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La Voix du feu

On ne présente plus Alan Moore, scénariste de BD pour le moins productif à qui l'on doit quantité de séries aussi délirantes qu'intelligentes. Si les Moutons électriques nous avaient déjà offert un exemple d'Alan Moore écrivain (dans une démarche assez putassière, nous vendant pour un roman ce qui, au final, n'était rien d'autre qu'une nouvelle), la collection « Interstices » nous propose aujourd'hui un roman véritablement décalé qui peut se lire comme un recueil de nouvelles liées entre elles par plusieurs dénominateurs communs. Magnifiquement servie par la traduction irréprochable de Patrick Marcel, La Voix du feu est un texte complexe, bizarre, expérimental, parfois lyrique, mais toujours intelligent et somme toute assez vertigineux. Passées les 30 premières pages où un débile léger préhistorique tente de décrire le monde avec un vocabulaire d'une trentaine de mots, le roman décolle véritablement et navigue entre les siècles à mesure que les nouvelles se rapprochent de notre époque (on commence en 4000 avant J.C. pour finir en 1995 après J.C.). Neil Gaiman a beau nous prévenir dans son introduction pour le moins élogieuse, La Voix du feu n'est pas exactement un texte facile. Pourtant, une lecture attentive et un minimum de concentration suffisent pour faire de l'expérience un modèle de lisibilité. On est très loin des circonvolutions formelles d'un Danielewski ou des monologues intérieurs propres à Joyce. Alan Moore livre ici quelque chose qui n'appartient qu'à lui, avec comme symbole récurrent le thème de l'oiseau, démon ailé ou simple mortel déguisé. De fait, La Voix du feu ne relève d'ailleurs pas vraiment du fantastique ou de la littérature générale, d'où sa présence dans la collection « Interstices ». On y décèle des éléments fantasmés ou hallucinatoires, des évocations grotesques (comme les pensées mort-vivantes d'un pendu au XVIIe siècle), des descriptions historiques rigoureuses, tous entrecroisés dans une danse de mort où l'humanité n'a plus franchement son mot à dire. On ne résumera évidemment pas les récits qui forment l'ossature d'un tout cohérent, mais on peut se limiter à les évoquer. Un homme-oiseau qui rencontre une patrouille romaine, un supplicié philosophe, une nonne éclopée qui confond Dieu et Diable, un croisé traumatisé par une momie, un enquêteur romain aux prises avec les Écossais les plus arriérés du monde civilisé, autant de personnages qui se perdent, se trouvent et se transfigurent sous les yeux du lecteur parfois amusé, souvent horrifié, mais toujours emballé et finalement convaincu. Alan Moore maîtrise une narration dense et son roman casse-gueule évite soigneusement les écueils inhérents à ce genre d'exercice. On sait bien évidemment que le concept de « scénario » n'a plus vraiment de secrets pour lui, mais on reste assez estomaqué par cette capacité proprement stupéfiante de ne jamais se répéter tout en saisissant son lecteur à la gorge. Preuve que le talent d'Alan Moore possède plusieurs facettes, même si les mêmes thèmes et l'ambiance reviennent assez régulièrement. À ce titre, on pourrait parler d'obsession. Une obsession épatante, tout simplement.

Un sale boulot

Deuxième Christopher Moore publié dans la très recommandable collection « Interstices » (après Le Sot de l'ange), Un sale boulot prolonge des thèmes déjà explorés par l'auteur dans L'Agneau (disponible chez Folio « Policier »). Dieu tout-puissant et arbitraire, sens de la vie, nature de la mort, absurdité de l'existence, humour et émotion, tout est là ou presque, dans un registre toutefois plus léger et sans doute beaucoup plus personnel. Toujours attaché à des personnages curieusement crédibles, compte tenu de leur nature éminemment fictive (et dont certains évoluent avec bonheur de romans en romans), Christopher Moore navigue ici entre sérieux et comique, parfois avec succès, parfois avec lourdeur. À force de ne plus vraiment savoir où il va (un défaut flagrant dans Le Secret du chant des baleines), l'auteur se perd en route, un défaut qui ne doit toutefois pas faire oublier la très bonne tenue de l'ensemble et certains passages d'anthologie. Le thème, d'ailleurs, est un festival à lui tout seul. Charlie Asher a tout pour être heureux : une gentille femme enceinte, un gentil travail et tutti quanti, mais Dieu en décide autrement. La femme de Charlie meurt en couches et le moins qu'on puisse dire, c'est que l'heureux papa d'une charmante petite fille démarre plutôt mal sa paternité. D'autant qu'il a vu un type étrange penché sur sa femme juste avant son trépas. Un type étrange que personne n'a remarqué. Ni le personnel soignant, ni les caméras de surveillance pourtant installées un peu partout. Mais la vie continue comme elle peut et bientôt, Charlie passe à une nouvelle étape de l'existence. Il se rend peu à peu compte que les objets vendus dans son magasin d'occasion servent en fait de véhicules spirituels aux âmes avant le grand départ. Grâce à un livre de magie noire subtilisé un temps par une vendeuse gothico-maniaque toute déçue de ne pas être choisie par l'Etre Suprême, Charlie finit par comprendre le rôle que Dieu himself lui réserve sur Terre : la Mort. Couic. Ceci étant, le mythe est dépassé. D'abord parce qu'on ne manque pas de travail et qu'il y a donc plusieurs Morts à l'œuvre sur notre bonne vieille planète, ensuite parce qu'il existe une sorte de police mortuaire, d'affreux démons cannibales bien décidés à bouffer tout cru (famille comprise) toute Mort trop peu productive dans son travail. Charmant, donc…

Curieusement mystique sur la fin et probablement plus profond et douloureux que ne le laisse supposer son apparente légèreté, Un sale boulot est un honnête Christopher Moore. Même si certains défauts sont trop visibles pour convaincre totalement le lecteur (remarque qui s'applique aux trois derniers bouquins de l'auteur, ce qui commence à agacer), force est de reconnaître que Moore a le sens du dialogue et reste capable de construire des situations si tragicomiques qu'il est bien difficile de ne pas dévorer son petit dernier vite fait bien fait. Bref, si ce roman n'est sans doute pas son meilleur, il ne fait qu'augmenter notre envie de voir le reste de son œuvre traduite au plus vite sous nos longitudes.

Mémoire vive, mémoire morte

Recueil hétéroclite par nature (plusieurs nouvelles publiées ici ou là et appartenant à différentes périodes de l'existence de son auteur, comme le souligne Gilles Dumay), Mémoire vive, mémoire morte rassemble des textes trop malicieux pour être pris au premier degré. On y décèle plusieurs Gérard Klein, tous bien ancrés dans leur époque, avec parfois de jolies pages d'anticipations et le thème récurrent de l'incommunicabilité. Tour à tour poétiques, désespérées, sombres ou légères, les nouvelles rassemblées ici distillent une petite musique froide, parfois distanciée, mais jamais vaine ou maniérée. Certes, le style est particulier et renvoie très directement à l'âge d'or de la S-F, mais c'est d'un âge d'or assimilé qu'il s'agit, un âge d'or compris, intégré et… désintégré par un auteur qui fait plus œuvre de détournement qu'autre chose. Détournement respectueux, sans aucun doute, mais détournement quand même, et c'est justement ce qui donne toute sa saveur et son à-propos au livre. Les thèmes développés par Gérard Klein forment l'ossature d'une certaine conception de la S-F. Mondes parallèles, invasions extraterrestres, délabrement humain, autant d'idées parfaitement conventionnelles, voire convenables, pour tout lecteur habitué au genre. Le détail qui fait véritablement la différence et l'intérêt de Mémoire vive, mémoire morte, c'est bien l'œil acéré que porte l'auteur sur les petites gesticulations humaines, regard critique qui ne s'épargne pas lui-même quand il se met en scène (« Trois belles de Bréhat », un constat plutôt amer sur l'âge et ses blessures), regard triste et pessimiste quant à l'Avenir de l'humanité. Tout occupé à tracer sa propre route dans l'ombre de géants comme Bradbury, Lem, Brunner et quelques autres, Gérard Klein assume son héritage, mais s'offre une place résolument à part et contemple le monde en ricanant. Une lecture hâtive peut donner à certains textes un côté désuet, mais cette fausse désuétude finit par convaincre par son sens de la mise en scène. Les textes sont d'ailleurs enrichis grâce à la technique délicate, mais maîtrisée, du monologue intérieur. De fait, ils n'appartiennent clairement pas à la race de ceux qu'on lit et qu'on n'oublie. L'auteur s'y déshabille, s'ausculte et se montre. Le lecteur, lui, découvre, savoure parfois, et referme le livre en se promettant de le relire un jour. Sorte de petit plaisir qu'on met de côté et qu'on se garde par gourmandise. Force est de reconnaître que les recueils de ce genre ne sont pas légion.

[Voir également la critique de Thomas Day.]

L'Énigme du cadran solaire

Habituée des pavés en tout genre, Mary Gentle récidive avec L'Enigme du cadran solaire, sorte de pastiche/hommage au roman de cape et d'épée en deux épais volumes. Les lecteurs emballés par l'excellent Livre de Cendres (quatre tomes dans la même collection, pour un seul et même roman, cf. critiques in Bifrost 36 & 38) peuvent se ruer sans angoisse sur cette nouvelle démonstration de talent à l'anglaise. Prenez un cliché, tordez-le, récupérez-en la quintessence, secouez, saupoudrez d'un zeste de détachement, et voilà. Le flegme britannique en plus. Mary Gentle pourrait effrayer tant elle semble incapable de faire court, mais elle possède le rare talent de ne jamais ennuyer son monde, tout en le baladant très exactement où elle veut. Humour débridé, aventures délirantes, fantastique léger, action, suspense, émotion, L'Enigme du cadran solaire a tout du blockbuster littéraire, mais la très grande subtilité qui nimbe l'ensemble rappelle que nous n'avons pas affaire ici à un roman de fantasy de plus. Gentle fait de la littérature d'auteur. Divertissante, certes, passionnante et grand-public, mais jamais vaine, jamais facile et toujours très personnelle. Bref, de la littérature de genre assumée dans le décalage, comme seuls les anglais en ont le secret.

Titrée 1610, A sundial in the grave en VO, L'Enigme du cadran solaire s'ouvre sur la mort d'Henri IV. On y suit les mésaventures de Rochefort, bretteur interlope aussi loyal qu'attachant (à mi-chemin entre Cyrano et Portos) et gentilhomme défroqué qui travaille (efficacement, d'ailleurs) comme espion pour le compte du Duc de Sully, ministre des finances du Roi et fidèle d'entre les fidèles. Reste que Rochefort fait une erreur. Grave, même : bien décidé à infiltrer un odieux complot contre le Roi ourdi par la reine Marie de Médicis, Rochefort réussit tellement bien dans son entreprise que c'est lui qui engage un illuminé, Ravaillac, persuadé que l'animal va lamentablement échouer. Hélas, l'histoire passe par là, et une fois Henri dûment occis, Rochefort n'a d'autre choix que l'exil, d'autant que Marie de Médicis n'a pas franchement la réputation d'être agréable envers ceux qui en savent trop… Comble de malheur, Rochefort embarque dans sa fuite l'infect Dariole, saleté de jeune homme aux manières aussi insultantes qu'espiègles, et qui a bien failli le tuer lors d'un duel mémorable. Horrifié par sa situation tragique, Rochefort se découvre en plus une attirance contre-nature envers Dariole (d'où quelques scènes pornographiques d'anthologie), personnage décidément énigmatique dont l'histoire pourrait bien cacher quelques secrets. Réfugiés à Londres, les deux frères ennemis voguent de Charybde en Scylla et de Scylla en Sarkozy en sauvant un samouraï japonais naufragé, avant de mettre le nez dans un autre complot régicide, à l'anglaise cette fois, orchestré par un nécromancien du nom de Robert Fludd, sorte de devin à côté duquel Nostradamus fait figure d'amateur. Bref, vivre dans la peau de Messire Rochefort n'est pas de tout repos…

Drôle, sérieux et intelligent de bout en bout, L'Enigme du cadran solaire fait partie de ces rares romans de pur divertissement aussi jubilatoires que passionnants. Mary Gentle happe son lecteur dès le premier chapitre et le martèle de situations tragicomiques sans toutefois jamais le perdre dans son labyrinthe narratif parfois déroutant mais jouissif. Cerise sur le gâteau, l'histoire s'offre le luxe d'une certaine poésie tout en restant étonnamment crédible, condition sine qua non à la stabilité de l'ensemble. Au final, deux tomes de pur plaisir, de quoi passer l'hiver au chaud.

Le Cimetière des Saints

Deuxième roman de Richard Paul Russo après l'excellent La Nef des fous, Le Cimetière des saints relève du plus pur space opera mâtiné de planet opera, pour un cocktail étrangement insipide à l'arrivée. L'efficacité de la plume de Russo n'est pourtant pas à mettre en doute. Action, suspense et… mystère d'envergure cosmique, autant d'éléments qui, a priori, sont susceptibles d'attirer l'attention du lecteur à défaut de l'enthousiasmer. Attiré, on l'est évidemment dès le départ : un vaisseau dont on ne connaît pas grand-chose se crashe sur une planète. Vue à travers les yeux d'un enfant de 5 ans, l'attaque — car c'en est une — n'a bien sûr rien de très explicatif. Qui attaque qui, et pourquoi ? Mystère. Reste qu'une navette de sauvetage embarque enfant et nurse vers le monde de Conrad, une planète qui orbite dans les parages, et que l'atterrissage est rude. Recueilli/enlevé par une bande comme il en existe tant sur la planète, le gamin passe une enfance de semi-esclave en n'ayant que très peu de souvenirs de son ancienne existence. Il s'appelle Cal Alexandros, son père est quelqu'un d'important, il vient d'un autre monde, autant d'éléments qu'il chérit secrètement au sein d'une existence misérable. Une existence qui, on s'en doute, va prendre un tour nouveau quand Cal décide de s'enfuir. On le voit, tous les ingrédients sont là pour faire du Cimetière des saints un roman initiatique comme les autres. Un enfant à l'ascendance mystérieuse, une planète qui regorge de secrets, et l'apprentissage (difficile) d'une vie qui apporte son lot de surprises et de révélations… Rien de bien nouveau, donc, si ce n'est la façon étrangement désincarnée qu'à Russo de traiter son sujet. Cal part bien évidemment à la recherche de sa destinée, le Monde de Conrad se révèle être une planète-prison, et le destin de l'humanité est en marche. En principe, il y a de quoi donner dans le palpitant. Mais à mesure que le scénario se développe dans un classicisme formel sans grande invention, on a l'impression que Russo ne s'intéresse plus à ses personnages et finit par s'ennuyer. Une bonne idée, un scénario a priori millimétré pour produire un bon page-turner, mais patatras, Le Cimetière des saints lasse. Rien d'affreux à tout ça, cependant, tant le professionnalisme de l'auteur fait le reste, mais une sensation tenace de laissé aller qui gâche la lecture de ce qui est manifestement un roman raté. Tout ça n'a, répétons-le, rien de bien scandaleux, mais de la part d'un auteur capable d'accrocher son lecteur comme il l'a si bien fait dans La Nef des fous, on espérait un tout petit peu mieux. Reste que Russo a produit d'autres livres et que les traduire permettrait au lectorat français de découvrir d'autres facettes d'une œuvre qui s'annonce foisonnante et originale.

Solutions non satisfaisantes : une anatomie de Robert A. Heinlein

Robert Anson Heinlein est, sans conteste, le plus grand écrivain de science-fiction au monde. Pour un Etats-unien, du moins, car il existe en France, non pas une brouille, ni un contentieux, mais une incompréhension que le temps ne parvient pas à effacer. Comment expliquer sinon que Heinlein reste mal et incomplètement traduit — en dépit d'efforts notables ces dernières années ? À l'occasion du centenaire de sa naissance, le présent essai est aussi une entreprise de réhabilitation ou, à défaut, l'amorce d'un débat que les auteurs sont prêts à engager (qu'ils ont engagé par ailleurs) pour présenter et rendre accessible une œuvre exceptionnelle.

Pourquoi une anatomie et non une monographie ou un essai ? Certes, en tant que critiques, Picholle et Bellagamba dissèquent et commentent une œuvre à la lumière du texte et des déclarations de l'auteur. Mais ils en restituent aussi les sens multiples à travers le contexte politique, historique et scientifique de l'époque, à travers la situation de la S-F, des avis de ses pairs et de la critique. La quantité de notes de bas de page témoigne de l'étendue des recherches nécessaires à cette étude, qui dépassent de loin la lecture des revues et fanzines ou celle de la correspondance de l'auteur. Mais c'est bien l'examen de l'ensemble de ces pièces et leur ordonnancement, selon un axe chronologique découpé en unités thématiques, qui finissent par révéler un homme en phase avec son temps, fascinant de complexité, entier et nuancé à la fois. Une anatomie donc, qui convoque maints sujets et types de documents à l'appui du discours, procédé littéraire qu'employa Heinlein dans Time Enough for Love, en référence à l'œuvre de Robert Burton, L'Anatomie de la mélancolie, publié en 1621 sous le nom de Démocrite junior.

Tout ceci n'est pas innocent : L'Anatomie de Burton, qu'on peut comparer en France aux Pensées de Montaigne, est baroque et exhaustive dans la démarche, elle thésaurise et analyse, récapitule des connaissances et contient de fulgurantes intuitions. Il est difficile de ne pas reconnaître là une des facettes d'Heinlein, à l'érudition fascinante, qui fait un avec le monde et le réifie avec tous les matériaux à sa portée. De même, Eric Picholle et Ugo Bellagamba utilisent de multiples outils dans ce texte fouillé, dense, pour tenter de restituer cette complexité.

Celle-ci fut probablement source de multiples méprises : il est difficile de savoir quand l'auteur se livre à une farce au second degré ou écrit avec différents niveaux d'interprétation. Ses prises de position tranchées, si nombreuses qu'elles paraissent contradictoires, ses aphorismes passe-partout le font passer pour un démagogue ou un malin retors capable de toujours retomber sur ses pattes. Il interdit par exemple aux critiques d'interpréter sa pensée à partir de ce qu'expriment ses personnages. Les auteurs lui donnent raison contre Panshin, l'admirateur exécré, qui entend parler l'auteur dès lors qu'une opinion revient de façon récurrente dans son œuvre. Pourtant eux-mêmes ne se privent pas d'analyser les positions d'Heinlein à partir d'extraits de romans : c'est peut-être le seul moment où leur objectivité est prise en défaut.

Dans leur ouvrage, nos deux anatomistes auront au moins mis en évidence la cohérence du personnage. Habitué très jeune à une discipline familiale nullement pesante, l'enfant de Kansas City rêve d'une carrière d'officier. S'il fut renvoyé de la Marine pour raisons de santé, on peut observer chez lui, tout au long de sa carrière, la méthode et l'application avec laquelle il se lance des défis et conquiert de nouveaux territoires. Il a un esprit d'ingénieur, ouvert et curieux, cherchant à mettre en application ce qu'il a appris. Ecœuré devant les politiques cyniques et les manœuvres frauduleuses, il s'est toujours intéressé aux questions sociales et milite dans le mouvement socialiste EPIC d'Upton Sinclair, écrivain devenu homme politique, ce qui influencera sans nul doute Heinlein dans ses choix de carrière futurs. En effet, après la défaite électorale qui l'a ruiné, il publie des romans pour rembourser ses dettes, avec la ferme intention de cesser d'écrire dès l'effacement de l'ardoise, ce qui est réalisé au bout de deux ans seulement. On sait ce qu'il advint : L'Histoire du futur, Starship Troopers, En Terre étrangère, Révolte sur la Lune sont des classiques sans cesse réédités. À travers ses livres, Heinlein continuait à faire de la politique, cherchant, en variant les contextes, des solutions aux problèmes posés, conscient qu'aucune n'était parfaite au point d'être pérenne.

Persuadé que la chance n'existe pas et que l'ignorance n'est pas une excuse, il a toujours organisé sa vie en fonction de principes clairs, et assumé ses choix. Il n'a pas hésité à étudier la physique quantique pour en faire matière à récits et maintenir ses connaissances à niveau alors qu'il n'a plus rien à prouver en tant qu'auteur. Il a créé un groupe de réflexion autour de la science-fiction (la Mañana Literary Society), est à l'origine de bien des techniques d'écriture propres à la S-F et cherche avant tout à avoir un style clair et concis, efficace pour ne pas dire utilitaire, conscient que c'est dans la façon de donner des ordres qu'une guerre se perd ou se gagne, ou une élection. La cohérence est à tous les niveaux. Les buts sont inchangés : il s'agit d'être utile à la société et à l'homme, à petite ou grande échelle. Sa générosité fait dire à Dick qu'il est « ce que l'humanité a de meilleur ».

Mais il connaît sa valeur et a les défauts de ses qualités. Au-delà de l'anecdotique, qui n'est toujours proposé qu'en support, les auteurs ont davantage cherché à analyser le système de pensée de Robert Heinlein. Ils cessent de parler d'une seule voix en fin d'ouvrage, pour s'autoriser à dire enfin leur admiration pour cet auteur, anthropologue accompli et grand écrivain, l'exemple type de l'honnête homme.

Tant d'érudition et de passion au service d'une réhabilitation ne laisse pas indifférent : on a vraiment envie de relire Heinlein en fermant ce livre — tout en évitant de trop s'attarder sur sa couverture où moment où on le referme, de peur d'en perdre le sommeil pendant une paire de nuits…

Histoire de Lisey

Le célèbre écrivain Scott Landon est mort. Deux ans après, sa veuve entreprend de ranger les manuscrits et les papiers qui encombrent son bureau. Après vingt-cinq ans de vie commune, elle continue d'entretenir un dialogue avec son mari, dont elle a copié pas mal de tics de langage.

Lisey a peut-être de l'argent, mais sa vie n'est pas simple : elle a quatre sœurs dont l'une, de plus en plus fragile psychologiquement, a besoin de sa présence maintenant qu'elle est frappée d'une nouvelle crise de catatonie. Un professeur d'université qui la harcèle pour récupérer les inédits de Scott Landon a dépêché un malade mental chargé de les récupérer ; celui-ci se fait toujours plus menaçant et il est trop tard pour l'arrêter. N'ayant pas encore totalement achevé son deuil, Lisey craque. Les souvenirs l'envahissent au fur et à mesure qu'elle classe les documents : la tentative d'assassinat de son mari, le récit de son enfance martyre aux côtés de son frère Paul, qui le défendait contre un père manifestement fou, et surtout, le secret de son imagination, la mare aux histoires située dans un lieu hors du temps et de l'espace, où il va pêcher ses idées, voire s'entretenir avec les autres qui le fréquentent ou y végètent, cadavres amenés là ou esprits dérangés que le délire a conduit en ces lieux. Parfois, on n'en revient jamais. Cet endroit inquiétant, dangereux à certaines heures, Lisey s'y est rendue, il y a longtemps, guidée par Scott. Elle doit à présent y retourner seule, pour y récupérer sa sœur égarée ou pour régler son compte à ce malade mental bien décidé à la torturer. Peut-être pour y revoir son mari une dernière fois.

En affrontant les peurs du présent ou les fantômes du passé se dessinent la relation particulière qui unissait le couple et la personnalité de cet écrivain adulé. Ecrire était chez lui un processus thérapeutique le délivrant de sa cauchemardesque enfance. Stephen King reprend là le concept rebattu (et discutable) selon lequel il faut avoir souffert pour être un auteur. Il est douteux cependant de croire qu'on puisse devenir écrivain après avoir vécu l'enfance de Scott Landon : la grandeur de l'œuvre n'est pas proportionnelle aux traumatismes subis. Passons : il faut croire que Scott Landon a eu énormément de chance pour parvenir à sublimer ces horreurs tout au long de sa vie, une chance qui pourrait bien s'appeler Lisey, Babylove comme la surnommait son mari. L'épouse, en apparence effacée derrière la star, se révèle farouche et volontaire, acharnée à défendre les siens et à faire leur bonheur avec une détermination qui force l'admiration. Elle se révèle admirable à tous points de vue et ses passages à vide, ses moments de faiblesse ne la rendent que plus attachante.

D'autant plus que le bonheur qu'elle a distribué autour d'elle résulte d'un combat quotidien contre la folie et ses multiples manifestations : folie de Scott capable de se mutiler pour lui prouver son amour, folie des admirateurs excessifs, folie de sa sœur catatonique, folie des mots et du langage que l'écrivain n'a cessé de tordre jusqu'à bizarrement travestir le quotidien : Cigarette-moi, crapouasse, toufoutu, termes déclinés dans des phrases à la syntaxe malmenée, parasitées par des jeux de mots à deux balles ou crevassées d'éruptions de grossièretés, jusqu'à ce foutu nard, aux sens multiples, exprimant la surprise, qui peut-être plaisante (bon-nard) ou angoissante (traque-nard), le nard-de-sang de l'enfance de Scott présageant généralement quelque indicible cruauté. Saluons au passage le travail de la traductrice qui a cherché dans San Antonio et ailleurs, jusque dans le langage de sa fille, des transpositions françaises acceptables du style de Landon.

Ceci dit, on a du mal à croire que Landon puisse être un grand écrivain à travers l'aperçu qu'on donne de son écriture, un rien puérile (mais Landon a de nombreux côtés gamin) et plutôt artificielle. Mais King n'allait pas élaborer un véritable langage d'auteur juste pour les besoins de l'histoire : il suffit de savoir que Landon est célèbre et particulier dans son expression.

En revanche, il a voulu soigner l'écriture de ce roman, mais le collage un peu brouillon de scènes issues de diverses époques, loin de paraître moderne, désarçonne le lecteur, l'histoire peinant à démarrer. En voulant immédiatement entrer dans l'univers littéraire de Scott Landon et les pensées de Lisey, l'auteur déverse une masse d'infos telle qu'on perd le fil et qu'on peine à identifier les personnages. Le langage distordu de Scott achève de dérouter : il faut dépasser les deux cents premières pages pour que les choses se stabilisent autour d'une intrigue identifiable et que, familiarisé avec l'univers de Lisey, on puisse à son tour entrer dans l'histoire. Passé ce cap, King se révèle excellent.

Avec Misery, Stephen King a délivré les processus d'écriture qui le travaillaient. L'Histoire de Lisey n'est pas un livre sur les sources de la création comme l'affirme le dos de couverture, quand bien même l'intrigue s'articule autour de la mare aux histoires et que les souffrances de l'enfance sont à la base du processus d'écriture, mais c'est un formidable roman d'amour qui témoigne, au passage, de la fusion identitaire des vieux couples ayant en commun manies et façons de penser. L'épouse de l'écrivain se trouve au centre de son existence, elle en est le pivot, l'élément stabilisateur sans lequel l'auteur n'est rien. Et la façon que trouve Stephen King pour révéler cette dimension de l'histoire est tout simplement magnifique. Finalement, en mettant de côté la mare aux histoires, il se pourrait bien que le roman soit malgré tout basé sur les processus de création.

Espace

Il n'est pas nécessaire d'avoir lu le premier (et excellent) volume pour apprécier celui-ci. Ceux qui l'auront lu risquent même d'être déstabilisés en pensant lire la suite chronologique de ce premier opus. Or, on y retrouve Reid Malenfant alors qu'il rêve encore à l'espace ; il est toujours ce promoteur du retraitement de minerai des astéroïdes.

Cette fois, l'intrigue s'articule autour d'une autre réponse apportée au paradoxe de Fermi : si la vie intelligente est un phénomène susceptible d'apparaître ailleurs, alors, depuis le temps qu'elle existe, la Galaxie aurait déjà dû être colonisée, voire plusieurs fois.

Précisément, la scientifique japonaise Nemoto a découvert les traces d'une activité extraterrestre aux abords du système solaire. Reid Malenfant découvre ainsi une espèce mécanique auto-réplicante baptisée les Gaijin (étrangers en japonais) dont une entité le mène à travers des portes débouchant sur d'autres mondes. Cette technologie permet bientôt à des groupes d'humains de voyager à travers l'espace et de coloniser nombre de planètes et satellites du système solaire, Mercure, Io, Titan…, sachant qu'aucun d'eux ne retrouvera, du fait des déplacements relativistes, sa terre d'origine.

On est bien un peu perdu en s'efforçant de suivre, à des périodes différentes non chronologiques étalées sur un millénaire, Malenfant, bien sûr, mais également Franck Paulis, ingénieur aussi cynique que riche, Madeleine Meacher, grande voyageuse, Carole Lerner, la première à se poser sur Vénus, Dorothy Chaum, pasteur, et bien d'autres, sans parler de l'intrigante Nemoto à l'exceptionnelle longévité, qui nourrit une rancœur tenace envers les extraterrestres. Les Gaijin se contentent de piller les ressources de la ceinture de Kuiper, devant l'humanité impuissante : Nemoto sait que le jour où l'humanité en aura besoin, il n'y aura plus rien. Mais ils ont permis à l'humain d'essaimer dans l'espace et se révèlent juste désireux de nous observer et nous comprendre. Ils fuient aussi une menace autrement plus terrible. Derrière eux se profilent d'autres espèces, comme les Incendiaires, dont les voiliers solaires progressent grâce aux explosions des étoiles sur leur passage.

On est bien un peu perdu par ces tribulations en apparence éparpillées mais toujours époustouflé par l'inventivité de Baxter qui agite nombre de concepts scientifiques avec méthode et rigueur, jusqu'à les pousser dans des retranchements inattendus.

Comme souvent chez cet auteur, mais contrairement au premier volume, la vie n'est pas une exception ; elle apparaît dans les conditions les plus extrêmes et se décline sous les formes les plus inattendues. Toujours interpellé par les questions d'évolution, Baxter confronte les explorateurs à des Néandertaliens ressuscités par les Gaijin, puis montre une humanité régressant jusqu'au mode tribal, ou des colonies à l'agonie suite au manque de ressources, peut-être pour mieux rappeler que l'expansion de notre espèce dans l'espace demeure problématique voire vouée à l'échec. Et c'est ainsi que, l'air de rien, Baxter récupère son propos dans les cinquante dernières pages en expliquant pourquoi les preuves de vie extraterrestre sont apparues seulement maintenant. Le paradoxe de Fermi se trouve expliqué et immédiatement dépassé en même temps qu'il ouvre des horizons encore plus vastes sur l'évolution et le destin non seulement de l'humanité mais de toute espèce évoluée. On en reste époustouflé.

En dépit d'un milieu un peu brouillon, ce roman est remarquable par les interrogations métaphysiques qu'il suscite et le sense of wonder qu'il véhicule de bout en bout. Magistral, une fois encore.

Les Rivages de la nuit

[Chronique commune à Tropique de la nuit et Les Rivages de la nuit.]

Largement considéré comme étant le nègre d'une bonne partie des polars de l'ancien maire de Beverly Hills Robert K. Tanenbaum (série Karp & Ciampi), Michael Gruber est l'auteur de cinq livres sous son seul nom : la trilogie Jimmy Paz (Tropique de la nuit, Les Rivages de la nuit, Night of the Jaguar), Le Fils de la sorcière (Pocket « Jeunesse »), The Book of air and shadows (ce dernier étant entré dans la liste des best-sellers américain quasiment dès sa sortie en mars 2007). Titulaire d'un doctorat en biologie marine, Michael Gruber a rédigé la plupart des discours de Jimmy Carter pendant la présidence de ce dernier. Il vit maintenant à Seattle, état du Washington.

Après le formidable Tropique de la nuit, Jimmy Paz revenait en août 2007 dans Les Rivages de la nuit, cherchant à percer le secret d'Emmylou Dideroff, une femme retrouvée prostrée dans la chambre d'un homme d'affaire soudanais qui a été assassiné avant d'être défenestré. Ce coup-ci, c'est à un étrange ordre religieux que Jimmy va s'intéresser : les Sœurs Infirmières du Précieux-Sang du Christ.

Ne laissons pas planer le suspense plus longtemps : Les Rivages de la nuit est une purge. Les personnages principaux évoquent les marionnettes sans fil d'un mauvais téléfilm américain ; l'intrigue est si molle qu'il ne s'est toujours rien passé d'intéressant une fois arrivé à la page 250 ; les secrets d'Emmylou, une fois révélés, font plus sourire qu'autre chose. Ajoutez à cela l'influence mal digérée de L'Exorciste (le film) et la logorrhée de l'auteur qui ne nous épargne rien : les séances de potins de la psychiatre Lorna Wise (en charge d'Emmylou) ; les bronzettes sur la plage de Jimmy Paz ; la recette des churros et, surtout, le passé d'Emmylou (évidemment violée par son beau-père, tombée dès son plus jeune âge dans la toxicomanie, sodomisée par son premier mac, baisée par des dizaines de clients chaque jour, embrigadée par un truand antisémite fan de Nietzsche et de nazisme, etc., ad nauseam).

Son premier roman paru en français, Tropique de la nuit, est un coup de poing à l'estomac. 600 pages d'enquête à la poursuite de l'« avorteur fou », un serial killer qui tue des femmes sur le point d'accoucher et dévore une partie de leur fœtus. Un taré, à coup sûr. Sauf que « l'avorteur fou » sait très bien ce qu'il fait, il a appris son art noir (black art = magie noire) en Afrique occidentale dans une tribu dont beaucoup d'anthropologue jugent l'existence mythique. C'est Jimmy Paz et son coéquipier Cletis Barlow qui sont sur l'enquête. Une enquête qui va les obliger à retrouver Jane Doe, une experte en magie africaine qui se cache quelque part dans la région de Miami, espérant ainsi échapper à son passé terrifiant : elle ne connaît que trop bien l'identité de l'« avorteur fou ».

La force de Tropique de la nuit réside non pas dans son suspense (on sait très vite, dès les premières pages, qui est l'« avorteur fou »), mais dans la rationalisation de la magie et du chamanisme, qui nous sont présentés au fil du récit comme une technologie vieille de plusieurs millénaires, étonnamment crédible. S'ajoutent à cela un quatuor de personnages fouillés : Jimmy Paz, le flic afro-cubain qui cuisine de temps en temps dans le restaurant huppé de sa maman ; Cletis Barlow, qui cite la Bible dès qu'il a quelque chose à dire ; Jane Doe, qui fuit son passé de riche héritière ; et l'assassin qui n'est peut-être pas complètement fou, mais bien décidé, en acquérant un pouvoir inimaginable, à mettre l'Afrique au centre du Monde (de son point de vue, le malheur de l'Afrique c'est de ne pas avoir eu son Adolf Hitler).

Erudit, relativement bien écrit (Gruber ne cherche jamais à produire du style, mais chiade sa mise en scène et la construction de son récit), Tropique de la nuit se dévore malgré la hardiesse de ses passages et concepts anthropologiques. Faire de la science-fiction avec de la magie était une gageure, Michael Gruber s'en sort la tête haute.

Le seul reproche que l'on pourrait faire à ce roman, c'est sa fin, qui manque de tension, qui est peut-être un peu trop vite expédiée alors que l'auteur avait pris son temps sur les 500 premières pages. On sent, avec regret, que Gruber aurait pu, sans mal, condenser ses 500 premières pages en 400 et ajouter 50 pages de plus à sa fin.

Si Tropique de la nuit était relativement bien écrit (il y a avait un certain rythme, un vrai travail de recherches et de mise en scène), Les Rivages de la nuit est écrit comme la majeure partie des cinq cents thrillers de gare publiés chaque année — à la truelle molle. Aucun mot n'a été omis, surtout pas ceux qui étaient inutiles. Et visiblement, je ne suis pas le seul à m'être ennuyé ferme à la lecture de ce pavé-navet : Dominique Haas (la traductrice, d'habitude excellente) n'a pas poussé son effort jusqu'au bout (des grades de police ne sont pas traduits, des années d'école ont été traduits mot à mot, la huitième par exemple, etc.).

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