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Elyseum

Sur Devanta, Blaine Donne, un ex-membre des services spéciaux tentant d'assurer l'ordre à travers la Galaxie humaine, désormais enquêteur privé le jour et devenant la nuit l'Ombre, défenseur de la veuve et de l'orphelin, se voit confier dans le même temps trois missions très différentes mais qui toutes renvoient à la même affaire. La première demande d'établir le lien entre l'entreprise Eloi, société de jeux et de divertissements dirigée par deux frères plutôt mafieux, Judeon Maraniss, un physicien sur la touche, et Elyseum, un nom qui ne dit rien à personne. Par ailleurs, Donne doit réaliser une enquête de moralité sur le Dr Dyorr, médecin en vue de l'Institut Multitechnique spécialisé dans la plasticité de la conscience, dont la liaison avec la future héritière d'une grande fortune n'est peut-être pas désintéressée. Enfin, on lui demande de retrouver une certaine Maureen Gonne, ex Stella Strong, afin qu'elle puisse hériter d'une fortune. Et puis, comme si ça ne suffisait pas, il accepte d'aider, de façon plus ou moins bénévole, Lemmy, un inventeur inspiré mais désargenté qui s'échine à prouver qu'Eloi Entreprise lui a piraté un brevet touchant à la physique quantique. Et à nouveau, il est question d'Elyseum… Dès le début, des accidents trop rapprochés et surtout trop extraordinaires pour ne pas être des attentats lui permettent de comprendre qu'une ou plusieurs de ses enquêtes gênent du monde… et le rendent suspect auprès des autorités. À Thurene, la capitale de Devanta, les Civitas Sores ne rigolent pas avec le respect des lois.

Heureusement, Krij, la sœur de Blaine, redoutable femme d'affaires, en tant qu'auditrice pour des sociétés et de riches particuliers, est suffisamment au courant de la vie de la cité pour l'aider dans son enquête, notamment par l'entremise d'une de ses assistantes, Siendra, afin de débrouiller cet écheveau qui dépasse largement le cadre planétaire et semble mettre en péril l'univers entier. Il est d'ailleurs conseillé de ne pas lire le résumé au dos du livre, qui donne la solution avant l'heure, au risque de gâcher son plaisir de lecture en voyant quels artifices l'auteur met en œuvre pour retarder la révélation, multipliant les personnages et les intrigues secondaires dans le but d'étoffer une trame somme toute banale, détours qui lui permettent cependant de camper sa société huppée et son élite raffinée.

Par bien des aspects, la Galaxie humaine a des allures de Far West interstellaire, Blaine rappelle Philip Marlowe et les personnages de cette enquête policière qui fleure bon les années 40, des figures à la Vance ou Hamilton. Bref, il s'agit là d'un space opera à l'ancienne réactualisé avec une technologie contemporaine, de l'informatique omniprésente au biologique en passant par des applications issues de la mécanique quantique. Plutôt que de gommer ces poncifs, Modesitt les exhibe et en joue en accumulant les allusions littéraires, Hypérion devenant par exemple un livret d'opéra, et le narrateur, dissimulé derrière des statues dans un parc, remarquant qu'il n'était pas tout à fait minuit dans le « jardin du Bien et du Mal »… L'ensemble se lit sans déplaisir, l'intrigue se déroulant de façon alerte et vivante, mais on ne peut s'empêcher de penser que le roman manquerait singulièrement d'originalité si ces clins d'œil très référencés ne lui sauvaient pas la mise en plaçant d'emblée le roman au rang des distractions à lire au second degré. Quoiqu'il en soit, voici un bien curieux choix éditorial pour la très vénérable collection « Ailleurs & demain », collection qui, rappelons-le, s'apprête à célébrer ses quarante ans.

La Dame des MacEnnen

Lors de la révolte de Lucifer contre Dieu, des anges eurent le tort de choisir la neutralité et furent châtiés en étant exilés sur Terre sous forme d'esprits attachés à des terres, des eaux, des arbres et des forêts. C'est ainsi qu'Enneline devient, en Ecosse, la Dame du Lac, et la forêt de Dolham son domaine. Témoin des batailles épiques qui opposèrent les hommes dans les temps reculés, elle s'attache au clan MacEnnen, annonçant la mort de ses chefs par un chant qui vante leurs exploits…

Au XVe siècle, la Guerre des Deux-Roses oppose la maison des York, symbolisée par une rose blanche, à la maison des Lancastre, dont la rose est rouge. Lié à cette dernière, le clan MacEnnen subit de lourdes pertes à la bataille de Bannockburn, et serait pratiquement décimé, suite aux erreurs tactiques de la bataille de Towton, si Ingram MacEnnen, successeur d'Ewan, n'avait fait montre d'un courage et d'une ténacité extraordinaires. Déjà sensible à son charme, Enneline, qui n'a pas su se décider lors de la guerre céleste, est encore plus séduite par le fait que le chef du clan ait maintenu son choix jusqu'au bout, malgré les conséquences sur l'ensemble de la communauté. Elle tombe amoureuse de ce héros de légende qu'elle est bien décidée à aider et se révèle à lui. Voici l'histoire d'un ange et d'un humain, si tant est qu'ils peuvent s'aimer.

Dans ce court récit, Armand Cabasson se montre si concis que son récit ressemble davantage à un synopsis détaillé qu'à un roman, les chapitres, très courts, narrant sans fioritures les débuts de la civilisation en Ecosse, le clan MacEnnen et l'instauration progressive des rites en hommage à la Dame du Lac. À la lecture de ce séduisant et très documenté récit, on aurait aimé davantage de chair autour des personnages et des intrigues, des détails plus fouillés, des dialogues plus étoffés. On se sent d'autant plus frustré que les scènes de bataille paraissent si épiques qu'on aimerait les découvrir sous forme de fresques. Progressivement, cependant, l'histoire s'installe, les thèmes du récit, autour de l'engagement et du choix, de la liberté et de l'enfermement, s'agrègent et prennent leur envol. L'histoire n'est que le prétexte d'une réflexion que Cabasson mène à son terme avec une simplicité lumineuse qui fait tout le charme de ce court roman. À découvrir.

La Bibliothèque Nomédienne

Qui n'a jamais rêvé, devant une carte du monde ou un globe terrestre, face à l'immense étendue d'eau entre l'Asie et l'Amérique du Sud, suffisamment vaste pour contenir un territoire grand comme l'Australie, et au vide d'autant plus suspect que même les chapelets d'îles polynésiennes s'interrompent à cet endroit ? La logique et le bon sens voudraient que se trouve ici un continent. Et c'est précisément à la « reconstitution » de celui-ci que se sont attelés Alfred Boudry et les Gaillards d'avant, à savoir Poppy Burton, Graham Chadwick, Alain Guyard, Grégoire Hervier, Edwin Hill et Marc Vassart, qui imaginent, dans un avenir proche, qu'un crash informatique planétaire ayant duré deux ans a effacé la totalité des informations stockées sur le réseau, de sorte que celles relatives à la Nomédie ont disparu. Recensant les traces écrites encore disponibles, les chercheurs de la Nomédie ont réussi à exhumer vingt-quatre documents et une annexe qui évoquent ce continent non pas oublié, mais égaré.

La plupart consistent en des témoignages longtemps ignorés, souvent indirects, parfois altérés ou tronqués, qui circonscrivent le sujet plutôt que de l'aborder de plain-pied. Qu'y trouve-t-on ? Des articles, comme celui, fondateur, analysant des passages du journal de La Pérouse et d'autres navigateurs d'antan, des récits d'aventuriers partis à sa recherche ou des témoignages de seconde main racontant l'étrange folie de voyageurs cherchant à y retourner. Des nouvelles et même un court roman, Le Nombril du monde, racontent des expéditions effectuées à diverses époques, ou l'étrange entretien qu'a Dumont d'Urville dans un train, avec un mystérieux personnage qui lui rappelle dans quelles épiques circonstances il ramena la Victoire de Samothrace et… ce qu'il advint des bras ! Le récit de la rencontre d'un neurologue avec une artiste autiste, Vrilya Hrönir, dont les compositions modernes ne sont pas sans danger pour l'esprit, ressortit davantage à la science-fiction, alors que la nouvelle montrant des spécialistes de diverses disciplines invités à une soirée dans un manoir pour parler d'un sujet dont ils ignorent tout, par son atmosphère pesante, est plus proche des ambiances fantastiques. Ici, on glose sur la maladie du nomédiaque, paranoïa qui pousse les chercheurs obsédés par la quête de la Nomédie à inventer une réalité différente, là on analyse les subtilités des langues nomédiennes et la philosophie qui les sous-tend, ailleurs ce sont la crypto-ethnologie, autour du Rêve de Bachelard et de la cosmogonie des aborigènes d'Australie, et le principe d'incertitude qui sont invoqués pour donner, couche après couche, toujours plus de réalité à ce continent.

Il ne convient pas de donner ici une image trop précise de la Nomédie telle qu'elle se révèle au lecteur. Tout au plus peut-on affirmer que ce continent a tendance à apparaître et disparaître au gré des époques, selon des mécanismes qui permettent de glisser dans un écrit un schéma emprunté à l'astrophysicien Jean-Pierrre Luminet. Le contour de ses côtes risque également de réserver quelques surprises. Ses habitants, aux mœurs parfois difficilement compréhensibles, mais qui rappellent à bien des égards ceux des Polynésiens, auraient également des pouvoirs proches de la téléportation, de la télépathie ou du contrôle mental sur autrui. S'ils tiennent à vivre à l'écart du reste du monde, trop matérialiste, ils auraient pourtant eu des contacts avec les grands esprits de chaque époque, et il ne faut pas chercher plus loin l'origine de quelque chef-d'œuvre de l'art…

Ce qui flatte surtout l'esprit, c'est l'impressionnante érudition et les incessantes références qui donnent à l'ensemble la patine de la réalité. L'ombre du Borgès de « Tlon üüqbar Orbis Tertius » plane sur cet imposant ouvrage ; une citation de l'auteur de Fictions ouvre d'ailleurs cette anthologie. L'ensemble des textes se lit comme une passionnante enquête qu'on déchiffre patiemment, à mi-chemin entre le polar et le récit d'exploration et de voyage, mais tous les autres parfums de la littérature sont également présents. Bien entendu, cette aventure en tous points exceptionnelle ne sera jamais un best-seller, car s'adressant avant tout aux esprits cultivés et brassant un grand nombre de domaines et de disciplines. Ceux qui s'attendent à lire l'exploration d'un continent perdu identique à celui de Conan Doyle passeront à côté d'un chef-d'œuvre, même si quelques nouvelles proches de leurs attentes les satisferont malgré tout.

Une telle entreprise n'aurait pas été possible sans un courageux capitaine, Alfred Boudry, auteur de quinze textes, et un fidèle lieutenant, Marc Vassart, qui en signe quatre, d'ailleurs aisément identifiables par les thèmes qu'il traite et les lieux de l'intrigue, qui rappellent ses autres romans. Mais le capitaine tient à préciser dans une postface qu'il ne maintient aucun cap mais cherche un ailleurs, un là-bas où rêver en paix, « un lieu où nul ne détiendra la vérité et où la seule richesse sera l'imagination ». Cette générosité n'est pas que de convenance puisque tout le monde peut y participer, en se rendant sur , où se trouvent des inédits et où il est possible, en suivant les très simples règles de base, d'apporter sa contribution pour un éventuel deuxième tome. On ne saurait rêver plus belle expédition littéraire que celle où le lecteur peut embarquer.

Fiction T8

Numéro quasiment sans nouvelle francophone, ce huitième Fiction des Moutons Électriques repose donc sur des traductions, ce qui il faut bien le reconnaître n'a jamais été le fort de cette anthologie périodique qui ne rémunère pas ses traducteurs et fait donc appel aux apprentis-traducteurs et aux bonnes volontés.

Pour ce qui est des nouvelles qui occupent la majeure partie du sommaire, il y a comme de juste à boire et à manger. Les textes courts sont pour la plupart anecdotiques. Parmi les longs, on notera tout particulièrement : « Cordes » de Kathleen Ann Goonan, une histoire chargée d'émotion qui tourne autour de la pelote de ficelle d'un cerf-volant et d'un couple élevant une petite-fille très malade ; « Le Whiskey nocturne » de Jeffrey Ford, étonnante plongée dans un trou paumé d'Amérique où les gens s'enivrent avec un alcool qui les fait décoller (au sens propre) ; « Le Tétraèdre » de Vandana Singh dans lequel apparaît un étrange objet à New Dehli, objet sans doute extraterrestre qui va faire dévier la vie jusque là toute tracée de la jeune Maya ; « Urdumheim » de Michael Swanwick où se mélangent la mythologie sumérienne et l'ancien testament et qui se rattache à son roman The Dragons of Babel.

Les très bonnes nouvelles ce n'est vraiment pas ça qui manquent dans ce numéro de Fiction et si j'ai oublié de citer les textes de Paolo Bacigalupi et Elizabeth Hand c'est parce que je les ai avais déjà lus en anglais et que je ne suis pas arrivé au bout de leur traduction française (maladroite, manquant d'assurance, douteuse, pour le Bacigalupi ; plate, percluse de fautes de français pour la Hand, où l'on trouve aussi des mots barrés, sans doute un suivi de corrections déficient). Ce n'est pas tout « d'acheter » des bons textes — « Dernier été à mars Hill » d'Elizabeth Hand est un petit chef d'œuvre —, il faut aussi les proposer au public dans de bonnes conditions. Et là, on en est loin. Tout comme Galaxies NS, Fiction (deux fois plus gros, mais ne paraissant que tous les six mois) a terriblement besoin d'un bon correcteur, voire d'une équipe de correcteurs chevronnés (sans parler des traducteurs !).

Ce Fiction contient aussi de nombreux dessins (Béatrice Tillier, Hans Georg Rauch, J.-J. Granville, J. Allen T. John) et plusieurs articles… Si « Féerie en exil » d'André-François Ruaud donne vraiment envie de lire The Dragons of Babel de Michael Swanwick, les articles de Serge-André Matthieu et Raphaël Colson ne présentent guère d'intérêt, voire aucun : le premier enfile les lectures d'un semestre comme d'autres des perles ; le second, pontifiant et bâti sur des sables mouvants, se penche sur le succès commercial de La Route de Cormac McCarthy (faire treize pages sur un auteur qu'on ne connaît pas bien et mettre en place une réflexion sur le marché de la science-fiction d'aujourd'hui en oubliant totalement la crise de créativité que traverse le genre depuis quinze ans environ, fallait oser !).

En conclusion, si les fautes d'orthographe et de grammaire vous gênent, si les erreurs de mise en page vous horripilent, si les traductions douteuses vos essorent la tripaille, passez votre chemin ; si par contre vous ne faites guère attention à toutes ces petites choses sans importance, vous trouverez forcément votre bonheur dans ce huitième Fiction, à la couverture fort élégante.

L'Alliance des Trois

La carrière de Maxime Chattam a commencé en 2003 avec Le Cinquième règne (Prix du roman fantastic'arts du festival de Gérardmer). L'auteur a ensuite enchaîné chez Michel Lafon — La Trilogie du mal (L'âme du mal, In Ténébris, Maléfices), de la littérature de gare correcte (même si ridicule par endroits) —, puis il s'est mis au « thriller à la française » chez Albin Michel : Le Sang du temps, Les arcanes du Chaos… Des livres de plus en plus torchés/mauvais, il faut bien le reconnaître.

Avec un opportunisme que l'on pourrait juger émétique (mais pour ça, il faudrait avoir mauvais fond), Maxime Chattam quitte les plates-bandes de Jean-Christophe Grangé pour se lancer dans la fantasy avec Autre-monde (prévu en trois volumes d'abord, en sept au final, un peu comme La Tour Sombre de Stephen King).

L'histoire…

Après une tempête qui transforme les humains en mutants répugnants (ou les fait disparaître), deux garçons américains, Matt et Tobias, fuient le décor carton-pâte de leur enfance (le New York selon Maxime Chattam) pour une île où vivent soixante-quinze enfants de neuf à dix-sept ans qui se sont surnommés les Pans et se sont organisés pour survivre, car ils ne manquent pas d'ennemis… Là, les deux garçons vont faire la connaissance d'Ambre et, grâce à leurs supers pouvoirs, l'alliance des trois va pouvoir vivre une super grande aventure. Yeah !

La première chose que l'on puisse dire de ce volume d'ouverture, c'est qu'il ne contient pas l'ombre d'un murmure d'un soupçon de style (c'est bien simple, je crois sans mentir qu'Henri Lœvenbruck et même Alexis Aubenque écrivent mieux) ; si on enlève le remplissage (dialogues qui ne servent à rien, descriptions qui ne montrent rien, péripéties qui figent l'intrigue, phrases qui ne veulent rien dire), il doit rester environ 13% du texte total (qui, comme il se doit, ne valent pas une page de Sa Majesté des mouches de William Golding). Sans style approprié, un livre de genre ne tient pas, parce qu'on n'y croit jamais ; voilà exactement ce qui se passe à la lecture de ce volume (inter)minable, semé de phrases qui ne veulent rien dire en français (ni dans toute autre langue, d'ailleurs). On n'y croit jamais, donc, mais on rigole beaucoup, même si c'est rarement avec l'auteur — à part peut-être la scène du meurtre du caniche. On remerciera d'ailleurs l'éditeur qui, en laissant cinq centimètres de blanc au-dessus du texte, nous permet de faire des petits dessins, des commentaires, des morpions.

Sur le plan du fond (qui demande autant, si ce n'est davantage, de coffre que le style), Autre-monde est une décharge culturelle traversée par un répugnant torrent de niaiseries (c'est bien simple, on dirait du Roland Emmerich en moins bien foutu, alors que les effets spéciaux sont gratuits en littérature) ; on peut difficilement comprendre comment un auteur qui vend, qui a de l'argent, donc du temps, s'attaque aux thématiques passionnantes de Peter Pan et des X-men sans y avoir réfléchi ne serait-ce que quinze minutes sous la douche. Bien écrire sur les enfants demande un sacré talent ; Serge Lehman l'a prouvé avec « L'Inversion de Polyphème » (in Le Livre des ombres), suivant la voie ouverte par d'augustes prédécesseurs tels que John Wyndham (Le Village des damnés/Les Coucous de Midwich), Chocky), Jules Verne (Deux ans de vacances), William Golding (Sa Majesté des mouches, déjà cité) ou l'incontournable Stephen King. Maxime Rastignac Chattam a probablement du talent, mais pas celui-là.

Le marketing à outrance dont a bénéficié un tel navet (film promotionnel, publicités pleine page, site dédié, etc.) pose une fois encore la question de la critique littéraire en France (question qui me taraude chaque fois que les médias se penchent sur un livre de Bernard Werber, en disent du bien et oublient de noter que c'est écrit avec l'élégance de l'étron au fond de la cuvette et que, sur le simple plan de l'idée, c'est d'un vide abyssal). À ma connaissance, aucun journaliste encarté ne s'est donné la peine de pondre un papier pour dénoncer ce crime contre la littérature populaire qu'est « Autre-monde ». Par conséquent, la critique française « établie » laisse insidieusement planer l'idée que dans notre société, le marketing a plus d'importance que la valeur littéraire, et que la pertinence d'un produit culturel peut aussi se calculer à l'aune de la richesse qu'il crée. Que le marketing attaque à la base la nécessaire hiérarchisation des auteurs est inévitable (c'est son but réel !) ; que les critiques littéraires se rendent complices du phénomène ne l'est pas, c'est même criminel !

Livre que personne ne s'est donné la peine de diriger chez Albin Michel (car le succès commercial pèse là-bas infiniment plus que la valeur littéraire, semble-t-il), Autre-monde est le zéro absolu de la littérature de genre, une grosse tranche de rien, une bulle de vide nauséabond à destination des adolescents qui évoque les inénarrables navets de Bernard Werber et les davinciconneries d'Henri Lœvenbruck.

Si on devait définir cette anti-littérature en une seule formule, je dirais que c'est une saga de Stephen King rédigée par Oui-Oui.

Fuyez, pauvres fous ! hurle le fantôme de Tolkien. Comme il convient de fuir devant une coulée de blob. Et surtout, ne donnez pas ça à lire à vos gamins !

(Il existe un Autremonde signé Tad Williams qui, lui, relève pour le moins de la littérature populaire de qualité. On ne peut que vous conseiller celui-là).

J.G. Ballard - Nouvelles complètes 1956 / 1962

Né en 1930 à Shanghai, publié dès 1956, longtemps frère d'armes de Michael Moorcock au sein de la mythique New Worlds, à ce titre chef de file involontaire de la New Wave britannique des années soixante et soixante-dix, auteur d'innombrables chefs-d'œuvre qu'il serait vain d'énumérer même si la tentation est grande de citer sa série des Quatre apocalypses (rééditée dans de nouvelles traductions signées Michel Pagel chez Denoël, collection « Lunes d'encre » — voir ci-dessous) ou le recueil-puzzle Vermilion Sands… toujours en activité, désormais reconnu comme un des plus grands écrivains vivants d'outre-Manche tous genres confondus, voire le plus grand, porté à l'écran par Steven Spielberg et David Cronenberg, James Graham Ballard est devenu au fil du temps un auteur culte et demeure, à près de quatre-vingts ans, un des ultimes monstres sacrés et une des étoiles les plus brillantes dans le ciel de la science-fiction de ces dernières décennies.

Poids lourd des lettres, le droit lui avait été accordé au début des années 2000 — privilège rare — de faire paraître chez lui, sur ses terres, une étourdissante intégrale de ses nouvelles. Le regretté Jacques Chambon, alors responsable de la collection « Imagine » chez Flammarion, avait eu l'intention de la faire traduire chez nous, après s'être occupé dans cette même collection et chez Denoël d'autres intégrales (parfois « raisonnées », comme il aimait à le préciser) d'auteurs tels que Philip K. Dick, Richard Matheson ou Robert Silverberg. Son projet était alors de publier l'ensemble en plusieurs volumes en sortant de façon autonome le cycle de Vermilion Sands qu'il ne souhaitait pas « éclater ». Malheureusement pour nous (et pour lui, il va sans dire…), il nous quitta en 2003, emportant avec lui ses nombreux projets et personne dans le paysage éditorial français, pas même du côté des éditeurs habituels de Ballard, n'eut le courage de reprendre à son compte le projet, ce qui en dit long sur l'état de déliquescence de l'édition française de science-fiction. Il a donc fallu quelques années encore se contenter des recueils disponibles, et encore souvent sur le marché de l'occasion, publiés chez Denoël, J'ai Lu, Marabout, Pocket et j'en oublie peut-être. Sans parler des quelques nouvelles qui n'avaient jamais été recueillies (ainsi, notamment, la très belle « Du fond des âges », jadis publiée chez Casterman par le regretté Alain Dorémieux), voire traduites, telle la classique et néanmoins très réussie « The last world of Mr Goddard ».

C'est donc avec un soulagement certain et un plaisir non dissimulé que nous apprenions en 2006-2007 que les éditions Tristram, qui avaient entre temps inscrit à leur catalogue la réédition augmentée et définitive de La Foire aux atrocités (2003) et la traduction du recueil d'essais A User's Guide to the Millennium sous le titre de Millénaire mode d'emploi (2006), jetaient leur dévolu sur l'intégrale des nouvelles qui serait publiée en trois volumes, dans des traductions revues et harmonisées, parfois même nouvelles, sous la direction de Bernard Sigaud, traducteur émérite et spécialiste de Ballard.

Paru il y a quelques semaines, le premier volet de cette somme, lourd de ses sept cents pages, rassemble des textes publiés entre 1956 et 1962. Les nouvelles de jeunesse, dirons-nous. Mais quelles nouvelles de jeunesse ! Quel auteur chevronné n'aimerait pas, en effet, avoir accouché de « Numéro 5, Les Etoiles » ou du « Jardin du temps » ? !

Jugez-en plutôt avec le paragraphe introductif de la première, située à Vermilion Sands, station balnéaire coincée entre mer et sable, constituée de maisons psychotropiques, peuplée d'artistes et de marginaux, survolée de bancs de raies des sables, où la poésie n'est plus l'œuvre des poètes mais de verséthiseurs — splendide néologisme —, ce qui fait dire à Ballard de ses personnages — ses confrères de l'époque, qui sait ? — « Ce ne sont pas des poètes, mais de simples mécaniciens. (…) Rien que des volts et des ampères. » : « Tous les soirs de l'été à Vermilion Sands, les poèmes insensés de ma belle voisine traversaient le désert depuis l'atelier du n°5, Les étoiles, jusqu'à ma villa, écheveaux brisés de rubans colorés qui se dénouaient dans le sable comme les fils d'une toile d'araignée mise en pièces. Toute la nuit, ils voletaient autour des piliers sous la terrasse, s'entrelaçaient à la grille du balcon et, au matin, avant que je les balaie, il s'en trouvait déjà d'accrochés à la façade sud de la villa comme une bougainvillée d'un éclatant rouge cerise. » De la poésie à l'état pur, du talent à revendre, du génie parfois… et une bonne claque à la (re)lecture, incontestablement.

Et que dire des fleurs de la seconde qui, cueillies, permettent au comte Axel et son épouse, assiégés en leur villa, de tenir à distance leurs assaillants en faisant hoqueter le temps, avant que de s'immobiliser à jamais ?

Et qu'ajouter encore au sujet du châtiment infligé au Maxted de « La Plage 12 », noyé dans le son amplifié d'un baiser échangé avec sa maîtresse ?

Evidemment, on croisera ici ou là, comme dans toute intégrale, quelques textes plus dispensables, moins personnels, écrits sur commande peut-être et parfois sous influence. Des nouvelles qui s'apparentent à de petites mécaniques de précision, qui fonctionnent certes, parfois très bien, mais qui auraient pu être écrites par d'autres que lui, il n'en produira plus par la suite. On rangera dans cette catégorie « échappement », « Trois, deux, un, zéro ! » ou « Régression ». Cependant, pour l'essentiel, c'est l'originalité qui domine.

Nous avons affaire, dans ces vingt-huit nouvelles, à un auteur qui se cherche mais se trouve déjà très bien, en posant les fondations d'une œuvre froide, cérébrale, conceptuelle, qui devient parfois aride suite au décès de son épouse, au cœur des années soixante — ne déclarait-il pas il y a peu dans l'émission « Tracks » d'Arte qu'il avait cherché à travers ses écrits à « donner un sens à la mort de sa femme » ? —, mais néanmoins romantique.

Marqué à jamais par sa détention dans un camp de prisonniers japonais en 1942, influencé par le Surréalisme et la psychanalyse, il se tourne résolument, et ses personnages avec lui, qu'ils soient médecins, psychiatres ou architectes, vers les espaces intérieurs, tournant ainsi le dos à la science-fiction classique et ses aventures spatiales. Ses terrains de jeu favoris demeureront longtemps des paysages désertiques — étendues de sable, plages, lieux abandonnés, bases spatiales désaffectées — dont il fera des tableaux angoissants ou enchanteurs mais toujours fascinants, nous faisant regretter son abandon d'une certaine S-F après deux de ses meilleurs recueils, Mythes d'un futur proche (1982) et Fièvre guerrière (1990), que l'on trouvera inclus dans le dernier tome de la série.

On attendra donc avec impatience le second, annoncé pour octobre prochain, ainsi que son autobiographie, Miracles of life, à paraître chez Denoël courant 2009.

Pour patienter, en attendant, on pourra toujours lire, ou relire, Sauvagerie, court roman proposé par le même éditeur et qui s'avère être une nouvelle traduction du Massacre de Pangbourne, publié en 1992 chez Belfond, et parcourir le collectif dirigé par Jérôme Schmidt et Emilie Notéris aux éditions èRe : J.G. Ballard - Hautes altitudes. On y retrouve sous une couverture éminemment ballardienne un ensemble de textes — interviews, articles, commentaires — sur l'ermite de Shepperton et une belle brochette de contributeurs parmi lesquels Jacques Barbéri, David Cronenberg, Norman Spinrad et Bruce Sterling. Une première en France.

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