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La Cité de Satan

Certains romans posent de grandes difficultés au chroniqueur chargé d'en faire le compte-rendu argumenté. Il analyse ses impressions, opère le tri nécessaire dans celles-ci. Il pèse le pour et le contre parmi les voies qui s'offrent à lui afin de restituer sincèrement l'état d'exubérance ou d'accablement dans lequel il se trouve plongé. Il cherche ses mots pour donner envie ou déconseiller aux éventuels curieux de perdre leur argent et leur temps. Enfin, il se lance, tout en sachant qu'il ne sera pas écouté la plupart du temps. En ce qui concerne La Cité de Satan, il ne lui a cependant pas fallu des lustres pour se décider. Il est vain d'introduire une fausse impression de complexité sur un livre qui en est totalement dépourvu, aussi commencera-t-on par le plus évident : le début.

Fabien Clavel est gratifié d'une réputation pas franchement enthousiasmante pour des titres loin d'être considérés comme indispensables. Il est inutile de revenir sur Les Légions dangereuses, chroniqué précédemment dans ces pages, ni sur les autres titres de l'auteur qui contribuent à ladite réputation. Le chroniqueur ne s'aventurera pas davantage à émettre le moindre calembour douteux à partir du titre du présent ouvrage. Et pourtant, c'était tentant… De fait, c'est avec un esprit vierge qu'il confiera humblement — je sais, j'en rajoute —, ce qu'il a retiré de cet ouvrage d'un nouveau genre : le péplum uchronique (dixit la quatrième de couverture).

Evitons de perdre un temps infini à nous émerveiller sur l'aspect uchronique du récit qui, de toute façon, n'est qu'un prétexte qui fleure bon le carton-pâte. Il suffit juste de savoir que l'intrigue se déroule en 2614 après la fondation de Rome — comprendre, 1861 de notre calendrier — à Lutèce, au moment où l'édile Sergiolus s'apprête à célébrer une magistrale naumachie en l'honneur de l'empereur Julien (361-363), plus connu dans notre Histoire sous le surnom d'Apostat, et dont le règne constitue accessoirement le nœud de divergence de cette supposée uchronie. Inutile également de clamer que tout cela n'est pas vraisemblable un seul instant. Inutile, enfin, de mentionner que l'ensemble est bourré de clichés grotesques et d'inventions historiques fumeuses ; je pense en particulier à ces aqueducs transformés en ersatz de voie de circulation… Pardon ? Ah oui, vous avez raison. Je suis confus : je crains d'avoir déjà quelque peu vendu la mèche. Ceci n'est cependant pas catastrophique, puisque cela nous permet de cerner un contexte qui nous ramène au péplum évoqué plus haut. Tout le monde a sans doute en mémoire ces monuments cinématographiques hollywoodiens et leurs cousins nanardesques italiens. On ne dévoile pas grand-chose en révélant d'emblée que l'aspect péplum se réduit finalement au morceau de bravoure de la naumachie dans les arènes ennoyées de Lutèce. Pour le reste, Fabien Clavel lorgne surtout vers le roman feuilleton — comme le laisse deviner le sous-titre : « Les mystères de Lutèce » — et peut-être même, avec beaucoup moins de talent et de souffle quand même, vers un certain thriller babylonien publié auparavant chez le même éditeur. Le récit, une suite de rebondissements au mieux poussifs, met en scène une poignée de personnages archétypés, à savoir un édile gladiateur prêt à tout pour conserver le pouvoir, un fidèle décurion des vigiles, issu lui-même du milieu qu'il combat (Vidocq, vous avez dit Vidocq), un héros jeune, beau et amoureux d'une belle et déterminée inconnue avec laquelle il couchera au cours d'une nuit moite et besogneuse avant de la quitter, et, enfin, une multitude de seconds rôles faisant tapisserie pendant que la pègre s'agite et s'exprime en argot pour faire plus canaille, que les chrétiens sabotent et troublent la Pax lutecia en appliquant une variante de la propagande par le fait et qu'un insaisissable hors-la-loi à l'identité masquée (donc, ce n'est pas José Bové) joue des muscles face aux forces de l'ordre. Pour faire plus ludique, l'ensemble est agrémenté de clins d'œil fugitifs, notamment aux trois mousquetaires, mais aussi à l'œuvre d'autres écrivains hugolâtrés, d'un peu de mystère, de détails crus et crades, de magie druidique, de complots, d'une crue exceptionnelle et inexpliquée (colère des dieux ?) et d'une foule d'autres gauloiseries. Que demande le peuple… Panem et circenses, peut-être ?

Au terme de cette chronique, il faut donc se rendre à l'évidence. La Cité de Satan est un fourre-tout bordélique qui n'arrive pas à la cheville de ses illustres devanciers et s'achève mollement. Une œuvre plus anachronique qu'uchronique. Un texte qui emprunte plus qu'il ne créé. Aussitôt lu, aussitôt oublié.

Chasseurs de sorciers

Le royaume d'Île-Rien, que le lecteur a appris à connaître au travers des romans La Mort du nécromant et Le Feu primordial, tous deux disponibles chez l'Atalante (séance de rattrapage obligatoire pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce monde où se mêlent magie et industrialisation), va connaître la défaite. Incapable, depuis trois années, de faire face à la menace des Gardiers, le royaume est sur le point de s'effondrer, et sa capitale, Vienne, à la veille d'être investie par les forces ennemies. Face à cette avalanche de mauvaises nouvelles, un seul espoir demeure : détruire la base secrète à partir de laquelle agissent les Gardiers afin de briser leur élan victorieux. Une mission de la dernière chance est donc confiée à un commando improvisé. Hélas, ce ne sont même pas douze salopards qui sont rassemblés. Non, juste une jeune fille tourmentée (bâillement poli), nièce adoptive du très grand magicien Arisilde et fille du non moins célèbre Nicholas Valiarde (ça, c'est son côté people), accompagnée de son oncle, le magicien Gérard (plus facile à mémoriser que Gandalf), d'une apprentie sorcière (même pas glamour avec sa robe de chambre) et d'un militaire de service (bien entendu, le doigt sur la couture du pantalon). Evidemment pourvu d'une arme secrète — une sphère à la magie surpuissante mais au mode d'emploi et au fonctionnement mystérieux —, le groupe n'a pas anticipé (surprise !) une évolution imprévue de sa mission au cœur du monde parallèle où les Gardiers ont installé leur base. Les autochtones qui y vivent, certes primitifs, haïssent et tuent les sorciers…

Autant ne pas tergiverser : on s'ennuie ferme à la lecture de ce roman qui s'annonce de surcroît comme le premier volet d'une trilogie. S'il y a une magie qui fonctionne à plein régime dans Chasseurs de sorciers, c'est bien la faculté de l'auteur à rendre son récit interminable, ce qui énerve grandement. Certes, on peut affirmer de façon diplomatique que cette fantasy de Martha Wells n'est pas dépourvue, à l'occasion, de quelques idées qui suscitent, ponctuellement, un intérêt… aléatoire. On peut ajouter qu'il existe un potentiel non exploité et que, dans le doute, il faudrait peut-être lire le deuxième, puis le troisième volet (soyons fou) de cette trilogie pour émettre un avis définitif. Mais voilà, nous ne sommes pas diplomates, à Bifrost, et nous n'aimons pas gaspiller notre temps. Aussi nous permettra-t-on d'aller droit au but : ce roman est médiocre. L'intellect y est anesthésié par une intrigue désespérément molle, que dis-je, complètement amorphe, portée par une narration dénuée de souffle et des situations elles-mêmes avachies. Que reste-t-il pour réveiller l'intérêt ? Pas grand-chose à vrai dire, puisque l'émotion est tuée par des personnages insipides qui ne suscitent pas une once d'empathie de la part du lecteur. En fait, en dehors de cet ennui déjà évoqué, on n'éprouve aucun frisson en lisant ce roman, et la concentration cède inexorablement la place à l'agacement devant la banalité, la superficialité des états d'âme des personnages et des ressorts dramatiques. L'histoire ne fonctionne pas : on se regarde lire en espérant voir la fin arriver le plus vite possible.

Bref, un conseil : lisez Aquaforte de K. J. Bishop — la bonne pioche du moment, chez l'Atalante — si vous souhaitez une fantasy hors du commun (dixit la quatrième de couverture de Chasseurs de sorciers), ou si vous désirez vous immerger dans un monde dense et envoûtant, traversé par des personnages dotés d'une psychologie complexe. Une lecture qui génère une vraie émotion, celle qui vous empêche de lâcher le morceau et vous poursuit longtemps une fois la dernière page tournée. Tout ce que n'est pas Chasseurs de sorciers, en somme.

Un chœur d’enfants maudits

Vraie bonne surprise du côté des inédits Folio « SF », Tom Piccirilli fait une entrée fracassante sous nos longitudes. Malgré une fin artificielle qui semble plaquée sur le roman, Un Chœur d'enfants maudits reste un livre exceptionnel dont la petite musique (forcément poisseuse et empoisonnée) hante longtemps le lecteur. Les livres capables d'influer de manière radicale sur notre humeur sont rares, et celui-là en fait clairement partie. Via une écriture dont la densité et l'intelligence frisent le génie (on notera au passage la traduction de Michelle Charrier, à tomber), Tom Piccirilli plante son décor moite, un décor qui a tout d'une Louisiane à la Freaks revisitée par un Lucius Shepard défoncé au whisky (gare à Louisiana Breakdown, à paraître au Bélial' en septembre 2007 !). Une petite ville paumée dans les marais loin des autoroutes, des villes et de la civilisation. Des vieilles folles qui jouent aux sorcières et qui suivent des traditions curieuses en mijotant d'infâmes mixtures sensées protéger le bled du malheur. Un jeune homme, Thomas, beaucoup plus anti que héros qui fait office de seul narrateur et de seul oasis de santé mentale. Ses trois frères siamois reliés par le crâne et dont l'unique tête cyclopéenne parle avec trois bouches en suivant les lois anarchiques de trois personnalités entrelacées (avec une vie sexuelle exaltante qui, aussi étonnant soit-il, n'a rien du malsain, mais louche plutôt du côté de la bluette innocente et romantique). Et au milieu de tout ça, une suite de personnages malades, camés, bourrés, crétins et neurologiquement morts. Avec un Thomas obligé malgré lui d'assumer un héritage paternel encombrant (de l'argent, une fabrique, une intelligence douloureusement adéquate), des fantasmes sexuels plus ou moins oniriques, le souvenir d'une grand-mère clouée au mur de l'église par une faucille, sans oublier celui, récurrent, d'un tueur d'enfants qu'il a abandonné en plein marais pour laisser les crocodiles s'en occuper tout seuls comme des grands… Bref, la vie n'est pas simple, vraiment pas.

Malgré une histoire qui s'appuie sans doute trop sur le bon vieux principe de la révélation pour tenir le lecteur en haleine, Un Chœur d'enfants maudits est un incroyable roman d'ambiance que les personnages ne font somme toute que traverser. Ici, rien n'est évident et tout se mérite. Chaque micro-événement est porteur d'une signification profonde et ne sera pas sans conséquences. Chaque élément s'agence comme une pièce de puzzle, et au lecteur d'assister impuissant à la tragédie quotidienne qui se déroule sous ses yeux comme une mauvaise pièce de théâtre (écrite par un fou, jouée par des idiots et qui ne signifie rien, comme dirait l'autre).

Mais là où le bébé de Piccirilli touche de près l'étiquette chef-d'œuvre, c'est dans le traitement impeccable de son histoire. Le sérieux est de bon aloi, l'absurde maître et le second degré permanent. Vous croyez avoir affaire à un vague roman vaudou à l'ambiance humide ? Vous avez raison. Et vous ne pourriez pas vous tromper davantage.

De notre côté, nous avons choisi. Un Chœur d'enfants maudits est tout simplement indispensable. Tout comme l'urgente traduction des autres œuvres de Piccirilli. Qu'attend-on ?

Spin

Prix Hugo largement mérité et premier volume d'une trilogie en cours d'écriture, Spin est un roman impressionnant, maîtrisé de bout en bout et plutôt emblématique d'une génération vaguement larguée. Fidèle à ses habitudes, Robert Charles Wilson y déploie une science-fiction humaniste, via une histoire tourmentée dans laquelle des personnages attachants vont se confronter à un mystère d'envergure cosmique à l'aune de leur propre faiblesse.

Thème classique, on le voit, parfaitement représentatif des textes de Wilson, où des hommes comme les autres sont projetés malgré eux dans une longue suite d'événements dramatiques. Cette apparente simplicité autorise beaucoup de choses et l'auteur excelle dans la peinture d'antihéros dépassés, souvent paumés, affectivement instables et étonnamment touchant pour les lecteurs qui dépassent la trentaine en perdant peu à peu leurs illusions et en voyant leurs premiers amis mourir du cancer ou se planter bêtement contre un arbre après une soirée arrosée.

De ce sentiment de fin du monde, on retient la montée d'une incompréhension totale à l'égard d'une société devenue folle et la nostalgie assumée d'une jeunesse perdue à jamais, engloutie dans la glace du passé. Et science-fiction mise à part, c'est exactement de ça que Spin traite magistralement : la perte, l'inconnu, le vide d'une existence sans valeur ni sens et, tout au bout, la mort.

Dans un futur si proche qu'on pourrait allègrement l'appeler aujourd'hui, Spin traite à la fois du destin de trois enfants et de l'avenir de l'humanité en tant qu'espèce. C'est là que Wilson réussit son coup : décrire l'isolement de la planète Terre (placée dans une sorte de congélateur cosmique qui recrée les conditions climatiques actuelles et la fixe dans une temporalité réduite alors que le reste de l'univers file à une vitesse inimaginable — plusieurs millions d'années par années terrestres subjectives) et ses conséquences sociales à travers les yeux de trois gamins qui, devenus adultes, prendront chacun une voie différente.

D'un côté Jason et Diane, les deux enfants d'un riche couple (père influent et mère alcoolique), et de l'autre, Tyler, le fils de la bonne. Trois gamins qui assistent ensemble au Spin, la nuit où les étoiles disparaissent du ciel, la nuit où la Terre est recouverte d'une sorte de membrane artificielle, modifiant à jamais la destinée humaine.

De leur vie, de leur amour et de leur perte, Robert Charles Wilson dresse un portrait doux-amer, alors que Jason met son indéniable génie au service du gouvernement, que Diane s'embarque dans une vague quête mystique qui la conduit au sein d'une communauté d'allumés quasi millénaristes, et que Tyler (narrateur et personnage principal) trace sa route comme médecin sans jamais vraiment comprendre ce qui lui arrive et pourquoi on en est là.

Qui a bien pu isoler la Terre de cette façon ? Qui, et pourquoi ? Autre détail désagréable, si le temps au-delà de la membrane s'écoule en accéléré (ou le temps terrestre au ralenti, ce qui revient au même), la mort du soleil risque d'arriver bien plus tôt que prévu… D'ici peu, pour tout dire, une cinquantaine d'années… Et avec elle, la fin du monde…

C'est donc la chronique d'une condamnation à mort que s'offre un Robert Charles Wilson en grande forme, excellant à décrire la grande panique et ses conséquences à travers les yeux de protagonistes plus ou moins acteurs. Les efforts des terriens pour contrer l'isolement terrestre (par de mystérieuses entités joliment nommées les Hypothétiques) doivent-ils passer par la terraformation de Mars ? La fuite vers les étoiles ? Autant de scénarios aberrants qui prennent soudain un autre sens quand on réalise peu à peu qu'une échelle temporelle décalée permet beaucoup de choses.

Et si l'épée de Damoclès penche dangereusement, n'est-ce finalement pas le lot de toute existence ? C'est presque une forme de clin d'œil pour une humanité habituée d'entrée de jeu à l'idée d'une mort certaine, mais qui se réveille en sursaut le jour venu, se passe la main dans les cheveux, cherche un paquet de clopes et soupire : merde, déjà ?

Convaincant du début à la fin, Spin est la preuve éclatante (en fallait-il vraiment une ?) que Robert Charles Wilson a dépassé ses faiblesses récurrentes et donné à son talent d'auteur une direction plus cohérente, plus efficace et encore plus intelligente. De ce beau roman qui hante le lecteur longtemps après, on retiendra ce vague sentiment de tristesse un peu fataliste quand l'inéluctable disparition de ce qu'on aime devient réalité, le cabotinage en moins. Une résignation douloureuse, mais inspiratrice.

Le Sot de l’ange

Premier roman de Christopher Moore publié chez Calmann-Lévy (avec plusieurs autres dans les tuyaux, ce qui ne peut que nous réjouir), Le Sot de l'ange est une sorte d'hommage délirant à Georges Romero nappé de sauce Moore. Un mélange détonnant, donc, qui voit cohabiter un faux père Noël mort pour de vrai, un archange benêt, Dieu, une serveuse bionique, un flic amateur d'herbe, une armée de zombies fous de cervelle, un dîner de célibataires, Kendra l'ex-barbare-de-la-nuit-mutante-de-la-mort-du-désert-qui-tue et un petit garçon dégoûté parce que Noël, cette année, c'est foutu.

Risque énorme, donc, de basculer dans une grosse farce pétomane aussi grotesque qu'inoffensive, mais risque parfaitement contrôlé par un Christopher Moore en grande forme. Si le propos du Sot de l'ange est, certes, ouvertement délirant, l'auteur parvient à rester sur la corde raide en se cantonnant aux limites du crédible. Et rien ne fonctionne mieux qu'un humour bien barré rigoureusement possible, avec ses conséquences logiques et probables.

C'est la très grande force de ce roman iconoclaste : prendre un élément ouvertement impossible et le traiter jusqu'au bout, dans ses moindres détails. Avec un sens du dialogue qui doit autant à Tex Avery qu'à Matrix, Moore réutilise les personnages déjantés du Lézard lubrique de Melancholy Cove (et de quelques autres romans, un classique chez Moore) et les insère dans une très vague histoire où un ange un peu paumé est mandaté par Dieu pour faire une BA avant Noël. Il ressuscite donc un faux père Noël récemment dézingué par sa femme, mais oups, tout le cimetière avec… C'est alors toute une cohorte de zombies affamés qui sort de terre, bien décidée à niquer la cervelle de ces salauds de vivants qui font rien qu'à vivre, justement.

Prototype de ce qu'Orwell nomme avec justesse excellente mauvaise littérature, Le Sot de l'ange fait partie de ces romans qui font plaisir à leurs auteurs. De fait, le lecteur n'a pas franchement tendance à s'ennuyer. Et passer un bon moment avec un joli livre ni bête ni sérieux, c'est suffisamment rare pour être signalé. Profitez-en, Le Sot de l'ange est de ceux-là.

L’heure et l’ombre

Pierre Jourde aggrave son cas… Après le formidable Festins secrets, qui réconciliait allègrement les fantômes de Céline et de Poe, voilà que notre empêcheur de publier en rond s’attaque à Nerval… L’Heure et l’ombre vient brillamment nous titiller la fibre romantique et s’offre le luxe de convoquer Fournier, Kafka, Dick, Maupassant et quelques autres pour notre plus grand bonheur. Autant d’influences (de références) qui n’entament en rien l’originalité du propos et le sain énervement d’un auteur dont le style, le talent et l’intelligence ont tout de même tendance à nous calmer net. On notera au passage que tous ces jolis Noms Propres plombent le récit bien plus qu’ils ne le hantent… De fait, L’Heure et l’ombre n’a rien (mais vraiment rien) de l’inoffensif divertissement. Ici, chaque mot est pesé, taillé, ciselé. Chaque situation possède son double, son contraire, ses causes et ses conséquences. Rien qui soit laissé au hasard. Et si l’ennui pointe parfois le bout de son groin, c’est sans doute une manière polie (empruntée à Tarkovski et à Stalker ? le débat est ouvert) de nous rappeler qu’on n’est quand même pas là pour se marrer et qu’un bon livre, ça se mérite, bande de cons.

Fidèle à son habitude, Pierre Jourde rend impossible toute tentative de résumé. Le splendide néant de la quatrième de couverture nous rappelle d’ailleurs que l’éditeur n’est pas plus avancé que le lecteur. Soit.

En fait de roman naturaliste inversé (dans une perspective tout debordienne où le vrai, comme de juste, est un moment du faux), L’Heure et l’ombre s’articule le long d’un axe semi-rigide, une banale station balnéaire du nom de Saint-Savin. Danse macabre, danse de mort, danse échevelée autour du temps qui passe, de la jeunesse qui crève et des fantasmes jamais réalisés qui n’en finissent pas de pourrir, l’histoire est une merveilleuse suite de tiroirs poussiéreux et glauques, dans lesquels le lecteur paniqué trouve çà et là des bribes d’éléments rassurants. L’histoire d’un homme qui abandonne sa famille pour en fonder une autre après une amnésie sévère, et qui laisse sa petite fille livrée à elle-même dans une maison qui a tout du film d’horreur (un passage résolument lovecraftien à faire peur, pour de bon). L’histoire du narrateur dont l’amour impossible poussera une jeune fille à maquiller sa mort pour échapper à une révélation qui jamais ne cesse de disparaître. L’histoire d’une amitié amputée du cœur qui dévale les années en laissant la vie sur un trottoir plein de merde. L’histoire de la fille qui a vu l’homme qui a vu les enfants qui ont vu la maison qui… Qui ont vu quoi, au fait ?

Et dans ce pandémonium où un savant chaos règne dans l’ordre le plus strict, Jourde s’offre quelques passages d’anthologie (un dîner pourri par une nourriture immonde et un enfant hurleur, sans le moindre chasse-spleen salvateur, un vague dialogue avec une grognasse ordinaire dont les chiards écoutent du rap le corps engoncé dans leur uniforme de jeune — Pierre Jourde n’aime pas les jeunes, et c’est bien) littéralement hilarants, sortes d’oasis de vie dans un monde mort dont la réalité s’émiette au fil des pages.

Le vrai trait de génie de L’Heure et l’ombre, c’est de perdre son lecteur avec goût et de lui donner immédiatement envie de recommencer à zéro pour savoir où, exactement, il s’est fait niquer. Chapeau, Pierre Jourde. Sur le coup, respect. Power total, ajouterions-nous. Ça déchire.

On a marché sur Mars

En 2015, une expédition américaine s'apprête à se poser sur Mars pour la première fois. À son bord, cinq astronautes : un pilote d'élite, une mécanicienne de génie, un géologue, une brillante biologiste et un historien. Après un atterrissage mouvementé dû à une défaillance technique, l'exploration commence, et avec elle un vif débat entre ceux qui désirent rechercher des traces fossiles de chimie prébiotique et les adeptes de la géologie convaincus que la vie n'a jamais existé sur la planète rouge. La découverte d'une vie primitive met non seulement fin à la discussion, mais panique l'opinion publique. Les extrémistes brandissent la menace d'une contamination et de la fin de l'humanité si les astronautes reviennent sur Terre, et font pression sur le gouvernement à quelques mois des élections… L'équipage est abandonné, livré à lui-même, et il va désormais lui falloir survire…

Ingénieur à la NASA, auteur d'ouvrages de vulgarisation, militant pour la Mars Society, Robert Zubrin aborde la conquête de Mars sous l'angle du réalisme, comme en témoignent l'annexe technique (fort intéressante) et la préface de Gregory Benford. On songe à Stephen Baxter pour la description d'une mission spatiale par un spécialiste du domaine, à Kim Stanley Robinson pour l'exploration de Mars, et aussi à Arthur Clarke pour le récit de sauvetage dans l'espace. Mais le résultat n'est pas à la hauteur de la profession de foi de l'auteur, l'action et l'intrigue primant très largement sur la dimension hard science. Rien de déshonorant s'il n'y avait quelques détails qui dénotent un manque de rigueur : des incohérences dans le calendrier (p. 74) ; le module de survie désigné comme le « seul objet artificiel » sur la surface de Mars (dommage pour les nombreuses sondes déjà présentes et à venir d'ici 2015)… Surtout, il est totalement invraisemblable que, une fois sur place, l'équipage se pose la question de savoir qui va marcher le premier dans la poussière rouge, et si l'objet de la mission est la géologie martienne ou la recherche de vie fossile. Si l'on ajoute les imprudences commises par les membres d'équipage, on a en permanence l'impression d'avoir affaire à des amateurs.

OK, tant pis pour la rigueur… Mais quid du récit ? Las, Zubrin est peut-être un ingénieur brillant, mais c'est un piètre romancier. La psychologie des personnages relève de la littérature de gare : les protagonistes sont des poncifs sur pattes (le pilote chevronné est une tête brûlée, l'ingénieur mécanicien un garçon manqué, le Président est obsédé par sa réélection…) qui se réduisent à un ou deux traits de caractère. D'une manière générale, le style est plat (ainsi la description d'une émeute, expédiée en quelques paragraphes sans reliefs, à la manière d'un synopsis). Les phrases sont encombrées d'adverbes (« La biologiste surgit gracieusement du labo, […] puis retourna vivement à son travail »), d'adjectifs creux (Zubrin aime les « ravissantes jeunes femmes » aux « cheveux magnifiques » qui tapent sur leur clavier « à une vitesse fantastique » — sic). En ce qui me concerne, j'ai un faible pour le champagne qui « pétillait vigoureusement » (re-sic). Je n'ai pas consulté la version originale ; il est possible qu'une part de responsabilité incombe au traducteur, lequel a tout de même cru bon d'expliquer des termes tels que « Mach 30 », « 3 g », « MI-5 », « Gaïa », « holophotographie », voire des néologismes pourtant évidents comme « écogoth » (« écologiste tendance gothique, sans doute » — re-re-sic).

Si on commence à douter de l'intérêt du roman après une centaine de pages, On a marché sur Mars se barre complètement en sucette dans sa dernière partie, proposant simultanément ou presque une romance digne des éditions Harlequin, un happy-end dégoulinant (revenus sur Terre, trois des astronautes deviendront respectivement Président des USA, millionnaire et prix Nobel), ainsi qu'un hymne au drapeau américain et à l'esprit pionnier ayant donné naissance à la plus grande nation de la Terre (entre parenthèses, le récit USA-centriste n'aborde aucunement les réactions du reste du monde). Le fin du fin : l'équipage amerrit à… New York ! Au pied de la Statue de la Liberté ! !

Bref, on peut sans problème se passer de ce roman mal foutu à tous points de vue, à peu près du niveau des meilleurs bouquins de Robert J. Sawyer.

La Déchirure

Jamère, tout entier tendu vers ce but, ne se doute pas qu'un événement singulier va bouleverser cet avenir auquel il aspire : forcé dans une transe chamanique, il s'offre à l'Esprit de la forêt, sans savoir réellement à quoi il s'engage. Mais l'Esprit de la forêt a des projets pour lui. Puisque la magie lui a offert Jamère, ce dernier va donc agir en son nom dans le monde des hommes. Bien sûr, Jamère n'en sait encore rien…

Avez-vous déjà lu Robin Hobb ? Cet auteur possède le talent rare d'écrire des histoires déjà racontées des dizaines de fois, des histoires qu'elle ne transforme pas vraiment, au sein d'un genre qu'elle ne renouvelle en rien, mais qu'elle écrit d'une telle façon qu'elle les rend, non pas neuves, mais passionnantes. L'histoire de Jamère et de Gernia, la société dans laquelle le héros vit, tout cela a déjà été raconté tant de fois que l'on pourrait dès l'abord être blasé. Voyez plutôt : une société aux règles rigides axée sur deux grands principes, la foi et la technologie, qui manque d'espace pour se développer. En face, l'ancien monde, dominé par les anciens dieux (normal) et la magie (ben oui), dont les terres n'appartiennent officiellement à personne mais sur lesquelles vivent une multitude de petites tribus nomades pour certaines très agressives. La technologie qui tue la magie, le nouveau dieu qui écrase les anciens, la société moderne et éclairée qui apporte la civilisation aux sauvages à coup de guerres pacificatrices. Coincé entre les deux, le héros devra accomplir sa quête, choisir son camp et devenir un homme. Je vous avais prévenu : nous connaissons tout ça sur le bout des doigts. Oui mais voilà, c'est Robin Hobb, et ça change tout. Une seule page dans le livre, n'importe où, et vous voilà aspiré. Le phénomène est fascinant. L'absence de surprise est compensée par un sens du récit extraordinaire, une écriture fluide et rythmée, des personnages superbes et un sens de la description qui vous projette directement au cœur de l'histoire.

Bien sûr, il y a quelques défauts dans ce premier opus, mais ils sont inhérents au choix du récit et compliqués à contourner. Robin Hobb s'est enfermée dans un monde tellement rigide et codifié qu'il lui est difficile d'apporter beaucoup de variété. Ainsi, Jamère se révèle un personnage un peu fade et monolithique, à qui il n'arrive pas grand-chose. D'autant que ce premier tome traite de la jeunesse du héros (entre huit et dix-huit ans), d'où une rigidité du personnage accrue, une figure narrative qui apparaît sans réflexion personnelle ni subtilité, et surtout totalement passive. L'histoire s'en trouve donc être moins frénétique et ouverte que ce qu'on a coutume de lire sous la plume de Robin Hobb, même si elle n'en reste pas moins passionnante. Gageons que Jamère, une fois sorti des bottes de cavalerie de son père, et au vu des épreuves qui l'attendent, gagnera l'épaisseur et la complexité qui lui manquent dans ce volet d'ouverture. Une trilogie (honteusement coupée en deux par l'éditeur français, qui considère Robin Hobb comme sa vache à lait et ses lecteurs comme des imbéciles, soit un total de six volumes plutôt que trois…) à couver d'un œil gourmand, en tout cas…

Sur les ailes du ryu

Pour Ayato, le seul futur possible réside dans l'épreuve du sang des Ryus, ces dragons majestueux formant les premières lignes des guerriers de L'île aux Brumes. Et dans la folie martiale du moment, le fougueux Ayato veut combattre. Le destin est avec lui, aussi se retrouve-t-il apprenti chevalier volant, chevauchant un Ryu noir qui dissimule un secret duquel dépend l'avenir du monde…

Christophe Lambert a défini ce roman d'aventure « jeunesse » comme un « Top Gun au pays du soleil levant ». Heureusement pour nous, l'auteur a poussé un peu plus loin sa problématique, et ses personnages présentent davantage d'épaisseur que ceux du film de Tony Scott.

Il est certain que le décorum nippon est un plus dans un récit qui colle à la manière fantasy. Toutefois, l'atmosphère et la perception des personnages en sont assez éloignées. Et pourtant, tous les ingrédients sont là : un héros intrépide qui ferait mieux, parfois, de se « poser » de temps en temps, des personnages secondaires aux caractères bien trempés générant de multiples sous-intrigues captivantes, des méchants mystérieux attirant la haine mais uniquement à cause de l'incompréhension… Et là, on commence à se dire que Lambert est allé un peu plus loin que le récit basique de quête.

Un hic, pourtant. En tournant les pages, on se trouve emporté sur les ailes du Ryu à une vitesse faramineuse, si vite, en fait, qu'on a le sentiment de rater des éléments de l'histoire. Oui, encore une fois, Lambert ne nous en donne pas assez. Il se presse pour arriver à la fin de son récit, avec brio, certes, mais trop hâtivement.

Christophe Lambert avait en main les éléments nécessaires pour nous mener par le bout du nez dans un récit épique de première classe. Ici, s'il conserve son billet de première, il nous la fait très courte, trop courte. Dommage.

On ressort de ce roman avec le vent dans la figure, le palpitant à cent à l'heure au compteur et l'envie d'en savoir un petit peu plus, sûrement, sur ce monde des Ryus. Qui sait ? En attendant, on se consolera en se ruant sur son second roman « adulte » dans la collection « Rendez-vous ailleurs » au Fleuve Noir, Zoulou Kingdom.

Sous un ciel de harpies

Sur la planète Zol, des enfants se tuent au travail dans les mines de diamalites pour rembourser les dettes de leurs parents. En butte à la haine des gardiens, il leur faut de plus se protéger contre les attaques des harpies, des chauves-souris géantes sans pitié. Pour Kaël, un jeune mineur de 15 ans, il ne reste plus que la révolte. Jusqu'à ce qu'il sauve un gardien et accède à son tour au poste de surveillant. Maintenant que sa vie semble s'améliorer, quel choix va-t-il faire ? Révolte, ou collaboration ?

Quand un véritable auteur naît, il serait dommage de rater le spectacle. Frédérique Lorient avait déjà frappé très fort avec Danseurs de lumière et la finesse de son récit. Dans ce nouveau roman, elle exploite encore une fois son fabuleux talent de conteuse, le mettant au service de réflexions cruciales.

On fera tout de suite le parallèle entre cette histoire de S-F et les Kapos des camps de la mort nazis, des détenus instrumentalisés qui, pour certains, firent preuve d'une cruauté inimaginable. Il est indéniable que l'être humain a de nombreuses faiblesses, et que lui donner une once de pouvoir sur une masse, en échange de l'amélioration de conditions de vie désespérées, est une technique de manipulation sadique mais efficace. Frédérique Lorient ne juge pas. Qui pourrait le faire, d'ailleurs ? Elle pose les questions, expose la situation et lance ses personnages dans cette mésaventure.

Des personnages traités avec finesse, amour et humour. Des personnages auxquels le lecteur peut se rattacher sans difficulté aucune. Et l'auteur pousse le vice jusqu'à nous en offrir toute une panoplie, pour forcément trouver son reflet dans le miroir des mots.

Personnages, réflexion, d'accord, mais le reste ? Quel reste ? Vous trouverez tout ce que vous voulez dans ce récit. L'amour, l'émotion, l'action, la cruauté, les doutes, du dépaysement… De la science-fiction, quoi !

Au risque de se répéter : si vous souhaitez initier en douceur vos cousins, petits frères/sœurs, copains et autres, d'ailleurs, la collection « Autres mondes » des éditions Mango est un passage impeccable. Et ce roman en particulier.

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