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Les Mémoires d'Elizabeth Frankenstein

Dans l'imaginaire collectif contemporain, le nom de Frankenstein évoque davantage la créature pataude et contrefaite immortalisée par le cinéma que son créateur, Victor Frankenstein, et l'œuvre littéraire où il naquit en 1818. Pourtant, la littérature n'a pas été avare en hommages, pastiches, uchronies et transpositions, dans un autre contexte, des thèmes et des personnages du roman, poussant souvent le jeu jusqu'à intervenir dans la vie de son auteur, Mary Shelley, et dans celle de son entourage. Les auteurs qui se sont livrés à cet exercice abondent : Brian Aldiss, René Reouven, Frederico Andreazi, Walter Jon Williams… Hélas, aux yeux du profane, Frankenstein demeure le cliché cinématographique, au mieux autoparodique, l'image l'emportant définitivement sur l'écrit, ce qui n'a rien d'étonnant au vu d'une littérature ayant généré tant d'images. Pour revenir au roman de Theodore Roszak, disons que celui-ci est un retour gothique aux sources du fantastique et de la science-fiction, avec quelques intentions plus personnelles.

Autant l'affirmer d'emblée : on attendait énormément de l'auteur de Flicker (oublions sa trompeuse traduction en français : La Conspiration des ténèbres). Sans doute trop. Certes, le résultat est tout à fait honorable, car Theodore Roszak n'est pas le premier venu. Néanmoins, on n'atteint pas le vertige suscité par le mélange de la réalité et de la fiction, la première nourrissant la seconde au point de flouter les contours de l'une et de l'autre. Non, on reste en territoire connu, pour ne pas dire convenu. La faute à qui ? Sans doute au roman de Marie Shelley lui-même, ce Frankenstein ou le Prométhée moderne, auquel l'auteur se réfère directement. En effet, Les Mémoires d'Elizabeth Frankenstein démarre là où le texte de Marie Shelley s'achevait. À la mort de Victor Frankenstein, Robert Walton reste persuadé que la confession du démiurge demeure incomplète. Selon lui, il manque encore des éléments pour analyser et appréhender scientifiquement l'histoire de la déchéance de ce Prométhée moderne. Cette conviction le pousse donc à se rendre sur le continent afin de poursuivre son enquête sur les lieux mêmes de la tragédie, et c'est après une âpre négociation qu'il obtient du dernier membre vivant de la famille Frankenstein des documents rédigés de la main d'Elizabeth, la demi-sœur et fiancée de Victor. Il est ainsi informé de la partie demeurée secrète de l'histoire dont il nous fait part dans un souci très scientifique de restitution de la vérité. On le constate, la réinterprétation de Théodore Roszak se veut très proche du roman originel dont elle reprend d'ailleurs le dispositif narratif. Robert Walton est à nouveau le porte-parole du récit qui est introduit grâce à la correspondance secrète d'Elizabeth. L'auteur ne s'en tient cependant pas à un simple décalque en trompe-l'œil du roman gothique de Shelley. La confession de la jeune femme est encapsulée dans les commentaires de Walton, qui se livre à une véritable dissection du récit d'Elizabeth. Le procédé introduit un doute rationnel sur les éléments surnaturels de son récit, tout en les rattachant au réel. Ce réel est d'ailleurs nourri par une connaissance du contexte historique impressionnante. L'érudition était déjà un point fort de Flicker. On retrouve également le recul critique, lucide et sans concession de l'auteur, puisque son érudition s'attache à restituer les événements et le bouillonnement intellectuel et scientifique de l'époque des Lumières, tout en s'efforçant de lui ôter tout optimisme béat et tout pessimisme réactionnaire. « Nous vivons une ère de systèmes : le médium éthéré, les particules élastiques, les essences et les fluides subtils roulant et bondissant à travers le néant infini, le tout destiné à révéler la Grande Cause dont la maîtrise ferait de l'homme l'égal de Dieu. Le docteur Mesmer avait vécu sa vie en cherchant la clé qui révélerait le secret des secrets, et il l'avait trouvée, du moins le croyait-il. Mais combien cette quête peut rendre l'homme brutal, me dis-je. Combien l'amour de la vérité peut le pervertir, surtout quand il croit qu'elle est presque à portée. Que rien ne vienne alors lui barrer la route ! Il arracherait les portes du ciel pour ravir ce secret. Il trahirait sa bien-aimée. »

Cependant, malgré toutes ces qualités, la trame reste celle du roman de Mary Shelley et, même si Théodore Roszak brode allègrement son histoire cachée sur celle-ci, force est de constater les limites de l'exercice sur la fin du roman, en particulier dans la quatrième partie.

La relative déception repose sans doute aussi sur le sujet, qui n'était pas aussi porteur et familier que celui du cinéma et du pouvoir de l'image sur l'esprit crédule des spectateurs. Ici, le sujet est celui des « pseudosciences » et autres symboliques ésotériques. En effet, au fil de la confession d'Elizabeth, se dévoile un affrontement entre deux conceptions du monde, affrontement de nature sexiste qui ne peut trouver son achèvement que dans l'union parfaite, le mariage alchimique. Unir ce qui a été divisé. Faire Un de Deux. Telle est l'Œuvre à accomplir pour les adeptes exclusivement féminins de cette conception du monde. L'érudition de l'auteur fait une fois de plus ses preuves pour rendre authentique cette histoire cachée. Elle nous guide à travers les arcanes complexes de l'Alchimie et du Tantrisme, établissant des passerelles entre ces croyances. Il faut cependant convenir que l'hermétisme des symboles et le didactisme des explications finissent par lasser, car il faut supporter quand même une partie entière (115 pages !) sur le sujet. « Peu importe, mon enfant, le rassure Séraphina. Le moment venu, tu verras. Cette bête est un signe spécial ; c'est la salamandre qui sort des scories. Aussi farouche que paraisse la bête, c'est notre guide fidèle. Elle est le signe que le nigredo approche de sa fin. La réitération commence, autant en toi que dans le vaisseau. Souviens-toi : tout ce que tu vois dans le monde doit d'abord exister en toi. Tu ne verras jamais le Grand Œuvre s'accomplir au-dehors tant qu'il ne sera pas accompli au-dedans. Par-dessus tout, voyez comme le lézard se délecte dans les flammes. Le feu est son élément. Il savoure le feu comme tu finiras par le faire toi-même. Souviens-toi de ce que je t'ai dit : toutes les choses sont la signature de ce qui se trouve derrière elles. Que veut dire le fait qu'il existe l'homme et la femme ? Qu'il pénètre en elle ? Pourquoi sommes-nous créés deux pour ensuite brûler du désir de devenir un ? C'est le Un qui compte. Et cela vaut la peine de brûler toute une vie. » Ceci n'est qu'un aperçu sommaire, mais il y a déjà matière à refroidir grandement l'ardeur du plus méritant des lecteurs.

Etonnant roman, donc, qui, sous couvert de fiction, est bâti comme un pamphlet contre l'aveuglement généré, quel que soit son objet, par la recherche de la vérité. Intéressant roman qui, de par son point de vue féminin, est un hommage à Mary Shelley et une manière de réparer cet acte manqué que constitue la parution de son roman sous une identité masculine et avec un personnage principal masculin. Roman engagé, enfin, qui résonne comme un appel à la raison pour déchiffrer le monde et comprendre l'autre sans violer l'intégrité mutuelle. Aussi, en guise de conclusion, laisserons-nous la parole à Victor et Elizabeth Frankenstein :

« — Et te souviens-tu pourquoi ces étoiles doubles sont importantes ?

— Parce que leur masse peut-être calculée avec exactitude par la loi de Newton. C'est l'importance qu'un homme de science leur verra.

— Y a-t-il quelque autre importance ?

— Seulement que les binaires sont destinées à rester des compagnes de toute éternité… tels des amants contraints de poursuivre à jamais leur rotation en obéissant à la gravitation l'un de l'autre. Aldébaran, je crois, signifie le suiveur. Aimer est une façon de suivre, ne crois-tu pas ? Un désir d'être avec. Mais aucun des binaires ne conduit. Les deux suivent.

— Comme cela te ressemble de trouver de la poésie dans le calcul des masses.

— Il m'a été enseigné que le monde fourmille de symboles plus profonds que la science de l'homme ne le soupçonne, des messages que seul notre cœur peut déchiffrer. »

Enchantement

Cela fait maintenant un an que les éditions du Seuil ont lancé leur collection de fantasy en poche. Reconnaissons que jusqu'à présent, celle-ci n'a pas suscité notre enthousiasme pour son originalité. À quelques exceptions près (de mémoire, Les Brigands de la forêt de Skule de Kerstin Ekman, L'Abîme de John Crowley ou Fendragon de Barbara Hambly), ce sont surtout des titres médiocres ou, à la limite, passables, qui ont été réédités. Récemment quelques textes, déjà disponibles chez Phébus ou Les Moutons électriques, ont pourtant attiré notre attention : La Forêt d'Iscambe de Christian Charrière, Le Phénix vert de Thomas Burnett Swann, et le cycle de Gormenghast de Mervyn Peake, dont on recommande vivement la lecture intégrale de l'œuvre. Pour cette chronique, nous nous sommes penchés sur une autre réédition, celle d'Enchantement de Orson Scott Card. Certes, Card ne fait pas le poids face aux trois auteurs précédemment cités. Et puis, on s'est un peu lassé des déclinaisons en rafales d'Ender et aussi beaucoup agacé du prêchi-prêcha d'Alvin le Faiseur. Cependant, il semble bien qu'avec ce court roman — une qualité, en ces temps de fantasy interminable — l'auteur états-unien ait renoué, au moins provisoirement, avec la veine enchanteresse de Les Maîtres chanteurs ou encore de Espoir-du-cerf.

Le point de départ d'Enchantement évoque naturellement le conte « La Belle au bois dormant ». L'argument initial est d'ailleurs le même : une jeune femme est plongée dans un sommeil magique et attend le baiser d'un preux chevalier pour se réveiller, convoler en justes noces et enfanter une descendance, forcément prolifique. Bon, la comparaison s'arrête ici car la couche de la princesse se trouve sur un piédestal au milieu d'une fosse gardée par un ours affamé. De surcroît, l'histoire se déroule en Ukraine et aux Etats-Unis et effectue des va-et-vient entre deux époques que sépare un millénaire. Enfin, le chevalier est incarné par un jeune étudiant en littérature qui s'est spécialisé dans les contes slaves et pratique beaucoup l'athlétisme mais pas du tout l'art de la chevalerie. Vous l'aurez compris, ce roman, qui mêle des éléments des folklores slave et juif, est surtout un prétexte pour un amusement sans prétention. Orson Scott Card nous trousse, dans un style enlevé, un récit qui abonde en quiproquos croustillants générés par le choc des époques, sans pour autant leur retirer toute vraisemblance historique. Sur ce point, la reconstitution du monde slave archaïque montre même un effort de documentation méritoire. Il serait toutefois malvenu de suggérer qu'Enchantement est un roman historique, car le récit use essentiellement, tout en les détournant, des ressorts du conte. Ainsi, l'aspect effrayant de la malveillante sorcière Baba Yaga est-il totalement gommé au profit de ses relations particulières avec l'Ours qu'elle a ensorcelé, et avec lequel elle couche — un ours-dieu asservi qui ne se gêne pas pour formuler ses avis très cyniquement. De même, les effets pyrotechniques et le manichéisme sont délaissés — ce dont on ne se plaindra pas — au bénéfice d'une magie de nature plus malicieuse.

Mais l'intérêt ne s'arrête pas là. Ainsi, en grattant sous le vernis du folklore, on perçoit une réflexion plus profonde sur la mémoire et la survie de la culture, donc de l'identité d'une civilisation à travers cette mémoire. De même, mais d'une manière plus moralisatrice et, peut-être, plus discutable, Orson Scott Card prêche-t-il une fois de plus pour le respect des différences et pour un retour vers des valeurs plus communautaires.

Sans être bouleversant, Enchantement s'avère donc une bonne pioche pour qui désire se distraire, une lecture rafraîchissante non dénuée d'un soupçon de profondeur, ce qui ne gâte rien.

Les Ombres de Dieu

[Critique commune à Les Démons du Roi-Soleil, L'Algèbre des anges, L'Empire de la déraison et Les Ombres de Dieu.]

Le procédé de l'uchronie a donné lieu, ces derniers temps, à une floraison d'ouvrages hybrides, à mi-chemin entre l'uchronie pure — celle dont la vraisemblance s'évalue à l'aune de la connaissance historique — et la fantasy. L'historicité la plus orthodoxe semble de plus en plus déserter les pages de l'autre Histoire, remplacée plus ou moins habilement par la fantasmagorie et les pseudosciences. Il n'y a pas là, forcément, matière à se lamenter. Des romans comme L'Age des Lumières de Ian R. MacLeod par exemple (cf. critique in Bifrost n°46) démontrent qu'il est possible, même avec des textes au carrefour de la fantasy et de l'uchronie, de traiter ce qui reste le véritable enjeu littéraire : l'Histoire, le devenir des civilisations et de l'individu. Cependant, force est de constater également que cette hybridation a généré une quantité non négligeable de romans, au mieux (très) distrayants (Bloodsilver de Wayne Barrow en témoigne tout récemment), au pire ridicules (La Cité de Satan de Fabien Clavel aïe aïe aïe !). En rééditant L'Age de la déraison de Greg Keyes, jadis paru dans la défunte collection « Imagine » de Flammarion, Pocket fournit une parfaite illustration de cette littérature au rythme soutenu, pas forcément ennuyeuse, mais dans laquelle la divergence historique n'offre qu'un prétexte, une toile de fond à des aventures qui tiennent davantage du roman de cape et d'épée (de cape et de punk ?). Bref, tout ça pour dire que L'Age de la déraison est une série de romans pop-corn à déguster sans aucune autre intention que celle de s'amuser. Mais il est peut-être temps de voir en quoi consiste cet amusement qui se compose, quand même, de quatre volumes, et pas petits.

Comme vous ne le savez sans doute pas, Isaac Newton a découvert, en 1681, le mercure philosophale. Cette découverte a imprimé un tournant décisif à l'histoire de l'humanité telle que nous la connaissons et, en conséquence, les progrès scientifiques sont désormais liés à l'utilisation alchimique de l'éther. L'effort de rationalisation déployé par Greg Keyes pour rendre cohérent et crédible sa physique alchimique est malin. Il choisit d'introduire un décalage dans les lois physiques qui président au fonctionnement de l'univers. Ceci nous change des sortilèges, des raccourcis métaphoriques et autres fadaises qu'on nous assène habituellement en fantasy. Cependant, ce système demeure fondamentalement magique, les invocations étant juste remplacées par des équations mathématiques. Grâce à l'éther, la communication à longue distance est beaucoup plus facile et rapide. Il suffit d'avoir un éthérographe en harmonie avec son jumeau — une paire d'éthérographes, donc — et le tour est joué. De même, la matière en ce monde étant enveloppée dans des ferments éthériques, on peut, en agissant sur ceux-ci, provoquer des transmutations bien utiles. Hélas, la science est une arme à double tranchant dans les mains de l'humanité. De nouvelles armes toujours plus destructrices (kraftpistole, fervefactum, farenheit, etc…), ont ainsi été conçues, offrant des possibilités supplémentaires de se nuire aux grands royaumes européens. Ce dont ne vont pas se priver leurs monarques respectifs, même s'ils ne comprennent pas du tout le principe exact qui régit l'éther.

C'est dans ce contexte de bouleversements que commence le roman Les Démons du Roi-Soleil (lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire 2002, catégorie meilleur roman étranger, rappelons-le). Nous sommes en 1720, la guerre de succession d'Espagne, loin d'être achevée, se poursuit en ravageant le royaume de France. Petit à petit, les armées anglaises grignotent forteresses et places fortes d'un Roi-Soleil sauvé miraculeusement du trépas par un mystérieux élixir persan. Le monarque absolu, désormais aux abois, met tous ses espoirs dans une arme suprême qu'un transfuge de la Royal Society, fâché avec son maître Newton, est sur le point de lui offrir car, évidemment, il reste quelques détails à régler… Le roman d'ouverture de la série de Greg Keyes est donc un texte complètement balisé, coulé dans le moule d'une fantasy qui use des ressorts bien connus de la quête initiatique et de l'affrontement manichéen. L'initiation est ici double puisqu'il s'agit, d'une part, de celle de Benjamin Franklin, à peine sorti de l'adolescence mais déjà génial, et, d'autre part, de celle de Adrienne de Montchevreuil, jeune femme de tête dotée, de surcroît, d'un cerveau. Ces deux personnages principaux, autour desquels orbitent une multitude de personnages secondaires, ont comme point commun de s'intéresser énormément à la science. Ce qui ne va pas manquer de les plonger au cœur des événements déterminants de cet âge de la déraison naissant. Bien entendu, le romanesque l'emporte rapidement sur l'historique. Les clins d'œil, notamment à Alexandre Dumas par le biais d'un d'Artagnan, ici prénommé Nicolas, sont transparents. Complots, sociétés secrètes, aristocrates pervers et magiciens, ici nommés philosophes, se liguent pour rythmer le récit. Nous sommes en territoire connu, celui de l'aventure, au demeurant d'assez bonne tenue, et il y a même un potentiel romanesque qui ne demande qu'à prendre davantage d'ampleur. Cela tombe bien, car Greg Keyes est un conteur qui sait communiquer son enthousiasme. Aussi est-on heureux d'avoir le deuxième volume sous la main pour poursuivre l'aventure.

Deux années se sont écoulées lorsque commence L'Algèbre des anges. La cité de Londres a été effacée (damned !) de la carte et le royaume de France (foutre !) est en proie à la guerre civile. Fort heureusement, Isaac Newton a pu s'échapper avec Benjamin Franklin avant le cataclysme. Nous retrouvons donc nos héros indemnes à Prague, dans un Empire Habsbourg en sursis. Pendant ce temps, les armées du Tsar Pierre déferlent sur l'Europe de l'Ouest pour occuper le vide politique. Leur conquête est grandement facilitée par une flotte aérienne et de nombreux sorciers… pardon, philosophes. C'est le chaos, et Adrienne de Montchevreuil, son bébé et ses amis ont fort à faire pour échapper aux bandes armées qui sillonnent l'ancien royaume de France. Pendant ce temps (bis), dans le Nouveau Monde, les colons britanniques et français s'unissent pour organiser une expédition afin de comprendre les raisons de l'interruption des communications avec leurs métropoles respectives. Un chaman indien, Red Shoes, les accompagne afin de vérifier si les perturbations, qu'il a perçues à l'Est, ne sont pas un coup des mauvais esprits. Quels esprits ? Justement, ce volume va répondre à la question. En effet, comme le titre l'indique, l'enjeu général de ce deuxième épisode de L'Age de la déraison se déplace vers les « anges ». C'est par l'intermédiaire de ces créatures, qui peuplent l'éther, que les philosophes agissent sur les ferments éthériques qui composent la matière, pour accomplir mille prodiges. Mais Isaac Newton se méfie d'elles et voit dans le progrès qu'elles permettent une forme d'asservissement pour l'humanité et une aliénation de la méthode scientifique. Bref, les certitudes des uns et des autres sont mises à rude épreuve. En attendant, l'action ne ralentit pas. Les intrigues et les personnages secondaires se multiplient et Greg Keyes n'hésite pas à convoquer quelques célébrités truculentes, ici Edward Teach, alias Barbe-Noire, pour attiser l'intérêt du lecteur. Le récit, lui, continue d'alterner les points de vue, ce qui permet de suivre l'action dans les différents camps et d'introduire un effet de suspense. Avec une maîtrise impressionnante, Keyes le resserre progressivement jusqu'au bouquet final : ici une bataille dans le ciel de Venise avec blitz et abordage aérien. Bref, on ne s'ennuie pas un instant. C'est donc sous d'excellents auspices que l'on entame le troisième volet : L'Empire de la déraison.

L'action se déplace cette fois dans le Nouveau Monde. Dix années sont passées et Benjamin Franklin est devenu député du Commonwealth. Marié à la belle Lenka (rencontrée à Prague, pendant son exil), il a fondé la Junte, une organisation scientifique secrète qui met son savoir en œuvre pour garder la guerre et ses horreurs éthériques loin des terres américaines. Mais voilà, un prétendant à la Couronne d'Angleterre débarque avec le soutien de la Russie et de quelques tories nostalgiques. L'heure semble être venue de livrer une guerre d'indépendance sans l'appui des forces des Malakim, ces créatures de l'éther, qui ont fait des hommes leurs marionnettes. Pendant ce temps, Adrienne et sa garde rapprochée fuient Saint-Pétersbourg et ses complots à bord d'une flottille aérienne. L'intention de la sorcière est aussi de retrouver son enfant que lui ont dérobé les Malakim de la faction opposée à ceux qui la soutiennent. Elle ne sait pas encore que celui-ci est devenu un être surpuissant, l'Enfant-Soleil, qui a débarqué en Amérique à la tête d'une armée pour entreprendre sa conquête par l'Ouest. Averti de l'approche de cette menace, le chaman Red Shoes part à la rencontre de son destin. On sent à la lecture du troisième volet de L'Age de la déraison que l'apothéose est proche. La guerre humaine devient totale. On se bat sur terre, sur mer et dans le ciel. Des armes toujours plus terrifiantes sont utilisées : submersibles et créatures éthériques enchâssées dans des armures mues par des muscles alchimiques. Les actes de bravoure succèdent aux trahisons sans laisser un instant de répit. La guerre matérielle se double d'un conflit de nature plus métaphysique, entre les Malakim eux-mêmes, et se teinte d'une touche de prophétie. C'est désormais le devenir de l'humanité qui est en jeu et non plus celui des monarques. Le grand bazar de la fantasy s'impose définitivement. Et pourtant, le lecteur est conquis… Reste un tome avant la délivrance.

Inutile de résumer L'Ombre de Dieu puisque cet ultime volume s'inscrit totalement dans la continuité du précédent. En fait, à sa lecture, on ne peut s'empêcher de songer qu'un élagage de l'histoire n'aurait pas fait de mal à la série. Le rythme, déjà débridé dans les précédents tomes, s'accélère encore, échappant manifestement au contrôle de l'auteur. La déraison n'est plus uniquement dans le titre. Elle est dans l'accumulation des rebondissements et des points de vue. Elle est aussi dans la multiplication des batailles et des défis héroïques ; multiplication qui finit par lasser. Et lorsque le dénouement se produit (on le voyait venir depuis le début du troisième tome), on soupire de soulagement. Reste que, au regard des trois précédents tomes, force est de constater qu'on a finalement passé un agréable moment de lecture. Alors pourquoi se priver ? L'été arrive…

L'Empire de la déraison

[Critique commune à Les Démons du Roi-Soleil, L'Algèbre des anges, L'Empire de la déraison et Les Ombres de Dieu.]

Le procédé de l'uchronie a donné lieu, ces derniers temps, à une floraison d'ouvrages hybrides, à mi-chemin entre l'uchronie pure — celle dont la vraisemblance s'évalue à l'aune de la connaissance historique — et la fantasy. L'historicité la plus orthodoxe semble de plus en plus déserter les pages de l'autre Histoire, remplacée plus ou moins habilement par la fantasmagorie et les pseudosciences. Il n'y a pas là, forcément, matière à se lamenter. Des romans comme L'Age des Lumières de Ian R. MacLeod par exemple (cf. critique in Bifrost n°46) démontrent qu'il est possible, même avec des textes au carrefour de la fantasy et de l'uchronie, de traiter ce qui reste le véritable enjeu littéraire : l'Histoire, le devenir des civilisations et de l'individu. Cependant, force est de constater également que cette hybridation a généré une quantité non négligeable de romans, au mieux (très) distrayants (Bloodsilver de Wayne Barrow en témoigne tout récemment), au pire ridicules (La Cité de Satan de Fabien Clavel aïe aïe aïe !). En rééditant L'Age de la déraison de Greg Keyes, jadis paru dans la défunte collection « Imagine » de Flammarion, Pocket fournit une parfaite illustration de cette littérature au rythme soutenu, pas forcément ennuyeuse, mais dans laquelle la divergence historique n'offre qu'un prétexte, une toile de fond à des aventures qui tiennent davantage du roman de cape et d'épée (de cape et de punk ?). Bref, tout ça pour dire que L'Age de la déraison est une série de romans pop-corn à déguster sans aucune autre intention que celle de s'amuser. Mais il est peut-être temps de voir en quoi consiste cet amusement qui se compose, quand même, de quatre volumes, et pas petits.

Comme vous ne le savez sans doute pas, Isaac Newton a découvert, en 1681, le mercure philosophale. Cette découverte a imprimé un tournant décisif à l'histoire de l'humanité telle que nous la connaissons et, en conséquence, les progrès scientifiques sont désormais liés à l'utilisation alchimique de l'éther. L'effort de rationalisation déployé par Greg Keyes pour rendre cohérent et crédible sa physique alchimique est malin. Il choisit d'introduire un décalage dans les lois physiques qui président au fonctionnement de l'univers. Ceci nous change des sortilèges, des raccourcis métaphoriques et autres fadaises qu'on nous assène habituellement en fantasy. Cependant, ce système demeure fondamentalement magique, les invocations étant juste remplacées par des équations mathématiques. Grâce à l'éther, la communication à longue distance est beaucoup plus facile et rapide. Il suffit d'avoir un éthérographe en harmonie avec son jumeau — une paire d'éthérographes, donc — et le tour est joué. De même, la matière en ce monde étant enveloppée dans des ferments éthériques, on peut, en agissant sur ceux-ci, provoquer des transmutations bien utiles. Hélas, la science est une arme à double tranchant dans les mains de l'humanité. De nouvelles armes toujours plus destructrices (kraftpistole, fervefactum, farenheit, etc…), ont ainsi été conçues, offrant des possibilités supplémentaires de se nuire aux grands royaumes européens. Ce dont ne vont pas se priver leurs monarques respectifs, même s'ils ne comprennent pas du tout le principe exact qui régit l'éther.

C'est dans ce contexte de bouleversements que commence le roman Les Démons du Roi-Soleil (lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire 2002, catégorie meilleur roman étranger, rappelons-le). Nous sommes en 1720, la guerre de succession d'Espagne, loin d'être achevée, se poursuit en ravageant le royaume de France. Petit à petit, les armées anglaises grignotent forteresses et places fortes d'un Roi-Soleil sauvé miraculeusement du trépas par un mystérieux élixir persan. Le monarque absolu, désormais aux abois, met tous ses espoirs dans une arme suprême qu'un transfuge de la Royal Society, fâché avec son maître Newton, est sur le point de lui offrir car, évidemment, il reste quelques détails à régler… Le roman d'ouverture de la série de Greg Keyes est donc un texte complètement balisé, coulé dans le moule d'une fantasy qui use des ressorts bien connus de la quête initiatique et de l'affrontement manichéen. L'initiation est ici double puisqu'il s'agit, d'une part, de celle de Benjamin Franklin, à peine sorti de l'adolescence mais déjà génial, et, d'autre part, de celle de Adrienne de Montchevreuil, jeune femme de tête dotée, de surcroît, d'un cerveau. Ces deux personnages principaux, autour desquels orbitent une multitude de personnages secondaires, ont comme point commun de s'intéresser énormément à la science. Ce qui ne va pas manquer de les plonger au cœur des événements déterminants de cet âge de la déraison naissant. Bien entendu, le romanesque l'emporte rapidement sur l'historique. Les clins d'œil, notamment à Alexandre Dumas par le biais d'un d'Artagnan, ici prénommé Nicolas, sont transparents. Complots, sociétés secrètes, aristocrates pervers et magiciens, ici nommés philosophes, se liguent pour rythmer le récit. Nous sommes en territoire connu, celui de l'aventure, au demeurant d'assez bonne tenue, et il y a même un potentiel romanesque qui ne demande qu'à prendre davantage d'ampleur. Cela tombe bien, car Greg Keyes est un conteur qui sait communiquer son enthousiasme. Aussi est-on heureux d'avoir le deuxième volume sous la main pour poursuivre l'aventure.

Deux années se sont écoulées lorsque commence L'Algèbre des anges. La cité de Londres a été effacée (damned !) de la carte et le royaume de France (foutre !) est en proie à la guerre civile. Fort heureusement, Isaac Newton a pu s'échapper avec Benjamin Franklin avant le cataclysme. Nous retrouvons donc nos héros indemnes à Prague, dans un Empire Habsbourg en sursis. Pendant ce temps, les armées du Tsar Pierre déferlent sur l'Europe de l'Ouest pour occuper le vide politique. Leur conquête est grandement facilitée par une flotte aérienne et de nombreux sorciers… pardon, philosophes. C'est le chaos, et Adrienne de Montchevreuil, son bébé et ses amis ont fort à faire pour échapper aux bandes armées qui sillonnent l'ancien royaume de France. Pendant ce temps (bis), dans le Nouveau Monde, les colons britanniques et français s'unissent pour organiser une expédition afin de comprendre les raisons de l'interruption des communications avec leurs métropoles respectives. Un chaman indien, Red Shoes, les accompagne afin de vérifier si les perturbations, qu'il a perçues à l'Est, ne sont pas un coup des mauvais esprits. Quels esprits ? Justement, ce volume va répondre à la question. En effet, comme le titre l'indique, l'enjeu général de ce deuxième épisode de L'Age de la déraison se déplace vers les « anges ». C'est par l'intermédiaire de ces créatures, qui peuplent l'éther, que les philosophes agissent sur les ferments éthériques qui composent la matière, pour accomplir mille prodiges. Mais Isaac Newton se méfie d'elles et voit dans le progrès qu'elles permettent une forme d'asservissement pour l'humanité et une aliénation de la méthode scientifique. Bref, les certitudes des uns et des autres sont mises à rude épreuve. En attendant, l'action ne ralentit pas. Les intrigues et les personnages secondaires se multiplient et Greg Keyes n'hésite pas à convoquer quelques célébrités truculentes, ici Edward Teach, alias Barbe-Noire, pour attiser l'intérêt du lecteur. Le récit, lui, continue d'alterner les points de vue, ce qui permet de suivre l'action dans les différents camps et d'introduire un effet de suspense. Avec une maîtrise impressionnante, Keyes le resserre progressivement jusqu'au bouquet final : ici une bataille dans le ciel de Venise avec blitz et abordage aérien. Bref, on ne s'ennuie pas un instant. C'est donc sous d'excellents auspices que l'on entame le troisième volet : L'Empire de la déraison.

L'action se déplace cette fois dans le Nouveau Monde. Dix années sont passées et Benjamin Franklin est devenu député du Commonwealth. Marié à la belle Lenka (rencontrée à Prague, pendant son exil), il a fondé la Junte, une organisation scientifique secrète qui met son savoir en œuvre pour garder la guerre et ses horreurs éthériques loin des terres américaines. Mais voilà, un prétendant à la Couronne d'Angleterre débarque avec le soutien de la Russie et de quelques tories nostalgiques. L'heure semble être venue de livrer une guerre d'indépendance sans l'appui des forces des Malakim, ces créatures de l'éther, qui ont fait des hommes leurs marionnettes. Pendant ce temps, Adrienne et sa garde rapprochée fuient Saint-Pétersbourg et ses complots à bord d'une flottille aérienne. L'intention de la sorcière est aussi de retrouver son enfant que lui ont dérobé les Malakim de la faction opposée à ceux qui la soutiennent. Elle ne sait pas encore que celui-ci est devenu un être surpuissant, l'Enfant-Soleil, qui a débarqué en Amérique à la tête d'une armée pour entreprendre sa conquête par l'Ouest. Averti de l'approche de cette menace, le chaman Red Shoes part à la rencontre de son destin. On sent à la lecture du troisième volet de L'Age de la déraison que l'apothéose est proche. La guerre humaine devient totale. On se bat sur terre, sur mer et dans le ciel. Des armes toujours plus terrifiantes sont utilisées : submersibles et créatures éthériques enchâssées dans des armures mues par des muscles alchimiques. Les actes de bravoure succèdent aux trahisons sans laisser un instant de répit. La guerre matérielle se double d'un conflit de nature plus métaphysique, entre les Malakim eux-mêmes, et se teinte d'une touche de prophétie. C'est désormais le devenir de l'humanité qui est en jeu et non plus celui des monarques. Le grand bazar de la fantasy s'impose définitivement. Et pourtant, le lecteur est conquis… Reste un tome avant la délivrance.

Inutile de résumer L'Ombre de Dieu puisque cet ultime volume s'inscrit totalement dans la continuité du précédent. En fait, à sa lecture, on ne peut s'empêcher de songer qu'un élagage de l'histoire n'aurait pas fait de mal à la série. Le rythme, déjà débridé dans les précédents tomes, s'accélère encore, échappant manifestement au contrôle de l'auteur. La déraison n'est plus uniquement dans le titre. Elle est dans l'accumulation des rebondissements et des points de vue. Elle est aussi dans la multiplication des batailles et des défis héroïques ; multiplication qui finit par lasser. Et lorsque le dénouement se produit (on le voyait venir depuis le début du troisième tome), on soupire de soulagement. Reste que, au regard des trois précédents tomes, force est de constater qu'on a finalement passé un agréable moment de lecture. Alors pourquoi se priver ? L'été arrive…

L'Algèbre des anges

[Critique commune à Les Démons du Roi-Soleil, L'Algèbre des anges, L'Empire de la déraison et Les Ombres de Dieu.]

Le procédé de l'uchronie a donné lieu, ces derniers temps, à une floraison d'ouvrages hybrides, à mi-chemin entre l'uchronie pure — celle dont la vraisemblance s'évalue à l'aune de la connaissance historique — et la fantasy. L'historicité la plus orthodoxe semble de plus en plus déserter les pages de l'autre Histoire, remplacée plus ou moins habilement par la fantasmagorie et les pseudosciences. Il n'y a pas là, forcément, matière à se lamenter. Des romans comme L'Age des Lumières de Ian R. MacLeod par exemple (cf. critique in Bifrost n°46) démontrent qu'il est possible, même avec des textes au carrefour de la fantasy et de l'uchronie, de traiter ce qui reste le véritable enjeu littéraire : l'Histoire, le devenir des civilisations et de l'individu. Cependant, force est de constater également que cette hybridation a généré une quantité non négligeable de romans, au mieux (très) distrayants (Bloodsilver de Wayne Barrow en témoigne tout récemment), au pire ridicules (La Cité de Satan de Fabien Clavel aïe aïe aïe !). En rééditant L'Age de la déraison de Greg Keyes, jadis paru dans la défunte collection « Imagine » de Flammarion, Pocket fournit une parfaite illustration de cette littérature au rythme soutenu, pas forcément ennuyeuse, mais dans laquelle la divergence historique n'offre qu'un prétexte, une toile de fond à des aventures qui tiennent davantage du roman de cape et d'épée (de cape et de punk ?). Bref, tout ça pour dire que L'Age de la déraison est une série de romans pop-corn à déguster sans aucune autre intention que celle de s'amuser. Mais il est peut-être temps de voir en quoi consiste cet amusement qui se compose, quand même, de quatre volumes, et pas petits.

Comme vous ne le savez sans doute pas, Isaac Newton a découvert, en 1681, le mercure philosophale. Cette découverte a imprimé un tournant décisif à l'histoire de l'humanité telle que nous la connaissons et, en conséquence, les progrès scientifiques sont désormais liés à l'utilisation alchimique de l'éther. L'effort de rationalisation déployé par Greg Keyes pour rendre cohérent et crédible sa physique alchimique est malin. Il choisit d'introduire un décalage dans les lois physiques qui président au fonctionnement de l'univers. Ceci nous change des sortilèges, des raccourcis métaphoriques et autres fadaises qu'on nous assène habituellement en fantasy. Cependant, ce système demeure fondamentalement magique, les invocations étant juste remplacées par des équations mathématiques. Grâce à l'éther, la communication à longue distance est beaucoup plus facile et rapide. Il suffit d'avoir un éthérographe en harmonie avec son jumeau — une paire d'éthérographes, donc — et le tour est joué. De même, la matière en ce monde étant enveloppée dans des ferments éthériques, on peut, en agissant sur ceux-ci, provoquer des transmutations bien utiles. Hélas, la science est une arme à double tranchant dans les mains de l'humanité. De nouvelles armes toujours plus destructrices (kraftpistole, fervefactum, farenheit, etc…), ont ainsi été conçues, offrant des possibilités supplémentaires de se nuire aux grands royaumes européens. Ce dont ne vont pas se priver leurs monarques respectifs, même s'ils ne comprennent pas du tout le principe exact qui régit l'éther.

C'est dans ce contexte de bouleversements que commence le roman Les Démons du Roi-Soleil (lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire 2002, catégorie meilleur roman étranger, rappelons-le). Nous sommes en 1720, la guerre de succession d'Espagne, loin d'être achevée, se poursuit en ravageant le royaume de France. Petit à petit, les armées anglaises grignotent forteresses et places fortes d'un Roi-Soleil sauvé miraculeusement du trépas par un mystérieux élixir persan. Le monarque absolu, désormais aux abois, met tous ses espoirs dans une arme suprême qu'un transfuge de la Royal Society, fâché avec son maître Newton, est sur le point de lui offrir car, évidemment, il reste quelques détails à régler… Le roman d'ouverture de la série de Greg Keyes est donc un texte complètement balisé, coulé dans le moule d'une fantasy qui use des ressorts bien connus de la quête initiatique et de l'affrontement manichéen. L'initiation est ici double puisqu'il s'agit, d'une part, de celle de Benjamin Franklin, à peine sorti de l'adolescence mais déjà génial, et, d'autre part, de celle de Adrienne de Montchevreuil, jeune femme de tête dotée, de surcroît, d'un cerveau. Ces deux personnages principaux, autour desquels orbitent une multitude de personnages secondaires, ont comme point commun de s'intéresser énormément à la science. Ce qui ne va pas manquer de les plonger au cœur des événements déterminants de cet âge de la déraison naissant. Bien entendu, le romanesque l'emporte rapidement sur l'historique. Les clins d'œil, notamment à Alexandre Dumas par le biais d'un d'Artagnan, ici prénommé Nicolas, sont transparents. Complots, sociétés secrètes, aristocrates pervers et magiciens, ici nommés philosophes, se liguent pour rythmer le récit. Nous sommes en territoire connu, celui de l'aventure, au demeurant d'assez bonne tenue, et il y a même un potentiel romanesque qui ne demande qu'à prendre davantage d'ampleur. Cela tombe bien, car Greg Keyes est un conteur qui sait communiquer son enthousiasme. Aussi est-on heureux d'avoir le deuxième volume sous la main pour poursuivre l'aventure.

Deux années se sont écoulées lorsque commence L'Algèbre des anges. La cité de Londres a été effacée (damned !) de la carte et le royaume de France (foutre !) est en proie à la guerre civile. Fort heureusement, Isaac Newton a pu s'échapper avec Benjamin Franklin avant le cataclysme. Nous retrouvons donc nos héros indemnes à Prague, dans un Empire Habsbourg en sursis. Pendant ce temps, les armées du Tsar Pierre déferlent sur l'Europe de l'Ouest pour occuper le vide politique. Leur conquête est grandement facilitée par une flotte aérienne et de nombreux sorciers… pardon, philosophes. C'est le chaos, et Adrienne de Montchevreuil, son bébé et ses amis ont fort à faire pour échapper aux bandes armées qui sillonnent l'ancien royaume de France. Pendant ce temps (bis), dans le Nouveau Monde, les colons britanniques et français s'unissent pour organiser une expédition afin de comprendre les raisons de l'interruption des communications avec leurs métropoles respectives. Un chaman indien, Red Shoes, les accompagne afin de vérifier si les perturbations, qu'il a perçues à l'Est, ne sont pas un coup des mauvais esprits. Quels esprits ? Justement, ce volume va répondre à la question. En effet, comme le titre l'indique, l'enjeu général de ce deuxième épisode de L'Age de la déraison se déplace vers les « anges ». C'est par l'intermédiaire de ces créatures, qui peuplent l'éther, que les philosophes agissent sur les ferments éthériques qui composent la matière, pour accomplir mille prodiges. Mais Isaac Newton se méfie d'elles et voit dans le progrès qu'elles permettent une forme d'asservissement pour l'humanité et une aliénation de la méthode scientifique. Bref, les certitudes des uns et des autres sont mises à rude épreuve. En attendant, l'action ne ralentit pas. Les intrigues et les personnages secondaires se multiplient et Greg Keyes n'hésite pas à convoquer quelques célébrités truculentes, ici Edward Teach, alias Barbe-Noire, pour attiser l'intérêt du lecteur. Le récit, lui, continue d'alterner les points de vue, ce qui permet de suivre l'action dans les différents camps et d'introduire un effet de suspense. Avec une maîtrise impressionnante, Keyes le resserre progressivement jusqu'au bouquet final : ici une bataille dans le ciel de Venise avec blitz et abordage aérien. Bref, on ne s'ennuie pas un instant. C'est donc sous d'excellents auspices que l'on entame le troisième volet : L'Empire de la déraison.

L'action se déplace cette fois dans le Nouveau Monde. Dix années sont passées et Benjamin Franklin est devenu député du Commonwealth. Marié à la belle Lenka (rencontrée à Prague, pendant son exil), il a fondé la Junte, une organisation scientifique secrète qui met son savoir en œuvre pour garder la guerre et ses horreurs éthériques loin des terres américaines. Mais voilà, un prétendant à la Couronne d'Angleterre débarque avec le soutien de la Russie et de quelques tories nostalgiques. L'heure semble être venue de livrer une guerre d'indépendance sans l'appui des forces des Malakim, ces créatures de l'éther, qui ont fait des hommes leurs marionnettes. Pendant ce temps, Adrienne et sa garde rapprochée fuient Saint-Pétersbourg et ses complots à bord d'une flottille aérienne. L'intention de la sorcière est aussi de retrouver son enfant que lui ont dérobé les Malakim de la faction opposée à ceux qui la soutiennent. Elle ne sait pas encore que celui-ci est devenu un être surpuissant, l'Enfant-Soleil, qui a débarqué en Amérique à la tête d'une armée pour entreprendre sa conquête par l'Ouest. Averti de l'approche de cette menace, le chaman Red Shoes part à la rencontre de son destin. On sent à la lecture du troisième volet de L'Age de la déraison que l'apothéose est proche. La guerre humaine devient totale. On se bat sur terre, sur mer et dans le ciel. Des armes toujours plus terrifiantes sont utilisées : submersibles et créatures éthériques enchâssées dans des armures mues par des muscles alchimiques. Les actes de bravoure succèdent aux trahisons sans laisser un instant de répit. La guerre matérielle se double d'un conflit de nature plus métaphysique, entre les Malakim eux-mêmes, et se teinte d'une touche de prophétie. C'est désormais le devenir de l'humanité qui est en jeu et non plus celui des monarques. Le grand bazar de la fantasy s'impose définitivement. Et pourtant, le lecteur est conquis… Reste un tome avant la délivrance.

Inutile de résumer L'Ombre de Dieu puisque cet ultime volume s'inscrit totalement dans la continuité du précédent. En fait, à sa lecture, on ne peut s'empêcher de songer qu'un élagage de l'histoire n'aurait pas fait de mal à la série. Le rythme, déjà débridé dans les précédents tomes, s'accélère encore, échappant manifestement au contrôle de l'auteur. La déraison n'est plus uniquement dans le titre. Elle est dans l'accumulation des rebondissements et des points de vue. Elle est aussi dans la multiplication des batailles et des défis héroïques ; multiplication qui finit par lasser. Et lorsque le dénouement se produit (on le voyait venir depuis le début du troisième tome), on soupire de soulagement. Reste que, au regard des trois précédents tomes, force est de constater qu'on a finalement passé un agréable moment de lecture. Alors pourquoi se priver ? L'été arrive…

Les Démons du Roi-Soleil

[Critique commune à Les Démons du Roi-Soleil, L'Algèbre des anges, L'Empire de la déraison et Les Ombres de Dieu.]

Le procédé de l'uchronie a donné lieu, ces derniers temps, à une floraison d'ouvrages hybrides, à mi-chemin entre l'uchronie pure — celle dont la vraisemblance s'évalue à l'aune de la connaissance historique — et la fantasy. L'historicité la plus orthodoxe semble de plus en plus déserter les pages de l'autre Histoire, remplacée plus ou moins habilement par la fantasmagorie et les pseudosciences. Il n'y a pas là, forcément, matière à se lamenter. Des romans comme L'Age des Lumières de Ian R. MacLeod par exemple (cf. critique in Bifrost n°46) démontrent qu'il est possible, même avec des textes au carrefour de la fantasy et de l'uchronie, de traiter ce qui reste le véritable enjeu littéraire : l'Histoire, le devenir des civilisations et de l'individu. Cependant, force est de constater également que cette hybridation a généré une quantité non négligeable de romans, au mieux (très) distrayants (Bloodsilver de Wayne Barrow en témoigne tout récemment), au pire ridicules (La Cité de Satan de Fabien Clavel aïe aïe aïe !). En rééditant L'Age de la déraison de Greg Keyes, jadis paru dans la défunte collection « Imagine » de Flammarion, Pocket fournit une parfaite illustration de cette littérature au rythme soutenu, pas forcément ennuyeuse, mais dans laquelle la divergence historique n'offre qu'un prétexte, une toile de fond à des aventures qui tiennent davantage du roman de cape et d'épée (de cape et de punk ?). Bref, tout ça pour dire que L'Age de la déraison est une série de romans pop-corn à déguster sans aucune autre intention que celle de s'amuser. Mais il est peut-être temps de voir en quoi consiste cet amusement qui se compose, quand même, de quatre volumes, et pas petits.

Comme vous ne le savez sans doute pas, Isaac Newton a découvert, en 1681, le mercure philosophale. Cette découverte a imprimé un tournant décisif à l'histoire de l'humanité telle que nous la connaissons et, en conséquence, les progrès scientifiques sont désormais liés à l'utilisation alchimique de l'éther. L'effort de rationalisation déployé par Greg Keyes pour rendre cohérent et crédible sa physique alchimique est malin. Il choisit d'introduire un décalage dans les lois physiques qui président au fonctionnement de l'univers. Ceci nous change des sortilèges, des raccourcis métaphoriques et autres fadaises qu'on nous assène habituellement en fantasy. Cependant, ce système demeure fondamentalement magique, les invocations étant juste remplacées par des équations mathématiques. Grâce à l'éther, la communication à longue distance est beaucoup plus facile et rapide. Il suffit d'avoir un éthérographe en harmonie avec son jumeau — une paire d'éthérographes, donc — et le tour est joué. De même, la matière en ce monde étant enveloppée dans des ferments éthériques, on peut, en agissant sur ceux-ci, provoquer des transmutations bien utiles. Hélas, la science est une arme à double tranchant dans les mains de l'humanité. De nouvelles armes toujours plus destructrices (kraftpistole, fervefactum, farenheit, etc…), ont ainsi été conçues, offrant des possibilités supplémentaires de se nuire aux grands royaumes européens. Ce dont ne vont pas se priver leurs monarques respectifs, même s'ils ne comprennent pas du tout le principe exact qui régit l'éther.

C'est dans ce contexte de bouleversements que commence le roman Les Démons du Roi-Soleil (lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire 2002, catégorie meilleur roman étranger, rappelons-le). Nous sommes en 1720, la guerre de succession d'Espagne, loin d'être achevée, se poursuit en ravageant le royaume de France. Petit à petit, les armées anglaises grignotent forteresses et places fortes d'un Roi-Soleil sauvé miraculeusement du trépas par un mystérieux élixir persan. Le monarque absolu, désormais aux abois, met tous ses espoirs dans une arme suprême qu'un transfuge de la Royal Society, fâché avec son maître Newton, est sur le point de lui offrir car, évidemment, il reste quelques détails à régler… Le roman d'ouverture de la série de Greg Keyes est donc un texte complètement balisé, coulé dans le moule d'une fantasy qui use des ressorts bien connus de la quête initiatique et de l'affrontement manichéen. L'initiation est ici double puisqu'il s'agit, d'une part, de celle de Benjamin Franklin, à peine sorti de l'adolescence mais déjà génial, et, d'autre part, de celle de Adrienne de Montchevreuil, jeune femme de tête dotée, de surcroît, d'un cerveau. Ces deux personnages principaux, autour desquels orbitent une multitude de personnages secondaires, ont comme point commun de s'intéresser énormément à la science. Ce qui ne va pas manquer de les plonger au cœur des événements déterminants de cet âge de la déraison naissant. Bien entendu, le romanesque l'emporte rapidement sur l'historique. Les clins d'œil, notamment à Alexandre Dumas par le biais d'un d'Artagnan, ici prénommé Nicolas, sont transparents. Complots, sociétés secrètes, aristocrates pervers et magiciens, ici nommés philosophes, se liguent pour rythmer le récit. Nous sommes en territoire connu, celui de l'aventure, au demeurant d'assez bonne tenue, et il y a même un potentiel romanesque qui ne demande qu'à prendre davantage d'ampleur. Cela tombe bien, car Greg Keyes est un conteur qui sait communiquer son enthousiasme. Aussi est-on heureux d'avoir le deuxième volume sous la main pour poursuivre l'aventure.

Deux années se sont écoulées lorsque commence L'Algèbre des anges. La cité de Londres a été effacée (damned !) de la carte et le royaume de France (foutre !) est en proie à la guerre civile. Fort heureusement, Isaac Newton a pu s'échapper avec Benjamin Franklin avant le cataclysme. Nous retrouvons donc nos héros indemnes à Prague, dans un Empire Habsbourg en sursis. Pendant ce temps, les armées du Tsar Pierre déferlent sur l'Europe de l'Ouest pour occuper le vide politique. Leur conquête est grandement facilitée par une flotte aérienne et de nombreux sorciers… pardon, philosophes. C'est le chaos, et Adrienne de Montchevreuil, son bébé et ses amis ont fort à faire pour échapper aux bandes armées qui sillonnent l'ancien royaume de France. Pendant ce temps (bis), dans le Nouveau Monde, les colons britanniques et français s'unissent pour organiser une expédition afin de comprendre les raisons de l'interruption des communications avec leurs métropoles respectives. Un chaman indien, Red Shoes, les accompagne afin de vérifier si les perturbations, qu'il a perçues à l'Est, ne sont pas un coup des mauvais esprits. Quels esprits ? Justement, ce volume va répondre à la question. En effet, comme le titre l'indique, l'enjeu général de ce deuxième épisode de L'Age de la déraison se déplace vers les « anges ». C'est par l'intermédiaire de ces créatures, qui peuplent l'éther, que les philosophes agissent sur les ferments éthériques qui composent la matière, pour accomplir mille prodiges. Mais Isaac Newton se méfie d'elles et voit dans le progrès qu'elles permettent une forme d'asservissement pour l'humanité et une aliénation de la méthode scientifique. Bref, les certitudes des uns et des autres sont mises à rude épreuve. En attendant, l'action ne ralentit pas. Les intrigues et les personnages secondaires se multiplient et Greg Keyes n'hésite pas à convoquer quelques célébrités truculentes, ici Edward Teach, alias Barbe-Noire, pour attiser l'intérêt du lecteur. Le récit, lui, continue d'alterner les points de vue, ce qui permet de suivre l'action dans les différents camps et d'introduire un effet de suspense. Avec une maîtrise impressionnante, Keyes le resserre progressivement jusqu'au bouquet final : ici une bataille dans le ciel de Venise avec blitz et abordage aérien. Bref, on ne s'ennuie pas un instant. C'est donc sous d'excellents auspices que l'on entame le troisième volet : L'Empire de la déraison.

L'action se déplace cette fois dans le Nouveau Monde. Dix années sont passées et Benjamin Franklin est devenu député du Commonwealth. Marié à la belle Lenka (rencontrée à Prague, pendant son exil), il a fondé la Junte, une organisation scientifique secrète qui met son savoir en œuvre pour garder la guerre et ses horreurs éthériques loin des terres américaines. Mais voilà, un prétendant à la Couronne d'Angleterre débarque avec le soutien de la Russie et de quelques tories nostalgiques. L'heure semble être venue de livrer une guerre d'indépendance sans l'appui des forces des Malakim, ces créatures de l'éther, qui ont fait des hommes leurs marionnettes. Pendant ce temps, Adrienne et sa garde rapprochée fuient Saint-Pétersbourg et ses complots à bord d'une flottille aérienne. L'intention de la sorcière est aussi de retrouver son enfant que lui ont dérobé les Malakim de la faction opposée à ceux qui la soutiennent. Elle ne sait pas encore que celui-ci est devenu un être surpuissant, l'Enfant-Soleil, qui a débarqué en Amérique à la tête d'une armée pour entreprendre sa conquête par l'Ouest. Averti de l'approche de cette menace, le chaman Red Shoes part à la rencontre de son destin. On sent à la lecture du troisième volet de L'Age de la déraison que l'apothéose est proche. La guerre humaine devient totale. On se bat sur terre, sur mer et dans le ciel. Des armes toujours plus terrifiantes sont utilisées : submersibles et créatures éthériques enchâssées dans des armures mues par des muscles alchimiques. Les actes de bravoure succèdent aux trahisons sans laisser un instant de répit. La guerre matérielle se double d'un conflit de nature plus métaphysique, entre les Malakim eux-mêmes, et se teinte d'une touche de prophétie. C'est désormais le devenir de l'humanité qui est en jeu et non plus celui des monarques. Le grand bazar de la fantasy s'impose définitivement. Et pourtant, le lecteur est conquis… Reste un tome avant la délivrance.

Inutile de résumer L'Ombre de Dieu puisque cet ultime volume s'inscrit totalement dans la continuité du précédent. En fait, à sa lecture, on ne peut s'empêcher de songer qu'un élagage de l'histoire n'aurait pas fait de mal à la série. Le rythme, déjà débridé dans les précédents tomes, s'accélère encore, échappant manifestement au contrôle de l'auteur. La déraison n'est plus uniquement dans le titre. Elle est dans l'accumulation des rebondissements et des points de vue. Elle est aussi dans la multiplication des batailles et des défis héroïques ; multiplication qui finit par lasser. Et lorsque le dénouement se produit (on le voyait venir depuis le début du troisième tome), on soupire de soulagement. Reste que, au regard des trois précédents tomes, force est de constater qu'on a finalement passé un agréable moment de lecture. Alors pourquoi se priver ? L'été arrive…

Dans l’œil du cyclone

Après avoir donné ses lettres de noblesse à l'heroic-fantasy bas de plafond, ressuscité la science-fiction — le space opera, pour être précis —, s'être engagé de manière inouïe (ahah !) et forcément admirable (ahah !) pour une noble cause (Une Fille comme les autres de Jack Ketchum), les éditions Bragelonne ont décrété qu'il fallait redonner sa chance au fantastique, cette littérature mal aimée dans l'Hexagone, comme en témoigne la quasi-disparition de toutes les collections qui lui étaient dédiées. On attendait donc Jean Ray, Dennis Etchison, Lucius Shepard, Steve Rasnic Tem, K. W. Jeter ou, à la rigueur, leurs héritiers. C'est finalement Jim Butcher que l'on découvre. On espérait s'enivrer avec les effluves de quelques fleurs littéraires vénéneuses. On reste médusé devant un nain de jardin charriant sa brouette de clichés et autres blagues de potache. Ambiance : « Le facteur était en avance de trente minutes. C'était un remplaçant. Son pas plus lourd avait quelque chose de désinvolte et le type sifflait. Il sifflotait encore avant de s'arrêter brusquement devant ma porte. Il y eut quelques instants de silence, puis il éclata de rire. »

À la lecture de Dans l'œil du cyclone, on n'est pas loin d'éclater de rire aussi au tour de passe-passe que l'on vient de nous jouer. En effet, Jim Butcher, c'est du lourd, voire du très lourd. Attention, pas de cette lourdeur qui découle de l'aura médiatique. Non, du lourd qui accable, pèse et, finalement, s'écrase comme une tarte à la crème en pleine face. Ahah ! Ils nous ont bien eu chez Bragelonne (et chez SciFi, partageons tout de même les responsabilités). Ils nous ont entarté bellement. On croyait lire un roman de littérature fantastique et c'est finalement une pochade puérile et mal écrite (la traduction n'y est sans doute pour rien, encore que…) que l'on achète (presque dix euros, quand même). Tout juste un scénario de série télé médiocre, à mi-chemin entre Buffy et Scoobidoo… Pardon… Ah oui ! « Les Dossiers Dresden » sont déjà une série télé aux Etats-Unis. Décidément, rien ne nous sera épargné. Mais j'entends déjà les esprits chagrins ronchonner. Et l'histoire ! Il serait peut-être temps d'en parler ! C'est bien là le problème : une histoire, un tant soit peu sérieuse, il n'y en a pas. Ce court (ouf !) roman est un texte nombriliste consacré quasi-exclusivement au personnage de Harry Blackstone Copperfield (si, c'est ça, son nom) Dresden, un jeune magicien qui a fait de l'élucidation des affaires paranormales sa raison sociale. On peut d'ailleurs résumer le propos par une énumération. Lorsque le roman commence, Harry est fauché. Heureusement, une cliente lui téléphone pour lui demander de retrouver son mari. Dans le même temps, l'inspectrice Karrin Murphy, du Bureau des enquêtes spéciales de Chicago, le contacte pour examiner deux victimes décédées dans des circonstances… acrobatiques : « Ils étaient morts dans leur lit, cette nuit. La rigidité cadavérique avait commencé son œuvre. La femme chevauchait le type, le corps tendu en arrière, le dos courbé comme une danseuse, l'arrondi de ses seins lui conférant une charmante silhouette. L'homme, grand et musclé, agrippait les draps de satin, les serrant dans ses poings. Un photographe érotique en aurait tiré un tableau magnifique. Dommage que les côtes gauches de nos amants aient décidé d'exploser, faisant jaillir des pointes osseuses qui avaient déchiré les chairs. Les artères avaient projeté du sang jusque sur le miroir du plafond, avec des morceaux de chair gélatineuse et probablement les restes de leurs cœurs. » En sortant de la scène du crime, Harry est prié par le patron du défunt — un gros bonnet de la pègre — de laisser tomber l'embryon d'enquête que son amie Karrin vient de lui confier. S'il cède, l'inspectrice ne sera plus sa copine… Vous pensez bien que Harry ne va pas se laisser impressionner. D'ailleurs, il est grand temps pour lui d'aller au pub McAnnaly, où il a ses habitudes, afin de déguster une ale — parce que, si vous ne le savez pas, Harry apprécie l'ale brassée par Mac, le patron peu loquace du McAnnaly. À peine accoudé au comptoir, il est accosté par Susan Rodriguez, provocante journaliste du tabloïd Les Arcanes de Chicago, qui, aussitôt, le drague outrageusement :

« — Harry Dresden, vous êtes vraiment impossible. (Ses yeux cillèrent un peu plus.) Vous n'avez même pas regardé mon décolleté, je me trompe ?

Je pris une lampée d'ale et fis signe à Mac de lui en servir une. Ce qu'il fit prestement.

— Je plaide coupable, lâchai-je. La plupart des hommes seraient complètement dingos, à ce stade.

— Il faut que je fasse quoi, avec vous, Dresden ?

— Je suis pur de cœur et d'esprit, rien ne peut me corrompre.

Ivre de frustration, elle me dévisagea pendant quelques instants avant d'éclater de rire. Même son rire était beau, chaud, intense. Je profitai de l'occasion pour regarder sa poitrine. Il y a des limites aux vertus de la pureté de l'esprit et du cœur. »

Harry se fait finalement extorquer un rendez-vous. Mais en attendant, il a deux enquêtes urgentes sur le feu. Il invoque donc un (pas une) fey, répondant au surnom doux à l'oreille de Tut Tut, pour obtenir des réponses. Là-dessus débarque Morgan, un magicien chenu, pseudo clone de Sean Connery dans Highlander (ben si, c'est comme ça) qui le menace avec son épée maousse des foudres de la malédiction de Damoclès s'il est prouvé que Harry est Le coupable. De quoi ? Des deux meurtres, ci-dessus mentionnés, et de diverses entorses au code de la Blanche Confrérie. Eprouvé, Harry rentre chez lui et on découvre (enfin !) son intérieur cossu (éclairage à la bougie, chauffage et cuisine au bois car les bienfaits du confort moderne ne résistent pas à l'aura magique surpuissante de Harry). Il confectionne, aidé d'un esprit de l'air domestiqué qui loge dans un crâne (Bob, qui nourrit une obsession notoire pour la gent féminine), un philtre d'amour pour son rendez-vous avec Susan (vingt centilitres de tequila, cent grammes de chocolat, une goutte de parfum, trente grammes de soie déchirée, le dernier soupir recueilli au fond d'une bouteille, les cendres d'une lettre d'amour pleine de passion ou, à défaut, quelques pages de romans à l'eau de rose avec des couvertures regorgeant de chair sensuelle…). Ce n'est pas qu'il doute de son sex-appeal, mais Harry préfère être à la hauteur. Etc. Etc.

Nul besoin d'en rajouter pour rendre compte de la substantifique matière (fécale ?) de cet ersatz de roman. Au passage, rendons hommage à Jim Butcher dont l'écriture est à la hauteur de l'inexistence de l'histoire. Malgré ce sérieux handicap, il réussit, haut la main, le tour de force de surécrire, comme un acteur cabotin surjoue. L'humour est au mieux puisé dans des résidus de fond de capote, au pire complètement crétin (mais il paraît que les adolescents aiment les crétineries). Les descriptions sont parfaitement alimentaires : « Elle ressemblait à une pizza. Le visage pâle par endroits et rouge ailleurs, elle était aussi molle qu'une frite McDonald's, sauf quand des spasmes tétanisaient ses muscles ». Sans oublier que Jim Butcher semble d'ailleurs vouer un culte aux majorettes dont les petits nez, voix rauque et jeter de bâton (non, là j'invente) agrémentent les descriptions féminines. Quant au style, c'est tout simple : il n'y en a pas. Ou alors il faut considérer qu'interpeller constamment le lecteur — genre voix off — est un procédé littéraire hautement soutenu. Bref, on savait le fantastique moribond en France. Avec Jim Butcher et par l'intermédiaire des éditions Bragelonne, c'est certain, il n'est plus que l'ombre de lui-même.

Le Trône d'ébène

En 1807 apparaît chez les N'Gunis du Natal (peu ou prou l'actuelle Afrique du Sud) un dictateur qui fonde la nation zouloue en conquérant par les armes les autres tribus de la région. Chef de guerre insatiable atteint de folie sanguinaire, il sera assassiné par les siens en 1828. Ses successeurs combattront les Boers, puis les Anglais.

Telle est l'histoire du nouveau roman de Thomas Day, sous-titré Naissance, vie et mort de Chaka, roi des Zoulous. Ni science-fiction, ni fantasy, ce roman est une épopée sanglante. Et comme en Afrique, la magie n'est jamais absente, une épopée fantastique sanglante.

Ce qui frappe en premier c'est l'écriture, le souffle qui porte les exploits de ce guerrier hors du commun. Le destin de cet homme est exceptionnel, mais l'énumération de ses conquêtes guerrières serait lassante si elle n'était contée dans une langue aussi inspirée.

C'est l'histoire du premier fils désiré d'un roi, conçu malheureusement pour lui hors mariage avec une concubine. Crime sacrilège qui permettra aux épouses légitimes d'exiger le bannissement du fils et de la mère quand elles-mêmes auront des héritiers. Un gamin martyrisé par les autres enfants du village jusqu'à son départ à l'âge de treize ans. Impavide, la mère assiste aux exactions dont son fils est quotidiennement victime, persuadée que ces brutalités forgent son caractère, que sa haine et sa rage le transformeront en messie guerrier. Une ancienne prophétie annonce en effet la venue d'un enfant sacré qui deviendra un grand roi et réunira sous sa coupe les autres tribus.

Pour vérifier son pressentiment, elle l'emmène voir une vieille sorcière qui vit au creux d'un arbre de la savane, en compagnie d'un cochon sauvage aux yeux bleus. Celle-ci confirme que peut-être… mais qu'elle ne pourra en être sûre que le jour où le garçon atteindra la puberté. Quand ce jour arrive et que l'enfant, pour la première fois, se réveille le sexe dur, c'est la mère qui le soulage. Geste fondateur, incestueux, d'une mère toute puissante qui le poussera à conquérir les tribus voisines, à tuer et à massacrer les bouches inutiles, à vendre aux Portugais une partie des prisonnières et des enfants, et à garder comme esclaves les plus beaux spécimens.

Enfant de la prophétie, Chaka est avant tout l'objet des dieux, dieux qu'il lui faudra parfois affronter, à l'instigation même de ces derniers. Ainsi combat-il une mère divine et monstrueuse, une lutte ô combien symbolique alors que dans sa vie personnelle, Chaka n'aura de cesse d'obéir aux dieux et à sa génitrice. Après quoi la première guerre est déclarée, et Chaka ne cessera plus de batailler, de tuer et de massacrer, encouragé par sa mère, par la prophétie, par la sorcière, et, bien sûr, par les dieux.

Car ce sont les dieux qui, en coulisse, manipulent les marionnettes humaines qui défendent sans le savoir leurs intérêts. Les dieux savent que seul un empire zoulou puissant pourra entraver la marche de l'homme blanc et leur donner quelques années de répit. Comme d'habitude, ils poussent les hommes à s'entretuer en leur nom, se moquant des dégâts collatéraux (des milliers de morts à chaque nouvelle conquête de Chaka, qui seront nombreuses).

À la fin de sa geste, les dieux ordonnent à Chaka d'entreprendre un voyage initiatique, jusqu'à un lac sacré où l'attend un dieu crocodile. Le cadeau du crocodile (symbole du père, père qui l'a banni !) le rendra fou.

La magie imprègne le récit, mais que serait une épopée africaine sans magie noire ? Une chanson de geste tout autant magnifique (un jour un enfant apparaît, porté par une prophétie il réunit sous sa coupe la nation zouloue) qu'horrifique du fait de la cruauté de Chaka, de son inhumanité. C'est un guerrier sans cœur fabriqué par les dieux et capable d'abattre ses alliés s'il les sent trop fragiles. Il ne se connaît qu'un unique amour, celui qu'il porte à sa mère, un amour qui le dévore.

À la fin du roman, avalé comme un bouillon poivré une nuit de grippe, deux réflexions totalement incorrectes me viennent. Je comprends mieux les dictateurs africains actuels qui ne font que perpétuer la tradition et la folie du roi des zoulous. Et je me demande si une société sans dieu(x) serait moins sanguinaire. Peu probable…

Thomas Day a du souffle, il sait raconter des histoires, mais il a surtout ce don incroyable qui consiste à se glisser dans l'âme d'un peuple pour la faire sienne le temps d'un livre.

Ombres sur le Nil

Grâce à l'auteur, nous avions déjà appris, entre autres, que le plus ancien manuscrit de la Bible avait été « mis à l'abri » par un étrange anachorète albanais afin de sauver la « vraie » Bible sur laquelle repose la civilisation occidentale, et qu'une interminable partie de poker jouée par trois singuliers personnages dans une minuscule échoppe du vieux Jérusalem avait décidé du sort de la ville et, par conséquent, du Moyen-Orient. On se doutait bien que ça ne pouvait pas s'arrêter là. L'issue aurait, en quelque sorte, paru trop simple…

Donc, dans ce troisième volet du Quatuor de Jérusalem (qui peut être lu indépendamment des deux précédents, quoique ce serait fort dommage), le lecteur découvre un autre lieu capital, en un autre temps : Le Caire en 1942, à l'époque où les troupes du maréchal Rommell progressent dans le désert. Dans l'hôtel Babylone, un meublé hors catégories tenu par l'inamovible Ahmad, tenancier au passé complexe et au présent insaisissable, déboule un certain Joe O'Sullivan Bearce, ancien joueur de poker à Jérusalem que des agents secrets sont allés chercher dans la réserve indienne où il s'était réfugié pour lui confier une mission : enquêter sur la mort de son ami Stern et sur les agissements antérieurs de celui-ci…

Bien sûr, dès le début du récit, tout est beaucoup plus tordu qu'une épopée historique, une intrigue policière, un roman d'espionnage ou une succession de portraits d'individus hauts en couleur, même si le livre participe de tout ceci, et avec panache. Comme dans les deux précédents volumes, ce qui séduit d'abord, c'est le côté imprévisible et farfelu des personnages. Toute banalité est exclue et, lorsque banalité il semble y avoir, c'est de manière tellement excessive qu'elle devient extraordinaire. Reste une profonde humanité, qui s'affirme de plus en plus, et de bouleversante manière, à mesure que s'enchaînent avec logique les plus incroyables évènements.

Résumer l'ensemble est impossible, et serait de toute manière malvenu. Ce qui constitue la force, la puissance d'Ombres sur le Nil, c'est sa capacité à surprendre sans cesse le lecteur, à le prendre à rebrousse-poil tout en lui donnant l'impression qu'on le caresse. La lecture donne la même impression qu'un rapport amoureux réussi, à la fois créatif et bienvenu, inédit et inattendu.

On ne rappellera pas ici les rapprochements déjà établis avec les plus grands auteurs de divagations prodigieuses, ni les compliments déjà humblement proférés à l'égard des deux précédents livres d'Edgar Whittemore parus en « Ailleurs & Demain » (cf. critiques in Bifrost 39 et 42). Mais qu'on permette à l'auteur de ces lignes d'insister auprès des lecteurs pour qu'ils ne commettent pas l'erreur de passer à côté de ce troisième opus. Ils se priveraient de beaucoup de plaisir, et de l'opportunité rare de se retrouver étonnamment plus intelligents et bien plus satisfaits au moment de refermer l'ouvrage.

Quant à ceux qui auront l'audace avisée d'ouvrir Ombres sur le Nil, gageons qu'ils attendront la parution du quatrième pan de ce Quatuor comme ils attendraient un rendez-vous galant : avec confiance et impatience.

La Zone du Dehors

Avant d'être Alain Damasio-La-Horde-du-Contrevent, Alain Damasio était Alain Damasio tout court, auteur d'un premier roman réussi/raté publié chez Cylibris dont deux ou trois sites web innommables avaient un jour parlé. Aujourd'hui (justement) célèbre pour le carton public et critique de La Horde, Damasio nous offre l'utile réédition (revue et augmentée d'un CD) de La Zone du dehors, œuvre fondatrice s'il en est. La boucle est d'ailleurs bouclée, le groupuscule terroriste anarchisant dont il est question ici s'appelant justement La Volte. Ah, tiens, comme l'éditeur ? Oui, voilà, comme l'éditeur, maintenant vous savez tout…

Contribution damasienne à George Orwell, dont l'ombre immense ne cesse de hanter les pages tour à tour nietzschéennes, deleuziennes, foucaultiennes ou situationnistes de ce roman dystopique aussi foutraque que passionnant, l'histoire de La Volte est une charge nécessaire contre la social-démocratie molle qui intègre, comprend, tolère et flique pour notre plus grand bien. Pas besoin de s'envoyer l'intégrale de Noam Chomsky pour savoir que là où la dictature s'appuie sur la répression pour durer, la démocratie se contente de l'assentiment général et de l'autocensure permanente (la fabrique du consentement, comme qui dirait). De fait, La Zone du dehors renoue avec le roman politique, genre encore plus inavouable que la S-F, et dont on peine à trouver en France quelques augustes représentants. C'est désormais chose faite, d'autant que le lifting du roman (belle couverture, beau CD et belle réécriture — les premières pages, notamment) le hisse au même niveau que La Horde du contrevent. Dès lors, Alain Damasio peut enfin officier en tant qu'agitateur public ultra référencé avec l'humour et la chaleur qu'on lui connaît.

D'humour (noir) et de chaleur, La Zone du dehors n'en manque d'ailleurs pas, même si le texte louche plus du côté épique, flamboyant, révoltant, déroutant (et parfois illisible) que de l'absurde rigolo. Soit, mais l'histoire ? On y vient.

Plantée sur un astéroïde en orbite autour de Saturne, une société humaine prospère doucement. Baptisée Cerclon (un rappel assez glaçant au tout aussi glaçant concept de panoptique illustré sur la couverture, entre autres), la ville tient plus de la station spatiale cernée par un environnement hostile que de la terre promise, mais passons. Or, à l'instar de nos propres sociétés occidentales aveuglées par la peur de tout ce qui les menace et dont la majorité des institutions tiennent justement grâce à ce sentiment de terreur généreusement colporté article après article par nos ami(e)s journalistes, le Cerclon s'appuie sur la logique de la destruction. Dehors, tout est si hostile, si irrémédiablement mortel qu'un simple dérèglement risque de mettre un terme à la colonie dans son ensemble et de tuer tous ceux qui y vivent. De fait, qui oserait remettre en cause une société qui, certes, ne manque pas de défauts, mais qui laisse quand même pas mal de libertés, d'autant que sur Terre, par exemple, la situation a carrément dépassé les limites du supportable ? Bref, y a pire ailleurs, soyez heureux ici, surtout que toute tentative de changement débouche sur la mort. T'as qu'à aller voir à Moscou si c'est mieux.

Et pourtant, la jeunesse est décidément incorrigible (enfin, celle qui ne va pas à la Concorde) et une poignée de déviants décide de foutre un peu le feu de ci de là, parce que quand même, bon. Et nos sales jeunes sont tout sauf stupides, qui plus est. Une vraie honte. Apôtres de la démocratie directe, lucides quant à la désastreuse solitude propre aux révolutionnaires, aussi angoissés qu'enthousiastes quand se pose fatalement la question de la lutte armée, les membres de La Volte résument bien les aspirations d'un monde qui prend soudainement conscience de la vraie nature de l'oppression.

En l'occurrence, au Cerclon, l'oppression la plus visible (mais la plus acceptée, car la plus raisonnable) reste le système de Clastres, organisation sociale très rigide qui donne sa place à chacun en fonction de ses aptitudes et qui n'oublie personne (un concept aussi sordide que le déclassement est impensable, évidemment, sauf que l'hypocrisie est très humaine et qu'ordre + pouvoir = oppression, c'est comme ça, et même Olivier Girard aurait bien du mal à réfuter pareille assertion). La Zone du dehors ne fait rien d'autre que raconter la révolte libératrice de cinq personnages, perclus de contradictions, hantés de pressions sociales et tous forcément attachants. C'est tout ? Oui, mais c'est déjà beaucoup. Le style inimitable de Damasio élève le récit avec intelligence et brio. Quant à la révolution, le thème est tellement universel qu'on ne peut guère qu'y adhérer. Reste que si ce premier roman est enthousiasmant par bien des aspects, on sent qu'Alain Damasio a voulu en mettre beaucoup, au risque de s'y perdre. Ainsi, la narration souffre du poids théorique et critique qui jalonne le récit page après page. Défaut agaçant qui, certes, enfonce un peu plus le clou argumentaire, mais qui plombe l'intrigue et limite parfois les personnages à des rôles de tribuns révolutionnaires caricaturaux. Ceci étant, La Zone du dehors est aussi un excellent roman et un beau voyage aujourd'hui douloureusement nécessaire. L'occasion de découvrir une autre facette du travail d'orfèvre de Damasio, qui, on l'espère de tout cœur, a sacrément intérêt à nous pondre quelque chose d'autre au plus vite. Au travail, feignant, la France a besoin d'écrivains qui se lèvent tôt.

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