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Abimagique

Pour la deuxième fois, après Les Attracteurs de Rose Street en 2018, la collection « Une heure-lumière » accueille l’un des auteurs fétiches du Bélial’ : Lucius Shepard, toujours traduit par Jean-Daniel Brèque.

Seattle, aujourd’hui ou presque. Propulsé au rang de spectateur par le biais d’une narration à la deuxième personne du singulier particulièrement efficace et immersive, le protagoniste du récit fait la rencontre d’Abimagique, jeune femme aussi ronde que magnétique, qui, sous un maquillage outrancier et des colifichets gothiques, révèle bientôt son hyper sensualité et sa pratique (intense !) du sexe tantrique. Débute alors une relation passionnée, orageuse et intense, dans les méandres du domicile de la belle, un lieu aussi foutraque qu’étrange aux murs parés de nombreux objets ésotériques et chamaniques, autel incarné d’un engagement écologique viscéral tourné vers une magie animale et végétale. Abimagique est massothérapeute, elle connaît les gestes qui font le bien, y compris ceux que l’on peut accomplir pendant l’acte amoureux, décuplant le plaisir, au risque d’exacerber les sensations de manière douloureuse… Bref, c’est une magicienne, qui envoûte proprement le protagoniste, lequel s’enferme dans cette nouvelle relation qui l’engloutit tout entier, et ce malgré l’irruption d’un handicapé qui affirme être un ancien amant d’Abi, et l’affirme responsable de son état physique…

Lucius Shepard est de retour, et c’est le versant horrifique de son œuvre qui est concerné. L’auteur américain n’a pas son pareil pour, doucement, insidieusement, instiller le doute dans l’esprit du lecteur, le déstabilisant au travers de faux-semblants, d’un aller-retour permanent entre le vrai et le faux, qui se confondent et s’inversent, et de visions proprement insupportables (on pense à la scène, réelle ou fantasmée, avec Gerald). Par le biais d’une écriture fiévreuse, irrespirable, au sens propre comme au figuré, qui vous happe dès les premières lignes pour vous lâcher, anéanti, la dernière page terminée, She-pard bâtit un récit à nul autre pareil, multipliant allusions mythologiques et clins d’œil à la pop culture (les anges y côtoient Star Trek). On commence à trouver prévisible l’envoûtement progressif de « Carl » (dont on ne connaîtra jamais le réel prénom) par Abimagique ? L’écrivain fait voler en éclats la figure de la sorcière rusée et perfide pour lui prêter de plus nobles ambitions, qui brisent les quelques certitudes auxquelles le lecteur était parvenu. Au détour de ce petit jeu de vérité et de mensonge, nul ne sait plus, en définitive, si le protagoniste a davantage à gagner qu’à perdre en partageant la vie d’Abi. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shepard souffle le chaud et le froid, propose une expérience totale qui parle à tous les sens, cajole sur une page pour effrayer lors de la suivante. Tout en se gardant de livrer l’ensemble des clés de son récit, car trop de certitudes auraient affadi un texte qui, malgré sa longueur de novella, réussit le prodige d’être aussi percutant que des récits bien plus courts. Abimagique est éprouvant ; pourtant, sitôt le livre refermé, on en redemande. Envoûtant, efficace et addictif. Du grand art…

Les sept morts d’Evelyn Hardcastle

Angleterre, première moitié du XXe siècle. Un homme reprend conscience dans une forêt, sans savoir où il se trouve, ignorant qui il est. Il rejoint le manoir de Blackheath, demeure géorgienne jadis belle mais aujourd’hui délabrée, tout comme l’est la famille qui occupe, marquée par la tragédie. En effet, dix-neuf ans plus tôt, le jeune Thomas a été assassiné par le gardien du domaine, lequel a été pendu. Evelyn, sœur aînée de la victime et tenue pour responsable, s’est exilée à Paris. Afin de marquer son retour, ses parents ont organisé un bal masqué dont les invités sont ceux qui était présents la nuit du crime. Tout cela, le personnage en prend conscience au fil de ses incarnations. Car chaque jour, ou plutôt au fil des répétitions de la même journée, il endosse le corps et la personnalité d’un nouvel hôte, tout en gardant mémoire des informations collectées. Aiden Bishop, son identité d’origine, semble avoir provoqué cette situation. Il lui revient d’élucider la mort d’Evelyn qui, chaque soir, à onze heures, se tire une balle dans le ventre. Mais il s’agit bien d’un assassinat. Aiden dispose de huit vies pour résoudre l’énigme, sinon tout recommencera. Deux autres convives sont aussi piégés, des rivaux car un seul pourra s’échapper du manoir. Qu’en est-il du « médecin de la peste  », masqué et vêtu de noir, qui apparaît régulièrement pour informer Aiden ? Et qui est Anna, consciente des incarnations mais qui ne vit qu’une seule journée ?

Le propre du récit policier classique, particulièrement du roman à énigme, est de suivre l’ordre linéaire du temps. La durée extérieure apparaît selon une relation d’ordre irréversible. Les événements sont liés à des moments qui se succèdent, l’un chassant l’autre et sans possibilité d’inverser la série. Le temps ne peut être renversé. Les Sept morts d’Evelyn Hardcastle bouleverse cette succession linéaire, et donc l’ordre causal qui y est attaché. Partant, l’enchaînement des faits dont dépend l’enquête classique s’en trouve affecté. Sans compter que les événements de la journée se répètent dans le désordre. De plus, en soumettant son personnage principal à un véritable carrousel d’incarnations, Stuart Turton remet en cause la fiabilité du narrateur, pourtant indissociable du roman policier classique, à quelques exceptions notables près, telle Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Ainsi Aiden doit-il faire avec les capacités physiques et mentales de ses différents hôtes, comme lord Cecil Ravencourt, dont l’esprit aiguisé est contrarié par son corps obèse qui l’empêche d’agir…

L’auteur parvient à faire d’une évidence : « Nous ne pouvons pas élucider le meurtre de quelqu’un qui n’est pas mort » (p. 199), l’enjeu véritablement inédit d’un tour de force littéraire. Un roman magistral basé sur le principe de rétroception, d’ordinaire plutôt utilisé en science-fiction (Replay de Ken Grimwood, ou Les Quinze premières vies d’Harry August, de Claire North, par exemple).

Une lecture indispensable, une passerelle entre les genres.

Les Machines fantômes

À première vue, il s’agit d’histoires proprement humaines. Adrien Pellen, trader wizard d’Optired, Stella McCall et LéaH qui se disputent une éphémère célébrité de la pop, Kader le sniper, l’inquiétant Renard blanc, Hans-Joachim-Xandor, véritable homme programmé par l’intelligence paternelle, composent avec d’autres un maillage d’existences qui s’entrecroisent et se déterminent réciproquement. En réalité, le roman présente un nouveau stade de l’évolution qui voit les machines, effets jusqu’alors de l’action humaine, en devenir la cause. « Les IA ne risquaient rien, elles jouaient avec les humains pour les laisser croire qu’ils décidaient de leur destin  » ; elles agissent en vue de se propager et de se renforcer et utilisent les humains comme porteurs de données. Ces intelligences d’un nouvel âge communiquent, s’échangent ou s’opposent, et de leurs interactions naît une nouvelle configuration du réel. Ainsi que le dit Tristan Garcia dans sa belle postface : « Dans ce monde où la société est devenue artificielle, les intelligences artificielles font société.  »

On sait depuis Leibniz et sa Théodicée qu’il ne s’agit pas tant de séparer l’organique du mécanique, que de distinguer deux états de la machine : biologique ou artificielle. En ce sens, les IA sont « fantômes  » pour les humains, autre type de machines. Le roman d’Olivier Paquet s’inscrit donc moins dans une actualité que dans un mouvement, en apparence irréversible, de rapprochement de ces deux états. Les problèmes ne peuvent être identifiés et résolus qu’en communautés, humaine ou d’IA. Apparaissent des comportements partagés : la jeune Lou se maquille, de même pour l’IA «  qui s’est développée en se maquillant ». Le discours politique, jusqu’alors réservé aux humains, s’étend aux machines, l’univers des IA « est globalement égalitaire et coopératif ».

Au-delà de l’intrigue, qui à elle seule justifie pleinement la lecture du roman, Olivier Paquet propose une réflexion sur ce qu’est une histoire, terme qui revient comme un leitmotiv : « Construire l’histoire qui accompagne nostransactions secrètes » ; «On remplaçait une histoire par une autre » ; « Je créerai même l’histoire qui t’innocentera » ; « Les adultes détenaient un pouvoir immense : celui de donner du pouvoir à leurs histoires », sans compter la « légende », comme on le dit dans les services secrets, si présents dans le roman. Les Machines fantômes actent le fait que nous ne consommons plus passivement les narrations mais que nous voulons être les acteurs de l’intrigue. Olivier Paquet n’est alors pas loin du Buzz de Frank Rose.

Les IA conçoivent des histoires qu’elles répartissent entre divers individus, leur laissant le soin de la recomposer. Olivier Paquet extrapole notre réel, une situation en partie installée avec, par exemple, les nouvelles modalités de jeu initiées il y a déjà quelques temps par Robert McLees, et davantage encore par Jordan Weisman.

Ce récit de machines, dont elles sont à la fois génératrices et thème, n’omet pas de donner une part belle à la condition humaine, au travers de portraits fouillés et complexes. On songe par exemple à Kader le sniper contraint de laver son grand-père grabataire, assurément l’un des plus beaux portraits du roman. En ayant pris en charge l’élaboration d’histoires, les IA libèrent les hommes du devoir de s’incarner dans un récit à leur mesure, pour enfin se contenter d’être. Ce qui ne rend pas forcément la situation aisée, mais la liberté n’est jamais chose facile.

Enfin, et c’est un élément important dans le parcours d’un auteur, Les Machines fantômes semble être un roman Pause (ainsi qu’on le dit de la fonction d’arrêt sur un lecteur), qui permet à Olivier Paquet de fixer son travail avant de le reprendre. Nul doute que l’on attend ce qui suivra avec intérêt.

Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle

Deux enfants turbulents, Barnaby Gaunt et Christie MacNab, viennent passer leurs vacances sur une île au large de la Colombie britannique. En dépit de leur jeune âge, ils sont déjà bien éprouvés par la vie. L’un est orphelin, l’autre est fille d’alcoolique. Leur arrivée va bouleverser le quotidien d’une population vieillissante et sans promesse de futur, puisque la guerre a emporté toute une génération d’hommes. Seul le sergent Coulter est revenu du conflit mondial, et depuis il se sent coupable. L’exubérance enfantine et la douceur des adultes vont faire bon ménage jusqu’à l’arrivée du major Murchinson Gaunt. L’ancien commando charme aussitôt son monde, à l’exception de Barnaby. La simple présence de son oncle le terrorise. Il ne supporte plus ses jeux malsains et est persuadé que le major cherche à l’assassiner pour s’emparer de son héritage. Convaincue, Christie ne voit qu’une seule solution, le tuer avant qu’il ne passe à l’acte.

Le roman de June Margaret « Rohan » O’Grady inaugure la collection « Monsieur Toussaint Laventure », avec sa couverture originale due au grand Edward Gorey, et servi par une superbe traduction de Morgane Saysana. On ne pouvait rêver mieux, et ce n’est pas faute d’avoir essayé, durant des années auprès de nombre d’éditeurs… Car il s’agit d’un chef-d’œuvre qu’anime une naïveté perverse. Les enfants jouent dans un cimetière, nettoient la tombe d’un bébé, et envisagent de faire endosser leur crime par l’innocent du village. La narration, tout en suggestions, laisse deviner que l’oncle est un meurtrier pédophile, de nombreuses fillettes qu’il a recueillies ont disparu.

La totalité du récit repose sur l’adultération, soit l’influence néfaste des adultes sur le comportement des enfants. Ceux-ci s’adaptent au contexte en le réduisant à des règles qu’ils peuvent appliquer à leur tour. Puisque tous les habitants de l’île sont familiers de la mort, et que l’oncle veut les tuer, jouons le jeu.

Le tout baigné d’éléments clairement fantastiques. L’un des points de vue sur l’intrigue est celui d’Une-Oreille, couguar prédateur qui va devoir composer avec les enfants. L’oncle porte continuellement des lunettes noires pour cacher ses yeux, il a les paumes des mains velues, ses empreintes floutées ne ressemblent à rien, pas même à celles des primates, et il est au maximum de sa puissance les nuits de pleine lune.

Ce n’est pas parce qu’il y a des enfants qu’un livre est seulement pour les enfants. Ou alors à ce prix-là, il faut ranger le récit à côté de La Nuit du chasseur, roman de David Grubb adapté au cinéma de Charles Laughton. Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle a pour sa part été porté à l’écran par William Castle, maître du fantastique.

Chaînon manquant qui relie Roald Dahl à Neil Gaiman, le roman désespérément joyeux d’O’Grady est une perle noire de l’Imaginaire.

Waldo

La publication de Waldo est un événement aussi rare qu’exceptionnel. Cette novella fut publiée aux USA en 1942, voici 77 ans, donc, et n’avait jamais eu l’heur d’une traduction française. L’Âge d’or de la SF américaine, qui couvre principalement les années 40, reste mal connu en France car il n’y avait alors aucun support, collection spécialisée ou revue, pour accueillir les textes. La guerre et l’occupation nazie n’arrangeant rien… Les principaux auteurs de l’Âge d’or, Heinlein lui-même, Asimov, Clarke, Bradbury, Simak ou Van Vogt, furent largement traduits dans la période qui suivit, après 1951. La plupart des autres n’eurent pas cette chance, et même chez les suscités, d’excellents textes, tel ce Waldo, passèrent entre les mailles du filet. Mais tout vient à point à qui sait attendre…

En lisant Waldo, le lecteur ne devra jamais perdre de vue ce texte a été écrit en 1942, il y a une vie humaine, une époque où la plupart des foyers n’avaient pas le téléphone (fixe). Robert A. Heinlein n’avait peut-être encore jamais vu la télévision, et la TSF (transmission sans fil) était le seul média électronique concurrençant la presse écrite. Il faudrait encore attendre encore vingt ans pour que quelqu’un aille en orbite et fasse l’expérience de l’apesanteur. Heinlein imagine quelque chose dont nul n’a encore fait la moindre expérience, et dont l’idée n’est alors que purement théorique. La vision qu’il nous en offre dans ce Waldo n’est certes pas exacte, mais néanmoins impressionnante si l’on tient compte du contexte. On y trouvera également de la domotique, télémanipulation et visioconférence, et même l’optronique est envisagée d’une façon négative (p. 49), sans parler des effets néfastes de l’énergie radiante qui évoquent les polémiques sur la toxicité des ondes de nos téléphones portables…

Handicapé de naissance par une myasthénie, Waldo Jones, devenu un véritable génie de l’ingénierie dans le dessein premier de conjurer les effets de sa maladie, s’est installé dans un habitat orbital où l’apesanteur lui évite de trop souffrir. Outre qu’il en veut au monde entier pour son affliction, l’intelligence hors norme qu’il a dû développer l’a amené à mépriser le reste de l’humanité au plus haut point, faisant de lui un misanthrope solitaire aux yeux de qui le seul Gus Grimes, son médecin, trouve grâce. Sur Terre, une forme d’énergie radiante partout disponible permet à la civilisation, et notamment aux transports, de fonctionner. Or, voilà que la chose se met à tomber subitement en panne. Tout le monde y perd son latin. Seul le génie de Waldo semble à même d’apporter une solution, mais, outre son caractère déjà exécrable, il considère avoir été spolié par la NAPA, la société qui diffuse l’énergie radiante. James Stevens convainc le Dr Grimes d’intercéder pour lui auprès de Waldo, ce qui serait vain si Grimes n’avait un autre problème : il est persuadé que l’énergie radiante a un effet néfaste sur la santé des gens et qu’elle les affaiblit…

Loin d’être la raison d’être du texte, la ferblanterie sert de révélateur aux problèmes humains que portent les personnages, faisant ainsi de Waldo un exemple typique de ce qui fait de Robert A. Heinlein un très grand écrivain. La science-fiction, rappelons-le, est une littérature qui consiste à lier des problèmes humains, posés ou résolus, à un contexte technique. La technique étant la problématique majeure de notre temps, la SF s’en voit être la littérature par excellence, débattant de l’humain et de son contexte.

Puisque la chance nous est enfin offerte de lire ce texte remarquable, la meilleure des quinze « Heures-lumière » que j’ai lues, toutes bonnes au demeurant, il faut en profiter sans plus attendre.

Nos derniers festins

Futur proche. Les années 2040… La France et le monde n’ont guère changé. À en croire nos deux romancières, Silène Edgar et Chantal Pelletier, c’est pareil… en pire. Comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions : la santé, l’écologie… Un monde voulu meilleur.

[…]

Du côté de Chantal Pelletier et de son Nos derniers festins, nous sommes en juin 2044. La température ne descend pas sous 40° à l’ombre, et les gens ont des « permis de table » à points, en fonction desquels ils peuvent manger ce qu’ils veulent ou non. La « Bouf-fe » est devenue sacrée, l’objet d’un véritable culte, mais tous n’y ont pas accès, évidemment. Il y a comme une sorte de prohibition. Et – corollaire – du marché noir, des clandés, des trafics en tous genres avec toute une pègre proliférant autour. Anna Janvier et Ferdinand Pierraud sont des contrôleurs alimentaires chargés de verbaliser les contrevenants, restaurateurs ou convives. Les chapitres les mettant en scène alternent avec ceux où l’on suit Lou Madec, restauratrice lesbienne, veuve, ancienne des forces spéciales et ex-taularde qui n’a pas forcément eu la vie facile. Et tout commence par un cuisinier ébouillanté dans son faitout… La France de Pelletier est au bord de la guerre civile, entre partisans de la bonne bouffe et vegans antispécistes. Attaques de boucherie, de restaurants, manifestations violentes et attentats sont le lot quotidien de tout un chacun…

Bref, voilà deux exemples d’une anticipation sociale à la française. Deux romans aux intrigues qui font leur office sans s’avérer d’un intérêt spécialement remarquable, mais qui invitent le lecteur à s’interroger sur l’avenir de la société dans laquelle nous vivons. Silène Edgar questionne le rôle social de l’écrivain et, plus largement, celui de l’artiste. Chantal Pelletier, elle, demande comment préserver une certaine qualité de vie compatible avec les impératifs écologiques. Politiques sociales et de santé, agriculture bio, antispécisme, rôle de l’artiste, autant d’enjeux centraux auxquels se frottent nos autrices. Ces deux livres actualisent, dans une approche finalement assez politiquement correcte, des questions soulevées naguère par Carton blême de Pierre Siniac, même s’ils restent très en retrait d’un roman comme Corpus Delicti : un Procès, de l’Allemande Juli Zeh. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient inintéressants.

Le Möbius Paris-Venise

Apparues au tournant des années 2000, les éditions Nestiveqnen ont longtemps œuvré dans le domaine de la fantasy francophone (on leur doit par exemple la découverte de Catherine Dufour ou Jérôme Noirez). Jusqu’à une brusque sortie des radars remontant à plusieurs années, au point de faire croire à une disparition pure et simple. Il n’en est rien. Ils ont certes réduit la voilure, comme on dit, voire affalé toute la toile. Mais il semble que quelques livres aient néanmoins été publiés durant cette période, en dépit d’une visibilité des plus restreinte. Les voila donc revenant aux affaires, leurs parutions étant du moins dûment annoncées sur le site de la NooSFère…

Le présent bouquin contient un court roman,« Le Möbius Paris Venise », un étrange texte intitulé «  Retour de l’autobiographie fantastique », et, cerise sur le gâteau, quatre « Nouvelles amères ».

« Le Möbius Paris Venise » est une histoire d’univers parallèles où l’on passe via des portes, telle celle de l’Enfer sculptée par Rodin, d’un Paris à une Venise alternative. L’une étant disposée à l’envers de l’autre comme sur le fameux ruban de Möbius. Et Alex Lex se voit entraîné dans ce labyrinthique jeu de miroirs par Rainer Maria Rilke… Question intrigue, ça laisse à désirer. Il y a des bons, bien sûr, et des méchants qui commettent crimes et délits, se courent après et changent de camp à l’occasion. Le but étant la création de Parnise au bout du ruban, hybride de la Ville Lumière et de la Sérénissime où coexisteraient tous les monuments des deux villes à toutes les époques. L’ambiance steampunk est pour le moins édulcorée. Et donc ? Darnaudet promène son lecteur dans ces deux cités qu’il semble affectionner, en compagnie de gens constituant sa culture personnelle : artistes ou créations. On y croise Hugo Pratt, Sâr Dubnotal, François Villon, Corto, Leone Frollo, Sade, Robida, Jacques Bergier, entre autres… Ce n’est pas déplaisant. C’est plutôt sympathique.

Tout est dans le titre du « Retour de l’autobiographie fantastique », rédigé comme si l’auteur croyait aux éléments surnaturels dont il fait état. On reste dubitatif.

Le meilleur ayant été gardé pour la fin, les quatre « Nouvelles amères » vont en un crescendo exponentiel. Le clou du livre, sans doute aucun, avec là encore une bonne dose d’autobiographie. La première est une pure nouvelle d’horreur à chute. Les deuxième et troisième évoquent la mort d’une mère que l’auteur semble avoir perdu alors qu’il était encore enfant. Enfin « Boris, ses motos, les Bardenas et autres déserts » est un pur chef-d’œuvre qui à lui seul justifie l’achat du volume. Il n’y a rien de pire dans la vie d’un parent que de voir disparaître la chair de sa chair si ce n’est de la voir disparaître de cette façon-là. On sent l’énorme charge affective qui leste chacune des lignes de ce texte, une densité et une puissance rare, tout en retenue et en pudeur. Il fallait que ce texte fût le dernier, car il est impossible d’aller au-delà. On en reste sur le cul. Ce n’est pas de l’Imaginaire, à moins de vouloir à toute force y lire une histoire de fantômes, mais c’est un vrai grand texte. L’un des plus forts qu’il m’ait été donné de lire.

Les Affamés

Futur proche. Les années 2040… La France et le monde n’ont guère changé. À en croire nos deux romancières, Silène Edgar et Chantal Pelletier, c’est pareil… en pire. Comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions : la santé, l’écologie… Un monde voulu meilleur.

Dans Les Affamés, le roman de Silène Edgar, un brin uchronique, les luttes pour défendre la ZAD de Notre Dame des Landes ont débouché sur une révolution plus ou moins communiste où nul n’est plus censé être pauvre ni dans le besoin – un modèle qui n’a pas tardé à être dévoyé par des lois iniques, dites de Santé, notamment. La so-ciété est désormais divisée en cinq niveaux d’utilité qui sont autant de castes : prolétaires, techniciens, cadres subalternes (dits moyens), cadres sup’ et cadres directeurs, pour faire simple. Il y a aussi des inutiles et des esclaves immigrés qui n’existent officiellement pas. Les utiles de classe 1 vivent chichement et n’ont accès qu’à un minimum de soins. Ceux de classe 5 vivent comme des nababs, peuvent boire et fumer, manger gras et jouir de tout sans restriction, assurés des meilleurs soins possibles… Charles est un écrivain à succès, utile de classe 5, qui peut tout se permettre et ne s’en prive pas. Il boit comme un trou, fume comme un pompier. Tout irait bien s’il n’y avait Lebraz, un député qui envisage de réduire drastiquement la production littéraire et le nombre d’auteurs. Charles, dont les romans mettent en scène des personnages à son image – peu concernés par les lois de Santé, en somme –, se retrouve sur la sellette, étant considéré comme subversif par un système qui entend que les auteurs fassent sa propagande. Ainsi le voilà pris entre les feux croisés de Lebraz, qui lui demande de retourner sa veste, ses confrères auteurs, qui le veulent comme porte-parole, et ses parents qui voudraient le voir écrire à la mémoire de son frère, zadiste tué lors d’émeutes des années plus tôt… Sans parler de Salomé, dont il est amoureux, une activiste du groupe de Milo pour qui elle va se glisser dans son lit afin qu’il écrive pour eux.

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Bref, voilà deux exemples d’une anticipation sociale à la française. Deux romans aux intrigues qui font leur office sans s’avérer d’un intérêt spécialement remarquable, mais qui invitent le lecteur à s’interroger sur l’avenir de la société dans laquelle nous vivons. Silène Edgar questionne le rôle social de l’écrivain et, plus largement, celui de l’artiste. Chantal Pelletier, elle, demande comment préserver une certaine qualité de vie compatible avec les impératifs écologiques. Politiques sociales et de santé, agriculture bio, antispécisme, rôle de l’artiste, autant d’enjeux centraux auxquels se frottent nos autrices. Ces deux livres actualisent, dans une approche finalement assez politiquement correcte, des questions soulevées naguère par Carton blême de Pierre Siniac, même s’ils restent très en retrait d’un roman comme Corpus Delicti : un Procès, de l’Allemande Juli Zeh. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient inintéressants.

Natures

Ah ! le joli mois de mai… Ses fleurs, sa douceur, ses Imaginales… Difficile de deviner la ligne de force de l’anthologie derrière la couverture en forme de manifeste « Thorgalien », le choix de la directrice du festival s’étant porté cette année sur le thème un peu fourre-tout de la nature, à prendre au sens propre et au figuré.

Dans un recueil, l’importance des textes introductifs et conclusifs n’est plus à démontrer. Au cas présent, ils nous font dire d’emblée que cette édition a peu de chance de résister à l’épreuve du souvenir. Le petit jeu littéraire de Jean Pruvost en fin d’ouvrage est illisible, et le « coup de cœur » des Imaginales (David Bry, « Je suis forêt ») donne une variation tragique sur la marche des Ents qui n’impressionnera que les lecteurs de fantasy débutants. La magie antillaise qui se dégage du « Mal de Mer » de Ketty Steward avait de quoi séduire, mais cette histoire de dieu des eaux déprimé se résout trop tôt et de manière trop paresseuse pour convaincre. On rêve de ce qu’aurait pu faire Lucius Shepard d’un tel matériau… Sur le thème de la nature vengeresse, Aurélie Wellenstein plaque une histoire de spectres maritimes qui se prennent pour des Juges des Enfers grecs. De belles images qui pâtissent d’un style quelconque et d’une morale naïve. Et boum ! La claque de l’antho (la seule, d’ailleurs) est signée Stefan Platteau : « Les Enfants d’Innana », à l’ambiance shepardienne (encore !), relate l’ascension d’un sommet himalayen par deux expéditions concurrentes afin de voler ses secrets à une entité extraterrestre, le tout dans le contexte de la seconde Guerre mondiale. Exploits alpinistes, batailles en altitude et magie tibétaine au menu, le tout décrit dans une langue méticuleuse. Lucius, sors de ce corps ! Le désert est le point commun des productions de Charlotte Bousquet et Ariel Holzl : à l’ambiance orientale de l’une répondent chez l’autre des vignettes d’un Paris ensablé – qui m’ont évoqué fugacement le Peut-être de Klapisch –, les deux textes se caractérisant par des intrigues aussi faméliques et dépouillées que leur décor. Autant pour l’effet d’immersion… On passe rapidement sur la fanfic d’Estelle Vagner à base de lycanthropes chagrins et sur le post apo’ autoritariste des époux Belmas, guère original mais qui vaut tout de même pour sa noirceur crasse et son remake futuriste du « big crunch » franco-anglais (avec provocations à l’avenant, genre : « French men feuque Anglish women ! »). Gregory Da Rosa se vautre dans les grandes largeurs avec son histoire moyen-âgeuse de gamine presciente et idiote, humiliée par des villageois bas du front, et où décidément rien ne fonctionne : ni le style, ni les personnages, ni l’ambiance. Ancien auteur de jeux de rôle, Philippe Teyssier signe pour sa part une amusante fable mettant en scène des animaux anthropomorphisés lancés dans une (en)quête des origines. Jean-Laurent Del Socorro revient, d’une manière à peine décalée, sur le parcours de la prix Nobel de la paix Malala Yousafzai (« Armée d’un livre et d’un crayon »). Un biopic certes émouvant, mais qui détonne un peu dans le contexte. Le forçage génétique, ses limites et effets pervers, sont au cœur de la nouvelle de Loïc Henry (« Malaria ») : la démonstration fait froid dans le dos mais a un goût de déjà-vu. Peu d’optimisme non plus, voire du cynisme, chez Vincent Mondiot (« Par-delà les ruines »), qui conduit ses primitifs dans une expédition suicide au terme de laquelle l’unique survivante découvrira que le monde n’est peut-être qu’une illusion, ou un terrain de jeu… En quelques pages qui rappellent le récent Passengers, Estelle Faye raconte le voyage d’un vaisseau quasi vidé de ses occupants et lentement colonisé par les plantes. La vision d’une arche de verdure fonçant à travers les étoiles a quelque chose d’onirique.

Depuis ses origines, l’anthologie dédiée au festival des Imaginales se fait fort de mélanger écrivains en devenir et chevronnés. Le casting 2019 aura dérogé quelque peu, puisque si le sommaire ne comporte aucun néophyte, aucun poids lourd du domaine n’y figure non plus. Natures souffre peut-être de cette absence. Le constat n’en est pas moins brutal : sur les quinze nouvelles, moins de la moitié retiendront tant soit peu l’attention d’un lecteur entraîné et exigeant. Platteau, Teyssier, Del Sorroco, Faye ; Mondiot et les Belmas, à la rigueur. C’est tout ? C’est tout. Rendez-vous au printemps 2020. Ou pas.

Ce qui vient la nuit

La Bretagne médiévale est un pays mythique, que des générations d’auteurs ont parcouru en pensée, avant d’écrire des épopées à partir de ces chevauchées oniriques. Ce qui vient la nuit a pour point de départ Bisclavret, conte écrit par Marie de France au XIIe siècle, empreint de merveilleux celtique et de lieux commun de la lyrique courtoise.

Du lai médiéval, l’histoire d’un chevalier affligé d’une malédiction qui se venge d’une épouse infidèle, les auteurs semblent tout d’abord ne vouloir proposer qu’une variation fantasy centrée sur la figure du loup-garou, mais le récit s’avère plus subtil et ne cesse de lorgner vers le matériau originel, poussant l’intertextualité jusqu’à faire de la poétesse anglo-normande l’un des personnages principaux.

Nous sommes donc au XIIe siècle. Les temps sont troubles. Sur l’injonction du pape Eugène III et de Bernard de Clairvaux, tout ce que l’occident chrétien compte de noblesse s’est lancé dans un nouveau périple vers la Terre Sainte, pour sauver le royaume de Jérusalem. Cette seconde croisade se solde par un fiasco pour les européens, qui ne remportent aucune victoire en Orient. De retour chez lui, le chevalier Jildas renoue avec son épouse Clervie, qui a administré le fief durant son absence. Le guerrier harassé espère y trouver le repos du corps et de l’âme, mais rien ne va tourner comme attendu. Les retrouvailles entre les époux s’avèrent plutôt fraîches. Clervie ne reconnait plus l’homme qui partage sa couche, Jildas dissimulant son mal-être derrière des manières de soudard. Par contraste, la personnalité de la poétesse qui s’invite brièvement dans leur vie est un facteur d’irritation autant que de fascination. Cette femme qui se conduit en homme, qui manie les mots et l’épée avec la même maestria, est pour Clervie une source d’inspiration et pour Jildas une énigme aussi difficile à percer que les meurtres horribles qui endeuillent la bourgade. À ce point-là commence un jeu de piste qui va mener le chevalier, aiguillonné par la femme de lettres, sur les traces de créatures métamorphes et d’un mal venu du fond des âges…

Discrètement érudit, méticuleux et mélancolique, Ce qui vient la nuit n’est pas qu’un récit de genre ou le portrait d’un trio désuni, mais un tableau inquiet des croyances et superstitions des populations du Moyen Âge. Lorsqu’une chasse à l’homme s’achève, une autre prend la relève. Après les Sarrasins, vient le tour des païens, des Lombards nomades, avant plus tard celui des Juifs, des Roms, et on en passe. Circonscrite au XIIe siècle, la novella retrace cet éternel retour de la violence et du rejet, ce ballet de la haine de l’étrange et de l’étranger.

S’il n’existe pas d’indice d’une telle préoccupation dans l’œuvre de la véritable Marie de France, plusieurs thèmes deCe qui vient la nuit s’inscrivent dans la filiation du Bisclavret, tout en s’en démarquant. Chez Marie, les femmes sont infidèles, le lycanthrope gentil, et la morale est sauve. Chez Bétan et consorts, les femmes sont plus vertueuses mais tentent de s’émanciper, la morale est un marais brumeux dans la forêt, et il y a un loup-garou dans le cœur de chaque homme.

Les deux contes sont donc traversés par la problématique de la place des femmes. On retrouve en Clervie ces héroïnes confrontées aux tourments de la vie conjugale qui font une grande partie de la matière des récits de Marie de France. Par ailleurs son émancipation progressive sonne juste. Les épouses des seigneurs bretons, normands, anglais se voyaient souvent confier les affaires de leurs époux, assumant ainsi un rôle grandissant et jouissant du loisir d’animer une cour. On a plus de mal à croire au personnage de Marie de France en voyageuse aux savoirs occultes et enquêtrice du surnaturel, même si le mystère entourant sa filiation dans l’histoire officielle autorise à échafauder des hypothèses audacieuses.

Les développements autour de la figure de Jildas paraissent plus convenus. Hanté et fragilisé par les horreurs vécues lors de la croisade, doutant de sa foi, incompris et solitaire, le chevalier vit sa traque comme une manière de purger son âme. C’est bien sûr le contraire qui advient. La violence de l’affrontement contre les métamorphes va lui révéler qu’un monstre sommeil en chaque homme… Le récit n’est pas parfait, il lui manque – de mon point de vue – une conclusion plus aboutie (comme si les auteurs, à l’image de ce qu’ils font dire à Marie à propos du chevalier, n’avaient pas su choisir), ainsi qu’une réflexion plus poussée sur la question du mal. Reste une histoire prenante, racontée dans une langue élégante et évocatrice, magnifiée par l’objet-livre lui-même. À la manière dont ils le firent pour Tout au milieu du monde (même éditeur, 2017), les auteurs jouent en effet de l’alternance entre texte et illustrations pour optimiser leur mise en scène, les dessins prenant parfois le relais des mots dans des séquences graphiques d’une force narrative stupéfiante. Du bel ouvrage !

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