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Le Chemin des ombres

[Critique commune à Le Chemin des ombres, Fleurs de dragon et Le Shogûn de l'ombre.]

Autant le dire tout de suite, nous sommes un certain nombre à Bifrost à apprécier les romans et nouvelles de Jérôme Noirez. Lorsqu’il écrit, l’auteur ne fait pas dans la demi-mesure, bien au contraire, il ferait plutôt dans la démesure et la générosité. Un sentiment renforcé par une prose limpide oscillant entre poésie et cruauté. Les romans de Noirez ne se conquièrent pas de haute lutte. Ils vous happent dans leur filet pour vous relâcher l’esprit hanté par des émotions contrastées.

Avec le diptyque Fleurs de dragon / Le Shôgun de l’ombre et Le chemin des ombres, romans destinés à la jeunesse, l’auteur français ne délaisse pas complètement les récits bizarres peuplés de fantômes et autres monstruosités. Il aborde les territoires de l’imaginaire nippon. Une découverte suscitant émerveillement et respect comme on va le voir. Pour autant, il n’édulcore pas la violence des relations humaines au profit d’un propos lénifiant.

 

Conte d’un Japon légendaire

 

Paru à l’origine dans la défunte collection « Royaumes perdus » des éditions Mango jeunesse, Le Chemin des ombres s’inscrit pleinement dans la déclaration d’intention défendue par Xavier Mauméjean, son directeur : « Parlons de ce qui n’existait pas (...) des romans qui seraient dédiés à l’imaginaire du monde entier. C’est-à-dire aux contes et légendes qui forment le merveilleux de toutes les cultures. »

Tout commence à la manière d’un dessin animé de Hayao Miyazaki. Niché dans une vallée retirée, le village de Nichu coule des jours paisibles à une époque où l’Histoire demeure incertaine. Ses habitants y goûtent une quiétude salutaire, à l’abri des turbulences du vaste monde, entre rizière et culture du mûrier, sous la conduite de Amaterasu, leur uji-no-kami, autrement dit, l’esprit vivant de la petite communauté. Mais le bonheur, s’il n’est pas le sentiment le mieux partagé du monde, est également une denrée fragile. Confronté à l’appétit insatiable de pouvoir de la reine Himiko, la jeune Amaterasu doit accomplir son devoir : faire face pour protéger les siens. Et laisser de côté sa peine. D’abord, un deuil familial qu’elle n’a toujours pas réussi à faire. Puis un conflit ouvert avec son frère Susanowo, jeune homme insensé et violent, exilé désormais dans la montagne où il vit comme un sauvage. Sans oublier un père absent et une mère morte dans des circonstances dramatiques. Ecrasée par la douleur et le devoir, Amaterasu craint de ne pas disposer de la sérénité nécessaire pour jouer son rôle de guide politique et spirituel. La solution à ses tourments se trouve-t-elle au pays des morts, comme tous les signes le laissent présager ? Le chemin de l’ombre conduit-il à la lumière du soleil levant ?

On l’a compris, l’intrigue du roman de Jérôme Noirez relève essentiellement du conte. Un conte cruel empreint de noirceur et de violence. L’auteur français fait sien l’Imaginaire japonais, revisitant avec talent le panthéon shintoïste et proposant une adaptation personnelle du mythe de Amaterasu. Au-delà du mythe, le récit est jalonné de rencontres — kamis, tengus et esprits des défunts — qui apparaissent comme autant d’épreuves contribuant à reforger une chaîne familiale brisée par le déni et le crime. Loin d’être le cocon dans lequel la chrysalide attend de muer pour prendre son envol, la cellule familiale de Amaterasu est affrontement, traumatisme, incompréhension, trahison… Et pourtant, elle doit être aussi le lieu de la réconciliation et celui de l’harmonie retrouvée. Le creuset autour duquel le clan, voire la future nation, s’enracinent.

Ainsi, le périple de Amaterasu et Susanowo s’apparente par bien des aspects à un récit initiatique. Il offre quelques parenthèses poétiques de toute beauté, ne négligeant par les ressorts de l’effroi comme tout conte qui se respecte. On pense notamment à l’atmosphère magique du passage centré sur la cascade dans la montagne. On reste aussi imprégné par les paysages cauchemardesques traversés par les enfants durant leur voyage sous terre.

Bref, pour toutes ces raisons, Le Chemin des ombres est une œuvre hautement recommandable.

 

Japon des temps héroïques, Japon des temps historiques

 

Contrairement à ce que laisse penser la réédition chez J’ai Lu, on ne trouve pas une once de fantasy dans Fleurs de dragon et Le Shôgun de l’ombre. Tout au plus y plane-t-il une ambiance de mystère, de celle régnant sur bon nombre de romans policiers d’antan, genre dont relèvent manifestement ces deux titres. Parus initialement dans la collection « Courants noirs » des excellentes éditions pour la jeunesse Gulf Stream, Fleurs de dragon et Le Shôgun de l’ombre forment un diptyque dont les deux parties peuvent se lire de façon indépendante. Il est tout de même recommandé de commencer par Fleurs de dragon, ne serait-ce que pour comprendre les allusions sous-jacentes et mieux apprécier les liens noués entre les personnages.

Si le diptyque semble s’inscrire dans le registre de l’enquête, le terme est à prendre ici dans le sens donné par Hérodote. En effet, Jérôme Noirez nous immerge au cœur du XVe siècle nippon. Une période pour le moins troublée, où le Japon, en proie au désordre, subit une quasi-guerre civile opposant clans rivaux, shôgunat et daimyos querelleurs. Sur ce point, on ne peut guère reprocher à l’auteur de négliger sa documentation historique. En cela, il répond parfaitement au cahier des charges de la collection, fournissant de surcroît en appendices des informations précieuses sur le panthéon nippon, les armes, la mesure du temps, l’Histoire, l’art du nô, l’écriture et le kemari (le football japonais). Heureusement, ce didactisme ne s’exerce pas au détriment de l’histoire. La narration reste très soignée, distillant les informations au fur et à mesure de l’intrigue.

Car si l’Histoire constitue les œuvres vives du diptyque, ses ressorts sont sans doute à rechercher du côté du roman d’aventure et du chandara (ou chambara), le récit de cape et d’épée japonais. Un genre à la codification très théâtrale, comportant son lot de figures obligées et de démonstrations visuelles. Du pain bénit pour le cinéma.

Fleurs de dragon entraîne ainsi le lecteur à la poursuite d’un criminel s’attaquant aux samouraïs. Des forfaits particulièrement sanglants auxquels l’Etat, même affaibli par les guerres d’Ônin, se doit de répondre. On fait appel à l’enquêteur Ryôsaku, fidèle serviteur parmi les fidèles, un personnage dont la probité n’est plus à prouver. Mais comme l’affaire semble périlleuse, on lui adjoint trois jeunes samouraïs pour le seconder, un trio dont il va se charger de parfaire l’éducation. Les indices relevés par nos enquêteurs ne tardent pas à les amener dans une vallée perdue. C’est là qu’ils vont affronter l’auteur de ces crimes épouvantables, un meurtrier inspiré par un maître mystérieux : le shôgun de l’ombre.

Celui qui « est tout ce dont les ténèbres sont faites » marque de son empreinte le second volet. Une présence intangible hantant les rues de Kyoto, capitale convalescente, encore meurtrie par des décennies de guerre, d’un Japon reconstitué une fois de plus ici avec talent. Toutefois, si le complot fomenté par ce shôgun de l’ombre fournit le fil directeur de l’histoire, celle-ci emprunte les voies du roman d’apprentissage. En effet, les personnalités des trois jeunes samouraïs dominent l’intrigue. De leurs relations avec leur maître Ryosaku, de leurs interactions mutuelles naît un récit mature jalonné de flambées de violence sèche, oscillant entre bouffonnerie et drame, pour notre plus grand plaisir.

Au final, on l’a compris, le diptyque Fleurs de dragon / Le Shôgun de l’ombre apparaît comme une vraie réussite, où la vraisemblance de la reconstitution historique se conjugue aux qualités de narration d’un auteur manifestement à l’aise avec son sujet.

Enfin la nuit

Un 23 janvier, la nuit disparaît. Du moins en France. Ailleurs, on ne sait guère. Le ciel se teinte d’un jaune éblouissant et l’hiver est aboli par tant d’ensoleillement. Quant aux gens, les voici déboussolés. Les uns meurent, les autres fuient — mais pour aller où ? Fuir et tout abandonner derrière lui, c’est ce que fait Thomas, un policier. Au cours de son errance, il rencontre Sophie, une ado de seize ans avec qui il poursuit sa route, jusqu’à une gare où des gens désœuvrés attendent un train. D’où vient le train ? Pour aller où ? Viendra-t-il seulement ? Personne ne le sait ; tout le monde attend. Par la suite, Thomas poursuit seul son chemin dans des paysages désolés, jusqu’à rencontrer Etienne, un autre flic qui a aimé une autre Sophie…

De Camille Leboulanger, tout jeune auteur, on a pu lire « 78 ans » dans l’anthologie Ceux qui nous veulent du bien (chez la Volte), une nouvelle qui brille par… pas grand-chose. Son insignifiance, peut-être, qui donnait peu d’attentes sur ce court et premier roman.

Enfin la nuit ne s’attarde guère sur le phénomène à l’origine de l’intrigue. Quelques hypothèses sont vaguement évoquées, et c’est tout. Que la nuit cesse est une chose pour laquelle on peut bien suspendre son incrédulité, pour peu que les conséquences du phénomène soient correctement exploitées. Ici, on se demande bien pourquoi ce jour éternel provoque une telle mortalité en France, pourquoi l’électricité cesse de fonctionner quasiment partout, pourquoi la faune et la flore sont moins affectées que les humains. Cette légèreté dans le traitement de ce qui est quand même qualifié de « fin du monde » déçoit autant qu’elle agace.

De toute évidence, l’intérêt se situe davantage du côté des personnages, des êtres que la vie bosselle mais pour lesquels on pourra avoir quelque difficulté à éprouver de l’empathie. Seule la mort de Sophie amène un bref sursaut d’émotion, car aussi brutale qu’inattendue. Pour le reste, le détachement du lecteur vis-à-vis de Thomas est le même que celui de Thomas par rapport au monde. Et puis il y a Etienne, l’alter ego de Thomas, que l’on aperçoit sporadiquement dans des chapitres narrés à la première personne et dont on ne saisit guère l’apport à l’histoire. Dédoublement de personnalité ? Même pas. Et ce qui aurait pu être un enjeu narratif (la rencontre des deux hommes) tombe à plat. De fait, Enfin la nuit manque cruellement d’horizon d’attente : le jour perpétuel n’est pas assez pesant pour que l’on souhaite avec ardeur le retour de la nuit.

Enfin la nuit n’est pas sans faire penser à La Route de Cormac McCarthy. Quoiqu’ici on se situe plutôt sur un chemin de campagne, chemin qui ne mène pas aussi loin que souhaité. A vrai dire, on se demande quelle était la destination proposée par l’auteur. Néanmoins, la balade n’est pas désagréable à lire, avec une écriture volontiers cynique et faisant la part belle à l’humour noir et aux formules qui font mouche. Au final, on peut se montrer curieux de savoir ce que ce jeune auteur proposera par la suite, en espérant que le résultat s’avère davantage abouti.

Les Harmoniques célestes

Septième volume des nouvelles de Jean-Claude Dunyach, Les Harmoniques célestes compte six textes s’étalant de 1997 à 2011, dont trois inédits, ce qui est appréciable. Des textes relativement récents dans la carrière de l’auteur, donc, avec notamment « Repli sur soie », prix Rosny ainé 2008 (initialement paru dans le Bifrost n°47). Au menu, des textes qui parlent de la mort, d’expériences ou d’inventions, de tentatives de déchiffrer la trame de l’univers…

« Les Harmoniques célestes », qui ouvre le recueil, est l’un des inédits, et la nouvelle la plus longue puisqu’elle représente à elle seule près de la moitié du livre. Un scientifique découvre l’effet apaisant qu’ont les lampes scialytiques (celles des salles d’opération) sur des patients sur le point de mourir ; des années plus tard, il est engagé par la fille d’un riche homme d’affaires qui souhaite assouvir sa soif de vengeance… Un texte ciselé aux multiples thématiques, sur la joie de la découverte scientifique, mais aussi les dangers de la science, les relations filiales, l’avenir écologique… Un condensé de Dunyach, en somme : du style, des idées, de l’humanité, une pointe d’ironie ; une belle entrée en matière.

Changement de décor et de traitement avec « La Fin des cerisiers » : une équipe de tournage hollywoodienne va apprendre à ses dépens que l’on ne foule pas impunément au pied les valeurs japonaises. Un récit qui permet à l’auteur de dépeindre avec acidité un milieu du cinéma pétri de petites lâchetés et de promesses non tenues. Mineur, malgré une gestion intéressante du climax horrifique.

« Les Cœurs silencieux » reprend une partie des thématiques du premier texte : un homme crée une substance qui décuple l’empathie de celui qui l’ingère. Sa découverte bouleverse profondément et durablement la société, générant une société utopique, tout le monde tenant compte de son prochain. Un beau rêve, qui ne va pas sans une pointe d’amertume quant à certaines des conséquences de cette invention.

Dans « Repli sur soie », un jeune homme apprend l’art de l’origami (le pliage de papier japonais) et le prolonge de telle sorte qu’à l’âge adulte, ce n’est plus le papier qu’il plie, mais bien l’univers. Au risque d’y laisser des plumes… Un texte sur le thème des fractales, dans lequel la construction, plus que toute autre chose, s’avère primordiale ; Dunyach s’en acquitte très bien, en rajoutant le petit plus d’humanité qui le caractérise, là où Greg Egan aurait sans doute livré un texte plus cérébral. Le prix Rosny aîné n’était pas usurpé.

« Aime ton ennemi » prend à bras le corps l’avenir écologique de la planète, et repose aussi sur une invention bluffante : ici, des plantes capables d’absorber les produits toxiques. Encore une bien belle idée, qui malheureusement aura sa contrepartie particulièrement atroce.

Dans « Visiteur secret », un couple en pleins ébats voit surgir de nulle part un homme en scaphandre, muet et immobile, qui reste durant des heures dans leur appartement. Une nouvelle qui revisite un thème largement usité de la SF, sous un angle inédit gentiment érotique.

Les Harmoniques célestes, recueil homogène dont le titre correspond parfaitement à son auteur, confirme une fois encore que l’on tient en la personne de Jean-Claude Dunyach l’un des meilleurs nouvellistes français. Les idées sont brillantes, exposées de manière claire sans basculer dans une sécheresse de cours magistral, l’empathie omniprésente mais bien souvent pondérée par une once d’acidité très humaine, et la construction soignée fait écho au propos. On en redemande.

L'Année du rat

France, dans un futur relativement proche. Chim’, lieutenant de la Brigade de Recherche et Traque (organisme de barbouzes viriles), mène l’enquête sur un terrible meurtre multiple dans une ferme normande. Les victimes ont été sauvagement assassinées, et certaines portent la marque de dents d’animaux. Ses recherches vont rapidement l’emmener sur la piste des multinationales qui trafiquent les OGM. Mais sait-il vraiment quels sont les dangers qui l’attendent ? Sans doute, puisqu’une vieille chiromancienne chinoise lui a prédit qu’il mourrait dans l’année.

Régis Descott, plutôt habitué des thématiques de la folie et de la psychiatrie, se lance avec L’Année du rat dans le thriller politico-écologique. Du point de vue du thriller, il faut lui reconnaître une certaine efficacité, le roman se lit plutôt très bien, même si l’auteur est loin d’éblouir par son style, direct et efficace. On tourne ainsi les pages de manière assez compulsive, mais on doit néanmoins rapidement déchanter : entre clichés et intrigue prévisible et incohérente, le savoir-faire de Descott prend du plomb dans l’aile. Au rayon des clichés : la brigade (BRT) et sa galerie de policiers tous plus tarés et improbables les uns que les autres ; le personnage principal qui tente bien évidemment de renouer avec son amour perdu (qui lui avait laissé en guise d’adieu un petit rongeur qui meurt au début du roman) ; les méchantes multinationales sans âme… Quant aux développements que l’on voit à l’avance, la nature des manipulations génétiques, l’identité de ceux qui veulent stopper l’enquête et la carrière de Chim’… Pour les invraisemblances : le traitement de l’exposition à la radioactivité ; le lieutenant, qui vit pendant quatre ans avec une femme, à aucun moment n’a l’idée de lui demander quel est son métier… Ajoutons à cela une dernière scène invraisemblable, bâtie sur une révélation que l’on devinait vaguement mais qui relève clairement du n’importe quoi (et qui reprend une des phrases les plus connues du cinéma de science-fiction), et l’on comprendra qu’on ne tirera pas grand-chose de ce roman, hormis une lecture rapide. Et quelques éclats de rire involontaires : ceux évoqués ci-dessus, et certains dus aux travers du thriller, comme la manie de dater les chapitres ; quand ce procédé culmine dans deux chapitres successifs, où l’action se déroule dans la continuité, et que ces deux chapitres commencent par « Siège de la BRT. 31 janvier, 13h30 » et « Siège de la BRT. 31 janvier, 13h35 », cela fait doucement rigoler. On passe, et sans regret.

Palimpseste

Issu du XXIe siècle, Pierce a été recruté par la Stase, un « système capable de perpétuer la vie humaine sur une durée mille fois supérieure à la durée de vie de notre soleil ». Dans ce but, l’organisation privilégie deux modes d’action. En amont, elle utilise des portes ouvrant sur des tunnels reliant deux accès dans un espace-temps quadridimensionnel, cela afin de préserver au sein du Réensemencement des spécimens d’humanité capables de survivre à l’anéantissement de leur civilisation. Les élus sont « réimplantés » dans une époque neutre en vue d’un nouveau début. En aval, elle double cette gestion démographique par un reformatage continuel du système solaire. Cette restructuration nécessaire permet un prolongement maximal de l’habitabilité du monde. La Terre est ainsi sauvée des milliers de fois, au prix toutefois de la destruction d’autant de biosphères.

Pierce donne entière satisfaction, depuis son enrôlement qui lui a réclamé le meurtre de son grand-père, paradoxe de Barjavel qui vaut ici pour rite initiatique. Sa formation achevée lui a valu d’assassiner l’un de ses milliers de « moi-fantômes » coexistant dans des durées alternatives, afin d’obtenir son diplôme. Pierce coule des jours heureux auprès de son épouse Xiri, qui appartient à une culture avancée connaissant l’existence de la Stase. Elle lui a donné trois enfants (p. 63), ou deux (p. 136), sans que le héros ou le lecteur puisse trancher, puisqu’il existe des incohérences entre les souvenirs des agents et la version de l’Histoire consignée dans la Bibliothèque. Celle-ci archive la majeure partie de l’histoire humaine en vue de l’établissement d’une histoire absolue, aussi la somme des connaissances y est-elle enregistrée. Mais elle contient aussi tous les compossibles, réels non advenus ou advenus mais oblitérés. Autrement dit ce qui forme la non-Histoire, pile quasi-infinie de bifurcations possibles.

Un jour, toute la famille de Pierce disparaît sous l’effet semble-t-il d’un palimpseste, terme qui désignait jadis un parchemin dont le texte était gratté afin d’être réutilisé, et signifie pour la Stase une période de l’Histoire plusieurs fois réécrite. Impossible pour Pierce de retrouver son passé sauf à découvrir l’endroit précis où ce secteur de l’Histoire a été altéré.

Avec ce court roman qu’est Palimpseste, Charles Stross se réapproprie de manière parfaitement assumée des pans entiers de l’Age d’or. Cela, en privilégiant deux axes narratifs. D’une part il réactive les codes liés aux univers parallèles ou réalités alternées présents chez, par exemple, H. Beam Piper et Keith Laumer. D’autre part, l’auteur offre un démarquage du cycle La Patrouille du Temps en usant non pas de références générales, mais bien d’éléments essentiels à l’univers bâti par Poul Anderson. Ainsi, de la langue propre aux agents (ici nommée urem), d’une contre-organisation au moins aussi puissante (l’Opposition dans Palimpseste), et d’un service des Affaires Internes, omniprésent chez Anderson mais tout autant marquant chez Stross depuis Le Bureau de atrocités. Tout comme la société des Danelliens chez Anderson, la Stase poursuit des motifs mystérieux et égoïstes par-delà les intentions obvies : « Les Affaires internes sont une excroissance de la Stase, et elles la phagocytent. » (p.153)

Retour à l’Age d’or, donc. Le plus remarquable dans Palimpseste est l’adéquation entre le fond et la forme. Dans le cadre du Réensemencement, la Stase conserve de l’humanité ses spécimens les plus primitifs, et donc plus aptes à survivre. De même, Charles Stross ne retient de la science-fiction que ses créations originelles, comme s’il cherchait à enclencher un nouveau départ pour le genre. Dans le récit, les humains sélectionnés sont viables malgré une absence totale de civilisation, et pourront en bâtir une nouvelle. Palimpseste ne retient que les codes capables de subsister en dehors des errements postmodernes de la science-fiction, avec l’intention d’insuffler une nouvelle vie au genre.

Le récit de Charles Stross « réimplante » l’humanité au niveau narratif, et veut « réimplanter » la science-fiction dans sa dimension éditoriale. A partir de là, et en dépit de son caractère inabouti (trop d’idées non exploitées) qui marque peut-être la volonté justement de revenir au récit brut, on ne peut s’étonner que ce texte ait été couronné du prix Hugo 2010 (catégorie novella). Une décision cohérente, qui sanctionne positivement un récit plaisant mais à défauts, dont la qualité principale est de vouloir faire revivre la science-fiction.

De même, on ne s’étonnera pas de voir son excellente traduction par Florence Dolisi dans la jeune collection « Nouveaux millénaires ». Celle-ci adopte la même démarche que Charles Stross en se réclamant d’une valeur sûre, sa sœur aînée « Millénaires ». Là aussi, avec la louable intention de relancer le genre. Mais de même que Palimpseste donne trop souvent l’impression d’un inventaire, Nouveaux Millénaires fait pour l’instant figure de catalogue, proposant pêle-mêle un roman prélude à une série (Idlewild de Nick Sagan, critiqué dans le Bifrost n° 63), un essai biographique de Daniel Keyes (chroniqué dans le présent numéro) et maintenant une novella. Bref, tout ce qui fait la différence entre un tout et un tas, un ensemble homogène et un groupe hétérogène. Palimpeste renonce aux acquis du genre pour lui forger une nouvelle identité, quand « Nouveaux millénaires » retourne en arrière en espérant se trouver une personnalité. Ce qui pour l’instant est loin d’être le cas. Mais, nous l’avons dit, la collection est encore jeune, et gageons qu’elle sera aussi couronnée de prix pour ses efforts. Reste que, pour l’instant, J’ai Lu échoue avec sa collection de science-fiction là où Mnémos paraît réussir en fantasy. La première reprend artificiellement des recettes éprouvées sans pour l’instant convaincre. La seconde revient naturellement à ses fondamentaux sans rupture, changement dans la continuité qui moissonne les prix. Cette différence est-elle imputable aux genres (science-fiction vs fantasy) ou aux éditeurs (d’un côté un grand groupe localement concerné en son sein par la SF, de l’autre un petit éditeur qui ne vit que pour et par la fantasy) ? Nous serions bien en peine de répondre.

Aussi revenons à ce que « Nouveaux millénaires » nous propose : Palimpseste, court roman signé Charles Stross, dont la lecture agréable s’avère toutefois dispensable à onze euros les cent cinquante-huit pages écrites gros. On invitera le lecteur à attendre sa reprise poche pour le découvrir.

Frères lointains

Avec le présent recueil de nouvelles, et toujours sous la houlette de Pierre-Paul Durastanti, les éditions Le Bélial’ poursuivent leur travail de redécouvertes des courts récits de Simak. Le choix du titre établit la jonction avec Voisins d’ailleurs, variation pertinente sur un même thème puisque dans ces courts récits et deux novellas, l’anthologiste offre ici de Simak différentes déclinaisons de ses préoccupations habituelles. Pour faire simple, mentionnons le souci de l’autre, l’humanité qui n’est pas nécessairement l’apanage de l’humain, l’universalité diffractée dans un essaim de cultures, ou l’individu de préférence âgé qui s’avère être l’élu sans pour autant répondre à l’image traditionnelle du héros. L’analyse des différentes lignes de force qui parcourent l’œuvre de l’auteur est excellemment conduite par Philippe Boulier dans sa postface, aussi n’allons-nous pas faire doublon comme ces putains de mimes qui vous pourrissent la vie dans les parcs.

« Le Frère » met en scène Edward Lambert, écrivain naturaliste des contrées américaines. L’auteur se souvient du temps de sa jeunesse, lorsqu’il travaillait à la ferme familiale avec son frère jumeau. Depuis, Phil est devenu astronaute, sans que cela change apparemment rien à leur complicité puisque, comme il est dit page 23 : « à distance, chacun savait ce que l’autre fabriquait ». De temps à autre, le voyageur des étoiles revient lui rendre visite, mais au fil du récit on en vient à s’interroger sur la réalité de cette fratrie. Publié en 1977, ce texte doux-amer tient parfaitement sa place en ouverture du recueil, dans la mesure où il pose d’entrée une bonne part des ressorts de Simak, jusqu’aux petits riens qui font le bonheur d’une vie simple, à l’image de la tarte aux mûres confectionnée par Katie la voisine.

Publié exactement vingt ans auparavant, « La Planète des Reflets » décrit les retards continuels de chantier rencontrés par une expédition terrienne, suite au comportement étrange des habitants. Ceux-ci, créatures humanoïdes qui vont nues et ressemblent à des poupées de chiffons, ne cessent de désosser les machines pour en étudier leurs entrailles. En retour, les Reflets produisent des miniatures de différents objets, voire des membres de l’équipe. Une chute inattendue que n’aurait pas désavouée Robert Sheckley, et qui ne paraîtra déconcertante que pour le lecteur non averti des options de Simak. L’étude d’autres types de comportements n’a de sens que si l’on se garde de tout anthropocentrisme.

La société au cœur de « Mondes sans fin » est réorganisée depuis cinq siècles autour de grandes corporations, comme l’Education ou l’Alimentation, qui pourvoient à toutes les attentes. Norman Blaine est cadre supérieur dans la Guilde du Rêve. Celle-ci a pour fonction de mettre en sommeil des volontaires pour une période qu’ils ont eux-mêmes fixée. Les motifs des dormeurs sont variables. L’un est atteint d’une maladie pour l’instant incurable qu’il espère voir éradiquée dans le futur ; l’autre attend que ses placements financiers cumulent des intérêts. Une part du travail de Blaine consiste à prendre en charge les Revenants. A leur réveil, ceux-ci doivent en effet s’adapter aux multiples changements, qu’ils soient politiques ou sociaux. Ainsi, page 117, découvre-t-on que le fait de craquer ses phalanges est devenu indécent. Au passage, on saluera la maîtrise du traducteur qui parvient à rendre les équivalents langagiers désuets, marquant la différence entre un réveillé et l’époque qui l’accueille. Mais depuis quelques temps, la Guilde fait l’objet de querelles intestines entre les différents services et leurs responsables. Les rumeurs parlent de remaniements. Véritable thriller sur fond de rêves truqués et d’escamotage du réel, cette novella (voire même ce court roman) de 1956 est contemporaine des récits de Philip K. Dick qui lui sont semblables en bien des points. Il rappellera tout autant L’Homme démoli d’Alfred Bester (1953) dans le recours intelligent à une même roublardise.

« Tête de pont » s’ouvre sur une déclaration valant pour constat chez Simak : « Il n’y avait rien, absolument rien qui puisse arrêter une équipe humaine de reconnaissance planétaire. » De fait, robots et légionnaires assistent les techniciens afin d’assurer la sécurité du périmètre. Mais ce qui en apparence garantit l’invulnérabilité des arrivants s’avère fragile, comme l’ont très vite compris des créatures à grosse tête, bras et jambes en bâton, qui ressemblent à des dessins d’enfant. Publié en 1951, ce récit propose une remise en cause inattendue du principe de causalité, là aussi une interprétation du réel trop humaine.

« L’Ogre » aborde une phase très concrète de l’expansion terrienne à travers la quête du profit. L’entreprise Galactique Import-Export a établi un comptoir sur un monde dont l’essentiel des formes de vie est végétal. La variété florale s’avère exubérante, entre la mousse qui colporte les rumeurs, des spécimens snipers et par-dessus tout les Couvertures qui se drapent autour d’un organisme et en endossent pour partie la personnalité. Avec les Terriens, celles-ci ont trouvé des hôtes adéquats. Contre toute attente, y compris pour les héros de l’intrigue, la principale ressource d’exportation en direction de la Terre est le murmure des arbres. Une mélopée envoûtante valant pour symphonies chez les humains qui se les arrachent au prix fort. Mais jusqu’à quel point la musique peut-elle nous affecter ? Outre l’originalité de l’écosystème décrit dans ce texte de 1944, on retiendra la figure de Nellie, le robot, plus à même de comprendre l’homme, semblable en cela à maints aliens dans l’œuvre de Simak. Notons que les Couvertures feront l’objet d’un amusant recyclage par leur créateur, ainsi que nous l’apprend Philippe Boulier dans son étude.

Valant pour contrepoint du récit précédent, « A l’écoute » revient à l’origine même des échanges en décrivant un singulier système de troc. L’humanité compte sur des télépathes, doublés d’une solide formation scientifique, pour communiquer avec des entités extraterrestres. Le but est de confronter idées, techniques et informations : « On tâche de saisir leur mode de pensée, ils tâchent de saisir le nôtre. » Mais l’homme ressent la désagréable impression d’être l’intelligence la plus arriérée dans cette communauté universelle. Ce texte de 1978 fait pour partie écho à « Tête de pont » via l’avertissement d’un danger possible par les extraterrestres, Clifford D. Simak reprenant un motif comme on le dirait d’un peintre.

Doyen de la faculté de droit, le professeur Frederick Gray va sur ses soixante-dix ans. Le juriste à la retraite sait que les douleurs de son corps le priveront bientôt des parties de pêche qu’il affectionne. Aussi celle-ci est-elle la dernière. Son plaisir est largement gâché par la construction récente d’une maison moderne qui jure dans l’environnement. Mû par la curiosité, Gray y pénètre pourtant et découvre que la construction lui offre un « Nouveau départ », titre de ce récit datant de 1963 et empreint d’une sérénité confiante. Un authentique bijou dont Robert J. Sawyer s’est probablement souvenu pour le thème et l’ultime page de son roman Un procès pour les étoiles, publié en 1997 et par ailleurs très plaisant, parce que précisément il épouse la manière de Simak.

Publié en 1963, « Dernier acte » décrit une humanité capable d’anticiper le futur suite à l’émission de radiations. L’effet qui s’étend progressivement sur toute la planète est transmissible aux prochaines générations. Cette faculté a notamment pour conséquences de prévenir toute guerre ou vol. Autant de bienfaits qui ont leur triste contrepartie dans la clairvoyance du moment et des circonstances de la mort pour chacun. En abordant la précognition de l’avenir, Simak interroge l’essence même de la science-fiction. Si celle-ci est synonyme d’anticipation, le genre finit par épuiser son objet pour n’en garder que la substance, la mort comme horizon indépassable. Véritable coup de poing, la fin du récit et du recueil met la science-fiction en demeure d’assumer ses moyens et finalité. Un choix judicieux de la part de Pierre-Paul Durastanti, qui, en refusant tout primat à l’ordre chronologique, montre combien les textes de Simak ne sont pas datés.

On l’aura compris, la lecture de Frères lointains s’impose. Clifford D. Simak appartient à l’élite des écrivains américains de récits courts, au même titre que Jack Finney ou Fredric Brown, aristocratie à ce point peu nombreuse qu’elle se compte sur les doigts de la main droite de Robby le robot.

Dragon de glace

Avant d’être l’auteur de la saga du Trône de Fer, dont la suite ne cesse de se faire attendre, George R. R. Martin était déjà un auteur de tout premier plan. On avait ainsi déjà pu découvrir sous sa plume L’Agonie de la lumière, seul roman de la collection « Le Masque de l’avenir », censée concurrencer le mythique « CLA », ou Armageddon Rag, qui avait inauguré la collection « Fictions » aux Editions de la Découverte (et dont on attend une réédition prochaine chez Denoël). Pourtant, plus encore que ses romans, ce sont ses nouvelles, dont deux tomes (Chanson pour Lya et Des Astres et des ombres) avaient été publiés chez J’ai Lu, qui avaient élevé Martin au rang d’auteur phare. Des nouvelles au ton souvent fort sombre et parfois d’un romantisme échevelé. Les quatre textes réunis ici, publiés entre 1980 et 1987, datent de la même époque. Il semble malheureusement que Martin, accaparé par Le Trône de Fer, continue de délaisser la forme courte où il donne pourtant le meilleur de lui-même.

Quatre récits, donc. Deux relevant de la fantasy, et deux du fantastique. « Le Dragon de glace » avait été publié dans le numéro 28 de Bifrost, « L’Homme en forme de poire » dans le numéro 33 de cette même revue ; « Dans les contrées perdues » avait été traduite dans le numéro 4 de la défunte revue Asphodale. Enfin, « Portrait de famille », bien que lauréat du prix Nebula 1985 (novelette), était resté inédit en français ; une lacune éditoriale qu’il était plus que temps de combler.

Sous l’apparence d’une classique fantasy « avec dragon », George R. R. Martin nous offre une belle, quoique assez sombre, histoire de passage à l’âge adulte sur fond de guerre avec « Le Dragon de glace ». Adara est une fillette de sept ans. Née sous le signe de l’hiver, elle ne se sent revivre que quand revient le froid, alors que le reste du monde s’endort dans sa gangue de glace. Elle est à ce point fille de l’hiver que le mythique dragon de glace dont la venue est annonciatrice de temps difficiles lui permet de le chevaucher. La guerre tourne mal. Les forces du royaume battent en retraite tandis que les dragonniers ennemis investissent la contrée où la fillette a toujours vécu. Les épreuves de la guerre lui coûteront sa particularité hivernale, elle deviendra une fille comme tout le monde, laissant derrière elle les royaumes enchantés de l’enfance…

« Dans les contrées perdues » est une histoire de loup-garou bien ficelée mais que l’on voit venir de loin. C’est le texte le plus faible du recueil, bien qu’il reste dans la manière de Martin.

Lauréat du Bram Stoker Award, « L’Homme en forme de poire » est une histoire noire à souhait sur le rejet et l’exclusion sociale. L’homme en forme de poire est l’archétype du repoussoir, de la personne que l’on déteste et rejette presque d’instinct tant elle est à l’opposé des stéréotypes sociaux en vigueur. Si loin du « beau » que la protagoniste ne peut la percevoir que loin du « bien » ; le rejet magistralement mis en scène par Martin est si puissant qu’il en devient générateur d’un authentique malaise. Beaucoup plus fort que les deux précédents, c’est un texte remarquable où George R. R. Martin se révèle tout aussi à l’aise dans le fantastique qu’il l’est dans la SF ou la fantasy.

Autre texte fantastique, « Portrait de famille » vaut largement à lui seul l’achat de ce recueil et le rend indispensable à ceux qui auraient déjà lu les trois autres récits lors de leur parution en revue. George R. R. Martin y décline à sa manière le thème du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, comme le fera ultérieurement Jeffrey Ford avec son Portrait de Madame Charbuque. C’est aussi une réflexion non pas sur le rôle, mais sur l’inspiration de l’écrivain vampirisant son milieu, son entourage. On y voit les personnages de ses divers romans venir nuitamment lui demander des comptes sur la manière dont il les a utilisés. La dernière n’étant autre que sa fille, victime d’une agression qu’il a exploité dans son dernier best-seller, fille qui vit ce roman comme une réitération de ce qu’elle a subi, amplifié par la trahison paternelle. Cette longue et sombre nouvelle, aussi magnifique que stupéfiante, proche de la littérature générale, n’est pas sans rappeler le fantastique de Francis Berthelot ; c’est dire la qualité du texte en question…

Un recueil qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs.

Metro 2034

Metro 2034 complète et achève le diptyque entamé avec Metro 2033. Et il y a de bien bonnes nouvelles avec ce nouvel opus. Au rang des critiques du premier volet, nous avions évoqué quelques longueurs qui auraient mérité un coup de scalpel d’une centaine de pages. Eh bien, non content d’avoir lu notre critique, Dmitry Glukhovsky a décidé de doubler la mise en réduisant Metro 2034 à un peu plus de 400 pages, le rendant ainsi plus digeste et plus incisif. A quand l’abonnement, Dmitry ? Ensuite, parce qu’il a su garder l’univers post-apocalyptique original, l’atmosphère glauque et la froideur du métro moscovite, tout en changeant les protagonistes de cette nouvelle histoire, évitant ainsi l’éternelle suite poussive où les personnages s’essoufflent tant ils manquent d’épaisseur au fil des pages. Enfin, cette fois, la situation géographique des personnages est limitée, ce qui nous évite de nous perdre avec eux dans le métro moscovite (même avec le plan !), qui, c’est confirmé, grouille de bestioles bizarres et peu amicales. Seul fil rouge, Hunter, le stalker, revenu d’entre les morts et qui sera, cette fois-ci, accompagné d’Homère, vieillard nostalgique en quête d’éternité. Ils seront chargés d’enquêter sur la disparition d’une caravane de ravitaillement ainsi que du groupe de reconnaissance parti à sa recherche. La station Sevastopolskaya, qui produit de l’électricité pour l’ensemble du métro, ne peut plus fonctionner sans approvisionnement. Sur la route, l’équipe sera complétée par Sacha, jeune adolescente ayant vécu l’exil avec son père dans une station isolée.

Beaucoup plus ramassé que son prédécesseur (nombre de personnages, zones géographiques et batailles rangées avec les zombies), Metro 2034 gomme les défauts du premier tome (il y en avait peu) et en transcende les qualités. Des personnages fouillés et attachants, une quête de sens finement exploitée et de l’action rondement menée sans tomber dans le gratuitement sanguinolent à coup de zombies explosés. Enfin, pour ceux qui n’auraient pas lu le premier, Metro 2034 peut se lire indépendamment.

Petite pichenette caustique pour nos amis de l’Atalante, concernant la couverture… et un bon plan recette pour les apprentis éditeurs : vous prenez l’illustration d’origine, vous changez le 3 en 4, vous passez du rouge au vert à pas cher et le tour est joué ! Une bien belle leçon de rationalité économique. L’éditeur nantais nous avait habitués à mieux. (Qui a dit quand ? C’est petit, ça !). Ceci étant, ce que l’éditeur n’a pas investi dans la couverture, il a dû le mettre dans la traduction, tant le travail de Denis E. Savine est à nouveau exemplaire (eh oui, on se répète !). Une très bonne manière d’éviter un Razzie !

En conclusion, un bon roman d’anticipation post-apocalyptique, intelligent, efficace, musclé, et, pour la présente édition, allégé de toute lourdeur. Que demande le petit peuple ? On attendra maintenant de voir ce que Dmitry Glukhovsky produira par la suite, tant il paraît difficile d’échapper à une construction littéraire si typique et complète. Wait and see

Dans la peau d'un autre

Après un premier roman jeunesse publié chez Hachette (Les Détectives de l’étrange), Xavier Müller s’invite dans le petit monde du thriller scientifique avec Dans la peau d’un autre.

Edité par My Major Company Books, association de My Major Company (plus connue dans le monde de la musique) et XO éditions, le roman de Xavier Müller a bénéficié du système de financement collaboratif via le site web de MMCB. Le principe : l’auteur propose des extraits de son manuscrit aux internautes qui peuvent alors participer à l’édition en misant de 10 à 500 euros. Avec plus de 450 éditeurs participatifs, le roman bénéficiera d’un tirage à 10 000 exemplaires (pas mal tout de même). Alors, l’édition participative, une alternative au monde de l’édition classique ? En tout cas une initiative qui, comme les plateformes numériques, diversifie les modes de publication habituels.

Quant à l’histoire… Maxence Lance, jeune et brillant étudiant en neurobiologie, spécialisé dans les neurones miroirs, finance ses études en donnant des spectacles d’hypnose dans un cabaret. En sortant d’une représentation, un voile noir s’abat sur ses yeux et il reprend connaissance, dix ans plus tard, littéralement dans la peau d’un autre, celle de Philippe Mahieu, éminent chercheur en neuroscience, incarnation du rêve carriériste de Maxence. Qui est réellement Mahieu ? Sur quoi travaillait-il ? Quels sont les liens avec Maxence ? Que s’est-il passé lors de la dernière décennie ? Comment se faire passer aux yeux de tous pour celui que l’on n’est pas ? Quelle identité est réelle ? Nous suivrons dès lors les mésaventures de notre héros malgré lui, qui subit sa nouvelle condition plus qu’il ne la maîtrise, mais qui finira par démêler toutes ces énigmes sur fond de découvertes scientifiques. Comme quoi c’est bien fait !

Ici, l’hypnose et les neurones miroirs sont au cœur de l’intrigue. Pour ne pas la dévoiler, nous ne dirons rien sur ce dernier thème, au demeurant passionnant et pour le moins révolutionnaire dans le champ des neurosciences. Pour information, le sujet de la thèse de Max est « la tentative d’influence des neurones miroirs à l’aide de la stimulation magnétique transcrânienne » Aïe ! Comme on a fait lecture à la fac et pas calcul, on se dit qu’on va en baver pendant quelques pages. Eh bien non. Xavier Müller (docteur ès sciences et journaliste scientifique) réussit magistralement à mettre en lumière un thème pour le moins complexe.

Quant à l’hypnose, nous sommes convaincus qu’il aura voulu rendre ses lettres de noblesse à cette discipline, et pour le coup, c’est plus ou moins réussi. L’hypnose, notamment le Mesmérisme (vous savez, le type représenté avec de grands yeux globuleux qui vous fait faire n’importe quoi après avoir compté jusqu’à trois) est très souvent associé à une forme de charlatanisme, occultant du même coup, dans nos représentations, l’utilité médicale aujourd’hui reconnue du procédé notamment utilisé dans le traitement de la douleur, voire en remplacement de l’anesthésie pour certaines opérations chirurgicales. D’une certaine manière, l’auteur participe de cette confusion, particulièrement dans certaines scènes de transes fulgurantes confinant à la magie des chevaliers Jedi. Dommage.

Malgré ce petit bémol, Xavier Müller nous livre un texte plutôt sympathique et réussi. Pas exempt de défauts, notamment en terme de rythme, le récit est empreint de certaines lenteurs et passe ensuite en mode avance rapide / action parfois au détriment de la cohérence globale et d’un équilibre nécessaire à l’ensemble. A noter l’atmosphère des laboratoires de recherche particulièrement bien restituée ici : guerre des chefs, procédure de publication, financement et sponsoring, expérimentations… Un environnement captivant.

Conclusion en forme de répétition : Dans la peau d’un autre affiche quelques petits défauts d’écriture et de traitement du sujet, mais rien de rédhibitoire pour un premier roman (adulte) tant les idées développées sont passionnantes et le rendu final plaisant à lire. Xavier Müller est un auteur plein de promesses que nous suivrons avec intérêt.

Deus in machina

Il était une fois, dans une lointaine galaxie… Le Seigneur est un petit dieu devenu grand, depuis qu’il a vaincu ses semblables à l’issue d’un interminable conflit cosmique. Depuis lors, il fait l’objet d’une adoration exclusive de la part des multitudes. Les dieux défaits ont été asservis. Enkystés au sein d’immenses nefs spatiales, qu’ils propulsent à l’aide de leur énergie spirituelle, proprement machinisés, ils restent pourtant des créatures imprévisibles et dangereuses aspirant sans cesse à l’évasion, que seules retiennent captifs la foi inébranlable et les méthodes de tortures exotiques des équipages. Si sa foi ne saurait être mise en doute, Ean Tephe, commandant du Vertueux, se reconnaît de moins en moins dans le culte tout d’austérité que veut imposer un clergé omnipotent, aux prétentions intellectuelles exorbitantes malgré les faiblesses humaines qui l’entachent. Il entretient par ailleurs une trouble relation — de dégoût et de fascination mêlée — avec la déité renégate qui déplace son bâtiment de guerre. Lorsque l’épiscopat le rappelle pour aller porter la bonne parole du Seigneur sur une planète lointaine, Tephe accepte sans enthousiasme, séduit toutefois par la promesse d’une rapide ascension sociale. De la réussite ou de l’échec de cette mission (au sens d’évangélisation) pourrait bien dépendre la pérennité de la puissance du Seigneur et l’équilibre de son empire post-humain. Bien sûr, l’expédition mettra la foi de Tephe à rude épreuve, et il réalisera un peu tard le caractère tragique de l’itinéraire qu’il a emprunté et combien il sera difficile de l’infléchir…

Deus in machina est le septième roman paru en France de John Scalzi, auteur qui s’est distingué avec son cycle du Vieil homme et la guerre (même éditeur).

Une belle idée de base, qui consiste notamment à faire un livre hybride à cheval entre la SF et la dark fantasy, un incipit prométhéen (« L’heure était venue de fouetter le dieu. ») et un dénouement cynique, quelques séquences gores sympas qu’on dirait écrites pour le cinéma de genre, ainsi qu’une atmosphère poisseuse teintée de désespoir, tout cela est à mettre au crédit d’un roman qui, hélas, ne tient pas vraiment ses promesses, donnant l’impression de se défaire au fur et à mesure que progresse l’action. Ici, le mystère de la croyance, auquel Scalzi a voulu confronter le lecteur, n’est pas tant dû à l’opacité des mécanismes de la conscience qu’à des choix narratifs douteux. Construction chancelante, avec notamment une gestion désastreuse des ellipses, background défaillant, personnages peu fouillés et sans nuance, vacuité du discours antireligieux, écriture plate sont les principaux écueils à l’origine de ce résultat. Dommage, car les prémices autorisaient sans doute des développements plus ambitieux. On passe.

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