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Le Réveil des Titans

[Critique commune à L’Empire perdu et Le Réveil des Titans.]

Les Razzies, ça se mérite ! Alexis Aubenque, qui est aux Razzies ce que Michael Schumacher est à la Formule 1, visait le Grand Chelem en 2005 mais, faute d'avoir été publié, il n'a pas pu se contenter d'un accessit ni n'a même été nominé. Fort furieux, il s'est juré de reconquérir sa peu glorieuse couronne en 2006 et, force est d'admettre qu'il a déjà placé la barre très bas : il sera difficile de passer dessous.

La quatrième de couverture évoque Dieu sait pourquoi Le Seigneur des Anneaux et, on le comprend malheureusement mieux, Dune. En fait, évoquer les préquelles du cycle de Frank Herbert eût été plus juste et un véritable plagiat bien meilleur.

Donc, dans le lointain futur de cette autre galaxie où les gens portent des jeans, s'appellent Marlowe ou Florentin, habitent Séville ou Chicago, voire, comble de l'exotisme, Taigon ou Beijong, et sont affublés de prénoms tels que Gabriel, Stéphane, Catherina, XjzzyhgH'rg Esteban, Désiré, Hélène et j'en passe, sur cet univers, disais-je, règne un empereur entouré de tout un aréopage de ducs et de princesses fieffés de planètes dont l'une est — mais oui — désertique ! (Non, il n'y a pas d'asticots !) Mis à part les astronefs fabriqués par l'Eglise, on s'éclaire à la bougie… Quant à la toile de jean, elle doit être filée à la quenouille mais, obnubilé par les scènes de ménage et autres querelles nobiliaires à la portée du premier notaire venu, on a pas eu l'heur de visiter un tissage local. Les Amazones, sorte de ninjas femelles, constituent la ridicule élite combattante de ce grotesque univers où, jadis, une terrible guerre a abouti à l'interdiction de la technologie. Ajoutez, pour faire bonne mesure, des contrebandiers réfugiés dans une planque high tech…

Pour empêcher Stéphane Arkan, héritier putatif du trône, d'y monter, l'empereur marie sa fille à un Black, Désiré N'Goya, qui devrait être une charmante sorte de Baby Doc. Le scandale vient non de son anecdotique négritude ni des forfaits qu'auraient pu commettre les « tontons macoutes » de son entourage, mais de ce qu'il soit de petite noblesse. Ça, ça pardonne pas ! Tout ça parce que Stéphane Arkan se prépare à relancer l'empire sur la voie du progrès. Ce qui n'est pas du goût de l'Eglise. Pendant qu'Arkan fourbit ses cyborgs, Gabriel X joue de la bombe A.

Les personnages sont encore plus plats que ceux du Flatland d'Edwin Abbott, à tel point qu'Aubenque finit par confondre Hérizon N'Goya et Esteban de Mandragore. On le comprend…

Moins cher, moins gros que La Chute des mondes (Pocket), L'Empire des Etoiles, dont l'un des personnages secondaires se nomme Liette Ninet — si ça ne vous rappelle rien, c'est que vous avez de la chance — est un peu plus lisible, un rien moins mauvais. Publié dans la feue collection « Anticipation », Alexis Aubenque se serait trouvé une place discrète dans le tout-venant des tâcherons maison, entre Dan Dastier, André Caroff et Daniel Piret : pas vraiment des ténors. C'est au space op' ce que les sitcoms sont au cinéma. Avec cette histoire de trône à lire sur le trône, Alexis Aubenque n'a pas réussi à se « souspasser ». Il faudrait peut-être qu'une bonne âme se dévoue pour lui expliquer qu'il n'y a aucune gloriole à truster les Razzies année après année, tout en affirmant à sont éditeur que ce n'est pas parce qu'une bouse se vend qu'elle sent moins mauvais… À titre de comparaison, juste histoire de bien enfoncer le clou, on pourra lire Les Légions immortelles de Scott Westerfeld. Il y a aussi des empereurs, des princesses, des cyborgs, des batailles…

L'Empire perdu

[Critique commune à L’Empire perdu et Le Réveil des Titans.]

Les Razzies, ça se mérite ! Alexis Aubenque, qui est aux Razzies ce que Michael Schumacher est à la Formule 1, visait le Grand Chelem en 2005 mais, faute d'avoir été publié, il n'a pas pu se contenter d'un accessit ni n'a même été nominé. Fort furieux, il s'est juré de reconquérir sa peu glorieuse couronne en 2006 et, force est d'admettre qu'il a déjà placé la barre très bas : il sera difficile de passer dessous.

La quatrième de couverture évoque Dieu sait pourquoi Le Seigneur des Anneaux et, on le comprend malheureusement mieux, Dune. En fait, évoquer les préquelles du cycle de Frank Herbert eût été plus juste et un véritable plagiat bien meilleur.

Donc, dans le lointain futur de cette autre galaxie où les gens portent des jeans, s'appellent Marlowe ou Florentin, habitent Séville ou Chicago, voire, comble de l'exotisme, Taigon ou Beijong, et sont affublés de prénoms tels que Gabriel, Stéphane, Catherina, XjzzyhgH'rg Esteban, Désiré, Hélène et j'en passe, sur cet univers, disais-je, règne un empereur entouré de tout un aréopage de ducs et de princesses fieffés de planètes dont l'une est — mais oui — désertique ! (Non, il n'y a pas d'asticots !) Mis à part les astronefs fabriqués par l'Eglise, on s'éclaire à la bougie… Quant à la toile de jean, elle doit être filée à la quenouille mais, obnubilé par les scènes de ménage et autres querelles nobiliaires à la portée du premier notaire venu, on a pas eu l'heur de visiter un tissage local. Les Amazones, sorte de ninjas femelles, constituent la ridicule élite combattante de ce grotesque univers où, jadis, une terrible guerre a abouti à l'interdiction de la technologie. Ajoutez, pour faire bonne mesure, des contrebandiers réfugiés dans une planque high tech…

Pour empêcher Stéphane Arkan, héritier putatif du trône, d'y monter, l'empereur marie sa fille à un Black, Désiré N'Goya, qui devrait être une charmante sorte de Baby Doc. Le scandale vient non de son anecdotique négritude ni des forfaits qu'auraient pu commettre les « tontons macoutes » de son entourage, mais de ce qu'il soit de petite noblesse. Ça, ça pardonne pas ! Tout ça parce que Stéphane Arkan se prépare à relancer l'empire sur la voie du progrès. Ce qui n'est pas du goût de l'Eglise. Pendant qu'Arkan fourbit ses cyborgs, Gabriel X joue de la bombe A.

Les personnages sont encore plus plats que ceux du Flatland d'Edwin Abbott, à tel point qu'Aubenque finit par confondre Hérizon N'Goya et Esteban de Mandragore. On le comprend…

Moins cher, moins gros que La Chute des mondes (Pocket), L'Empire des Etoiles, dont l'un des personnages secondaires se nomme Liette Ninet — si ça ne vous rappelle rien, c'est que vous avez de la chance — est un peu plus lisible, un rien moins mauvais. Publié dans la feue collection « Anticipation », Alexis Aubenque se serait trouvé une place discrète dans le tout-venant des tâcherons maison, entre Dan Dastier, André Caroff et Daniel Piret : pas vraiment des ténors. C'est au space op' ce que les sitcoms sont au cinéma. Avec cette histoire de trône à lire sur le trône, Alexis Aubenque n'a pas réussi à se « souspasser ». Il faudrait peut-être qu'une bonne âme se dévoue pour lui expliquer qu'il n'y a aucune gloriole à truster les Razzies année après année, tout en affirmant à sont éditeur que ce n'est pas parce qu'une bouse se vend qu'elle sent moins mauvais… À titre de comparaison, juste histoire de bien enfoncer le clou, on pourra lire Les Légions immortelles de Scott Westerfeld. Il y a aussi des empereurs, des princesses, des cyborgs, des batailles…

Camisoles

Martin Winckler a su se tailler une place enviable parmi la nouvelle génération d’écrivains de littérature générale ; il a obtenu une certaine reconnaissance. Mais, et c’est ce qui nous intéresse ici au premier chef, il ose aussi aborder les mauvais genres. Il est vrai que l’ostracisme, notamment à l’égard du polar, n’est plus ce qu’il était. À défaut d’être brisé, le tabou s’est fissuré. S-F et fantasy restent encore à l’index. Il n’y a pas si longtemps, à propos du dernier roman de Michel Houellebecq, certains abrutis prétendument intellectuels du genre à l’esprit en chas d’aiguille considéraient le recours à la science-fiction comme le signe indubitable que l’écrivain était sec ! Néanmoins, c’est à des gens comme Winckler ou Houellebecq que la littérature doit un certain élargissement de son spectre sans que ces auteurs se retrouvent dans le ghetto… Ici, le polar est mâtiné d’un zeste de science-fiction. C’est presque abusif de le formuler de la sorte car il n’y a pas, à proprement parler, de science-fiction dans Camisoles, mais ce roman en véhicule tout l’esprit. Il y est question de crypto technique. Ça n’a rien de nouveau ; tout particulièrement dans le domaine de prédilection de Martin Winckler, médecin dans la vraie vie. Winckler s’inscrit donc dans une lignée déjà riche d’œuvres et d’auteurs dénonçant de possibles dérives fascisantes de la médecine lorsqu’elle se mêle de politique. Etant un facteur majeur de l’évolution sociale contemporaine, un rappel à l’éthique n’est peut-être pas superflu.

En 2008, à Tourmens — une grande ville de la province française qui rappelle la « Lormont » de Robert Deleuse comme fiction permettant de ménager les susceptibilités — le juge d’instruction homosexuel (ça ne sert pas à faire avancer le schmilblick) Jean Watteau est chargé d’enquêter sur la mort de son ex-amant Henry d’Artigues, abattu d’une balle dans le ventre, et sur celle du Dr Yann Derec qui s’est la même nuit suicidé de deux balles de calibres différents dans la tête. Madame Madeleine Derec est bien sûr suspectée, d’autant plus que le Dr Wallace, toubib de la famille, la charge de son mieux…

En parallèle, le Dr Charly Lhombre est invité à collaborer avec son ex-maîtresse, Dominique Damati, dans un centre psychiatrique des plus discret, géré par la société pharmaceutique WoPharma. L’établissement est structuré en deux parties : le Village, où l’on traite selon des méthodes expérimentales des délinquants difficiles, et le Château, où ce sont des médecins à problèmes que l’on « soigne » avec toute la discrétion voulue. Et bientôt, une journaliste qui s’est introduite dans la place afin d’enquêter est retrouvée étrangement brûlée vive. Charly Lhombre, ex-légiste, et Dominique Damati, qui nourrissent des soupçons d’homicide et entendent voir la police se saisir de l’affaire, se retrouvent internés au Village (rien à voir avec Le Prisonnier).

Claude de Lermignat, mère du juge Watteau, s’embarque elle aussi dans une drôle d’affaire : la disparition de Jannie Le Guen, présentatrice-vedette de l’émission de télé-réalité locale, dont elle a perçu la liaison avec la psychiatre consultante de l’émission, le Dr Luce Garry, qui fait également partie de l’équipe médicale du Château. Pour éclaircir cette sombre affaire, elle se fait aider de son vieil ami, Raoul D’Andrésy…

Cette dernière enquête, sans lien réel avec les autres, fait figure de pièce rapportée. C’est une comédie de gentleman détective comme on en fait plus qui, sans raison, vient se greffer sur une intrigue plus noire et en prise sur le monde contemporain. C’était manifestement l’occasion pour l’auteur de glisser quelques réflexions sur ce qu’il pense de la télé-réalité, mais, hormis le croisement de personnages, c’est un autre livre.

Le reste se tient par contre, même si l’intrigue n’est pas la force première de ce roman. Winckler recourt au procédé des coupures de presse et autres « communications » pour créer le fond social de son histoire. Histoire qui a pour but d’alerter sur les possibles, voire probables, dérives qu’engendre la collusion du politique et du médical et une tendance forte à « psychiatriser » ce qui, en fin de compte, est du ressort de la morale.

Camisoles est donc une bonne raison de joindre l’utile à l’agréable, de prendre plaisir à une réflexion salutaire dont il serait dommage de se priver.

La Dame des abeilles

Chez Swann, tout est faux, mais tout est vrai. Dans les notes qui introduisent les deux nouvelles du recueil, le petit maître méconnu de la fantasy américaine annonce la couleur. Pour composer l'Enéide, Virgile a déformé les mythes et l'histoire ; pour composer la Trilogie du Latium (réunissant les deux longues nouvelles du présent volume et le Phénix vert), Swann évacue toute volonté d'historicité et s'intéresse aux seuls mythes, qu'il a réinventés. De là découle un programme tout simple : l'imagination avant l'énumération des faits, la chronologie. Car, comme il dit encore : « La poésie et la fiction ont une vérité qui échappe à l'histoire, celle d'interpréter plutôt que d'enregistrer. » Le roman est d'abord une interprétation.

Celle-ci suppose un préalable : de bons interprètes. Les acteurs qui agitent le petit théâtre de Swann sont à cet égard très bien choisis : des figures archétypales, hésitant entre condition humaine et divine, entre l'arbre et la bête, entre nature et civilisation ; des silhouettes dont la forme définitive n'est pas arrêtée, dont le destin attend de s'accomplir. « Le Peuple de la mer », premier des deux récits qui nous sont ici proposés, met en scène les héros malheureux de la guerre de Troie. Enée, vaincu, a fui le sac de la ville avec son fils Ascagne, ils sont en quête d'un havre où planter le germe de la nouvelle Troie. Sa flotte s'échoue à Carthage, au royaume de Didon, une autre exilée. Carthage est aussi le domaine du roi éléphant Iarbas, lunatique comme pas deux. Enée aime Didon qui est aussi aimée de Iarbas ; amours impossibles qui s'achèveront pas la fuite du premier (Rome l'attend) et le sacrifice de la seconde. Dans « La Dame des abeilles », Enée et Ascagne sont passés à l'état de poussière et de souvenirs, on retrouve la dryade Mellone, déjà croisée dans Le Phénix vert (même cycle, même éditeur). Il est aussi question de faunes, de loups, d'une couronne convoitée et d'un roi sans couronne, ainsi que de célèbres jumeaux. Les jumeaux traînent un encombrant héritage, ils sont les princes déchus et cachés d'Albe la Longue. Ils rêvent de reconquête, de femmes accortes ou de créatures mythologiques aux seins blancs. On sait ce qu'il adviendra. Le récit raconte leurs hauts-faits et met en balance la difficile conciliation entre les désirs de pouvoir et la recherche d'une utopique harmonie pastorale.

Tout est faux donc, mais tout est vrai : ici tout est plus vivant, plus dépaysant que nature. À « Interprétation », le Larousse donne comme définition : « qui éclaircit le sens des choses ; qui fait connaître ou exprime une chose cachée. » Qu'exprime Swann sinon la longue et lente marche de l'humanité (de Charybde en Scylla) vers la civilisation ? L'individu s'émancipe du joug de la nature et des dieux pour tomber sous l'empire des passions humaines, trop humaines. Swann dit cette éternelle errance, cette quête d'un bonheur impossible, avec des mots qu'on ne retrouve nulle part ailleurs en fantasy contemporaine, toute préoccupée de manichéismes brutaux. De brutalité ou de violence, il est également question chez Swann ; mais tout est sublimé par la technique littéraire, les ruses d'un style (et d'une traduction) qui allie finesse et puissance d'évocation, sens de la fresque et science de la fesse. C'est charnel, chatoyant comme un été grec. Décidément, l'antiquité selon Swann, c'est épatant.

Jérusalem au poker

Imaginons d'abord un Noir musulman aux yeux bleus, avec une boule de fourrure blanche (très vivante) perchée sur l'épaule, et spécialisé dans la vente de poudre de momies. Ensuite, pour équilibrer un peu, prenons un Hongrois sioniste héritier de la colossale fortune accumulée par les femmes de sa famille, les Sarah, et porteur d'une montre à trois cadrans contradictoires — ou apparemment contradictoires. Enfin, mettons un Irlandais catholique arrivé déguisé en bonne sœur, et trafiquant d'amulettes plus ou moins orthodoxes.

Réunissons ces trois individus dans la minuscule boutique d'un antiquaire casqué, âgé de trois mille ans, qui s'est toujours battu aux côtés des perdants lors des innombrables guerres qui ont ravagé Jérusalem. Disons enfin qu'ils engagent par désœuvrement une interminable partie de poker dans laquelle ils misent des sommes inconcevables, des objets plus rares et plus précieux les uns que les autres — et des quartiers entiers de la Ville sainte…

Ceux des lecteurs du précédent ouvrage de Whittemore paru dans la même collection, Le Codex du Sinaï, qui penseraient que l'auteur pouvait difficilement trouver un « plus » ou un « au-delà » à ses délires… eh bien, ceux-là ont tout faux. Car si Le Codex s'apparentait déjà à nombre de romans d'auteurs singuliers et remarquables comme Lewis Carroll, Franz Kafka ou Thomas Pynchon, il convient d'ajouter ici à la famille le Sade de La Philosophie dans le boudoir et le Samuel Delany des grands textes sur la politique et la sexualité comme Vice-versa ou Dhalgren.

Car de sexualité il est aussi beaucoup question, et outre les aspects absurdes et pourtant très logiques déjà rencontrés dans le premier volet de cet invraisemblable Quatuor, on rencontrera ici des développements saisissants sur l'histoire d'une lignée de femmes (les Sarah) dont les maris sont tous musiciens, sur les amours homosexuelles, sur la place accessoire des enfants mâles dans la transmission de l'Histoire, sur…

En fait, il serait presque plus rapide d'évoquer ici les thèmes que Jérusalem au poker n'aborde pas d'une manière ou d'une autre, tant le roman malmène de sujets et, avec un humour ravageur, pousse son lecteur à en malmener d'autres. Jamais l'expression « mise en abîme » n'aura peut-être eu autant de sens.

On signalera enfin la touchante préface de Gérard Klein, qui ne s'est que rarement autant confié à son public, et l'excellent travail de traduction réalisé par Jean-Daniel Brèque.

Et on se consolera d'avoir lu Jérusalem… en se disant qu'il reste deux volets à paraître…

La Plage de verre

Surprise, il reste encore des romans S-F de Iain M. Banks inédits en France. Ni Culture, ni apparenté, Against a dark background, publié outre-Manche en 1995, débarque ce mois-ci au Fleuve Noir sous le titre La Plage de verre. Il aura donc fallu attendre onze ans pour découvrir ce space opera étonnamment traditionnel, même si la touche Iain M. Banks est évidemment très présente. Si le second degré et l'ironie mordante de la Culture sont ici atténués par une action menée tambour battant du début à la fin, la description de la planète Golter vaut le détour, tant la critique d'un système hiérarchisé et quasi-médiéval est acerbe. L'anticléricalisme n'est pas en reste, mais jamais Banks ne donne dans le primaire. Il tape en décalage et avec humour. Exemple, cette confrérie de moines qui a tout de la prison, où les pensionnaires sont enchaînés aux murs, mais, par un habile système de rails (Banks adore les rails, c'est presque une obsession), peuvent se déplacer dans l'édifice. Au-delà de ces petits détails et de la vision tragi-comique d'une société décatie, La Plage de verre est surtout un excellent roman hard-boiled où l'auteur applique la petite phrase magique de Chandler : In case of doubt, have a man with a gun.

Nous suivons les aventures de Sharrow, sorte de Wonderwoman guerrière rompue à toutes les formes de combat (mais rangée des camionneurs), descendante d'une lignée de femmes qui ont, hélas, commis çà et là quelques blasphèmes qu'il faudra un jour payer. Ça tombe bien, le jour est arrivé, et les affreux fondamentalistes obtiennent le droit légal d'assassiner Sharrow si elle ne restitue pas à l'Ordre ce que ses ancêtres ont volé. Suivant le principe très fantasyste de la quête initiatique, l'héroïne (car c'en est une) doit d'abord réunir ses anciens compagnons d'arme et récupérer quelques objets mythiques pour ensuite se consacrer au problème en lui-même. Cette promenade donne lieu à toutes sortes de rebondissements violents et meurtriers dont on ne dévoilera rien ici, mais qu'on peut tout de même qualifier de palpitants. Assez curieusement, le roman est souvent taxé de « sombre » par la critique anglo-saxonne. Même si les cadavres s'accumulent et que le fond de l'histoire reste assez tragique, le côté réjouissant de La Plage de verre, son ironie distante et son action permanente en font plutôt un texte jubilatoire où, comme à son habitude, Iain M. Banks aligne les poncifs les plus éculés pour mieux les tordre et les réinventer. On a presque l'impression d'assister à une sorte de répétition générale « avant Culture », univers aujourd'hui mythique qui pousse la parodie encore plus loin.

Mais si ce « nouveau » Iain M. Banks est une lecture parfaitement recommandable, il est effectivement un peu en deçà de ce à quoi nous avait habitué un auteur aussi talentueux qu'intelligent. La Plage de verre n'est donc pas un chef-d'œuvre, simplement un très bon roman, drôle et violent, passionnant et remarquablement bien mené. Que demande le peuple, ma bonne dame ?

Le monde enfin

Fidèle à ses amours post-apocalyptiques, Jean-Pierre Andrevon revient en grande forme avec Le Monde enfin, écrit à l'origine dans le contexte de la vache folle, mais rattrapé depuis par le spectre de la grippe aviaire. L'opération promotionnelle est donc parfaite, ce dont personne ne se plaindra, tant ce nouveau roman (compilation d'anciennes nouvelles et de plus récentes, liées par un fil conducteur glissé entre les « chapitres ») se lit avec un plaisir bien réel. Le contexte narratif est assez simple (mais au premier abord seulement) : un virus meurtrier se répand comme une traînée de poudre sur notre planète bleue en bien mauvais état. Aussitôt, les morts s'entassent par milliers, puis par millions, et c'est bientôt la survie des hommes en tant qu'espèce qui est clairement menacée. À l'instar du triste sort des tigres de Sibérie, trop peu nombreux pour se rencontrer (et donc se reproduire) sur leur immense territoire, l'humanité risque fort de ne pas s'en remettre. La nature, elle, reprend vite ses droits (ce qui donne par ailleurs de belles pages descriptives d'un Paris envahi par les animaux échappés du zoo et rendus à la vie sauvage) et le (mauvais) souvenir de l'Histoire humaine ne perdure pas longtemps. À quelque chose, malheur est bon, la disparition de ces encombrants bipèdes étant le prélude à un nouvel ordre écologique enfin débarrassé de son principal persécuteur. Mais si Jean-Pierre Andrevon n'est pas particulièrement fan de l'espèce humaine, il s'y intéresse suffisamment pour croquer des personnages attachants, perdus sur une Terre qu'ils ne reconnaissent plus et à laquelle ils sont désormais étrangers. Les années passent et les rares survivants meurent peu à peu, seuls, vieux et finalement pathétiques. Auparavant, le lecteur suivra le parcours (et notamment la première nouvelle, véritablement formidable) de quelques « heureux élus » qui, du savant français au militaire tout juste sorti d'hibernation en passant par des cosmonautes débarqués de leur navette sans conscience réelle de l'état du monde, luttent contre un ennemi invisible et évidemment tout-puissant : leur propre inutilité.

Sombre, mais pas désespéré, Le Monde enfin ne donne pas dans la morale. Il l'évite même comme la peste et se contente d'observer la fin avec une saine et salutaire distance goguenarde. Un Andrevon grand cru, donc, qui se déguste tranquillement, les deux pieds bien enfoncés dans les scories d'un monde dévasté.

Maître de l’espace et du temps

Globalement peu connu en France, Rudy Rucker fait partie de ces auteurs injustement traités sous nos longitudes. Tir corrigé par « Lunes d'encre » avec Maître de l'espace et du temps, énorme pavé qui ne se contente pas du roman éponyme, mais fait office d'omnibus en y ajoutant un second roman, Le Secret de la vie, sans oublier un rassemblement inédit de nouvelles, À l'assaut du cosmos. Edition impeccable, donc, et très attendue par les rares connaisseurs de cet auteur curieux, situé quelque part entre Fredric Brown, Douglas Adams, Philip Dick et William Gibson, avec cette irrésistible touche de loose qui n'appartient qu'à lui.

Avant de se plonger dans (l'énorme) chose, mieux vaut se rappeler que Rucker est (aussi) mathématicien et plutôt calé en informatique. Diable, de la hard science, donc ? Que nenni, Rucker connaît la musique et s'en sert justement pour jouer faux avec un réel plaisir, un humour maîtrisé et un sens de la déglingue particulièrement réjouissant. Sexe, trous quantiques, musique, drogue et invasions extraterrestres foisonnent dans son œuvre, sans que jamais la ligne entre potentiellement possible bien qu'improbable et complètement grotesque soit jamais franchie. Au-delà de l'humour évidemment massif (mais subtil) qui imprègne la plupart des textes assemblés ici, force est de reconnaître que Rucker sait aussi se montrer triste, décalé et nostalgique d'un passé nécessairement meilleur sans parvenir à chasser l'angoisse de ce qui n'est pas et ne sera jamais. On retrouve ce sentiment dans Le Secret de la vie, jolie promenade à travers le journal intime d'un adolescent dans les années 60. Seul souci, ledit adolescent est (ou croit être) un extraterrestre aux préoccupations métaphysiques très éloignées de celles de ses camarades de classe (totalement humains, eux), centrées autour de ce qu'il y a de bien dans la vie : boire, faire la fête, coucher, etc. Si Conrad (c'est son nom) fait bonne figure au milieu de ce petit monde, reste qu'il possède d'étranges pouvoirs qui l'inquiètent. Qui l'inquiètent même beaucoup. Certes, Le Secret de la vie est drôle et très certainement autobiographique, certes, on le lit d'une traite, certes, tout ceci est très distrayant, mais le fond du roman est somme toute assez tragique. Le temps qui passe, ce qui ne revient plus, ce qui disparaît, à commencer par nous-mêmes.

Plus léger, mais pas non plus dénué de sérieux, Maître de l'espace et du temps est en cours d'adaptation cinématographique par Michel Gondry himself. Parrainage de haut vol pour un texte aussi drôle qu'inventif, aussi cyberpunk que délirant. Basé sur une merveilleuse invention (le Blonzeur) tombé du ciel (du futur, pardon) sur la tête de son inventeur qui n'a plus qu'à la renvoyer dans le passé pour la récupérer de la même manière, la chose permet de devenir, on s'en doutait, maître de l'espace et du temps. Pour le narrateur, c'est une bonne nouvelle, mais quand on projette des lézards dans l'avenir et qu'ils deviennent Godzilla, ça pose quelques soucis. Bref, la lampe d'Aladin, c'est beau, mais c'est un cadeau souvent empoisonné. Bourré de références (de Heinlein — et les mords moelle — à Flatland), Maître de l'espace et du temps est aussi inventif que barré, aussi délicieux à lire que délicat à comprendre (eh oui). Un petit bonheur.

Plus irrégulier, le recueil de nouvelles ajouté aux romans navigue entre le moyen et le formidable (notamment la nouvelle titre qui met magnifiquement en scène la Sibérie). À noter que plusieurs textes sont écrits en collaboration avec d'autres plumes aussi vives qu'inventives (Di Filippo et Sterling pour ne pas les nommer). Ça donne une vision forcément délirante d'un Pythagore lubrique et subversif (« La Racine carrée de Pythagore »), une étonnante variation autour d'un Jack Kerouac désagréable et complètement cramé (« L'Ecole Jack Kerouac de poésie désincarnée »), ou une balade autour du mythe kafkaien (« Le Cinquante-septième Franz Kafka »).

Au final, s'attaquer à ce nouveau pavé « Lunes d'encre », c'est aussi découvrir tout un pan de la S-F parfaitement inconnu en France, à défaut d'être totalement inédit. Précipitez-vous, que les textes soient récents ou plus vieux (début années 80), ils restent salés et savoureux. Chapeau.

Jonathan Strange et Mr Norrell

Chef-d'œuvre intemporel qui ravira toute une génération, sublime variation victorienne sur la magie et ses conséquences, incroyable festival de trouvailles aussi fabuleuses que formidables, Jonathan Strange & Mister Norrell virevolte de prix en récompenses, de ventes astrales en critiques dithyrambiques. Et les lecteurs éplorés, les yeux rougis par tant de bonheur littéraire, trop rare dans nos froides contrées, de s'extasier page après page devant la géniale trouvaille de Susanne Clarke : pondre plus de mille pages à mourir d'ennui et livrer au final une grosse chose sale, enflée, boutonneuse, épaisse et boursouflée.

Le consensus critique (à comparer aux recensions admiratives de l'immonde Pacte des loups du non moins immonde Christophe Gans) autour du chef-d'œuvre restera dans les annales de l'histoire littéraire comme le plus grand mystère du début du XXIe siècle. Pourquoi, comment, dans quelles circonstances éditeurs, critiques, lecteurs, se sont extasiés sur un roman publié par Bloomsbury sans même qu'un directeur de collection y jette un œil et suggère quelques coupes salutaires, ou plus généralement une refonte complète ? Par quelle intervention divine un texte indigeste, certes formidablement « écrit », mais pompeux, long, long, long, long, long, long et finalement aussi inepte que vain fait l'objet d'une admiration sans bornes par des gens ne l'ayant manifestement pas lu ?

Seul Olivier Girard1 le sait, mais nous autres, pauvres mortels, resterons sur notre faim. Le mystère demeure.

On l'a vu, on l'a écrit ad nauseum, Susanna Clarke écrit bien. Les plus esthètes d'entre nous pourront même lâcher d'un air paresseux que sa technique littéraire chie à l'œil. Reste qu'on ne fait pas un livre avec une écriture qui chie à l'œil. Il faut aussi qu'elle chie au cerveau. Côté cerveau, justement, Susanna Clarke contourne soigneusement l'obstacle. Jonathan Strange & Mister Norrell regorge de salons, de thés, de nobles sympathiques et de pauvres grossiers mais dignes. La dialectique du maître et de l'esclave ne fera pas seulement pouffer Francis Berthelot, elle agacera aussi un tantinet ceux et celles pour qui la conscience politique dépasse le stade du « Y'a des riches, y'a des pauvres, c'est une vérité historique, l'homme est ainsi fait, qu'y pouvons-nous ? ».

Bref, non content d'être encore plus poussif et ennuyeux qu'un discours de Youri Andropov, le roman est donc idéologiquement douteux. Oui, mais ça, c'est parce qu'à Bifrost, vous n'êtes qu'un ramassis de sales gosses ébouriffés qui voyez le mal partout sans saisir la subtilité toute victorienne qui affleure à chaque ligne. Subtilité mon cul (et même ma bite), Susanna Clarke excelle à décrire les intérieurs douillets, mais ses personnages sont aussi fades que longuement (et inutilement) décrits. L'action est nulle, malgré toutes sortes de choses (des zombies, des bateaux de pluie, des statues parlantes, des voyages au-delà du miroir — génial, Lewis Carroll en pleure encore —, des sorts hypnotiques lancés par des démons pseudo-elfiques), d'événements (guerres napoléoniennes, tout de même) et d'Histoire (la Magie, la rivalité entre les deux seuls magiciens anglais — cf. le titre -, les épouses, les militaires, l'Angleterre, la France, tout ça quoi). De ce néant stupéfiant qu'Isidore Ducasse n'aurait pas hésité à taxer de notable quantité d'importance nulle, Susanna Clarke ne tire fort logiquement rien. Résumons. La magie est essentiellement théorique en Angleterre depuis que le Raven King a disparu au moyen âge. Un mystérieux érudit (aussi conservateur que jaloux), Mister Norrell, s'autoproclame unique magicien britannique après avoir fait la démonstration de ses talents. Quelques centaines de pages plus tard apparaît la figure de Jonathan Strange, vague nobliau un peu benêt qui, lui aussi doté de talents magiques non négligeables, devient le disciple de Norrell. Mais, las, Norrell veut la magie pour lui tout seul et refuse qu'on considère le Raven King comme père de cette science si particulière. Jonathan Strange, lui, estime au contraire qu'il faut étudier cette très ancienne (et très dangereuse) magie pour mieux la contrôler. Le divorce est complet. Voilà. On n'en dira pas plus, tant ce fil conducteur est affreusement tortueux, compliqué, long, fatiguant et épuisant. Rien ne sauve le roman. Ni ses personnages, ni son écriture, ni sa technique narrative, ni son originalité, ni le compte en banque de l'auteur.

Au final, Jonathan Strange & Mister Norrell a au moins un mérite. Il est lourd. Il fait bien ses 800 grammes. On peut donc le lancer sur un gendarme mobile. C'est de saison.

Notes :
1. Je sais où tu habites, Imbert ! Et je sais aussi que ta femme est enceinte… (NDRC)

Les Contes de Murbolingen

Au chapitre des petites musiques qui font du bien à l’âme autant qu’au moral, la collection « & d’ailleurs » des éditions Denoël est passée experte. Entre Adam Johnson (Emporium), Arthur Bradford (Le Chien de ma chienne) et maintenant Frode Grytten, la collection tape juste et fait mouche quasiment à chaque coup. Pas de fantastique ni de monstre tentaculaire dans Les Contes de Murbolingen, mais une vision sociale de la Norvège particulièrement décapante et une immersion à l’intérieur des personnages impeccablement traitée. Murbolingen, c’est une banlieue quelconque d’une ville de province norvégienne perdue au fond d’un fjord. C’est aussi un immeuble en briques rouges, ouvrier à l’origine, et qui rassemble tant bien que mal toute une humanité à chaque étage. Autant de nouvelles, donc, qui mettent en scène des habitants de l’immeuble ou des personnes ayant un lien privilégié avec lui. Procédé extrêmement classique, mais d’une sobre efficacité. Il y a une femme obèse incapable de s’aimer et donc d’être aimée par les autres, il y a un jeune homme qui perd pied après que sa femme ait donné naissance à un enfant mongolien, il y a ce vigile paumé qui disjoncte, ce fan de Morissey dont la mère meurt lentement du cancer, il y a quantité de personnages profondément humains, sincères, grands dans leurs petitesses comme dans leur quotidien. Evidemment triste, évidemment décalé, Les Contes de Murbolingen n’ont pourtant rien de désespérant. Ils se contentent d’évoquer de courtes tranches de vie parfois hilarantes, parfois bouleversantes, comme le sont toutes les tranches de vie. Réussite totale, pour un recueil aussi subtil que touchant, aussi pudique qu’obscène, aussi drôle que tragique. Il est, par exemple, impératif de ne pas rater la nouvelle qui met en scène Harry, jeune père de deux enfants avec sa banalité et ses problèmes habituels, mystérieusement choisi par un journal d’Oslo comme « le Norvégien moyen de l’année » et qui pète les plombs devant une telle absurdité. Son odyssée (car c’en est une) est à tomber par terre, tant l’humour est ici poussé à son paroxysme : une tristesse infinie.

Un grand bouquin et un auteur (une littérature, même) à découvrir au plus vite.

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