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p>Du nouveau, cette année, à Epinal. Pour sa septième levée, l’anthologie des Imaginales ouvre clairement la porte aux auteurs étrangers (d’expression française) et aux textes de pure SF, manière de revivifier un concept qui commençait un peu à se mordre la queue.

Quatorze auteurs, dont deux suisses et un belge, se sont emparés du thème polysémique du festival, pour le décliner sous l’angle de la fatalité ou de la providence individuelle (destin), collective (nation), ou plus prosaïquement du but à atteindre.

Bilan ? Les textes de pure SF, relevant dans leur majorité du space ou du planet opera, laissent sur leur faim. Difficile de rentrer dans « Ivresse des profondeurs » (GD Arthur), la faute à une intrigue confuse et une écriture plutôt absconse. Jean-François Thomas livre avec « Chakrouar III » un récit à chute de facture classique, trop old school pour emporter l’adhésion. Très sages, très classiques également, les contributions d’Estelle Faye (« Hoorn ») et de Loïc Henry (« Essaimage »). N’étant pas un grand fan du Bordage nouvelliste, je n’attendais rien de spécial de son texte. « Sans destination » ressemble à s’y méprendre à un brouillon de son dernier space opera (Résonances), réussi lui. Spécialiste des sagas de fantasy, Adrien Tomas s’essaie à une SF teintée de préoccupation écologique et de spiritualisme, dans le prolongement du modèle théorisé par James Lovelock (« La voix des profondeurs »). Un coup d’essai intéressant à confirmer. Seule nouvelle hors-sujet, « L’Aiguillon de l’amour » de François Rouiller renvoie au diptyque pharmaco-médical Métaquine paru l’an dernier. Soit un voyeur et l’objet de son désir : l’un se croit capable, via les progrès accomplis en matière de miniaturisation, de mater l’autre tranquille, mais c’est peut-être l’inverse qui va se passer… Jouissif.

La partie « fantasy » m’a parue globalement plus aboutie, en raison de textes souvent plus longs et davantage travaillés. Ça ne commence pourtant pas sous les meilleurs auspices avec « Bucéphale au cœur des ombres », d’Aurélie Wellenstein, qui nous transporte dans un Moyen-Orient de pacotille secoué de combats fantastiques contre les forces démoniaques. Le héros, croisé à la pureté dangereuse, affronte un Satan chevalin en serrant les mâchoires. Dispensable aussi, « FIN », de Grégory Da Rosa, qui réchauffe la tambouille eschatologique dans un mélange de genres et d’ambiances indigeste. Charlotte Bousquet s’empare avec une certaine réussite des mythes dogons dans « La voix des renards pâles ». Victor Dixen évoque cette part d’inconnu qui aimante les grands explorateurs (et les grands lecteurs), en racontant à plusieurs voix le périple confinant à l’obsession, voire à la folie, d’un homme en quête d’absolu (« La source »). Dans une langue très maîtrisée, Stefan Platteau livre le blockbuster de l’anthologie : son « roi Cornu » est une réécriture du Livre de l’Exode mâtiné de Silmarillion. Donne envie de se plonger dans ses précédents écrits. Partant du récit des prétendus voyages d’un chevalier mytho ayant vécu durant la guerre de Cent Ans, Fabien Cerutti fait vivre à son personnage des aventures hautes en couleur, vanciennes en diable, qui s’inscrivent dans l’univers du Bâtard de Kosigan (« Le livre des merveilles du monde »). Lionel Davoust conclue sur une belle mise en abîme dans « Une forme de démence » : un vieil écrivain à succès embauche une jeune étudiante pour mettre de l’ordre dans ses archives et dans ses pensées. Elle souhaite créer une encyclopédie à l’usage des lecteurs idolâtres, il ne veut que se souvenir et peut-être se perdre dans la nature ultime de la réalité…

Un millésime correct, donc, auquel il manque un ou deux très bons textes de SF pour faire un grand cru.

Robogenesis

Robogenesis est la suite directe de Robocalypse (tout juste réédité en poche, chez Pocket). À la fin du premier opus, le danger représenté par Archos R-14 semblait définitivement écarté. Le monde était certes en ruines, l’humanité presque éteinte, mais elle pensait avoir vaincu le monstre. Or, avant de disparaître, l’I.A. Était parvenue à se transférer dans d’autres machines. Des centaines de milliers de machines. Big Rob est donc encore en vie. Et il n’est pas seul. Des versions précédentes ont aussi survécu. L’une d’entre elles, en particulier, a des projets pour cette Terre. Et l’homme n’y a pas la place centrale. Archos R-8, autrement appelé Arayt Shah, a un but ultime : prendre le pouvoir sur la planète entière. Pour cela, il doit s’assurer du contrôle de centres de calcul disséminés de-ci de-là afin d’acquérir la puissance nécessaire. Et il en profite pour éliminer les menaces potentielles. Dont les plus importantes sont les modifiés, ces êtres humains transformés par Archos R-14, améliorés, mais plus vraiment des hommes ou des femmes à part entière.

L’intrigue nous est narrée, en alternance, par les différents protagonistes de ce grand final (enfin, espérons, car on n’oublie pas que Robocalypse devait déjà marquer la fin des hommes). Et l’on retrouve nombre de personnages présents dans le premier roman : Lark Iron Cloud, revenu d’entre les morts ; la jeune Mathilda et son frère Nolan, accompagnés de leur ange gardien Neuf Zéro Deux ; mais aussi Cormac Wallace, le héros de la précédente guerre ; et enfin, le professeur Takeo Nomura, sauveur de l’humanité.

Malgré ce « casting de rêve », rien n’y fait ! C’est plat, sans grande saveur, sans aucune originalité. Arayt Shah pérore à longueur de pages sur sa supériorité et la faiblesse des tas de viande que nous sommes. Les survivants tentent… de survivre. Mais on s’en moque. Leur détresse, à quelques exceptions près, échoue à nous toucher tant l’ensemble se montre artificiel. Les récits de fin du monde sont légion, à l’instar des histoires post-apocalyptiques. Pourquoi alors en pondre une nouvelle ? Pourquoi écrire une suite à Robocalypse, un roman distrayant, certes, mais d’un intérêt déjà très moyen ? Peut-être y a-t-il là quelque chose à voir avec le fait que Steven Spielberg a acheté les droits du premier bouquin et que le film va, un jour, c’est promis, enfin sortir ? À moins qu’il ne s’agisse de surfer sur la mode des questionnements liés à l’avenir de l’humain face à des machines toujours plus puissantes ? En ce cas, encore aurait-il fallu s’appliquer un tantinet, et guider le lecteur vers des altitudes plus élevées. Depuis Turing, les œuvres traitant ce thème sont légion, le lecteur a l’embarras du choix. Une concurrence face à laquelle Robogenesis déçoit, et pas qu’un peu. On renverra de fait Daniel H. Wilson à la lecture de son petit Greg Egan illustré, tout en évitant ici un achat dispensable.

Remington

Un cataclysme a ravagé la terre. Pire, les survivants ont perdu toute mémoire de leurs ancêtres. Les voici livrés à l’énigme que constituent pour eux les traces d’une civilisation dont ils ignorent tout et qu’ils essaient de reconstruire à force d’hypothèses, souvent hasardeuses, loufoques parfois. Parallèlement, ils doivent refaire tout le trajet que cette civilisation disparue – la nôtre – a mis tant d’années à parcourir : sortir de la superstition et jeter les bases d’un esprit scientifique qui permette le Progrès.

Telle est la trame de Remington, de Christophe Ségas, connu à ce jour pour quelques textes aux éditions Antidata et du Chemin de fer. Un peu convenue, certes, mais… L’originalité n’est pas dans le sujet en lui-même, elle demeure dans son traitement : l’auteur ne se livre pas à une histoire continue de la reconstruction d’un Progrès érigé en absolu. Il livre des chroniques éclatées sur deux cent ans et cinq narrateurs d’une série de faits qui se répondent et de personnages qui se croisent au fil des pérégrinations de la Remington : un archéologue gagné par la soif du pouvoir que peut lui conférer la compréhension des vestiges ; un peintre obèse juché sur une tour de guet et qui observe ses proches voisins gagnés par un culte de la propreté qui débouche sur l’orgie et le cannibalisme ; le captif d’une sorte d’hôtellerie gagné par les charmes d’un jeune savant fou ; la reine d’une cité qui devient folle et s’enferme dans un gigantesque labyrinthe qu’elle fait construire ; un homme devenu archiviste des récits qui précèdent, et surtout détenteur de cette machine à écrire qui constitue le point pivot de toutes ces narrations… Au fil des récits, Ségas tisse le tableau d’une humanité non pas tant post-apocalyptique que discrètement contemporaine, avec ses pulsions, ses appétits, ses inconséquences, et surtout la menace perpétuelle d’autodestruction qu’elle fait planer sur elle-même. L’écriture est discrète et maîtrisée ; la lecture en est donc facile et on se laisse prendre. Un regret peut-être : on sent qu’un tel monde aurait pu prendre davantage d’ampleur. Attendons les prochaines lignes tapées de C. Ségas…

Les Bracas

Quand on a une passion, on a forcément envie de la partager. Et Dylan Pelot adorait ce que d’aucuns appellent les mauvais genres (à ce propos, bon anniversaire à la remarquable émission de François Angelier !) : films d’horreur, d’arts martiaux ; même les plus foutraques, les plus mal fichus, les pires des séries Z trouvaient grâce à ses yeux. Il y a consacré une bonne partie de sa vie d’artiste, écrivant, illustrant, filmant. Le summum étant Les Grands succès du cinéma introuvable (paru à titre posthume), où il imagine des affiches et des photos de tournage de films aux titres évocateurs (Lourdes 2024,Mon plombier dans ton cul…). Ceci posé, le roman Les Bracas apparaît comme une évidence dans la bibliographie de ce jeune auteur disparu en 2013 des suites d’une attaque cérébrale.

Retour dans les années 80. Sacha est un jeune homme amoureux fou des vieux films gore. La semaine, il fait une école de l’image à Épinal (comme l’auteur). Le week-end, de retour chez sa mère, dans son petit village enneigé, il sillonne les vidéoclubs des Vosges, fait des razzias dans les rayons de séries Z et passe ses nuits devant son magnétoscope à visionner et à faire des copies de ses découvertes. Ou à écouter les derniers succès de groupes aux noms aujourd’hui encore évocateurs : Motörhead, Metallica ou Raven. Il est souvent rejoint par les membres de sa bande de potes, les Bracas, aux surnoms fleuris : Pilpoil, P’tit Ji, Taquet, Zinzin… Ces jeunes gens pleins d’énergie connaissent de saines occupations : boire, piquer des bouteilles dans la cave des voisins et, surtout, se battre contre les autres bandes de la vallée. Et là, ils ne plaisantent pas : les dents tombent, les joues sont tuméfiées, le sang tache la neige. Heureusement, depuis quelques mois, un autre projet les unit : tourner un court film d’horreur, Shadok the Kradok. Tout un programme ! Mais peu à peu, des évènements étranges et inquiétants vont agiter ce petit monde. La maison familiale est visitée sans que rien ne disparaisse, des toiles peintes par le père décédé de Sacha sont déplacées, la forêt est agitée de phénomènes inexplicables. L’enquête commence et conduit à un vieil homme, habitant seul avec son chien dans la montagne, Milo.

Autant le dire tout de suite, Les Bracas vaut surtout par son évocation d’un passé de plus en plus lointain. Les aventures surnaturelles de Sacha et de sa bande sont sympathiques, mais semblent secondaires face à la redécouverte d’une époque révolue, celle des Walkman et des vidéoclubs, des cassettes VHS et des bandes aux blousons de métalleux qui se démolissent le week-end. Celle des découvertes de groupes musicaux devenus mythiques (qui se reforment actuellement, le temps d’une ou deux tournées destinées à renflouer les trésoreries), des petites pépites vidéos au détour d’un rayon obscur. Celle de l’amitié plus forte que tout dans un village isolé où le principal loisir est de tout casser, y compris le visage de son meilleur ennemi (ça, par contre, ça n’a peut-être pas changé). Et pour tout cela, on peut remercier Dylan Pelot. L’histoire est quant à elle délayée au profit de descriptions, réussies, certes, de tranches de vie, dont on ne peut qu’imaginer qu’elles comportent une grande part d’autobiographie (et cela rend le roman d’autant plus touchant). D’ailleurs, la résolution de l’intrigue, dans la dernière partie du récit, est vite fourguée au lecteur. Parce qu’il faut bien une explication. Et un climax. Qu’on oubliera tout aussi vite. On se souviendra par contre longtemps de Sacha et de son coin paumé des Vosges. Région décidément bien mise en valeur par la famille Pelot. Les plus de quarante peuvent donc se plonger avec nostalgie dans ce bain de jouvence. Et les plus jeunes regarder cette bulle temporelle avec un sourcil levé en forme de point d’interrogation amusé.

Agent double

Myfanwy Thomas est de retour. Ou plutôt, la deuxième Myfanwy, puisque l’héroïne de The Rook, au service surnaturel de sa majesté, s’était réveillé au début du roman, faut-il le rappeler, sans aucun souvenir, dépositaire d’un corps qui n’était pas le sien. Depuis, elle en a fait du chemin, Myfanwy. Elle est à présent l’un des piliers de la Checquy, une Tour, chargée de mener à bien la fusion de deux entités ennemies : la Checquy, donc, organisation ultra-secrète, sise en Grande-Bretagne, dont la mission est de défendre le royaume contre les phénomènes surnaturels (et ils sont légion !), et la Wetenschappelijk Broederschap Van Natuurkundigen, composée de Greffeurs, hommes et femmes modifiés, améliorés, grâce à une science chirurgicale poussée à l’extrême. Or, ces deux groupes ont un gros contentieux : des années de guerres sanglantes et sans pitié, surtout la bataille de l’île de Wight en 1677. Autrement dit, le travail d’équipe ne va pas de soi. Pour couronner le tout, une troisième partie semble vouloir rebattre les cartes. Et elle se montre pour le moins inventive dans les moyens de massacrer ses opposants. Il va falloir faire preuve de diplomatie pour mettre tout ce petit monde d’accord. Et ne pas hésiter à expliquer son point de vue avec force.

Et c’est parti pour plus de huit cents pages menées tambour battant. Daniel O’Malley s’y entend pour embarquer son lecteur dans une intrigue suffisamment complexe pour tenir la distance, mais pas trop afin de ne pas le perdre. Pour la plus grande tristesse des fans de Myfanwy, cette dernière laisse la vedette aux plus jeunes. Mais rassurons-les, elle est tout de même très présente dans l’histoire. La narration se partage donc pour l’essentiel entre Felicity et Odette. La première est un membre lambda de la Checquy, régulièrement envoyée sur le terrain. Son équipe étant décimée, elle se retrouve, pour son plus grand désespoir, obligée de protéger la seconde, Odette Leliefeld, une Greffeuse. Il est peu de dire que le courant ne passe pas, au début, entre les deux jeunes femmes. Pour chacune, l’autre est un monstre, une abomination, un furoncle à éliminer de la surface de la Terre. C’est d’ailleurs un des charmes de ce roman : les interactions très riches entre les personnages. Et surtout, entre les Britanniques et les Greffeurs, à base de suspicion, de paranoïa (justifiée dans la plupart des cas), de coups tordus. Chacun mène son jeu, n’hésitant pas à trahir ses associés d’hier, sa propre famille. Seul le but fixé compte. Et tant pis pour les victimes… un mal nécessaire.

Histoire de pimenter le tout, la galerie de créatures déjà présente dans le premier volume s’enrichit de nombreuses bestioles intrigantes, monstrueuses, souvent effrayantes et mortelles. On se croirait dans un gigantesque mix de Men in Black et de Fringe. À se poser des questions sur le régime alimentaire de l’auteur : quelles substances absorbe-t-il avant de se mettre à l’écriture pour inventer de telles horreurs ? En tout cas, cette capacité lui permet d’écrire quelques pages proprement terrifiantes, à base de membres broyés, brûlés, arrachés, déchiquetés… Du gore pur et dur. Mais, et c’est une des forces de cet ouvrage, tout cela reste teinté d’un humour so british, d’un détachement bien particulier face aux situations les plus terrifiantes.

L’éditeur (ou l’agent, ou l’entourage, enfin, quelqu’un) de Daniel O’Malley aurait dû insister pour qu’il taille dans le gras et supprime quelques bonnes dizaines de pages (voire une ou deux centaines), c’est certain. Ce qui n’empêche pas Agent double de rester une lecture agréable et sans (trop de) temps mort. Bien sûr, certains passages sont convenus et manquent un brin d’originalité. Mais peut-on – et même doit-on – toujours tout inventer ? Au diable les hésitations : embarquez pour cette galerie des horreurs bien séduisante.

Heurs et malheurs de la physique quantique

Sous-titré Des Vérités incroyables, cet ouvrage traite des controverses et des débats qu'a suscité la mécanique quantique durant sa difficile gestation, pour la faire accepter, parfois par ceux-là même qui ont formulé de brillantes théories dont ils refusaient les implications.

Il ne s'agit pas d'un historique à proprement parler : le postulat du neutron ou celui de la fission sont des jalons à peine mentionnés : c'est sur le versant conceptuel et philosophique que les deux auteurs se situent. La physique quantique a en effet ébranlé les fondements même de la science et de notre représentation du monde, jusqu'au déterminisme local, socle de la physique classique. Le refus d'abandonner une théorie qui a fait ses preuves est un argument majeur, mais avec la physique quantique se manifeste une peur quasi métaphysique devant l'effondrement des certitudes à propos de la matière, de l'espace, du temps, de la causalité, du réel même.

C'est pourquoi ce parcours épistémologique revient rapidement sur les principales remises en question des croyances et des évidences, depuis l'Antiquité jusqu'à Galilée, Newton et la relativité d'Einstein. Les chapitres exposent les problèmes conceptuels selon une progression thématique, quitte à revenir dans le détail sur les articles fondateurs, afin de bien identifier la nature des remises en questions. On suit ainsi la pensée en action de Heisenberg, de Broglie, Schrödinger, la controverse entre Bohr et Einstein et les efforts pour surmonter le paradoxe EPR. Les rejets, les sarcasmes ou les enthousiasmes prennent la mesure du débat opposant les tenants d'un réalisme local aux prosélytes d'une physique reposant sur l'indéterminisme et la non-localité.

Les difficultés soulevées à chaque étape sont exposées avec clarté, prenant le temps de détailler les termes d'une fonction, pour permettre au (presque) néophyte de comprendre enfin ce qui est en jeu. L'ouvrage est cependant dense pour synthétiser en si peu de pages de si nombreuses péripéties. On n'attendait pas Gérard Klein sur ce terrain qu'il suit pourtant attentivement depuis des décennies. Jean-Pierre Pharabod (co-auteur du Cantique des quantiques) et lui ont à cœur de faire partager leur passion pour cette surprenante physique et y parviennent très bien.

Greenland

L’autrichien Heinrich Steinfest n’est a priori guère connu en France des amateurs et amatrices des littératures de l’Imaginaire. Jusqu’à maintenant, cet auteur a surtout attiré l’attention des amateur.e.s de polar. Genre dont relevaient ses livres précédents tels Sale Cabot (Phébus), Requins d’eau douce et Le onzième pion (Carnets Nord), salués comme autant d’apports à la fois réussis et singuliers au roman criminel. Si ces récits d’enquête travaillaient habilement un schéma éprouvé du polar – le whodunit –, tous se teintaient d’une étrangeté parfois si prononcée qu’elle les amenait aux lisières du fantastique. Une frontière générique que Greenland semble quant à lui allègrement franchir dans sa partie inaugurale. Celle-ci consigne le témoignage rétrospectif du quinquagénaire Theo März quant à l’extraordinaire expérience qu’il vécut enfant en l’année 2010. Il se rappelle la nuit durant laquelle la fenêtre de sa chambre – jusque-là exempte de tout rideau – s’orna soudainement d’un inattendu store vert. Au mystère de son inexplicable apparition s’est bientôt adjoint celui des pouvoirs de la miraculeuse pièce de tissu. Seuil plutôt que fermeture, le store constituait une manière de sas vers un univers parallèle nimbé d’une lumière verte. Tels les enfants Darling de Peter Pan, Theo franchit un soir le sas interdimensionnel pour partir à la découverte non pas de Wonderland mais de Greenland. Pendant quelques nuits, le jeune garçon y connut de bizarres et dangereuses aventures. Elles mêlaient, entre autres protagonistes, des hommes effrayants aux visages dissimulés par des jumelles et une fillette en proie à un inhabituel supplice. Inquiet de la possible contamination du réel par les créatures de Greenland, l’enfant se débarrassa finalement du store miraculeux… Mais quarante ans plus tard, l’énigmatique artefact réapparaît sur un des hublots du Villa Malaparte, la nef spatiale emportant Theo – devenu astronaute – vers Mars en cours de colonisation. Et le quinquagénaire de bientôt repartir du côté de Greenland… Si l’ombre de J. M. Barrie plane sans doute sur le premier mouvement du roman, sa deuxième partie science-fictionnelle fait elle comme écho à Philip K. Dick. À l’instar des héros dickiens peu à l’aise en ménage, la conjugalité s’avère pour Théo – deux fois divorcé – aussi complexe que ses périples entre les planètes et les dimensions. Sans doute nourri par un large faisceau d’influences – on pourrait encore y ajouter le cinéma ( 2001, l’Odyssée de l’espace) ou la bande-dessinée (Batman) Greenland n’en est pas moins éminemment original. Combinant imagerie surréaliste, ironie pince-sans-rire et saillies aphoristiques, l’écriture de Heinrich Steinfest dessine une contrée de l’Imaginaire aussi drôle qu’intrigante. Du moins dans les deux premières parties du livre… En éclairant d’un jour crûment rationnel les mystères de Greenland tout en lorgnant vers un certain pathos, la conclusion du roman en atténue quelque peu la force de fascination. On conseillera donc de faire l’économie des dix dernières pages pour goûter pleinement les qualités par ailleurs certaines de Greenland. Ne pas aller au terme d’un roman est parfois la meilleure des façons de le lire.

Le Rêveur illimité

[Critique commune au Jour de la création et au Rêveur illimité.]

Les précieuses éditions Tristram approfondissent leur catalogue ballardien déjà conséquent avec la réédition de deux romans fort étranges, et qui, bien que séparés par huit années, appellent des commentaires parfois similaires.

Dans Le Rêveur illimité, un dingue du nom de Blake s’écrase avec le petit avion qu’il a volé (sans savoir le piloter) dans la Tamise, à proximité de Shepperton, la banlieue ballardienne par excellence. Lui qui a peut-être péri dans l’accident déduit du miracle de sa présence un caractère de dieu païen ou de messie que « sa famille » de banlieusards lui concède volontiers. Coincé entre la Tamise et le périphérique, le satyre divin use alors de ses pouvoirs oniriques et pervers pour muer la zone en utopie hippie partouzarde louchant toujours un peu plus sur le délire sectaire autodestructeur à la Jim Jones, jusqu’à l’apocalypse finale aux relents de vampirisme.

Le résultat est plus que déconcertant : difficile de dire où commence (ou s’arrête) la (réjouissante) mauvaise blague – et on a l’impression d’un roman où la (plus ou moins) parodie de Philip K. Dick s’associerait à la métaphysique et à la relecture (sérieuse) des Évangiles au moins autant que des mythologies anciennes, mais dans une sorte de cahier de brouillon tenu par un adolescent aliéné par ses hormones en ébullition et qui y griffonnerait des dizaines de bites à chaque page.

Le Jour de la création traite quant à lui d’un médecin du nom de Mallory, affecté dans un pays indéfini d’Afrique centrale en proie à l’avancée du désert, et qui, par hasard, donne naissance à un fleuve gigantesque à même de refleurir le Sahara – lui qui cherchait justement à régler le problème de l’eau dans la région ! Mais Mallory s’identifie à ce fleuve auquel on a donné son nom ; et quand il entreprend de le remonter jusqu’à sa source, en compagnie d’une enfant-soldat qui l’attire sexuellement, poursuivi par quantité de locaux ou d’étrangers tous désireux de profiter du miracle, dans une atmosphère de guerre ouverte, c’est… pour le détruire : il projette sur lui ses pulsions d’autodestruction, et l’expédition tourne au jeu de massacre.

Il s’agit-là d’un roman sous influence, qui rappelle bien des œuvres usant de ce topos du fleuve que l’on remonte, le contexte africain (mais aussi philosophique) impliquant de placer en tête Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad – agrémenté de fantasmes coloniaux. Mais Ballard y revisite aussi son œuvre passée de manière assez frontale : on pense tout naturellement au Monde englouti et à La Forêt de cristal, bien qu’on puisse sans doute aller au-delà.

Dans les deux cas, la mégalomanie du « héros », parfaitement détestable dans ses atours de démiurge de circonstances, génère un délire mystique qui est en même temps réflexion sur la création artistique – la fiction comme mythe, l’écrivain comme seul rêveur illimité, le monde comme récit. Dimensions bienvenues et complémentaires, même si développées de manière plus ou moins subtiles (dans Le Jour de la création, la métaphore du film documentaire n’est pas intéressante, mais à l’occasion un peu lourde).

Cependant, les deux romans pâtissent sans doute du même travers : ils s’éternisent bien trop longtemps. Le Rêveur illimité est d’abord jubilatoire, puis la répétition des mêmes orgies fantasmatiques lasse. L’introduction brillante du Jour de la création, digne des meilleurs Ballard, finit par être desservie en raison de rebondissements également répétitifs, même si le bilan final est davantage positif.

Cela n’en fait pas de mauvais romans, loin de là – simplement des titres « mineurs » dans la bibliographie de Ballard ; en fait, ce sentiment est d’autant plus appuyé que les deux romans incitent à semblable comparaison. Mais, avouons-le, un Ballard mineur vaut intrinsèquement mieux que quatre-vingt-dix-huit pour cent des parutions littéraires ; et on remerciera donc Tristram pour ces rééditions finalement bienvenues, au-delà de leur seule dimension complétiste.

Le Jour de la création

[Critique commune au Jour de la création et au Rêveur illimité.]

Les précieuses éditions Tristram approfondissent leur catalogue ballardien déjà conséquent avec la réédition de deux romans fort étranges, et qui, bien que séparés par huit années, appellent des commentaires parfois similaires.

Dans Le Rêveur illimité, un dingue du nom de Blake s’écrase avec le petit avion qu’il a volé (sans savoir le piloter) dans la Tamise, à proximité de Shepperton, la banlieue ballardienne par excellence. Lui qui a peut-être péri dans l’accident déduit du miracle de sa présence un caractère de dieu païen ou de messie que « sa famille » de banlieusards lui concède volontiers. Coincé entre la Tamise et le périphérique, le satyre divin use alors de ses pouvoirs oniriques et pervers pour muer la zone en utopie hippie partouzarde louchant toujours un peu plus sur le délire sectaire autodestructeur à la Jim Jones, jusqu’à l’apocalypse finale aux relents de vampirisme.

Le résultat est plus que déconcertant : difficile de dire où commence (ou s’arrête) la (réjouissante) mauvaise blague – et on a l’impression d’un roman où la (plus ou moins) parodie de Philip K. Dick s’associerait à la métaphysique et à la relecture (sérieuse) des Évangiles au moins autant que des mythologies anciennes, mais dans une sorte de cahier de brouillon tenu par un adolescent aliéné par ses hormones en ébullition et qui y griffonnerait des dizaines de bites à chaque page.

Le Jour de la création traite quant à lui d’un médecin du nom de Mallory, affecté dans un pays indéfini d’Afrique centrale en proie à l’avancée du désert, et qui, par hasard, donne naissance à un fleuve gigantesque à même de refleurir le Sahara – lui qui cherchait justement à régler le problème de l’eau dans la région ! Mais Mallory s’identifie à ce fleuve auquel on a donné son nom ; et quand il entreprend de le remonter jusqu’à sa source, en compagnie d’une enfant-soldat qui l’attire sexuellement, poursuivi par quantité de locaux ou d’étrangers tous désireux de profiter du miracle, dans une atmosphère de guerre ouverte, c’est… pour le détruire : il projette sur lui ses pulsions d’autodestruction, et l’expédition tourne au jeu de massacre.

Il s’agit-là d’un roman sous influence, qui rappelle bien des œuvres usant de ce topos du fleuve que l’on remonte, le contexte africain (mais aussi philosophique) impliquant de placer en tête Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad – agrémenté de fantasmes coloniaux. Mais Ballard y revisite aussi son œuvre passée de manière assez frontale : on pense tout naturellement au Monde englouti et à La Forêt de cristal, bien qu’on puisse sans doute aller au-delà.

Dans les deux cas, la mégalomanie du « héros », parfaitement détestable dans ses atours de démiurge de circonstances, génère un délire mystique qui est en même temps réflexion sur la création artistique – la fiction comme mythe, l’écrivain comme seul rêveur illimité, le monde comme récit. Dimensions bienvenues et complémentaires, même si développées de manière plus ou moins subtiles (dans Le Jour de la création, la métaphore du film documentaire n’est pas intéressante, mais à l’occasion un peu lourde).

Cependant, les deux romans pâtissent sans doute du même travers : ils s’éternisent bien trop longtemps. Le Rêveur illimité est d’abord jubilatoire, puis la répétition des mêmes orgies fantasmatiques lasse. L’introduction brillante du Jour de la création, digne des meilleurs Ballard, finit par être desservie en raison de rebondissements également répétitifs, même si le bilan final est davantage positif.

Cela n’en fait pas de mauvais romans, loin de là – simplement des titres « mineurs » dans la bibliographie de Ballard ; en fait, ce sentiment est d’autant plus appuyé que les deux romans incitent à semblable comparaison. Mais, avouons-le, un Ballard mineur vaut intrinsèquement mieux que quatre-vingt-dix-huit pour cent des parutions littéraires ; et on remerciera donc Tristram pour ces rééditions finalement bienvenues, au-delà de leur seule dimension complétiste.

Un World Fantasy Award pour Kij Johnson

The Dream-Quest of Vellit Boe, court roman de Kij Johnson situé dans les Contrées du rêve de Lovecraft vient d'être couronné par le prix World Fantasy ! Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule : il sortira au Bélial' en février 2018, dans une traduction de Florence Dolisi et avec des illustrations de Nicolas Fructus…

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