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Blue Jay Way

Jeune franco-américain fasciné par l’écrivain Carolyn Gerritsen, Julien décide de lui consacrer une étude. Une amitié se noue alors entre cette New-yorkaise riche, assez dure, et le jeune homme qui vient de perdre son père dans les attentats du 11 septembre. Bientôt, Carolyn et son ex-mari, Larry Gordon, un des derniers nababs d’Hollywood, proposent à Julien de s’approcher de leur fils, Ryan, contre rémunération. Ryan est un jeune homme difficile, perturbé. Julien, qui a plaqué sa petite amie (à moins que ce ne soit l’inverse), accepte et se retrouve à Los Angeles, à Blue Jay Way, villa de rêve habitée par Larry Gordon (toujours absent), sa nouvelle femme âgée de vingt-trois ans prénommée Ashley, sans oublier Ryan, évidemment, et sa bande de pénibles potes. S’ensuivront des fêtes improbables (une, surtout). Une liaison. Un meurtre atroce. La routine à Hollywood. Sauf que pour Julien, ce n’est pas la routine : la victime est Ashley et c’est lui qui avait une liaison avec elle…

Quand on fait le bilan des qualités et des défauts de ce premier thriller (?) de Fabrice Colin, les défauts l’emportent haut la main, ce qu’on ne peut que regretter car Blue Jay Way regorge de fulgurances stylistiques, psychologiques, visuelles.

Mais le livre manque cruellement de rythme : il commence avec une piscine de références de deux cents pages dans laquelle on patauge allégrement (références cinématographiques, littéraires, musicales… une vrai mitraille). Puis le meurtre d’Ashley a lieu. On sort la tête de l’eau, pas pour longtemps, car suivent à nouveau cent cinquante pages de semoule. Ce n’est que vers la page 350 que le roman semble démarrer vraiment, malheureusement un envol truffé de scènes auxquelles on ne croit guère (voire pas du tout). La réalité dérape comme chez David Lynch, l’incongru règne comme chez Wes Anderson, mais la machine clopine.

Comédie de mœurs avec des petits morceaux de thriller dedans (comme The Big Lebowski ?), Blue Jay Way se crashe par manque d’alchimie, l’auteur s’intéressant davantage au nombril de son narrateur qu’à son intrigue (et quand je dis nombril, je suis poli, tant le livre regorge de fellations, de sodomies, de sperme sur les lèvres et dans les cheveux de jeunes californicatrices sensibles à la french touch-pipi). Avec son alternance de scènes à la première personne (pleines d’ironie), et de scènes en écriture omnisciente, presque journalistique, qu’on pourrait surnommer « Naissance des monstres », la structure même du livre témoigne de cette mayonnaise pas prise.

On attendait sans doute trop du premier Sonatine de Fabrice Colin. Là où il aurait pu écrire une sorte de The Player post-onze septembre, qui aurait sans doute trouvé sa place chez Flammarion, il se perd dans les terres du thriller californien, avec ficelles usuelles : rapports psy, allusions nazies, sociétés secrètes républicaines (c’est-à-dire d’extrême droite), animaux torturés. La moitié de ces pistes finissant évidemment dans le désert.

D’ailleurs, citer Flammarion à ce stade de cette critique n’est pas totalement dénué de sens, puisque Fabrice Colin s’approche ici de l’œuvre de Michel Houellebecq (name-dropping, histoires de cul drôles à force d’être déplorables, anecdotes du fric roi et de la célébrité reine, le tout saupoudré d’une bonne couche de drogues récréatives et d’ironie acide)… Ne manque que l’humour abject (sans doute ce qui sépare 5 000 ventes de 300 000).

Vous entendez ce bruit agaçant ? C’est James Ellroy qui fait le chien et se marre sous les lettres HOLLYWOOD. La littérature est cruelle : Blue Jay Way est un film ambitieux, mais raté.

Petites Morts

Petit retour au siècle dernier : en 1997, Laurent Kloetzer faisait son entrée en littérature avec Mémoire vagabonde, roman de fantasy devant davantage aux mémoires de Casanova et à l’œuvre de Choderlos de Laclos qu’aux traditionnelles références du genre. Un récit où, par le biais des aventures libertines et picaresques de son héros, Jaël de Kherdan, l’auteur s’interrogeait sur les rapports entre réalité et fiction, souvenirs et mensonges, et développait un univers bien plus complexe que ce qu’il semblait être de prime abord. Quinze ans plus tard, il renoue avec le personnage de ses débuts — personnage qu’il n’avait d’ailleurs jamais tout à fait abandonné, puisque deux des cinq nouvelles qui composent ce livre, davantage roman que recueil, d’ailleurs, ont déjà été publiées précédemment.

Premier constat : Laurent Kloetzer écrit mieux que jamais. Il n’est qu’à lire les quelques scènes du premier roman qu’il revisite ici pour juger du parcours accompli. C’est également cette écriture ciselée qui donne tout leur charme aux deux premières nouvelles au sommaire de Petites morts : « Eva » et « Mademoiselle Belle ». La première, une fois n’est pas coutume, apporte un regard extérieur sur le personnage de Jaël, héros romantique tel que le rêvent Eva, jeune valétudinaire de douze ans, et sa grande sœur Léora. Un triangle amoureux qui ne peut bien entendu que très mal finir. La seconde est une merveille d’érotisme pas toujours feutré, où l’on batifole au cœur d’un jardin luxuriant et où l’on s’émeut d’une gorge à peine découverte ou de la courbe d’une nuque, avant de s’abandonner à des jeux d’une rare perversité. L’une comme l’autre de ces nouvelles constitue une fête des sens permanente, comme peu d’écrivains sont capables d’en mettre en scène.

Malheureusement, la seconde moitié de Petites morts abandonne en grande partie ces célébrations charnelles pour renouer avec les principaux thèmes qui animaient Mémoire vagabonde. A la recherche de sa propre identité, Jaël y est balloté en permanence entre rêve et réalité, manipulé par des forces qui le dépassent et des individus dont il ignore tout. Dans le dernier texte au sommaire, « Immacolata », le récit bascule d’ailleurs dans la pure science-fiction, remettant en cause tout ce qu’on pensait avoir compris de cet univers. Mais à force d’empiler ainsi les strates de réalité et de remettre sans arrêt en question leur existence véritable, Laurent Kloetzer finit par perdre son lecteur. Et il est d’autant plus difficile de suivre ses développements que les textes n’offrent pas grand-chose à quoi s’accrocher. Pas les univers, qui se succèdent sans révéler leur vraie nature, ni les protagonistes, qui dissimulent leurs motivations — quand ce n’est pas leur identité — sous plusieurs épaisseurs de faux-semblants. Certes, « Immacolata » parvient in fine à renouer certains fils, en même temps qu’il offre à Jaël l’une de ses incarnations les plus intéressantes et qu’il prolonge dans une nouvelle direction la plupart des thèmes précédemment abordés. Néanmoins, à trop souvent se montrer cryptique dans sa narration, Laurent Kloetzer finit par perdre de vue l’essentiel, et les bonheurs de lecture qu’il a si bien su susciter dans la première moitié de Petites morts ne se retrouvent que trop rarement dans la seconde.

La Fille automate

Premier roman de Paolo Bacigalupi, La Fille automate débarque en France bardé d’un nombre de récompenses assez impressionnant, dont un doublé Nebula/Hugo (ce dernier ex-aequo avec The City and the City de China Miéville). Avant cela, on avait déjà pu découvrir quelques-unes de ses nouvelles dans les pages de la revue Fiction, parmi lesquelles « Le Calorique », qui se déroule dans le même univers.

A l’instar de Ian McDonald dans Le Fleuve des dieux (éd. Denoël), Bacigalupi a choisi de situer l’action de son récit dans un lieu des plus dépaysant, la Thaïlande, quelques décennies dans le futur. Un futur cauchemardesque, où la biogénétique est à l’origine de catastrophes sanitaires à l’échelle planétaire, où les foyers de guerre ne cessent de se multiplier, et où la disparition du pétrole a bouleversé toutes les relations commerciales. Mais aussi chaotique que soit la situation en Thaïlande, elle n’en demeure pas moins privilégiée si on la compare à celle de la plupart de ses voisins asiatiques qui se sont effondrés les uns après les autres.

La Fille automate démarre sur un rythme nonchalant, rythme qu’il va garder pendant près de trois cent pages. Le temps pour Paolo Bacigalupi d’immerger pleinement son lecteur dans ce monde exotique, d’en faire ressentir les particularités tant politiques que sociales ou culturelles. Petit à petit, on obtient un tableau extrêmement vivant de cet univers aussi foisonnant qu’effrayant, où la majeure partie de la population doit mener une lutte permanente pour survivre, tandis qu’au sommet de l’Etat, une poignée de profiteurs n’hésite pas à remettre en cause le fragile équilibre qui s’est instauré afin d’accroitre encore un peu plus ses privilèges. Au fil des chapitres, on s’acclimate progressivement aux conditions locales, à ce monde en perpétuel mouvement, peuplé de mastodontes transgéniques, de réfugiés climatiques et de chemises blanches chargées de faire régner l’ordre. Malgré la diversité des sujets qu’il brasse, le tour de force du romancier est de parvenir à donner une vision cohérente et crédible de cet univers, sans la moindre fausse note.

Bacigalupi prend également son temps pour introduire ses différents protagonistes et leur donner toute l’épaisseur qu’ils requièrent. Il y a Anderson Lake, ressortissant américain, officiellement gérant d’une fabrique de piles, mais en réalité davantage intéressé par la découverte des secrets qui ont permis à la Thaïlande de ne pas connaitre le même sort que ses voisins ; Hock Seng, vieux Chinois qui a fui son pays pour échapper aux guerres de religion qui y font rage, et qui est prêt à tout pour ne plus jamais connaitre pareille horreur ; Jaidee Rojjanasukshai et son lieutenant, Kanya, chargés par le ministère de l’Environnement d’empêcher l’importation sur le sol thaï des produits de contrebande qui ont ravagé le reste de l’Asie ; sans oublier Emiko, la fille automate du titre, jeune femme née dans un laboratoire japonais, conçue pour assouvir tous les fantasmes de ses propriétaires, et qui va soudain se mettre à rêver de liberté. De par sa nature même, il s’agit sans doute du personnage le plus complexe et le plus fascinant du roman.

Le destin de ces quelques individus va s’accélérer dans la seconde moitié du roman, lorsque le chaos qu’on sentait planer depuis le début s’abat brusquement sur le pays. Paolo Bacigalupi change alors de braquet et poursuit son récit sur un rythme effréné qui ne ralentira plus. Contraint d’agir dans la précipitation, chacun va devoir prendre des mesures drastiques, d’abord pour survivre, ensuite pour tenir son rôle dans l’Histoire qui s’écrit.

Par l’ampleur de son sujet, par la maitrise dont fait preuve son auteur, d’autant plus impressionnante qu’il s’agit, rappelons-le, d’un premier roman, La Fille automate mérite largement tous les prix qui lui ont été attribués. Le monde qu’annonce ce livre n’a rien d’enthousiasmant, mais Paolo Bacigalupi le fait vivre avec une telle énergie qu’on souhaite le voir y revenir le plus tôt possible, tant il offre de potentialités qu’il lui reste à explorer.

Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps

Lorsqu’il ne signe pas des romans pour la jeunesse ou des bandes dessinées, ne traduit pas des comics ou des textes anglo-saxons, ne publie pas des articles ici ou là et ne participe pas à cinquante autres projets divers, Laurent Queyssi trouve parfois le temps d’écrire des nouvelles. Pas souvent, certes, une petite quinzaine en à peine moins d’années, mais la qualité est assez régulièrement au rendez-vous. Les éditions ActuSF rééditent les meilleures d’entre elles dans Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps, accompagnées d’un inédit qui donne son titre au recueil.

On retrouve dans ces textes le côté touche-à-tout de leur auteur, et l’on ne s’étonnera pas de la diversité des thèmes abordés. Rock, science-fiction, séries télé ou cinéma, Laurent Queyssi revisite ses passions par le biais de la fiction et part à la recherche des créateurs dissimulés derrière leurs créations. « 707 Hacienda Way », écrit en collaboration avec Ugo Bellagamba, nous permet de rencontrer dans quelque univers parallèle Jane C. Dick, auteure culte de l’uchronie La Sauterelle pèse lourd, tandis que « Planet of Sound », co-signé par Jim Dedieu, réécrit l’histoire des Pixies (rebaptisés pour l’occasion Sugarmaim) dans un contexte où l’on s’attend à chaque instant à voir débarquer une bande d’aliens musicophiles. On retrouve le même côté ludique dans « La Scène coupée (Fantômas, 1963) », où le héros de Souvestre et Allain rencontre son interprète le plus fameux, sinon le plus fidèle. Mais au-delà des clins d’œil inhérents à ce type de texte, ce qui intéresse en premier lieu Laurent Queyssi, c’est de s’introduire dans les coulisses de la création, d’observer le réel qui donne naissance à la fiction. C’est ainsi que « Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps » révèle les secrets du développement d’une série télé, ses rivalités et ses règles parfois totalement grotesques.

D’autres récits s’inscrivent dans un registre plus sombre. « Sense of Wonder 2.0 » se penche sur un futur qui ne chante plus, où des bandes d’ados sponsorisées par de grandes marques s’affrontent dans un décor de zone commerciale sordide, et où l’on ne peut plus compter que sur des palliatifs chimiques pour espérer encore rêver. Etrangement, la vie ne semble guère plus enviable dans l’enclave pour milliardaires de « Fuck City », où on trompe son ennui comme on peut, où on s’emmerde royalement, mais où on ne cèderait sa place à personne.

Au cynisme et à la noirceur de ces deux textes qui ouvrent le recueil, Laurent Queyssi oppose, comme un démenti, « Nuit noir, sol froid », le texte le plus étonnant du sommaire, quand bien même il aborde l’un des thèmes les plus traditionnels de la SF, celui du vaisseau générationnel. Là où « Sense of Wonder 2.0 » semble nous dire que la science-fiction n’est plus capable aujourd’hui de nous faire rêver, cette dernière nouvelle se conclut sur une idée vertigineuse de toute beauté. Et le récit est d’autant plus réussi que l’auteur y fait montre d’un talent de conteur qu’on ne soupçonnait pas forcément au regard du reste de sa production.

A l’exception de « Rebecca est revenue », nouvelle ratée où il bataille en vain pour exposer de manière intelligible le concept qu’il met en scène, les autres textes au sommaire de ce recueil montrent toute la diversité et le talent dont peut faire preuve Laurent Queyssi, une érudition allègre qui s’appuie sur un solide sens du récit et une inventivité permanente.

Blanc comme un astéroïde

Il y a des écrivains à ce point discrets qu’ils mériteraient des baffes. Philippe Heurtel en fait partie. Voilà plus d’une quinzaine d’années qu’il écrit et publie, souvent dans des supports amateurs aux tirages des plus restreints, et qu’il bâtit au fil des ans une œuvre qui mériterait pourtant une audience bien plus large. Et ce n’est sans doute pas la parution de Blanc comme un astéroïde, son troisième recueil de nouvelles aux confidentielles éditions de L’Œil du Sphinx, qui changera quoi que ce soit à cet état de fait, et il est malheureusement probable que la grande majorité des lecteurs de science-fiction continuera d’ignorer son existence.

L’autre erreur à ne pas faire à propos de Philippe Heurtel serait de ne voir en lui qu’un écrivain potache, simple auteur de courtes nouvelles à chute plus ou moins rigolote. On trouve certes quelques textes de la sorte au sommaire de ce recueil, mais on y trouve surtout des nouvelles bien plus roboratives et abouties. Des récits humoristiques et satiriques pour la plupart, où l’auteur s’approprie tous les stéréotypes du genre qu’il aborde pour les tourner en dérision avec une inventivité qui fait plaisir à lire. C’est le cas par exemple avec « Objets du désir », première nouvelle du recueil et seul inédit au sommaire, enquête criminelle dans un univers cyberpunk peuplé d’IAs aussi omniprésentes que caractérielles, avec « Les Trois petites victimes et le grand méchant Psyko », situé dans le même univers que son roman Psykoses (éd. Rivière Blanche), qui revisite le conte pour enfants en mode slasher, ou encore avec « L’Affaire Sandra Lion », réécriture des mésaventures de Cendrillon en forme de roman noir. L’exemple le plus farfelu en est sans doute « Achille contre Zénon », histoire de super-héros masqué dans la grande tradition du genre, si ce n’est qu’elle se déroule au temps de la Grèce Antique.

Bien entendu, lorsqu’on parle de science-fiction humoristique, on ne peut s’empêcher de penser au Galaxy des années 50 et aux grands nouvellistes qui ont fait son heure de gloire, Robert Sheckley en tête. Plusieurs nouvelles au sommaire, parmi les meilleures, se situent dans ce registre, comme « Contre-inférences », qui imagine un monde où les effets précèdent les causes, et pousse cette logique absurde jusque dans ses derniers retranchements, ou « La Question de madame Pandore », variation amusante sur une idée développée autrefois par Clifford D. Simak dans « Le Zèbre poussiéreux ». On rangera dans la même veine les trois derniers textes du recueil, contant les malheurs à répétition de deux contrebandiers de l’espace, Hamilton et Murphy (rebaptisés on ne sait trop pourquoi Williamson et McMurphy dans la dernière nouvelle), doués comme personne pour se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Tout cela n’a d’autre prétention que de faire rire ou sourire le lecteur, ce qui, l’air de rien, requiert une sacrée dose de finesse et de talent, et dans l’ensemble le contrat est rempli haut la main.

Au réveil il était midi

Pour son nouveau livre, Claude Ecken s’est essayé à un exercice périlleux. Ni roman, ni recueil de nouvelles à proprement parler, Au réveil il était midi apparait davantage comme une collection de récits, de portraits et de scènes de la vie quotidienne, qui, mis bout à bout, dressent un tableau assez exhaustif de notre société et de son très proche avenir. Expulsion d’une famille de squatters, contrôle de gendarmerie qui dérape, parcours du combattant d’une mère célibataire au chômage contrainte de faire face à une accumulation de petites tracasseries administratives, jeune prof d’histoire-géo victime d’une vendetta absurde, chaque nouveau récit prolonge le précédent et permet à l’auteur d’identifier et d’analyser les grandes tendances à l’œuvre dans la société française d’aujourd’hui, qu’il s’agisse du désengagement progressif de l’Etat de certaines de ses fonctions, de la dégradation de la situation économique et so-ciale, ou du fichage de plus en plus précis et de moins en moins facultatif de chaque citoyen, entre autres thèmes abordés.

Les écueils potentiels pour un tel projet sont nombreux. Le premier aurait été de faire de ces histoires intimes des récits édifiants et/ou larmoyants. Ce n’est jamais le cas. Claude Ecken ne surjoue pas la carte de l’émotion, réservant à quelques passages forts des scènes d’une belle humanité, et l’empathie que l’on peut ressentir pour les personnages ne se substitue pas à l’analyse rigoureuse et argumentée des situations qu’il décrit. De même, il évite tout manichéisme en mettant en scène une large palette d’individus, issus de tous les milieux, dont il nous décrit le quotidien avec un sens du détail et de la nuance qui donne à la fois de l’épaisseur aux personnages et du poids à son propos. Enfin et surtout, l’auteur s’interdit de porter tout jugement moral sur ses protagonistes, qu’il se contente d’observer et de décrire de manière aussi objective que possible.

L’autre grande erreur aurait été de faire d’Au réveil il était midi un pamphlet revendicatif et provocateur, au détriment de toute ambition littéraire. Un piège que déjoue Claude Ecken en travaillant tel un orfèvre la forme de chacun de ses récits, portés qui plus est par une écriture où l’élégance le dispute à la précision.

Il serait également trop réducteur de ne voir en ce roman qu’un réquisitoire contre la politique française de ces dernières années. Certes, la plupart des sujets abordés font écho à nombre de débats qui ont agité la scène politique et médiatique depuis 2007, et l’auteur s’amuse même à pasticher un discours présidentiel qu’il nous restitue plus vrai que nature. Mais sa réflexion s’inscrit dans un cadre plus large que le seul plan national, et met à jour des phénomènes plus profonds, dont la politique gouvernementale actuelle ne constitue qu’une manifestation parmi d’autres. De ce point de vue, il est intéressant de noter que, sur de nombreux aspects, le diagnostic que fait Claude Ecken rejoint celui que dresse Cory Doctorow dans son récent Little Brother. A distance et dans un contexte fort différent, l’un comme l’autre s’inquiètent des méthodes de surveillance et de fichage de plus en plus élaborées et sournoises, des pratiques policières de moins en moins encadrées, ou encore de voir la défiance de l’Etat s’accroitre à l’égard de ses propres citoyens — soupçonnés de terrorisme chez l’un, de fraude chez l’autre —, autant d’accrocs à la démocratie dont le poids est supporté par l’ensemble de la communauté, souvent avec son assentiment d’ailleurs. Au réveil il était midi évoque également certaines œuvres de Ballard (on ne s’étonnera pas que le narrateur de l’une des nouvelles se nomme Jim Graham) dans sa manière d’amplifier quelque peu certains traits de notre société pour mieux mettre en lumière les principales forces qui l’animent. C’est ce qui en fait un livre remarquable et une lecture indispensable, notamment en ces temps électoraux, mais pas seulement.

Le Rêve de Galilée

Avec Le Rêve de Galilée, Kim Stanley Robinson nous invite à redécouvrir l’un des épisodes les plus connus de l’histoire des sciences : les démêlés de Galilée (1564 - 1642) avec l’Inquisition et sa condamnation en 1633. Trente-trois ans après le supplice de l’impertinent Giordano Bruno, qui croyait trop en la pluralité des mondes habités… La science moderne est l’héritière directe de la révolution intellectuelle qui s’est jouée, en bonne partie, au cours de ces trois décennies.

Le roman débute en 1609, lorsque Galilée décide de construire sa première lunette astronomique. Détaillant l’Italie de la Renaissance tardive que parcourt son héros, de Venise à Florence et à Rome, Robinson prend le temps de construire un personnage complexe, généreux mais colérique, courtisan mais indépendant, égocentrique mais attentif, souffrant mais rabelaisien. Il s’intéresse aussi à la condition des femmes et au sort de Sœur Marie-Céleste, la fille préférée du savant. S’il ne s’attarde ni sur René Descartes, « un Français agaçant », ni sur « ce dingue de Kepler », quelques portraits bien sentis de grands seigneurs et de princes de l’Eglise viennent compléter la galerie : on trouvera ici la matière d’un roman historique de la plus belle eau, très documenté, avec la minutie qui caractérise cet auteur.

L’uchronie pointe son nez spéculatif là où on ne l’attend pas : ce XVIIe siècle historique est mis en dialogue avec un futur lointain, appartenant à une ligne d’univers où, comme Bruno, Galilée a finalement été brûlé vif, consommant un divorce définitif entre science et religion. Moins solidement étayée, voire purement onirique, cette seconde ligne narrative n’en constitue pas moins un contrepoint fructueux. Robinson peut y donner libre cours à sa réflexion sur l’ambivalence des rapports qu’entretiennent science et religion, après celle menée dans sa trilogie « Capital code » sur les rapports entre science et politique.

Un regret toutefois. S’attachant aux pas de Galilée, Robinson nous fait entrer dans son intimité et s’impose de ce fait l’un des défis les plus difficiles de la littérature : susciter chez le lecteur la révérence qu’inspire invariablement le contact d’une puissance créatrice hors du commun. Le souffle d’un Victor Hugo lui permet à n’en pas douter de dialoguer sans complexe avec les plus grands esprits de l’Histoire — « Oui, ces génies qu’on ne dépasse point, on peut les égaler. Comment ? En étant autre » suggère-t-il dans L’Art et la science —, mais n’est pas Hugo qui veut. Si Robinson déjoue sans peine le piège de l’hagiographie, son Galilée n’est, comme lui peut-être, qu’un honnête spécialiste. Mais ne boudons pas notre plaisir : génie ou pas, les découvertes du physicien sont crédibles et compréhensibles, et ce n’est déjà pas si mal !

D’un texte à l’autre, Kim Stanley Robinson continue à tisser une trame conceptuelle cohérente, jusqu’à faire sans doute de son œuvre l’une des plus significatives de la science-fiction actuelle. Original et ambitieux, Le Rêve de Galilée apparaît comme un élément d’envergure de ce projet. Chacun y trouvera son compte, de l’étudiant en physique au passionné d’histoire en passant par l’amateur féru d’uchronie ou de hard science fiction.

C’est toutefois un tout autre livre que nous proposent les Presses de la Cité. La traduction de Dominique Haas et David Camus, par ailleurs honorable, est parsemée de faux sens et d’approximations chaque fois qu’il est sérieusement question de physique. Pour le lecteur attentif, loin du génie scientifique que tente de faire revivre Robinson, le Ga-lilée de la version française se révèle alors du dernier balourd, confondant les concepts, employant un mot pour un autre, etc.

Passé le premier mouvement d’exaspération, on peut choisir de s’en accommoder en fermant les yeux sur les passages fautifs. Ce ne serait ni la première, ni sans doute la dernière fois. On peut aussi décider de lire cette version telle qu’elle est. Et là, surprise ! Si ce nouveau Rêve de Galilée n’a plus grand-chose à voir avec la version originale, dans son rapport à la science du moins, il tient presque aussi bien debout et ouvre de nouvelles pistes très intrigantes. Mieux : il apparaît comme une réinterprétation radicale de la naissance de la science moderne.

Cette version alternative n’y va pas par quatre chemins. La gloire de Galilée y est très surfaite. L’aplomb du soi-disant physicien impressionne ses femmes et ses domestiques, ainsi que quelques protecteurs puissants et généreux ; mais ce n’est en fait qu’un cuistre incompétent. Comment pareil personnage peut-il avoir eu une telle influence sur la science ? C’est que, comme l’expose sans ambages la quatrième de couverture, Galilée « va naviguer entre le XVIIe siècle et le quatrième millénaire, rapportant de ses voyages dans le futur de quoi alimenter de nouvelles découvertes ». Tricheur, avec ça ! Les motivations de ses visiteurs du futur, tout sauf scientifiques, étant également des plus douteuses, l’ensemble constitue une uchronie assez fascinante, un mythe burlesque des origines de la science à mi-chemin entre Le Voyageur imprudent et Tartuffe.

Si c’est un accident de traduction, il est peu banal ; mais s’il s’agit d’une mystification littéraire — chapeau bas !

Loar

De Loïc Henry, on a pu lire jusque-là une poignée de nouvelles dans diverses anthologies. Le voilà qui nous vient maintenant avec un épais premier roman (plus de six cents pages, quand même) intitulé Loar, du nom de la planète où se déroule la majeure partie de l’intrigue.

Lointain futur. Emrodes, jeune souverain de Loar, planète située au cœur des Neuf Royaumes, n’a que six jours pour répondre à l’ultimatum lancé par Asbjorn, roi de Melen, vaincu dix ans plus tôt par le père d’Emrodes. L’alternative est simple : la soumission ou la destruction. En effet, le royaume de Melen détient une arme secrète capable de détruire des planètes, et compte bien l’utiliser dans son optique de conquête de l’Univers connu. Celui-ci se compose, outre Melen et les Neuf Royaumes, de la sainte planète de Kreis, où une église syncrétiste moribonde table sur la victoire d’Asbjorn pour réaffirmer son emprise, de Latar, havre secret de guerriers d’élite, des mystérieuses planètes ardentes et de la non moins mystérieuse périphérie. Dans les différents palais, chacun s’en remet à ses conseillers, que ceux-ci soient Latars ou spols — humains doués de formidables capacités logiques. Enfin, dans les profondeurs des océans de Loar, voilà que ces étranges cétacés que sont les daofined entament leur cantilène — un chant envoûtant qui pourrait bien influencer la donne de ces jeux de pouvoir.

Loar se place sous le haut patronage de Frank Herbert. Il y a pires références. De Dune, Loar emprunte les qualités, mais également les défauts. Extraits d’œuvres diverses, présence de plusieurs appendices, onomastique basée sur une langue (non pas l’arabe, mais le breton et les langues celtiques, ce dont l’auteur de ces lignes ne peut que se réjouir), approche multiple de l’intrigue… Qu’on ne se méprenne pas : le roman de Loïc Henry est loin d’être un décalque de la série de Frank Herbert et possède sa propre originalité. Surtout, Loar s’avère d’une lecture bien moins aride.

Si l’univers est convaincant, l’histoire se révèle en revanche un brin moins passionnante. La faute sans doute à une certaine distanciation vis-à-vis des événements : ainsi, les batailles spatiales sont rarement vécues de l’intérieur et ne consistent qu’en annonces de gains et pertes de vaisseaux et territoires. Au spectaculaire, Loïc Henry préfère les scènes de cour, les manœuvres politiques et les relations entre ses personnages, approche qui se fait à la longue un tantinet lassante, car si tous les passages sont maîtrisés, les protagonistes manquent de charisme : pas sûr qu’on se souvienne d’Emrodes comme de Paul Atréides.

Si Loar n’est pas un chef-d’œuvre, c’est toutefois un bon space opera dont l’ambition fait plaisir à lire, notamment chez un auteur francophone signant ici son premier roman. Depuis est paru chez Griffe d’Encre Eros et Thanatos, novella se déroulant dans l’univers de Loar. Nul doute qu’on y jettera un œil attentif. (A noter que les éditions Griffe d’encre étant autodiffusées, mieux vaut commander Loar sur leur site plutôt que de le chercher vainement en librairie.)

Johannes Cabal le nécromancien

Un peu à la légère, Johannes Cabal a vendu son âme au diable. Officiellement, pour apprendre les secrets de la nécromancie ; officieusement : on ne le révèlera pas. Mais l’absence de son âme pèse tant à Cabal qu’il décide de la récupérer auprès de qui de droit. Satan ne l’entend pas de cette oreille mais, beau joueur, accepte le pari que lui propose le nécromancien. Celui-ci aura un an pour trouver cent âmes en échange de la sienne, avec, histoire de faciliter (ou de corser) les choses, un imparable moyen de séduction monté sur rails, la Fête Foraine de la Discorde. Seul problème : Cabal est d’un naturel aussi gai qu’un dimanche après-midi de novembre. Mais qu’à cela ne tienne, le nécromancien fait appel aux services de son frère Horst, devenu vampire malgré lui. Et, au cœur de la cambrousse anglaise, voilà les frères Cabal lancés sur un train d’enfer…

Comme pour toute mécanique, il y a un temps de préchauffage : les deux-trois premiers chapitres. Si passées ces cinquante premières pages, le lecteur n’accroche pas, mieux vaut descendre en chemin sans regret. S’il ne décroche pas, le voyage en vaut la peine.

Ponctué de dialogues truculents, de clins d’œil aussi réjouissants qu’irrévérencieux (citons pour seul exemple ces bandits dont le chant de guerre vient de Necronomicon : The Musical…), Johannes Cabal est susceptible de provoquer chez le lecteur neurasthénique une crispation spasmodique de ses muscles zygomatiques. Mais pas seulement, car l’auteur tire aussi des cordes autres que l’humour absurde, aidé en cela par le personnage de Cabal, aussi détestable qu’at-tachant.

Ces qualités parviennent (presque) à faire oublier les défauts du roman. Bâti comme une aventure picaresque, où chaque chapitre est un épisode indépendant, il n’en néglige pas moins quelques enjeux exposés au début ou passe de manière assez expéditive sur d’autres (tel le rassemblement des cent futurs damnés), afin de se consacrer davantage à la fin du voyage et le moment où Cabal doit rendre ses comptes à Satan. Dommage que cela arrive si vite, car la folle équipée du nécromancien à travers une campagne anglaise hors du temps est des plus agréables à suivre — pour le lecteur, s’entend. Johannes Cabal se situe quelque part entre la série La Caravane de l’étrange, en moins métaphysique, et Faust, en plus amusant.

Alors ? Si Johannes Cabal est un individu que toute personne sensée fuirait comme la peste, ça n’est heureusement pas le cas de ce livre, d’autant que le bouquin est fort joliment présenté à l’extérieur comme à l’intérieur.

Enfants de la conquête

[Critique portant sur les deux tomes du roman.]

Dans un lointain futur… Depuis des temps immémoriaux, deux civilisations interstellaires s’affrontent, jusqu’à ne plus connaître que la guerre et des traités de paix sans cesse brisés. D’un côté, il y a le Domaine de Braxi, dirigé d’une main de fer par les Braxaná, une caste féroce qui voit en la guerre l’aboutissement de la vie et qui a élevé le meurtre au rang d’art —machiavélique, si possible. D’un autre côté se dresse l’Empire stellaire d’Azéa, une civilisation eugéniste quoique basée sur une idée d’égalité, et dont le maître atout est le développement de la télépathie au sein d’une frange de sa population.

Zatar, un jeune Braxaná ambitieux, a assassiné d’une manière particulièrement atroce deux dignitaires azéens sous les yeux d’Anzha, leur fille qui ne s’en remettra pas. Télépathe au talent exceptionnel, Anzha est néanmoins une paria au sein de l’Empire du fait de son génome imparfait. Cela ne l’empêche pas d’obtenir le commandement de la flotte azéenne, tandis que Zatar étend son influence au sein de l’oligarchie braxaná. L’un et l’autre s’admirent autant qu’ils se haïssent, et ils n’auront de cesse de s’affronter afin de mettre un terme — définitif ? — au conflit éternel.

Si l’intrigue d’Enfants de la conquête semble tenir sur un timbre-poste — une simple histoire de haine à travers la Galaxie —, ce roman s’avère bien plus que cela, notamment parce qu’il fait fi de tout manichéisme. Ici, pas de méchants Braxaná contre de gentils Azéens, mais deux peuples avec leur raison d’être, engoncés dans une lo-gique guerrière dont il leur est impossible de se défaire, des peuples incarnés par deux héros, purs produits des sociétés où ils sont nés mais qui transcendent leur condition.

Présenté de manière chorale, Enfants de la conquête offre une voix à tous, du plus humble au plus important : on croise ainsi un télépathe azéen qui passe à l’ennemi, une poétesse braxin en délicatesse avec la société macho qui l’entoure, un guerrier sanguinaire intransigeant. Zatar et Anzha, les deux protagonistes antagonistes, sont loin d’être au premier plan au début du récit. De fait, chaque chapitre est une unité quasi-autonome, servi par une forme qui lui est propre (on a parfois des lettres, des retranscriptions d’entretien, etc.), et on pourra regretter que cette présentation éclatée, diversifiée, de l’histoire, s’estompe partiellement dans sa deuxième moitié.

Ce qui n’empêche par les deux tomes du roman de constituer un excellent moment de lecture (à 36 euros tout de même…). S’il faut chercher un précédent à Enfants de la conquête, on pourra évoquer le cycle de l’Ekumen d’Ursula Le Guin, moins pour la richesse de l’univers, davantage esquissé qu’approfondi en détail (mais un glossaire à la fin du tome 2 y pourvoit), que pour la justesse de ses personnages déchirés. Cela, ajouté à l’écriture délicate, au ton poignant et à la construction élaboré, transmue ce qui pourrait n’être qu’un banal space opera, lu des centaines de fois, en un opéra de l’espace tout à la fois spectaculaire et intime, brutal et précieux.

En bref, ce roman s’avère une véritable réussite, et on peut s’étonner qu’il ait fallu si longtemps pour le lire en français — la VO étant parue en 1986 aux USA. Enfants de la conquête a depuis connu une suite, The Wildling, publiée en 2004. Espérons cette fois qu’il ne faudra pas patienter un nouveau quart de siècle.

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