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Amatka

Vanja de Brilar d’Essre Deux arrive de la principale colonie, Essre, à Amatka la polaire, avec une mission bien précise : étudier de façon exhaustive les habitudes en matière d’hygiène des résidants. Tâche « fascinante » dont elle s’acquitte avec sérieux — tout en s’interrogeant sur le bien-fondé d’une telle démarche. Étrangère à cette ville, Vanja l’observe avec distance et se pose de plus en plus de questions sur la finalité de nombre de règles régissant sa société. Peut-on être heureux dans un environnement où chaque action doit être validée par le comité, où l’individualité doit s’effacer au nom du bien commun, où rien ne doit changer, car « Quand le matin vient / Rappelons-nous / Tout est comme hier » ?

Pourtant, les habitants d’Amatka et des trois autres colonies ont bien des raisons de respecter des routines précises. Car le matériau qu’ils utilisent sur ce monde, dont on ignore s’il est le nôtre ou plus vraisemblablement une autre planète, est extrêmement malléable. Et si on ne nomme pas régulièrement les objets du quotidien, ils risquent de retourner à leur état naturel de pâte informe. Expérience particulièrement traumatisante. D’où les comptines inculquées dans l’enfance apprenant ce rituel. D’où les séances de peinture : chaque bâtiment voit son nom inscrit de façon lisible sur ses murs, chaque porte est clairement identifiée. Or, l’arrivée de Vanja, bourrée de doutes et terriblement curieuse, va mettre en danger cet équilibre primordial.

Ce roman, d’une grande richesse, brasse les influences et les thèmes classiques avec un certain brio. On pense bien évidemment au 1984 d’Orwell, au Procès ou au Château de Kafka, au Brazil de Terry Gilliams pour la société cloisonnée, prise dans le carcan de la bureaucratie. Mais ce sont également Delany, Vance, Van Vogt et bien d’autres qui viennent à l’esprit pour le travail sur les mots. Des références dont Karin Tidbeck sait se montrer digne : elle les transcende, les intègre à sa propre pensée, à son propre imaginaire. Amatka est construit avec intelligence, avec finesse. Le rythme de la narration suit la découverte progressive de la colonie, son fonctionnement, mais surtout ses dysfonctionnements, par Vanja, personnage peu décrit mais vite familier qui sait atteindre le lecteur, l’amène à accepter sans hésitation la réalité de cette société. Et à rechercher avec elle les tenants et les aboutissants d’un univers plus suggéré que décrit.

Karin Tidbeck, comme de nombreux auteurs qui se respectent, a fait ses gammes dans le registre de la forme courte. Avant Amatka, elle n’avait d’ailleurs publié qu’un recueil, Jagannath, remarqué et récompensé dans le monde anglo-saxon, mais toujours inédit en français (on peut néanmoins découvrir une de ses nouvelles sur le site Coliopod). Habituée à ce format, la Suédoise sait rester elliptique dans son propos tout en évitant l’écueil de l’hermétisme — et sans gêne aucune pour la bonne compréhension. Au contraire, elle joue simplement avec l’intelligence du lecteur et va à l’essentiel : sa narration, l’ambiance et les sentiments de ses personnages. Bref, une vraie réussite, signée par une auteure qui s’impose d’emblée comme une découverte remarquable. À lire sans tarder, donc, avec moufles et cache-col.

La Porte de cristal

La Cinquième Saison plantait l’univers riche et complexe d’une terre où des séismes incessants et une importante activité volcanique provoquant des hivers nucléaires menacent périodiquement la civilisation, voire la vie entière. Durant ces périodes, les Comm ne peuvent subsister que sur leurs réserves ou migrent là où la vie est encore possible. Parmi elles, certains individus ont développé un talent particulier, l’orogénie, lequel a une assise physiologique située dans le cerveau. Il permet de manipuler des énergies telluriques, notamment thermique et cinétique, pour détecter et contrôler les secousses. Les orogènes risquent aussi de provoquer involontairement des catastrophes en l’absence de maîtrise de leurs émotions. C’est pourquoi ils sont tués dès que leur pouvoir se manifeste, sauf s’ils sont repérés par des Gardiens itinérants qui disposent de moyens d’annihiler leurs pouvoirs. Enrôlés et éduqués au sein du Fulcrum, qui les envoie ensuite au service de la population, leur condition reste souvent proche de l’esclavage.

Ce second volume reprend exactement là où s’est achevé le premier : une nouvelle saison, la cinquième, est sur le point d’advenir, provoquée par Albâtre qui a déchiré le continent en deux et en paie le prix en se transformant progressivement en pierre : le mangeur de pierre est à son chevet. Son épouse et élève Essun doit apprendre d’Albâtre les connaissances pour contrer les menaces pesant sur la communauté où ils ont trouvé refuge, voire la civilisation dans son ensemble. Elle cesse temporairement d’essayer de retrouver sa fille Nassun enlevée par son père, laquelle découvre progressivement ses pouvoirs et l’indépendance qu’ils lui procurent.

Progressivement, on en apprend davantage sur les phénomènes telluriques, les obélisques de cristal qui gravitent autour de ce monde ainsi que sur les pouvoirs des Gardiens et la magie en général, laquelle a beaucoup à voir avec des concepts scientifiques en termes de production et d’échange d’énergie, même si science-fiction et fantasy ne se superposent pas entièrement. Les préoccupations écologiques et les critiques sur la science sans contrôle ne sont jamais très loin.

L’accent reste malgré tout mis sur les personnages et l’action. La narration, qui suivait auparavant la même personne à trois époques différentes, se concentre essentiellement sur Essun et Nassun. Le mode original d’écriture, à la deuxième personne, apporte la touche d’exotisme supplémentaire immergeant le lecteur dans ce récit d’une originalité justement récompensée, une fois de plus, par un prix Hugo. Riche, consistant, cohérent, ce second volume poursuit sans faiblir sur la lancée du premier. Un vrai plaisir de lecture.

Éclosion

Des touristes en Amazonie sont confrontés à une attaque massive d’araignées géantes. Les mêmes arachnides carnivores déferlent un peu partout dans le monde, générant des réactions diverses, jusqu’à la frappe nucléaire pour rayer de la carte une zone touchée. Roman polyphonique, les chapitres alternés présentent des scènes apocalyptiques donnant l’ampleur de l’invasion.

Le fait que les États-Unis soient touchés avec un temps de retard permet de se préparer au pire et peut-être d’imaginer une réponse au fléau dont on ignore l’origine. Les marines envoyés en renfort, des survivalistes prêts à se terrer le temps nécessaire ponctuent l’intrigue de scènes d’action. Le récit se concentre plus particulièrement sur Mike Rich, agent de police à Minneapolis, divorcé, écartelé entre son devoir et sa fille dont il n’a pas le temps de s’occuper, confronté sur le terrain aux premières scènes de catastrophe. À la Maison Blanche, la Présidente Stéphanie Pilgrim, belle et intelligente, aux manières décomplexées, a pour conseiller un ami d’enfance, Manny, divorcé d’une entomologiste spécialiste des araignées, Mélanie Guyer, évidemment convoquée pour la circonstance. Son attention avait été attirée par l’un des dessins de Nazca, plus ancien que les autres, représentant une araignée, et plus particulièrement par un sac, découvert sous les piquets de positionnement, contenant des œufs fossilisés mais qui seraient, contre toute attente, en train d’éclore.

Dans le registre des romans catastrophe, l’arachnophobie a toujours figuré en bonne place. Le présent roman ne manque pas de jouer sur la répulsion qu’inspirent ces bestioles, tout en développant des personnages épiçant la sauce avec leurs problèmes personnels. La dramaturgie, assez classique, n’évite pas les clichés, mais en joue avec l’humour et la distanciation nécessaires. À remarquer un grand nombre de personnages féminins aux postes clés, dans le domaine politique, militaire ou scientifique.

Ce premier volume n’en dit pas beaucoup plus sur l’origine de la menace. Il s’agit de la mise en place d’un récit de grande ampleur qui fait la part belle à l’action, sans temps mort. La narration est à l’avenant, rapide, efficace, sans style particulier. Ce n’est pas déplaisant, mais pas très original non plus, voire un cran en dessous de quelques prédécesseurs. Il faudra donc attendre la suite de ce qui est annoncé comme une trilogie pour savoir si l’intrigue qui sous-tend l’ensemble vaut le détour.

Dictionnaire Frankenstein

Tout a déjà été dit, ou presque, sur Frankenstein et sur Mary Shelley, qui, à 19 ans seulement, écrivit un roman destiné à devenir un mythe. Le bicentenaire de sa parution méritait bien un dictionnaire permettant de revenir aussi bien sur des aspects connus ou méconnus de l’œuvre qu’explorer sa postérité, riche d’adaptations et d’avatars dans tous les domaines.

Cent dix-neuf entrées permettent de naviguer entre les thèmes et les détails biobibliographies : elles vont de la notule brève, voire ultra-brève (une ligne), à l’article courant sur plusieurs pages. Les plus fouillés et les plus intéressants concernent l’œuvre originale, les conditions de sa création et ses acteurs : outre Mary Shelley et Percy Shelley, dont on sait qu’il relut le manuscrit et rédigea la première préface, Claire et George Gordon Byron, leur fils William, le médecin de Byron, Polidori, au bord du lac de Genève, au cours de cet été pluvieux de 1816 suite à un hiver volcanique causé par l’éruption du Tambora en Indonésie. On délivre ainsi, au fil des entrées, des informations sur la portée de l’œuvre, sa résonance philosophique, le contexte social et politique, la chronologie du roman et sa réception critique, ainsi que sur la riche carrière de la créature, qui alla jusqu’à usurper le nom de son créateur. Celle-ci est essentiellement cinématographique, et on trouvera aussi bien les articles consacrés à James Whale, Boris Karloff, qu’au Rocky Horror Picture Show et même aux nanars regroupés à part. C’est moins le cas dans la littérature, si foisonnante en références et clins d’œil que seul un survol est effectué en une seule entrée, de Benoît Becker à Brian Aldiss, en passant par Tim Powers et Dean Koontz. Idem pour les adaptations, reprises et pastiches dans le théâtre, la bande dessinée et la chanson, qui recense par exemple un Frankenstein de Serge Gainsbourg.

Quelques entrées sont dispensables, consacrées aux autres monstres sacrés du fantastique et à leurs représentants. Passe pour Bela Lugosi, qui refusa le rôle de la créature, mais Fu Manchu, le Dr Moreau, King Kong et Jekyll et Hyde n’ont pas réellement leur place ici, pas plus que les entréesfantastique, science-fiction, roman populaire, gothique et historique, notules trop schématiques, discutables, voire partiellement fausses, qui ne servent qu’à gonfler le nombre d’entrées.

Claude Aziza, spécialiste des littératures populaires anciennes, mais pas réellement connaisseur de la science-fiction, récuse le qualificatif SF au roman de Mary Shelley, alors qu’il signait, en 1986, avec Jacques Goimard, une Encyclopédie de poche de la science-fiction (un Guide de lecture reprenant les fiches pédagogiques des titres publiés chez Pocket) citant le roman de Shelley parmi les principales dates de la science-fiction : l’autorité du co-auteur avait prévalu ou un revirement s’est opéré depuis. Pour Aziza, Frankenstein ne contient aucun des éléments spécifiques à la SF, le recours aux découvertes scientifiques de son temps n’étant pas utilisé ici comme facteur romanesque (c’est exactement le contraire, comme Aziza l’indique lui-même par ailleurs), ne serait-ce que parce que le roman est placé sous le signe de Prométhée, et donc du mythe. L’argument est grossier. Il amènerait à retirer nombre de titres basés sur la mythologie.

Un avis mitigé, donc, en raison de quelques faiblesses, mais un ouvrage à recommander malgré tout pour l’érudition et la facilité de consultation. Il sera beaucoup pardonné à Claude Aziza pour le bel hommage à la mère de la créature, sobrement intitulé Mary : «  Je vous salue, Mary, pleine de glace. Et de feu. » À bien des égards, il s’agit là d’un dictionnaire amoureux.

Les Coureurs d'étoiles

Trois nouvelles, une novella, un prélude et un interlude sont au sommaire de ce troisième volume consacré à la Hanse galactique. Poul Anderson y déploie son modèle d’échanges commerciaux avec toujours la même rigueur scientifique pour le contexte, le même pragmatisme dans l’élucidation, l’humour décalé, voire cynique, face à des situations qui imposent de « savoir comment a évolué une espèce avant de pouvoir l’exploi… Je veux dire : la comprendre », selon les propres termes du maître de la compagnie des Épices et alcools, Nicholas van Rijn.

Démonstration immédiate avec « Territoire », sur t’Kela, où une société carnivore, au comportement de meute, méprise les pacifistes, proies dont on dispose à sa guise, ainsi que les clans errants dépourvus de terrain de chasse, nécessaire corollaire au statut de prédateur. L’absence de prise en compte de ces paramètres ne peut que compromettre l’intervention de coureurs d’étoiles, surtout s’ils entendent apporter gracieusement de l’aide à un monde qui se meurt.

Le commerce ayant besoin de stabilité génère « les tordeurs de troubles », chargés avant toute transaction de résoudre les situations conflictuelles, en cherchant à établir un équilibre qui les inclue comme nouvelle composante avec laquelle désormais compter. C’est le rôle du trio de choc de van Rijn, composé de David Falkayn, cliché du héros d’aventures, du pacifique wodenite Adzel, impressionnante combinaison de centaure et de saurien, et de l’acariâtre Cynthienne Chee Lan, à l’apparence d’animal domestique. L’opposition entre obscurantisme et connaissance, entre phratrie ployant sous le joug des traditions et cité ouverte et libre, est ici compliquée par la présence d’anciens humains ayant tout oublié de l’espace.

« La structure d’une société est déterminée par sa technologie », est-il rappelé dans le prélude, extrait d’un récit déjà publié, ce qui est démontré à chaque fois, la meute correspondant aux chasseurs, la phratrie assignant une place immuable à chacun dans la société superstitieuse des « Tordeurs de troubles ». Cet ordre figé est aussi la résultante du milieu : la planète, présentant toujours la même face à son étoile, est dépourvue de saisons comme de cycle circadien, alors que la cité savante, à la lisière de l’hémisphère nocturne, connaît des épisodes climatiques plus marqués qui incitent à davantage de réactivité. Avec « Le Jour du grand feu », c’est encore une rivalité de castes qui risque de compromettre le sauvetage d’un monde menacé par les radiations d’une supernova. Dans la société plus frustre de « La Clé des maîtres », sans règles définies, aucun Yildivan ne donne ni n’accepte d’ordre, au risque de passer pour un Lugal, humanoïde très obéissant envers les dominants. Ici aussi, la méconnaissance des règles et des hiérarchies peut se révéler mortelle.

L’étroite imbrication de la société avec un environnement lui-même tributaire de la configuration du système solaire fait le sel de ces récits, lesquels relèvent souvent de l’énigme holmésienne qu’un détail révélateur permet de résoudre. Ce n’est pas un hasard si « La Clé des maîtres » est entièrement rapportée à la façon d’un « club story », comme le fait remarquer Jean-Daniel Brèque dans sa préface.

La solution des problèmes se fait à la hussarde, à coups de bluff ou de menace, peu glorieux mais efficaces, au nom des intérêts supérieurs du commerce. Ce qui permet à van Rijn de donner à l’émissaire choquée d’une nation spécialisée dans l’aide humanitaire une leçon de libéralisme sauvage totalement décomplexé, d’un cynisme assumé : « l’entreprise privée (…) ça, c’est stable. La politique, ça va et ça vient, mais l’appât du gain est éternel. » Comme l’indique l’interlude inédit, « Plus Ça Change, Plus C’est La Même Chose » : le contexte de la Hanse galactique, d’inspiration élisabéthaine, où le négoce, moteur de croissance et de prospérité, attire aussi les prédateurs et les escrocs. Rien n’est parfait.

Par ailleurs, le personnage, excessif en diable, incite à ne pas prendre ces récits trop au sérieux : on admire avant tout l’érudition scientifique, la brillance et l’astuce, le tout parsemé de scènes d’action, persillé de situations comiques et de réflexions vachardes. Un space opera mâtiné de hard science qui ne perd jamais de vue le plaisir du lecteur.

Sur les traces de Lovecraft

Dans le dernier Bifrost, je demandais ouvertement à qui pouvait bien s’adresser l’anthologie lovecraftienne de S.T Joshi Chroniques de Cthulhu, publiée chez Bragelonne, ouvrage traversé par une évidente ambition post-lovecraftienne (à défaut de meilleur adjectif), et assez peu, par conséquent, à destination des rôlistes en quête d’idées pour leurs scénarios. Ici, après la lecture de quelques nouvelles, la question ne se pose plus. Les deux tomes de Sur les traces de Lovecraft s’adressent en priorité aux (jeunes ?) rôlistes qui ont envie de dépoussiérer le Necronomicon posé sur l’étagère d’Oncle Bob, de séjourner à Arkham, de faire une croisière à Innsmouth et de chasser du dieu multidimensionnel au fusil de chasse à canons sciés, ce qui est raccord avec le succès (14 000 euros levés, quand même) de la campagne de financement participatif sur Ulule de ladite anthologie.

Les deux tomes de Sur les traces de Lovecraft rassemblent un pot-pourri d’histoires plus ou moins maîtrisées, qui ne se prennent jamais vraiment au sérieux et sautent à pieds joints dans le poncif lovecraftien, comme de sales gamins qui veulent éclabousser un max et se moquent de rentrer chez eux les Nike pleines de merde de shoggoth et les pantalons crottés jusqu’aux bretelles. À noter quand même que le tome 1 est sensiblement de meilleur niveau que le tome 2 (dont l’existence a été permise par la levée de fond, CQFD). Les amateurs d’adjectifs torturés choisis avec soin, de belles phrases controuvées, sculptées sur peau d’indigène mélanésien, seront sans doute un poil déçus, les gardiens du temple lovecraftien risquent de s’étrangler comme s’ils avaient avalé tout rond une poignée de D10, mais bon, pour le reste, c’est plutôt 100% fun et cela permet de découvrir tout un tas de nouvelles plumes (parfois aiguisées de traviole, mais c’est le jeu), comme celle de Kéti Touche, franchement convaincante. Si la nouvelle de Guillaume Maréchal est affligeante au point d’en être douloureuse à lire, celle de Paul Martin Gal, qui précipite de vrais héros howardiens dans une intrigue lovecraftienne, est d’une ambition assez étonnante. Le reste, dans un registre presque toujours populaire ou franchement tongue-in-cheek, reste de bonne tenue. On n’ira pas jusqu’à faire basculer l’ouvrage dans le caddie de Bifrost, mais force est de constater (du poulpe ?) que c’est plutôt une bonne surprise. Dans un monde parfait, cette anthologie aurait dû s’appeler Sur les traces du jeu de rôles trop kikoolol L’Appel de Cthulhu, mais ça ne laissait pas assez de place pour l’illustration de couverture.

Vie posthume d’Edward Markham

Septième roman du Français Pierre Cen-dors, cette Vie posthume d’Edward Markham vient un peu plus creuser le fascinant sillon dessiné par l’écrivain avec Archives du vent (Le Tripode, 2015). Placé sous le patronage subtilement spectral d’Egon Storm — cinéaste hors-normes dont Archives du vent faisait son protagoniste —, ce nouveau récit étend à l’univers télévisuel la troublante relecture du cinéma à laquelle Pierre Cendors se livrait dans son roman précédent. Aussi ramassée que les vingt-cinq minutes d’un épisode de La Quatrième dimension, la centaine de pages que compte Vie posthume d’Edward Markham en réinvente l’ultime épisode. Écrit par un scénariste à succès du nom de Todd Traumer, ce récit conclusif de l’anthologie créée par Rod Serling met en scène un héros du nom de Damon Usher. Un patronyme évidemment emprunté à l’un des contes les plus fameux de Poe et qui, d’emblée, ombre de fantastique cet épisode apocryphe. Cette promesse de surnaturel se voit spectaculairement confirmée par l’argument du script intitulé Le Rapport de Usher. Usher est en effet un « visualiseur ». Soit un être aussi bien capable de voir à distance que de faire sien le regard de celles et ceux occupant des lieux lointains. Ayant un temps œuvré au sein d’une officine militaire et secrète usant des talents visionnaires de cinq visualiseurs, Usher en a pris congé après le traumatisant décès de l’une de ses collègues lors d’une mission. Prenant alors la route, sans but précis, Usher finit par arriver à Willoughby, une cité montagneuse et isolée de l’Ouest américain. Là se dresse le Galaxias Spectrum. Un radiotélescope géant grâce auquel l’on capte les ondes émises depuis le cosmos et au pied duquel s’installe bientôt Usher… Épousant d’une part la trame du scénario du Rapport de Usher, Vie posthume d’Edward Markham en narre d’autre part la singulière genèse — conçu dans la solitude de la Sierra Nevada, le scénario pourrait avoir coûté la vie à Traumer — ainsi que son troublant effet sur l’interprète de Usher, Edward Markham. Ce dernier se déclare en effet certain de l’existence réelle des visualiseurs, prétendant même avoir rencontré quelques-uns d’entre eux… La consonance lovecraftienne du nom donné par Pierre Cendors au comédien (une unique lettre sépare Markham de Arkham) aurait pu annoncer le récit d’un effondrement dans la folie. Mais en peignant un univers irrigué par la fiction, Vie posthume d’Edward Markham s’affirme en réalité comme un formidable éloge de celle-ci. C’est en effet en s’abandonnant à l’imaginaire que les protagonistes du roman accèdent à une forme supérieure de connaissance — qu’elle les concerne en propre ou qu’elle touche au monde dans lequel ils vivent. Servi par une écriture d’une fluide précision, ce récit tout en enchâssements développe une pensée complexe mais jamais obscure. Gageons qu’une fois la lecture de cette passionnante Vie posthume d’Edward Markham achevée, nombre de lecteurs et de lectrices pourront à leur tour mettre en pratique ce si précieux conseil offert par l’Imaginaire, ainsi qu’y invitent les ultimes mots — en anglais dans le texte — de cette abyssale novella : « Now, Ladies and Gentlemen, open your eyes. »

Sleeping Beauties

À Dooling, le shérif est une femme. C’est en effet à Lila Norcross qu’incombe la charge de veiller à la sécurité de cette modeste cité des Appalaches, cadre principal de Sleeping Beauties. Et c’est encore à une femme, Janice Coates, que revient la responsabilité de diriger la prison (pour femmes) qu’abrite la ville. D’aucuns pourraient en conclure que la condition féminine a connu des avancées décisives dans ce concentré d’Americana. Et il semblerait en aller de même dans le reste du pays où, par exemple, Michaela Morgan s’est imposée comme reporter vedette de la chaîne NewsAmerica. Mais derrière ces arbres fièrement dressés que sont Lila, Jan ou bien encore Michaela — toutes héroïnes de Sleeping Beauties —, se cache une vaste forêt constituée d’autant de femmes toujours soumises au viriarcat. Se penchant sur ce dernier avec une remarquable acuité, les King père et fils en parcourent l’ensemble des manifestations. Sleeping Beauties souligne ainsi la confiscation par les hommes de l’essentiel du pouvoir tant à l’échelle de la nation — l’ombre de l’actuel occupant de la Maison Blanche plane sur le roman… — qu’à celle du couple. Parvenue à instaurer un rapport égalitaire avec les hommes dans son cadre professionnel, Lila échoue en revanche à affirmer sa volonté face à celle de Clint, son époux et par ailleurs psychiatre à la prison de Dooling.

Envisageant le viriarcat sous son jour le plus policé, le roman n’ignore rien de ses manifestations les plus brutales. Qu’il s’agisse d’agressions verbales nourries de rhétorique machiste ou bien, pour les plus infortunées des protagonistes du roman, de viols ou de meurtres. Avec une même précision exploratoire, le livre dessine les paysages mentaux de ces hommes et de ces femmes de Dooling. Le regard porté sur les psychés masculines est sans concession, en révélant l’imprégnation par le désir de domination. Y compris chez Clint qui, sous ses allures d’intellectuel progressiste, se fantasme en « cow-boy Malboro ». Sleeping Beauties restitue en revanche avec une belle empathie l’intériorité troublée de ses héroïnes, marquées parfois jusqu’à la folie par la domination masculine…

Mais de très singuliers événements viennent un jour de 2017 ébranler l’ordre viriarcal sévissant à Dooling comme à travers le reste du monde. Une épidémie inédite éclate en Australie, puis gagne en quelques jours l’ensemble du globe. Appelée « Fièvre Aurora », et ne frappant que les femmes, cette maladie les plonge dans une inconscience comateuse. Et ce après que leur corps aient été recouverts d’une blanche et filandreuse substance évoquant celle d’un cocon d’insecte. Ce n’est qu’en arrachant celui-ci que l’on met un terme à l’endormissement. Mais le remède s’avère pire que le mal. Les femmes ainsi réveillées basculent dans une frénésie de violence homicide telle que l’on renonce bien vite à les débarrasser de leur étrange enveloppe. Touchée à son tour par la pandémie, Dooling se distingue cependant par la présence en son sein d’une femme miraculeusement épargnée par Aurora. De celle-ci on ne sait presque rien. Comme jaillie de nulle part et ne répondant qu’au seul prénom de Eve, l’inconnue a été arrêtée par Lila peu avant que la maladie ne fasse ses premières victimes…

On se gardera cependant d’en dire plus afin de ne pas « divulgâcher » le plaisir des lecteurs et lectrices futures de Sleeping Beauties. Car cette comédie humaine et fantastique emporte aussi bien par sa profondeur réflexive et critique que par son art magistral de la narration. Combinant motifs éminemment « kinguiens » (entre autres ceux d’une épidémie apocalyptique ou d’adolescents tourmenteurs) et emprunts aux mythologies archétypales comme contemporaines (de la Bible à Orange is the New Black en passant par les contes de fée et le western), les 800 pages de Sleeping Beauties tissent le tout en un irrésistible page-turner.

S’inscrivant dans la lignée des plus belles réussites de King père, Sleeping Beauties — qui aurait pu être sous-titré Les Femmes de Dooling[1] — s’impose comme un titre majeur de l’Imaginaire proféministe.

Nés pour être damnés

Nés pour être damnés est le premier roman (du moins publié) du Marocain Jamal Benbrahim, par ailleurs auteur de Al-Moun-tadar, un recueil de nouvelles paru en 2016 chez Edilivre. Alléchant de prime abord par son titre étrangement référentiel, l’ouvrage attire tout autant par son propos semblant dessiner une contrée inédite et intrigante dans le paysage de l’Imaginaire. Nés pour être damnés narre la très extraordinaire destinée d’un Algérien âgé d’une trentaine d’années au mitan des années 1990. Rien de très remarquable a priori chez ce modeste employé des chemins de fer algériens, marié et père d’un enfant, lorsque s’ouvre le livre. Comme nombre de ses compatriotes, il tente de survivre dans une Algérie en proie à la crise économique ainsi qu’à la guerre civile opposant les forces gouvernementales et celles du Groupe Islamique Armé. Soit autant de très prosaïques difficultés auxquelles le protagoniste de Nés pour être damnés va apporter une réponse tout à fait hors-normes. Mettant à profit sa passion pour « les films diaboliques, les mythes, les superstitions, l’Apocalypse… », l’homme va présenter son second enfant tout juste né comme le futur tueur de l’Antéchrist. Utilisant qui plus est au mieux les potentialités virales du Net, il attire bientôt à lui adorateurs comme adversaires du Sauveur ultime de l’humanité, venus du monde entier. Mais ce qui ne semble d’abord être qu’une forgerie sectaire se mue bientôt en une aventure fantastique. Forts d’authentiques pouvoirs surnaturels, le père et le fils prodiges les déploient dès lors en une odyssée à travers l’espace et le temps. Allant de l’Algérie au Royaume-Uni, ou bien encore de l’Irak à la France, Nés pour être damnés déroule son récit empreint d’ironie jusqu’à nos jours, y intégrant ainsi la guerre en Syrie et l’attentat du Bataclan. Et il ne s’agit là que de quelques-uns des événements de l’histoire récente que le livre soumet à sa relecture fantasmagorique et sarcastique.

Certainement séduisant quant à son projet — offrir un point de vue décentré, à plus d’un titre, sur les rapports contemporains entre l’Occident et le monde arabo-musulman —, Nés pour être damnés déçoit malheureusement quant à sa facture littéraire. Faisant de l’ellipse son principal outil d’écriture, Jamal Benbrahim ne maîtrise celle-ci qu’imparfaitement. Si son écriture allusive participe non sans efficacité de la tonalité humoristique du roman, elle peine en revanche à camper une narration cohérente. Passées la relative continuité des quelques pages introductives, les hiatus temporels et spatiaux se multiplient et s’entrechoquent jusqu’à la confusion. L’ouvrage, il est vrai, ne compte qu’une petite centaine de pages imprimées en caractères de belle taille… Peut-être Jamal Benbrahim aurait-il été plus avisé de s’engager dans la voie du roman plutôt que dans celle de la novella pour embrasser un sujet aussi dense que les relations entre Occident et Orient.

Aux douze vents du monde

Paru outre-Atlantique en 1975, Aux douze vents du monde constitue le tout premier recueil de nouvelles de Ursula K. Le Guin (une vingtaine d’autres suivrons, ainsi que le rappelle la bibliographie des œuvres de Le Guin établie par Alain Sprauel et incluse dans Aux douze vents du monde ; très détaillée, cette recension englobant aussi bien les œuvres de fiction que les poésies et les essais de l’auteure vient compléter celle proposée à l’occasion du dossier qui lui fut dévolu en 2015 dans le Bifrost n°78.) Les dix-sept textes composant cette anthologie ont été choisis et commentés par l’auteure elle-même. Se dessine ainsi un remarquable autoportrait littéraire susceptible d’intéresser aussi bien les néophytes que celles et ceux qui fréquentent l’œuvre de Le Guin de longue date… Pour les premiers, Aux douze vents du monde peut être appréhendé comme une très riche introduction à l’univers de la créatrice des cycles de «  Hain » et de «  Terremer ».

Ce recueil dresse d’abord un panorama des formes de l’Imaginaire chères à Le Guin. Aux douze vents du monde souligne ainsi l’attachement particulier de l’auteure aux registres de la science-fiction et de la fantasy. De cette dernière relèvent des nouvelles telles que « La Boîte d’ombre », « Le Mot de déliement » et « La Règle des noms ». Campant tous trois des affrontements à la fois héroïques et magiques entre créatures humaines et légendaires, ces récits témoignent du goût de l’écrivaine pour un certain médiéval-fantastique. « Neuf existences », « Plus vaste qu’un empire » ou « Le Champ de vision » illustrent quant à elles la manière science-fictionnelle de Le Guin. Constituant autant d’odyssées spatiales en miniature, ces nouvelles mêlent au thème de l’exploration intersidérale des questions telles que celles du clonage ou bien de l’intelligence extraterrestre. Fantasy et SF peuvent aussi coexister en une même histoire, comme dans « Le Collier de Semlé ». Épousant une trajectoire narrative allant du conte merveilleux à l’anticipation scientifique, cette nouvelle atteste de la capacité de Le Guin à se réapproprier de la manière la plus personnelle les formes les plus canoniques de l’Imaginaire. Une liberté littéraire dont témoigne peut-être plus encore un ensemble de récits — « Les Maîtres », « Les Choses », « Le Chêne et la Mort », « Ceux qui partent d’Omelas » — relevant du « psychomythe ». Un genre forgé par Le Guin elle-même, consistant en « des fables quasiment surréalistes qui ont en commun avec le fantastique de se dérouler hors du temps et de l’histoire ». Quasi exhaustive, cette ample cartographie formelle dressée par Aux douze vents du monde inclut encore les veines humoristique (« Avril à Paris ») ou historique (« Étoile des profondeurs ») de l’auteure. Restituant au mieux la variété narrative de l’imaginaire le-guinien, le recueil permet d’en cerner la cohérence thématique de façon pareillement éclairante. Chacune des dix-sept nouvelles fait en effet de la rencontre avec l’Autre sa question centrale. Certes, comme l’auteure l’écrit dans « Neuf existences », « rencontrer un étranger n’a rien d’évident. Même le plus grand extroverti, face au plus paisible des étrangers, ressent une certaine crainte, parfois même sans s’en rendre compte. […]. Il y a cette chose terrible : l’étrangeté de l’étranger. » Mais pareil trouble doit être dépassé car, ainsi que l’exprime « Le Roi de Nivôse » : « c’est notre variété qui fait notre beauté. Si l’on fusionnait tous ces mondes si divers par leurs esprits, leurs vies, leurs corps, quel tout harmonieux l’on pourrait en faire ! » S’imposant comme une initiation idéale à l’œuvre métisse de Le Guin, Aux douze vents du monde n’en séduira pas moins les plus averties de ses admiratrices et admirateurs. Précédemment publiées en français dans des ouvrages épars, ces dix-sept nouvelles sont enfin réunies en un seul volume respectant fidèlement la forme que lui avait initialement conférée Le Guin. Tous les textes sont en outre proposés dans des traductions révisées par Pierre-Paul Durastanti. Aux douze vents du monde inclut par ailleurs des « nouvelles séminales » à l’occasion desquelles l’écrivaine ébaucha les contours de quelques-uns de ses romans les plus fameux. Soient autant de précieuses archives pour les leguiniens et leguiniennes désireuses d’en savoir (encore) plus quant à la genèse de La Main gauche de la nuit, de L’Ultime rivage ou bien encore des Dépossédés. Nul doute donc qu’une fois achevée la lecture de ces dix-sept nouvelles, l’on éprouvera une irrésistible envie de (re)lire tout Le Guin.

Et c’est ainsi un très bel hommage que Le Bélial’ rend à l’auteure récemment décédée en publiant Aux douze vents du monde.

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