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L'Éclat d'étoiles impossibles

Des « dragons » redoutables rodent dans l’hyperespace : pour éviter d’attirer leur attention, la toute-puissante armada de Marbre veut empêcher l’Humanité de faire la guerre en détruisant toutes ses installations et appareils militaires. Donc, en lui faisant la guerre. Oui, c’est d’une folle logique. Et évidemment, l’ampleur des destructions provoquées provoque ce que l’on voulait précisément éviter. Pris entre le marteau et l’enclume, l’équipage hétéroclite du Chien à problèmes n’entrevoit qu’un mince espoir : les deux belligérants semblent redouter au plus haut point l’Intrusion, sorte de portail entre notre univers et un autre. Peut-être la solution s’y trouve-t-elle. Mais pour cela, l’aide d’un autre équipage, celui du capitaine Cordelia Pa, sera nécessaire. La jeune femme, qui a grandi sur les Plaques, escadrille de mégastructures stationnant à proximité immédiate de l’Intrusion, semble avoir un curieux lien avec cette anomalie spatiale, où les lois de la physique sont altérées.

Il est inhabituel, pour ne pas dire bizarre, voire littérairement suicidaire, d’introduire tout un nouveau pan de l’univers, ainsi qu’un groupe de personnages inédit, dans l’ultime tome d’une trilogie. Classiquement, ce dernier est celui de la chute des dominos, pas celui où on continue à les mettre en place. Le roman aurait donc pu imploser, tel un trou noir, sous le poids de sa propre balourdise. Or, pourtant, de façon étonnante, il n’en est rien, et l’auteur s’en tire même plutôt bien. De là à considérer L’Éclat d’étoiles impossibles comme digne d’éloges, il y a un pas : toujours aussi inspiré par les Grands Maîtres récents du (New) Space Opera, il emprunte la solution « coup de baguette magique, pouf y’a plus d’ennemis » de Le Dieu nu : Révélation, de Peter Hamilton, et parvient à faire encore plus cryptique / frustrant, à propos de l’Intrusion, que Iain M. Banks dans Excession. La page 339 a aussi un fort parfum de Babylon 5, dans la façon de ne pas choisir entre Ordre et Chaos lorsqu’ils dévastent la Voie Lactée. Et que dire du recyclage du trope fantasy de l’élu dans un contexte de space opera, en la personne de Cordelia ?

Reste un cycle, « Braises de guerre », qui, malgré ses maladresses, s’en tire non sans honneur, surtout si l’on considère l’énorme masse de space op’ produite par le monde anglo-saxon, une noria globalement des plus médiocres : le propos demeure lisible, fluide, agréable, voire même traversé par quelques fulgurances stylistiques ou conceptuelles tout à fait impressionnantes. Sans doute ne laissera-il pas un souvenir impérissable (à moins de n’avoir jamais lu Banks), mais sa lecture globale n’a rien d’un calvaire.

Patternist

Octavia Butler a 29 ans lorsqu’elle publie en 1976 son premier roman, Le Maître du réseau, qui inaugure l’ambitieuse fresque connue sous le nom de « Patternist », qu’elle peindra de 1976 à 1984. Suivrons, Le Motif (1977), La Survivante (1978, renié par l’autrice), Wild Seed (1980, inédit en français) et enfin Humains, plus qu’humains (1984).

Wild Seed, chronologiquement le premier roman du cycle, retrace la rencontre au xviie siècle de deux êtres hors du commun. Doro le Nubien ne doit son immortalité qu’à sa capacité à transférer son âme dans le corps des humains qu’il tue sans remord. Quant à Anyanwu, qui vient du Bénin, elle est reconnue pour ses incroyables capacités de guérisseuse, mais elle cache en revanche ses pouvoirs de métamorphe et son immortalité qui lui fait traverser les âges depuis quelques centaines d’années. Anyanwu voit en Doro le mari dont elle a toujours rêvé, celui avec lequel elle pourra vivre sans avoir à subir la perte de l’être aimé, mais Doro, s’il n’est pas insensible aux charmes de la déesse, la considère surtout comme un atout pour son grand projet : créer un peuple de mutants surpuissants. Prise dans les mailles du filet de Doro, qui inspire la terreur chez tous ceux qu’il croise, Anyanwu n’a d’autre choix que de lui obéir. Sur ses ordres, elle embarque alors sur un bateau, direction les USA, où elle épouse son fils Isaac, dont les puissants pouvoirs télépathiques font de lui un étalon reproducteur de premier choix. Nul doute qu’à eux deux, ils engendreront des enfants dignes d’élever le peuple des mutants au-dessus de tous les autres et d’assurer ainsi la survie de l’espèce. Mais tout ne se déroule pas comme prévu : la transition, passage de la phase passive à la phase active des pouvoirs, est une épreuve difficile que seuls les esprits forts parviennent à traverser… Avec Le Motif, nous voici dans les années 1970, où Butler dépeint la vie à Forsyth, la ville californienne où Doro continue son élevage de mutants. Il place tous ses espoirs en sa fille Mary, dont il désire faire la plus puissante télépathe de la communauté, celle qui permettra aux télépathes Actifs (ceux qui ont réussi l’épreuve de la transition) de vivre ensemble. La survie de l’espèce, encore et toujours. Lors de sa difficile et douloureuse transition, Mary emprisonne dans son esprit six Actifs et s’avère incapable de les libérer sans risquer de les tuer. Peu à peu les prisonniers, résignés, acceptent de vivre dans le giron de la puissante télépathe dont ils deviennent dépendants. Mais Mary ne compte pas s’arrêter là, et continue d’attirer dans son Motif de nombreux Latents (aux pouvoirs en sommeil) pour les aider à survivre à leur transition. En agrandissant son Motif, elle attire l’attention de Doro qui voit poindre en sa progéniture son nouvel ennemi…

Wild Seed revient sur les origines mythologiques des Patternists, tandis que Le Motif conclut l’ère des fondateurs, Doro et Anyanwu, qui laissent place à une nouvelle génération, celle des Patternists. Ces deux romans sont particulièrement longs et bavards, plus portés sur des joutes verbales que sur l’action. La conclusion est simple, un être aux pouvoirs illimités ne les utilisera que pour soumettre : sexuellement, racialement, socialement, physiquement. Pour Doro ou Mary, qui ont soif de pouvoirs télépathiques, la soumission est une source d’énergie pour assurer leur survie, combattre la solitude, fonder un peuple et faire en sorte que ce dernier survive aux autres, quoi qu’il en coûte. Et c’est là que le propos déconcerte. Si le discours sur l’asservissement des femmes, sur leur nécessaire soumission physique et mentale, avant leur revanche et leur libération, est profondément inscrit dans chacun des deux romans, tout comme le remaniement des cartes raciales, le fait que Butler place l’eugénisme comme seule solution pour la survie d’une espèce interpelle. Par ailleurs, ici pas de laboratoire, ni de pipette, ni de manipulation génétique contrôlée : telles des bêtes, Doro met dans le même lit des hommes et des femmes, contraints par le pouvoir télépathique à se reproduire. Doro, maître tout puissant, esclavagiste de son propre peuple, père incestueux, nous fait oublier par ses pratiques bestiales le but louable de son dessein : la survie.

Humains, plus qu’humains prend place dans un futur post-apocalyptique pas si loin de nous à l’époque de son écriture – en 2017. Eli Doyle est le seul survivant de l’Arche de Clay, un vaisseau spatial qui s’est écrasé dans le désert au retour de la première mission humaine vers une autre planète. Eli porte en lui un virus extraterrestre qui décuple ses appétits nutritifs et… sexuels (tiens donc). Les débuts sont difficiles, les hommes infectés par Eli meurent, tandis que les femmes engrossées par cet astronaute donnent naissance à des êtres hybrides à la frontière entre l’humain et le chat. Survivre, encore et toujours, le virus ne demande que ça, poussant Eli à chasser de nouveaux membres pour agrandir la communauté, jusqu’à ce qu’il croise la route de Blake Maslin et de ses jumelles de seize ans, Rane et Keira…

On retrouve dans ce roman les mêmes thèmes que dans Wild Seed et Le Motif, à ceci près que la nécessité de la survie est soumise à la volonté d’un virus alien dont les humains se retrouvent esclaves, incapables de résister à leurs instincts primaires. Eli serait-il donc moins condamnable que Doro ? Le résultat est pourtant le même : les femmes se jettent dans son lit, incapables de résister à son charisme de mâle dominant. Autres communautés, mêmes mœurs… La lecture de ce roman est supportable grâce à sa structure narrative qui a le mérite d’entretenir le suspense, alternant passé et présent, mais les intentions se répètent et suscitent un certain ennui. Humains, plus qu’humains justifie l’introduction d’une nouvelle mutation, une nouvelle espèce, les Clayarks, qui voudra, comme les Patternists, assurer sa pérennité en se nourrissant des autres, et ouvre la voie vers leur affrontement dans le dernier tome, Le Maître du réseau.

Le Maître du Réseau est une sorte de Patternist suprême, celui dont le Motif est en connexion avec tous les autres. Alors, quand celui-ci se meurt, la guerre de succession fait rage entre ses deux fils légitimes, Teray et Coranseen. Teray n’a que faire du titre, mais refuse de se soumettre télépathiquement à son frère aîné qui exige d’avoir sur lui un contrôle total de ses pensées pour sécuriser son trône. Teray s’enfuit pour rejoindre Forsyth et son père mourant, mais le chemin est long et semé d’obstacles, entre les télépathes envoyés par Coranseen et les raids des Clayarks qui n’aspirent qu’à une chose, contaminer tous ceux qu’ils croiseront sur leur route.

Les femmes passent au second plan dans ce dernier volet : on ne les voit plus se faire engrosser à tour de bras, même si on n’ignore pas leur condition dans cette société ultra-hiérarchisée et patriarcale. Seule Amber, une guérisseuse très puissante, clame et conserve son indépendance, refusant elle aussi de se plier aux volontés de Coranseen. La course au pouvoir n’est qu’un prétexte pour dépeindre un monde où les Patternists ont pris les rênes sur Terre et se sont installés comme une véritable civilisation ; les muets (les humains normaux) sont réduits au rang d’esclaves entièrement contrôlés par télépathie. Quant aux Clayarks, les voici animalisés, leur mutation étant totale. Les manipulations génétiques n’ont plus lieu d’être, seuls le pouvoir et la soumission des minorités comptent désormais.

On ne fera pas ici l’économie de quelques mots sur La Survivante, le quatrième roman d’un point de vue chronologique, volontairement isolé de la critique car renié par son autrice. On y suit les pas d’Alanna, fille adoptive d’un couple de missionnaires ultrareligieux partis sur une autre planète dans l’espoir de sauver l’espèce humaine menacée par les Clayarks. Peu après leur arrivée, les missionnaires rencontrent les Garkohn, une tribu locale, qui les aide à développer leur colonie. Tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’ils subissent une attaque des Tehkohns, un groupe rival qui enlève des Garkohn et des missionnaires, dont Alanna, qui va bientôt faire la connaissance de Diut, le charismatique chef du peuple Tehkohn.

Ce texte, que Butler considérait comme son « roman Star Trek », et dont elle a interdit la republication, n’est pas à rejeter en bloc. Car si on peut lui reprocher d’aborder de façon simpliste la rencontre entre deux peuples, et des liens avec les Patternists si ténus qu’on les oublie, le caractère dépaysant du roman est indéniable. Une réécriture du mythe de l’enfant sauvage à travers le personnage d’Alanna, jeune femme attachante, profondément humaine, qui va tomber amoureuse de son ravisseur aux poils bleus… Un peu de romantisme, voire de sentimentalisme, loin de l’esclavagiste Doro et son peuple de mutants.

Si on replace « Patternist » dans son contexte de publication, et au regard de la carrière d’Octavia E. Butler, on lui reconnaîtra l’intérêt d’installer une femme afro-américaine parmi les auteurs de science-fiction des années 70 et 80, très majoritairement blancs et masculins. Mais l’œuvre aurait certainement gagné en saveur et en pertinence si elle avait été condensée en une simple trilogie.

Bloodchild

« La vérité est que je déteste écrire des nouvelles. » Cette phrase d’Octavia Butler ouvre le recueil Bloodchild. Dans cette même préface, elle se définit comme essentiellement romancière, peu adepte d’une forme courte qui lui « aurait appris plus qu’elle n’aurait voulu savoir sur la frustration et le désespoir ». Le recueil Bloodchild existe néanmoins, composé de cinq nouvelles écrites dans les années 70 et 80, de deux très courts essais, et de deux nouvelles supplémentaires écrites en 2003 et ajoutées dans la réédition de 2005. Existe aussi le recueil Unexpected Stories, publié en 2014, qui contient deux récits posthumes retrouvés par Merrilee Heifetz, l’agente de Butler. Il est temps maintenant d’examiner ces nouvelles de fort bonne qualité, et que Butler n’aimait pas écrire.

« Enfants de sang », un chef d’œuvre primé Nebula, Hugo, Locus et SF Chronicle, inaugure d’une certaine manière la trilogie « Xenogenesis ». Butler y crée une société humaine « captive » d’une autre espèce sur une planète où des humains fuyant leur monde avaient imprudemment débarqué. Parqués dans des réserves, absolument infériorisés, les humains de ce monde – volontairement ou non – ont pourtant développé avec certains des autochtones insectoïdes une relation ambiguë qui interroge les questions de genre et complexifie la dialectique de la haine, du ressentiment et de l’amour qui se développe dans toute relation, fût-elle de domination. Un texte d’une grande subtilité, comme tous ceux de Butler dans ces recueils. Car, quels que soient les thèmes abordés, l’autrice est toujours fine et complexe, jamais manichéenne.

Les nouvelles de Butler, c’est d’abord un vrai world-building qui, en quelques phrases, réussit à rendre évident le décalage entre notre monde et celui qu’elle décrit dans son récit, jusqu’au malaise parfois. C’est vrai dans « Enfants de sang », ça l’est aussi dans « The Evening and the Morning and the Night », lauréate du prix SF Chronicle, où une maladie émergente détruit sans pitié des vies humaines, ou dans « Amnesty », dans laquelle le contact désastreux entre aliens et humains se passe sur Terre à l’issue d’une courte et secrète guerre perdue par l’humanité.

C’est aussi souvent le récit de corps mis à rude épreuve. Non seulement dans les deux non SFFF « Crossover » et la très délicate « Near of Kin », mais encore dans les trois nouvelles citées au-dessus, ou dans « Speech Sounds », lauréate du Hugo, où une maladie inconnue endommage, voire détruit, la capacité de parler, provoquant un effondrement social où la barbarie des gestes remplace la médiation des paroles, « Childfinder », où une génération de télépathes découvre qu’un don peut aussi être une malédiction, et encore « A Necessary Being », texte à la saveur asiatique dans lequel on mutile les héros/ surhumains pour les contraindre à accepter les fonctions de leader qui sont de leur responsabilité afin d’assurer la cohésion de groupes très (trop ?) fortement hiérarchisés.

La notion de responsabilité revient souvent dans les écrits de cette fille d’une mère veuve qui faisait des ménages pour la nourrir. C’est le cas dans pratiquement tous les textes. Et cette prise de responsabilité, qui peut aller jusqu’à la perte de ce qui est le plus précieux pour qui se sacrifie, est le plus souvent le fait de femmes, ces héroïnes de Butler qui lui ressemblent, noires et éduquées. Courageuses aussi, comme sa mère. C’est ce que Butler appelait « writing myself in ».

Les nouvelles de Butler, c’est enfin le récit de contacts intenses entre humains et aliens ou entre humains de nature différente, et elle y déploie une grande subtilité pour montrer que tout individu est complexe, que toute interaction l’est aussi, et qu’il est présomptueux de prétendre classer les uns ou les autres dans des cases morales d’où ils débordent toujours, les anges faisant parfois les bêtes et les bêtes les anges.

Même si certains textes se concluent sur une note optimiste et sur l’idée qu’une communication enfin réussie est la base de l’harmonie, il ressort néanmoins de la lecture des deux recueils un pessimisme global sur la nature humaine et sa capacité à surmonter les conflits ou à se lancer dans une coopération sincère en son sein, au point qu’il apparaît dans « The Book of Martha » que l’amélioration de l’humanité ne pourra se faire qu’à partir des rêves et au prix, encore, d’un sacrifice. Mais c’est un pessimisme collectif, un pessimisme d’espèce, rien n’est jamais prévisible en ce qui concerne les actes individuels. Le meilleur peut toujours advenir quand quelqu’un décide d’aller par-delà les préjugés et de prendre ses responsabilités, si coûteux que ce puisse être.

Un mot de fin sur les deux courts essais. Si « Furor Scribendi » pointe pour les écrivains l’importance du travail et de l’écoute des pairs, « Positive Obsession », plus biographique, développe l’amour des livres et de l’écriture ressentie comme une compulsion par cette grande fille pataude et timide à qui sa tante, voulant son bien, avait dit : « Negroes can’t be writers. » Heureusement, elle avait tort.

Liens de sang

Il est des livres marquants et indispensables… Liens de sang en est un. En 1979, Octavia E. Butler livre un roman intense sur la condition des Noirs et, surtout, des femmes noires à travers une évocation du passé esclavagiste des États-Unis. Kevin et Dana sont deux jeunes amoureux qui s’installent ensemble. Nous sommes dans les années 70 ; Dana est Noire, Kevin est Blanc. Les couples mixtes sont possibles alors, même si les belles-familles respectives trouvent à y redire : racisme encore latent de part et d’autre. Mais soudain, le 9 juin 1976, Dana se sent mal et se trouve transportée devant une rivière en campagne : un enfant se noie. Elle le sauve. Mais les parents, au lieu de la remercier, la frappent et la menacent d’un fusil. Aussitôt, et sans rien comprendre, elle voyage à nouveau pour retrouver son quotidien. À peine le temps de se remettre de ses émotions et d’essayer d’appréhender la situation que cela recommence. Cette fois, le jeune garçon met le feu à des rideaux, risquant à nouveau sa vie. Dana le sauve une fois de plus, mais ne repart pas aussitôt. Elle en profite pour tenter de saisir le fin mot de cette histoire. Et comprend qu’elle a voyagé dans le temps jusqu’en 1815. Sans doute pour venir sauver son ancêtre lointain, Rufus. Un Blanc. La voilà piégée dans un état esclavagiste alors qu’elle est Noire. Le choc est terrible pour Dana, habituée à vivre comme une femme libre et émancipée. Elle est rabaissée à la condition de Noire et de femme. Le coup est d’une violence incroyable.

Choc pour Dana, mais aussi pour le lecteur. Le contraste entre les deux époques, entre les deux conditions, est si fort, si vertigineux, qu’on ne peut qu’être saisi. D’autant qu’Octavia E. Butler fait montre d’une grande intelligence dans la construction de son texte. Les incursions dans le passé se font progressivement plus longues, permettant à son personnage, en même temps qu’à son lecteur, de comprendre les tenants et aboutissants, de voir évoluer les liens réels entre Rufus et Dana malgré toutes les différences ; mais aussi de s’habituer à l’organisation de cette société et aux traitements inhumains imposés aux esclaves. Car c’est une chose de savoir les mauvais traitements, de savoir le fouet, de savoir le viol. C’en est une autre de les vivre. Ici, grâce à la puissance de l’écriture d’Octavia E. Butler, on est Dana, on subit, avec une révolte saine mais vaine, le poids de l’habitude. On comprend comment des centaines de milliers de personnes ont accepté de souffrir ainsi. Combien il était difficile, voire impossible, de faire autre chose, au quotidien, que d’obéir en courbant les épaules et en espérant éviter la colère des maitres imbus d’eux-mêmes et de leur importance.

Liens de sang est un livre indispensable et beau. Face à l’intolérance et au racisme, il ne se veut pas moralisateur ni ne donne de solution miracle. Mais il offre une réponse évidente, qui prend aux tripes et oblige à garder les yeux ouverts.

La série des paraboles

Publiées respectivement en 1993 et 1998, La Parabole du semeur et La Parabole des talents sont les deux premiers tomes d’une série qu’Octavia E. Butler avait imaginée comme une hexalogie. L’autrice se lança dans l’écriture du troisième volume mais, traversant pendant plusieurs années une période anxieuse et dans l’incapacité d’écrire, elle laissa la série inachevée à son décès en 2006. Pour autant, ces deux romans témoignent de sa puissance créative et se sont imposés comme des œuvres majeures au cœur de ses thèmes de prédilection.

Au début des années 2020, la conjonction de trois crises, climatique, politique et sociale, plonge les États-Unis d’Amérique dans le chaos. La misère et la violence qui en découlent se propagent de manière incontrôlée dans les villes et ce qui sera nommé plus tard l’Épidémie gagne l’ensemble du pays. De grandes entreprises privatisent des villes, aliénant financièrement leur population contre la promesse d’une sécurité qui disparait progressivement partout ailleurs. L’exploration spatiale a mené l’humanité sur Mars, mais est abandonnée car trop onéreuse et éloignée des préoccupations légitimes en ces temps de cataclysme. La nation s’effondre, emportant avec elle les derniers lambeaux du grand rêve américain.

La Parabole du semeur est le journal, écrit au jour le jour, de Lauren Olamina. Lauren a quinze ans. Elle est hyperempathe et partage physiquement la douleur d’autrui. Ce qui, pour son entourage, constitue un handicap, lui a permis de se faire une idée précise de la nature humaine. Cet effondrement de la société qui l’entoure, elle l’a anticipé et elle s’y prépare. Son père est enseignant et pasteur baptiste dans la ville de Robledo, bourgade fictive située dans la banlieue de Los Angeles. Il dirige sa famille et la petite communauté, constituée de quelques familles principalement d’origines africaines et hispaniques, qui se protège des pillards, des drogués et des plus pauvres qu’eux derrière le mur qui enferme leur quartier. Mais ni leurs armes ni leur volonté d’entraide ne suffisent et la communauté est attaquée, ses membres assassinés et leurs maisons brûlées. Le massacre jette Lauren et une paire de survivants sur les routes. Ne partageant pas la foi chrétienne de son père, elle a développé une nouvelle croyance, qu’elle nomme la Semence de la Terre, sans dieu personnifié, bon ou mauvais, mais centrée autour du concept de Changement, appelant à façonner le monde tel qu’il doit être. Pour elle, l’humanité doit viser les étoiles. Cette idée va lui permettre de survivre sur les routes, en échappant aux meurtres, aux viols, et aux pillages qui rythment la vie de ceux qui sont soumis à l’errance forcée. Elle va aussi porter son désir utopique de reconstituer une communauté autour de ces nouveaux préceptes en réponse à l’effondrement. En route, Lauren agrège autour d’elle quelques personnes qui constitueront le noyau de la communauté autonome de la Chênaie, qui sera la première expression de la Semence de la Terre.

La Parabole des talents reprend le récit quelques années plus tard, mais donne la parole à Asha, la fille de Lauren et de son mari Taylor Bankole. Par ce changement de perspective, Octavie E. Butler donne à lire un autre récit, critique du premier mais tout aussi sombre et violent. La communauté de la Chênaie a vécu selon les préceptes humanistes de Lauren, basée sur l’entraide et la tolérance, accueillant une population multiethnique, sans regard sur l’orientation sexuelle, l’âge, l’état physique ou les croyances de chacun. Mais la période de chaos a été suivie de l’élection à la présidence des USA d’un chrétien fondamentaliste qui jure de rendre sa grandeur à la nation et dont les milices vont semer, une fois encore, la terreur. La Chênaie est démantelée et transformée en camps de rééducation, les adultes tués ou réduits en esclavage, les enfants séparés de leurs parents pour être envoyés dans de bonnes familles chrétiennes. C’est ainsi qu’Asha, trop jeune, n’a connu ni sa mère ni son père. Désormais âgée d’une trentaine d’années, Asha reprend le récit cruel de la vie de Lauren à travers celui de sa propre existence, des extraits des journaux de son père et de sa mère. Malgré – ou grâce à – ses quelques longueurs, ce second roman fournit un nouvel éclairage et offre un contexte plus élaboré que le premier, en explicitant la situation géopolitique du pays et du monde dans cet avenir proche et terriblement prophétique. Lauren subira à nouveau la violence, les sévices, l’esclavage, puis une nouvelle errance durant laquelle elle recrute et rebâtit infatigablement la Semence de la Terre. Asha ne pardonnera pas à sa mère d’avoir consacré sa vie à ce culte tourné vers un destin inaccessible, et lorsqu’elle la rencontre enfin, les deux femmes ne se comprennent pas.

Violente, cruelle, et engagée, la série des paraboles propose une critique acerbe de la société américaine et explore les thèmes communs aux romans d’Octavia E. Butler : l’effondrement de la société, l’asservissement et la négation de la personne, l’échec de la structure patriarcale et de la famille conventionnelle, la dogmatisme religieux et politique, mais aussi la recherche d’une utopie qui place au centre du récit un héros d’ascendance africaine, des communautés multiethniques, la diversité et le féminisme. Les deux romans forment une très marquante saga familiale et humaniste au cœur de laquelle se trouve une quête de sens et de spiritualité comme moyen de survie dans la grande Histoire dont les soubresauts erratiques n’en finissent pas de briser les individus et les peuples.

Novice

Ayant pour thème le métissage, Novice adopte une construction elle-même hybride combinant des régimes narratifs les plus divers…

Le roman s’ouvre par des pages à l’horreur malaisante. On y découvre la narratrice (et protagoniste) blessée et amnésique. Elle gît dans une caverne sylvestre où elle tue puis dévore une créature s’étant aventurée dans son refuge. Miraculeusement guérie par son accès de férocité prédatrice, la narratrice quitte sa cache. Elle déniche les ruines d’un hameau, théâtre d’une violence énigmatique. Ayant rejoint une route, elle y attire l’attention d’un automobiliste. Rencontrant pour la première fois un regard humain depuis son retour à la pleine conscience, elle s’entend dire par Wright, le conducteur, qu’elle est une fillette afro-américaine d’une dizaine d’années. Déjà singulière, la narratrice le devient alors encore plus, en se mettant à boire le sang de Wright après l’avoir blessé. Ayant ainsi révélé la nature vampirique de l’enfant sauvage, Novice teinte bientôt son épouvante déjà perturbante d’un érotisme pareillement dérangeant. Tirant d’abord une véritable jouissance de la consommation de son sang par la fillette, l’adulte qu’est Wright aura bientôt avec elle un rapport sexuel apparemment pédophile… jusqu’à ce que l’on apprenne que l’infantile héroïne de Novice a en réalité cinquante-trois ans ! Se muant en enquête menée par la femme-enfant et son compagnon, le roman nous dévoile que Shori (tel est son prénom) appartient aux Inas, qui constituent une branche spécifique du genre humain. Semblables à nous autres Homo sapiens, les Inas s’en distinguent par une mutation génétique faisant d’eux (entre autres singularités) des buveurs de sang, si possible humain…

En réinterprétant ainsi le motif vampirique, Novice évoque Les Fils des ténèbres de Dan Simmons (cf. Bifrost n° 101), imaginant lui aussi une origine science-fictionnelle aux « nosferatus ». Mais alors que Dan Simmons campait classiquement le « non-mort » en monstre destructeur, Octavia E. Butler voit dans le vampirisme génétique des Inas un phénomène salvateur et libérateur. Rejoignant en cela Laisse-moi entrer de John Ajvide Lindqvist, Novice fait de ses vampires des êtres bénéfiques pour les humains choisissant de s’associer à eux. Développant avec ceux-ci une relation symbiotique, les Inas (eux-mêmes appelés à vivre des siècles) leur offrent une exceptionnelle longévité. Ils leur permettent en outre d’intégrer une société parallèle à celle de la classique humanité, matriarcale et libertaire, et décrite avec une précision transformant alors Novice en traité ethnologique. Déjà autrement plus avancé que le monde patriarcal de l’Homo sapiens (du moins d’un point de vue progressiste), celui des Inas est sur le point de franchir un nouveau cap émancipateur. Et ce grâce à Shori, qui constitue la première métisse Ina/ Homo sapiens, incarnant ainsi la promesse d’une nouvelle ère dans l’histoire commune aux deux espèces.

Tous les Inas n’apprécient cependant pas cette évolution, les plus conservateurs d’entre eux étant à l’origine des violences ayant frappé Shori et ses proches. Cet affrontement déchirant les Inas trouvera sa résolution avec un procès, amenant in fine Novice du côté du roman judiciaire. Ce n’est pas la partie la plus exaltante d’un récit procurant un plaisir de lecture d’intensité variable. Plus ou moins convaincant selon les genres adoptés, il séduit avant tout par sa réappropriation spéculative de la figure vampirique. Intellectuellement stimulant, Novice s’avère narrativement plus frustrant, peinant à maintenir l’intrigante tension des chapitres inauguraux…

Xenogenesis

La trilogie « Xenogenesis », rebaptisée « Lilith’s Brood » dans ses rééditions les plus récentes, raconte la mort et la renaissance de l’humanité. Sa mort est causée par une guerre nucléaire qui va anéantir la quasi-totalité de sa population. Sa renaissance, elle la doit à une race alien, les Oankali, qui recueille ses derniers survivants. Lilith est l’une d’entre eux, et il lui faudra un certain temps avant de comprendre ce qui lui est arrivé et ce à quoi elle fait face. Dans ses premiers chapitres, L’Aube a des airs d’histoire d’enlèvement extraterrestre. Lilith se réveille dans un lieu clos, sans souvenirs de ce qui lui est arrivé. Les contacts avec ses ravisseurs vont se faire peu à peu, et passer par de multiples phases de déni et de révolte avant que Lilith ne soit en mesure d’accepter sa situation. Laquelle ne se départit jamais tout à fait d’une certaine ambiguïté. Elle n’est pas la captive des Oankali, mais elle n’est pas entièrement libre de ses mouvements pour autant. De même, les aliens l’ont sauvée, y compris en la soignant d’un cancer naissant, mais leur aide a un prix, tout comme elle en aura un pour l’ensemble de l’humanité. Car si les Oankali lui offrent bien une seconde chance, ce sera à leurs conditions, non négociables, la première d’entre elles étant que les deux espèces s’unissent pour donner naissance à une nouvelle race chargée de repeupler le monde.

Les extraterrestres qu’imagine Octavia E. Butler nous apparaissent à la fois omnipotents et ambivalents. Leur capacité à faire revivre une Terre moribonde ne fait très vite aucun doute, de même que leur maîtrise de la génétique, mais qu’en est-il dans ces conditions de l’avenir de l’humanité telle que nous l’entendons ? Leur projet semble d’autant plus radical et brutal qu’il ne souffre aucun compromis. Tout comme le lecteur, Lilith ne parvient jamais tout à fait à décider si elle doit envisager les Oankali comme les sauveurs ou les fossoyeurs de l’Humain. Situation d’autant plus délicate qu’elle se voit bientôt chargée de réveiller les autres survivants et de les convaincre d’assister les aliens dans leur dessein.

L’Aube est un roman assez lent, qui prend son temps pour poser ses enjeux et pour mettre en scène une société extraterrestre complexe, totalement étrangère par bien des aspects. Une altérité qui, pour Lilith, est source à la fois d’attraction et de répulsion, y compris du point de vue sexuel, élément crucial du programme des Oankali. Le roman se présente comme une promesse de changement, mais jusqu’au bout se refuse à qualifier de manière définitive le changement en question.

Dans Adulthood Rites, on découvre la première génération d’enfants nés de l’union des deux espèces. Des individus très différents les uns des autres, tirant leurs traits génétiques davantage de leurs deux parents humains pour les uns, de leurs trois parents oankali pour les autres. Akin, le dernier-né de Lilith, présente dès son plus jeune âge des capacités cognitives extraordinaires, lui permettant de prononcer ses premières phrases à deux mois. C’est à travers son regard naïf mais curieux que l’on découvre la nouvelle civilisation que bâtissent ensemble Humains et Oankali, puis, lorsqu’il est capturé par des pillards, qu’on rencontre ceux qui refusent de s’unir aux extraterrestres et n’aspirent qu’à retrouver le monde tel qu’il était autrefois. Un espoir sans aucun avenir, les Oankali ayant modifié leur génome afin qu’ils ne puissent plus se reproduire entre eux.

On passe la majeure partie du roman en compagnie de ces nostalgiques d’un temps disparu, qui refusent le changement et de se mêler à des êtres différents d’eux, quitte à se priver de tous les bienfaits qui leur sont offerts et à vivre dans des conditions déplorables. On retrouve là un thème au cœur de toute l’œuvre d’Octavia E. Butler. Malgré tout, la romancière ne porte jamais un regard accusateur sur ces personnages, donnant à voir leur point de vue sur le monde avec le plus de sincérité et de justesse possibles. Elle identifie chez eux moins de la haine de ces étrangers que de la peur, peur du changement, de l’inconnu, d’une remise en question trop radicale. L’arrivée d’Akin dans cet univers sclérosé va néanmoins faire bouger les choses, mettant chacun face à ses contradictions. Akin lui-même sortira transformé de cette confrontation, allant jusqu’à s’opposer à ses aînés pour défendre certaines revendications humaines. En adoptant son point de vue, Adulthood Rites apparaît paradoxalement comme une déclaration d’amour à l’humanité, dans toutes ses imperfections, ses tares et ses échecs.

Imago conclut la trilogie quelques décennies plus tard en donnant la parole à un autre des enfants de Lilith, Jodahs. On le découvre alors qu’il se prépare à sa métamorphose, une transformation physique marquant son passage de l’enfance à l’âge adulte, et au terme de laquelle apparaîtront ses attributs sexuels. Or, contre toute attente, Jodahs ne devient ni mâle ni femelle, mais ooloi, ce troisième sexe spécifique aux Oankali. Un phénomène qu’on pensait impossible et qui va bouleverser tous les plans à long terme des aliens pour la Terre et ses habitants.

Comme dans le roman précédent, Octavia E. Butler poursuit ici sa réflexion sur les notions de changement, de transformation, à la fois dans la sphère sociale et dans celle de l’intime. Et cette fois, c’est en premier lieu aux Oankali de s’adapter à cette nouvelle donne. Par ses capacités inédites, Jodahs incarne ce changement, chaotique par nature, qu’il lui faut apprendre à maîtriser. Et pour cela, il a un besoin absolu, vital, de s’unir à d’autres que lui, en l’occurrence un couple d’humains, frère et sœur. Va se développer entre eux une dépendance réciproque, un lien physique indéfectible. La métaphore est évidente, le fait que la romancière utilise les outils de la science-fiction pour la mettre en scène ajoute encore à sa puissance d’évocation et achève de faire de « Xenogenesis » une œuvre importante de la SF contemporaine.

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“Rossignol” : l'avis d'Apophis

« Le constat est limpide : non seulement Rossignol est le chef-d’œuvre d’Audrey Pleynet, non seulement c’est un court roman éblouissant de subtilité, d’intelligence, d’humanisme et d’émotion, mais qui plus est, chassant Ken Liu d’un trône qu’il occupait depuis les origines de la collection Une heure-lumière, il s’impose désormais tout simplement comme le meilleur livre parmi les 45 UHL publiés à ce jour. » Le Culte d'Apophis

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