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La Tombe

À une époque où l'on se plaint constamment de ne plus avoir d'inédits en poche, ou si peu, voilà que les éditions Fleuve Noir nous proposent ce pavé de F. Paul Wilson, auteur du réjouissant bien que grotesque La Forteresse noire, réédité il y a peu dans la même collection.

La Tombe (premier volume d'une série mettant en scène l'aventurier new-yorkais Jack le Réparateur) est tout aussi réjouissant que La Forteresse noire et, en fin de compte, beaucoup moins grotesque. Ce roman mettant en scène des démons du Panthéon indien, les Rakoshi, et le culte de Kali, nous propose de découvrir le quotidien de Jack, un homme ambigu, un justicier aux multiples identités qui a construit sa vie sur deux événements fondateurs : la mort injuste de sa mère (vue en flash-back, pages 274 à 276) et un problème de voisinage qui n'a pas tardé à devenir sa première mission rémunérée.

Sans doute à cause de son intrigue classique (une histoire de vengeance et de malédiction courant sur deux siècles), ce roman repose principalement sur de solides personnages : Kusum, l'hindou manchot aux idéaux injustifiables ; Kolabati, sa sœur, qui se fera un plaisir de kama-sutratiser Jack ; Gia, l'ancienne compagne de notre cher réparateur-justicier. Bien que son roman soit par moments trop long et farci de détails inutiles, Wilson livre, et c'est assez exceptionnel dans le cadre d'une série B, deux portraits de femme réussis. Kolabati est sexuée et sexuelle comme une héroïne de Clive Barker, mais sa sexualité, pourtant tourmentée, ne devient à aucun moment un outil (il y a en fin de compte beaucoup de sincérité dans le tourment) ; Gia Westphalen, quant à elle, se dresse et s'accomplit dans son rôle de mère trahie, humiliée par son mari. La première accepte l'ambiguïté de Jack, son goût pour la violence ; la seconde ne peut s'y résoudre, sans doute par amour et respect.

Voilà donc un bon livre, fort bien traduit, mais à réserver en priorité aux amateurs d'aventures « à la Indiana Jones ».

Le singe, l’idiot et autres gens

« Voici un volume où se réunissent le génie narratif d'un Kipling et le sens de l'horreur d'un Edgar Poe, quoique les récits de Morrow soient une chose si neuve qu'il est inutile d'y chercher des comparaisons. » Alfred Jarry, in la Revue Blanche, premier août 1901.

Avec les quatorze textes courts (rarement plus de quinze pages) de ce recueil peuplé de monstres de foire et ensanglanté par diverses mutilations ou expériences chirurgicales délirantes, William Chambers Morrow dresse un pont entre l'œuvre de Poe (qui, comme chacun sait, était inspirée principalement par d'authentiques faits divers) et celle de Lovecraft, qu'il est (du moins, je l'espère) inutile de présenter en ces pages.

Parmi les textes les plus marquants de ce recueil, on signalera principalement « Le Faiseur de monstres », une histoire de chirurgien fou habitant une maison gigantesque avec sa femme et le produit d'une de ses expériences ; « Un Stylet » où un homme poignardé est sauvé d'une mort certaine par un chirurgien ingénieux ; « Un irréductible ennemi » où un serviteur privé de ses bras et jambes décide de se venger du rajah ayant ordonné ses mutilations. Et puis « Deux hommes singuliers », qui semble avoir servi de base scénaristique au Freaks de Tod Browning.

William Chambers Morrow (1854-1923), journaliste et frère spirituel d'Ambrose Bierce, n'a certes pas écrit son Dictionnaire du diable, mais les nouvelles réunies ici valent franchement que vous vous y attardiez, d'autant plus qu'elles sont d'une étonnante modernité stylistique .

Par ailleurs, on signalera une fois de plus le travail remarquable des éditions Phébus, qui nous proposent un ouvrage doté d'une passionnante préface d'Eric Dussert et d'appendices bibliographiques fort appréciables.

Une publication remarquable en tous points.

Magie verte

Il y a toujours un danger à critiquer une anthologie : celui de donner l'impression que l'on a guère apprécié l'ouvrage en tapant sur les quelques moments d'épouvante que l'objet contient sûrement (c'est la loi du genre). Je prends donc ici le parti de ne pas m'appesantir sur les textes qui ne m'ont pas convaincu (celui de Bruno B. Bordier en tête de liste), sur les illustrations intérieures, d'une laideur prodigieuse, pour parler plutôt des quatre perles (Hand, de Lint, Rosenblum, Dufour) et des surprises que contient cette fort belle Magie verte.

Commençons par les perles et en tête de liste : « Neige à Sugar Mountain » d'Elizabeth Hand. Comme le veut la formule consacrée, ce seul texte vaut à lui seul que vous achetiez l'anthologie d'André-François Ruaud. On y suit la rencontre, extrêmement touchante, d'un astronaute qui meurt du cancer et d'un jeune vagabond ayant en sa possession un talisman qui lui permet de se transformer en renard. Là où n'importe quel autre auteur américain aurait livré une banale et horrifique histoire de lycanthropie, Elizabeth Hand nous propose un texte ciselé, poignant, qui prend son temps. Un flot d'émotions pures et de pure émotion… Il n'y a plus qu'à espérer que les jurés du Grand Prix de l'Imaginaire lisent ce texte et lui décernent une palme bien méritée.

À moins d'être aveugle depuis dix ans, on ne peut ignorer la passion qu'André-François Ruaud nourrit pour l'œuvre du barde canadien Charles de Lint (écrivain et musicien de talent). S'il est incontestable que cet auteur a publié une bonne douzaine de romans passionnants, quasiment tous situés dans sa ville imaginaire de Newford, j'avoue que ses nouvelles précédemment traduites en français (toujours mignonnes et pleines de fantasy urbaine) ne m'ont jamais retourné… à l'exception, justement, de « Saskia », étonnante cyberfantasy d'une profonde humanité. On y suit la passion naissante d'un écrivain pour une mystérieuse poétesse récemment installée à Newford. Mais l'homme (et ses fêlures) est-il tombé amoureux d'une belle femme ou d'une forêt de mots — séductrice beaucoup plus brutale s'il en est ?

« Le Faiseur de pluie » de Mary Rosenblum est un texte d'une rare richesse, très évocateur. Alors que la sécheresse étrangle une petite ville de l'Ouest américain, voilà qu'arrive un faiseur de pluie, un étrange personnage, assez sympathique, qui vit en marge de l'humanité. L'événement est raconté par un adolescent qui a la capacité de voir les fantômes. Rosenblum, dont c'est la première publication en France me semble-t-il, signe là un texte extrêmement allusif, qui parie sur l'intelligence de ses lecteurs. Une autre réussite majeure tout a fait digne d'un Grand Prix de l'Imaginaire.

« Mater Clamorosum » de Catherine Dufour, avant-dernier texte de l'anthologie, est un étonnant conte macabre servi par un style impeccable. Cette histoire d'enfant emmuré vivant dans une pile de pont fleure bon le mariage des frères Grimm et d'Edgar Allan Poe et s'impose comme un pur joyau d'émotions noires.

Quant aux huit autres textes, je me contenterai de citer le texte d'Harry Morgan, de noter l'intéressante tentative de Léa Silhol, « Un Parfum de Malicore ». Une fois de plus, Silhol refuse de comprendre la nécessité de l'épure stylistique mais n'en demeure pas moins capable, par endroits, d'être d'une pertinence littéraire ahurissante. Et puis, soulignons l'apparition d'un petit nouveau, Karim Berrouka, dont « Le Siècle des lumières » est loin d'être exempt de défauts tout en restant parfaitement passionnant. Un nom à suivre et, en fin de compte, un ouvrage plus que recommandable.

Katie Maguire

Onze squelettes de femme assassinées (et dépecées vivantes) au début du XXe siècle sont retrouvés de nos jours sous le silo à grain d'une ferme de la région de Cork, en Irlande. Aux fémurs de ces cadavres ont été attachées des poupées faites de dentelles, de clous et d'hameçons. C'est à Katie Maguire, la seule femme commissaire en Irlande, qu'incombe la tâche de mener l'enquête. Voilà une super-flic que la vie n'a pas ménagée : elle vient de perdre son bébé et, comme si cela ne suffisait pas, son mari, Paul, trempe dans une sale affaire de vol de matériaux de construction. La découverte d'un douzième cadavre, récent, va obliger Katie à affronter des forces qui dépassent l'humain.

Graham Masterton, depuis le début de sa carrière dans les années soixante-dix, nous a habitué au meilleur (Le Portrait du mal, Le Djinn) comme au pire (Le troisième volume de sa série « Manitou », La Nuit des salamandres). Katie Maguire, solidement ancré dans le paysage et le quotidien irlandais, fait partie de ses bons romans, mais ne restera pas comme son chef-d'œuvre. C'est un thriller prenant, deux nuits de lecture maximum, servi par une écriture nerveuse et des personnages bien campés : Katie évidemment, mais aussi le Dr Owen Reidy, le légiste chargé de l'enquête. En guise d'avertissement aux lecteurs, on notera qu'il y a dans ce livre, comme toujours chez Masterton, des scènes à vous dresser les cheveux sur la tête ; ici, c'est la mise à mort de la jeune touriste américaine Fiona Kelly, un supplice qui occupe une partie non négligeable des deux cents premières pages du récit.

Masterton a bien vieilli, et là où il en faisait des tonnes il y a quinze ans, il ne se contente désormais plus que de quelques phrases bien tournées, de deux trois images saisissantes. Résultat, la partie grand-guignol de son œuvre a disparu au profit de scènes d'horreur millimétrées, à la limite du supportable. Katie Maguire est un bon thriller fantastique qui demande juste à ses lecteurs potentiels d'avoir un solide estomac.

En direct du Golgotha

Dans un futur que l'on rêve proche, un cyberpunk surnommé Le Pirate (en fait, un juif portant le nom improbable de Marvin Wasserstein) a réussi à détruire toute trace des évangiles connus, des épîtres et autres textes fondateurs de la chrétienté. En conséquence, la Bible tient désormais sur un ticket de métro et l'Apocalypse n'est plus qu'un vieux fantasme formaté à plat. Histoire de sauver un fonds de commerce grandement menacé, une équipe de scientifiques à la fois à la solde du lobby télévangéliste et de CNN réussit à envoyer dans le passé, en 96 après Jésus-Christ, un téléviseur SONY à Timothée, évêque de Macédoine. Timothée se voit alors confier une double mission — écrire son évangile et préparer la retransmission en direct de la Crucifixion. Seule ombre au tableau, Timothée n'a pas peur de la vérité, et ses écrits révèlent entre autres que le Christ était obèse et boulimique (plus gros que le Bouddha), que saint Paul aime les beaux jeunes hommes bien montés et qu'il a, entre autre, inventé le rap et les claquettes. Cerise sur le gâteau, Timothée nous explique aussi que pour ressusciter un mort, il est préférable de prendre un vivant et de le peindre en vert : « Là au moins, on est sûr du résultat ». En un mot comme en cent, dans le passé comme dans le futur, c'est le bordel et ça ne fait que commencer !

Enfant terrible des lettres américaines, Gore Vidal est loin d'être un inconnu : on lui doit le scénario de base du sulfureux Caligula de Tinto Brass et un roman, Un Garçon près de la rivière, considéré comme un classique de la littérature anglo-saxonne du XXe siècle. Son En direct du Golgotha, qui fera immanquablement penser au Jésus Vidéo d'Andreas Eschbach, au Deus Ex de Norman Spinrad et au Voici l'homme de Michael Moorcock, est un véritable feu d'artifice. Le texte crépite dans tous les sens, chaque scène est l'occasion de bons mots et de trouvailles souvent hilarantes… comme ce Mossad à l'origine romano-palestinien qui, à un moment ou un autre, a dû pour le moins changer de camp. Sans être un chef-d'œuvre (le scénario manque franchement de rigueur), ce petit livre iconoclaste, blasphématoire et provocateur, a néanmoins de quoi séduire (sauf Mel Gibson, évidemment !). On lui préférera toutefois le diptyque Voici l'Homme / Breakfast in the ruins de Michael Moorcock.

Les Chiens de l'hiver

[Chronique commune à Les Chiens de l'hiver et à Nuit d'été.]

Old Central, une vieille école dont la construction a commencé en 1876 à Elm Haven, dans la région de Chicago. Une école où, en ce dernier jour de l'année scolaire 1959-1960, un enfant vient de disparaître : Tuby Cooke. C'est alors que commence pour Dale, Duane, Mike, Lawrence et le reste de la cyclo-patrouille, l'été de tous les dangers. Car en voulant découvrir ce qui est arrivé à Tuby, ces enfants vont affronter la mort, tantôt poursuivis par un camion puant la charogne, tantôt menacés par un soldat de la Première guerre mondiale dont le visage en entonnoir crache de la vermine. Sans compter ces étranges trous dans le sol qui, plus organiques que géologiques, apparaissent et disparaissent sans cesse, dans lesquels vivent de menaçantes lamproies noires.

Avec Nuit d'été, datant de 1991, Dan Simmons s'attaquait à un genre en soi, le récit fantastique mettant en scène une bande de gamins. On pense à Ça de Stephen King, à la nouvelle « Le Corps » du même (et au film Stand by me, son adaptation), aux flash-backs de Dreamcatcher et à Cœurs perdus en Atlantide, à « L'Inversion de Polyphème » de Serge Lehman (Bifrost n°5). Mais là où King et Lehman décrivent avec une justesse exemplaire le « Royaume de l'après-midi » et le « Territoire magique des grandes vacances », Simmons s'enlise, trois cents pages durant, dans la multiplication des personnages, le quotidien sans grand intérêt d'une petite communauté de fermiers. Une fois la première moitié du livre passée (qui a vu la mort de quelques personnages principaux), le récit monte en régime et ne « descend » plus, livrant au passage plusieurs scènes d'anthologie (dont une fusillade nocturne hallucinante, du grand art). On regrettera juste que Dan Simmons ait mal choisi son héros. Refusant sans doute de mettre en scène sa propre enfance de surdoué, il a préféré le morne Dale au fascinant Duane ; ainsi, aux environs de la page 300, Simmons déchiquette Duane, le génie, le radio-amateur surdoué, l'apprenti écrivain, et nous laisse en compagnie de Dale, qui, bon gré mal gré, résoudra l'énigme de Old Central, découvrira le secret de la cloche des Borgia, affrontera le terrifiant Roon. Et, dans les ultimes pages du récit, décidera de devenir écrivain (plus par devoir que par vocation) !

Chose surprenante mais logique à bien y réfléchir, onze ans plus tard, Dale Stewart revient dans nos librairies avec le costume d'un romancier professeur de littérature (on pense au personnage interprété par Dennis Quaid dans le brillantissime thriller Mort à l'arrivée). Dale — auteur de la série Jim Bridger, roi de la montagne — est le principal protagoniste, l'aire nodale du nouveau roman de Dan Simmons, Les Chiens de l'hiver (en attendant la traduction, par Jean-Daniel Brèque, d'Ilium). Après une tentative de suicide ratée (l'amorce de la cartouche n'a pas fonctionné), Dale est de retour à Elm Haven, où il loue la maison des McBride, la maison de son copain d'enfance Duane… Il est là pour faire le point sur sa vie, son divorce, sa rupture avec sa jeune maîtresse Clare, sa carrière d'écrivain. Et de nouveau, la peur et la folie vont resurgir au cœur des grands champs de maïs de l'Illinois : des bruits nocturnes, du sang frais dans le poulailler, des problèmes avec les skinheads locaux, d'étranges messages sur l'ordinateur portable de Dale, des chiens noirs qui rôdent, un shérif pas commode…

Avec Les Chiens de l'hiver, Simmons semble réparer une erreur qui lui pesait depuis des années, celle de Nuit d'été. Il revient sur les lieux de son crime, là où il a assassiné Duane McBride à l'aide d'une moissonneuse-batteuse. Il fait revivre l'enfant charismatique (c'est en partie Duane, devenu « kyste mémoriel », qui raconte l'histoire de Dale), et le confronte à un écrivain de cinquante ans qui a raté sa vie, à l'exception de ses livres, et encore… (bonjour le syndrome Misery : Dale, tout comme Paul Sheldon dans Misery, veut laisser tomber la série qui l'a rendu célèbre et — relativement — riche pour écrire un « livre sérieux » sur son enfance). Mais à Elm Haven, en quarante ans, les choses n'ont guère changé : les chiens de l'hiver rôdent. Ce sont probablement les fragments d'un passé qui n'a pas su cicatriser, ou peut-être les serviteurs d'un obscur dieu égyptien.

Les Chiens de l'hiver n'est pas la suite-gadget de Nuit d'été. Force est de constater que ces deux romans forment vraiment un tout, certes bancal mais de plus en plus passionnant. Il y a une montée qualitative évidente dans ce diptyque qui fonctionne, en fait, comme une trilogie : Nuit d'été 1 (avant la mort de Duane — 300 pages), Nuit d'été 2 (l'avènement de Dale — 300 pages), Les Chiens de l'hiver (Dale et Duane, quarante-deux ans après — 330 pages). Introduction, développement, synthèse. Ici, l'introduction est faible, le développement plutôt réussi et la synthèse… impitoyable. Dans cette troisième partie (Les Chiens de l'hiver), Simmons parle avec précision de sexe, de mort, du statut de l'écrivain aux USA., et de la peur, celle de mourir (évidemment), mais aussi celle de vivre et de créer. Il en remet une couche sur Hemingway et son suicide, il comble des trous, éclaire des ombres dans l'œuvre et la vie de Dale Stewart, mais aussi dans son propre corpus (ce qui prouve qu'il a l'estomac nécessaire pour affronter la Littérature et non la subir).

Si vous avez lu Nuit d'été (même sans l'apprécier), jetez-vous sur ces Chiens de l'hiver, les questions qu'ils aboient dans la nuit sont autant de réponses qui mordent dès potron-minet. Si vous n'avez lu aucun de ces deux livres (et que vous appréciez le fantastique moderne), foncez, vous allez souffrir sur les trois cents premières pages, mais, au final, vous serez récompensés. Grandement récompensés.

Nuit d'été

[Chronique commune à Les Chiens de l'hiver et à Nuit d'été.]

Old Central, une vieille école dont la construction a commencé en 1876 à Elm Haven, dans la région de Chicago. Une école où, en ce dernier jour de l'année scolaire 1959-1960, un enfant vient de disparaître : Tuby Cooke. C'est alors que commence pour Dale, Duane, Mike, Lawrence et le reste de la cyclo-patrouille, l'été de tous les dangers. Car en voulant découvrir ce qui est arrivé à Tuby, ces enfants vont affronter la mort, tantôt poursuivis par un camion puant la charogne, tantôt menacés par un soldat de la Première guerre mondiale dont le visage en entonnoir crache de la vermine. Sans compter ces étranges trous dans le sol qui, plus organiques que géologiques, apparaissent et disparaissent sans cesse, dans lesquels vivent de menaçantes lamproies noires.

Avec Nuit d'été, datant de 1991, Dan Simmons s'attaquait à un genre en soi, le récit fantastique mettant en scène une bande de gamins. On pense à Ça de Stephen King, à la nouvelle « Le Corps » du même (et au film Stand by me, son adaptation), aux flash-backs de Dreamcatcher et à Cœurs perdus en Atlantide, à « L'Inversion de Polyphème » de Serge Lehman (Bifrost n°5). Mais là où King et Lehman décrivent avec une justesse exemplaire le « Royaume de l'après-midi » et le « Territoire magique des grandes vacances », Simmons s'enlise, trois cents pages durant, dans la multiplication des personnages, le quotidien sans grand intérêt d'une petite communauté de fermiers. Une fois la première moitié du livre passée (qui a vu la mort de quelques personnages principaux), le récit monte en régime et ne « descend » plus, livrant au passage plusieurs scènes d'anthologie (dont une fusillade nocturne hallucinante, du grand art). On regrettera juste que Dan Simmons ait mal choisi son héros. Refusant sans doute de mettre en scène sa propre enfance de surdoué, il a préféré le morne Dale au fascinant Duane ; ainsi, aux environs de la page 300, Simmons déchiquette Duane, le génie, le radio-amateur surdoué, l'apprenti écrivain, et nous laisse en compagnie de Dale, qui, bon gré mal gré, résoudra l'énigme de Old Central, découvrira le secret de la cloche des Borgia, affrontera le terrifiant Roon. Et, dans les ultimes pages du récit, décidera de devenir écrivain (plus par devoir que par vocation) !

Chose surprenante mais logique à bien y réfléchir, onze ans plus tard, Dale Stewart revient dans nos librairies avec le costume d'un romancier professeur de littérature (on pense au personnage interprété par Dennis Quaid dans le brillantissime thriller Mort à l'arrivée). Dale — auteur de la série Jim Bridger, roi de la montagne — est le principal protagoniste, l'aire nodale du nouveau roman de Dan Simmons, Les Chiens de l'hiver (en attendant la traduction, par Jean-Daniel Brèque, d'Ilium). Après une tentative de suicide ratée (l'amorce de la cartouche n'a pas fonctionné), Dale est de retour à Elm Haven, où il loue la maison des McBride, la maison de son copain d'enfance Duane… Il est là pour faire le point sur sa vie, son divorce, sa rupture avec sa jeune maîtresse Clare, sa carrière d'écrivain. Et de nouveau, la peur et la folie vont resurgir au cœur des grands champs de maïs de l'Illinois : des bruits nocturnes, du sang frais dans le poulailler, des problèmes avec les skinheads locaux, d'étranges messages sur l'ordinateur portable de Dale, des chiens noirs qui rôdent, un shérif pas commode…

Avec Les Chiens de l'hiver, Simmons semble réparer une erreur qui lui pesait depuis des années, celle de Nuit d'été. Il revient sur les lieux de son crime, là où il a assassiné Duane McBride à l'aide d'une moissonneuse-batteuse. Il fait revivre l'enfant charismatique (c'est en partie Duane, devenu « kyste mémoriel », qui raconte l'histoire de Dale), et le confronte à un écrivain de cinquante ans qui a raté sa vie, à l'exception de ses livres, et encore… (bonjour le syndrome Misery : Dale, tout comme Paul Sheldon dans Misery, veut laisser tomber la série qui l'a rendu célèbre et — relativement — riche pour écrire un « livre sérieux » sur son enfance). Mais à Elm Haven, en quarante ans, les choses n'ont guère changé : les chiens de l'hiver rôdent. Ce sont probablement les fragments d'un passé qui n'a pas su cicatriser, ou peut-être les serviteurs d'un obscur dieu égyptien.

Les Chiens de l'hiver n'est pas la suite-gadget de Nuit d'été. Force est de constater que ces deux romans forment vraiment un tout, certes bancal mais de plus en plus passionnant. Il y a une montée qualitative évidente dans ce diptyque qui fonctionne, en fait, comme une trilogie : Nuit d'été 1 (avant la mort de Duane — 300 pages), Nuit d'été 2 (l'avènement de Dale — 300 pages), Les Chiens de l'hiver (Dale et Duane, quarante-deux ans après — 330 pages). Introduction, développement, synthèse. Ici, l'introduction est faible, le développement plutôt réussi et la synthèse… impitoyable. Dans cette troisième partie (Les Chiens de l'hiver), Simmons parle avec précision de sexe, de mort, du statut de l'écrivain aux USA., et de la peur, celle de mourir (évidemment), mais aussi celle de vivre et de créer. Il en remet une couche sur Hemingway et son suicide, il comble des trous, éclaire des ombres dans l'œuvre et la vie de Dale Stewart, mais aussi dans son propre corpus (ce qui prouve qu'il a l'estomac nécessaire pour affronter la Littérature et non la subir).

Si vous avez lu Nuit d'été (même sans l'apprécier), jetez-vous sur ces Chiens de l'hiver, les questions qu'ils aboient dans la nuit sont autant de réponses qui mordent dès potron-minet. Si vous n'avez lu aucun de ces deux livres (et que vous appréciez le fantastique moderne), foncez, vous allez souffrir sur les trois cents premières pages, mais, au final, vous serez récompensés. Grandement récompensés.

Le Bord du monde

Enfermé dans une prison aussi crédible que si elle avait été fabriquée par Bricorama pour Disneyland Paris, Aplecraf le trouvère (aucun rapport avec le mariage d'un fondement et d'une louchée de moisissures) attend la mort. Il a eu le malheur de tomber amoureux de la servante Quadrilba et non de la princesse Déléisse, jalouse à en tuer. Mais voilà que, surprise du chef, il reçoit la visite de l'excentrique (c'est le quatrième de couverture qui le dit) Théodulf de Sapre. Ce dernier lui promet la liberté et l'aventure. La grande aventure jusqu'au bord du monde, car Théodulf a un projet : il veut cartographier le Monde Obscur.

Outre un façonnage douteux et une couverture vilaine (on a connu Alain Brion plus inspiré), ce livre est formidable. Je dirais même plus : c'est un cas d'école. À mon humble avis, il contient dans ses 528 pages maquettées façon minou de vierge infibulée — serré serré — ABSOLUMENT TOUT ce qu'il ne faut pas faire en matière de fantasy moderne (et je mets tout particulièrement l'accent sur cet épithète).

Apocalypse now : laissons-nous gagner par le plaisir de l'énumération.

1/ Le style, un pseudo « moyen français » déjà ringard à l'époque où Tolkien mouillait ses couches, est au minimum lourdingue, horripilant la plupart du temps, illisible par endroits. Ce n'est pas en enlevant le « e » final d'« encore » qu'on écrit bien en vieux français. Deux perles, pour le fun :

 • « À l'heure où Oniriad abaisse ses tentures, de blanches chauves-souris prennent leur envol, et c'est spectacle merveilleux d'observer leurs vives arabesques au-dessus des toits. » (page 5) (Là, dans un de ces éclairs de méchanceté gratuite dont je suis coutumier, j'ai pensé au premier roman de Léa Silhol, si ampoulé qu'il a l'élégance d'un miroir de bordel napolitain.)

 • « Vous souvient-il, ami Trémégor, d'un certain parfum de fleur qui flottait dans ce village. » (page 138)

 Au fil de ma lecture, qui s'est apparentée à une reptation naturiste sur un tapis de barbelés rouillés, je n'ai pu m'empêcher de comparer la langue pâteuse d'Anfosso à celle, vertigineuse, recréée par Pierre Pelot pour Le Pacte des loups et C'est ainsi que les hommes vivent. Victoire à Pelot par K.O. — avec coulis cérébral, comme on dit dans Urgences.

2/ Les personnages sont complètement désincarnés, ce sont des archétypes creux (trouvère, aventurier, sorcière, princesse) sur lesquels ont été gravés au fer rouge des noms qui rappellent vaguement la littérature médiévale anglo-saxonne (Le Lai de Beowulf ?). Ils mangent et boivent avec parcimonie et n'ont quasiment aucun problème de tripaille, de libido, d'hygiène et de tuyauterie intime. Les décors sont en carton-pâte, deux millimètres d'épaisseur. On est une fois de plus chez un Chrétien de Troyes passé à la moulinette Disney, c'est comme si Excalibur de John Boorman, La Chair et le sang de Paul Verhoeven et même le Conan le barbare de John Milius n'avaient jamais existé (ne parlons pas de Tigane ou de La Compagnie Noire).

3/ L'intrigue rebondit avec autant d'élégance qu'une moitié de balle de tennis lâchée du haut d'un immeuble de trois étages ; il se passe des tas de trucs au court du récit, mais comme on se contrefout des personnages et de ce qui peut leur arriver, ça n'a guère d'intérêt. En fait, assez vite (vers la page 80/528), histoire de sourire/souffler un peu, on aimerait que les protagonistes meurent tous dans d'atroces souffrances (empalement au Tabasco™, massage au miel chez les fourmis rouges).

4/ C'est trop long, dilué, dénué du moindre horizon d'attente, du moindre enjeu érotique ou romantique (hé oui, monsieur Anfosso, les personnages des livres dits « modernes » sont comme les gens de la vraie vie, ils doivent aller aux toilettes, tenter régulièrement de se reproduire pour perpétuer l'espèce et, crème fouettée sur la tarte tatin, ils ont même le droit d'avoir des réactions irrationnelles). À cette attaque perfide, l'auteur pourrait rétorquer que justement, son projet était de ne pas livrer un roman « ouvrez les guillemets » moderne « fermez les guillemets »… But atteint les yeux fermés, Le Bord du monde n'est pas moderne et moins encore progressiste ; c'est même par endroits totalement réactionnaire (et puant).

Fabrice Anfosso a du talent — il l'a prouvé avec « Ave Maria », Prix du jeune écrivain 1999 — mais son Bord du monde est une catastrophe littéraire qui fera date (ou plus probablement, passera totalement inaperçu) ; surtout à cause de toutes les comparaisons que cette geste approximative suscite : on pense aux aventures de Sindbad (deux volumes chez Phébus), aux œuvres de Pelot citées infra, à Thomas le rimeur d'Ellen Kushner. On y pense, fort, à toutes les pages, et on regrette d'avoir perdu tant de temps à lire ce pavé — cette littérature coupée à l'eau du robinet — alors qu'il y a tellement de livres passionnants sur les rayons de nos librairies préférées.

Le Roi de bruyère

Impression, hasard ou veine inexplicable : plus je lis de fantasy contemporaine, et plus je rencontre de textes intéressants, de récits qui savent se faire novateurs dans la tradition. C'est encore le cas avec ce nouveau Greg Keyes, premier opus d'une tétralogie prometteuse.

Dans un lointain passé, le peuple de Croatanie s'est libéré du joug des seigneurs skasloï. La révolte, initiée par les « Hommes-Nés », arrivés depuis peu dans le pays, a triomphé grâce au concours d'une femme, la « Reine-Née » Génia Dare. Elle sera la première souveraine de l'ère d'Erévon, celle de la paix et de la civilisation.

Deux mille ans plus tard, la jeune princesse Anne Dare découvre, alors qu'elle joue dans la cité des morts avec son amie Austra, le tombeau de sa légendaire ancêtre, dont elle semble avoir hérité la témérité et les talents de magicienne. Une communication mystique, ténue mais effective, s'établit entre elles. Commencent alors à se produire dans la forêt des crimes atroces et mystérieux, que l'on attribue au « greffyn », animal terrifiant relevant du même folklore que le « Roi de Bruyère », celui dont le réveil doit annoncer la fin du monde, selon les croyances populaires.

Cinq grands destins vont alors se croiser…

Certes, il n'est pas toujours simple d'oublier ici les noms de Robin Hobb ou Peter F. Hamilton — il est vrai qu'il y a plus que des points communs entre Spendlove et le Quinn Dexter de Rupture dans le réel — , voire celui d'Holdstock — du fait du titre, déjà, Le Roi de Bruyère, qui évoque le fameux Passe-Broussaille — , bref, de ne pas se dire que tout ceci a comme un goût de déjà lu… Certes. Sauf que nous sommes ici en présence de l'auteur de la tétralogie de « L'Âge de la déraison », cycle au cours duquel Keyes démontra à loisir l'étendue de ses capacités et lui valut un Grand Prix de l'Imaginaire 2002 mérité. De fait, dès le prélude, on plonge dans un univers à la fois original et cultivé, un substrat où se croisent des peuples dont les origines tiennent à la fois des mondes romain, germanique et celte, dans une fusion bien plus étroite qu'une simple identité pseudo-européenne.

Là où l'auteur est particulièrement bien inspiré, c'est qu'il émaille son texte de vocables originaux qui sont autant de clins d'œil pour le lecteur polyglotte. Malheureusement, on hésite parfois entre le néologisme et la déformation phonétique d'un terme qui aurait un sens précis dans une langue morte ou vivante. Du coup, on se surprend à toujours craindre de perdre un peu de la finesse du texte. L'écriture de Keyes fascine aussi par son art d'introduire le drôle au détour d'une phrase, quitte à trancher avec le ton général du récit. L'effet est d'autant plus réussi que ces moments sont rarissimes : à peine quatre ou cinq fragments sur cinq cents pages, mais d'une efficacité telle qu'on ne les oublie pas.

Un bémol, toutefois : la traduction. Sans insister sur des maladresses de styles dommageables à la fluidité de l'écriture, on soulignera le choix surprenant d'un mélange entre tutoiement et vouvoiement dans les dialogues, sans la moindre justification au choix qui prévaut dans chaque cas. Cela aurait valu, de la part de l'intéressé, pour le moins une note explicative : entendre un écuyer marquer le plus grand respect à sa reine tout en la tutoyant, cela surprend un lecteur européen. On demeure disposé à croire que ce choix est fondé, mais encore faudrait-il qu'on nous dise en quoi.

Reste au final un livre tout à fait passionnant, dont on a hâte de découvrir les prochains opus et qui pourrait valoir à son auteur une nouvelle récompense littéraire méritée.

Le Graal de Fer

Le Pré aux Clercs nous livre tout frais la seconde partie du « Codex Merlin » de Robert Holdstock, Le Graal de Fer, et annonce pour l'an prochain le troisième volet : The Broken Kings. C'est pas humain, ça : douze mois, c'est long ! D'autant que vous allez dévorer cet opus en moins de deux, ce qui vous fera encore plus de temps à attendre…

Nous avions laissé Jason mourant à Dodone, victime d'un coup de lance de son fils Thesokorus, juste après qu'il ait découvert que Médée s'est contentée de cacher ses enfants à travers le Temps, au lieu de les assassiner, et qu'elle les a élevés dans la haine de son nom. Merlin, lui, était en route pour Alba, à bord d'un esprit-écho d'Argo, le légendaire navire de Jason, dont Celtika nous avait raconté la reconstruction, et le premier périple de Pohjola aux Thermopyles sous l'égide de Mielikki.

Nous retrouvons l'Enchanteur à Taurovinda, accueilli de funeste manière par « Les Trois de Sinistre Présage », dont la prophétie est aussi obscure que peu rassurante : « Trois reviennent, qui te sont une menace. Une quatrième est déjà là, qui se cache ». En attendant le retour d'Urtha, il ramène de l'Autre Monde Kymon et Munda, les deux enfants du chef Cornovidi.

Ce dernier, le premier des Trois, à peine remis de son combat avec le traître Cunomaglos, fait route vers son royaume. Il le découvre envahi par les habitants du Pays Fantôme. La lutte sera d'autant plus âpre que Taurovinda a été construite sur un ancien territoire appartenant aux morts et à ceux-à-naître. Derrière les tensions qui se manifestent dans le camp des Ombres se dessinent les machinations obscures de Médée, qui n'hésite pas à retenir Merlin dans ses illusions enchanteresses au moment où Urtha aurait besoin de lui. Pire encore, si Kymon soutient son père, Munda, sous l'influence de Niiv, qui poursuit toujours Merlin de ses assiduités, se rebelle davantage à mesure que se développe son Talent de Clairvoyance. Elle cherche également à rejoindre dans l'Autre Monde son ancien compagnon de jeu, le Petit Rêveur.

Deuxième à revenir, Jason, à bord de l'Argo — ce dernier venant compléter le trio —, poursuit sa Quête. Il a juré de se venger de Merlin et de retrouver son plus jeune fils, Kinos, qui, selon l'oracle d'Arkamon, « se trouve entre les murailles battues par les flots et règne sur son monde, bien qu'il l'ignore ». Supposant que ce royaume est celui qui s'étend au-delà de la Sinueuse, Jason a décidé de rallier Alba. Il est devenu, rejoignant le destin de son fils, un Homme Perverti, puisqu'il commerce avec la Mort : pour compléter son équipage, il a en effet fait appel à six des Argonautes originels en utilisant les « kolossoï », risquant le paradoxe temporel…

Voici donc rassemblés de nouveau les héros de la première Quête, que leurs intérêts respectifs vont emmener au Pays Fantôme. C'est une seconde — ou plutôt une troisième — Odyssée qui commence, avec ses épisodes-clés, ses Iles aux noms évocateurs, sa consultation des héros disparus, ses sirènes, bref, toute la panoplie inlassablement renouvelée par le génie de Holdstock, jamais vraiment éloigné de ses modèles mythiques, et pourtant toujours original.

Je vous laisse découvrir l'issue de ce périple, aux méandres si complexes qu'ils frôlent parfois l'ésotérisme. Ainsi, les trois îles aux aspects éminemment symboliques, habitées par autant de « fantômes » de Kinos suscités par Médée, sont à elles seules presque trop riches de sens pour éviter que le sens du destin et de la Quête personnelle du Petit Rêveur ne se perde finalement dans une surcharge de significations. La destinée de Merlin se complexifie elle aussi, puisque Mielikki lui révèle qu'il est depuis toujours lié à l'Argo, qui sera son tombeau à la Fin des temps.

Mieux vaut relire Celtika avant de se plonger dans Le Graal de Fer, car l'auteur ne se perd pas en rappel des événements antérieurs : les deux parties s'enchaînent comme deux simples chapitres. Cette économie met en relief, a contrario, certains épisodes, comme le subterfuge de Médée, dont le récit est répété jusqu'à plus soif. Ils prennent ainsi une valeur particulière, comme s'ils étaient une extension à la dimension du roman des vers qui reviennent périodiquement dans un poème épique, pour faciliter le travail de mémorisation de l'aède. Il faut être Holdstock, pas de doute, pour se permettre une telle figure d'écriture.

La lecture révèle également que le mélange gréco-celtique qui avait fait le charme du premier volet laisse place à une simple cohabitation des univers : les deux mythologies ne fusionnent plus. Toute la première partie du roman se concentre sur la reconquête de Taurovinda : on est en pleine geste celtique. L'irruption d'Argo sur le champ de bataille, faisant fuir les Ombres, illustre bien la manière dont l'esprit grec tranche dans le récit celte et vient modifier le fil des événements. À partir de ce moment, on renoue avec l'esprit et le style homérique.

Au premier abord, on se dit qu'il s'agit d'une faiblesse. À la lecture de la postface, pourtant, on comprend que cet effet est recherché, maîtrisé et porteur de sens. L'auteur donne en effet succinctement les éléments socio-historiques qui pourraient constituer la trame du « Codex Merlin », histoire de dire que non seulement son récit est magnifique, mais qu'il pourrait aussi être ethnologiquement pertinent. La rupture entre les deux univers mythiques vient alors croiser celle des civilisations, et leurs relations se superposent aux destinées historiques des peuples. Un tel niveau de maîtrise, qui transcende le simple jeu littéraire, force l'admiration.

À lire, assurément.

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