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L'Invention du diable

Le capitaine Marc Papillon de Lasphrise a passé sa vie dans les combats, mettant son bras au service des armées catholiques contre les huguenots. Après 25 ans de bons et loyaux services, où il a réchappé de nombreuses fois à la mort, contrairement à quantité de ses camarades, le voici qui regagne, fourbu et vieillissant, son logis en déshérence. Son ralliement à Henri IV ne lui vaudra nulle pension. Les siens sont morts, et dans cette solitude impécunieuse il va se dédier corps et âme à l’écriture d’un recueil de Poésies qui paraîtront par deux fois de son vivant, en 1597, puis 1599. Mais voilà, pour ce fier bretteur qui ne recule jamais devant l’adversité, le peu d’échos que reçoit son livre est un coup à son honneur si vaillamment défendu toute sa vie. Par une sombre nuit d’hiver, quand les cloches mettent à zéro le compteur d’un siècle renaissant et que le vieux Lasphrise pense mourir, renonçant bien malgré lui à défendre ses écrits devant la postérité et à faire reconnaître leur valeur, voici qu’on frappe à sa porte et qu’un sombre manant entre chez lui. Après un bref échange, Lasphrise s’évanouit puis se réveille… pour de longs siècles. La mort le fuit, et le lecteur suit au fil des temps, jusqu’à aujourd’hui, les pérégrinations de ce maudit littéraire…

Et si on prenait au mot tous ces auteurs qui, jusqu’au dernier souffle, ont combattu pour une hypothétique postérité, jurant parmi leurs écrits que leur fantôme poursuivra le combat s’ils n’obtiennent pas gain de cause de leurs contemporains et des générations à venir ? C’est en tout cas ce qu’a écrit Papillon de Lasphrise, le vrai, dans ses Poésies. Car il a bien existé, et comme nombre d’auteurs du XVIe siècle, on en sait assez peu sur lui, et en tout premier lieu sur les circonstances de son décès. Et s’il n’était pas mort, après tout, pris à son propre mot d’en découdre jusqu’à obtenir la reconnaissance méritée… ? Voilà le propos d’Hubert Haddad, qui lui prolonge sa vie dans un splendide roman reprenant le thème fameux du pacte avec le Démon. Son livre sous le bras, sondeur du temps et de la renommée de ses poèmes, Lasphrise traversera les époques et leurs folies, souvent meurtrières, connaîtra les Précieuses, les galères, la Bastille, deux guerres mondiales… Sans doute est-ce un roman sur la folie : celle d’aimer, de vivre en étant mortel et d’écrire, vivant, en s’imaginant qu’on échappera ainsi à la mort. Et sur ce type de folie très particulière qui semble atteindre certains auteurs, seuls à se comprendre. La leçon, de prime abord, pourrait sembler désabusée : un fou littéraire est un fou tout court, dont on ne peut pas plus croire les élucubrations poétiques, en langage enfançon ou totalement inventé – comme l’a fait le vrai Lasphrise, pour de bon –, que les délires schizophrènes qui le font se prendre pour un rescapé des siècles. Mais le roman d’Haddad, à la langue merveilleuse, au mot ciselé, aux paysages enchantés (éblouissement de la nature et en tout premier lieu des bords de Loire) vient nous conter la fabuleuse histoire de la littérature qui se nourrit d’elle-même, à travers les siècles, réveiller notre curiosité pour ce bon Papillon, et la cohorte de tous ceux qui ont dédié leur vie à l’écriture, marchent encore aujourd’hui dans l’ombre et attendent que les vivants de ce siècle retrouve un peu de goût, par l’étude ou la fiction, pour rouvrir leurs livres. Allons donc lire Papillon. Merci Hubert Haddad !

Sous la lune brisée

République des Neuf Cités, 260 ans après le Cataclysme qui a ravagé les terres et fracturé la Lune. Le monde, largement décimé, a retrouvé une forme de sta­bilité grâce à la mise en œuvre des préceptes du Livre, un ou­vrage de sagesse antique utilisé comme fondation de la nouvelle société. Le monde, ou plus exac­tement le territoire des Neuf Cités, retranché derrière des frontières qui ne s’ouvrent qu’en fonction des besoins de repeuplement de la Républi­que. À l’extérieur, on est chez les « bar­bares », mi­grants clandestins, ter­roristes, as­saillants aux frontières.

Bâtie sur les principes du Livre, la République des Neuf Cités est une transposition transparente de la Répu­blique de Platon. Tripartition hiérarchisée entre intellectuels (qui disent le Beau, le Bon, le Juste et donc la Loi), guerriers (qui protègent) et producteurs (qui nourrissent) – tête, cœur, ventre –, inégalité stricte entre les citoyens et les barbares ou métèques venus de l’extérieur, communauté des femmes et des enfants afin que la natalité soit forte et le sentiment familial si possible inexistant, distinction claire entre sexe reproductif et sensualité, principe de justice qui assure que chacun, dûment éduqué aux valeurs de la Cité puis évalué par des tests, sera placé dans le Cercle que justifient ses aptitudes. La Répu­blique est donc une éparchie juste (en sciences politiques, on dirait une épistocratie).

Ça, c’est la théorie. Car la République est corrompue. Socrate lui-même admettait que la mise en commun des femmes et enfants serait difficile à réaliser ; ici, en dépit de réguliers accouplements cérémoniels obligatoires et d’appariements par tirage au sort, il est facile de truquer le système, d’autant plus qu’on est haut placé dans la hiérarchie sociale (même Socrate envisageait cette pos­sibilité). Ici aussi, l’égalité femme / homme, de droit, est limitée par le désir des hommes et la marchandisation d’un sexe profane. Quant aux examens censés attribuer justement les positions sociales, ils sont dévoyés pour s’assurer que les enfants du troisième Cercle ne s’élèveront pas. Conséquence de la Loi d’airain de l’oligarchie, s’est donc constituée une caste privilégiée (les Gardiens), à laquelle s’opposent les dissidents issus du troisième Cercle (ces damnés de la terre à la vie raccourcie par les maladies et les exécutions sommaires) et – chut, c’est un secret – toute une partie, factieuse, du deuxième Cercle (les guerriers, formés à une vio­lence inouïe envers leurs « inférieurs »). Enfin, le principe eugé­nique est poussé à son paroxysme avec l’interdiction de l’épigamie (accouplement « vers le haut »), puni de manière atroce.

L’autrice nous fait découvrir ce monde insatisfaisant à travers les vies croisées d’Aulas, fils bâtard de la fille bâtarde (forcée de vivre en courtisane) d’un patricien du premier Cercle, d’Hadrian, un soldat, fils de patricien, qui ne veut plus tuer ceux qui n’ont que le tort d’être étrangers, et d’Ariane, médecin généreux qui soigne les étrangers et fille d’une mère annihilée pour épigamie. Autour d’eux, une théorie de seconds rôles qu’ils aiment, qui les aiment, qu’ils craignent, qu’ils haïssent, qu’ils envient ou méprisent. Le roman est l’histoire de ces vies alors que la République est menacée par une sédition qui se légitime elle-même en invoquant la corruption et l’affaiblissement des mœurs.

Tout ceci était appétissant et commençait bien. Hélas, on dé­chante au fur et à mesure des pages. Car le roman souffre de deux défauts principaux. D’une part il veut trop dire. Trop long, il décrit trop, tant les faits que les pensées ou les motivations. Don’t tell ! Sa longueur tient aussi à un excès d’écriture qui, parfois, perd le lecteur ou rend le texte pompeux. Elle tient enfin à un excès de rebondissements, de morts inopinées et de traîtres cachés qui font que les cheminements d’un point A à un point B du récit sont toujours inutilement tortueux. D’autre part, une bonne partie de la révolte des personnages principaux est appuyée sur les sentiments qu’ils éprouvent pour d’autres personnes. L’autrice voulait peut-être dire que seule l’émotion peut rendre la raison à un excès de raison et ainsi refaire de nous des humains. Malheureuse­ment, ces interminables passages d’émois sentimentaux sont d’une grande mièvrerie qui choquerait même dans du YA.

Lord Cochrane et le trésor de Selkirk

Thomas Cochrane. Marin, aventurier, inventeur, amiral. Héros britannique des guerres napoléoniennes, disgracié dans son propre pays à la suite de malversations dont il n’était pas responsable, « libérateur » des mers sud-américaines de l’em­prise espagnole, combattant de l’indépendance grecque aussi. Une bio Wikipédia impression­nante. Qu’on pourrait enrichir, grâce à l’auteur chilien Gilberto Villarroel, de la mention d’En­nemi juré de Cthulhu. Lord Co­chrane et le trésor de Selkirk fait en effet suite à Cochrane vs Cthulhu (cf. Bifrost n° 99) et à Lord Cochrane vs l’Ordre des cata­combes (cf. Bifrost n° 102), parus précédem­ment, même si les événements du dernier opus se situent dans l’intervalle de temps qui sépare les deux premiers. Le héros écossais y découvrait les Grands Anciens dans un tour­billon de cape, d’épées et de poudre.

Faut-il avoir lu les autres tomes pour pouvoir lire celui-ci ? Non. Est-ce utile ? Sans doute.

Chili, 1822. Après avoir lutté des années pour aider à libérer les mers chiliennes et péruviennes du joug espagnol, Cochrane sent que le moment est venu pour lui de quitter les terres Pacifique. L’atmosphère politique a changé, et il préfère s’éclipser avant d’être obligé de prendre parti dans la guerre civile qui s’annonce. D’autant que l’empereur du Brésil lui propose de devenir l’amiral en chef de la flotte brésilienne. Deux bonnes raisons de mettre les voiles et de rejoindre Rio de Janeiro. Mais pas d’une traite.

Mis par le général chilien O’Higgins sur les traces d’un trésor dont lui seul comprend l’importance, Cochrane cingle avec deux navires – l’un est son fameux steamer de guerre, le Rising Star – vers la légendaire « île de Robinson Crusoé », qui abrita le ca­pitaine Selkirk, capitaine abandonné par ses hommes sur une terre où il passa quatre ans. Une histoire qui inspira Defoe. De là, Co­chrane veut se rendre dans les «  Montagnes Hallucinées », qui seraient près de la Terre de Feu et dont Selkirk aurait eu connaissance. Sur sa route, un pirate, revanchard et sanguinaire, qui sera un caillou récurrent dans ses bottes. Jusqu’au bout du monde.

Rédigé sur une période de quatre ans, le roman a semble-t-il pâti de ce long temps d’écri­ture. L’admiration que Villarroel exprime pour Cochrane, qu’on sentait dans les deux volumes précédents, est ici vraiment excessive. Et de nombreuses phrases, trop explicatives, parais­sent maladroites. Mais surtout, pendant un gros tiers du roman, entre arcanes de la politique chilienne, séisme en background et roucoulades, il ne se passe pas vraiment grand-chose d’utile. Ce n’est qu’au moment des premiers combats sur l’île de Crusoé que l’action démarre enfin. Et là, la lourdeur s’efface, les qualités vues dans les tomes précédents reviennent et le récit devient haletant. Pour comprendre, il faut savoir que Lord Cochrane et le trésor de Selkirk n’est que la moitié d’un roman dont la suite est à paraître. Le gros premier tiers peut alors être vu comme une longue introduction avant qu’on ne retrouve un Cochrane fort en actes et haut en couleurs dressé avec ses hommes (et femme) de confiance face à un mal antédiluvien. À la fin de ce volume, il s’apprête à partir pour le cœur des ténèbres, accompagné d’alliés Selk’Nam à qui l’auteur rend, deux siècles après, vie et voix. Tekeli-Li !

Les Derniers jours des fauves

France, maintenant. Ou presque. Élue en 2017, la présidente de la République Nathalie Séchard, fatiguée par quatre ans de mandat, décide, à un an de la prochaine élection, de ne pas se représenter. Son forfait volontaire met en branle une guerre de succession qui ne sera ni fair-play, ni même compatible avec l’État de droit.

Une présidente, en rupture de ban avec la gauche dont elle est issue, élue à la surprise générale en 2017 sur une promesse de dépassement des clivages traditionnels de la vie politique française. Une pandémie. Des gilets jaunes. Des antivax. Un réchauffement clima­tique. Contrairement à l’habitude, toute ressemblance avec des faits ou personnages réels n’est ici pas fortuite. Les Derniers jours des fauves est une très légère uchronie dont le point de divergence se situe dans l’absence de Macron pour la course présidentielle, « elle apprend, par la bande, qu’elle a grillé la politesse à un jeune mec arrogant qui avait eu la même idée qu’elle, la même analyse de la situation. C’est le secrétaire gé­néral adjoint de l’Élysée. Dépité, le type a démissionné de son poste et a rejoint la banque d’af­faires d’où il venait ». Le reste de l’histoire politique et sociale est identique en pire. Car ici, tout est plus. La pandémie tue plus. Le confinement, plus long, est plus rigoureux. Les affrontements GJ/FDO font des morts. La canicule tue beaucoup. La sécheresse impose de drasti­ques restrictions dans l’usage de l’eau. Et surtout, deuxième différence capitale, Séchard a nommé (« jambe droite ») un ministre de l’intérieur, Beauséant, qui est un archétype du gaulliste modèle SAC, ex-barbouzard, adepte des dossiers sales et des coups tordus, aimé des militaires et les ai­mant en retour. Et voilà que l’homme se sent pousser des ailes, et qu’il décide de prendre le taureau par les cornes pour assurer son élection en 2022. Quitte à comploter… et à tuer.

Jérôme Leroy retrouve dans ce roman le monde politique fait de cynisme et de désil­lusions qu’il avait dessiné dans Le Bloc en 2011. Et si les Dorgelles, la famille de politiciens d’extrême-droite à l’origine du Bloc, est présente ici en fond, c’est surtout aux ma­nigances à l’intérieur (doublement) même du pouvoir que s’intéresse l’auteur, tant il est vrai qu’avec des républicains tels que Beauséant, il n’y a pas besoin de vrais fascistes.

C’est toute la France contemporaine qui est dans Les Derniers jours des fauves, et ce n’est pas beau à voir. Chaînes d’info continue servant la soupe aux extrêmes, groupes alter plus ou moins violents donnant plus dans l’agitprop que dans toute autre chose, complotistes actifs et téléguidés, impossibilité de gouverner un peuple dont chaque membre se voit en État souverain, difficulté des politiques à avoir prise sur un réel toujours plus complexe qui les oblige à s’engluer dans des compromis qui ne les satisfont pas plus que leur électeurs, cynisme qu’impose la lutte électorale, haine hideuse et violence endémique dans un monde contemporain que toute civilité paraît avoir déserté.

Dans la veine d’un Manchette, Leroy, qui manie aussi sa plume comme un scalpel, décrit en forçant tout juste le trait le mon­de peu ragoûtant qui est le nôtre. Il le fait avec une justesse de ton impressionnante. Ses personnages et leur expression sont justes, leurs motivations compréhensibles et cohérentes. Chacun est longuement croqué, rendu au lecteur avec ses mots, ses attitudes, son histoire, ses certitudes et ses pulsions. On ne peut croire que Leroy aime tous ses personnages, mais tous l’intéressent car tous sont humains. On sent clairement en revanche que l’auteur aime les territoires qu’il décrit longuement avec aménité, la France des petites villes, des régions, des lieux dont la modernité s’est détournée.

Leroy est dur avec son monde et avec ses créations car le nôtre dont il est le reflet l’est aussi. Il est peut-être désespéré, mélancolique au moins d’un mode de vie et d’un ordre politique (organisateur du monde) maintenant éteints, inquiet sûrement de ce dont ce nouveau monde lui semble gros.

Juste, ironique, n’hésitant pas à aller là où, dans son camp, on ne va pas, jamais mièvre ni pusillanime (c’est devenu rare), Leroy offre avec Les Derniers jours des fauves un grand roman contemporain. À travers la mise en exergue des décisions que la situation a imposées à Séchard et des dérives putschistes de Beauséant auxquelles ne s’op­posent que de pusillanimes démocrates ou d’inoffensifs excités, c’est un cri d’alarme pour les libertés que pousse Leroy – l’épigraphe du très libéral François Sureau, auteur du pamphlet Sans la liberté, ne laissait dès l’abord guère de doute sur la question.

Widowland

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Churchill a échoué à imposer ses vues à la classe politique anglaise, et l’aristocratie britannique a préféré pactiser avec l’Allemagne pour éviter l’affrontement militaire. Les États-Unis ne sont pas entrés en guerre et le pacte germano-soviétique n’a pas été rompu. Le Reich, après son triomphe, a placé le Royaume-Uni sous protectorat. Le peuple anglais subit la propagande et la privation de libertés avec son flegme emblématique. Le roi George VI, sa famille et nombre de membres de la royauté anglaise ayant trépassé au moment opportun, Édouard VIII et son épouse Wallis ont accédé au trône et, en 1953, les festivités de leur couronnement officiel approchent. Le pouvoir, en réalité, est exercé par le Protecteur Alfred Rosenberg, l’un des plus anciens compagnons de route du Leader, Adolf Hitler. Rosenberg, bien décidé à faire de l’Angleterre un modèle de société parfaite, impose ses lois drastiques : contrôle total de l’information, absence de contact avec l’extérieur, interdiction de se cultiver ou de penser par soi-même, normes et hiérarchies sociales strictes corrélées à des menaces de déclassement, surveillance et délation des citoyens par les citoyens, police toute puissante chargée de faire respecter l’ordre établi. Et comme le pays compte à présent deux femmes pour chaque homme – la guerre et la résistance à l’Alliance ont décimé les rangs des jeunes hommes –, ces dernières subissent de plein fouet une classification en fonction de leurs caractéristiques génétiques et familiales qui génère des droits plus ou moins nombreux. Certaines catégories se trouvent même affublées d’un surnom inspiré par une femme ayant marqué la vie du Leader. Les femmes de l’élite, destinées à épouser la crème du royaume, sont appelées Geli, hommage à la nièce adorée du Leader (qui, rappelons-le, s’est suicidée pour se libérer de l’emprise de ce dernier). Les Klara (de la mère du Leader) sont les mères de la Patrie, priées de fournir quatre enfants minimum. Les Paula (d’après la sœur de Hitler) sont enseignantes ou infirmières. En descendant l’échelle sociale, on trouve les professions subalternes (Magda), puis le personnel de maison (Gretl), et une infinité d’autres désignation jusqu’au bas de la hiérarchie et ses Frieda (pour Friedhöfefrauen, littéralement « femmes cimetières »). Ces veuves et vieilles filles, sans mari à servir ni enfant à élever, réputées inutiles, survivent dans des quartiers miséreux de banlieue appelés Widowland.

Rose Ransom, une Geli bien intégrée malgré une liaison avec son supérieur, un homme marié, travaille pour le ministère de la Culture, où elle rend les classiques anglais plus conformes aux principes de la société nazie, non sans cacher les effets que cette littérature produit sur elle.

Les préparatifs du couronnement et la visite de Hitler, imminente, occupent les esprits. Sur les murs de la ville d’Oxford, lieu de la cérémonie, apparaissent des citations subversives issues d’œuvres censurées. Rose est envoyée enquêter dans le Widowland, puisque la Gestapo peine à y dénicher les séditieuses autrices de ces graffitis. De parcours initiatique dans une dystopie uchronique, le roman bascule dans un thriller non dénué de quelques facilités (comme un interrogatoire bien trop gentillet au regard de l’atmosphère délétère ambiante).

Widowland met en lumière le pouvoir subversif de la littérature, une arme puissante pour lutter contre la tyrannie et l’oppression, en particulier lorsqu’elle est maniée par les plus opprimées. S’il ne révolutionne pas le genre – on pensera, entre autres, à La Servante écarlate ou à Fatherland — il remplit son office et nous rappelle combien les femmes qui lisent sont dangereuses…

Les Filles d'Égalie

En Égalie, les femmes détiennent le pouvoir politique, économique et social. Et parce qu’elles procréent, elles bénéficient, en outre, de privilèges importants. On attend donc des hommes qu’ils soient coquets, prennent soin du foyer et élèvent les enfants avec amour et abnégation. Bigoudis dans la barbe, postiches pour cacher un début de calvitie, chasse impitoyable aux poils partout ailleurs et soutien-verge malcommode constituent la meilleure chance pour eux de signer un pacte protège-paternité par lequel une fem­me leur apportera toute la sécurité dont ils ont besoin. Les moins chanceux sont envoyés dans les mines de Phallustrie pour une courte existence de labeur. Le matriarcat, implanté depuis des lustres, a totalement remodelé la langue et sa grammaire : « garses » et son corollaire masculin « garsons », « elle était évident que… », « êtres fumains »… Il con­vient donc d’utiliser le féminin, considéré comme la forme neutre, pour les termes susceptibles de s’appliquer aux hommes (les « gentes » plutôt que les gens, par exemple). Le masculin se retrouve invisibilisé. La traduction de Jean-Baptiste Coursaud se révèle admirable de cohérence et semble totalement « naturelle » alors même qu’il n’y a rien de naturel dans la hiérarchie des sexes.

Petronius, âgé de quinze ans, ne répond pas aux canons de beauté de son époque. Grand, mince, anguleux, il rêve de de­venir « marine-pêcheuse », un métier bien trop dangereux pour un homme. Il a la chance d’être bien né. Sa mère, la directrice Brame, préside le Directriçoire de la Société coopérative d’État pendant que son époux, Kristof­fer, s’occupe de leurs deux en­fants tout en rêvant à la carrière « d’ingénieuse » qu’il n’a pas pu mener. Mais s’il rate son bal des débutants et ne parvient pas à se trouver une protectrice, Petro­nius risque de finir vieux « garson », comme mademoiseau Tapinois, sa « professeuse ».

Roman d’initiation, Les Filles d’Égalie met en lumière la multitude des oppressions que subit Petronius : sexisme ordinaire, stéréotypes de genre, coups quand il dépas­se les bornes pour sa compagne, jusqu’au viol collectif puisqu’il est dangereux de se balader la nuit, qu’une femme est une femme, et qu’elle a des besoins qu’elle doit assouvir. Avec le parcours de Petronius vers l’émancipation par le militantisme masculiniste, Gerd Brantenberg nous invite à réfléchir, en miroir, à notre propre société. Le renversement des normes patriarcales et les rapports de pouvoirs mis en scènes dans cette fable politique font tout autant rire que grincer des dents. Le procédé peut sembler facile, mais l’exécution l’est nettement moins et, au jeu de la satire, Gerd Bran­tenberg gagne avec maestria.

Le roman, traduit avec succès en Suède, en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Espagne, en Italie, en Finlande et en Corée du Sud, est considéré comme un classique de la littérature féministe. Il est permis de se demander pourquoi il n’arrive que quarante-cinq ans plus tard dans le pays des droits de l’homme — louées soient les éditions Zulma et leur ligne éditoriale pour cette traduction. Après lecture, un constat s’impose : le texte est toujours furi­eusement d’actualité sur nom­bre de points soulevés, malgré les luttes féministes. Et parce qu’aucune forme de justice n’est définitivement acquise, la lecture des Filles d’Égalie se révèle indispensable.

Un pays de fantômes

Anarchisme. Un terme qui éveille bien des fantasmes, mais reste assez flou pour la plupart. Justement, Margaret Killjoy nous propose un voyage en pays d’anarchismes. Histoire de découvrir, de l’intérieur, les modes de fonctionnement de ces groupes, ces communautés, ces villes. Évidemment, ne s’agis­sant pas ici d’un essai, mais bien d’un roman, un récit illustre le propos. Journaliste, Dimos Horacki a écrit un article ayant déplu en haut lieu : le voilà désormais relégué aux rubri­ques sans intérêt et sans enjeu. Or, voici qu’on lui offre une chance de réhabilitation : concocter un portrait laudateur du général Dolan Wilder, actuellement en mission dans les Cerracs. En effet, l’empire borolien brule de mettre la main sur les richesses cachées au sein des montagnes de cette région. Ainsi, histoire de s’assurer le soutien de son opinion publique, mène-t-il une campagne de propagande à laquelle Dimos va participer, contraint et forcé. Jusqu’à ce que sur place, les choses dérapent et que Dimos se retrouve prisonnier de l’ennemi. De déplacement en déplacement, de rencontre en rencontre, il découvre un autre type de société et se familiarise avec le mode de fonctionnement de ces groupes qui refusent le pouvoir central…

Margaret Killjoy est habile. L’irruption d’un naïf, d’un candide venu d’une société où les dirigeants tout puissants ne souffrent aucune contestation, permet au lecteur de faire un voyage tout en nuance à travers les méandres de la pensée anarchiste. Ici, point de manichéisme stérile. Si certains personnages proclament haut et fort leurs idéaux et leur mépris de ceux des autres, ils sont vite contre­balancés par divers points de vue bien différents. L’autrice évite les clichés stéréotypés, et propose une vision nuancée de ce mode de vie. Ainsi, on s’aperçoit que si les prises de décision sont parfois rapides, la plupart du temps elles s’avèrent le fruit d’un processus long, voire pénible, chacun étant libre de donner son point de vue – et ne s’en prive pas. Tel est le prix à payer pour un monde plus juste et un respect du plus grand nombre. Cependant, aucun des groupes que rencontre Dimos ne propose de modèle idéal. On découvre toujours un travers, un problème qui grippe la machine. D’ailleurs, les dissensions sont nombreuses et les com­munautés peuvent se séparer pour former de nouvelles unités plus petites, mais plus homogènes. Le journaliste, tel un explorateur en contrée lointaine et étrangère, compare et évalue, résiste et adhère. Là aussi, l’autrice fait preuve de finesse dans l’évocation des sentiments et pensées de Dimos : son chaos intérieur fait écho aux bouleversements du monde qui l’entoure. De fait, libre au lecteur de déployer sa propre opinion quant à cette vision sociétale que Margaret Killjoy connaît bien, vivant elle-même dans une communauté autonome des Appalaches.

Un pays de fantômes est un roman surprenant car à rebours de quantité d’œuvres aux idées bien tranchées et/ou pétries de désespoir, un récit aussi rythmé qu’intelligent qui questionne et qui, mais oui, fait montre d’espérance. Voilà qui fait un bien fou en ces temps troublés.

Second Œkumène

L’empereur dirigeant le vaste empire humain connu sous le nom de Second Œkumène est proche de la fin. Malgré les traitements de longévité réservés à lui seul, son règne n’en finit pas de s’achever. Les prétendants montrent les dents, les planètes éloignées rêvent de sécession et la loi du plus fort semble devoir l’emporter définitivement. Dans ce maelström, plusieurs figures émer­gent. Dahl Einar, ayant échappé de justesse à des assassins envoyés par Wallace, candidat à la régence. Il va devoir se cacher sous de fausses identités, dans des endroits de plus en plus éloignés de la capitale. Il finit par ren­contrer Anya, jeune alter (humains dotés de capacités psychiques supérieu­res, allant de la télépathie à la manipulation mentale) aux pouvoirs phénoménaux. Ensemble, ils tentent de sauver ceux qui les ont ac­cueillis dans leur fuite face aux autorités. Car les alter sont recherchés : l’empire ne les accepte que comme outils, les réduisant en esclavage afin d’exploiter leurs facultés. Les alter dont le talent est insuffisant ou inutile sont éliminés sans scrupule. Ce qui ne gêne guère la population, qui les déteste – les lynchages sont monnaie courante. Du côté du pouvoir, l’amiral MacGregor tente pour sa part de sauver les meubles. Issu des quartiers po­pulaires, de fait haï par ses collègues venus des rangs de la noblesse, il est porté par une idée forte de l’Empire et souhaite le protéger des influences néfastes – tout en restant en vie. Enfin, une troisième force irrigue le conflit : l’église. Pour laquelle les temps sont durs. Il faut donc resserrer la vis et faire un exemple avec le procès d’alter, considérés comme des créatures du diable…

John Crossford (d’aucuns disent que Ber­trand Passegué, ancien du Fleuve Noir réédité chez Critic, se cache derrière ce pseudonyme) propose avec ce Second Œkumène une série efficace et sans temps mort. En cinq tomes prévus (le dernier étant annoncé pour novembre 2023), il offre une saga distrayante et addictive – à défaut d’être originale. Car les clichés sont nombreux et les personnages volontiers schématiques. Mais le résultat est là, et c’est bien l’essentiel : rebondissements nombreux, mécanique narrative bien huilée, personnages caractérisés et attachants. La science n’est qu’un implicite connexe. Les déplacements s’effectuent par hyperespace : aucun détail sur le pourquoi du comment. Pareil quand apparaissent des IA aux pouvoirs stu­péfiants : la « magie » du génie d’un savant aidé de machines très en avance sur leur temps. Point barre. De quoi faire se dresser les cheveux sur la tête des puristes de hard science. De quoi ravir le lecteur désireux de vivre un bon moment sans prise de tête. Pour qui rêve d’aventures dans les étoiles, de chevaliers des temps modernes, d’ennemis fourbes et cruels à combattre jusqu’à la mort, Second Œkumène fait le job.

Composite

Notre société est fracturée. Chacun se replie dans son coin, espérant le meilleur, craignant le pire, regardant les autres groupes comme des ennemis potentiels. Les écarts se creusent, les tensions s’avivent. Olivier Paquet observe cette déliquescence et tente d’y ap­porter une réponse. À travers une enquête policière qui sert de prétexte, il décrit les différences qui s’exacerbent et leurs conséquences délétères. Esther est archécologiste : son métier con­siste à recréer des paysages en essayant de revenir à un avant détruit. Pour cela, elle compulse toutes les images des particuliers stockées dans les clouds afin de retrouver le plus fidèlement possible l’état d’esprit des lieux avant les modernisations jugées à présent destructrices. Un souci du détail dans l’image qui lui permet de remarquer qu’on lui a dérobé quelque chose. Un jour, en effet, elle s’aperçoit qu’une photographie conservée dans son propre espace numérique a été modifiée. Pas beaucoup. Mais juste ce qu’il faut pour altérer ses souvenirs. Et, chose plus étonnante encore, modifier son caractère. Et elle n’est pas la seule. Un policier au lourd passé subit une altération identique. Ensemble, ils partent en quête de l’auteur de ces larcins. Et tentent de comprendre son but…

Au cours de leurs tribulations, ils rencontrent un influenceur aigri aux propos violents et misogynes. Mais aussi la sœur de la première ministre, une informaticienne de génie, certes, mais vivant complètement isolée du reste du monde. Et, en fond sonore, les violences urbaines qui se multiplient. Car un certain D. est apparu sur les réseaux sociaux et il attise les colères des foulards blancs. Ces groupes de contestataires manifestent tous les week-ends. Et avec l’insatisfaction, la violence progresse, contraignant toutes les grandes villes à se préparer aux débordements… Jusqu’à où ? Et qui est derrière tout cela ?

Olivier Paquet mêle quantité des thèmes ayant bouleversé nos vies ces derniers mois : le covid, les gilets jaunes, l’émergence en France des QAnon (le D. rappelle le Q. À la base de ce « mouvement »). Il agrège ces perturbations, leur donne presque une logique commune (mais sans aller dans les théories complotistes : il se montre plus fin, largement), comme d’autres, pour examiner l’échec apparent du vivre ensemble actuel. Et il propose une solution, hélas impossible à réaliser techniquement parlant. Et peut-être n’est-elle pas souhaitable. Sans trop divulgâcher, les I.A. seraient de la partie. C’est d’ailleurs là l’unique versant SF de ce roman, qui est avant tout un portrait réussi, mais peu réjouissant, de là où nous vivons, de ceux avec qui nous vivons. De chacun d’entre nous, en som­me. Un constat brutal mais réaliste. Le ton reste malgré tout optimiste ; on aimerait l’être égale­ment. Avec Composite, Olivier Paquet a su humer l’air du temps et dresser un panorama sans appel de l’impasse où nous nous trouvons. Verrons-nous, comme lui, le bout du tunnel ?

La Cité des nuages et des oiseaux

Le livre relie passé, présent et futur ; un objet puissant, capable d’enchanter les gens, et même de sauver des personnes. En tout cas, tel est celui qui sert de fil rouge à La Cité des nuages et des oiseaux, d’An­thony Doerr. Des scientifiques ont en effet retrouvé un ancien manuscrit grec en piteux état, signé Antoine Diogène, et narrant les aventures d’un homme voulant devenir oiseau pour atteindre une cité céleste merveilleuse. Comme dans L’Âne d’or d’Apulée (qui sert de modèle à l’auteur américain), le protagoniste, suite à une erreur, se transforme en âne et voyage à travers le monde, voire les mondes, puisqu’il s’approche de la Lune afin d’annuler le sortilège. Découpée en 24 feuillets, une par lettre de l’alphabet grec, cette histoire sert de trait commun aux personnages du roman. Au XVe siècle, Anna et Omeir, deux jeunes gens, sont dans des camps opposés. L’une vit dans Constantinople assiégée par les armées du sultan, l’autre est enrôlé de force dans lesdites armées. Au milieu du XXe siècle, Zeno tente de se construire, orphelin homosexuel dans des États-Unis puritains et en pleine guerre de Corée. Au XXIe siècle, Zeymour, jeune homme autiste vivant seul avec sa mère épuisée par ses multiples em­plois, trouve le réconfort dans la nature et, surtout, le spectacle d’une chouette cendrée. Mais l’habitat de son unique amie est soudain menacé par des constructions, et tout l’univers du garçon s’en trouve bouleversé. Enfin, dans un siècle à venir, Konstance vit dans un vaisseau spatial lancé en direction d’une lointaine planète avec quelques autres représentants choisis de l’espèce humaine.

Aucun lien apparent entre tous ces personnages. Ce dont on se moque, même si on se doute que tous vont être reliés à un moment ou à un autre. L’immense talent de l’auteur est de nous les rendre très vite présents et indispensables. Anthony Doerr connaît les détours de l’esprit. Il en sait les forces et les faiblesses. Connaît la valeur d’un regard. Dès Le Nom des coquillages, son premier re­cueil (VF en 2002), l’auteur a montré sa ca­pacité à rendre vivants des êtres de papier en quelques lignes. Il a aussi très tôt compris la puissance des paysages, qui n’ont nul be­soin d’être spectaculaires pour influencer les vies de ceux qui les habitent. Dans La Cité des nuages…, ils imprègnent chaque phrase de leur présence, et les histoires des différents personnages sont un régal. Les pages se tournent à la vitesse de l’éclair. On pourrait dire que c’est déjà beaucoup.

Or, ce n’est pas tout. Ce récit est d’abord une déclaration d’amour aux livres. Tout en lui démontre la nécessité de la littérature et de sa transmission. Certains y puisent la force de tenir face aux violences de la vie ; d’autres croient en la magie des mots, littéralement ; d’autres encore pensent que les ouvrages sont source de liberté, voire de lien entre les gens, malgré les différences d’âge ou de classe sociale. Les récits sont universels et sont à même de toucher n’importe qui. Un beau message pour une belle histoire, émouvante et forte. Du sens dans un monde en perdition. Une lueur d’espoir dans les ténèbres.

De la littérature, en somme.

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