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Défaite des maîtres et possesseurs

Les extraterrestres ont gagné. Arrivés secrètement sur Terre après des années d’errance, ils ont fini par se révéler à l’Homme. S’en est suivi un conflit court et violent, conclu par la défaite de l’humanité, en grande partie exterminée par une épidémie provoquée par les envahisseurs. Une guerre des mondes à l’envers, en somme.

Malo Claeys appartient au camp des vainqueurs. Comme beaucoup des siens, il a adopté les mœurs et habitudes des vaincus, poussant le mimétisme jusqu’à les singer dans le moindre de leur défaut. Le bougre a pourtant développé de l’empathie pour ces pauvres créatures, en particulier pour Iris, une jeune femme qu’il a sauvée de l’abattoir. Dépourvu d’existence légale, elle habite clandestinement dans son appartement, suscitant l’angoisse de son possesseur lorsqu’elle sort. Un soir, l’hôpital téléphone. Renversée par un chauffard, Iris est gravement blessée et doit être opérée. Pour Malo, c’est la panique. L’accident arrive au pire moment. Ses adversaires politiques risquent en effet de l’utiliser contre lui, montant en épingle la transgression de la loi dont il s’est rendu coupable. Mais le fait lui remet également en mémoire la lente dissolution de ses certitudes éthiques.

La quatrième de couverture de Défaite des maîtres et possesseurs évoque l’univers de la fable, celui que l’on retrouve dans les contes philosophiques voltairiens ou, plus près de nous, chez James Morrow. L’amateur de science-fiction y retrouvera aussi le goût pour la spéculation, le « et si ? » ouvrant les possibles, ici incarné par une inversion de perspective qui n’est pas sans rappeler celle de Under the Skin de Michel Faber. Le roman de Vincent Message nous renvoie à notre faculté à dresser des barrières psychologiques pour rendre acceptable ce qui demeure insupportable quand on y réfléchit bien. Il nous confronte à notre exploitation du règne animal, voire de la planète, que l’on préfère taire en se cherchant des justifications morales, politiques ou économiques. En faisant descendre l’humanité de son piédestal, il bouscule cet ordre artificiel qu’elle a établi pour son unique profit, ravalant ses membres à la situation de simple travailleur, d’animal de compagnie ou de mets de choix pour les privilégiés. Par sa radicalité insoutenable, jusque dans sa description clinique de l’élevage et de l’abattage des hommes, le propos de Vincent Message interpelle et nous secoue dans notre confort personnel. Il nous interroge dans notre rapport à l’autre, l’être supposé inférieur, et dans notre emprise sur le vivant.

Bref, voici assurément une réussite, susceptible de réconcilier les lecteurs de SF et les amateurs de questionnements moraux et philosophiques.

Le Bassin d’Aphrodite

Troisième volet de la trilogie initiée par Gert Nygårdshaug, Le Bassin d’Aphrodite se place dans la continuation immédiate du Crépuscule de Niobé. D’une tournure plus apaisée, l’histoire s’apparente à une sorte de fly novel entre la Norvège et le Sahara, via le Lac de Garde en Italie, le tout saupoudrée d’allusions à Saint-Exupéry, à son Petit Prince et à la mythologie. Dans une Europe retournée à l’état de forêt primaire, où les rares humains meurent empoisonnés par une substance répandue dans l’eau par les racines des arbres, on suit un père et son fils dans leur quête du paradis perdu. Ayant poussé sa logique jusqu’à son terme fatidique, Mino Aquiles Portoguesa a en effet libéré les semences d’une plante mutante qui a colonisé l’ensemble du continent et du monde, réduisant les hommes et leurs réalisations à des vestiges appelés à disparaître.

Très lente, l’intrigue prend son temps pour démarrer, se focalisant au début sur l’existence retirée de Jonar Snefang et de son fils Erlan. Réfugiés dans une vallée isolée de Norvège pour échapper à la guerre civile européenne, ils vivent seuls dans une cabane, se nourrissant de poissons pêchés dans un étang proche. Rattrapés par la croissance de la forêt, ils ne doivent leur survie qu’à l’usage d’un poison végétal, l’atrazine, et à leur sens de l’observation. Perturbé par un rêve récurrent, Jonar finit par convaincre Erlan de rompre leur isolement. Ils improvisent une expédition à bord de l’hydravion laissé par Mino que la végétation a miraculeuse ment épargné. Le récit prend alors son envol, nous emmenant dans un périple au-dessus d’un vieux continent entièrement recouvert par la forêt. Jusqu’à ce que la réalité et le rêve se rejoignent…

En dépit de sa nature de roman post-apocalyptique, Le Bassin d’Aphrodite se révèle le tome le plus optimiste de la trilogie, si l’on considère que le salut de la planète passe par l’extermination de l’ensemble de l’Humanité. Il est également le volet le plus intime, centré sur le regard de Jonar. Un point de vue entre-coupé par les interventions d’un mystérieux écrivain dont on devine progressivement l’identité. Le roman offre une sorte de rédemption aux survivants, un échantillon idéalisé, prônant un retour à un Eden originel, débarrassé de ses pollutions religieuses, politiques et économiques. Une solution pour le moins radicale que d’aucuns trouveront sans doute trop nihiliste.

Malgré cela, on ne peut s’empêcher de penser que Gert Nygårdshaug trouve ici une conclusion idéale, empreinte d’une touche de féminisme (si si !). Bref, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Abîme du rêve

[Critique commune à Le Rêve du démiurge, intégrale 1/3 et Abîme du rêve.]

En 1994, fort de trois romans primés (La Lune noire d’Orion, Calmann-Lévy, 1980, Rivage des intouchables, Denoël, 1990, et La Ville au fond de l’œil, Denoël, 1996) et d’un essai (La Métamorphose généralisée, Nathan, 1993) en passe de l’être, ayant pris part à deux collectifs s’employant à abattre les frontières des genres, Limite et Nouvelle Fiction, Francis Berthelot publie le premier des neuf volumes que comptera « Le Rêve du Démiurge ». Vingt ans plus tard, voici l’ultime volet et le début de la réédition de cette œuvre magistrale aux allures de saga familiale fantastique.

1953. Olivier, sept ans, sent confusément le poids des années noires qui ont précédé sa naissance. Poussé à espionner ses parents par un pantin, un hussard en uniforme qui semble prendre la parole, il réalise que l’opulente chevelure de sa mère n’est qu’un postiche. Son monde se brise lentement sous le poids du passé, l’ombre de la guerre s’étend sur la scène où se joue la sinistre farce de la différence. Au fil d’une adolescence qui aurait dû le voir s’épanouir, seule la violence du regard des autres le façonne et nourrit ses sens – une violence à même de briser les êtres.

1966. Le cirque Algeiba arpente la Bretagne. Pétrel, adolescent épileptique en proie au constant traumatisme d’un corps qui lui échappe, contemple l’impossible grâce du jongleur Constantin. Rongé par la maladie, celui-ci veut avant de mourir toucher Anaon, l’île que ses livres d’enfant donnaient pour porte vers l’Au-delà. En attendant, malgré sa faiblesse, il se donne à son art qui tout à la fois masque son état et exprime son être. Fasciné, Pétrel s’éveille confusément à la sensualité, pour se heurter aux interdits et préjugés qui, creusant un peu plus encore sa différence, lui enseignent l’injustice – et bientôt la colère. Pour éviter que ces deux-là ne se consument trop vite, il faudra l’amour de Lily-Rhum, qui sous couvert de voyance fait tomber les masques. Et le secours de l’art (qu’il soit cirque ici, plus tard théâtre, peinture ou musique) pour attiser les âmes.

1970. Katri, comédienne hantée par des drames qu’elle refuse d’affronter, tombe sous le charme de Gus, artiste de rue amnésique, privé d’un passé qu’on devine tourmenté d’où n’émerge que la haine de l’Allemagne. Wilfried, le jeune directeur du théâtre, qui ne cache pas son homosexualité, est fasciné par Gus, en qui il discerne les échos de son enfance allemande. À l’amnésie du peintre répond le poids que l’héritage de la guerre fait peser sur les épaules du metteur en scène. Il ne reste qu’à frapper les trois coups. Mélusath, le génie aux allures de faune du trompe-l’œil que Gus a peint dans le hall du théâtre quitte sa fresque pour prendre en main la petite troupe. Plus question de mensonge ou d’oubli, de jouer l’illusion contre le vrai : le génie du théâtre rend les personnages du roman à la scène de leurs propres vies.

Berthelot écrit au présent comme une évidence, d’une plume dont la densité dépouille le réel de l’accessoire pour enluminer l’essentiel. Tout ici touche à l’intime. Pas un souffle d’air, pas un dialogue même qui n’éclaire les enjeux portés par les personnages. Sans cacher l’origine psychanalytique de son écriture, il investit chacun d’eux, jeu de masques qui ancre le cycle dans le terreau fertile de l’entre-mondes des transfictions, qu’il cartographiera plus tard (dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes, « Folio SF », 2005). L’homosexualité, transgression première, est ici le prisme par lequel s’expriment les ravages de la différence, des tabous, du poids des figures parentales et du regard de l’autre, qui créent fêlures, brisures et ravines de l’âme. Seul remède, l’acceptation de soi est offerte aux personnages par l’expression artistique, qui ouvre la voie à l’irruption du fantastique, transgression littéraire à même de fouiller l’obscurité des êtres. La nature intime de ce merveilleux noir qui se développe de volume en volume se voit portée à son apogée avec Abîme du Rêve.

Tour à tour narrateur et personnage de sa propre fiction, Ferenc Bohr est l’auteur du Rêve arborescent. Depuis peu, il doute de sa raison : les personnages de ses romans semblent s’inviter dans la réalité. Olivier, Constantin et les autres, jusqu’à Bran Hadès, le pire d’entre eux, qui quitte les Limbes de la Fiction pour lui adresser des menaces à peine voilées. Là n’est pas le seul péril : les livres ne se vendent pas, et s’ils devaient être pilonnés, leurs personnages en mourraient. Ferenc lui-même ne survivrait pas à la dissolution de ses univers cathartiques. Dans les combats qui s’annoncent, il ne pour ra compter que sur son compagnon… et sur Mélusath. Dialogues alertes, didascalies, scènes jouées : une dernière fois le théâtre déploie ses masques miroirs. Thématique ou poétique, structurelle ou linguistique, la transgression est à son comble. L’auteur-démiurge, Berthelot et Bohr fondus l’un en l’autre, vit des mondes et dans les mondes qu’il offre à ses personnages – et au lecteur qui, démiurge à son tour, abrite les univers qui le nourrissent. Mélusath a joué son dernier tour : le quatrième mur vient de voler en éclats.

Le Rêve est achevé. L’auteur se veut posthume, la musique a quitté les pages de ses romans, le voici compositeur. Mais les personnages qui peuplent les Limbes de sa fiction méritent de vivre en vous. Accueillez-les : vous ne le regrettez pas.

Le Rêve du Démiurge, intégrale 1

[Critique commune à Le Rêve du démiurge, intégrale 1/3 et Abîme du rêve.]

En 1994, fort de trois romans primés (La Lune noire d’Orion, Calmann-Lévy, 1980, Rivage des intouchables, Denoël, 1990, et La Ville au fond de l’œil, Denoël, 1996) et d’un essai (La Métamorphose généralisée, Nathan, 1993) en passe de l’être, ayant pris part à deux collectifs s’employant à abattre les frontières des genres, Limite et Nouvelle Fiction, Francis Berthelot publie le premier des neuf volumes que comptera « Le Rêve du Démiurge ». Vingt ans plus tard, voici l’ultime volet et le début de la réédition de cette œuvre magistrale aux allures de saga familiale fantastique.

1953. Olivier, sept ans, sent confusément le poids des années noires qui ont précédé sa naissance. Poussé à espionner ses parents par un pantin, un hussard en uniforme qui semble prendre la parole, il réalise que l’opulente chevelure de sa mère n’est qu’un postiche. Son monde se brise lentement sous le poids du passé, l’ombre de la guerre s’étend sur la scène où se joue la sinistre farce de la différence. Au fil d’une adolescence qui aurait dû le voir s’épanouir, seule la violence du regard des autres le façonne et nourrit ses sens – une violence à même de briser les êtres.

1966. Le cirque Algeiba arpente la Bretagne. Pétrel, adolescent épileptique en proie au constant traumatisme d’un corps qui lui échappe, contemple l’impossible grâce du jongleur Constantin. Rongé par la maladie, celui-ci veut avant de mourir toucher Anaon, l’île que ses livres d’enfant donnaient pour porte vers l’Au-delà. En attendant, malgré sa faiblesse, il se donne à son art qui tout à la fois masque son état et exprime son être. Fasciné, Pétrel s’éveille confusément à la sensualité, pour se heurter aux interdits et préjugés qui, creusant un peu plus encore sa différence, lui enseignent l’injustice – et bientôt la colère. Pour éviter que ces deux-là ne se consument trop vite, il faudra l’amour de Lily-Rhum, qui sous couvert de voyance fait tomber les masques. Et le secours de l’art (qu’il soit cirque ici, plus tard théâtre, peinture ou musique) pour attiser les âmes.

1970. Katri, comédienne hantée par des drames qu’elle refuse d’affronter, tombe sous le charme de Gus, artiste de rue amnésique, privé d’un passé qu’on devine tourmenté d’où n’émerge que la haine de l’Allemagne. Wilfried, le jeune directeur du théâtre, qui ne cache pas son homosexualité, est fasciné par Gus, en qui il discerne les échos de son enfance allemande. À l’amnésie du peintre répond le poids que l’héritage de la guerre fait peser sur les épaules du metteur en scène. Il ne reste qu’à frapper les trois coups. Mélusath, le génie aux allures de faune du trompe-l’œil que Gus a peint dans le hall du théâtre quitte sa fresque pour prendre en main la petite troupe. Plus question de mensonge ou d’oubli, de jouer l’illusion contre le vrai : le génie du théâtre rend les personnages du roman à la scène de leurs propres vies.

Berthelot écrit au présent comme une évidence, d’une plume dont la densité dépouille le réel de l’accessoire pour enluminer l’essentiel. Tout ici touche à l’intime. Pas un souffle d’air, pas un dialogue même qui n’éclaire les enjeux portés par les personnages. Sans cacher l’origine psychanalytique de son écriture, il investit chacun d’eux, jeu de masques qui ancre le cycle dans le terreau fertile de l’entre-mondes des transfictions, qu’il cartographiera plus tard (dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes, « Folio SF », 2005). L’homosexualité, transgression première, est ici le prisme par lequel s’expriment les ravages de la différence, des tabous, du poids des figures parentales et du regard de l’autre, qui créent fêlures, brisures et ravines de l’âme. Seul remède, l’acceptation de soi est offerte aux personnages par l’expression artistique, qui ouvre la voie à l’irruption du fantastique, transgression littéraire à même de fouiller l’obscurité des êtres. La nature intime de ce merveilleux noir qui se développe de volume en volume se voit portée à son apogée avec Abîme du Rêve.

Tour à tour narrateur et personnage de sa propre fiction, Ferenc Bohr est l’auteur du Rêve arborescent. Depuis peu, il doute de sa raison : les personnages de ses romans semblent s’inviter dans la réalité. Olivier, Constantin et les autres, jusqu’à Bran Hadès, le pire d’entre eux, qui quitte les Limbes de la Fiction pour lui adresser des menaces à peine voilées. Là n’est pas le seul péril : les livres ne se vendent pas, et s’ils devaient être pilonnés, leurs personnages en mourraient. Ferenc lui-même ne survivrait pas à la dissolution de ses univers cathartiques. Dans les combats qui s’annoncent, il ne pour ra compter que sur son compagnon… et sur Mélusath. Dialogues alertes, didascalies, scènes jouées : une dernière fois le théâtre déploie ses masques miroirs. Thématique ou poétique, structurelle ou linguistique, la transgression est à son comble. L’auteur-démiurge, Berthelot et Bohr fondus l’un en l’autre, vit des mondes et dans les mondes qu’il offre à ses personnages – et au lecteur qui, démiurge à son tour, abrite les univers qui le nourrissent. Mélusath a joué son dernier tour : le quatrième mur vient de voler en éclats.

Le Rêve est achevé. L’auteur se veut posthume, la musique a quitté les pages de ses romans, le voici compositeur. Mais les personnages qui peuplent les Limbes de sa fiction méritent de vivre en vous. Accueillez-les : vous ne le regrettez pas.

Les Voyages du fils

[Critique portant sur Les Voyages du fils, Les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, La Grande Danse de la réconciliation, Le Monde des Contrées et Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille.]

Impossible ici de livrer une critique exhaustive de ce qui constitue le plus important moment éditorial de toute la carrière de Jacques Abeille. En effet, pas moins de sept ouvrages, de lui ou à lui consacrés, sortent en l’espace d’un mois : on y trouve un roman réédité (Les Jardins statuaires), d’autres révisés et augmentés (Les Voyages du Fils et Chroniques scandaleuses de Terrèbre), la parution d’un inédit sous le format beau-livre (La Grande danse de la réconciliation), un guide introductif à l’univers des Contrées (Le Monde des Contrées) et un volume d’études, le premier en son genre (Le Dépossédé, territoires de Jacques Abeille), le tout aux éditions du Tripode, sans oublier la réédition du recueil de nouvelles Celles qui viennent avec la nuit, épuisé à ce jour, aux éditions in8. Est-ce pour autant une surprise ? Bien sûr que non, quand on suit depuis 2010 l’aventure éditoriale de cette œuvre hors du commun qui trouve un lectorat de plus en plus large à mesure que sa vaste architecture apparaît plus clairement aux yeux de tous.

D’où un premier constat et non le moindre : c’est fait, le « Cycle des Contrées » est enfin publié chez un seul éditeur, le Tripode (anciennement Attila), dans une même maquette avec couverture de François Schuiten, carte des Contrées de P. Berneron mais aussi des peintures originales réalisées spécialement pour la réédition des Chroniques scandaleuses. Notons de suite également que tout un pan de l’œuvre d’Abeille se révèlera un peu plus précisément au lecteur, celui des textes brefs – pour ne pas dire nouvelles, car tous tissent une seule et même histoire, du fil de la vie d’un mystérieux scripteur qui se dérobe sans cesse aux confins de la fiction. Le lecteur en a déjà eu un bel aperçu l’année dernière avec le recueil Fins de carrière (éditions in8), et il en découvrira l’inspiration érotique dans la réédition augmentée des Chroniques et de Celles qui viennent avec la nuit.

Après la réédition en mars 2015 du Veilleur du jour, le roman d’Éros en Terrèbre, le lecteur attendait de pouvoir enfin redécouvrir Les Voyages du fils et les Chroniques scandaleuses de Terrèbre, qui sont en quelque sorte le cœur battant de l’ensemble romanesque, centré sur deux figures non sans liens : l’une purement fictionnelle qui a déjà fait une apparition dans La Barbarie, Ludovic Lindien, et l’autre à cheval sur notre monde et celui du récit, Léo Barthe. La quête de l’identité au cœur des grands romans se poursuit ici : on y découvre entre autres qui est vraiment le héros du Veilleur du jour, Barthélemy Lécriveur, ce qu’est devenu Felix, l’apprenti de Uen Ord dans Les Barbares, ou encore Licia, comment se sont aimés Barthélemy et Coralie, qui est Ludovic pour Léo, etc. On apprend surtout, par le récit et par l’exemple que constituent les Chroniques publiées sous son nom, qui est Léo Barthe, cet auteur à la réputation sulfureuse, ce frère de lettres qu’on ne saurait distinguer de son jumeau, Abeille. On l’aura compris, le réseau d’un roman à l’autre ne cesse de se faire de plus en plus dense, et le texte inédit ajouté dans chacun des deux volumes concourt un peu plus à construire la cohérence du Cycle. Il ne faudrait pas croire pour autant que Les Voyages et les Chroniques sont accessibles seuls aux initiés : le talent à conter l’aventure, le voyage et la merveille, le mystère et le charme de l’écriture, l’exquise sensibilité de l’érotisme vous emporteront quelle que soit votre connaissance préalable des « Contrées ».

La Grande danse de la réconciliation réunit avec bonheur en un volume unique de nombreux aspects énumérés ci-dessus : texte bref, érotisme, même narrateur en la personne de Ludovic Lindien qui se révèle une nouvelle fois un fin ethnographe (après les Carnets de l’explorateur perdu, Ombres, 1993), servi par les beaux dessins de Gérard Puel.

Celles et ceux qui entrent dans le Cycle par cette triple porte pourront se reporter utilement au Monde des Contrées, dans lequel Éric Darsan et un collectif de graphistes résument et illustrent les grands épisodes des « Contrées ». Quant aux plus avertis, ils trouveront dans le volume d’études réunies par votre serviteur, Le Dépossédé, de quoi découvrir plus intimement une œuvre multiforme et abyssale, en attendant d’en apprendre davantage sur l’écriture érotique d’Abeille/Barthe grâce aux actes à paraître d’un colloque qui s’est tenu sur ce sujet le 13 avril dernier à la bibliothèque de l’Arsenal, deuxième temps d’un triptyque qui se clora en 2017 sur une journée consacrée aux rapports entre arts et poésie chez Jacques Abeille.

Micron noir

2048 : la guerre est devenue un spectacle, un vrai, télévisé et mis en scène. Avec ses prétextes (un différend quelconque entre deux états) et ses vedettes. Dont Gros Luc, ami du narrateur. Un paquet de muscles sans trop de cervelle, dirigé par le micron noir, la drogue qu’il avale à longueur de temps. Sur le terrain de combat, une vraie bête. Dans la vie, un boulet phénoménal au pied de son ami. Malgré la gloire et l’argent, il saute d’une combine foireuse à une autre. La dernière en date : servir d’intermédiaire dans un trafic de micron noir. Le doigt dans un engrenage explosif. La Famille et une sorte de secte militaire sont à ses trousses. C’est parti pour une course-poursuite à multiples inconnues. Seule certitude : Gros Luc doit mourir.

Question classification, Micron noir n’est définitivement pas de la SF. Le choix de l’année et les premières pages ne sont qu’un prétexte. L’étude d’un monde dirigé par la télévision et ses spectacles sans morale n’intéresse par Michel Douard. Il nous brosse en quelques phrases le portrait d’une société déliquescente, simple toile de fond pour la descente aux enfers de ses héros. Et le roman plonge rapidement ses pas dans celui des polars à la papa, mais sous amphétamine. Un croisement entre les intrigues à la Audiard (pas dans sa meilleure période) et certains films américains de série B. On y retrouve, et c’est ce qui fait le sel du bouquin, une galerie de personnages hauts en couleur. À commencer par le copain porte-poisse, emmerdeur version allégée de Jacques Brel dans le film de Molinaro ; ou le méchant aux réactions imprévisibles déjà croisé cent fois, avec ses mimiques et ses exagérations (il va lui exploser la cervelle ou juste faire « bang » et éclater de rire ?) ; mais aussi l’ami du père qui vit dans une cabane immonde loin de toute civilisation et sans même une télévision digne de ce nom. Et la liste ne s’arrête pas là.

Des stéréotypes, donc, à tire-larigot, dans une histoire peu originale. Micron noir n’est pas une lecture ennuyeuse, loin de là. Arriver au bout n’a rien d’un pensum, mais il n’y a décidément pas de quoi casser trois pattes à un canard (même sauvage).

L'Abîme au-delà des rêves

Démarrage sur les chapeaux de roue pour ce nouvel ouvrage de Peter F. Hamilton : Laura Brandt est réveillée en urgence. Le Vermillion, l’un des vaisseaux en route pour une lointaine mission, s’est perdu, avalé par le Vide. Seule chance pour l’équipage : tenter de se poser sur une planète aux caractéristiques favorables. Mais il faudra également explorer une forêt spatiale aux propriétés surprenantes, histoire peut-être de comprendre ce qui leur est arrivé.

Dans la deuxième partie du roman, Nigel Sheldon, bien connu des lecteurs de Peter F. Hamilton, est chargé d’une mission phénoménale : pénétrer le Vide afin d’y découvrir ce qui a pu advenir de ces vaisseaux disparus depuis des centaines d’années.

Enfin, dans la troisième partie, la plus longue, Peter F. Hamilton nous conduit sur Bienvenido, planète sise dans le Vide, dont la société doit affronter une menace continue et terrible : les Fallers. Des œufs noirs tombent du ciel et cherchent à attirer des humains afin de les absorber et prendre leurs places. Le jeune Slvasta a perdu un bras lors d’une rencontre avec cet ennemi venu de la Forêt dans l’espace. Cette aventure lui a amené la gloire et l’a placé en situation de changer la destinée de son peuple. Mais Nigel Sheldon va venir mettre son grain de sel dans ses plans.

Avertissement à ceux qui n’ont pas encore lu « La Trilogie du Vide » : vous pouvez attaquer L’Abîme au-delà des rêves sans aucun souci, car l’auteur y donne tous les détails nécessaires à la bonne compréhension de cet univers et du Vide. Revers de la médaille : il y apporte aussi des informations et des réponses que vous préférerez ignorer si vous avez l’intention (et le courage) de vous plonger dans la trilogie initiale.

Abandonnant le thriller et les expéditions militaires, Peter F. Hamilton fait un retour gagnant dans son genre de prédilection avec « Les Naufragés du Commonwealth », dont le deuxième et dernier tome est annoncé en VO pour la fin de l’année. Ce qui signifie, en passant, que cet auteur parvient enfin à faire plus court (enfin, tout est relatif : 646 pages aux lignes bien remplies pour le premier opus du diptyque annoncé). Et c’est tant mieux. Le rythme y gagne en vigueur et en tempo. L’Abîme au-delà des rêves mêle avec réussite aventures spatiales et révolution ouvrière. En effet, les deux premières parties sont du pur space opera, avec ses races extraterrestres (alliées ou ennemies), ses technologies de pointe (voyage spatial, mais aussi clonage) et ses rapports de force fluctuants. Mais l’essentiel de l’ouvrage prend place sur Bienvenido, gouvernée par un monarque peu ouvert au dialogue social, le Capitaine. Sans parler d’Aothori, le Second, son fils sadique aux mœurs perverses. Face aux inégalités et à l’immobilisme, Slvasta va se retrouver, presque malgré lui, au centre d’une révolution digne de ses homologues français ou russe.

Pour narrer ces aventures, le ton est tour à tour sérieux ou léger, selon que l’on suit Slvasta, jeune homme tragique et habité par une obsession depuis la perte de son bras, ou Nigel Sheldon, dandy détaché de tout – en apparence –, sûr d’avoir tout vu, tout vécu. L’équilibre est habilement trouvé et l’on attend les rares rencontres des deux personnages avec gourmandise. Tout cela transforme L’Abîme au-delà des rêves en véritable page-turner qu’on se prend à regretter d’avoir déjà lu, sachant que la suite n’arrivera pas en France avant 2017. Monde cruel !

Utopiales 2015

Comme chaque automne, l’anthologie des Utopiales regroupe des textes d’une bonne part des invités du festival de Nantes, manifestation centrée cette année 2015 sur les Réalités, comme le commentent Sylvie Lainé et Jérôme Vincent dans leur préface.

On commence assez fort avec un chapitre du prochain roman d’Alain Damasio, où l’injection d’une substance mêlée aux humeurs d’autrui permet de lire les pensées : inventivité verbale, jeux typographiques restituent les émotions avec justesse et poésie dans un récit fluide et coloré – qui ne reste qu’un extrait de roman, néanmoins…

Si certains auteurs jouent avec des notions de réalité parallèle, comme les nantis de Jérôme Noirez s’encanaillant dans des réalités cachées (« Welcome home »), de distorsion de la causalité, prise en défaut avec les bons vivants de Philippe Curval qui démontrent le paradoxe de Zénon d’Élée par l’ivrognerie (« Un demi bien tiré »), brouillée chez Fabien Clavel où les militaires sur une planète brumeuse sont la proie de faux-semblants (« Versus »), d’autres s’acharnent à révéler l’au-delà des apparences, par l’astrologie comme dans la fantasy historique de Jean-Laurent Del Socorro (« Le Vert est éternel »), leurs quêtes montrent bien souvent leurs limites. Silverberg en veut pour preuve l’aventure arrivée à l’explorateur anglais d’une cité improbable perdue au milieu du désert indien (« Smithers et les fantômes du Thar ») : on ne revient pas indemne de l’autre côté. C’est peut-être, aussi, pourquoi il convient de taire certaines réalités (« Intelligence extra-terrestre » de Stéphane Przeybylski).

À trop se couper du réel en se lançant dans des quêtes chimériques, on risque de passer à côté de sa vie : les protagonistes de deux beaux récits qui se répondent, centrés sur l’enfance, illustrent des passions dévorantes d’enfants bloqués dans leur univers rêvé, l’un tournant avec les moyens du bord les délirants épisodes d’un héros de SF (« Les Aventures de Rocket Boy ne s’arrêtent jamais » de Daryl Gregory), le second, amateur de super-héros, cherchant dans les récits d’OVNIs et de contacts l’autre vérité qui lui a sauvé la vie (« Pont-des-Sables » de Laurent Queyssi). Ici, le ton est intimiste et la fracture du réel, qui n’apparaît que brièvement, semble trop dangereuse pour que les narrateurs respectifs s’y engouffrent à leur tour.

Mais les deux récits ont montré que la réalité est une affaire personnelle, qui dépend de la perception qu’on en a, car seule l’immersion garantit la possibilité de l’éprouver de l’intérieur. Autour de ce thème se greffent quelques-uns des plus beaux récits de l’anthologie : si la drogue altère la perception du réel, l’immerseur d’Aliette de Bodard le fait de façon précise : il traduit et adapte les cultures extraterrestres visitées afin que les Galactiques, sous l’apparence d’un avatar, puissent mieux les éprouver (« Immersion »). C’est aussi parce que la conscience ne se détermine pas sous forme de programme qu’un chercheur a doté ses robots d’un réseau sensoriel à partir duquel ils réalisent seuls leur apprentissage, mais sans succès. Pourquoi ? Le regretté Joël Champetier signe avec « Dieu, un, zéro » un texte plein de sensibilité qui se lit sur plusieurs niveaux. Plus émouvant encore, le récit de Charlotte Bousquet, celui d’une vieille Indienne, dernière représentante d’un monde disparu, qui témoigne de son amour pour un cheval à travers un écrit entamé à l’apparition de troubles de mémoire. Autour de la maladie, la vieillesse et la mort, de la mémoire et de l’écrit aussi,« Clôture Creek » rappelle qu’est réel ce que l’on nomme. En écho à la culture partagée au moyen d’un immerseur, « Visage » de Mike Carey propose un intéressant regard croisé entre traditionalistes et progressistes : le civilisateur administrant la justice dans la tribu des Neshims rouges défend la femme à qui le père refuse de restituer les traits du visage retirés par un sortilège, car elle s’entête à vouloir épouser l’homme de son choix. Cette allusion très claire à la condition des femmes soumises par un droit coutumier connaît un intéressant retournement de situation qu’on pourrait résumer par : à chacun son obscurantisme.

La réalité se dissipe d’autant plus vite qu’elle est dépendante de la culture. Au final, on trouve peu de textes interrogeant sa nature et les tentatives pour atteindre l’essence des choses. Les treize récits de cette anthologie sont davantage des tentatives pour faire partager celles que chacun éprouve, dans l’intimité de son être, ce qui est, du reste, ce que les écrivains en général transmettent le mieux.

Grand Central Arena

Le professeur Sandrisson, principal concepteur du moteur Sandrisson de la propulsion hyperluminique, décide de le tester lui-même dans l’espace puisqu’aucune sonde automatisée n’est jamais revenue attester de son efficacité. Parmi l’équipage recruté pour la circonstance, Ariane Austin, pilote chevronnée amatrice de courses de vaisseau spatial en espace confiné (où effleurer la paroi du tunnel est synonyme de catastrophe) et l’ingénieur Marc C. DuQuesne, dont on apprendra qu’il est un hypérion, guerrier doté de capacités physiques et intellectuelles phénoménales dissimulées pour retrouver une forme d’humanité. À peine parti, le Graal est privé de sa propulsion, les IA embarquées ou implantées dans l’équipage étant également inopérantes : il est retenu dans un espace immense où échouent toutes les espèces extraterrestres disposant de cette technologie. Leur morphologie est typique du bestiaire de l’âge d’or de la SF. On ignore les raisons des concepteurs interdisant l’utilisation du voyage hyperluminique et des IA, mais quelques explications avancées, qui répondent aussi au paradoxe de Fermi, sont assez astucieuses. Les concepteurs ne sont jamais visibles, seulement audibles pour énoncer avertissements et sanctions et définir le cadre des défis que se lancent les factions qui s’affrontent au sein de l’Arène. Car pour bénéficier de certains avantages dans cette enceinte, voire disposer du nécessaire pour rentrer chez soi, il convient de s’affronter dans des épreuves, aux enjeux parfois conséquents pour l’espèce entière. L’équipage apprend sur le tas les règles du lieu et le comportement à observer selon les espèces, le plus souvent à la faveur de maladresses et de naïvetés, en faisant preuve aussi d’une irascibilité d’une rare inconséquence, que cette élite justifie par sa difficulté à garder son sang-froid. Ainsi, suite à la bousculade par un Bug-Eyed Monster malotru d’une espèce encore jamais croisée, mais dont l’apparence devrait dissuader n’importe qui évoluant en milieu inconnu de répliquer, il est demandé sèchement de s’excuser devant la dame. Mais puisque l’Humanité ne se laisse jamais démonter, elle gagnera sa place au sein des espèces confinées là, c’est-à-dire tout en haut.

On l’aura compris : il s’agit d’un hommage au space opera des origines, notamment à E. E. Doc Smith qui en est l’inventeur : un vaisseau est baptisé Fulgur et Marc C. DuQuesne est le nom d’un méchant de La Curée des astres, premier roman de Doc Smith en 1919. Autant dire qu’on y trouve de la grande aventure sans complexe, à la croisée de Stargate et Babylon 5, mais dans la façon des pulps, avec des héros d’une épaisseur psychologique inférieure au nanomètre et des ressorts convenus qui font passer les grosses ficelles de séries B pour des audaces postmodernes. L’intrigue générale ne manque pourtant pas d’attraits, on y trouve même quelques belles idées, et les pièces du puzzle s’emboîtent joliment ; en revanche, la manière de les amener est confondante d’amateurisme, de même que les dialogues destinés à délivrer des informations au lecteur, d’une artificialité qui échappe à la logique…

Premier volume d’une trilogie écrite par un surdiplômé, coordinateur en R&D d’une entreprise high tech, Grand Central Arena est un space opera on ne peut plus vintage, qui semble avoir été écrit en ces temps héroïques. Il ne reste qu’à reprendre les propos de Serge-André Bertrand en 1973, à propos du Premier Fulgur, deuxième de la série de Smith : « Si vous aimez ça, vous en aurez ici pour votre argent. »

Les Affinités

Adam Fisk, le vilain canard de la famille, suit des études de graphisme à l’écart d’un père WASP, d’une belle-mère soumise, de son frère aîné qui a réussi conformément aux attentes parentales, et de son jeune demi-frère, d’une sensibilité équivalente à la sienne. C’est sa grand-mère qui finance sa formation artistique, mais elle va mal et son placement en maison de retraite va bientôt inciter la famille à faire des choix. Isolé, il effectue le test d’InterAlia qui permet de connaître objectivement les gens avec lesquels il a le plus d’affinités, parmi une classification de vingt-deux types : cela va du test cognitif à l’analyse par ADN. Au sein des tranches ainsi identifiées, cinq dominent, dont les Tau, à laquelle il appartient. C’est une nouvelle vie qui s’ouvre à Adam grâce à la cooptation de ses pairs : travail, logement, règlement de problèmes divers – les obstacles s’effacent du fait de l’entente liant les membres entre eux, une entente exclusive, au détriment de ceux qui ne sont pas de la fratrie, une entente radicale, même, qui en essaimant à travers le monde impose un redécoupage social menaçant les anciennes hégémonies et annonçant de futurs conflits de castes.

On ne choisit pas sa famille, pas plus qu’on ne choisit ses amis : tout est déterminé par un ensemble de paramètres objectifs allant bien au-delà de la constitution des réseaux sociaux que l’éditeur met en perspective dans son accroche. Les Affinités ne se contentent pas d’accumuler les amis ou les followers, mais proposent un système d’entraide équivalent à la franc-maçonnerie, en opposition à l’organisation étatique centralisée qui a fait son temps. Wilson détourne là, et radicalise, en bon auteur de SF, le concept de téléodynamique sociale, une analyse des processus thermodynamiques rapportés au vivant, et notamment la conscience. L’étude des interactions dans un même milieu, qui, depuis l’écologie, s’est étendue aussi bien à la génétique, la bactériologie, la neurologie, la protéomique, qu’à divers aspects de la société, annonce un monde non plus centralisé, mais gouverné par les liens qui le constituent, et que les outils informatiques ont permis de mettre en évidence. De ce point de vue, le roman, en apparence mineur, si on n’y veut voir que le récit d’élites entrant en concurrence, dessine les zones d’affrontement d’une humanité en pleine mutation, attachée à remédier aux désordres planétaires de la pollution et de l’environnement, redéfinissant les priorités autour d’une culture et d’une conscience globales opposées aux civilisations antérieures, dont on perçoit l’effondrement en arrière-plan.

Constatant ce changement de paradigme, le récit est une mise en garde contre l’utilisation prédatrice du numérique, et partant, des réseaux sociaux qui facilitent la catégorisation des individus par tranches culturelles, psychologiques, professionnelles ou autres, au risque de favoriser la constitution d’élites, par essence antagonistes. C’est cette dérive que met en scène le roman en trois parties bien définies : la reconnaissance de soi offrant un havre d’accueil (Une Maison par une nuit d’hiver), l’appartenance liée au phénomène de bande (Une Théorie de tous) et la relation exclusive, agressive, débouchant sur l’asservissement à sa faction (Guerre de tranches).

Comme toujours chez Wilson, l’histoire personnelle rattrape l’intrigue générale. Ainsi les relations familiales, notamment entre les frères et aussi avec Jenny, l’amie d’enfance promise à Adam avant qu’il ne rejoigne le groupe Tau, quittent le background pour progressivement passer au premier plan du récit : la téléodynamique fonctionne aussi à ce niveau. Robert Charles Wilson, et c’est là son grand talent, passe ainsi du général au particulier, ce qui permet de multiplier les éclairages et de rappeler qu’une théorie ou un processus, pour étayé qu’il soit par les mathématiques, n’est qu’une façon de voir le monde : la trajectoire d’Adam Fisk, bien qu’illustrant le phénomène des interactions transversales et non plus de proximité, traite des questions bien plus universelles de la solitude et de quête d’identité, des conflits de loyauté et, in fine, de la place de chacun dans le monde. Cette façon d’aborder les grandes questions de notre temps par le petit bout de la lorgnette nous les rend bien plus intelligibles ; elle permettra peut-être à tout un chacun de déterminer si le monde est jeune ou vieux.

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