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New York 2140

New York submergée, mais New York magnifiée ! Enfin, presque. Le réchauffement climatique a, comme prévu, causé des dégâts monstrueux en termes de destructions matérielles et de nombre de morts. Le niveau de la mer a augmenté de façon conséquente et New York s’est transformée en Venise américaine, où l’on se déplace d’un gratte-ciel à un autre en bateau électrique ou à voile. Une partie de la ville a été abandonnée, car les immeubles ne tiennent plus qu’à un fil, laissée aux sans-abri n’ayant d’autre choix que de risquer leur vie pour un toit. Une autre partie est habitée par des gens plus fortunés, mais dont le train de vie a changé. Certaines tours sont transformées en collectivités, avec terrasse où l’on fait pousser des légumes, salles à manger partagées, appartements réduits à la taille minimale, moyens de production d’électricité qui permettent, sinon l’autonomie, du moins une certaine indépendance. Une sorte de vie communautaire, à la limite du communisme, au pays de l’oncle Sam. Ce qui n’a aucunement changé, c’est le monde de la finance. On trouve toujours, dans 120 ans, des traders occupés par leurs seuls bénéfices, sans un regard pour les pauvres ou la poursuite du dérèglement climatique. La moindre pierre est une possibilité d’augmenter ses profits, d’agrandir la bulle spéculative – jusqu’à l’éclatement. Mais si on se débrouille bien, même cet éclatement peut être créateur de nouvelles richesses. Quant aux vies détruites…

On suit ici de multiples personnages, qui vont vite se trouver liés les uns aux autres : un trader, justement, une policière, deux geeks, deux jeunes enfants, une influenceuse écologiste, le concierge de leur immeuble. On est témoin d’un enlèvement, d’une chasse au trésor, d’un ouragan, de jeux financiers. Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur ne ménage pas sa peine pour nous occuper pendant qu’il déroule son raisonnement. Et tout cela est bel et bon, mais tout de même un peu long (comme souvent chez KSR), parfois pontifiant. En effet, l’auteur semble faire la leçon à son lecteur sur l’écologie et l’économie, n’hésitant pas à citer des essais (même l’économiste français Thomas Piketty, décidément partout) et faire des cours pour convaincre de la justesse de son raisonnement. Comme Dan Simmons qui assène, dans certains romans, son point de vue avec la force d’un marteau piqueur… mais avec des idées à l’opposé du spectre politique. Mieux vaut d’ailleurs adhérer aux vues de KSR pour qui veut arriver au bout du récit. Le résultat est un texte agréable à lire, au ton léger malgré la teneur du propos, qui avance des solutions un rien simplistes (mais réjouissantes), même si l’auteur s’en défend. Une lecture agréable, car KSR sait créer des personnages vite attachants et dresser un portrait réaliste d’un New York sous les eaux, qui donne envie de prendre une carte de la ville afin de mieux profiter du séjour.

S.O.S. Antarctica

Rien ne va plus en Antarctique, ce territoire qui n’appartient à personne et où tout le monde ou presque y est allé de sa base permanente – Russes, Américains, Indiens, Belges, etc. Un wagon d’un convoi autonome a disparu alors qu’il se rendait au pôle Sud ; le traité de l’Antarctique est menacé par des projets d’exploitation du méthane prisonnier des glaces ; sans oublier des activités étranges, non répertoriées, repérées dans l’infrarouge par les satellites et qui affolent les responsables sur place et les huiles de Washington. Trois personnages vont être les témoins de cette époque-charnière : X (c’est comme ça que l’auteur et les autres personnages l’appellent !), l’auxiliaire technique (ou forçat des neiges) qui était à bord du convoi autonome quand il a été partiellement piraté ; Val, la superfemme, 1,90 m de poigne et de charme, qui guide le touriste friqué sur la piste d’Amundsen ; et enfin Wade, l’activiste écologiste planqué en attaché sénatorial, ici envoyé au sud du monde pour enquêter pour son patron (dans l’opposition, ce qui a son importance).

L’eau et l’huile, le fond et la forme. Si le fond est ici très intéressant, surtout pour le lecteur passionné par les problématiques environnementales, la forme a tout du calvaire. Globalement il ne se passe rien, ou presque. On se balade sur la glace, longtemps, et on papote, beaucoup. S.O.S. Antarctica est un roman d’anticipation proche hyperréaliste, très politique, et cette politique est très américaine, le tout se révélant chiant comme un voyage en train de marchandises à travers la Sibérie hivernale. Vous voilà prévenus. Et, cerise sur le gâteau, il y a la traduction. Par exemple : le pingouin est un oiseau de l’hémisphère nord et ne doit pas être confondu avec le manchot (penguin en anglais). À l’apparition du vingt-quatrième pingouin faux-ami, on n’a qu’une envie : balancer le livre à travers la pièce. Sans compter les maladresses stylistiques, les altitudes en pieds, les liquides en gallons et j’en passe. C’est régulièrement horripilant.

À moins que vous ne soyez vraiment passionné d’Antarctique et de politique américaine, difficile de conseiller la lecture de ce poussif roman. Personnellement, je vous aiguillerai plutôt vers Le Pire voyage au monde d’Apsley Cherry-Garrard (chez Paulsen), et le sublime La Lune est blanche de François & Emmanuel Lepage (que je me suis fait un plaisir de relire dans la foulée).

Deux recueils

La Planète sur la table et Le Géomètre aveugle réunissent chacun huit nouvelles. Le premier présente des textes écrits entre le milieu des années 1970 et le début des années 1980. Dans le second, on trouve des nouvelles datant de 1986 à 1989. Ces deux recueils embrassent donc la quinzaine d’années au terme de laquelle Kim Stanley Robinson, d’abord débutant, parvint à s’imposer. Ce duo de recueils offre ainsi un aperçu de ce qu’il est convenu d’appeler la fabrique d’un écrivain. Chacune de ces nouvelles peut en effet être envisagée comme une étape dans la genèse, parfois non dénuée de maladresse, d’un paysage fictionnel singulier, marqué par autant de spécificités thématiques que formelles.

Sans surprise, c’est dans La Planète sur la table que se trouvent les textes les moins maîtrisés. Seuls deux d’entre eux convainquent :« Le Lucky Strike » et « L’Air noir », datant de 1983. Entrelaçant la fiction historique à une branche de l’Imaginaire, ils proposent une séduisante relecture d’événements authentiquement advenus. Allant jusqu’à l’uchronie, « Le Lucky Strike » envisage un autre déroulement du projet de bombardement atomique du Japon par les États-Unis en août 1945. Remontant plus loin dans le passé, celui du XVIe siècle et de l’Invincible Armada, « L’Air noir » nimbe d’une troublante lumière gothique l’échec de la flotte espagnole. Témoignant d’une érudition aussi dense que celle déployée par « Le Lucky Strike », « L’Air noir » parvient tout comme lui à combiner avec bonheur ce conséquent matériau documentaire à une narration d’une efficace fluidité et à une caractérisation humaniste des personnages. Faisant eux aussi appel à un important travail de recherches, les autres textes peinent à transformer en or fictionnel des récits croisant là encore divers genres littéraires. Ainsi en va-t-il de la dystopique « Venise engloutie » (1980) plongeant le patrimoine artistique de la Sérénissime sous les eaux, ou bien encore du « Déguisement » (1976) relisant façon hard science le théâtre élisabéthain. De même que pour ces relectures extraterrestres de chronique sociale afro-américaine et de detective story que sont respectivement « Retour à Dixieland » (1975) et « Mercuriale » (1983). Elles sont aussi bancales que « Sur la ligne de crête » (1975 à 1983), mêlant poussivement manuel de trekking et spéculation scientifique, et que « Les Œufs de pierre » (1979), une synthèse trop elliptique de road novel et de SF robotique. Et l’on réservera la lecture intégrale de La Planète sur la table aux « robinsoniens » désireux de retracer au plus près la généalogie de l’œuvre de leur auteur favori…

Quant au Géomètre aveugle, on en recommandera en revanche la lecture à un plus large lectorat. Si Robinson y use des mêmes éléments que dans La Planète sur la table, il en tire cette fois-ci un bien meilleur profit, ayant atteint durant la seconde moitié des années 1980 une maturité littéraire. Mis à part le dystopique et (trop) court « Notre cité » (1986), confirmant que l’auteur a besoin d’espace pour développer ses univers, les sept autres textes sont autant de réussites. La novella donnant son titre au recueil, en date de 1986, s’impose comme une belle rencontre entre thriller d’espionnage conspirationniste et une hard SF pour laquelle l’auteur confirme son inclination. Son héros, un homme parvenant à conjurer sa cécité grâce à son génie mathématique, incarne une nouvelle fois une figure décidemment chère à Robinson, celle du voyant déjà présente dans les textes les plus réussis de La Planète sur la table. D’essence futuriste et technologique comme dans « Le Géomètre aveugle », pareil don peut être, à l’image d’« Intersection » (1986), le résultat d’un mystérieux incident spatio-temporel permettant à un WASP et à un Noir sud-africain de voir au-delà de leurs réalités respectives… C’est un texte témoignant par ailleurs d’une sensibilité antiraciste certaine chez son auteur, que confirment encore ses empathiques portraits de dealer afro-américain du futur dans « Crève-la-faim en l’an 2000 » (1986) et de sorcier navajo dans « Au retour de Rainbow Bridge » (1987). À la fois ethnologique et magique, cette nouvelle s’inscrit dans une même veine que « La Meilleure part de nous-mêmes » (1991), mettant mystérieusement en écho chrétiens des origines et ceux d’une communauté californienne contemporaine. Quant aux deux récits sélénites que sont « Les Lunatiques » (1988) et « Leçon d’histoire » (1988), ils illustrent définitivement la capacité de Robinson à bâtir une SF aussi rigoureuse que généreuse lorsqu’il est en pleine possession de son art.

La Trilogie climatique

Nous pourrions, comme il est d’usage, parler de chaque volume de la « Trilogie climatique » (ou Science in the Capital en VO, initialement « traduite » en Capital code en VF), mais les volumes qui la composent, parus à un an d’écart, ne peuvent s’apprécier individuellement.

De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une uchronie où le dérèglement climatique multiplie les catastrophes, et où le problème finit par être pris à bras le corps par la présidence des États-Unis, les organisations internationales, et jusqu’aux sociétés privées (dont les compagnies d’assurance et pétrolifères). Alors que les États-Unis sortent tout juste d’une présidence Trump qualifiable de folklorique, pour être indulgents, et que les différentes réponses à la pandémie mondiale de Covid-19 manquent de coordination et de logique (encore une fois, avec indulgence), cette trilogie semble relever d’une utopie optimiste plus que d’un récit catastrophique réaliste.

Elle représente en tout cas la quintessence de ce que Kim Stanley Robinson sait faire de mieux… et de pire. Le pire : ses personnages, souvent caricaturaux et définis par une ou deux caractéristiques dont ils ne varieront jamais, qu’importent les événements. En particulier Frank Vanderwal, biomathématicien misogyne à souhait qui ne mesure l’attraction des femmes qu’à l’aune de leur fertilité et qui – pour un scientifique – a un talent certain pour prendre toutes les mauvaises décisions possibles. Jugez-en : détaché à la NSF à Washington de son université de Californie pour un an, il va préférer vivre entre son van et une cabane dans un parc plutôt que louer un appartement ou habiter chez des collègues alors que la capitale américaine se remet d’une inondation gigantesque et connaît son hiver le plus rude et le plus long depuis la fondation des USA. Il se trouve embarqué dans une histoire d’espionnage et de guerre entre agences fédérales pour les beaux yeux d’une femme avec qui il a été coincé une demi-heure dans l’ascenseur. Et, malheureusement pour les lecteurs, ses déboires, qui pourraient fournir la matière à un Tom Clancy de bonne facture, n’ont que peu à voir avec l’intrigue principale de la trilogie. Si vous êtes allergique aux manœuvres politiciennes, vous allez également souffrir. Que ce soit pour l’élection de Phil Chase, sénateur démocrate de Californie et futur président, et pour l’installation de son administration, ou pour les différentes négociations entre les agences fédérales et internationales ou avec les universités ou acteurs du lobbying, Kim Stanley Robinson n’épargne aucun détail. En revanche, pour qui s’est régalé avec House of Cards, c’est un plaisir de suivre ces intrigues et ces retournements.

La réelle puissance de cette trilogie climatique est avant tout la science. Que ce soit les différentes conséquences du dérèglement climatique (à commencer par les Khembalais, réfugiés tibétains sur une île au large du Sri Lanka menacée par les eaux venus chercher de l’aide à Washington) ou les montages public/privé des différentes solutions envisagées pour en atténuer la vitesse, voire en inverser le cours, tout est détaillé et clairement expliqué. Jusqu’aux solutions d’apparence les plus fantasques (une flotte de super-tankers pour redémarrer le Gulf Stream), qui en acquièrent une certaine logique. La science va également se trouver dans les à-côtés : le sort des animaux du zoo de Washington, évadés avec l’inondation, et qui doivent désormais survivre dans une ville aux changements météorologiques marqués ; la psychologie de la petite enfance  ; ou les différentes méthodes de traçage des personnes et des biens. L’action et le souffle épique, tant dans l’ampleur des catastrophes que dans les résolutions du troisième volume, sont également au rendez-vous. KSR sait à la perfection mêler son discours politique et scientifique à ce qui reste d’abord une série de romans de science-fiction ayant pour but premier de distraire le lecteur, avant de l’amener à réfléchir sur le monde qui l’entoure, tout en gardant un point de vue très américano-centré. L’histoire seule dira si l’optimisme de 60 jours et après misant sur l’intelligence collective avait vu juste. Réponse dans une petite vingtaine d’années ?

A? noter que l’auteur a publie? en 2015 Green Earth, pre?sente? comme une version de la trilogie « mise a? jour et condense?e en un seul roman ». [NdRC]

Chroniques des années noires

« Dark Ages » : l’expression anglaise, désignant le plus souvent le Moyen-Âge, est d’une non-neutralité maintenant reconnue, les années qui séparent l’Antiquité tardive de la Renaissance en Europe n’ayant rien de sombre, au contraire de ce que l’on pensait volontiers jusqu’au début du XXe siècle. On s’étonnera donc ici du titre français du présent roman : après tout, The Years of Rice and Salt – « Les années de riz et de sel » — a pour qualité de ne pas évoquer d’emblée un récit au contenu sinistre…

Point de divergence de cette uchronie, l’Europe n’y a pas surmonté l’épidémie de peste bubonique, dite « noire », des années 1340, les États s’y effondrent et disparaissent, et les populations elles-mêmes s’éteignent. L’or des Amériques ne vient pas nourrir la puissance européenne – en alimentant son économie par le truchement des guerres espagnoles contre la Réforme protestante et la France au XVIe siècle. À la place, les civilisations maintenant dominantes du Vieux Monde – l’une organisée par une loi religieuse, celle de l’Islam, l’autre par une bureaucratie tentaculaire, celle de la Chine – ont le champ libre pour leur propre confrontation. Écrit en 2003 (sept ans après Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, donc, et deux après les attentats contre le World Trade Center), Chroniques… pourrait se laisser interpréter de prime abord comme un roman à thèse apportant par quelque bizarre moyen sa contribution à un édifice controversé.

Au deuxième abord, toutefois, la construction littéraire de cette uchronie vient montrer que cette conclusion triviale ne serait pas la bonne. Ces Chroniques… ne constituent en aucun cas des textes autonomes, puisque leurs personnages majeurs, malgré les six siècles de temps qu’elles couvrent, sont à chaque fois les mêmes : B. tout d’abord, l’individu prudent et routinier ; mais aussi et surtout K., son partenaire ambitieux et brillant jusqu’à l’incandescence. Représentés à chaque époque visitée par des incarnations différentes, changeant de nom (mais jamais d’initiale) comme de sexe ou de condition, ces deux personnages portent en réalité la vision de l’auteur pour qui l’Histoire est pétrie d’humanité plus que de grands hommes. L’un des arguments de ce roman est le sort fait aux femmes, en terre d’islam comme en terre chinoise, et le mouvement irrésistible qu’elles font vers une libération de la tutelle patriarcale ; son schéma consiste à montrer que les idées de démocratie représentative et de gestion internationale ne sont pas l’apanage de la pensée européenne, mais plutôt la conséquence des conflits entre cultures. À ce titre, on pourrait presque entendre Chroniques des années noires comme un anti-Choc des civilisations !

Si l’uchronie questionne toujours l’Histoire (et révèle aussi le profond désir de l’être humain d’y trouver un sens), le présent roman le fait en construisant un système cohérent dans les trois dimensions : géographique, ce qui transparaît par exemple avec les cartes qui introduisent chaque nouvelle chronique ; temporelle, où la chronologie réelle finit par se paralléliser avec celle des chroniques – au prix, parfois, de quelques libertés littéraires telles que la présence d’un seul très long conflit mondial plutôt que deux plus courts ; et humaine, enfin. On pourra regretter que cette dernière dimension soit soutenue par l’irruption d’une forme de transcendance, dont les implications spirituelles sont susceptibles d’agacer le lecteur – que l’on croie ou non à la réincarnation, sa répétition en tant qu’argument littéraire finit par ressembler d’un peu trop près à un procédé – mais cela ne remet pas en question la solidité de l’ensemble. À ce titre, Chroniques des années noires est un roman important : de ceux qui portent une certaine idée de l’humanité.

Trois Californies

Publiée aux États-Unis entre 1984 et 1990, la trilogie californienne de Kim Stanley Robinson (KSR) a pour particularité de proposer trois visions radicalement différentes d’un même lieu : le comté d’Orange, cette région de la Californie où l’auteur a grandi dans les années 50 et 60, et qu’il a vue se transformer au fil des ans, renonçant progressivement à ses terres agricoles pour accueillir une population citadine sans cesse croissante. Situés une cinquantaine d’années dans le futur, ces trois romans appartiennent chacun à un genre différent : post-apocalyptique pour Le Rivage oublié, ultra-technologique avec La Côte dorée, utopique, enfin, dans Lisière du Pacifique.

Dans Le Rivage oublié, les USA n’existent plus. Toutes ses grandes villes ont été rasées lors d’une attaque nucléaire, et le pays, ou ce qu’il en reste, est isolé du reste du monde, ses frontières surveillées par des forces armées dont on devine la présence sans – presque – jamais les voir. Ne subsistent désormais que de petites communautés revenues à un âge pré-industriel, comme dans la vallée d’Onofre, située en bord de mer au sud du comté d’Orange, quelques dizaines de personnes vivant de la pêche, de l’agriculture et du troc, notamment avec les récupérateurs, qui cherchent parmi les ruines radioactives de l’ancien monde tout ce qui peut encore avoir de la valeur. Tel est le monde où Henry et ses amis grandissent, un monde leur offrant peu de perspectives de changement. Jusqu’au jour où arrivent dans leur village des envoyés de San Diego, ville qui, petit à petit, a su se reconstruire, et offre désormais à ses voisins de s’unir pour enfin lutter contre leurs ennemis invisibles et faire renaître la grandeur légendaire des États-Unis d’Amérique.

Le Rivage oublié est un roman lent, dans lequel Kim Stanley Robinson prend le temps de donner corps à son univers et à ses personnages qu’il accompagne dans leur quotidien le plus banal. À travers leur histoire, dont celle de Tom, le doyen du village, centenaire qui a connu le monde d’avant, il s’interroge sur son pays, ce qui a pu le conduire à une fin aussi terrible, et donne à voir différentes voies possibles dans lesquelles s’engager. Aucun des personnages adolescents qu’il met en scène n’envisage les choses de la même manière, qu’ils souhaitent passer à l’action coûte que coûte ou au contraire optent pour une position plus pondérée, mais tous ont en commun ce besoin de changement propre à leur âge. Pour Henry, le protagoniste, ce besoin passera in fine par le biais de l’écriture, comme en écho aux motivations du jeune romancier qu’est encore Kim Stanley Robinson à cette époque.

Le parcours de Jim McPherson, le héros de La Côte dorée, est par certains côtés assez similaire à celui de Henry, quand bien même le monde dans lequel il vit se situe aux antipodes du précédent. Le comté d’Orange s’est ici transformé en une mégapole grouillante de vie, s’étalant dans toutes les directions, y compris en altitude, dans une superposition démente de voies autoroutières. Issu d’une famille aisée, Jim semble avoir tout pour être heureux. Il ne l’est pas. Professeur d’anglais à temps partiel pour des étudiants qui s’ennuient autant que lui, il passe ses nuits à effacer ses journées dans des fêtes répétitives où se mêlent sexe, drogue et alcool. Ce mouvement perpétuel ne peut au mieux que lui faire oublier pour un temps la vacuité de sa vie, jusqu’au jour où il entre en contact avec un mouvement politique contestataire qui propose de mener des actions de sabotage contre le complexe militaro-industriel – dans ce roman, la guerre froide entre USA et URSS est au moins aussi vivace qu’au moment de sa rédaction. S’agit-il pour Jim d’une manière légitime de transformer le monde, ou n’est-il qu’un pion dans un affrontement dont il n’est pas apte à mesurer les enjeux ?

Sur la forme, La Côte dorée est un roman plus ambitieux que le linéaire Rivage oublié. Robinson suit en parallèle le parcours de différents protagonistes, lesquels vont se croiser plus ou moins régulièrement, et boucle son récit par un événement qui aura des répercussions sur tous les personnages, quand bien même aucun d’entre eux, contrairement au lecteur, n’est en mesure d’appréhender la situation dans sa globalité. Il est à noter que les deux romans ont un personnage en commun, ou du moins deux incarnations différentes d’un même individu : Tom, le vieux sage, devenu ici le résident d’une maison de retraite où sont envoyés pour y être oubliés tous ceux qui ont passé l’âge d’être utiles à la société. Un double destin qui vient souligner davantage tout ce qui oppose les deux univers. Notons au passage qu’on rencontrera une troisième itération du personnage dans le roman suivant, cette fois pour souligner combien, dans ce monde utopique, les différences d’âge entre individus n’ont plus lieu d’être.

Une fois encore, comme dans Le Rivage oublié, c’est de l’écriture, et plus encore de la redécouverte de l’histoire du monde dans lequel il vit, que viendra la rédemption du héros. Ce besoin essentiel de raconter d’où nous venons pour comprendre où nous sommes aujourd’hui, et vers quel avenir nous nous dirigeons.

Dans l’idéal, cet avenir serait celui de Lisière du Pacifique, ultime volet de cette trilogie, et le plus enthousiasmant des trois futurs que nous propose Kim Stanley Robinson. L’action se situe à El Modena, toujours dans le comté d’Orange, et donne à voir une société harmonieuse basée sur le recyclage, l’économie collaborative et la sobriété énergétique. Aux marges, on retrouve certes quelques nostalgiques de l’ancien monde, toujours prêts à chercher dans les failles du système le moyen de le contourner, mais cette société offre à ses citoyens les armes pour les affronter.

On suit donc le parcours de Kevin Clairborne, architecte nouvellement élu à la municipalité d’El Modena, et qui va déceler dans la volonté du maire de remettre en question le statut d’une zone protégée des motivations moins innocentes qu’elles n’en ont l’air. Une intrigue qui laisse toute la place au romancier pour développer son univers et raconter le quotidien de ses protagonistes, fait de balades dans la nature, de matchs de softball et de relations amoureuses plus ou moins heureuses.

KSR sait à quel point il est difficile, voire impossible, de donner à une utopie une dynamique dramatique. Plutôt que de remettre en question les fondements de cet univers, ce qui n’est pas son objet, il choisit de mettre son récit en parallèle avec un second, un futur proche cauchemardesque qui pourtant, comme on le découvrira en fin de compte, contient les germes de cet avenir rêvé.

D’un point de vue romanesque, Lisière du Pacifique reste la plus faible des trois œuvres, ce qui explique sans doute qu’il aura fallu attendre plus de trente ans avant de la lire en France. Conscient de ses faiblesses, Kim Stanley Robinson choisit de s’en amuser dans une scène finale qui finit, si c’était nécessaire, de nous rendre ce livre aussi attachant que précieux.

Escape from Kathmandu

Mysticisme, cryptozoologie, royaumes souterrains… Voilà bien des thèmes qu’on n’imaginait guère retrouver dans l’œuvre du très sérieux Kim Stanley Robinson, et qui figurent pourtant en bonne place dans Escape from Kathmandu, roman composé de quatre novellas (les trois premières ont été publiées entre 1986 et 1989 dans Asimov’s Science Fiction Magazine) dont l’action se déroule au Népal. C’est là, et plus précisément à Katmandou, que se rencontrent deux expatriés américains, George Fergusson et George « Freds » Fredericks, deux personnalités qui n’ont pas grand-chose en commun mais se retrouvent embringués dans une aventure rocambolesque… avec un yeti. Car oui, l’abominable homme des neiges existe, sauf qu’il n’est pas abominable pour un sou, il est même fort aimable, et qu’il serait dommage qu’une expédition scientifique mette en danger son mode de vie champêtre en révélant son existence au monde entier. Par la suite, George et Freds ne vont plus se quitter (au grand désespoir du premier, victime collatérale systématique des enthousiasmes forcenés et des idées pas toujours lumineuses du second), partant à la recherche des corps de deux alpinistes ayant tenté l’ascension de l’Everest dans les années 20, essayant d’empêcher la construction d’une route dont le tracé passe par la légendaire vallée de Shangri-La, et celle d’un réseau d’égouts à Katmandou qui mettrait à jour l’existence d’un réseau souterrain secret.

On le voit, Escape from Kathmandu est avant tout une comédie, registre plutôt inhabituel pour son auteur. Dans un premier temps, on ne le sent d’ailleurs pas très à l’aise dans cet exercice, et certaines scènes au potentiel comique évident, comme cette improbable rencontre entre le yeti et l’ancien président US Jimmy Carter, ne fonctionnent guère. Il faut attendre la seconde moitié du livre pour que l’auteur exploite pleinement le potentiel humoristique de ses récits, en particulier grâce à des dialogues savoureux.

L’autre intérêt de ce roman est le regard que porte l’auteur sur le Népal, pays qu’il a eu l’occasion de visiter quelques années plus tôt. Là encore, l’évolution est nette au fil des récits. Si dans un premier temps il en donne une vision qu’on qualifiera de touristique, il s’intéresse ensuite de plus près à la société népalaise, le mode de vie de ses habitants, sa culture, mais aussi ses éléments moins glorieux, qu’il s’agisse de la pauvreté dans laquelle vit une grande partie de la population ou de la corruption endémique de son administration.

On pourra sans doute qualifier Escape from Kathmandu de roman mineur dans l’œuvre de Robinson. Il ne s’en dégage pas moins un charme évident, et il permet de découvrir une facette inattendue mais attachante de son auteur.

A Short, Sharp Shock

Écrit entre ses trilogies californienne et martienne, A Short, Sharp Shock est un texte atypique dans l’œuvre de Kim Stanley Robinson, son unique (court) roman de fantasy. Une fantasy qui ne doit rien aux stéréotypes du genre et qui accumule les visions incongrues, surréalistes, mais qui ne parvient jamais à offrir davantage au lecteur que son étrangeté.

L’histoire est celle d’un homme sans nom, amnésique, rejeté par les vagues sur les rives d’un monde dont il ne sait rien. Il n’est pas seul : une femme, anonyme elle aussi (et jamais appelée autrement que « la nageuse »), se trouve à ses côtés. Mais elle disparaît très vite, capturée par une tribu de guerriers et promise à être sacrifiée. L’homme se lance alors à sa recherche, avec l’aide de créatures à l’apparence presque normale, si l’on fait abstraction des arbustes fruitiers poussant sur leurs épaules. Ce ne sont que les premiers d’une série de personnages plus ou moins bizarroïdes dont notre homme va croiser le chemin au fil de ses pérégrinations.

On ne peut pas dire qu’on s’ennuie à la lecture de A Short, Sharp Shock. En perpétuel mouvement, le récit nous conduit d’une découverte et d’une rencontre à l’autre, au milieu d’un décor de bord de mer sauvage, grandement inspiré à Robinson par un voyage qu’il fit dans les îles grecques quelques années plus tôt. Pourtant, malgré la beauté des descriptions, toute cette animation s’avère bientôt assez vaine. La faute, en premier lieu, à un personnage principal falot, creux, qui se laisse porter par les événements tout du long sans jamais faire montre d’une once de personnalité, et n’affichant guère plus de motivations perceptibles à son périple permanent. De même, le regard qu’il porte sur ce monde inconnu et ses habitants ne parvient pas à faire naître chez le lecteur le moindre émerveillement, la moindre émotion. Surtout, le récit souffre d’une absence de cohérence et d’enjeux forts. Robinson semble avoir écrit son roman au fil de l’eau, sans jamais réussir à en faire autre chose qu’une collection d’images à l’agencement aléatoire et à la signification nébuleuse, faisant finalement de A Short, Sharp Shock un récit aussi singulier que raté.

Le Rêve de Galilée

1609 : un étranger informe Galilée de l’existence, loin au Nord, d’une lunette à deux lentilles qui grossit les objets. Cet événement sera le déclencheur d’une épopée dont les échos résonnent encore aujourd’hui.

3020 : des hommes occupent plusieurs lunes de Jupiter ; l’exploration des profondeurs d’Europe conduit à une lutte sans merci entre différentes factions.

Ici, KSR nous projette avant tout dans la vie du savant italien. Il en présente, avec beaucoup de rigueur, le contexte compliqué – scientifique, politique et historique. Le roman entremêle une ligne science-fictionnelle plus classique, riche de descriptions majestueuses du système jovien et d’aventures trépidantes au cœur de ses lunes, mais non sans quelques infodumps et analyses psychologiques, épistémologiques et historiques. C’est bien entendu en regardant à travers une lunette que Galilée passe d’un univers à l’autre.

En nous faisant entrer dans l’intimité de l’astronome, Robinson livre une vision du personnage bien éloignée du mythe – et peu sympathique. Pour obtenir ce qu’il estime lui être dû, le grand homme n’hésite pas à sacrifier ses deux filles, qu’il contraint à une vie de misère comme nonnes dans un couvent sans terre – ce qui conduira d’ailleurs l’une d’elles à la folie. De même, à son départ de Padoue, il abandonne à son sort Mazzoleni, l’artisan aux doigts d’or à qui il doit tant de dispositifs. Rien ne compte que ses grands projets, peu importe les dommages collatéraux.

Il n’en demeure pas moins que l’on s’attache à ce Galilée certes imbu de lui-même (« Si j’ai vu moins loin que d’autres, c’est que j’étais debout sur les épaules de nains »), mais animé par une sincère et profonde volonté de comprendre le monde. KSR excelle dans la reconstitution des expériences menées par Galilée et la démarche novatrice qu’il utilise dans son atelier. À un détail près toutefois, mais de taille : la restitution du moment où une nouvelle compréhension d’un phénomène surgit, rendue par un simple son de cloche dans la tête, façon Tex Avery. Les aventures joviennes du physicien apparaissent alors avant tout comme un prétexte à un guidage du lecteur dans sa compréhension des enjeux épistémologiques et politiques. Que se joue-t-il avec sa revendication de la démarche expérimentale et des mathématiques comme outils pour explorer le monde ?

Et ça marche, même si Robinson passe à côté de l’apport essentiel de Galilée à la physique, le principe de relativité du mouvement, assimilant même physiques newtonienne et galiléenne (alors même qu’en posant un temps et un espace absolu, Newton balaye le principe galiléen de relativité ; il faudra attendre Mach, Poincaré, et finalement Einstein, pour qu’un principe de relativité plus général soit enfin de nouveau formulé). À sa décharge, c’est là un aspect de l’histoire des sciences trop peu connu et encore moins enseigné.

En dépit d’épisodes SF qui sonnent parfois un peu creux, les rencontres de Galilée sur les lunes de Jupiter avec deux femmes fortes, Aurore et Héra, sont autant de moments réjouissants de confrontation de modes de pensée différents et de réflexion sur la condition féminine. L’affection évidente de Robinson pour son astronome un peu dépassé par ces personnalités marquantes est contagieuse.

Ce roman offre un remarquable aperçu, très documenté, de la vie de Galilée comme de son époque. Il nous invite à ne pas oublier que « Nous sommes des créatures culturelles, et ce que nous prenons pour des émotions spontanées et naturelles est en réalité formé par un système culturel qui évolue avec le temps ». Quoi de mieux pour cela, après s’être plongé dans Le Rêve de Galilée, qu’une lecture de ses textes originaux, encore très accessibles et surtout très beaux ?

The Ministry for the future

Alors que KSR était déjà considéré comme le roi de la climate fiction, il manquait à sa couronne un joyau, l’équivalent de ce qu’est la « Trilogie martienne » au planet opera. Puis vint The Ministry for the Future : l’œuvre ultime, indépassable. Parfaite ? Pas si sûr…

Le roman s’ouvre au début des années 2020, alors qu’une vague de chaleur hors-normes cause vingt millions de morts en Inde – autant que la Première Guerre mondiale en à peine une semaine. Frank, un humanitaire US, n’y survit que de justesse, et en ressort traumatisé et radicalisé, décidé à refuser l’inaction des instances internationales. Et justement, alors que l’Accord de Paris a brassé beaucoup d’air mais produit peu d’action, il est décidé d’en créer une branche « exécutive », surnommée le Ministère pour le Futur, dirigé par Mary, qui doit tout mettre en œuvre pour inverser le changement climatique et une extinction de masse comme on n’en a plus vu depuis le Permien. Sur le plan légal et diplomatique, mais pas seulement. Car il existe un ministère à l’intérieur du ministère, qui n’hésite pas à recourir aux attentats sous faux pavillon, aux assassinats ciblés et à l’écoterrorisme s’il le faut.

Alors que la majorité de la cli-fi est post-apocalyptique, KSR part du futur très proche et montre les efforts faits pour stabiliser puis inverser le changement climatique. Son approche est réaliste sur le plan scientifique, plus contestable sur le plan sociétal : si Robinson se prénomme Kim et pas Greta, et qu’il comprend donc bien que l’industrie ou les banques centrales ne peuvent être écartées d’un revers de la main, même avec le recours massif à l’écoterrorisme et une juteuse carotte (une monnaie carbone garantie cent ans, dans laquelle il est pertinent d’investir), il faut avouer que sa lecture des trente années à venir frôle parfois l’utopie, tant certains changements s’opèrent avec une rapidité et une absence de résistance (notamment dans une société aussi rigide que celle de l’Inde) qui nécessitent une certaine suspension d’incrédulité.

Et le fond n’est pas le seul à poser un problème potentiel : si le récit est en partie un roman classique suivant Mary et Frank, il est aussi éclaté en une multitude de points de vue ponctuels (anonymes, à la première personne, et pour la plupart non-récurrents) donnant une vision internationale et à hauteur d’homme des problèmes et de leurs solutions. Aussi, certains points de vue, d’un photon ou d’un atome de carbone, sont vraiment très… particuliers. Si on ajoute à cela une variété, disons sauvage, de styles (du poème au compte-rendu de réunion en style télégraphique), un déballage d’infos massif sur l’Histoire et la théorie de l’économie, un rythme très fluctuant, et une alternance de passages très arides avec ce qui est sans doute à ce jour le roman de l’auteur générant le plus d’empathie pour ses personnages, force est de conclure que, si l’érudition de l’ensemble est, comme toujours chez KSR, admirable, oui, clairement, The Ministry for the Future est le roman cli-fi ultime, oui, c’est un chef-d’œuvre, mais il ne s’agit certainement pas d’un livre apte à plaire à tous les publics.

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