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Coldheart Canyon

Ainsi donc, la collection « Millénaires » jette ses derniers feux avec la publication de ce nouveau Clive Barker, auteur majeur, créateur puissant et au talent empruntant les média les plus divers (écriture bien sûr, mais aussi peinture et cinéma, sans oublier, parmi les nombreuses cordes tendues sur l'arc de sa muse, l'élaboration d'attractions foraines !).

Clive Barker écrivain, ce sont entre autres les six recueils des « Livres de sang », Imajica, le formidable Galilée et surtout, surtout, un roman extraordinaire, sorte de livre monstre : Sacrements. Bref, un parcours littéraire certes non exempt de déceptions (on se souvient notamment de Cabale), mais d'un niveau global exceptionnel…

Un nouveau roman de Clive Barker, donc. À 36 euros. Un prix qui a de quoi calmer les curieux, et qui nous laisse espérer pour le moins un chef-d'œuvre. Voyons…

Résumer de manière probante un bouquin aussi vaste relève de la gageure. On se contentera de dire qu'ici, Clive Barker se livre à la mise en pièce morale, cynique mais sans aucune complaisance, d'un microcosme très particulier, à la fois ouvert sur le monde à travers le prisme de la médiatisation et extrêmement clos : celui du cinéma hollywoodien — que l'auteur connaît bien puisqu'il y évolue lui-même. Pour ce faire, Barker nous immerge dans la vie de Todd Pickett, manière de Tom Cruise, star à la notoriété planétaire mais en perte de vitesse. Ainsi, après une opération esthétique plus ou moins ratée, il part se reposer, se terrer plutôt, quelques mois dans une retraite grandiose dénichée par son agent, Coldheart Canyon, propriété gigantesque et décrépite, d'une démesure baroque, perdue dans un coin reculé d'Hollywood. Sauf qu'il s'y passe de bien étranges choses, dans cette propriété, et qu'elle n'est pas à proprement parler inoccupée… Ainsi Pickett va-t-il rencontrer la véritable propriétaire des lieux, une jeune femme se présentant comme Katya Lupi, star oubliée du cinéma muet vivant en recluse dans son repaire, un lieu où, dans les années 20, elle ne cessa d'orchestrer des orgies cruelles et immorales auxquelles le tout Hollywood participait. Une jeune femme, donc, d'une mortelle beauté… et âgée d'environ cent ans ! Quel est le secret de la magnétique Katya ? Qui provoque les bruits étranges dans les jungles environnant la villa ? Et ces créatures qui semblent y errer ? Quel est l'abominable secret enfoui dans le cœur glacé de Coldheart Canyon ?

Long. Souvent brillant, certes, mais long. Ainsi pourrait-on résumer l'impression qui demeure après lecture de ce nouveau Barker. On y retrouve l'essence du talent de l'auteur : sa capacité à nous faire basculer en deux phrases dans un univers décalé et inquiétant, la richesse et l'épaisseur des personnages, toujours très loin de la caricature… Son talent et, bien sûr, sa matière et ses fascinations : pour la chair, contrefaite ou béatifiée, le sexe (dans la même ambivalence), l'attrait pour le monstrueux et le difforme, les personnages et thématiques bibliques, les lieux creusés et syncrétiques (Coldheart Canyon fait bien sûr penser à la figure centrale de la demeure dans Galilée) qui sont souvent les véritables personnages de Barker, le vieillissement et la putrescence… Ici, Barker se livre enfin à un laminage en règle d'Hollywood et ses pratiques, sa vanité et sa vacuité, sa fascination pour l'apparence et le paraître (par définition voués à l'impermanence), fascination qui, finalement, est la véritable genèse de la monstruosité mise en scène dans le roman. Un constat sans appel, impitoyable.

On l'a dit, Coldheart Canyon aurait probablement gagné en force et impact dans un dégraissage. Mais le talent de Barker est tel que dans ces longueurs mêmes on ne s'ennuie pas, du moins pas vraiment, et force est de constater que même si certains passages sont décidemment interminables, ces longueurs, pour agaçantes qu'elles soient, ne sont pas totalement inutiles à l'échafaudage global du livre. Et de conclure en réalisant que si Coldheart Canyon n'est certes pas le meilleur roman de Barker, qu'il est loin de la puissance visionnaire de Sacrements ou même des saveurs moites et empoisonnées de Galilée, on tient néanmoins là un véritable Barker, et c'est déjà beaucoup…

La Brèche

Demain, dans cinquante ans : l'armée US invente le voyage vers le passé. Sous tutelle et avec l'accord de cette dernière, un Network privé décide d'utiliser cette formidable découverte pour donner une dimension nouvelle à la télé-réalité : envoyer des reporters filmer en direct les grands faits historiques, de préférence ceux dotés d'une aura mythique. La technologie ayant ses limites, il s'avère impossible de remonter au-delà d'un siècle et des poussières. Qu'à cela ne tienne : des événements comme la mort de Marylin ou l'assassinat de JFK font des audiences record… Des audiences record, certes, mais en baisse. C'est alors qu'un des créatifs de la chaîne à une idée susceptible de faire exploser l'audimat : filmer le débarquement de Normandie, le fameux « D » Day. Une fois trouvés les deux candidats au suicide acceptant de retourner le 6 juin 1944 pour filmer l'événement (un reporter belle gueule en pleine dépression suite à la mort de sa femme et un spécialiste des reconstitutions historiques miné par l'échec de son mariage), tout est mis en œuvre pour le grand show : un direct de trois heures sur l'une des plus grandes boucheries de l'histoire de l'humanité. La règle d'or est toujours la même : interdiction aux visiteurs du futur d'intervenir dans le déroulement des événements, de quelque manière que ce soit… Evidemment, tout ça va copieusement merder, et en direct bien sûr…

On le sait depuis un moment (probablement depuis Petit frère, roman sorti en 2003 chez Mango) : Christophe Lambert est l'un des tous meilleurs écrivains de S-F jeunesse. Auteur prolifique (à 35 ans, il a déjà publié une vingtaines d'ouvrages — dont cinq dans l'excellente collection jeunesse « Autres mondes » des éditions Mango), ses bouquins nous ont maintes fois prouvé le caractère efficace de son style et de la construction de ses intrigues, le tout sous-tendu par un goût marqué pour les questions d'ordre sociétal. D'où le double intérêt de ses romans jeunesse qui, généralement, se lisent non seulement d'une traite mais soulèvent bien souvent des questions fondamentales quant à notre devenir. Bref, un auteur qui maîtrise sa technique et a parfaitement compris les potentialités du genre dans lequel il l'exerce, la science-fiction bien sûr… Reste qu'on attend Christophe Lambert au coin du bois de la littérature adulte depuis un moment, loin des contingences de format et de style propres aux livres destinés aux plus jeunes.

Ainsi, après une première tentative en 2000 dans la collection « Quark noir » des éditions Flammarion avec Les Étoiles meurent aussi — essai sympathique mais un peu creux —, voici que les éditions Fleuve Noir nous proposent avec La Brèche un nouveau Christophe Lambert « adulte », et en grand format s'il vous plaît.

Les livres de Lambert ont ceci de remarquable qu'ils sont d'une grande évocation visuelle. Premier constat : La Brèche ne déroge pas à cette marque de fabrique. L'écriture est épurée, simple, percutante, les dialogues tout ce qu'il y a de crédible, ce qui n'est déjà pas si courant. Idem pour la rythme et l'intrigue. Le livre est charpenté autour d'une multitude de points de vus développés en chapitres extrêmement courts, une construction qu'on retrouve dans nombre des romans jeunesse de l'auteur et qui n'est pas sans évoquer celle d'un scénario de long-métrage. Le résultat est d'une redoutable efficacité, même s'il a parfois un côté un peu « facile » et systématique et que, dans le tourbillon des événements, l'épaisseur de certains des protagonistes en prend un coup. On aurait probablement aimé que Lambert développe un tantinet çà et là, mais le résultat est d'une nervosité narrative sans faille. Autre constat : la documentation et l'intégration de cette dernière dans le corps du récit est d'une maîtrise incontestable. Lambert a potassé, ça ne se voit pas mais ça se sent, ce qui est d'autant plus agréable — les scènes liées au Débarquement sont notamment d'un réalisme et d'une âpreté saisissante. Enfin, ultime remarque : comme dans tous les meilleurs ouvrages de notre auteur, La Brèche ne se contente pas d'être un livre de pur divertissement et développe à loisir son lot de questions sociétales de fond : ici bien sûr les enjeux de la télé-réalité et le droit à l'information.

Si dans La Brèche Christophe Lambert ne s'est pas totalement affranchi de ses « tics » d'auteur jeunesse, il n'en livre pas moins un excellent bouquin de S-F, nerveux, pas prétentieux pour deux ronds mais passionnant et intelligent. On savait Lambert un écrivain de S-F jeunesse remarquable. On le découvre ici remarquable tout court et c'est tant mieux : la science-fiction française ne peut que se féliciter de compter dans ses rangs un tel faiseur.

Ceux de la légion

Tous les cinéphiles et les amateurs de S-F connaissent le célèbre Mémo de 1937 adressé par David O. Selznick à ses directeurs de studios :

« Chers collaborateurs,

Certains le savent, j’ai acquis les droits du bouquin de Williamson, Legion of Space, paru l’année dernière. Pour les autres, voici un résumé : après une période de chaos, l’Empire a laissé place au Système, gouvernement démocratique conduit par les savants. Mais certains nostalgiques de la dictature complotent à la rétablir. John « Star » Ulnar est un jeune officier fougueux et fringant, qui appartient à la Légion, un ordre de combattants chevaleresques. Il a pour mission de veiller sur la princesse Aladoree détentrice du secret d’Akka, une force cosmique qui maintient l’équilibre de l’univers. Hélas, Eric Ulnar, parent de John, a basculé du côté de l’Empire. Il enlève la princesse, obligeant John et ses compagnons, derniers représentants de la Légion, à gagner l’Etoile vagabonde. Ils ne parviendront pas à libérer Aladoree. Prisonniers du satellite mort, la forteresse sidérale de l’Empire, ils s’en évaderont par les conduits avant de s’emparer du Rêve Pourpre, vaisseau rafistolé mais capable encore de prouesses. Ils échappent aux chasseurs impériaux et font route jusqu’au repaire des Méduses, une race venimeuse et ancienne qui se tient derrière le pouvoir de l’ombre. Après bien des péripéties, nos héros, assistés de la princesse et portés par la force Akka, feront valoir le bon droit.

Comme vous l’avez compris, chers collaborateurs, tout est rassemblé pour crever l’écran. Héros sans peur, compagnons typés (peut-être penser à faire du bavard Habibula un robot), méchants archétypiques et histoire d’amour. Je pense confier la réalisation à Michael Curtiz, et propose le casting suivant : Tyrone Power (John Star), Olivia de Havilland (princesse Aladoree), Basil Rathbone (Eric Ulnar)… Pour les effets spéciaux, notamment l’animation des Méduses, je compte demander à la R.K.O. qu’ils nous prêtent Willis O. Brien (nous avons tous aimé son boulot sur King Kong). La pré-production commence à la fin du mois, et je sais compter sur votre amitié et votre professionnalisme.

Vôtre,

David O. Selznick.

PS : Nos avocats ont déposé une option sur les suites : The Cometeers et One against the Legion.

 

Le film a connu le succès que l’on sait, inaugurant chez le public un goût prononcé pour l’anticipation, mais seul Time Patrol de John Huston avec Humphrey Bogart, d’après Poul Anderson (1951) peut rivaliser avec ce chef-d’œuvre. À l’occasion du quarantième anniversaire (1937-1977), les éditions du Bélial’ ont eu l’excellente idée de ressortir la première trilogie, entièrement révisée. Nul doute que les lecteurs se précipiteront !

La Vallée de la création

L'Asie centrale chinoise. Entre Tibet et Taklamakan. Les monts Kun Lun. Dans les derniers feux du Grand Jeu, alors que les communistes de Mao Zedong imposent leur hégémonie sur la région, une poignée de mercenaires occidentaux sans foi ni loi, à l'avenir plus qu'incertain, se loue à Shan Kar qui les mène dans la vallée de L'lan, bien à l'écart de la route de la soie, où la guerre entre les Humanites et la Fraternité menace. Les armes modernes d'Eric Nelson et de son groupe avide de platine feront-elles pencher la balance ?

Qui, de la Fraternité où chevaux, tigres, aigles, loups et hommes sont égaux, ou des Humanites, partisans de la supériorité des hommes sur les bêtes, l'emportera après maintes péripéties ?

Voici un simple et sympathique récit de S-F aventureuse qui trahit une conception et une facture ancienne. Né en 1904, l'auteur, dont les chefs-d'œuvre restent Les Rois des étoiles et Les Loups des étoiles, des classiques du space opera, appartient à la première génération des pulps aux côtés de Murray Leinster ou Jack Williamson. On notera que la vallée de L'lan ressemble davantage à celle de la Villamette, en Oregon, telle que David Brin a pu nous la décrire dans Le Facteur, voire à une vallée des Vosges, qu'aux images que l'on connaît de l'Asie Centrale. Les terres entre Samarkand, Lhassa et Urumqi comptent avec le Sahara parmi les moins arborées qui soient. Hamilton, mort en 1977, n'est vraisemblablement jamais allé en Asie centrale et n'avait pas à sa disposition des chaînes câblées exclusivement consacrées au reportage. Lui restait le National Geographic…

D'un point de vue littéraire, La Vallée de la création ne vaut pas 15 euros. Par contre, l'objet confectionné par Terre de Brume, qui lance là sa collection « Poussières d'Etoiles », dirigée par Sébastien Guillot, est plutôt séduisant, à l'instar des livres de fantastique et de fantasy déjà publiés. Lui les vaut.

Saluons donc la naissance de cette nouvelle collection où trois autres rééditions viennent de ou vont paraître : Le Jour des Triffides de John Wyndham, archétype du roman catastrophe anglais ; La Compagnie des fées de Garry Kilworth ; et Les Amants étrangers de Philip José Farmer dont la thématique avait jadis choqué une Amérique pudibonde ; l'intérêt sera désormais historique.

Je n'avais plus lu Edmond Hamilton depuis près de vingt-cinq ans et le sentiment qui prévaut désormais est la déception, le charme n'agit plus, tout du moins sur cet opus. Avec ses animaux télépathes parlants, La Vallée de la création, naguère parue au Masque « SF » sous le titre La Vallée magique est à lire, oui, mais avant onze ans…

Soie sauvage

Evoquons une fois encore le pourcentage élevé de déchet parmi les premiers romans. La quasi disparition du fanzinat n'a pas entraîné celle de l'espace où les jeunes auteurs pouvaient faire leurs premières armes. Au contraire, le Net a même élargi cet espace. Mais le fanzine se payait et le fanéditeur était un éditeur qui se cognait le boulot. Désormais, l'auteur est livré a lui-même. Il se met en ligne ou pas. Point. Et un beau jour, parfois même d'emblée, il passe au roman… Combien de daubes ne finissent-elles pas par être éditées ? Tâcherons poussifs ou talents mal dégrossis ? Les éditeurs les moins bien armés économiquement feront de leur mieux et certains, pas forcément les pires, finiront par jeter l'éponge. Mais du point de vue du lecteur qui met la main au gousset, c'est intolérable. Il a le droit d'en avoir pour son argent, et le prix du grand format — et non, les auteurs ne peuvent plus faire leurs dents de lait de romanciers au Fleuve Noir « Anticipation », il s'est tari — est dissuasif pour ne pas dire rédhibitoire. Aussi, quand ledit lecteur finit par mettre la main sur un premier roman abordable et qu'au bout du compte il ne s'en mord pas les doigts, jurant qu'on ne l'y reprendrait plus à perdre de la sorte son temps et son bel et bon argent, c'est déjà bien.

La première impression qui m'est venue en lisant Soie sauvage est qu'il y avait là-dedans quelque chose de Francis Berthelot ; puis qu'avec Fabienne Leloup, Nestiveqnen se dégotait une deuxième Catherine Dufour (il était temps). Le livre lisant, mon enthousiasme s'est refroidi. Refroidi, pas éteint.

Il y a trois parties distinctes bien que non matérialisées dans Soie sauvage. L'histoire du tatouage, l'histoire de la veuve noire et l'histoire du cirque. Soit Barbara, une adolescente un peu forte au physique ingrat, éclipsée par sa sœur cadette, Muriel, aussi fine et jolie que superficielle, dénigrée par sa mère. Jalouse et aigrie, animée d'obscurs fantasmes. Elle voit une femme-araignée tatouée sur l'épaule d'un homme. Fascinée, elle se fait tatouer la même et se prend à rêver d'être une veuve noire à même de prendre les hommes dans ses rets. Cette première partie, qui a soulevé mon enthousiasme, reste à mon sens la meilleure, la plus aboutie. Elle est tendue entre ambiguïté et sensualité. Tactile et olfactif avant d'être auditif et à peine visuel, tel est l'univers où nous invite Fabienne Leloup. De cette sensualité, des odeurs, de la texture des étoffes, des bruissements, Fabienne Leloup fait naître un érotisme subtile et enivrant.

La seconde partie, plus explicitement fantastique, va gagner en violence ce qu'elle perdra en finesse. C'est dommage. J'aurais bien imaginé le roman se poursuivant à la manière de « Nidification », la nouvelle de Scott Baker (Aléas, Denoël « Présence du Fantastique"). Fabienne Leloup a choisi une autre voie, plus âpre, confinant même au gore. Quoi qu'il en soit, Leloup aurait dû conclure à ce stade. Sauf que 130 pages ne suffisent pas à un roman. La mère et la sœur mortes, le déménageur inexploité, Barbara et Arachné, le tatouage animé d'une vie propre, restaient seuls en lice, Fabienne Leloup n'avait guère de solution de continuité.

Pour poursuivre, elle convie donc un étrange cirque d'insectes géants, digne de La Foire des ténèbres de Bradbury, au festin de l'araignée. L'irruption de ce nouveau contexte institue une rupture forte, trop forte, dans la trame romanesque qui n'y résiste pas. D'autant moins que Leloup choisit une fin hyperbolique, c'est-à-dire plongeant dans le fantastique alors que l'on attendait, au terme de la seconde partie, une fin parabolique, tendant à un retour vers la normale. Ce n'est pas ici surprendre mais tromper, et, en l'occurrence, se tromper.

Ce premier roman, placé sous le signe d'un pouvoir féminin, est loin d'être exempt de défauts. Il révèle par contre une romancière en devenir armée d'une jolie plume, d'un sens et d'un goût des mots et d'une sensualité peu commune qu'il va falloir suivre avec la plus grande attention. En attendant, on peut se laisser embobiner par cette Soie sauvage.

Ce court roman est suivi de 2 nouvelles naguère parues chez Denoël : « Penthouse », in Territoires de l'inquiétude 9 et « Œuvre de chair », écrite en collaboration avec feu Alain Dorémieux et publiée dans le recueil de ce dernier, Tableaux du délire (tous deux chez Denoël).

Permanence

De La Curée des Astres, du cycle des Fulgurs et de celui de La Légion de l'espace à la trilogie d'Alastair Reynolds et à ce nouveau roman de Karl Schroeder, le space opera a prouvé qu'il avait la peau dure. De Heinlein à Banks en passant par Niven, Harness ou Delany, il a connu bien des métamorphoses. Il a su s'adapter, évoluer. Il est à ce point emblématique de la S-F que pour certains béotiens, elle se réduit tout entière à lui seul. Et c'est souvent aux clichés du space opera que l'on se réfère pour définir la S-F.

Plus que tout autre sous-genre, le space opera repose sur la fameuse « suspension de l'incrédulité ». Le temps du roman, on va croire qu'il est possible de… La tendance du space opera moderne est de réduire cette demande de « suspension de l'incrédulité » qui n'en va pas moins rester forte, mais l'auteur va avoir désormais un souci de plausibilité et de vraisemblance. La première œuvre majeure à s'être inscrite dans cette tendance est le cycle du Centre Galactique de Gregory Benford. Dans celui-ci comme dans d'autres, on assistera à la fusion du space opera et de la hard science. Ainsi, on ne s'autorisera pas le dépassement de la vitesse de la lumière. Ce n'est pas le choix de Karl Schroeder, qui ne s'en inscrit pas moins dans ce courant et, thématiquement, Permanence est très proche de la trilogie d'Alastair Reynolds.

Comme le thème de la « vision » et du médium déferle sur les séries télé américaine, celui de l' « héritage » envahit le space opera. Outre Permanence et la trilogie de Reynolds, il sous-tend aussi La Lune des mutins de David Weber, le cycle des Heechees de Frederik Pohl ou La Vallée de la création d'Edmond Hamilton, L'Anneau-monde de Larry Niven ou encore l'univers de Laurent Genefort.

Permanence confronte deux civilisations humaines. Celle des Mondes Illuminés et de l'Economie des Droits, militariste, capitaliste, expansionniste, disposant de la propulsion supraluminique et vivant autour des vraies étoiles qui lui sont indispensables. Et celle du Halo, qui périclite à proximité des naines brunes dont l'économie durable dépend des cycleurs, des vaisseaux infraluminiques de plus en plus rares.

Issue de la civilisation du Halo, l'héroïne, Rue Cassels, découvre un cycleur inconnu, de facture non-humaine qui tend à prouver que les diverses espèces galactiques sont capables de coexister. Elle devient du coup riche et puissante, mais se voit impliquée dans la guerre qui oppose l'Economie des Droits à une rébellion. Représentant l'ED, l'amiral Crisler veut s'emparer du cycleur de Cassels qui le conduira à l'arme absolue qui donna l'hégémonie aux Chixulubs, la seule espèce à avoir dominé seule toute la galaxie après en avoir éradiqué toutes les autres formes de vie.

Permanence plaira à ceux qui aiment la trilogie de Reynolds. C'est du très bon space opera moderne, de l'aventure spatiale de qualité. On prend un plaisir certain à la lecture de ce roman. Mais au-delà ? La différence de qualité entre ce roman et des livres tels que Etat de guerre de Alexis Aubenque ou Casiora I & II de Juliette Ninet est patente, certes, mais toutes ces œuvres n'en jouent pas moins dans la même cour. À savoir, celle des romans dont la lecture n'apporte rien.

La question n'est pas de savoir si la S-F (le polar, le western, l'érotisme, le sentimental, l'historique, etc.) sont des genres mineurs ou majeurs. Il n'y a pas de mauvais genres, ni de bons. La césure est ailleurs. Elle sépare des œuvres d'art ou littéraires de produits commerciaux à caractère artistiques ou littéraires. L'œuvre permet à son récipiendaire d'élargir sa vision du monde en accédant plus ou moins à celle de l'auteur. À l'inverse, le produit recherche le plus petit dénominateur commun à ses consommateurs dans le dessein de réduire, de focaliser, de conformer la préhension du monde de tout un chacun en une unique vision stéréotypée. Elle donne à voir le monde par le petit bout de la lorgnette. Un roman tel que Permanence semble écartelé entre les deux tendances. La fadeur des personnages tend à l'incliner vers le produit alors que l'élaboration du contexte tire dans l'autre sens. La problématique reste trop diaphane et convenue pour que Permanence soit davantage qu'un très bon divertissement qui souffre d'un manque d'ambition spéculative pour prétendre à un autre statut. Dommage.

La Lune des mutins

Perry Rhodan. Le nom du héros de la plus grande série de S-F jamais écrite, dont l'un des créateurs, Clark Darlton, est décédé le 15 janvier dernier à Salzbourg, ne vous est sûrement pas inconnu ; mais le début de ses aventures ? Les premiers volumes — Opération Astrée, La Terre a peur et La Milice des mutants - qui vont d'ailleurs ressortir au Fleuve Noir fin avril en un seul volume intitulé La Troisième force, avaient été traduits de l'allemand au milieu des années 60. Et, trois ans avant qu'un certain Neil Armstrong ne le fasse dans la réalité, le 20 juillet 1969, la France put voir Perry Rhodan marcher sur la Lune le 19 juin 1971. La S-F était en retard de 2 ans… Rhodan y trouva l'épave d'un vaisseau arkonide… De retour sur une Terre en proie à la Guerre Froide, il imposa la paix et l'union grâce à la technologie stellaire. On se souviendra également que, quelques volumes plus tard, le second personnage de la série, Atlan de Gnozal, avait dans un lointain passé installé une base sur Terre, l'Atlantide…

Pourquoi diable est-ce que je vous raconte les débuts de Perry Rhodan ? Non, ce n'est pas parce que je suis incapable d'attendre jusqu'en avril. Plutôt parce La Lune des mutins en est la copie conforme. Weber a certes mis au goût du jour quarante ans de quincaillerie S-F et c'est du coup la Lune toute entière qui constitue le « croiseur galactique ». Croiseur qui a connu une mutinerie débouchant sur une situation de pat. Les mutins, après avoir éradiqués les officiers loyalistes, se sont scindés en deux groupes rivaux influençant l'histoire humaine depuis 50000 ans.

Le héros, le capitaine Colin McIntyre, ancien de l'USAF durant la guerre du Golfe et devenu astronaute, est invité de force par Dahak, l'IA du croiseur galactique dont il reçoit le commandement avec, en prime, la mission de liquider les mutins. Avec l'aide de la bonne faction pour laquelle il obtiendra l'amnistie, il vaincra les méchants parano-stalino racistes et esclavagistes dégénérés qui orchestrent le terrorisme mondial. Et la Terre enfin unie va pouvoir se consacrer à contrer la menace des super-méchants aliens éradicateurs…

Aussi original qu'un burger-frites. Evidemment militariste. Pro Américain, anti-Arabes. Un peu moins nauséabond qu'Honor Harrigton tout de même. On relèvera l'anachronisme qu'il y a pour un pilote ayant remporté des victoires aériennes dans le Golfe, durant la première guerre donc, à n'être encore que capitaine d'active à l'heure des bases lunaires. Mais le roman date de 91… La lecture d'un roman comme celui de Barry N. Malzberg, Apollo & après… peut être parfois salutaire. Lecture facile, pas désagréable pour peu que l'on fasse l'impasse sur les opinions politiques de l'auteur et une certaine désinvolture — pour ne pas dire une désinvolture certaine — à disposer de la vie humaine tristement réaliste. Pourquoi pas, si vous y tenez vraiment…

En quête d’éternité

Les milliardaires acceptent volontiers de financer des recherches en biologie sur la longévité et, pourquoi pas, l'immortalité. Hal Cousins est de ces chercheurs. Il veut examiner les microorganismes les plus anciens, avant que les mitochondries ne soient intégrées aux appareils cellulaires des êtres vivants. Il voit dans la collaboration entre les êtres vivants et les bactéries qui les ont infectés avant de s'y intégrer dans un réciproque intérêt la cause du vieillissement puis de la mort.

Certains ne voient pas ces recherches d'un bon œil. S'il échappe de justesse à un sort funeste, Cousins ne s'en trouve pas moins mis sur la touche et son labo détruit. Les diverses tentatives de meurtres auxquelles il échappe sont pour le moins curieuses. Il semble qu'absolument n'importe qui cherche à l'occire. C'est alors qu'il rencontre Banning, un historien déchu qui a un jour subitement viré antisémite et, ce faisant, s'est discrédité. Banning lui remet des papiers de son frère, Rob, lui aussi étrangement assassiné.

Rob, également biologiste, a découvert qu'en Russie, dès les années 30, un biologiste juif, Maxim Golokhov, et sa femme Irina, ont mené les mêmes recherches qu'eux. Or, ce même champ de recherches bactériologiques a débouché sur une possibilité de contrôle très poussée du comportement par contamination bactérienne. Possibilité qui a tout pour séduire Béria, l'âme damnée de Staline, chef de la police secrète du régime qui épargnera aux Golokhov le sort des biologistes soviétiques ne sacrifiant pas au dogme imposé par Lyssenko. Sous Staline, Golokhov met sur pied Silk, une organisation qui travaille au contrôle social. Après la mort du Petit Père des Peuples et l'exécution de Béria au début des années 50, Silk passe à l'Ouest.

En fait, Silk n'est nullement assujetti à une quelconque idéologie. Silk tourne avant tout pour lui-même, selon la vision du monde de Golokhov. Et Silk voit d'un mauvais œil Hal Cousins venir empiéter sur ses plates-bandes…

Greg Bear est sans conteste l'un des meilleurs écrivains actuels de S-F ; on peut lire L'Echelle de Darwin, qui vient de ressortir au Livre de poche, pour s'en convaincre. Mais écrire de la hard science est une chose ; écrire un thriller en est une autre et n'est pas Michael Crichton qui veut. Pas même Greg Bear. Surtout pas Greg Bear. En quête d'éternité est un thriller à 2 de tension. Bear a rassemblé la matière d'un somptueux thriller paranoïaque et a complètement échoué dans sa mise en œuvre. C'est pataud. Pataud et compliqué. Or, l'art du thriller consiste à rendre limpide un montage complexe ; c'est nécessaire à l'accroissement de la tension. Rien à faire. La mayonnaise ne prend pas.

Reste que l'histoire est intéressante. Que l'auteur tente avec un certain succès de mettre en scène le super-complot avec un minimum de crédibilité scientifique. Bear n'est pas ici à son mieux, mais, s'il n'est pas à privilégier, En quête d'éternité n'est pas pour autant à éviter.

Le Dernier Homme

Margaret Atwood, auteur récompensé par le prestigieux Booker Prize, a écrit plus d'une trentaine de livres. Son dernier ouvrage, Le Dernier homme, « chef-d'œuvre d'anticipation », a été lui aussi nominé pour ce prix en 2003.

Le titre français du roman, lourd en références, annonce une histoire qui va osciller entre robinsonnade et cataclysme. Le récit se déroule linéairement le long de deux axes temporels. D'un côté l'axe post-cataclysmique, où le narrateur décrit ses obsessions et l'univers chaotique qui l'entoure, de l'autre, l'axe ante-cataclysmique présentant les principaux protagonistes, immergés dans une société sur le déclin. Au fur et à mesure de la double narration, le récit montre les problèmes rencontrés par le narrateur dans une Nature hostile : bêtes génétiquement modifiées, raréfaction de la nourriture, météorologie instable, obsession du passé ; un passé qui, comme dans un miroir, met en place une mécanique de l'apocalypse : recherche scientifique dénuée de morale, obnubilation du commerce et du rendement, retranchement de certaines communautés, écologie malmenée… La synergie des trois personnages principaux (Jimmy, le narrateur malchanceux ; Crake, le scientifique cynique ; Oryx, la femme-enfant) va jouer un rôle prépondérant dans la fin de l'humanité et le remplacement de celle-ci par des êtres créés en laboratoire.

La charpente de la fiction est convenue. Sans donner de date précise, l'auteure crée une anticipation qui est une emphase des défauts de notre société. Les thèmes traités forment une liste exhaustive des lieux communs issus de la littérature apocalyptique. L'accent est mis notamment sur la perte des valeurs morales de la société. Cette accentuation est parfois trop lâche, comme une approche trop rapide de certains détails ; a contrario l'auteure se perd çà et là dans de longues digressions, comme par exemple les chapitres consacrés à la pédophilie, qui s'apparente alors plus à une tentative de sensationnalisme que d'analyse sociale.

Le texte se dilue dans la dénonciation, parfois trop naïve, parfois trop conformiste, et rate le coche, parce que servie par un discours disparate et rapide. Au centre de la problématique, Le Dernier homme illustre tragiquement la place incertaine de l'individu dans une société de plus en plus subordonnée aux multinationales et au profit. Même en tentant de le cacher sous le fard de l'hésitation et de l'aporie, la fiction tombe pourtant dans une dichotomie banale.

Ce roman n'assume en rien l'héritage littéraire auquel il fait référence. En fait de fable prophétique, le récit tombe souvent dans le jugement de valeur et l'ironie du moment. Servi par une écriture simple et envoûtante, ce livre ne manquerait pas d'intérêt s'il avait été la première œuvre d'anticipation cataclysmique. En fin de compte, ce texte, bien fait mais diaphane, a pour principal mérite de donner envie de (re)lire les grands récits cataclysmiques : Malevil et Ravage en tête.

La ligne de sang

En S-F, les nouvelles plumes sont plutôt rares. C'est donc tout à l'honneur du Fleuve Noir (et tout récemment de Robert Laffont — cf. critique de Forteresse dans le présent Bifrost) de promouvoir une littérature de l'imaginaire francophone, malheureusement moins vendeuse. Après le remarqué (mais encore bancal) Les Fous d'avril , DOA hausse le ton avec La Ligne de sang, un polar classique, mais suffisamment bizarre et torturé pour intéresser les adeptes d'une littérature qui se moque des frontières et des genres. DOA n'a certes pas encore produit son meilleur livre, mais un texte comme La Ligne de sang confirme un talent inquiétant et redonne de l'espoir en l'avenir.

Située dans un Lyon moite et désespérant, l'intrigue du roman se perd parfois dans la longueur, mais l'efficacité narrative de l'auteur rattrape systématiquement les quelques défauts oubliés çà et là, pour une lecture finalement compulsive et dont il est bien difficile de se débarrasser. Avec une lente mise en place de l'horreur et certains passages d'anthologie (la descente dans la cave, par exemple, un classique presque cliché, pourtant incroyablement maîtrisé), La Ligne de sang est une mécanique froide, horrifique, traversée parfois de dérapages surnaturels qui transcendent le roman policier stricto sensu et lui ouvrent des portes inédites : à partir d'un simple accident de la route, deux policiers (un homme et une femme) remontent une piste qui dégénère peu à peu vers le bizarre. Paul Grieux, le motard accidenté, vit une sorte de coma déroutant. Peuplé d'hallucinations et de rêves particulièrement réalistes, son sommeil se caractérise par de brutales crises de violence hystérique, de révélations plus ou moins délirantes et de phases atonales. Pendant ce temps, Madeleine, sa petite amie, a disparu. Pourquoi ? Comment ? Paul Grieux l'a-t-il assassinée ? C'est la problématique à laquelle se heurte la police. Mais l'horreur ne fait que commencer. Car Paul Grieux fait partie de ceux qui possèdent des secrets dérangeants. Vraiment dérangeants.

Parfaitement étanche au principe du genre, DOA se fraie un chemin sur un terrain pourtant miné. Bien campés, mais pas non plus exempts de traits caricaturaux, ses personnages sont suffisamment vivants et inquiets pour que l'ensemble fonctionne impeccablement. Malgré une distribution encore inégale dans l'action (deux premiers tiers trop lents et une fin bien trop rapide), La Ligne de sang se lit vite et bien. Une caractéristique notable, qui ne couronne pas un roman vain ou facile, mais bien une œuvre personnelle atypique et somme toute passionnante. Efficace est un adjectif qui prend tout son sens avec DOA. Un auteur évidemment à suivre, mais pas seulement : un auteur avec lequel il faut désormais compter.

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