Connexion

Actualités

Kwest

L'univers grouille de vie. Des milliers de races, dont les humains. Mais l'humanité ne forme pas un bloc. D'un côté l'Empire, une civilisation guerrière englobant plusieurs galaxies, des billions d'êtres humains dont l'expansion ne semble jamais devoir s'arrêter. En face, le Royaume, représentant quelques centaines de planètes et sur lequel règne le Pantap. L'Empire est aux portes du Royaume, qui ne fait pas le poids. Sous les ordres du Pantap, Eftalan Kwest, patriarche de son clan et héros de guerre, se lance dans une quête désespérée aux commandes de son gigantesque vaisseau, le Megatao : retrouver la Planète des Origines sur laquelle, selon une légende commune à des milliers de races, la vie aurait éclos pour la première fois. Comment cette planète pourrait-elle sauver le Royaume ? Nul ne le sait.

Pour la retrouver, Kwest commence une extraordinaire aventure qui passe par un contact avec les Yorsen, une race extraterrestre dont le nom signifie « les Grands Anciens », un peuple déjà vieux de plusieurs millions d'années lorsque les humains se dressaient pour la première fois sur leurs jambes. Seulement voilà, Kwest souffre d'une maladie mortelle qui, si elle avait été déclarée, aurait dû lui coûter son commandement. Ce qui fait de lui un traître. D'autant plus que la mission que Kwest impose à son équipage n'est peut-être pas forcément celle donnée par le Pantap…

Avec Kwest, Eschbach revient au space op', qui plus est dans le même univers que Des Milliards de tapis de cheveux, bien que cela n'ait pas vraiment d'importance. La quasi-totalité du roman se déroule à l'intérieur d'un vaisseau, un confinement un tantinet étouffant compensé par des situations intéressantes et des personnages aux caractères forts, quoiqu'à la limite du poncif, tel ce commandant tyrannique ou cet immortel torturé par tous les êtres chers qu'il a perdu. On a droit à un début sur les chapeaux de roue, qui malheureusement se délite pour finalement aboutir à une banale quête du divin par un homme aux portes de la mort, quête qui tourne finalement à l'absurde. On est également en présence d'une société hyper-hiérarchisée et rigide, pour laquelle Eschbach n'a pas su éviter les clichés. Enfin, la menace extérieure représentée par l'Empire, qui au début du livre créait une réelle pression narrative, bascule vite au dernier plan et fait retomber l'enjeu global du roman. Au total, le sentiment qui prédomine, lorsqu'on ferme le bouquin, n'est pas la déception mais plutôt la perplexité. Quoi ? Tout ça pour ça ! ? Classique et sans réelle invention, mais riche d'énergie, Kwest demeure une histoire agréable à lire, fluide et bien écrite. Reste que ce livre souffre d'une édition postérieure à l'époustouflant Des Milliards de tapis de cheveux et soutient difficilement la comparaison…

De la poussière à la chair

Compagnon lecteur, attention : si vous achetez ce livre, que ce ne soit ni alléché par la phrase du sous-titre, « Souvenirs d'une famille d'immortels » — si on a bien affaire à des immortels, cela n'a rien à voir avec une famille de vampires —, ni par la quatrième de couverture. En parlant d'un certain dictateur qui vient de prendre le pouvoir en Allemagne, puis en décrivant ce livre comme étant un des romans les plus engagés de Bradbury, cette dernière biaise et déforme la réalité du livre. Décidément, ça devient une manie chez « Lunes d'encre »…

Un manoir improbable et doué de vie se bâtit tout seul sur une colline en une unique nuit, puis invite au fur et à mesure les membres de la Famille à venir vivre en son sein. Des créatures immortelles et ne vivant que la nuit, qui composent une « Famille » à prendre au sens large, fait d'être surnaturels, d'archétypes, d'objets élevés au rang de dieux et devenu vivants, et bien d'autres encore, la liste est impressionnante et très imaginative. Timothy, un petit garçon de chair et de sang qui fut jadis abandonné sur les marches du manoir, va devenir leur chroniqueur et le témoin involontaire de la fin du manoir.

Que dire de ce court roman fantastico-poétique ? Rien. De la Poussière à la chair ressemble à si méprendre à une jolie boule de Noël ciselée main : c'est beau, sensible et délicat, poétique et nostalgique, féerique… et totalement creux.

Les Conquérants d'Omale

Serait-ce le challenge qui stimule Laurent Genefort ? Possible. Quoiqu'il en soit, avec Les Conquérants d'Omale, le second « Millénaires » (après Omale) de l'auteur, il nous livre une préquelle encore meilleure que le premier opus.

Les Conquérants d'Omale se déroule pendant les Âges Obscurs d'Omale et se compose de trois histoires distinctes dont les protagonistes ne se croisent jamais. Humains, Chiles et Hodgqins, les trois espèces intelligentes de la planète, se livrent une guerre sans merci depuis plusieurs siècles. Au centre, un territoire neutre où les armes s'appellent politique et diplomatie, et où un équilibre précaire semble s'être installé. Un équilibre menacé, car un complot se prépare. Sur le front Humains/Chiles, le Généralissime Haïdar organise une mission secrète qui pourrait bien faire basculer le conflit en faveur des humains. Une mission tellement secrète que même les soldats qui l'animent ne savent ni où ils vont, ni pourquoi. Ailleurs enfin, un groupe de cartographes est confronté à un phénomène d'une ampleur catastrophique : une plaque d'un noir de nuit en progression constante s'insinue entre Omale et son soleil, plongeant des régions entières dans une nouvelle ère glaciaire. Serait-ce tout simplement la fin d'Omale ?

Jusqu'à présent, le point fort de Laurent Genefort résidait dans sa façon de créer des mondes extraordinaires de complétude et de vie. Avec Les Conquérants d'Omale, il rajoute une dimension de plus à son talent et prend enfin l'envergure d'un véritable conteur. Avec son précédent roman, Genefort avait cantonné ses personnages dans une nef en perdition, nous coinçant dans un huis clos qui finissait par tourner en rond. Ici, le parti pris est radicalement différent et nous entraîne à la suite des protagonistes sur des milliers de kilomètres, nous permettant l'exploration d'une planète que nous n'avions pu jusque-là contempler que de haut. Les personnages sont de plus en plus intéressants, quoique encore un peu trop caricaturaux. Pas de temps mort dans ces trois aventures menées à cent à l'heure, avec un petit défaut cependant : l'histoire, ou plutôt les histoires dans ce cas, sont un peu longues à s'installer. Il faut dire, à la décharge de l'auteur, que passer d'un format poche calibré Fleuve Noir à un « Millénaires », avec tout ce que cela implique de place pour s'exprimer, a de quoi griser n'importe quel écrivain. Gageons qu'une fois les bulles de champagne digérées, Laurent Genefort atteindra la complète maîtrise de la gestion du rythme et du temps et donnera enfin la pleine mesure de son talent. Reste un livre qui se lit avec plaisir, assurément.

Traquemort

Rares sont les ouvrages dont le contenu figure presque intégralement sur la couverture. Tel est l’exploit pourtant réalisé par Traquemort le proscrit, livre rempli d’action, de duels et… rien d’autre. Arrivé au terme de l’ouvrage de Simon R. Green, le sentiment dominant est que l’on vient de lire un dessin animé, avec la frustration qu’on imagine.

Owen Traquemort, seigneur de Virimonde, une planète intégrée dans un empire gigantesque, se voit décrété hors-la-loi par l’impératrice, condamné à mort et contraint à la fuite. Sauvé in extremis par une trafiquante d’organes, il se réfugie sur l’un des seuls mondes inaccessibles à l’empire, Brumonde, sordide et malfamé, point de chute des bannis en tout genre. Depuis ce purgatoire, il prend la décision de mener une rébellion d’envergure contre un empire tyrannique, despote et cruel. Son unique espoir de succès réside dans le négateur de Noirvide, arme absolue capable d’éteindre en une seconde des milliers d’étoiles et des millions de vies. Celle-ci se trouve sur Shandrakor, planète aux coordonnées inconnues de l’empire, où son ancêtre, le Traquemort originel, l’y a cachée après l’avoir utilisée neuf cent ans auparavant. Accompagné de cinq compagnons, il y mettra en déroute l’armée impériale lancée à ses trousses, récupérera le négateur et lèvera une armée de hadéniens, hommes génétiquement modifiés pour le combat et reposant en stase depuis des années sur Shandrakor. La rébellion peut commencer, et là se termine « la première époque de la geste de Traquemort ».

Immense fourre-tout — on y trouvera, pêle-mêle, nobles, vampires futuristes, loup-garou, elfes, téléportation, cyberespace, génétique, Gestalt, clones et télépathes —, si Traquemort le proscrit prétend au titre de space opera, il n’émarge en fait qu’au rang de série B de bas étage. Le roman ne disposant ni de propos, ni d’intrigue, ni donc de suspense, Simon R. Green ne cesse d’introduire de nouveaux personnages, de nouveaux complots pour rejouer à l’infini la même scène. Celle du combat que l’on imagine aisément sur un écran mais qui, à force d’être ici écrit et réécrit, lasse de façon radicale. Confrontés à un mur, jamais les héros ne le contournent, ni même reculent : ils le démolissent frontalement, brutalement, avec un succès récurrent. Non content de se répéter, l’auteur règle chacune des situations critiques par des pirouettes révélatrices de son manque d’imagination. Les héros sont acculés dans un château ? Celui-ci était en fait un vaisseau spatial ! Traquemort ne connaît pas le code secret nécessaire à réveiller une armée en stase ? La seule personne le connaissant, qui vient de se faire décapiter (!), réussit néanmoins à le lui transmettre ! L’issue  sans  nuance  et  victorieuse  de chaque situation étant connue par avance, aucun événement ne parvient à dérouter le lecteur, à remettre en cause un équilibre connu, donc à émouvoir.

Là où l’agacement produit par des combats répétés à l’envi pourrait être atténué par des descriptions variées et originales, on les découvre plombées par la pauvreté du vocabulaire et plaçant sans cesse une distance entre le lecteur et le récit, conséquence d’un recours incessant aux digressions et aux remarques humoristiques. Et gageons qu’ici, pour une fois, la traduction n’est pas en cause : on connaît la qualité du travail de Pierre-Paul Durastanti — on se souvient, par exemple, de la splendide traduction de L’I.A. et son double de Scott Westerfeld chez Flammarion — et d’Arnaud Mousnier-Lompré…

Dernier défaut de taille : l’aspect sommaire de la psychologie des héros et les enchaînements bâclés. Les péripéties sont assenées sans construction et s’empilent sans souci narratif, sans recherche de crédibilité. Lorsque Traquemort décide de se rebeller contre l’empire, choix pourtant lourd de conséquences, l’évolution de son personnage (de noble oisif à pourfendeur des injustices) tient en deux pages (p. 206-207). Lorsque son ancêtre lui livre l’arme absolue, aucun questionnement ne l’assaille sur l’opportunité de livrer à un descendant qu’il connaît à peine une arme capable de reléguer Hiroshima au rang de fait divers. Un dialogue d’une pauvreté navrante, de quelques lignes à peine (p. 426-427), suffit à expliquer son choix.

Et dire que ces six cent pages ne sont que le prélude à la véritable rébellion contre l’empire, prétexte à noircir les pages d’au moins cinq autres énormes livres non encore traduits…

Qui vient du bruit

Les grandes guerres de la Dispersion ont éparpillé les humains aux quatre coins de la galaxie. Désormais dans l’impossibilité de communiquer entre eux, isolés dans des espaces-temps éloignés, ils glissent inexorablement vers des destins épars, privés de mémoire collective, oublieux de la spécificité de l’essence humaine. Seul lien entre ces communautés peu à peu détachées de leur passé commun et fondateur,  les  griots  célestes. Voyageant sur les flots de la Chaldria, flux unifiant les mondes accessible à quelques élus, ils offrent à travers leurs chants un passé, une histoire, des émotions ; ils racontent l’homme dans sa diversité et son unité. Mais ils se font rares et sont en butte à une hostilité grandissante. L’Anguiz, mouvement secret, tentaculaire, immémorial, ne cesse d’étendre son ombre sur le monde. Sous des appellations différentes mais toujours au service du néant, afin de libérer l’homme de la misère physique et de purifier le monde, il a juré leur perte. Les « adorateurs du vide » s’élèvent contre le chant des griots, qui seul permet à l’espèce humaine de prendre sens. C’est dans ce décor que grandit Qui-vient-du-bruit, qui suit l’apprentissage escarpé de la fonction de griot…

Roman initiatique, Griots célestes : Qui vient du bruit est une vaste parabole ayant l’Homme pour sujet. Sur les pas de l’apprenti griot, plusieurs mondes sont explorés où le mal est toujours semblable : le désespoir, l’absence de foi en l’humain, l’obscurantisme, le défaut de mémoire collective.

Parfois naïf dans son cantique à l’humanité, quelquefois irritant par sa tendance à parsemer son ouvrage de bons sentiments, Pierre Bordage propose cependant un beau roman. La complexité de ses personnages, leur psychologie fouillée, le doute qui les traverse évoquent souvent l’écriture d’Orson Scott Card. Le parallèle est en particulier patent avec Les Maîtres chanteurs, où le chant d’êtres exceptionnels offre aux hommes normaux la connaissance de leurs sentiments dans toute leur véracité.

Jamais simplificateur, s’interrogeant ouvertement sur l’opportunité d’imposer un destin, même enviable, à un peuple qui n’en veut pas, relevant les contradictions d’une caste des griots elle-même gangrenée par l’intolérance et le découragement, Pierre Bordage aborde en outre plusieurs sous-thèmes avec finesse. Ainsi son analyse du terrorisme et du fanatisme est-elle franchement convaincante, au fil des quelques chapitres où il approche ce phénomène par le biais de la désespérance et de l’oubli de soi.

Avec le souci de présenter l’histoire et sa transmission par le biais de la culture (du Verbe) comme unique moyen de préserver l’humanité de l’homme et d’offrir une cohérence à ses projets, Griots célestes : Qui vient du bruit est un roman militant. Voici un bon exemple d’œuvre où la science-fiction est mise au service d’une idée, et présente l’avantage d’occuper une position de surplomb afin de mieux parler de l’homme et de son quotidien.

Certes, on pourra toujours être en désaccord avec les idées de Bordage, leur reprocher leur apparente évidence et déplorer un ton parfois moralisateur, mais il faut s’accorder sur le fait qu’il signe ici un livre de combat, utile et bien écrit (avec une suite et fin dont la sortie est annoncée comme imminente). Ne serait-il pas lui-même l’un de ces griots qui énervent tant ses congénères en livrant des vérités toutes simples et en leur tendant sans relâche un miroir ?

Zodiac

Sangamon Taylor est un mauvais coucheur, cynique, empêcheur de tourner en rond, écologiste convaincu aux méthodes parfois douteuses. Taylor reste cependant un non-violent qui récuse les actions de Boone, considéré comme un terroriste écologique pour avoir coulé des baleinières. Son enquête dans le port de Boston, autour de crustacés empoisonnés, fait apparaître une pollution aux PCB d'autant plus curieuse qu'elle disparaît mystérieusement ou se raréfie à sa source. Poursuivi par la mafia locale ainsi que par les membres d'une secte satanique accro au heavy metal et polluée au PCP, manipulée par le groupe industriel responsable de ces empoisonnements, lequel dispose en outre d'appuis politiques solides, Taylor a tout du musclé redresseur de torts en phase avec son époque. Ce James Bond qui se déplace en VTT et en Zodiac, s'il demeure lucide sur la portée de ses actions, « parce que c'est dégueulasse partout. Parce que les idéaux ont fichu le camp et que tout le monde s'en fiche quand vous dénoncez un empoisonneur de la planète », a encore beaucoup à apprendre sur la duplicité des riches et des puissants…

Certes, les impressionnantes connaissances écologiques développées dans Zodiac (le lecteur n'ignorera plus rien de la chimie du chlore et du sodium) engendrent effroi et pessimisme quand sont évoquées les conséquences de certaines pollutions bien actuelles, ou celles, à venir, résultantes de manipulations génétiques inconséquentes. Mais cela n'empêche en rien le Zodiac d'être un excellent bouquin d'action doublé d'une solide intrigue, qui plus est traversé par un humour noir ravageur.

Ce premier roman de Neal Stephenson n'a pas encore la richesse et la texture de L'Age de diamant ou du Samouraï virtuel (tous deux au Livre de Poche), mais tout ce qui fait les qualités de l'auteur est déjà à l'œuvre, au point qu'on se demande pourquoi il a fallu attendre près de quinze ans pour le traduire. Il était grand temps.

Super État

Sous-titré L'Union européenne dans quarante ans, ce roman est un instantané sans concession de la société future : l'isolationnisme inspiré par un État fort et désireux de le rester amène le président de Bourcey à couler un cargo de deux mille réfugiés du Tébarou, entraînant par là les représailles de cette petite nation asiatique. Bien que le Tébarou présente ses excuses pour l'envoi par erreur d'un missile sur une ville autrichienne, de Bourcey envisage d'entrer en guerre. Alors que les Foudéments jouent les trublions sur l'ambiant (le réseau électronique), Esme Brackentoth, la toute fraîche épouse du fils du président (représentée à son mariage par un androïde faisant office de doublure, alors qu'elle inaugurait un restaurant chic au sommet de l'Everest), est enlevée par des terroristes désireux de contrer la politique de de Bourcey. Dans le même temps, suite au réchauffement de la planète, un morceau de banquise s'effondrant dans l'océan provoque un raz-de-marée de l'Irlande à la Bretagne, tandis que l'expédition spatiale parvenue sur le satellite de Jupiter, Europe, trouve sous la glace une forme de vie… comestible.

On se perd parfois dans la foule de personnages qui tressent la trame de ce récit aux destins imbriqués. Procédant par touches, Aldiss multiplie les séquences courtes intercalées de messages, publicités et micros-trottoirs, pour proposer une vision éclatée et foisonnante de sa société. Le tableau qu'il brosse est une charge contre une Europe réductrice de libertés, soumise aux délires d'un président belliqueux ; ainsi, l'aide aux défavorisés impose des conditions comme le renoncement au tabac et à l'alcool, le bannissement de la culture pop, de la vidéo et de l'idolâtrie des vedettes du sport ou de la télé, encourage la lecture par l'envoi trimestriel d'un livre dont le choix est malheureusement orienté ou trop ambitieux.

Super État n'a pas l'ampleur visionnaire du Brunner de Tous à Zanzibar ou du Troupeau aveugle. Mais l'auteur est moins enclin à spéculer sur la société future qu'à soulever des questions métaphysiques portant sur le vide spirituel du monde contemporain. « La vie était plutôt agréable… en réalité elle était passionnante. Pourtant, elle était… vide. » La plupart des protagonistes sont hantés par un sentiment d'inutilité et de vacuité qui les pousse vers une quête de sens. Sarcastique, Aldiss, à l'image des I. A. et androïdes s'efforçant de comprendre ces déroutants humains, porte sur le futur un regard désabusé teinté d'un humour très british. Un livre d'une envergure moyenne, mais agréable à lire.

La Guerre du Plasma

Le plasma, cette énergie d'essence magique capable aussi bien d'assurer l'immortalité que de perforer ou faire léviter des roches, de téléporter ou de communiquer par télépathie, est l'objet de maints trafics tant il est convoité et contrôlé par les autorités.

Suite directe de Plasma, La Guerre du plasma raconte comment Constantin, qui a pu financer le coup d'État de Caraqui grâce au plasma détourné par la Barzakie Ayah, tente de mettre sur pied une Cité nouvelle et radieuse. Exilés chez les voisins, les anciens dirigeants tentent de mettre sur pied une contre-révolution qui profiterait également à la Main d'Argent, l'organisation mafieuse qu'Ayah, nommée chef de la police du plasma, pourchasse sans pitié. Cette jeune femme qui a agi par amour n'a pas l'expérience du pouvoir et de l'autorité. Elle découvre qu'il est difficile de rester intègre quand on entre en politique…

Intrigues de palais, concessions menant à des compromissions, trahisons et coups d'éclats politiques viennent compliquer la trame apparemment simple de ce roman riche en péripéties et actions. On peut reprocher à Williams de se contenter de transposer un peu trop platement notre monde, mais cette initiation progressive et mesurée à la vie politique, quoique simpliste, voire naïve par endroits, est fort bien racontée, avec une intrigue soutenue, des personnages riches et forts, qui parviennent à séduire le lecteur. Le personnage d'Ayah apprend vite : fidèle à ses convictions, il trouve en elle suffisamment de ressources et de volonté pour traverser les méandres du jeu politique.

La Guerre du plasma est un livre plus fouillé que complexe qui, s'il manque peut-être d'ambition, n'en demeure pas moins tout à fait digne d'intérêt (n'était une traduction française déplorable). En cela, il atteint tout à fait ses objectifs.

Dédales virtuels

Lauréat du prix Dorémieux en 2001, Jean-Jacques Girardot voit donc publié son premier recueil de nouvelles, qui comprend, outre des textes parus dans Galaxies, Étoiles Vives et les anthologies du Fleuve Noir, trois inédits.

Comme l'indiquent dans leur préface Claire et Robert Belmas, précédents lauréats, Jean-Jacques Girardot écrit de la vraie S-F, c'est-à-dire qu'il suscite « ce vertige de l'esprit confronté aux grandes interrogations sur les perspectives ouvertes dans un futur proche par la science et la technologie modernes ». L'exercice est si bien maîtrisé que le lecteur est conquis : des voyageurs traversent les longues étendues de l'espace sous forme de copies numériques (« Voyageurs ») évoluant dans des univers virtuels (« Le Jeu de la création »). Ces existences numériques sont au centre de plusieurs nouvelles, l'auteur multipliant les approches pour mieux cerner la problématique liée à ces existences virtuelles. Peut-on considérer comme une personne réelle un esprit transféré sur un support numérique ? Telle est la question au centre de « L'Éternité, moins la vie ». La réponse s'impose de façon inattendue, avec une évidence d'autant plus élégante que l'intime conviction se passe, cette fois, de raisonnements carrés et de démonstrations pesantes. Le narrateur aux pulsions suicidaires qui se trouve « Sur le seuil », prêt à définitivement mettre un terme à son existence, doute quant à lui que la survie numérique ait encore un sens puisqu'il ne sera plus jamais celui qui a attenté à ses jours. En revanche, peut-on autoriser des simulations d'accidents, de chirurgie, de torture, sous prétexte que la copie numérisée d'un esprit ne souffre pas réellement (« L'Humain visible ») ?

Les miracles de la nanotechnologie brouillent davantage les cartes : quand il sera possible de reproduire la biologie des passions, les sociétés ne se priveront pas de vendre des histoires d'amour à la carte (« Simon et Lucie, une romance ») et des individus peu scrupuleux de reconfigurer à leur goût l'esprit de leur partenaire (« Le Mouton sur le penchant de la colline »). A-t-on le droit d'enregistrer le souvenir d'une journée parfaite à l'insu de celle qui partage avec vous ces instants magiques (« L'Instant d'éternité ») ? C'est d'autant plus risqué que, dans le cas d'une configuration biologique, les virus envahissent le cerveau. Nul n'aurait imaginé que l'invasion extraterrestre se manifesterait sous forme de virus reconfigurant l'ADN ; mais s'agit-il bien d'invasion ou d'une promesse d'étoiles (« Gris et amer 1 : Les Visiteurs de l'éclipse » et « Gris et amer 2 : L'Adieu aux étoiles ») ?

Ces futurs vertigineux mettent en scène des personnages riches et sensibles, qui ne sont pas les simples faire-valoir d'une idée science-fictive ; ils en acquièrent d'autant plus de présence et d'humanité. L'écriture, d'une concision feutrée, agrémentée d'un humour discret et de remarques annexes qui soulignent l'acuité du regard de l'auteur, sert à merveille le propos. Les commentaires en postface montrent bien que Girardot n'écrit pas à la légère. Nous proposera-t-il un jour un roman ?

Critique de la science-fiction

Il est difficile de croire que cette figure emblématique de la science-fiction, promoteur du genre, directeur de collection, critique, préfacier et anthologiste, publie ici son premier ouvrage, tant on a l'habitude de lire sa signature, depuis quarante ans, sur des supports aussi variés que Fiction (ses débuts), Métal Hurlant (Dionnet signe la préface), Le Monde, L'Encyclopedia Universalis, « La Grande Anthologie de la Science-Fiction », L'Année de la SF, les « Livres d'Or de la SF », sans compter les contributions à des colloques, à des études et même à des fanzines.

Malgré l'épaisseur du volume et la petitesse des caractères, il était impossible d'effectuer un tour d'horizon complet (encore moins d'être exhaustif) : certains des articles consacrés à Van Vogt ou à Asimov resteront dans les Omnibus qui leur sont consacrés. D'autres, en revanche, sont désormais accessibles à ceux qui s'étaient dispensés d'acheter une énième édition des romans de Dick ou Silverberg.

Une première vue générale traite de la « génération science-fiction », qui est celle de Goimard et de tous les passionnés de science-fiction qui se réunirent à la librairie L'Atome. Après ce chapitre un rien autobiographique, l'auteur se penche sur la définition de la science-fiction, éternellement remise en question, les approches se diversifiant au fil des décennies. Quelques thèmes de la science-fiction sont ensuite abordés, de façon inégale : si l'anti-utopie, où dominent les figures d'Orwell et de Huxley, est dense, l'uchronie se résume à une courte chronique de l'ouvrage d'Eric Henriet. La typologie du public est plus intéressante, par ses aspects sociologiques, notamment quand est abordée la question de la violence en littérature et à l'écran : « La censure ne peut pas restaurer je ne sais quelle pureté originelle ; employée maladroitement, elle peut, au contraire, contribuer à cancériser la culture et à aggraver la schizophrénie ambiante. » Voilà qui est bien envoyé de la part de quelqu'un qui ne nie pas l'origine culturelle de la violence, se demandant cependant pourquoi elle est nettement plus présente à la sortie des boîtes de nuit qu'à celle des cinémas.

La partie Historique reprend les préfaces dédiées aux auteurs devenus des classiques : Heinlein, Van Vogt, Asimov, Simak, Leiber, Cordwainer Smith, Herbert, Dick et Silverberg figurent dans ce panthéon. La science-fiction française est abordée par le biais de deux anciens (Boulle et Barjavel) et deux modernes (Ruellan et Jeury).

Enfin, une troisième partie consacrée au cinéma de science-fiction, et plus particulièrement à 2001, l'odyssée de l'espace (un article de 75 pages aussi érudit que fouillé !) clôt, avant les index, cet impressionnant survol.

Certains des articles sont marqués par le temps (c'est particulièrement vrai des plus généraux), justifiant parfois le rappel de leur date de parution, mais c'est aussi ce qui fait leur intérêt car il est ainsi possible de prendre la mesure des débats de l'époque. Plus cahotante est la lecture des présentations d'auteurs, certains étant analysés sur l'ensemble de leur œuvre, éléments biographiques à l'appui, alors que d'autres ne sont abordés qu'à travers un ou deux titres. Mais ce manque d'unité est inhérent à ce type de compilation. L'éventail est suffisamment riche pour justifier l'achat de cet ouvrage, qui satisfera aussi bien les néophytes que les érudits.

Ce recueil n'est que le premier des quatre consacrés aux articles critiques de Goimard : suivront le fantastique, le merveilleux et la fantasy, puisque les genres sont d'ores et déjà annoncés. Si les avis de Jacques Goimard ont parfois été discutables, ils n'en sont pas moins dignes d'intérêt ; la somme même de ses travaux force le respect. Et, comme lui-même le rappelle au fil de ces pages, le débat reste ouvert.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug