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Le Fond du ciel

[Critique commune à Le Fond du ciel, Vies de saints et Mantra.]

« Ce livre n’est pas un roman de science-fiction, mais il se nourrit de science-fiction ». Ainsi Rodrigo Fresán définit-il dans sa postface Le Fond du ciel. Et de fait, la science-fiction y est omniprésente. Elle occupe une place essentielle dans la vie de deux amis, Isaac et Ezra, enfants de la Grande Dépression nourris aux pulps. L’un deviendra écrivain, l’autre scientifique. A travers leur histoire commune, on découvre quelques-unes des figures les plus singulières de ce milieu : les premiers membres du fandom, Warren Wilbur Zack, auteur génial n’ayant connu le succès qu’après sa mort (toute ressemblance avec Philip K. Dick n’a rien de fortuit), ou Jeff Darlingskill, personnage réunissant les pires travers de H. P. Lovecraft et de L. Ron Hubbard. La première partie du ro-man, recréation de l’âge d’or de la S-F américaine, n’est pas sans rappeler Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay de Michael Chabon, avant que Fresán ne fasse partir son roman dans une direction très différente.

La science-fiction ne constitue pas uniquement l’environnement culturel des personnages. Elle est omniprésente dans l’écriture même du romancier, dans ses métaphores, dans sa façon de décrire le monde. « J’ai parfois fortement l’impression que tous les habitants de cette planète sont, sans en avoir conscience, des écrivains de science-fiction » (p. 15). C’est à travers l’évolution de la science-fiction au fil des décennies qu’il mesure l’évolution du monde. Fresán adopte alors le point de vue de son narrateur, regrettant le temps où les récits de S-F étaient « des manuels d’instruction pour mettre le futur en marche » (p. 67). Un futur qui, lorsqu’il rejoint notre présent, donne l’impression d’être en panne.

On aurait bien du mal à énumérer les innombrables emprunts à la S-F qui parsèment ce livre : glissements brusques vers le passé, l’avenir ou un monde parallèle, extra-terrestre observant l’humanité à distance, interprétations religieuses délirantes tout droit tirées d’un mauvais pulp, mais aussi toute une collection de fins du monde auxquelles nous n’avons semble-t-il échappé que de justesse. A la fois déclaration d’amour au genre et analyse de la manière dont il a en partie façonné notre vision collective du monde, Le Fond du ciel est à ranger à côté du Il est parmi nous de Norman Spinrad parmi les romans ne relevant pas de la S-F que tout amateur de S-F se doit impérativement de lire.

Un bonheur ne venant jamais seul, dans la foulée de la parution de ce roman, Le Passage du Nord-Ouest publie Vies de Saints, le deuxième livre de l’auteur, et ressort Mantra, un texte plus récent, dans une version actualisée. Quinze ans avant Le Fond du ciel, Fresán réalisait avec Vies de Saints un travail assez similaire, en prenant cette fois pour sujet la religion. Ce n’est pas tant la métaphysique qui l’intéresse ici que les potentialités fictionnelles d’un tel thème. « Dieu n’existe pas, mais c’est un grand personnage » (p. 215), fait-il dire à un ivrogne. Il chausse donc ses « Lunettes de Jésus » pour mettre en scène une galerie de personnages tout à fait fascinants : le frère jumeau du Christ, ayant glissé entre les mailles de l’Histoire depuis deux mille ans, un messie reconverti en tueur en série, un écrivain ayant prophétisé le 11 septembre 2001, ainsi que quelques célébrités, de Robert Johnson à Robert Oppenheimer. Surtout, Rodrigo Fresán s’amuse. Qu’il signe le synopsis d’un thriller religieux à la Da Vinci Code ou qu’il transforme l’élection papale en reality-show, il fait montre d’une inventivité de tous les instants. Collection d’histoires qui se croisent, s’interpellent et se répondent, Vies de Saints est un livre ludique, mêlant avec jubilation le sacré et le profane.

En matière de récit désarticulé et foutraque, Mantra va encore plus loin et, après une première partie relativement linéaire, se poursuit durant plus de trois cents pages sous la forme d’un lexique, sautant d’un sujet à l’autre tout en construisant progressivement une vision globale de son sujet. Pour le résumer d’une ligne, Mantra est un guide de la ville de Mexico. Sauf que, comme le fait remarquer l’un de ses personnages, « dans tout l’univers, rien n’est plus inutile qu’un guide de Mexico… » (p. 273). D’où ce collage de faits, d’impressions et de fantasmes, donnant à l’ensemble son aspect chaotique. Argentin d’origine, Rodrigo Fresán aborde la ville en étranger, et confronte son point de vue à celui d’autres illustres visiteurs, Sam Peckinpah, Antonin Artaud ou William Burroughs. Un regard extérieur qui lui autorise toutes les libertés. Sous sa plume, Godzilla devient un monstre précolombien ou un guérillero révolutionnaire, tandis que les films mettant en scène les célèbres lutteurs masqués locaux empruntent leur esthétique à la Nouvelle Vague. La science-fiction est elle aussi présente dans Mantra, à travers quelques-unes de ses figures les plus représentatives (Rod Serling et sa Twilight Zone, Philip K. Dick), ou diverses réflexions sur la question, rejoignant celles développées dans Le Fond du ciel. Quant à l’épilogue du roman, situé dans une Mexico future anéantie par une succession de cataclysmes, il s’agit de pure S-F. Roman tentaculaire où, à l’instar de la ville qui l’inspire, il est aisé de se perdre, Mantra est un livre stupéfiant, sorte de work-in-progress permanent (Fresán a rajouté divers chapitres pour cette nouvelle édition) et une expérience de lecture tout à fait unique.

Les Magiciens

A première vue, on pourrait naïvement penser que l’absence d’idées originales aurait quelque chose de vaguement handicapant pour un écrivain. Hélas, il suffit de jeter un œil à la majeure partie de la production annuelle en fantasy pour rapidement se persuader du contraire. Et ce n’est certainement pas Lev Grossman (le frère d’Austin, auteur d’Un jour, je serai invincible (Calmann-Lévy), également traduit par Jean-Daniel Brèque) qui va faire mentir cette réputation, lui qui, avec son troisième roman Les Magiciens, pompe à droite à gauche avec l’abnégation d’un Shadock.

Le projet de base est en effet d’une simplicité remarquable : selon les mots du New York Times, cité en quatrième de couverture — et c’est bien sous cet angle qu’a été vendu le bous… bouquin —, il s’agit de livrer « un Harry Potter pour adultes ». Drôle d’idée… Après tout, le sorcier binoclard britannique a suffisamment montré qu’il pouvait être lu aussi bien par les pitinenfants que par leurs parents. En quoi cela peut-il donc bien consister, « un Harry Potter pour adultes » ? Eh bien, selon Lev Grossman, cela consiste en gros à plagier peu ou prou J. K. Rowling sur 300 pages (qui condensent cinq années d’études ; oui, c’est du Potter en digest…), en les saupoudrant d’un soupçon de drogue, d’une cuillère d’alcool, et d’une louche de pénibles coucheries adolescentes et des jalousies qui vont avec, mollement partouzardes pour la forme, et en définitive très racoleuses. TU LA SENS MA GROSSE SUBVERSION ? Ben, pas vraiment, en fait ; d’autant que l’auteur, en définitive, échappe assez difficilement à un certain moralisme et, en prime, à un certain machisme pour le moins consternant. Donc, en fait « d’Harry Potter pour adultes »… Disons pour ados aux hormones en ébullition, à la limite. Et encore.

Pour le reste, nous sommes en terrain connu. Le livre premier (près de 300 pages, donc) est une resucée pure et simple de la série à succès précitée. Tout y est, et deux allusions pas très fines y sont même faites (pp. 171 et 245). Nous suivons donc Quentin Coldwater au cours de ses cinq années d’études à Brakebills, l’Université des magi-ciens (oui, décalage d’âge oblige). On y joue à la bourbasse au lieu du quidditch. Pour le reste, c’est la même chose. Les cours, les amis, les amours, les disputes… Certes, il n’y a pas cette fois l’idée d’un élu, et l’ombre de Voldemort ne plane pas sur l’école (même si nous en avons une sorte d’ersatz), mais c’est à peu près tout. Sinon, tout pareil ; à la limite du plagiat, ou si vous préférez du foutage de gueule. Avec beaucoup moins d’intérêt que l’original, cela va sans dire : en 300 pages, on n’a pas le temps de développer un univers aussi construit et cohérent (à vrai dire, Lev Grossman, sous cet angle, ne développe rien du tout) ; et on ne manquera pas de regretter le côté british de l’institution, mal transposé aux Etats-Unis, où le traditionalisme de Poudlard cède la place à un éloge de la compétition au moins aussi nauséabond, si ce n’est plus…

Restent 200 pages à combler. On commence par du sexe, de la drogue, et sans doute du rock’n’roll, pour montrer que, attention, on n’est pas dans Harry Potter, hein, mais dans un roman adulte. C’est lourd. Très lourd.

Puis l’on passe à la seconde véritable partie du roman, qui se rattache grossièrement à la première. Quentin, dans son enfance — et au-delà — était un fan absolu des Chroniques de Fillory, une série de fantasy en cinq volumes. Bien évidemment, il va découvrir que Fillory existe réellement, et que les Chroniques disaient la vérité. Pompage, phase deux : cette fois, c’est semble-t-il essentiellement « Narnia » qui trinque, avec une grosse louche de Magicien d’Oz, et un soupçon d’Alice au pays des merveilles. Le tout traité comme une parodie d’une mauvaise partie de Donjons & Dragons, avec un total manque de respect pour le sujet et les lecteurs. Les rebondissements gros comme une maison abondent, parfois téléphonés, d’autres fois simplement too much. Et le lecteur s’ennuie ; à peine si son intérêt s’éveille quelque peu dans les passages les plus sombres de ce périple à Fillory. Mais rassurez-vous (ou désespérez) : ce n’est que passager ; d’ailleurs, Lev Grossman serait en train de « travailler » (?) sur une suite…

Le plus fort est sans doute qu’il y ait eu des critiques pour trouver ça « luxuriant et inventif… original et passionnant », comme le proclame fièrement la quatrième de couverture, encore, citant cette fois le Washington Post. Pas compris…

Si l’on ajoute à cela des personnages tous plus agaçants les uns que les autres (dans le mauvais sens du terme), épais comme une feuille de papier OCB et dotés de la psychologie d’un hamster, plus un style quelconque perclus de traits jeunistes (on ne compte pas les « cool » et les « look »), le bilan est vite vu : allez, hop, poubelle.

Ceux qui nous veulent du bien

Ami lecteur, toi qui lis ces lignes, abandonne tout espoir : apprends d’ores et déjà que notre futur sera glauque, que c’était mieux avant et que, rhalala, ma bonne dame, avec toutes les nouvelles technologies qu’y nous font, ben on n’est pas sortis de l’auberge, c’est moi qui vous l’dis. Manière d’affirmer que, dès le départ, l’appel à textes intitulé « nouvelles technologies et atteintes à l’humain » lancé conjointement par La Volte et La Ligue des droits de l’Homme et qui a débouché sur cette anthologie posait quelque peu problème à l’amateur de science-fiction… En effet, en adoptant une telle orientation idéologique comme fondement même de son propos, il présentait le risque de déboucher sur des textes, disons « technophobes », pour ne pas dire « néo-luddites », pour ne pas dire franchement réactionnaires (et chez La Volte, dans le genre, on avait déjà donné avec La Zone du dehors d’Alain Damasio, présent à l’affiche…). Or, en science-fiction, ça la fout un peu mal… Si celle-ci peut à bon droit tirer la sonnette d’alarme à l’occasion, son instrumentalisation à cet effet, surtout s’il s’agit de pointer du doigt les dérives du progrès technologique, pose d’autant plus problème que les amalgames sont vite réalisés, qui viennent stigmatiser globalement ce progrès : on aura hélas l’occasion de le constater. Or, sans verser dans le positivisme béat, ni a fortiori dans un scientisme malsain, on est en droit de regretter que les nouvelles technologies, quelles qu’elles soient, ne soient envisagées que sous un angle purement négatif, quand elles sont susceptibles de tant d’applications.

Ceci étant, nous ne parlons ici que de l’appel à textes ; et si ces préconçus imprègnent encore largement la préface de Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme (qui, au mieux, enfonce des portes ouvertes, et, au pire, se montre maladroit, voire méprisant, vis-à-vis du genre…), le fait est qu’un appel à textes, ça se tord, ça s’interprète, ça se remâche, et qu’il peut en sortir des choses assez inattendues. Or il y a du beau monde, au milieu des inconnus, dans cette anthologie ; de quoi attiser malgré tout la curiosité du plus sceptique des lecteurs. Mais autant le dire tout de suite : le résultat final est passablement médiocre… Et s’il s’en est trouvé pour tirer leur épingle du jeu (quitte à verser dans le hors sujet, d’ailleurs…), nombreux sont ceux qui se sont contentés du minimum syndical, quand ils n’ont pas livré des aberrations pures et simples.

Décortiquons donc la bête, en commençant par une rapide vue d’ensemble : double couverture, jolie maquette (4), c’est assurément un bel objet ; on se montrera par contre plus que réservé sur les « fiches signalétiques » placées en tête de chaque nouvelle et décrivant sommairement les auteurs, qui ont tout de la fausse bonne idée : le résultat est souvent, au choix, hilarant ou consternant (mentions spéciales au « subversif » Ayerdhal et au bavard Philippe Curval). Mais passons aux nouvelles, du pire au meilleur.

Le pire, ce sont deux nouvelles catastrophiques, caricaturales au possible, qui représentent à peu près tout ce que l’on pouvait craindre en la matière. Le champion, ici, est sans conteste Bernard Camus, avec — attention les yeux — « Les Evénements sont potentiellement inscrits et non modifiables », courte « nouvelle » (?) absolument imbitable qui redonne à l’expression si convenue « d’anti-américanisme primaire » tout son sens (et en caractères gras, s’il vous plaît). Mais Philippe Curval se débrouille également pas mal avec « Un spam de trop », de loin le texte le plus réac de l’antho, qui plus est plombé par un humour lourdingue, et dont la conclusion, absurde, certes, est avant tout ridicule.

Il y a ensuite du simplement mauvais. Outre la préface (donc), nous retiendrons ici trois textes : tout d’abord « Le Regard », de Jérôme Olinon, texte raté, confus, au style pénible ; ensuite « Trajectoires », de Danel, « Minority Report » du pauvre, mal écrit pour couronner le tout ; enfin « Vieux Salopard » de Paul Beorn, mauvais remake de L’Echiquier du mal passablement hors sujet.

Quatre nouvelles se contentent d’être médiocres, au sens strict : « Echelons », de Thomas Day, qui ouvre le recueil, n’est pas déplaisante, mais laisse un peu sur sa faim ; « Satisfecit » de Stéphane Beauverger est riche de bonnes idées, mais sa trame de thriller et sa conclusion déçoivent ; Ayerdhal, avec « Paysage urbain », fait dans l’ultra didactique politiquement correct (ah non, pardon, « subversif »), ce qui n’est pas totalement inintéressant, mais tout de même un peu trop pontifiant pour séduire véritablement ; Prune Matéo, enfin, livre avec « Sauver ce qui peut l’être » un texte assez sensible, mais qui ne laisse guère d’impression durable.

On en arrive (enfin) aux textes « corrects », voire bons. Camille Leboulanger, avec « 78 ans », dresse un beau portrait de vieillard, dans un monde où la vieillesse peut être évitée ; un peu hors sujet, mais touchant. A l’autre extrémité, Gulzar Joby, avec « Remplaçants », s’intéresse quant à lui aux enfants fliqués par leurs parents ; pas d’une originalité foudroyante, mais assez joli. Un cas limite ensuite avec Alain Damasio, qui fait du Damasio, en mode psychothérapie fumage de moquette : comme souvent avec cet auteur, c’est aussi séduisant qu’agaçant, mais, au final, cette descente aux enfers fait mouche ; elle est pourtant largement hors sujet, là encore…

Puis viennent les textes qui méritent franchement le détour. Jacques Mucchielli, avec « Spam », nous livre une variation noire et agressive de Les Gogos contre-attaquent de Frederik Pohl : écriture irréprochable, images fortes, rien à redire. « Ghost in a Supermarket » d’Eric Holstein est également tout à fait recommandable : cette chasse au consommateur s’avère passionnante et effrayante. Si « Des myriades d’arphides » de Sébastien Cevey est peut-être encore un peu confus, il confirme néanmoins qu’il s’agit là d’un jeune auteur prometteur, et c’est en outre un des rares textes de l’anthologie à présenter les possibilités de résistance offertes par la technologie elle-même. Léo Henry est passablement hors sujet (lui aussi !) avec « Naître et fleurir », mais peu importe : la plume est superbe, et la nouvelle délicieuse. Et l’anthologie de se conclure en beauté avec « Le Point aveugle » de Jeff Noon, sorte de poème en prose en plein dans le sujet (enfin…).

Il n’en reste pas moins qu’au final ces « 17 mauvaises nouvelles d’un futur bien géré » (pas dit que ce sous-titre soit très bien vu, au passage…) sont dans l’ensemble très inégales, trop sans doute pour faire de ce recueil une lecture véritablement recommandable. Certes, les auteurs ont pour la plupart évité de tomber dans les pièges que leur tendait l’appel à textes, et c’est heureux ; mais trop rares sont ceux qui, pour autant, ont livré des textes vraiment saisissants, ou ont fait preuve de la maîtrise nécessaire pour les pousser jusqu’au bout.

Critiques Bifrost 47

Retrouvez sur l'onglet Critiques toutes les chroniques de livre du Bifrost n°47 spécial Jean-Claude Dunyach !

JHB 06/07

Retrouvez dans le Journal d'un Homme des Bois la suite des aventures de Francis Valéry, avec au programme l'axe de la Terre qui bascule, du rock et des patates !

Bifrost 67 édito

En attendant la parution de Bifrost 67 jeudi prochain, téléchargez gratuitement l'édito d'Olivier Girard dès aujourd'hui !

Bifrost 66 numérique

Attention, vous avez jusqu'au jeudi 12 pour acheter la version numérique de Bifrost 66, après quoi ce numéro ne sera plus disponible qu'en version papier.

Fascination

Ne reculant devant aucun sacrifice, je me suis procuré ce pavé et je l’ai parcouru d’un derrière distrait.

La narration est d’une linéarité limpide : une jeune fille arrive dans une ville moche du nord des Etats-Unis, elle va au lycée où elle rencontre des gens et rédige des devoirs de sciences naturelles. L’ellipse est rare et le vocabulaire, simpliste.

L’histoire : elle rencontre un beau gars, elle en tombe amoureuse, c’est réciproque et surprise ! C’est un vampire. Va-t-il la boire ? A priori, non, puisqu’il y a deux ou trois tomes à suivre. Va-t-il l’embrasser ? A la page 250, on en doute.

Malheureusement, l’auteur achoppe sur la première pierre venue : son vampire est tellement plus beau que beau qu’il est impossible de le visualiser, comme le « plus blanc que blanc ». Sa peau est d’albâtre ici, de marbre quelques pages plus loin, de diamant ensuite, ses yeux sont de topaze ou d’onyx, bref, il ressemble à un catalogue Tiffany. La beauté est rarement sexy.

Mais ce qui m’a intéressée, dans ce livre, c’est l’image de la jeune fille américaine à laquelle les ados aiment s’identifier.

1) C’est une bonniche. Elle fait les courses parce que ça l’amuse, elle fait le dîner parce que ça la distrait, elle gère le linge parce que ça lui change les idées et elle se tape la vaisselle parce que ça lui occupe les mains.

Super.

2) Elle ne mange pas. Elle ne mange pas équilibré, elle ne mange pas végétarien, elle ne mange pas bio : elle ne mange pas tout court. Elle passe son temps à avoir l’estomac noué, ou des crampes, ou pas d’appétit, et elle suçote un Coca Cola d’un air distrait. Je suis sortie de cette lecture avec l’impression d’avoir compris deux ou trois choses concernant l’obésité aux Etats-Unis. Notez qu’à cette étonnante absence d’estomac correspond une identique absence de foufoune.

3) Elle passe son temps à tituber, on se croirait dans Conan. Elle tombe dès qu’elle met un pied devant l’autre, elle rougit à tout bout de champs, elle a des vapeurs en cours de dissection, des migraines et des insomnies qu’elle soigne en avalant un cachet d’antibiotiques (?) qui lui met la tête à l’envers ( ??).

Dépassons la page 250. Dans la seconde partie du livre, les deux héros jouent à touche-pipi depuis le haut du crâne jusqu’à la clavicule inclusivement. Ils se mettent le nez dans l’oreille et le doigt dans la bouche pendant de très longues pages.

Ensuite, nous avons droit à la séquence suspens : l’héroïne se fait agresser par un autre vampire. C’est du pur SM à la petite semaine comme on en trouve dans les « New York Police Expert Investigation Blues de Miami ». Ce genre d’appel du pied à notre goût du sang des autres m’écœure comme du miel dans du sucre.

Au fond, ce livre est horrible. Imaginez-vous en ménage avec quelqu’un qui ne vous lâche jamais, vous regarde dormir la nuit, écoute tout ce que vous dites, vous interdit de conduire et vous oblige à manger, ne supporte pas que vous parliez à une autre personne (il ne va pas pouvoir se retenir de la tuer) ni que vous l’embrassiez (il ne va pas pouvoir se retenir de vous tuer). C’est pire qu’Histoire d’O ! Jamais vu ça, même au ciné… Et le plus horrible, c’est qu’elle a l’air contente.

Une fois le pensum refermé, il ne reste plus qu’à s’interroger sur les raisons de son succès. C’est peut être dû à son côté bigger than life. Imaginez : vous êtes une adolescente quelconque, un peu complexée, un peu boutonneuse, ni blonde ni sportive, vous croisez le plus beau gars du lycée et

1) Il tombe fou amoureux de vous. En plus, Il est « vertueux comme on ne l’est pas et il pleure comme une urne », à l’image des héros des romans qu’aimait lire madame Bovary. Alors qu’en toute logique lycéenne, Il devrait être prétentieux comme un dindon et aussi basique qu’un tube de néoprène.

2) Il est bizarre. Avec Lui, vous ne courez aucun risque d’avoir à supporter la bande de copains, les matchs de foot et les problèmes d’acné.

3) Il ne couche pas. Et ça, à l’adolescence, ça peut être tentant. Un beau gars est attirant, les mystères de son pantalon le sont moins.

A cet aune là, il n’est pas étonnant que ce roman plaise. Mais dans les à-côtés de l’intrigue centrale, je ne comprends pas pourquoi l’héroïne fait la vaisselle au lieu de faire de la varappe, ni pourquoi elle est incapable de taper dans un ballon sans se tordre la cheville, ni pourquoi elle n’avale pas un bon steak à midi. Qu’est-ce que ça enlèverait à l’histoire ?

Conclusion : Judith Butler, reviens ! Elles sont devenues folles.

Les nombreuses vies de Dracula

Depuis 2005, « La Bibliothèque Rouge » propose de découvrir les biographies « imaginaires » des grands héros des littératures de genre : Sherlock Holmes, Maigret, Harry Potter… ou même Cthulhu ! Dracula, LE vampire le plus connu, avait forcément sa place dans la collection. L’ouvrage d’André-François Ruaud et d’Isabelle Ballester est organisé en trois parties.

La première, de loin la plus longue, présente l’histoire du vampirisme, des mythes antiques à l’époque des Lumières en passant par les superstitions médiévales. Elle revient bien sûr en détail sur l’histoire de Vlad Tepes, le vrai Dracula, voïvode qui régna aux marges du royaume de Hongrie et de l’Empire Ottoman à la fin du Moyen Age. Elle évoque aussi d’autres cas connus comme la fameuse « comtesse sanglante », la Hongroise Erzsébet Bàthory. Avec le début du roman gothique, la charnière des XVIIIe et XIXe siècles voit les vampires devenir des archétypes littéraires. On croise alors les personnalités de Lord Byron, du couple Shelley ou de Théophile Gauthier. Puis l’imaginaire reprend ses droits lorsque les auteurs s’emparent du roman de Bram Stoker, mais aussi des écrits « apocryphes » de Barbara Hambly et de Fred Saberhagen (dont la plupart étaient disponibles dans la collection « Terreur » aux éditions Pocket) pour écrire la biographie de Dracula à partir de la fin de l’époque victorienne. On peut toutefois s’étonner de leur utilisation du roman d’Elizabeth Kostova, L’Historienne et Drakula, dont le récit semble pour le moins confus. Erudite et passionnante (malgré quelques digressions, disons… surprenantes), pleine de pistes de lectures, cette biographie d’un vampire tient ses promesses.

La deuxième et la troisième partie de l’ouvrage sont plus anecdotiques. En effet, la chronologie d’une soixantaine de pages (qui reprend principalement des éléments déjà cités, en y intégrant le déroulement quasi-quotidien du roman de Stoker !) ne remplace pas un index qui aurait été plus utile. Un très court article d’Hervé Jubert clôt le volume, en décrivant en trois pages seulement la série d’uchronies vampiriques de Kim Newman (cf. ci-avant). De quoi laisser sur sa faim le lecteur qui voudrait en savoir plus…

Malgré ces quelques réserves, cette « Bibliothèque Rouge », riche d’une iconographie élégante (marque distinctive de la collection qui lui fait écrin), intéressera les amateurs de vampires, en leur proposant notamment de nombreuses pistes de lecture.

Bloodsilver

Bloody Hell ! Les vampires débarquent au Far West !

En 1691, un bien curieux bateau en provenance du Vieux continent s’échoue sur les côtes américaines. A son bord, des créatures qui se nourrissent de sang. Très vite surnommés Broucolaques — le terme vient du grec, puisque c’est un Grec émigré qui les aperçoit le premier —,  mot plus tard abrévié en Brookes, ils vont se lancer dans une avancée inexorable sur ce nouveau monde, lançant une seconde conquête de l’Ouest. Ils croiseront ainsi un certain nombre de personnages de la légende de l’Amérique, de Billy le Kid à Mark Twain, en passant par les frères Dalton et Earp, Abraham Lincoln ou encore la famille Winchester. C’est néanmoins Cotton Mather, le révérend qui combattit les sorcières de Salem, qui leur pose le plus de soucis, puisqu’il crée la Confrérie des chasseurs, chargée d’exterminer les Brookes. Ceux-ci, pour leur part, tentent de récupérer tout l’argent (le métal, pas la monnaie) que recèle le continent américain, afin que leurs ennemis ne s’en servent pas contre eux.

Ce roman-mosaïque — chaque texte racontant une étape de la progression des Brookes, avec des narrateurs et des styles variés — est censé être de la plume de Wayne Barrow, un patronyme qui fleure bon le redneck ; il s’agit pourtant du pseudonyme des bien Français Johan Heliot et Xavier Mauméjean, qui obtinrent avec ce livre le Grand Prix de l’Imaginaire 2008. L’idée de marier le thème vampirique et le western fonctionne ici à merveille, car en plus de procurer son lot de scènes d’action particulièrement cinégéniques, elle s’enrichit d’une réflexion sur la naissance des Etats-Unis, sur la constitution progressive de ses caractéristiques, dont certaines perdurent encore aujourd’hui : la violence, la difficile et longue lutte contre le racisme (noirs, indiens, brookes, même combat), le traumatisme de la guerre de Sécession, et, d’une manière plus générale, la notion de terre d’accueil. Les vampires vont interagir avec ces thématiques : en effet, leur intrusion constitue une variable supplémentaire à intégrer dans le développement de la nation, variable qui va modifier sensiblement celui-ci ; le roman prend alors des allures d’uchronie vampirique parfaitement crédible. Que leurs opposants le veuillent ou non, les Brookes sont là, ils s’intègrent dans le paysage, et finiront sans doute par être considérés comme des citoyens à part entière… jusqu’à une pirouette finale plutôt bien vue. Avec ce livre, Barrow remet au goût du jour le thème du vampire de manière éclatante.

[Lire aussi l'avis d'Olivier Pezigot dans le Bifrost n°45.]

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