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Le Village des damnés

Le Village des damnés et Chocky sont deux romans de l’anglais John Wyndham, publiés il y a un peu plus d’un demi-siècle pour l’un, et un peu moins pour l’autre. « Lunes d’encre » a aujourd’hui la bonne idée de les rééditer en les réunissant, en raison de la proximité des thèmes qui y sont abordés (on précisera par ailleurs que la présente édition propose Chocky dans une traduction nouvelle).

Le Village des damnés : Dans le petit village paisible de Midwich, toutes les femmes en âge de procréer se retrouvent enceintes après qu’un événement inexpliqué a provoqué l’endormissement de toute la population pour trente-six heures. Arrivées à terme, elles accouchent toutes d’enfants apparemment normaux, n’étaient leurs yeux dorés. Rapidement, ces enfants « coucous » font montre de capacités mentales étendues et d’une amoralité qui les rendent pour le moins inquiétants. Que faire ?

Chocky : Dans une famille tranquille de la middle class anglaise, le fils ainé, Matthew, se met à converser avec ce qui semble être un ami imaginaire, Chocky. D’abord indulgents, ses parents deviennent de plus en plus inquiets et désemparés. Ce qu’ils avaient commencé par interpréter comme une phase régressive transitoire sem-ble s’éterniser, et de plus, les discussions de Matthew avec Chocky, les questions qu’elles l’amènent à poser, et les réalisations qu’elles lui permettent, rendent de moins en moins vraisemblable l’hypothèse de la pure invention. Comment réagir ?

Dans les deux cas, il est question d’invasion, d’étrangers s’insérant subrepticement dans un lieu auxquels ils n’appartiennent pas — et pour quel sombre dessein ? Dans les deux cas, les vecteurs sont des enfants. On imagine sans peine le malaise que purent susciter ces histoires de cinquième colonne dans un monde en pleine Guerre froide, et ces atteintes aux enfants du baby-boom — les premiers dans l’Histoire à être parés de toutes les qualités, à commencer par l’innocence…

Leurs tenants et aboutissants éloignent ces deux histoires, leur base contextuelle les rapproche.

Ce qui leur est commun aussi, c’est la manière dont Wyndham les traite. Il y a quelque chose dans ces deux romans d’un bon épisode de Twilight Zone. L’incursion inexplicable d’une réalité autre dans notre univers prosaïque intrigue ceux qui la vivent avant de leur imposer de la prendre en compte, ce qu’ils font de la seule manière civilisée qu’ils connaissent.

Tolkien a dit un jour que ses hobbits étaient les Anglais paisibles de la campagne. C’est de ces mêmes Anglais que parle Wyndham. Face à l’extraordinaire, des gens ordinaires, dans un lieu qui ne l’est pas moins, doivent s’adapter et réagir, si possible. Ils le font, parfois difficilement, en tentant de préserver au maximum ce qui fait leur mode de vie habituel. L’inconnu est traité dans les deux histoires avec un flegme typiquement britannique et une volonté affichée de préserver décence, discrétion, et dignité.

Si Le Village des damnés pose explicitement la passionnante question des mesures que doit prendre une civilisation pour survivre, s’interrogeant sur le conflit entre rationalité machiavélienne et morale judéo-chrétienne (Wyndham y répond comme il le faisait dans Le jour des triffides), Chocky creuse plutôt la notion de vérité, et les accommodements qu’on doit faire avec celle-ci quand trop de transparence serait néfaste. Dans les deux histoires en tout cas, Wyndham montre qu’il est difficile d’accepter une vérité qui dérange, et comment déni et délusion sont souvent préférés.

Divertissantes, intelligentes, reposantes pour le lecteur, ces deux histoires méritent qu’on leur accorde de l’attention. Elles offrent un vrai bon moment d’é(in)vasion.

A noter : Le Village des damnés a été adapté au cinéma en 1960 et 1995. Chocky l’a été en série télé en 1984.

A noter aussi : écrits avant le féminisme, ces deux romans portent les préjugés de leur époque, notamment sur la psychologie des femmes et leur rapport aux enfants. Drôle.

A noter enfin : Wyndham semble s’intéresser beaucoup à l’origine, innée ou acquise, de l’instinct maternel. On ne peut que lui conseiller L’Amour en plus, d’Elisabeth Badinter.

Anamnèse de Lady Star

Anamnèse, le nouveau roman de L. L. Kloetzer, est un ouvrage personnel, comme l’était Cleer. Milieu connu des auteurs dans Cleer, approches connues d’eux dans Anamnèse. Clin d’œil à la méthode Karenberg qui fait jonction entre les deux romans. Et encore ici, la Suisse, le groupe vocal Norn, Giessbach sans doute.

Futur proche. Survient le Satori. Un attentat et une apocalypse. La plus grande partie de l’humanité est éradiquée.

Avant, un complot. Un sémiologue, des militaires, tous extrémistes. Un enquêteur. Et une femme.

Après, la traque des responsables dans un monde ravagé. Des militaires, des agents, des chercheurs. Et une femme.

L.L. Kloetzer déroule pour le lecteur le fil des évènements. Des prémisses, dix-huit ans avant le Satori, jusqu’à la fin ultime (ou pas), cinquante-quatre ans après. Il montre les transformations que subissent l’Humanité et la Terre elle-même, comme lieu habité. Il montre surtout la quête pour retrouver et neutraliser l’élément manquant du complot, la « femme », inspiratrice, servante, esclave, et muse. Ne pas oublier, pour que ça ne se reproduise pas !

Disons-le clairement, Anamnèse est un roman qui se mérite. Quatre cent cinquante pages, serrées ; j’ignore combien de caractères mais chacun d’eux compte. Dense, touffu, Anamnèse ne peut se lire dans le métro ou à la plage. Il lui faut du calme, de la concentration. Il a définitivement quelque chose d’une ballade un peu sélective. Effort, concentration, on l’a dit, puis satisfaction d’avoir fait une belle promenade et vu des choses rarement visibles.

Car L.L. Kloetzer ne donne rien. Il suggère, insinue, pose des points impressionnistes auxquels seule une vue globale donnera sens.

Le background d’abord. Il faut le saisir tout au long du roman. Des mots, des références, des lignes de dialogue, à collectionner pour que se dessine très progressivement un monde d’où presque toute vie humaine a disparu.

Des milliards de morts. Une Nature en reconquête territoriale au sein de laquelle errent et survivent des groupes errants de « porteurs lents », infectés par le « contagieux » mème tueur, aussi létaux que des zombies. Des villes et des villages abandonnés qui menacent ruine. L’effondrement progressif de la plupart des créations humaines.

Des survivants indemnes de toute contamination. Après la guerre consécutive au Satori, une communauté internationale les regroupant s’est constituée, installée dans des enclaves, souvent sur des îles, là où il fut possible de se protéger en isolant le mème (et ses porteurs) à l’extérieur. Ils utilisent une technologie avancée. Certains dorment en stase et attendent des jours meilleurs, d’autres enfin partent pour l’espace vers une nouvelle terre promise.

Mais l’essentiel n’est pas là. Le background n’est qu’un fond sur lequel se déroule le plus important, la convergence progressive de la chasseuse et de la proie, seule réalité à occuper le devant de la scène en pleine lumière. Ce qui importe dans Anamnèse, c’est la quête. Retrouver et neutraliser « la » femme, la dernière qui possède en mémoire le secret de la bombe iconique qui a anéanti l’Humanité. C’est cette tâche que s’assigne une jeune chercheuse, Magda, poussée par un mentor qui y a voué sa vie. Pour cela, elle doit remonter dans le temps ; re-trouver les traces subliminales de la femme dans l’océan infini des documents informatiques, réaliser l’anamnèse, c’est-à-dire l’histoire des antécédents de la maladie, de la personne, ou de ses incarnations (au choix, les trois s’appliquent ici). Comme les archéologues numériques Qeng Ho d’Au tréfonds du ciel de Vernor Vinge, Magda fouille les bases de données, les blogs, les enregistrements publics et privés, les archives des réseaux sociaux, les vestiges d’un univers virtuel. Elle y cherche des preuves de l’existence de la femme mystère et des indices sur sa localisation. Aidée d’outils de data mining ultra-performants, elle fouille l’énorme botte de foin des mémoires informatiques sur la trace de la paille qui s’y cache. Et souvent, ce n’est même pas la paille qui est signifiante ; l’absence parfaite, trop parfaite, de toute preuve, là où il devrait y en avoir une, signifie sans équivoque l’effacement des données, donc la présence préalable de la chose. Prouver les omissions ou les mensonges des témoins survivants aussi ; après des décennies, la mémoire est une chose fragile, a fortiori si on joue avec. Magda elle-même se connaît mieux en se remémorant, en tirant presque involontairement les fils de sa mémoire, dans un processus de réminiscence (anamnèse) dont l’aboutissement la choque en l’éclairant.

Tout ceci serait difficile mais raisonnable si la proie était une simple femme. Ce n’est pas le cas. « La » femme est Elohim, non humaine mais si proche. Passant d’apparence en apparence, d’identité en identité, de lieu en lieu, de nom en nom, et de rôle en rôle, « la » femme est irrésistiblement attirée par le désir qu’on éprouve pour elle ; ce désir l’attache à la matière et il faut la nommer pour l’y attacher plus encore et, en quelque sorte, la définir. « La » femme au centre d’Anamnèse semble être une Idée platonicienne que le désir humain fait s’incarner dans le monde sensible, que le désir de nombreux humains (y compris ceux qui la traquent pour la tuer) fait pénétrer irrésistiblement sous maintes formes dans le monde de la matière. Et c’est la gageure de Magda, comme celle du philosophe, de dépasser par la raison le multiple, de remonter à l’unique par une dialectique ascendante, et de voir, par-delà les informations sensibles infiniment variables, la Vérité essentielle de la chose. Mais qu’elle est longue et difficile, la sortie de la caverne !

Chasseuse et proie se trouvent finalement. La traque s’achève. Le risque est écarté (ou pas). Peut-on annihiler une idée (celle de la bombe iconique ?), et peut-on tuer une Idée, aussi longtemps que quelqu’un espèrera (même dans le secret de l’âme) son incarnation ?

Remontant du passé vers le présent et alternant dans chaque phase passé et présent, dans un traitement qui rappelle le Memento de Christopher Nolan, L.L. Kloetzer joue avec l’attention du lecteur qui doit se souvenir sans cesse où il est, à quel moment, et qui parle car les locuteurs alternent aussi. Loin de la linéarité abordable de cet autre récit de reconstitution historique post-apocalyptique qu’est le World War Z de Max Brooks, Anamnèse brouille les témoignages et les traces, plaçant par là même le lecteur dans la peau de son héroïne, au cœur d’un écheveau particulièrement embrouillé et touffu.

D’une construction minutieuse et parfaitement maitrisée, Anamnèse évoque ces œuvres de marqueterie qui impressionnent par l’agencement complexe des nombreuses pièces qui les composent, et l’absence totale de solution de continuité.

Enfin, les nombreuses références posées dans le texte comme par accident donnent le sentiment d’une profusion intellectuelle, d’une culture qu’on ne rencontre pas tous les jours, ni dans tous les romans.

Le Présage du corbeau

[Critique commune à Les Douze, L'Homme des morts et Le Présage du corbeau.]

Ça n’aura échappé à personne, les temps sont à la fin du monde… Un champ apocalyptique fourni et au niveau de qualité varié, comme il se doit, qu’on retrouve en librairie tantôt en rayon de genre, tantôt en mainstream, au gré des ambitions fluctuantes des éditeurs et libraires, voire des auteurs… (Le syndrome La Route de Cormac McCarthy, en somme.)

Des trois fins du monde qui nous occupent ici, celle exposée dans L’Homme des morts est la seule à assumer sans chichi sa filiation au genre, avançant même des arguments série B pour le moins musclés. Une apocalypse zombie, donc, en droite ligne des films de Romero ; en ce qui me concerne, une filiation des plus recommandables, dans le registre qui tâche… Donc, après l’infection zombie, les Etats-Unis sont coupés en deux : à gauche, voici la Zone Libre, bouclée, recroquevillée, qui se réorganise comme elle peut, c’est-à-dire de façon plus ou moins totalitaire ; à droite, la Zone Occupée, livrée aux morts et aux gangs paramilitaires. Un no man’s land dans lequel vit Henry Marco, ancien neurochirurgien devenu expert en techniques de survie par la force des choses. Henry, qui n’a aucune chance de pouvoir un jour pénétrer en Zone Libre, et qui monnaye ses services d’enquêteur tueur aux résidents de cette dernière désireux de s’assurer que leurs proches disparus n’errent pas sans fin à la surface du monde avec pour unique motivation de croquer du vivant… Jusqu’au jour où notre Henry se voit confier une mission bien pourrie par un type qui ne l’est pas moins, mission susceptible de lui faire traverser la moitié des US en Zone Occupée et percer l’origine du fléau zombie… Très série B, on l’a dit, L’Homme des morts, porté par une action calibrée aux petits oignons, a le mérite de se lire d’une traite sans déplaisir. La quatrième de couverture nous informe que le bouquin est en cours d’adaptation. Tu m’étonnes ! Prototype du livre écrit pour Hollywood, avec ses persos calibrés et son intrigue bien dosée, le résultat n’en est pas pour autant scandaleux. C’est fabriqué, c’est sûr, mais ça marche diablement, pour peu qu’on y mette un peu du sien en déposant gentiment son cerveau sur la commode le temps de la lecture (un roman zombie pour les zombies, en somme, la parfaite mise en abîme !). Le résultat s’avère jouissif…

Dans un registre somme toute assez proche, mais d’un tout autre calibre, Les Douze, de Justin Cronin, est la suite très attendue de la trilogie initiée par Le Passage en 2011 (et ressorti pour l’occasion chez Pocket), énorme brique en son temps chroniquée ici même par notre camarade Bruno Para. Si L’Homme des morts assume pleinement son appartenance aux littératures de genre, il en va différemment avec la trilogie de Cronin, travaillée en rayon mainstream (avant d’être rapatriée plus qu’à son tour en rayons dédiés par les libraires vigilants), comme si, à trop afficher ses ambitions (notamment commerciales), un livre de genre ne pouvait plus être considéré comme tel… Bref. Reste que c’est la fin du monde, le monde tel qu’on le connaît, en tous cas, après le déferlement des hordes virules, des créatures vampiriques d’une puissance et d’une brutalité extraordinaires nées d’une expérience gouvernementale ratée. Plus resserré que son aîné, qui tirait çà et là en longueur au fil de ses mille pages ou presque (près de trois cents pages de moins ici, même si on parle tout de même d’un énorme pavé), Les Douze poursuit donc la colossale saga initiée dans Le Passage : le face à face entre l’humanité nouvelle incarnée par les virules, leurs règles, leur hiérarchie, leurs buts obscures, une humanité qui, selon nos critères, n’en est pas une, et l’ancienne, qui lutte et meurt, tente de survivre dans ce nouveau paradigme. L’histoire d’une transition possible, en somme, le « passage » du titre du premier opus, le choc de deux forces contraires… La virtuosité de Cronin est ébouriffante. On change d’époques, de lignes narratives, on suit des familles entières sur plusieurs générations, des personnages caractérisés en trois pages d’une épaisseur que beaucoup, sous d’autres plumes, n’atteignent pas en trois cents… Ça vie, ça meurt, ça aime et déteste partout et tout le temps, dans chaque chapitre, avec un foisonnement d’exception, une maitrise digne d’un Stephen King des grands jours, le tout irrigué par une poignée de lignes de narrations centrales tendues comme des cordes à linge. Et si, comme chez V. M. Zito, on ne peut évacuer chez Cronin une propension à tirer sur quelques ficelles aisément identifiables, il déploie un souffle narratif tel que tout scepticisme s’en trouve balayé. Se lancer dans cette saga, c’est naviguer sur le fleuve Congo transformé en rapides : on en ressort rincé d’émotions, un peu perdu aussi. Cronin n’invente pas grand-chose, c’est vrai, mais il réinvente le page-turner horrifique avec une telle maestria qu’on ne peut que s’incliner, bien conscient de s’être fait flouer, mais prêt à en redemander, et ô combien, dans un ultime volume (qui reste à achever d’écrire… l’attente risque d’être longue) dont on ne doute pas qu’il sera renversant. De l’art fabriqué, certes, calibré, oui, mais du grand art quand même…

Si les liens entre L’Homme des morts et Les Douze sont évidents, Le Présage du corbeau, premier roman de Don Rearden, se distingue en de nombreux points. D’abord parce qu’on ne sait pas, finalement, si nous sommes en présence d’une fin du monde. La fin d’un monde, oui, mais du monde, rien n’est moins sûr. D’autre part, point de déferlement de hordes zombiesques ou de néo-vampires promptes à vous ravager le cigare. Une bête grippe, point barre. De fait, qu’on retrouve Le Présage du cordeau dans les rayons de littérature générale apparaît pour le coup légitime. Ce qui surprend davantage (un peu), c’est la présence de ce livre aux éditions Fleuve noir. On s’attendrait plutôt à lire ce genre d’ouvrage hommage au Grand Nord dans la collection « Terres d’Amérique » de Francis Geffard, chez Albin Michel, voire aux éditions Gallmeister. A ce titre, les citations qui encensent le bouquin en quatrième de couverture, toutes signées d’auteurs justement publiés chez Gallmeister (David Vann, Pete Fromm et Ron Carlson), ne trompent pas. Vous aimez les grands espaces ? Une nature aussi âpre que sauvage ? Vous allez adorer Le Présage du corbeau. L’histoire ? Des plus simples. John et Anna, jeune couple de profs américains, décident de changer de vie pour aller enseigner une année chez les Yupiks, une tribu inuit vivant au fin fond de l’Alaska. L’occasion rêvée de se rendre utile, remettre les compteurs à zéro et renouer avec les origines culturelles de John. Pour enrichissante qu’elle soit, l’installation du couple n’en est pas moins compliquée ; le choc culturel est rude et les conditions extrêmes. Alors que les deux jeunes protagonistes semblent trouver leur place petit à petit, apprivoiser la nature sans limite qui s’offre à eux, les premiers malades apparaissent. Une toux anodine, au début, mais qui fait bientôt ses premiers morts, tandis que les nouvelles radiophoniques deviennent inquiétantes, puis clairement alarmantes, avant que la radio ne cesse purement et simplement d’émettre, et que le réapprovisionnement de la petite communauté ne s’interrompe… Si la construction du Présage du corbeau peut, de prime abord, s’avérer un tantinet alambiquée (l’auteur mêle trois lignes narratives sur des temps de l’histoire décalés, alternant très vite de l’un à l’autre), on n’en est pas moins immédiatement happé par cette magnifique histoire d’amour à double niveau nourrie par un décor dont on comprend vite qu’il sera, sinon le personnage central du récit, du moins son sujet premier. Don Rearden, qui vit en Alaska, excelle dans l’art d’immerger son lecteur dans ce décor démesuré, à ce point brut qu’il en devient effrayant de personnalisation. Livre sauvage, donc, mais aussi, bien sûr, d’initiation pour John, qui, ayant tout perdu, après avoir renoncé à tout ou presque, pourrait bien tout regagner, pour peu qu’il survive… Rearden fait son shaman, et force est de constater qu’il est sacrément doué, accouchant, comme le dit Ron Carlson, d’ « un superbe roman ». Une découverte.

L'Homme des morts

[Critique commune à Les Douze, L'Homme des morts et Le Présage du corbeau.]

Ça n’aura échappé à personne, les temps sont à la fin du monde… Un champ apocalyptique fourni et au niveau de qualité varié, comme il se doit, qu’on retrouve en librairie tantôt en rayon de genre, tantôt en mainstream, au gré des ambitions fluctuantes des éditeurs et libraires, voire des auteurs… (Le syndrome La Route de Cormac McCarthy, en somme.)

Des trois fins du monde qui nous occupent ici, celle exposée dans L’Homme des morts est la seule à assumer sans chichi sa filiation au genre, avançant même des arguments série B pour le moins musclés. Une apocalypse zombie, donc, en droite ligne des films de Romero ; en ce qui me concerne, une filiation des plus recommandables, dans le registre qui tâche… Donc, après l’infection zombie, les Etats-Unis sont coupés en deux : à gauche, voici la Zone Libre, bouclée, recroquevillée, qui se réorganise comme elle peut, c’est-à-dire de façon plus ou moins totalitaire ; à droite, la Zone Occupée, livrée aux morts et aux gangs paramilitaires. Un no man’s land dans lequel vit Henry Marco, ancien neurochirurgien devenu expert en techniques de survie par la force des choses. Henry, qui n’a aucune chance de pouvoir un jour pénétrer en Zone Libre, et qui monnaye ses services d’enquêteur tueur aux résidents de cette dernière désireux de s’assurer que leurs proches disparus n’errent pas sans fin à la surface du monde avec pour unique motivation de croquer du vivant… Jusqu’au jour où notre Henry se voit confier une mission bien pourrie par un type qui ne l’est pas moins, mission susceptible de lui faire traverser la moitié des US en Zone Occupée et percer l’origine du fléau zombie… Très série B, on l’a dit, L’Homme des morts, porté par une action calibrée aux petits oignons, a le mérite de se lire d’une traite sans déplaisir. La quatrième de couverture nous informe que le bouquin est en cours d’adaptation. Tu m’étonnes ! Prototype du livre écrit pour Hollywood, avec ses persos calibrés et son intrigue bien dosée, le résultat n’en est pas pour autant scandaleux. C’est fabriqué, c’est sûr, mais ça marche diablement, pour peu qu’on y mette un peu du sien en déposant gentiment son cerveau sur la commode le temps de la lecture (un roman zombie pour les zombies, en somme, la parfaite mise en abîme !). Le résultat s’avère jouissif…

Dans un registre somme toute assez proche, mais d’un tout autre calibre, Les Douze, de Justin Cronin, est la suite très attendue de la trilogie initiée par Le Passage en 2011 (et ressorti pour l’occasion chez Pocket), énorme brique en son temps chroniquée ici même par notre camarade Bruno Para. Si L’Homme des morts assume pleinement son appartenance aux littératures de genre, il en va différemment avec la trilogie de Cronin, travaillée en rayon mainstream (avant d’être rapatriée plus qu’à son tour en rayons dédiés par les libraires vigilants), comme si, à trop afficher ses ambitions (notamment commerciales), un livre de genre ne pouvait plus être considéré comme tel… Bref. Reste que c’est la fin du monde, le monde tel qu’on le connaît, en tous cas, après le déferlement des hordes virules, des créatures vampiriques d’une puissance et d’une brutalité extraordinaires nées d’une expérience gouvernementale ratée. Plus resserré que son aîné, qui tirait çà et là en longueur au fil de ses mille pages ou presque (près de trois cents pages de moins ici, même si on parle tout de même d’un énorme pavé), Les Douze poursuit donc la colossale saga initiée dans Le Passage : le face à face entre l’humanité nouvelle incarnée par les virules, leurs règles, leur hiérarchie, leurs buts obscures, une humanité qui, selon nos critères, n’en est pas une, et l’ancienne, qui lutte et meurt, tente de survivre dans ce nouveau paradigme. L’histoire d’une transition possible, en somme, le « passage » du titre du premier opus, le choc de deux forces contraires… La virtuosité de Cronin est ébouriffante. On change d’époques, de lignes narratives, on suit des familles entières sur plusieurs générations, des personnages caractérisés en trois pages d’une épaisseur que beaucoup, sous d’autres plumes, n’atteignent pas en trois cents… Ça vie, ça meurt, ça aime et déteste partout et tout le temps, dans chaque chapitre, avec un foisonnement d’exception, une maitrise digne d’un Stephen King des grands jours, le tout irrigué par une poignée de lignes de narrations centrales tendues comme des cordes à linge. Et si, comme chez V. M. Zito, on ne peut évacuer chez Cronin une propension à tirer sur quelques ficelles aisément identifiables, il déploie un souffle narratif tel que tout scepticisme s’en trouve balayé. Se lancer dans cette saga, c’est naviguer sur le fleuve Congo transformé en rapides : on en ressort rincé d’émotions, un peu perdu aussi. Cronin n’invente pas grand-chose, c’est vrai, mais il réinvente le page-turner horrifique avec une telle maestria qu’on ne peut que s’incliner, bien conscient de s’être fait flouer, mais prêt à en redemander, et ô combien, dans un ultime volume (qui reste à achever d’écrire… l’attente risque d’être longue) dont on ne doute pas qu’il sera renversant. De l’art fabriqué, certes, calibré, oui, mais du grand art quand même…

Si les liens entre L’Homme des morts et Les Douze sont évidents, Le Présage du corbeau, premier roman de Don Rearden, se distingue en de nombreux points. D’abord parce qu’on ne sait pas, finalement, si nous sommes en présence d’une fin du monde. La fin d’un monde, oui, mais du monde, rien n’est moins sûr. D’autre part, point de déferlement de hordes zombiesques ou de néo-vampires promptes à vous ravager le cigare. Une bête grippe, point barre. De fait, qu’on retrouve Le Présage du cordeau dans les rayons de littérature générale apparaît pour le coup légitime. Ce qui surprend davantage (un peu), c’est la présence de ce livre aux éditions Fleuve noir. On s’attendrait plutôt à lire ce genre d’ouvrage hommage au Grand Nord dans la collection « Terres d’Amérique » de Francis Geffard, chez Albin Michel, voire aux éditions Gallmeister. A ce titre, les citations qui encensent le bouquin en quatrième de couverture, toutes signées d’auteurs justement publiés chez Gallmeister (David Vann, Pete Fromm et Ron Carlson), ne trompent pas. Vous aimez les grands espaces ? Une nature aussi âpre que sauvage ? Vous allez adorer Le Présage du corbeau. L’histoire ? Des plus simples. John et Anna, jeune couple de profs américains, décident de changer de vie pour aller enseigner une année chez les Yupiks, une tribu inuit vivant au fin fond de l’Alaska. L’occasion rêvée de se rendre utile, remettre les compteurs à zéro et renouer avec les origines culturelles de John. Pour enrichissante qu’elle soit, l’installation du couple n’en est pas moins compliquée ; le choc culturel est rude et les conditions extrêmes. Alors que les deux jeunes protagonistes semblent trouver leur place petit à petit, apprivoiser la nature sans limite qui s’offre à eux, les premiers malades apparaissent. Une toux anodine, au début, mais qui fait bientôt ses premiers morts, tandis que les nouvelles radiophoniques deviennent inquiétantes, puis clairement alarmantes, avant que la radio ne cesse purement et simplement d’émettre, et que le réapprovisionnement de la petite communauté ne s’interrompe… Si la construction du Présage du corbeau peut, de prime abord, s’avérer un tantinet alambiquée (l’auteur mêle trois lignes narratives sur des temps de l’histoire décalés, alternant très vite de l’un à l’autre), on n’en est pas moins immédiatement happé par cette magnifique histoire d’amour à double niveau nourrie par un décor dont on comprend vite qu’il sera, sinon le personnage central du récit, du moins son sujet premier. Don Rearden, qui vit en Alaska, excelle dans l’art d’immerger son lecteur dans ce décor démesuré, à ce point brut qu’il en devient effrayant de personnalisation. Livre sauvage, donc, mais aussi, bien sûr, d’initiation pour John, qui, ayant tout perdu, après avoir renoncé à tout ou presque, pourrait bien tout regagner, pour peu qu’il survive… Rearden fait son shaman, et force est de constater qu’il est sacrément doué, accouchant, comme le dit Ron Carlson, d’ « un superbe roman ». Une découverte.

Les Douze

[Critique commune à Les Douze, L'Homme des morts et Le Présage du corbeau.]

Ça n’aura échappé à personne, les temps sont à la fin du monde… Un champ apocalyptique fourni et au niveau de qualité varié, comme il se doit, qu’on retrouve en librairie tantôt en rayon de genre, tantôt en mainstream, au gré des ambitions fluctuantes des éditeurs et libraires, voire des auteurs… (Le syndrome La Route de Cormac McCarthy, en somme.)

Des trois fins du monde qui nous occupent ici, celle exposée dans L’Homme des morts est la seule à assumer sans chichi sa filiation au genre, avançant même des arguments série B pour le moins musclés. Une apocalypse zombie, donc, en droite ligne des films de Romero ; en ce qui me concerne, une filiation des plus recommandables, dans le registre qui tâche… Donc, après l’infection zombie, les Etats-Unis sont coupés en deux : à gauche, voici la Zone Libre, bouclée, recroquevillée, qui se réorganise comme elle peut, c’est-à-dire de façon plus ou moins totalitaire ; à droite, la Zone Occupée, livrée aux morts et aux gangs paramilitaires. Un no man’s land dans lequel vit Henry Marco, ancien neurochirurgien devenu expert en techniques de survie par la force des choses. Henry, qui n’a aucune chance de pouvoir un jour pénétrer en Zone Libre, et qui monnaye ses services d’enquêteur tueur aux résidents de cette dernière désireux de s’assurer que leurs proches disparus n’errent pas sans fin à la surface du monde avec pour unique motivation de croquer du vivant… Jusqu’au jour où notre Henry se voit confier une mission bien pourrie par un type qui ne l’est pas moins, mission susceptible de lui faire traverser la moitié des US en Zone Occupée et percer l’origine du fléau zombie… Très série B, on l’a dit, L’Homme des morts, porté par une action calibrée aux petits oignons, a le mérite de se lire d’une traite sans déplaisir. La quatrième de couverture nous informe que le bouquin est en cours d’adaptation. Tu m’étonnes ! Prototype du livre écrit pour Hollywood, avec ses persos calibrés et son intrigue bien dosée, le résultat n’en est pas pour autant scandaleux. C’est fabriqué, c’est sûr, mais ça marche diablement, pour peu qu’on y mette un peu du sien en déposant gentiment son cerveau sur la commode le temps de la lecture (un roman zombie pour les zombies, en somme, la parfaite mise en abîme !). Le résultat s’avère jouissif…

Dans un registre somme toute assez proche, mais d’un tout autre calibre, Les Douze, de Justin Cronin, est la suite très attendue de la trilogie initiée par Le Passage en 2011 (et ressorti pour l’occasion chez Pocket), énorme brique en son temps chroniquée ici même par notre camarade Bruno Para. Si L’Homme des morts assume pleinement son appartenance aux littératures de genre, il en va différemment avec la trilogie de Cronin, travaillée en rayon mainstream (avant d’être rapatriée plus qu’à son tour en rayons dédiés par les libraires vigilants), comme si, à trop afficher ses ambitions (notamment commerciales), un livre de genre ne pouvait plus être considéré comme tel… Bref. Reste que c’est la fin du monde, le monde tel qu’on le connaît, en tous cas, après le déferlement des hordes virules, des créatures vampiriques d’une puissance et d’une brutalité extraordinaires nées d’une expérience gouvernementale ratée. Plus resserré que son aîné, qui tirait çà et là en longueur au fil de ses mille pages ou presque (près de trois cents pages de moins ici, même si on parle tout de même d’un énorme pavé), Les Douze poursuit donc la colossale saga initiée dans Le Passage : le face à face entre l’humanité nouvelle incarnée par les virules, leurs règles, leur hiérarchie, leurs buts obscures, une humanité qui, selon nos critères, n’en est pas une, et l’ancienne, qui lutte et meurt, tente de survivre dans ce nouveau paradigme. L’histoire d’une transition possible, en somme, le « passage » du titre du premier opus, le choc de deux forces contraires… La virtuosité de Cronin est ébouriffante. On change d’époques, de lignes narratives, on suit des familles entières sur plusieurs générations, des personnages caractérisés en trois pages d’une épaisseur que beaucoup, sous d’autres plumes, n’atteignent pas en trois cents… Ça vie, ça meurt, ça aime et déteste partout et tout le temps, dans chaque chapitre, avec un foisonnement d’exception, une maitrise digne d’un Stephen King des grands jours, le tout irrigué par une poignée de lignes de narrations centrales tendues comme des cordes à linge. Et si, comme chez V. M. Zito, on ne peut évacuer chez Cronin une propension à tirer sur quelques ficelles aisément identifiables, il déploie un souffle narratif tel que tout scepticisme s’en trouve balayé. Se lancer dans cette saga, c’est naviguer sur le fleuve Congo transformé en rapides : on en ressort rincé d’émotions, un peu perdu aussi. Cronin n’invente pas grand-chose, c’est vrai, mais il réinvente le page-turner horrifique avec une telle maestria qu’on ne peut que s’incliner, bien conscient de s’être fait flouer, mais prêt à en redemander, et ô combien, dans un ultime volume (qui reste à achever d’écrire… l’attente risque d’être longue) dont on ne doute pas qu’il sera renversant. De l’art fabriqué, certes, calibré, oui, mais du grand art quand même…

Si les liens entre L’Homme des morts et Les Douze sont évidents, Le Présage du corbeau, premier roman de Don Rearden, se distingue en de nombreux points. D’abord parce qu’on ne sait pas, finalement, si nous sommes en présence d’une fin du monde. La fin d’un monde, oui, mais du monde, rien n’est moins sûr. D’autre part, point de déferlement de hordes zombiesques ou de néo-vampires promptes à vous ravager le cigare. Une bête grippe, point barre. De fait, qu’on retrouve Le Présage du cordeau dans les rayons de littérature générale apparaît pour le coup légitime. Ce qui surprend davantage (un peu), c’est la présence de ce livre aux éditions Fleuve noir. On s’attendrait plutôt à lire ce genre d’ouvrage hommage au Grand Nord dans la collection « Terres d’Amérique » de Francis Geffard, chez Albin Michel, voire aux éditions Gallmeister. A ce titre, les citations qui encensent le bouquin en quatrième de couverture, toutes signées d’auteurs justement publiés chez Gallmeister (David Vann, Pete Fromm et Ron Carlson), ne trompent pas. Vous aimez les grands espaces ? Une nature aussi âpre que sauvage ? Vous allez adorer Le Présage du corbeau. L’histoire ? Des plus simples. John et Anna, jeune couple de profs américains, décident de changer de vie pour aller enseigner une année chez les Yupiks, une tribu inuit vivant au fin fond de l’Alaska. L’occasion rêvée de se rendre utile, remettre les compteurs à zéro et renouer avec les origines culturelles de John. Pour enrichissante qu’elle soit, l’installation du couple n’en est pas moins compliquée ; le choc culturel est rude et les conditions extrêmes. Alors que les deux jeunes protagonistes semblent trouver leur place petit à petit, apprivoiser la nature sans limite qui s’offre à eux, les premiers malades apparaissent. Une toux anodine, au début, mais qui fait bientôt ses premiers morts, tandis que les nouvelles radiophoniques deviennent inquiétantes, puis clairement alarmantes, avant que la radio ne cesse purement et simplement d’émettre, et que le réapprovisionnement de la petite communauté ne s’interrompe… Si la construction du Présage du corbeau peut, de prime abord, s’avérer un tantinet alambiquée (l’auteur mêle trois lignes narratives sur des temps de l’histoire décalés, alternant très vite de l’un à l’autre), on n’en est pas moins immédiatement happé par cette magnifique histoire d’amour à double niveau nourrie par un décor dont on comprend vite qu’il sera, sinon le personnage central du récit, du moins son sujet premier. Don Rearden, qui vit en Alaska, excelle dans l’art d’immerger son lecteur dans ce décor démesuré, à ce point brut qu’il en devient effrayant de personnalisation. Livre sauvage, donc, mais aussi, bien sûr, d’initiation pour John, qui, ayant tout perdu, après avoir renoncé à tout ou presque, pourrait bien tout regagner, pour peu qu’il survive… Rearden fait son shaman, et force est de constater qu’il est sacrément doué, accouchant, comme le dit Ron Carlson, d’ « un superbe roman ». Une découverte.

Sandman Slim

Envoyé aux enfers par quelques « amis », le magicien James Stark devient gladiateur. Contre toute attente, soutenu par le général Azazel, il finit par se tailler une sacrée réputation dans les arènes. Mais onze ans plus tard, il parvient à s’échapper de ce lieu sordide et revient sur Terre pour se venger. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas content !

Mais avant de partir à la poursuite de ses anciens meurtriers pour les faire profiter des nouvelles techniques acquises dans les bas-fonds, il va lui falloir redécouvrir Los Angeles. Retourner là où il a vécu avec Alice, assassinée elle aussi. Retrouver Eugène Vidocq (si, si ! lui-même !), un ami fidèle et plus sage, immortalité oblige. Et réapprendre à vivre parmi les humains. Et ça, ce sera le plus difficile. Régler des problèmes autrement qu’en explosant la tête de son adversaire est un concept étranger à Stark. Comme les restaurants et autres bars devenus non-fumeurs !

Loin du cyberpunk des années 80-90, avec un Metrophage (Denoël, « Présence du futur ») déjà rempli d’aventures et d’un certain cynisme, la donne a changé. Des explosions, des bons mots (pas toujours de bon goût), des morts, des anges et des démons. Bref, le cocktail idéal pour se vider les neurones. Mais en tout bien tout honneur. Cette série B autoproclamée fonctionne à merveille. Les personnages ont beau être stéréotypés au possible, ils font mouche. Dans cet univers survitaminé et machiste, les femmes ont leur place. Pas de blonde évaporée et romantique. Des paumées, comme le héros, qui n’hésitent pas à frapper, voire à tuer quand le besoin s’en fait sentir.

Autre atout, le rythme : trépidant du début à la fin. Pas de chapitres dans ce roman. Tout s’enchaîne sans pause : les scènes d’action se suivent sans temps mort, appuyées par des dialogues efficaces. C’est en parfaite adéquation avec le personnage principal : il prend rarement le temps de réfléchir ou d’imaginer les conséquences de ses actes. Au grand dam de ses amis, comme de ses ennemis. Et du mobilier urbain !

L’auteur s’amuse comme un fou et convoque ses souvenirs de films. Ce n’est pas pour rien si James Stark trouve refuge dans un vidéoclub, le Max Overdrive Video ! Les anciens westerns flirtent avec les films d’action ou les films de guerre. Des choix qu’on croirait sortis de la vidéothèque de Quentin Tarantino se percutent : Le Bon, la Brute et le Truand précède Le bras armé de Wang-Yu contre la guillotine volante. Comme le héros de l’El Dorado d’Howard Hawks, celui de Sandman Slim a été blessé et des balles restent dans son corps, handicap permanent qu’il ne fera retirer que sur la fin. Clint Eastwood et autres justiciers sont régulièrement cités ou évoqués. D’ailleurs, dans une récente interview accordée au site internet ActuSF, Richard Kadrey dit lui-même que sa série « est un western spaghetti avec des gangsters ».

Alors que Kill City Blues, le cinquième tome de la série, sort aux Etats-Unis cette année, on attend avec une certaine impatience, en France, la suite de ce volet initial. Pour voir s’étoffer ce monde à peine ébauché. Pour replonger dans un L.A. fantasmé. Pour vivre à nouveau avec ce personnage qui carbure à l’alcool, à la nicotine et à la testostérone, Sandman Slim.

Rainbow Warrior

Cela ne vous est jamais arrivé d’en avoir assez de toutes ces nouvelles pourries ? De ce monde qui semble tourner à l’envers et impossible à remettre dans la bonne direction ? De ces pays d’Afrique au destin joué d’avance : famine, pauvreté, corruption, dictatures ? Et on soupire, impuissant, devant pareil spectacle, avant de plonger dans un bon roman. Que faire d’autre ?

Akwasi Koffane, ancien secrétaire général des Nations Unies, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Après avoir réuni une impressionnante brochette de donateurs, il prépare, rien que ça !, un coup d’état en Mambesi, charmante dictature issue de la Françafrique. Il fait donc appel à Geoff Tyler, un général de division mis à la retraite pour ses prises de position (trop) franches et (trop) directes. Mais tout ceci ressemblerait à un scénario basique typique des rediffusions tardives de la TNT sans une composante inédite. Cette histoire serait d’une grande banalité sans un… détail : le choix des troupes. Et le défi est de taille, car l’armée sera composée exclusivement de LGBT. De quoi ? LGBT. L’acronyme de Lesbiennes, Gays, Bi(sexuels) et Trans(genres). Après un premier hoquet de surprise, l’ancien général relève le gant. Que le combat commence !

Ça débute comme un film ou un livre de guerre classique. Mais Ayerdhal reprend le schéma typique pour mieux le dynamiter, le faire exploser de vie et d’enthousiasme. On découvre tout d’abord les protagonistes principaux : outre Tyler et Koffane, une galerie haute en couleur s’offre à nous. Andrea, l’ancien commando devenu femme, croise Jean-No, inventeur génial et gay jusqu’au bout des ongles. Marlee et Anna-May, un des premiers couples mariés à Washington DC, se retrouvent embarquées dans la même aventure que l’inquiétante Pilar, tueuse mexicaine au corps devenu arme infaillible… Des personnages, nombreux, qui s’avèrent l’une des principales richesses de ce roman. En quelques chapitres d’exposition, vifs et entraînants, l’auteur sait les rendre vivants, attachants, malgré quelques lieux communs : le général est bourru, grossier, mais possède un cœur gros comme ça ; le sniper est d’une précision à toute épreuve ; le hacker d’une efficacité sans faille. Un tantinet stéréotypé, oui, mais au final, cela n’a rien de pesant. Au contraire, même, ça rassurerait presque, offrant un accès des plus faciles au monde dépeint. Et de nous laisser embarquer dans cette aventure…

Après les préparatifs, l’attaque. Et là, on s’accroche. Les actions s’enchainent, précises. Les fronts se multiplient sans que l’on soit perdu. Car Ayerdhal utilise juste ce qu’il faut de termes militaires et de tactique, de choix stratégiques et politiques. Sans excès. Les pages tournent presque toutes seules, la révolution LGBT est en marche !

Mais foin d’un optimisme trop béat et d’un angélisme malvenu. Le militaire laisse place au diplomatique. Et là, ça se corse ! Une autre force de cet ouvrage : la diversité des points de vue, la richesse du propos. Ce n’est pas seulement un roman de guerre militant, c’est aussi une réflexion pertinente sur le pouvoir, ses arcanes. Sans illusion, l’auteur dresse un tableau criant de vérité de ce monde qui nous entoure, des intérêts en jeu, des trahisons, des faiblesses. Mais aussi des envies, de la beauté des sacrifices pour une cause.

Rainbow Warriors, feuille de route pour tenter de changer les choses ? Peut-être pas, mais une aération bienvenue dans un contexte sociétal résigné.

Redshirts

Parmi les nouvelles recrues du vaisseau amiral L’Intrépide embarquent Maia Duvall, belle femme volontaire, Jimmy Hanson, riche héritier, et Andrew Dahl, qui ne tarde pas à remarquer le comportement étrange de l’équipage, dissimulé dans un placard ou occupé à d’autres taches chaque fois que le capitaine Abernathy décide d’une mission, surtout si y participent certains des officiers comme R’hwa, le scientifique du bord, ou l’increvable lieutenant Kerensky, baroudeur souvent blessé, toujours vainqueur. A cela il faut ajouter une mystérieuse boîte qui analyse n’importe quel problème impossible à résoudre pour le solutionner juste à temps avant la catastrophe. L’Intrépide accumule les succès au sein de l’Union Universelle, mais a aussi le plus fort taux de mortalité de la flotte. Et pour cause ! Les combats un peu stupides que mènent les « redshirts » sont en fait issus de l’imagination d’un scénariste hollywoodien pour une série de science-fiction particulièrement calamiteuse, qui ignore que ses créations prennent vie dans un univers parallèle. Forcément, les figurants meurent en nombre et les seconds rôles ne prennent de l’importance que pour décéder dans des circonstances tragiques.

Cette satire de Star Trek et assimilés (l’auteur ayant travaillé sur Stargate : Universe) est une sorte de Galaxy Quest à l’envers, la finesse en moins, où l’on voyait les acteurs d’une série de ce type appelés par des extraterrestres pour sauver l’univers. En effet, par un tour de passe-passe temporel à l’époque de rédaction des épisodes, les « redshirts » tentent de convaincre les auteurs de la série de les épargner.

On comprend mieux, du coup, les intrigues convenues et les insipides dialogues à tire-larigot mâtinés d’un humour potache, parfois graveleux : ils sont à mettre au crédit du scénariste et non de l’auteur, qui n’en profite pas moins pour se laisser à la facilité. Une série de codas comme autant d’emboîtages narratifs permettent de sauver, un peu, cette impression d’une resucée de SF parodique à la Sheckley, voire des années quarante quand on songe à L’Univers en folie de Fredric Brown. Scalzi reste un auteur intéressant, mais inégal. Redshirts se rapproche davantage de l’aimable divertissement, vite lu, vite oublié. Dommage.

Le Diable est au piano

Ce deuxième recueil de Léo Henry (après Les Cahiers du labyrinthe, paru aux défuntes éditions de l’Oxymore en 2003) est un festival stylistique où, en vingt nouvelles, l’auteur déploie ses multiples talents. Relevant davantage du fantastique que de la science-fiction, voire de la pure littérature générale, mais avec ce sens de l’onirisme et du décalage particulier.

La majorité des textes, les plus brillants en tout cas, sont de fascinants jeux littéraires mettant en scène des rencontres fantasmées ou réelles avec d’autres de la même veine, ou avec des personnages littéraires. « Révélations du prince de feu » voit le Corto Maltese de Hugo Pratt et le Blaise Cendrars de Moravagine résoudre une affaire de meurtres dans un Brésil exotique et un vocabulaire luxuriant. Ce premier étourdissement est suivi d’un brillant chassé-croisé temporel : il fallait une érudition borgésienne pour favoriser une rencontre autour de Poe et de Pessoa, l’auteur hétéronyme aux célèbres pastiches, via un Crowley qui leur aurait soufflé la même idée d’un poème. « Quand j’ai voulu ôter le masque, il collait à mon visage » est emblématique de la recette de Léo Henry : la rencontre de figures littératures tissée avec les fils thématiques communs à leur œuvre, des coïncidences biographiques comme le séjour en un même lieu, des relations communes, et un schéma narratif, une écriture, empruntés aux modèles. L’inspiration vient probablement à la faveur d’une bibliographie ou d’inédits exhumés ; ainsi « L’Invention de Guthman », référence au titre de Bioy Casares, qui met en scène, entre autres, Julio Cortazar et Fredi Guthman, trouve probablement sa source dans la correspondance de ce dernier retrouvée et publiée par Aurora Bernárdez, également présente dans le récit. Le repêchage de la gourmette de Saint-Exupéry est l’occasion d’une évocation du pilote hanté dans les moments les plus difficiles de son existence par une amicale présence, on devine laquelle, ne serait-ce qu’à partir du titre, superbe : « Je suis de mon enfance comme d’un pays ». Comme le suggère Mélanie Fazi dans sa dense et pertinente préface, l’inspiration vient des voyages, ceux effectués par l’auteur et ceux des aventuriers baroudeurs auxquels il rend hommage, dans les exotismes sud-américains, surtout littéraires comme l’Argentine, et les gravités austro-hongroises, entre Vienne et Prague (« Fragments retrouvés dans une poubelle de salle de bains, hôtel Venceslau, chambre 604 » convoque Meyrinck, Rilke et surtout Kafka, d’ailleurs récurrent ici). L’autre pôle est la prédilection pour les faux-semblants, pastiches et mystifications littéraires comme Ronceraille (imaginé par Claude Bonnefoy) dans « La Pelle et le pétrin », masques et pseudonymes multiples comme B. Traven/Ret Marut, présent dans le déjanté et hilarant « Indiana Jones et la phalange du troisième secret », où ce dernier, qui en prend pour son grade en tant que stupid US hero, enquête pendant la guerre d’Espagne et jusqu’à Fatima, en compagnie de Georges Orwell, mais aussi d’Ernest He-mingway, des reporters Robert Capa (parfois mystificateur aussi), de Gerda Taro, de la révolutionnaire Pilar Primo de Rivera, etc. « Kiss kiss, bang bang » multiplie les références populaires tout en interrogeant le statut du personnage qui ne vieillit jamais et éclipse son auteur, le tout raconté cette fois par une des James Bond girls.

Un autre point commun est l’alcool, dont les auteurs suscités abusent, et que Léo Henry, qui a déjà relaté les derniers jours de Fredric Brown dans Rouge gueule de bois, évoque en phrases d’une admirable justesse dans maints textes : « Laisse couler, bonhomme », au titre transparent, et surtout « Goudron mouillé, prière dérisoire », hommage parsemé de souvenirs et références au complice littéraire et à l’ami Jacques Mucchielli, à qui le recueil est dédié.

Une bibliophilie monstrueuse est à l’œuvre chez Léo Henry, qui se superpose au réel, comme finit par le faire la pin-up idéale du prisonnier qui en sélectionne soigneusement une par an pour l’ajouter à son mur d’affiches (« Soixante-dix-huit pin-up »), qui cannibalise l’existence, voire en fait son support, comme les œuvres sur peau humaine évoquées dans « Supplément au Bibliophage (1994-2003) ». La traque d’inédits jusque dans l’esprit des morts dans « Les Trois livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais », nouvelle primée au Grand prix de l’imaginaire en 2010, pose bien l’intérêt relatif, assurément douteux, qu’on peut apporter aux tourments des auteurs et aux gestations des récits. C’est l’histoire qui importe, rappelle « Nataraja », aux références mythologiques cette fois. Se préoccuper du talent seul, ici musical et cinématographique, peut être dangereux, comme le souligne l’inversion du thème du pacte méphistophélique (« L’Envers du diable »).

Tant d’érudition et de prédilections pour les masques et les emprunts, les codes secrets, les déchiffrages du réel et les souterrains obscurs s’expriment ailleurs, différemment, dans des textes fantasques ou à coloration science-fictive : la fuite dans l’imaginaire avec la terrible vocation des suicides en maison de retraite (« Arbre sec, arbre seul »), les histoires qu’on se raconte dans une guerre future où chaque mission ouvre droit à des avantages, des frais médicaux à la fille de camp, jusqu’à l’exonération d’un meurtre (« Sur le chemin du retour »). La ville même est un palimpseste qui bruisse d’anecdotes (« Un Festin de pierre »), les rêves de trésors magnifient toujours le réel, rappelle « Au Carrefour genouillé », ultime nouvelle d’un univers de science-fiction qui sera développé plus tard.

Point n’est besoin d’avoir l’érudition de l’auteur pour apprécier ces textes qui fonctionnent par eux-mêmes, quand bien même ils délivrent des clés pour aller au-delà du récit brut : l’érudition est le sel permettant de les savourer. La lecture de ces infernales mécaniques littéraires laisse un peu étourdi par tant de maestria dans les mises en abyme et de talent d’écriture. C’est sûr, Le Diable est au piano, mais Léo Henry a écrit la partition… Elle est éblouissante.

Le Dernier Château et autres crimes

Un roman et trois novellas composent ce sixième opus de Vance au Bélial’, qui poursuit son travail de redécouverte de cet auteur. Il est orchestré autour d’intrigues policières ou de complots de palais, qui sont toujours en lien plus ou moins étroit avec les foisonnants aspects de la planète explorée et de sa société.

Les Maisons d’Iszm est un agréable petit roman qui trouve une résonance nouvelle dans notre actualité, interdisant l’importation frauduleuse de plantes, graines, pollen, pour en tirer des propriétés à des fins mercantiles. En effet, la planète Iszm détient le monopole des multiples variétés de maisons vivantes, dont seuls les exemplaires mâles sont exportés à travers la galaxie. Pour empêcher les rares visiteurs, forcément suspects, de ramener un élément femelle, on les soumet à des contrôles stricts et on les sonde en permanence. A fortiori Aile Farr, que le statut de botaniste met en danger : il n’a pas de plan préconçu, ni de réel désir de voler, pourtant on tente de l’assassiner tout au long de son voyage, et même durant le vol de retour, sans qu’il sache pourquoi, ni si on le manipule. L’intrigue n’apparaît que progressivement, alors que des éléments de l’énigme ont commencé d’être résolus. Le lecteur aurait aimé s’attarder sur ce monde où la technologie est basée sur le végétal pour en découvrir d’autres aspects. Or, la narration est rapide, souvent elliptique, comme si Vance avait livré un synopsis dialogué plutôt qu’une œuvre achevée. Son sens du rythme reste cependant intact, de sorte qu’il parvient malgré tout à équilibrer son roman et à lui donner vigueur.

« Alice et la cité » présente à l’inverse des personnages forts : une jeune fille habituée à aborder des mondes étrangers car ses parents voyagent pour affaires, intelligente et sûre d’elle, un rien méprisante dans ses jugements péremptoires, et Bo, un mauvais garçon manipulateur et imbu de sa personne, habitué à satisfaire ses désirs. Quand ce dernier essuie un échec après s’être montré lourdement entreprenant, il décide de se venger… Une critique ironique des citadins de grandes villes qui pensent profiter de la naïveté des provinciaux.

« Fils de l’arbre » joue sur l’opposition entre la science et la religion. A la recherche de celui qui lui a ravi la femme qu’il aime, Joe Smith débarque sur un monde où toute la population est au service des druides adorateurs d’un arbre gigantesque, religion autour de laquelle tout s’ordonne. Ici aussi, tout arrivant est considéré comme un espion issu de la planète rivale. En tant que mécanicien, Smith n’a aucun mal à trouver un emploi de réparateur sur cette planète où la science et le savoir sont bannis, ce qui lui permettra d’économiser de quoi poursuivre son périple. Mais il tombe malgré lui sur un complot qui l’entraînera sur le monde antagoniste, ce qui, au passage, lui décillera les yeux sur les amours romantiques et les idées toutes faites.

« Le Dernier Château » présente une société de nobles esthètes en proie à la révolte de ses esclaves extraterrestres, les Meks, seuls capables d’entretenir leurs machines dont ils ignorent le fonctionnement. Les Nomades, humains trop longtemps ignorés et méprisés, refusent leur aide. A trop dormir sur ses lauriers, la civilisation est menacée. Résister dignement semble la dernière alternative, pour l’honneur. Du propre aveu de l’auteur, ce récit, prix Nebula 1966 et Hugo 1967, se base sur les différences de classes trop marquées entre les différentes couches de la société japonaise, qui conduisent à la scléroser.

Complots, aveuglements, oppositions idéologiques ou sociales tissent des correspondances d’un récit à l’autre, et sont autant d’échos qui donnent à ce recueil sa cohérence. Comme toujours avec Vance, ses talents de conteur emportent l’adhésion de toutes les classes de lecteurs.

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