'Axiomatique aura le même effet. En revanche, si le recueil de l'Américain vous a enthousiasmé, il y a toutes les chances pour celui de l'Australien fasse de même. On a ici droit à une science-fiction très intériorisée, où l'essentiel est dans les interrogations de personnages qui n'ont rien d'extraordinaires. Ce pourrait être moi ou vous, et c'est bien sûr ce qui fait tout l'intérêt de la chose.

Je donne certains textes pour meilleurs, d'autres pour moins bons. Il faut comprendre que c'est relativement les uns aux autres. L'ensemble est de très haute tenue, même si les meilleurs textes d'Egan qu'il m'ait été donné de lire ne sont pas au sommaire de ce recueil. « Mortelles ritournelles », « Fidélité », « Vif Argent », « Cocon » ou « Les Tapis de Wang » devraient figurer dans les deux autres recueils prévus au Belial'. Malgré cela, Axiomatique est le seul recueil à pouvoir rivaliser avec La Tour de Babylone. Deux comme ça suffisent amplement à faire de 2006 un excellent millésime. Maintenant, si vous préférez la hache et le blaster…

Les 40 signes de la pluie

Le titre est symbolique : les quarante signes renvoient aux quarante jours et quarante nuits du Déluge, avec une différence sensible néanmoins. Car où le châtiment divin marquait une rupture — la fin du Premier âge de l'humanité —, notre époque reste quant à elle suspendue à l'annonce de la pluie, comme figée dans l'attente de cet événement indicible. On en est là : Dieu est mort (remorqué par James Morrow, son cadavre croise au large des côtes néo-zélandaises, avec des morceaux de banquise gros comme dix cathédrales), homo sapiens travaille jour après jour à réunir les conditions pour s'auto-exterminer, les signes du désastre sont évidents, mais presque personne ne semble capable de les décrypter — ou pire, ne semble avoir la force d'en contrer les effets hypnotiques, lénifiants, paralysants. L'Occident est-il aveugle, simplement irresponsable, ou se sent-il si coupable que son inconscient collectif appelle un nouveau châtiment ? Las ! Le roman, en abordant de front le problème du réchauffement climatique, entend illustrer avec force cet inquiétant paradoxe.

En s'emparant d'un tel sujet d'actualité, Kim Stanley Robinson s'inscrit dans une longue lignée d'écrivains catastrophistes (ou visionnaires, c'est selon) qui va de Restif de la Bretonne à Norman Spinrad en passant par Lester Del Rey et James Ballard. Il le fait à sa manière habituelle, documentée et sérieuse. Contrairement au spectaculaire film Le Jour d'après, qui choisit de montrer les conséquences d'une chute rapide et radicale du thermomètre, l'histoire de Robinson s'articule autour du concept de « changement climatique soudain », au cours duquel le climat de la Terre bascule entre deux équilibres, passant en l'espace de quelques années d'un régime général tempéré à un autre, plus brûlant et plus humide (avant peut-être de devenir beaucoup, beaucoup plus froid). Les climatologues savent que cela s'est déjà produit, et qu'il s'agit très probablement d'une occurrence que l'activité humaine pourrait déclencher.

Le roman, donc, mêle crédibilité scientifique et message politique. L'histoire se déroule aux Etats-Unis, dans un avenir proche. On suit une poignée de personnages : Charlie Quibler, conseiller chargé des questions d'environnement d'un sénateur démocrate ; sa femme, Anne, chef de projet à la National Science Foundation (NSF), une agence qui attribue des budgets à des projets de recherche ; Frank, un sociobiologue détaché pour un an à la NSF ; Leo, qui travaille dans une start-up de biotechnologie ; et un groupe de tibétains ayant fondé une nouvelle nation dans une île à basse altitude, au large des côtes de l'Inde. Tous tentent de convaincre une administration réticente de lutter contre le réchauffement climatique, travaillant à créer, au cœur de la société civile et de la communauté politique, un environnement favorable qui permettrait d'adopter les mesures nécessaires pour prévenir un effondrement écologique global. Lobby contre lobby, science contre marché, intérêts supérieurs contre cause supérieure, Congrès contre Congrès, combat de l'homme contre lui-même. « Il combattait des menteurs, des gens qui mentaient sur la science pour le fric, occultant les signes manifestes de destruction du monde. » Le problème n'est pas tant de savoir décrypter les signes, mais de ne pas les instrumentaliser, de leur donner un sens juste (au sens de pratique, pertinent) ; partant, l'idée n'est plus d'adapter le monde aux besoins de l'homme, mais d'adapter les besoins de l'homme à un monde qui se modifie. L'urgence est là, la banquise se délite, empêchant l'action régulatrice de certains courants (dont le Gulf Stream), avec des conséquences incommensurables.

La dernière partie du roman décrit Washington DC englouti sous les flots, annonçant de manière prémonitoire (le roman a été publié en 2004 aux USA) la dévastation causée par Katrina à la Nouvelle-Orléans. Cette fin apocalyptique résonne comme un constat d'échec désabusé sur la capacité de la seule science à améliorer l'état du monde. Robinson (scientifique de formation) stigmatise la toute-puissance du capitalisme — plutôt que celle de la science — sur nos existences, l'obsession de la croissance économique. Il semble vouloir nous dire que les découvertes scientifiques sont dorénavant utilisées à des fins seulement mercantiles et non pour rendre la vie meilleure ; qu'entre la survie de l'espèce et le profit, le capitalisme choisira toujours le profit. Mais Robinson est un positiviste, un utopiste qui croit que les hommes peuvent s'amender, qu'avec un juste choix les choses peuvent toujours s'améliorer. C'est grâce à ce facteur humain — le capital et l'énergie prodigieuse qu'il représente — que l'intrigue trouve son équilibre, sa touche émotive. Ce n'est pas un hasard si l'auteur s'attarde longuement sur le quotidien des personnages, la routine fastidieuse de leur travail, leur cheminement intellectuel et/ou amoureux. En définitive, il s'agit autant d'un roman de désapprentissage que d'apprentissage, vers plus de solidarité (une solidarité active, agissante), de spiritualité (c'est la seconde fois que Robinson s'intéresse d'aussi près au bouddhisme), de démocratie participative, d'investissements sociaux. Vers un monde plus humain, en somme. Cette note d'espoir, cette lueur dans la tempête qui s'annonce restera comme la marque principale d'un roman de grande qualité, en attendant de lire la suite, intitulée Fifty degrees below.

Tout un programme…

Le manteau des étoiles

On a beau baigner dans les mers chaudes d'une antiquité mythique, avec dieux, héros musclés et prodiges de rigueur, Le Manteau des étoiles n'est pas ce qu'il parait. Oubliez Ithaque (quoique…), direction la Polynésie.

Au-delà de mers plus ignorées vivent les hommes du Peuple des vents, qui ne jurent que par les exploits guerriers (un peu) et les explorations (beaucoup). C'est par une de ces expéditions que s'ouvre le roman. Au bout d'une longue chasse au poulpe, des pêcheurs polynésiens tombent sur une île brumeuse où les hommes ont la peau blanche et les cheveux carmin. Les pêcheurs capturent deux spécimens — un homme, une femme —, qu'ils ramènent sur leur île paradisiaque de Raiatea. Dès lors, les deux étrangers, intégrés de force, n'auront de cesse de se mêler (volontairement ou non) aux affaires de la communauté…

La grande affaire du roman (de tous les romans ?), c'est la mort. Vicissitude classique : le roi défunt, deux fils se disputent l'héritage. Pour éviter un bain de sang, Tangiia, le cadet, s'exile avec une partie de la tribu. L'aîné, Tutapu, qui veut dormir tranquille, lève une flotte pour liquider le danger potentiel que représentent les fuyards. Au fil d'une navigation qu'on imagine ponctuée de nombreux écueils et merveilles, Tangiia, par sa passion et sa détermination, rend peu à peu possible, prégnante, son utopie d'un paradis lointain.

La plume fertile de Garry Kilworth s'est illustrée dans de nombreux ouvrages de S-F et fantasy, dont une part infime a été traduite en français. Récemment, on se souvient d'avoir lu La Compagnie des fées (réédité chez Terre de Brume) et surtout « L'Arbre aux épines » (un World Fantasy Award publié dans la petite anthologie Aventures lointaines n°2, chez Denoël en avril 2000), novella coécrite avec l'excellent Robert Holdstock (ne ratez pas La Chair et l'ombre, tout juste paru chez Denoël « Lunes d'encre », qui sera critiqué dans notre pochaine livraison). Dans ce dépaysant récit d'aventure mâtiné de tragédie, Kilworth applique ou anticipe la recette que Holdstock, justement, avait concoctée pour son Codex Merlin (le Pré aux clercs et Pocket) : le choc des cultures, la fusion des imaginaires. Celte et grec pour Holdstock ; celte, polynésien… et grec, pour Kilworth.

Le cycle des Rois navigateurs, c'est d'abord un background, avec juste ce qu'il faut d'ensoleillé, de sensuel, d'exotique ; c'est aussi la découverte progressive du peuple polynésien, ses mythes, ses mœurs, son folklore, le tout décrit et illustré minutieusement, de manière amusante et savante ; c'est surtout une galerie de personnages puissamment incarnés, figures humaines, divines, ou semi divines : Maui le rusé, Seumas le Picte, Maomao le Vent, Tangaroa l'Océan, Nangananga, déesse du Châtiment qui attend les célibataires à l'entrée du pays des morts pour les dévorer… On se croirait presque au seuil de l'Hadès, ou sous les portes de Troie, ou en quête de la Toison d'or. Le parallèle avec les équipées de Jason ou d'Ulysse est assez pertinent : comme chez Homère, les héros de Kilworth se retrouvent à caboter dans un univers aux contours troubles, entre des îles remplies de géants fous, d'oiseaux cannibales et de fées lubriques — jouets de forces qui les dépassent. Grâce à une intrigue convenue, Garry Kilworth mène sa barque sans peine : on se laisse entraîner plutôt de bonne grâce. Il faut juste passer outre les quelques longueurs du début, quelques fantaisies du traducteur (j'ai relevé notamment un « hypothermique » et un « kebab » !) ainsi que plusieurs temps faibles pas toujours très bien maîtrisés.

Sans avoir le charme d'un Corto Maltese, ou la petite musique d'un Le Clézio (voir le récent Raga, approche d'un continent invisible), voilà une fantasy qui affirme suffisamment sa différence pour mériter plus qu'un coup d'œil blasé. À suivre…

La Retraite maudite

Quarante années se sont écoulées dans le Fief depuis la quête du Bâton de la Loi, première aventure de Thomas Covenant (voir La Malédiction du Rogue). Quarante années de labeur et de préparatifs guerriers pour les défenseurs résignés d'un monde merveilleux en train de s'effilocher peu à peu. Quarante ans qui ne leur ont pas suffi pour retrouver la plénitude de l'ancien savoir, caché après le rite de la Profanation mené par le Haut Seigneur Kevin. Et pourtant, le temps presse, car à l'abri de leurs regards le Rogue rassemble ses forces afin de mener à terme la malédiction dont il les a frappés. Plus que jamais, un seul espoir demeure : la magie sauvage détenue par l'Incrédule. Mais bon, il faut rappeler le méprisable lépreux et espérer qu'il soit convaincu de l'urgence « réelle » de la situation.

Quelques mois se sont écoulés depuis la réédition dans une version véritablement intégrale du premier tome du cycle « mythique » de Stephen R. Donaldson. Quelques mois que le lecteur a mis à profit pour : 1/ oublier l'attente intolérable où il croupissait en détournant son attention vers d'autres lectures, 2/ faire le point sur « l'événement » éditorial — catégorie artillerie mercatique lourde — que constituait cette réédition. Oui, événement il y avait car le cycle des Chroniques de Thomas Covenant était devenu introuvable en France, ce qui n'était pas plus mal compte tenu du découpage assassin, pour ne pas dire le massacre, qu'il avait subi lors de sa première et partielle parution chez J'ai Lu. Cependant, l'assaut marketing auquel a donné lieu la sortie du premier volet de cette réédition peine désormais à masquer un fait que j'ai personnellement occulté, tout à ma joie de renouer avec une lecture marquante de ma folle jeunesse (je suis encore fou, puisque j'en ai entamé sa relecture). L'un des plus grands chefs-d'œuvre de la fantasy [dixit la quatrième de couverture] ne dépare finalement pas dans la production actuelle de fantasy. Certes, ces Chroniques remontent à 1977 (pour la première trilogie), mais il est douteux qu'une date de parution soit un argument suffisant pour distinguer une œuvre dans une masse, surtout lorsque celle-ci manie les mêmes matériaux et ressorts.

Mais, revenons à l'objet de notre attention, à savoir cette retraite maudite qui donne son titre au deuxième épisode des aventures subies par Thomas Covenant dans le Fief. Le lépreux y met en veilleuse ses obsessions et, aux côtés de ses anciens compagnons, fait la connaissance de quelques nouveaux personnages. Tout d'abord Hile Troy, l'Insigne de la Milice — comprendre, son commandant en chef —, un aveugle de naissance provenant lui aussi du monde « réel » et qui s'affirme d'entrée comme l'antithèse à tout point de vue de Covenant. Amoureux de cette terre d'adoption qui lui a restitué la vue, il s'y épanouit et prend fait et cause dans sa défense, poussant son action jusqu'au sacrifice ultime. Le lépreux est aussi confronté à sa fille Elea, née de ses œuvres criminelles dans le premier épisode. Elle est à la fois sa descendante et l'instigatrice de son invocation pour des raisons avouables — sauver le Fief — et d'autres, qui le sont beaucoup moins… Ça ressemble à une amorce de relations incestueuses, mais ça ne va pas jusqu'au bout. Et surtout, il y a le Fief, véritable personnage à lui tout seul, qui gagne un peu plus en épaisseur dans ce deuxième épisode. Les événements historiques qui ont précédé l'intrusion de Covenant se précisent, on arpente de nouvelles terres, on explore plus longuement des lieux déjà vus et on se pénètre de l'organisation sociale de ce monde où le merveilleux n'est pas encore dénaturé. Mais ce qui ressemble à une richesse supplémentaire contribue également fâcheusement à multiplier les points de convergence avec l'univers du Seigneur des anneaux. Les parallèles abondent pour nous rappeler que l'inspiration majeure de Stephen R. Donaldson, en dépit d'une coloration plus wagnérienne du récit, reste l'œuvre de Tolkien. Et ce ne sont pas les seules ressemblances, puisque le mode de narration (un embryon d'entrelacement) et l'intrigue (pendant que les uns attirent l'attaque de l'ennemi, les autres mènent une capitale mission secrète) viennent rendre la filiation encore plus évidente.

Alors quel intérêt reste-t-il à lire cette œuvre ? Pour le lectorat chenu non anglophone, essentiellement le plaisir de redécouvrir une œuvre dans sa dimension originale. Pour les autres, un cycle de plus dans une offre de fantasy stéréotypée et pléthorique.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug