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Le cœur perdu des automates

« Un fantastique hybride de Highlander et Terminator avec un soupçon de Blade Runner pour faire bonne mesure », proclame la quatrième de couverture. Le livre avait-il besoin de cette promotion improbable ? Au-delà d’un aspect quelque peu putassier, l’affaire a au moins le mérite d’annoncer la couleur : voilà un livre inspiré du cinéma, écrit comme au cinéma, et peut-être pour le cinéma. L’auteur n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : un de ses livres précédents (Robopocalypse, même éditeur), dormant dans les cartons d’Hollywood, aura bientôt l’honneur d’une adaptation par le tâcheron Michael Bay.

Le pitch de ce Cœur perdu des automates — beau titre, soit dit en passant – s’articule autour d’une double ligne narrative : la première emmène à Moscou, au début du xviiie. Dans un atelier secret du palais de Pierre le Grand, deux automates reprennent vie, animés par la plus fine et élaborée des horlogeries. Ils sont doués de parole, de conscience, d’une âme ; mais ils ont tout oublié de leur passé et de leurs semblables, les Avtomats. La seconde ligne, ancrée dans notre époque, suit June Stefanov, spécialiste en automate ancien : elle les étudie, les répare et, parfois, les réactive. Elle doit sa passion à son grand-père, qui lui a légué un étrange objet métallique ainsi qu’une drôle d’histoire d’ange de métal datant de la Seconde Guerre mondiale.

Jusqu’ici, tout va bien, les fils vont gentiment se nouer pour, d’un côté, éclairer l’histoire des Avtomats – et en particulier des deux poupées russes précitées — depuis les origines, et de l’autre pour raconter, de manière épique, les dernières séquences d’un conflit pluriséculaire pour la possession, ou la récupération, de la fameuse clé détenue par June.

Sauf qu’une succession de mauvais choix narratifs va venir passablement gâter le décor : de chercheuse chevronnée au look de Lara Croft, June redevient d’un coup la pauvre potiche damoiselle en détresse qu’il faut sauver, ce qu’accomplira un Terminator bienveillant (nommé Pierre Alexeievitch, d’après le Tsar) dans une séquence quasiment transposée du film de James Cameron. Et le thriller ésotérique à la Da Vinci Code de basculer dans un enchaînement de péripéties empruntées aux gros blockbusters qui tachent, avec courses-poursuites, duels à l’arme blanche, pétarades et robots flippants à souhait. Le récit a le bon goût d’alterner, on l’a dit, deux lignes narratives temporelles. Si la ligne « historique », plus calme, plus introspective, apporte un temps le contre-point idéal au déferlement de testostérone de la ligne contemporaine, l’intérêt qu’on y porte ne tient pas sur la longueur. Les cartes postales sont belles : un chapitre sur Helsinki au siècle des Lumières, d’autres dans l’Angleterre prévictorienne, dans l’Inde coloniale, dans la Chine antique… mais ce n’est pas de la 3D, il manque la profondeur. Le travail sur les personnages est à l’avenant : inégal pour les gentils, parfois incompréhensible pour les méchants (ainsi de la « mère des vers », le boss final du jour, censément toute-puissante mais incapable de retrouver ses ennemis sur un périmètre de quelques kilomètres, et dans un intervalle couvrant quelques décennies…), et indigents pour les seconds rôles, nous autres, pauvres humains, réduits au rôle de faire-valoir, ou plutôt de chair à pâté. Signalons encore cette anecdote à propos de l’héroïne falote : dans la lettre de l’éditeur accompagnant mon exemplaire de service de presse, le nom de June est remplacée par celui d’Alexa… Parfaite métaphore de ce qu’on appelle une erreur de casting ! Le scénario dans son ensemble n’aide évidemment pas tous ces protagonistes à livrer des prestations mémorables, même s’il est vrai qu’on est touché, par moments, de voir le grand Pierre Alexeievitch se débattre avec la Parole – sorte de programme interne qui rappelle les lois de la robotique du bon docteur Asimov. Comme quoi, il y avait de bonnes idées, malheureusement noyées sous des tonnes de lignes anodines et attendues.

Le Cœur perdu des automates est un véritable piège pour les lecteurs qui ont aimé les langueurs et la complexité philosophique, politique et artistique d’œuvres telles que La Vénus anatomique (Xavier Mauméjean), L’Automate de Nuremberg (Thomas Day), ou encore plus récemment L’Alchimie de la pierre (Ekaterina Sedia). Le livre de Daniel H. Wilson en est la parfaite antithèse : rapide, violent, bourrin, peu nuancé, jouant à fond la carte de l’émotion forte. Des ingrédients qui feront pourquoi pas un bon film d’action, mais qui, en l’état, ne suffisent pas à faire un bon livre.

Void Star

La science-fiction étant devenue la nouvelle frontière à conquérir pour de nombreux éditeurs, Hugo & Cie nous gratifie à son tour d’un label dédié au genre révéré par les lecteurs de Bifrost. Et on se dit, en découvrant le pitch de Void Star, l’un des deux titres inauguraux de « Nouveaux Mondes » (avec le très mauvais Armada, d’Ernest Cline), qu’il y a peut-être matière ici à ressusciter un post-cyberpunk bien orphelin. Hélas, si toutes les promesses ne sont certes pas déçues, le roman de Zachary Mason déroule une intrigue au final assez convenue, voire même plan-plan, comme on va le voir.

Futur proche. Le changement global a provoqué l’élévation du niveau des océans, engloutissant les côtes et une partie des mégapoles qui y prospéraient. Un déferlement de réfugiés climatiques a bouleversé la physionomie des villes survivantes. Des favelas ont poussé de manière anarchique, déployant les concrétions bétonnées de leurs alvéoles d’habitation sur les rares espaces libres. Par voie de conséquence, la ségrégation sociale et spatiale règne à tous les niveaux, sous le regard des drones armés. Tout cela pour le plus grand bonheur des plus favorisés, sans cesse en quête d’une jeunesse éternelle, garantie par les cliniques de rejuvénation, mais aussi pour le plus grand malheur des miséreux, condamnés à vivre d’expédients. Dans ce monde chaotique, en proie au recul des États et aux guerres, Irina a su creuser sa niche, usant de son implant cérébral pour servir d’intermédiaire entre ses clients fortunés et leurs IA dysfonctionnelles. De son côté, Kern s’est taillé une réputation de petite frappe dans les favelas de Los Angeles où il survit. À force de discipline, mais non sans intelligence, il s’est peu à peu élevé dans la hiérarchie des gangs. Quant à Thales, victime collatérale de l’attentat ayant entraîné la mort de son père, il se remet difficilement de ses blessures, l’esprit petit à petit réduit en charpie par le dysfonctionnement de la puce expérimentale implantée dans son crâne. De contrats mirobolants en quiproquos, le destin du trio se retrouve inextricablement lié.

Void Star recèle de chouettes idées, un faisceau de spéculations aussi brillantes que stimulantes autour des neurosciences et de l’interaction entre l’homme et la machine. Expert en intelligence artificielle, Zachary Mason met son savoir à contribution pour s’interroger sur l’émergence de consciences numériques rendues de plus en plus étrangères à l’esprit humain par leur complexité extrême. L’écriture de l’auteur, très bien restituée par la traduction, dévoile des fulgurances visuelles puissantes, conférant au récit une atmosphère dense, propice à l’immersion. Malheureusement, les longueurs, des temps morts interminables où l’on tourne les pages sans enthousiasme, plombent un tantinet la progression dramatique. À cela, il convient d’ajouter une narration au tempo haché, thriller oblige, où l’ennui finit par se substituer au suspense. Mais surtout, le roman pâtit d’un déséquilibre fâcheux entre les personnages. À côté de Kern, sans doute le caractère le plus intéressant du récit, Irina et Thales déçoivent par leur traitement terne, ne suscitant guère l’empathie. Thales apparaît d’ailleurs complètement superflu, en dépit du twist téléphoné dont il fait l’objet.

Bref, on ressort de Void Star avec un sentiment mitigé, où l’intérêt pour le post-cyberpunk se mêle à la déception. L’impression d’avoir lu un récit dont l’horizon d’attente miroite dans le lointain, comme un mirage, avant de s’évanouir. Dommage.

Les étoiles sont Légion

Parmi les nouveautés du tout jeune label Albin Michel Imaginaire, les amateurs de science-fiction seront sans doute impatients de découvrir, aux côtés du second tome du phénoménal [anatèm], le premier roman traduit sous nos longitudes de l’autrice américaine Kameron Hurley. Un space opera viscéral (euphémisme) où les vastitudes intersidérales cèdent la place aux profondeurs claustrophobiques et moites d’un essaim de mondes organiques. Un parti-pris aventureux, que d’aucuns jugeront guère propice au déploiement du sense of wonder. À la place, il faudra se contenter de l’atmosphère anxiogène et délétère d’un univers engagé dans un long collapsus. Bref, excepté auprès des fans d’hybridations malsaines et de délires corporels flirtant avec le gore, pas sûr que Les Étoiles sont Légion fasse l’unanimité.

La Légion se compose d’un chapelet de vaisseaux-mondes orbitant autour d’un soleil mourant. Les lieux ont sans doute connus des jours meilleurs, mais tout n’est plus que ruines, ou plutôt que tumeurs cancéreuses et chairs nécrosées, dans ce qui s’apparente désormais à un pandémonium en proie à une entropie irrésistible. Zan et Jayd ont un plan pour y remédier. Surtout la seconde, car Zan a sombré dans une fâcheuse amnésie qui la contraint à subir les événements. Pour arriver à ses fins, le duo féminin doit mettre un terme à la guerre opposant deux factions de la Légion, les Katazyrna et les Bhavaja, afin de s’emparer de la Mokshi, un monde à part, véritable électron libre doté de capacités inédites.

À l’instar de Zan, la guerrière amnésique, le lecteur est immergé en aveugle dans l’univers de chair et de sang du roman de Kameron Hurley. Le procédé est censé ménager le suspense, tout en distillant progressivement les données sur l’environnement organique des personnages. Même si l’on n’apprend pas grand-chose sur ses origines, la Légion s’avère en effet comme le point fort du roman. Un univers vivant où les habitants apparaissent davantage comme des symbiotes participant à un grand tout dont la raison d’être échappe au champ du récit. Pour apprécier Les Étoiles sont Légion, il faut aimer la plomberie, les sécrétions, excrétions et autres humeurs qui transitent dans un organisme. Kameron Hurley ne nous épargne rien de la déliquescence des lieux. On y vit, on y meurt, on y est recyclé dans un déluge de sang, de merde, de pisse et de glaires. Aucun être vivant n’est sacré. Tout n’est que chair, organe, tendon ou os, prêts à être digérés pour servir de nutriments aux générations futures, ou prêts à être implantés dans un autre corps – comme les utérus de Zan et de Jayd. Si l’univers suscite l’intérêt, voire une fascination trouble, il n’en va pas de même, hélas, de l’intrigue. Récit linéaire perclus de clichés, Les Étoiles sont Légion pèche aussi par ses cliffhangers répétitifs supposés accroître la tension dramatique. Peine perdue puisque les clés du récit nous sont livrées dès le début, via les citations en exergue de chaque chapitre. Quant à l’aspect féministe annoncé en quatrième de couverture, il se réduit à un monde exclusivement féminin, où les femmes rejouent ad nauseam la sempiternelle comédie humaine de la lutte pour le pouvoir. Un peu maigre, en somme, à moins d’y voir un rappel de l’inutilité du sexe masculin, y compris dans le processus de reproduction.

Achevons donc cette chronique sur un sentiment mitigé, entre déception et enthousiasme modéré. Les Étoiles sont Légion apparaît comme un roman bancal. Une coquille un peu creuse, voire une cellule dévitalisée. Tant pis.

Écotopia

Vous ne l’avez sans doute pas su, mais ces satanés hippies ont pris le pouvoir dans les trois États de l’Ouest, imposant une sécession douloureuse aux États-Unis. Vingt années après cet événement traumatique, vers l’an 2000, l’Écotopia ouvre pour la première fois ses portes à un journaliste américain, William Weston. Pour cet envoyé du grand quotidien le Times-Post, ce nouveau pays apparaît à la fois comme une source de curiosité et de rancune. Son reportage est donc un bon moyen de combattre les préjugés, y compris les siens, afin d’établir la vérité sur les choix adoptés par les Écotopiens.

Écotopia reprend une formule littéraire ancienne, celle de l’utopie. Paru dans nos contrées en 1978 chez Stock, sous le titre de Écotopie, la fiction utopique d’Ernest Callenbach bénéficie d’une nouvelle traduction publiée chez Rue de l’Échiquier pour inaugurer la collection « Fiction » de l’éditeur. Une réédition bienvenue, offrant l’opportunité de découvrir un ouvrage relevant ouvertement de l’écologie politique, un OLNI de 1975, devenu rare sur le marché de l’occasion, et dont le propos se révèle plus que jamais d’actualité. Très honnêtement, c’est surtout cet aspect de Écotopia qui retient l’attention, comme un écho funeste aux inquiétudes et aux catastrophes de notre époque. Le dispositif narratif et l’écriture sont en effet d’une lourdeur et d’un didactisme bien décourageants. Ernest Callenbach mêle les articles publiés par le Times-Post aux extraits du journal personnel de Weston, témoignant de l’évolution du regard du journaliste sur l’utopie écologiste ouest-américaine. Le compte-rendu informatif côtoie ainsi le quotidien vécu, pendant que le devoir d’objectivité se frotte au ressenti intime du simple citoyen. Pour le lecteur d’aujourd’hui, quel intérêt à découvrir un ouvrage de plus de quarante ans, de surcroît fastidieux à lire malgré la nouvelle et excellente traduction ? Peut-être pour (re)découvrir un pan non négligeable de la contre-culture américaine, où l’on imaginait autre chose, histoire de rompre avec les sirènes de l’« American Way of Life ». Les problématiques soulevées par Ernest Callenbach et les réponses qu’elles obtiennent en Écotopia puisent en effet leur source dans l’écologie politique et radicale. Les solutions mises en œuvre par les Écotopiens démontrent qu’un autre monde est possible, mais elles appellent à une redéfinition complète des modes de vie, de consommation, de production et de gouvernance. Un renversement total de paradigme, sans doute un peu rude à digérer pour des populations profitant des bienfaits à court terme de la croissance. Écotopia est en effet une utopie écologiste fondée sur les principes de la décroissance économique et démographique. Les Écotopiens cherchent avant tout à réduire leur empreinte écologique pour aboutir à un état d’équilibre. Ils prônent le rejet du productivisme, du consumérisme, de l’individualisme et du capitalisme. Bref, les fondamentaux de la société industrielle. À la place, ils défendent l’idée d’une exploitation raisonnée des ressources, où prévaut le recyclage intégral. Ils pratiquent l’amour libre, tout en affichant leur préférence pour la vie en communauté, non sans éviter l’écueil du communautarisme. Chacun de ses membres a voix au chapitre, dans la plus élémentaire égalité, y compris des sexes, pouvant éliminer ses frustrations au cours de simulacres de guerre. Les Écotopiens développent enfin une économie de la parcimonie, où chacun bénéficie de garanties pour vivre décemment, ne rejetant pas la technologie lorsqu’elle sert leurs desseins, mais n’hésitant pas à user de la coercition pour mener leur projet à terme.

Ainsi, entre essai théorique, manifeste politique et fiction romancée, Ernest Callenbach dessine le portrait d’une société où l’utopie se mue en objectif désirable, car porteur d’un projet d’avenir optimiste. Et, même si Écotopia échoue sur le terrain de la littérature et du romanesque, l’ouvrage se montre visionnaire sur de nombreux points qui donnent à réfléchir à la lumière de la situation présente de notre monde.

Destin boiteux

Destin boiteux a d’abord connu un premier avatar dans l’Hexagone sous le titre de Les Mutants du brouillard, version tronquée du présent roman, exfiltrée d’URSS pour des raisons de censure sous la forme d’un samizdat diffusé en Allemagne dans les années 1970. À l’occasion de la Perestroïka, le roman paraît finalement en Russie en 1987, bénéficiant d’une nouvelle traduction en France aux éditions de Fallois, avant de connaître une dernière réédition, cette fois-ci complétée, dans la collection « Nuits blanches » dirigée par Viktoriya et Patrice Lajoye. Si Destin boiteux comporte bien un aspect science-fictif, celui-ci relève davantage de la métaphore filée. À vrai dire, Arkadi et Boris Strougatski font davantage part de l’échec du modèle politique et social de l’URSS, abordant le sujet par le truchement d’un roman gigogne. Destin boiteux est en effet l’histoire de l’étrange relation unissant un auteur, Félix Sorokine, à son œuvre, un roman resté à l’état de manuscrit qu’il retrouve et décide de compléter. Dans le monde de Sorokine, l’URSS est à l’agonie, s’apprêtant à troquer le communisme intégral contre l’inconnu. Dans celui de Banev, énième variation cryptofasciste, des mutants frappés d’une maladie mystérieuse pervertissent la jeunesse, lui inculquant le goût pour le changement et la révolte. Au récit de Sorokine, auteur vieillissant condamné à écrire des livres patriotiques pour plaire aux autorités, répond celui de Banev, personnage de fiction fantasque, exilé dans une ville de province soumise à une pluie incessante et à un brouillard tenace. Un caractère entier, prompt à faire le coup de poing avec les fâcheux, entre deux repas gargantuesques composés de lamproies copieusement arrosées de vodka. Entre l’URSS déliquescente de Sorokine et la ville imaginaire de Banev, le doute ne dure pas longtemps. Entre le grand pays tourné vers son passé, enferré dans la paranoïa et la médiocrité, et la perspective d’une révolution d’où émergerait un monde meilleur, le choix est vite fait, du moins si l’on a encore foi en l’avenir radieux. Pour Sorokine, le récit de Banev apparaît comme un remède contre la déprime et la procrastination, car le personnage n’a rien perdu de son esprit combatif, redoublant d’énergie pour semer la pagaille, avec une générosité qui laisse pantois.

Si aux premiers abords, Destin boiteux n’a rien d’une lecture facile et distrayante, le roman des frères Strougatski recèle des moments d’une drôlerie irrésistible. Le duo dresse en creux un portrait grinçant de l’URSS, tout en usant d’un art de la satire jubilatoire, surtout perceptible dans le portrait des personnages. On y boit, on y ripaille et on y baise avec en arrière-plan la fin du monde et l’imminence du chaos, tout en questionnant l’altérité et le statut de l’écrivain dans un État totalitaire. Mais, il s’agit bien d’une tragédie, certes goguenarde, sur fond d’échec et d’incertitude. Celle d’un pays dont on connaît désormais un peu mieux le devenir. Qu’y faire ? Reprendre un coup de vodka et un plat de lamproie, peut-être ?

Car je suis légion

585 av. J.-C, Babylone. Sarban ne fait pas respecter la Loi, non : il l’incarne tel un Josh Randall en robe indigo, celle portée par l’Ordre des Accusateurs. Oublieux de ses désirs et rancœurs personnelles, Sarban exprime la volonté intangible du législateur inscrite pour l’éternité dans la pierre par Hammurabi, rendant ainsi justice aux hommes, sous le regard attentif et silencieux des dieux. Mais les augures sont formels. Le dieu Marduk doit se reposer, laissant libre cours au désordre que ne manquera pas de déchaîner son aînée Tiamat, la déesse du chaos primordial. Le temps va s’interrompre et la Loi s’effacer. Les Accusateurs vont suspendre leur sacerdoce et devenir les spectateurs de la fin du monde, avec pour ultime consigne de défendre leur vie et de protéger les temples contre les exactions de citoyens livrés à eux-mêmes. Rien ne doit en effet gêner le repos de Marduk. Rien ne doit nuire à l’éventuel rétablissement de sa Loi, quitte à laisser le reste de Babylone sombrer dans le meurtre, le viol, le pillage et d’autres actes de cruauté innommables. Et pourtant, Sarban va commettre l’impensable. Pour résoudre un crime prémédité auquel il a assisté, il va sonder les abîmes de l’âme humaine, accomplissant un périple de l’En-Bas vers l’En-Haut. Pas sûr qu’il en sorte indemne.

Nouveau packaging pour la réédition de Car je suis légion, sans aucun doute l’un des points d’orgue (de barbarie) de l’œuvre de Xavier Mauméjean. Une réédition bienvenue dont on ne peut que louer Mnémos, son éditeur historique. Roman apocalyptique, au sens littéral du terme, Car je suis légion joue avec des motifs issus de la culture mésopotamienne. Xavier Mauméjean nous immerge dans le berceau de la civilisation, dans ce pays de l’entre-deux-fleuves, contrée millénaire où bien des mythes ont infusé jusqu’à nous, inspirant notamment une bonne partie du légendaire judéo-chrétien. Fresque historique babylonienne, Car je suis légion emprunte également beaucoup de ses traits à la forme classique du cinéma américain. Western, péplum et film noir sont convoqués pour animer une intrigue fertile en clins d’œil et morceaux de bravoure. On croise ainsi sept mercenaires, un tantinet salopards, mais aussi la figure archétypale du détective hard-boiled, guère embarrassé par ses états d’âme lorsqu’il s’agit de rétablir un tort. Xavier Mauméjean mêle le vrai et le faux pour accoucher d’un effet de réel convaincant, où l’humain se confronte à l’effacement des règles et des conventions sociales. Dépouillé de son vernis de civilisation, il ne lui reste plus qu’à laisser s’exprimer sa nature. Sur ce point, l’auteur ne se montre ni optimiste ni pessimiste. Il se contente juste de dévoiler la propension de l’homme à faire le bien ou le mal, bref à s’adapter aux circonstances et à ses passions.

Entre ziggourats vertigineuses et jardins suspendus, Car je suis légion nous invite à un voyage brutal sans concession aux origines de la civilisation, mais aussi aux tréfonds de l’esprit humain. Un périple historique et métaphysique dont il serait regrettable de se passer.

Underground Airlines

USA, aujourd’hui. Un autre aujourd’hui. Un aujourd’hui uchronique dans lequel Abraham Lincoln a été assassiné avant ce qui deviendra la Guerre de Sécession dans « notre » réalité, dans lequel un arrangement institutionnel a été trouvé pour éviter la guerre civile. Cet arrangement, c’est le « Compromis Crittenden », qui autorise l’esclavage dans les États du Sud et empêche toute remise en cause ultérieure de ce droit par l’Union, son gouvernement, ou sa Cour Suprême. Aujourd’hui donc, après quelques défections au fil de l’eau, restent quatre États esclavagistes, les « Durs  », qui font partie de l’Union mais bénéficient de la grande liberté dont jouissent les États fédérés américains au sein d’une fédération qui tira de John Locke ses idées sur la tyrannie.

Des États esclavagistes à côté d’autres qui ne le sont pas, et donc frontières, contrôles, fuyards, retours forcés. Dans le monde de Winters, le service des US Marshals (qui, chez nous, poursuit les prisonniers en fuite) traque, dans le Nord, les esclaves évadés pour les ramener à leur point de départ, dans le Sud. L’espoir pour ces malheureux ne réside qu’au Canada, comme à l’époque du Vietnam.

Victor (ou Brother, son nom serve) a fui l’abattoir industriel dans lequel il était esclave. Retrouvé par les Marshals, il est devenu leur agent en échange d’une vie (solitaire et hypocrite) dans le Nord. Depuis, il traque les esclaves en fuite afin de permettre leur renvoi vers le Sud. Sur sa dernière mission, Victor comprend peu à peu que le « fugitif » qu’il pourchasse n’est pas qui il paraît être, que le rôle des Marshals dans l’affaire est trouble, et que l’Underground Airlines (l’organisation clandestine qui aide des esclaves à fuir le Sud, bâtie sur le modèle de l’Underground Railroad qui exista vraiment dans notre réalité) est au cœur de toute l’histoire. Contrairement à l’habitude, il va devoir, cette fois, risquer gros et retourner dans le Sud pour en ramener des documents importants qui prouvent un scandale.

Uchronie passionnante, Underground Airlines se révèle, au fil des pages, un thriller décevant. La faute à des personnages un peu trop à l’emporte-pièce et à une narration qui se précipite de plus en plus vite vers une fin à la fois trop simple et trop rapide.

Par-delà les banalités sur Black Lives Matter et autres, le livre (écrit par un Blanc qui impressionne par sa capacité à faire ressentir la « rage noire ») est très intéressant par ce qu’il dit sur la misère réfugiée comme repoussoir et rassurance pour la misère autochtone, et encore plus par ce qu’il montre du capitalisme consumériste mondialisé, des sujets connexes, donc. Dans Underground Airlines, les États du Sud font l’objet de boycotts sélectifs, mais ils produisent à bon marché des biens que toute l’économie utilise et que les consommateurs demandent. Et qu’importe si les prix bas résultent d’un travail sous-payé et de conditions de vie et d’emploi qui tiennent de l’univers concentrationnaire. Côté Demande, on se donne bonne conscience à coup de labels RSE, côté Offre, on contourne les règles en multipliant les étapes internationales pour obscurcir le lien entre le produit et sa production. Il est facile de transposer tout ce qui précède à notre réalité, et à l’immense majorité des produits qui viennent de pays à bas salaires et que nous consommons sans vergogne. Si au moins (mais j’en doute), l’arbre d’un esclavage uchronique servait à dessiller les yeux des lecteurs sur la forêt des produits bon marché, Underground Airlines n’aurait pas été inutile. Sinon, il restera une idée sympa mais imparfaitement mise en scène.

Twin Peaks : le dossier final

Dans L’histoire secrète de Twin Peaks , son « roman » précédent, Mark Frost déroulait une généalogie de long terme des événements qui agitèrent la petite ville de Twin Peaks. Elle se concluait sur le sort du Major Briggs dont une bonne partie des activités réelles était révélée. Ici, dans Twin Peaks : le dossier final, on se trouve face à un rapport, rédigé par l’agent Tamara Preston à l’intention du directeur Gordon Cole, et qui fait le lien entre les saisons 2 et 3. La série Twin Peaks a ceci de particulier que la saison 3 commence vingt-cinq ans (temps réel et temps du récit) après la fin de la saison 2, comme l’avait annoncé Laura Palmer à Dale Cooper. Le dossier final informe donc les spectateurs de la saison 3 (qui feraient mieux de ne lire le livre qu’après avoir visionné la dernière saison) sur les événements qui ont se sont déroulés durant ces vingt-cinq années afin de livrer au lecteur les destins d’un certain nombre des personnages de la série après la saison 2 ainsi que des éclaircissements sur le sens de certains des faits montrés dans la saison 3. On apprendra donc au fil des pages ce que sont devenus Shelly Johnson, son mari Léo, et son amoureux Bobby Briggs, ce qu’il advint des Horne et des Hayward, ce que fut le destin complexe de Norma Jennings (entre le Double R, son père, sa belle-mère, sa demi-sœur à la vie tragique, sans oublier l’inévitable Ed), ce qu’il en est de Lana Milford, du shérif Truman, de la femme à la bûche (RIP), du docteur Jacoby (sûrement l’histoire la plus succulente). Parallèlement, le lecteur est éclairé aussi sur les sources et les faits de la saison 3 de sorte que celle-ci devient potentiellement plus compréhensible qu’au visionnage. Au-delà des faits bruts, Tamara Preston s’y livre aussi à quelques réflexions qui visent à tenter de donner sens aux mystères de la dernière saison et à comprendre les relations qui unissent dans cette histoire monde matériel et monde surnaturel. Le fan trouvera entre ces pages de quoi satisfaire sa curiosité, que celle-ci concerne l’aspect « people » ou les éléments plus sombres liés à la Loge noire et à l’intervention des doppelgängers. Néanmoins, le groupe des fans hardcores me semble le seul public visé par ce « roman ». Il faut en effet se souvenir précisément de qui est qui, et du point où chacun avait été laissé. Il faut trouver un intérêt à en savoir plus (d’autant que le livre est cher au vu de sa pagination). Il faut avoir vu la saison 3 et être en quête d’explications. Cela fait beaucoup. D’autant que, si L’histoire secrète de Twin Peaks pouvait séduire par la variété des documents de nature différente qui le composaient et qui donnaient l’impression au lecteur de mener sa propre enquête, Twin Peaks : le dossier final est constitué de 19 chapitres, tous identiques dans leur forme et souvent centrés sur un personnage, qui présentent de manière prosaïque les informations rassemblées par Tamara Preston. Le passage en revue de tous les protagonistes de l’affaire est moins séduisant que le foisonnement de faits hétéroclites qu’on trouvait dans le « roman » précédent. Pour complétistes.

Invasion

Luke Rhinehart est l’auteur cultissime du très anarchiste et libertarien L’Homme dé. Son dernier roman, Invasion , est traduit et publié aujourd’hui aux Forges de Vulcain ; un événement éditorial, sans le moindre doute. On y retrouve l’essentiel de ce qui faisait la pensée de l’auteur, un peu calmé néanmoins par l’âge, sur le plan sexuel notamment. Quoique… les Protéens ont de la ressource dans ce domaine.

Ici et maintenant. La Terre est progressivement « envahie » par une horde de créatures extradimensionnelles qui ressemblent à des boules de poils grises, bondissantes et polymorphes. Et singulièrement, dans le roman, la maison de Billy Morton, vieux pêcheur anar marié à une avocate latina en rupture de ban. A priori peu agressifs, et même plutôt sympathiques, les Protéens (c’est leur nom) ne souhaitent que jouer, sans responsabilité ni conséquence. Ils professent et mettent en œuvre une philosophie du jeu et du plaisir qu’ils appliquent à tous les aspects de l’existence, et ils tentent d’y convertir le plus d’humains possible. Ils montrent aussi à une humanité sans doute trop crédule en quoi le système institutionnel censé les libérer et les protéger a surtout pour fonction de leur dissimuler la vérité sur son fonctionnement et ses buts ultimes. Développant et encourageant le mouvement Pasquecérigolo , ils appellent donc implicitement les humains à remettre en cause ce système pour reprendre en main leur vie et leur destinée, en se débarrassant de facto d’une technostructure illégitime et de représentants en déficit de représentativité.

Bien sûr, suggérant une insurrection paisible, piratant banques et services secrets, remodelant le système productif, empêchant les bombardements « vertueux » d’imposition de la démocratie (en Irak par exemple), les Protéens se font vite de puissants ennemis au cœur de l’État, et du complexe militaro-industriel en particulier. Le roman raconte la traque des Protéens par les agences américaines, ainsi que les actes de résistance de la famille Morton pour protéger les facétieux aliens et faire con-naître leur pensée. Le tout finira en insurrection populaire et proclamation d’un Manifeste citoyen visant à rendre le pouvoir au peuple, à promouvoir l’égalité réelle et à soustraire les activités socialement utiles aux forces du marché.

Ouaip ! Tout ceci est bel et bon. Et, au début, Rhinehart est drôle, tant dans le style que dans les situations qu’il imagine. Néanmoins, le roman pêche à mon avis sur au moins trois points qui finissent par rendre sa lecture pénible. D’abord, l’auteur, engagé dans la vie politique de son pays, livre un discours hyper américano-centré ; sans être trop provincial, un Français pourra trouver que certains débats ou saillies ne le concernent pas vraiment. Ensuite, l’humour, sur 500 pages, c’est difficile. Rhinehart échoue à tenir sur la durée et fait rengaine ; un texte plus court n’aurait pas eu le temps de s’essouffler. Enfin, le marxisme Groucho de l’auteur tend à la longue, à l’instar de beaucoup des critiques radicales de cette hypothèse qu’on nomme « le système », à tangenter une forme de poujadisme qui ne peut satisfaire l’intellect et met parfois mal à l’aise.

Une déception, en somme, qui n’est pas sans rappeler Francis Kuntz lorsqu’il affirmait que le travail d’un humoriste consiste d’abord à ne pas utiliser 99 % des idées de blague qui lui viennent.

Complainte pour ceux qui tombés

Nigeria (et orbite terrestre), XXIIe siècle (environ). Le monde a connu bouleversements climatiques, désastres écologiques (tels la marée noire permanente qui noie sous le pétrole brut le golfe de Guinée, la stérilisant de fait), guerres sporadiques, effondrements étatiques et sociétaux ; les cartes, tant climatiques que géopolitiques, sont largement reconfigurées, et pas pour le meilleur. Loin d’un plancher des vaches qui ne présente plus guère d’attrait, des stations orbitales en grand nombre se sont développées au long du XXIe siècle et du suivant. Y vivent des millions de personnes qui ont fini par revendiquer une pleine souveraineté, coupée de leur État d’origine (comme les Treize Colonies rejetant l’Angleterre). La Chine n’a guère apprécié la blague ; elle a réagi par une attaque qui a détruit une station où vivaient presque un million de personnes. La masse de débris éjectés a détruit de nombreuses autres stations et la plupart des ascenseurs spatiaux. Ne restent aujourd’hui que trois ascenseurs et quelques stations sur de nouvelles orbites (les autres ont quitté l’orbite terrestre). Parmi les survivantes, Achenia — peuplée de post-humains –, et Tartarus – une prison américaine, un enfer semi-légal d’exil et de torture.

À terre, dans la ville « fortifiée » d’Ewuru, réside une population pacifique qui tente de vivre en paix, de construire une civilité nouvelle, de perpétuer et de développer la science et les arts. Tout autour d’Ewuru, au-delà des gardes discrets qui la protègent, c’est le Nigeria, un État failli livré aux exactions des groupes djihadistes, des seigneurs de la guerre, des bandits de tous poils. Et c’est tout près d’Ewuru que s’écrase le petit vaisseau d’un Achenien – Samara – échappé de la prison de Tartarus. Membre des Neuf (des supers soldats quasi invincibles), Samara, blessé et en manque d’énergie, doit s’allier aux habitants d’Ewuru pour pouvoir rentrer chez lui. Le temps presse, la station Achenia est censée quitter très prochainement l’orbite terrestre et le système solaire.

Avec Complainte pour ceux qui sont tombés, Gavin Chait livre le fruit d’une écriture étalée sur trente ans. Son récit – lié au courant afrofuturiste – se nourrit des expériences et des réflexions de Chait sur la situation africaine. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on retrouve ici certains des thèmes présents dans les deux romans non traduits de Deji Bryce Olukotun, ou dans le Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor ; la souffrance d’un continent malade de ce qui lui fut infligé autant que de ce qu’il s’inflige à lui-même est palpable dans ces textes, elle y côtoie l’espoir raisonnable d’un progrès technique et sociétal.

Construit en enchâssement, avec flashbacks et contes philosophiques édifiants, Complainte… rappelle dans son ton les romans de Pierre Bordage. On y lit la même douceur, le même humanisme, la même façon d’opposer porteurs de vie et vecteurs d’abjection. La douceur, la décence et l’amour sont montrés, l’horreur et la bestialité aussi, sans fard. Cette opposition frontale et si humaine, ces îlots d’espoir enchâssés au cœur des ténèbres sont les forces du roman. On regrettera en revanche un mélange de genres en solution de continuité qui dit trop la durée de l’écriture, une narration un peu mollassonne, des facilités dramatiques, et un style sans qualité propre.

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