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Les critiques de Bifrost

Natures

Natures

COLLECTIF
MNÉMOS
304pp - 19,00 €

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Ah ! le joli mois de mai… Ses fleurs, sa douceur, ses Imaginales… Difficile de deviner la ligne de force de l’anthologie derrière la couverture en forme de manifeste « Thorgalien », le choix de la directrice du festival s’étant porté cette année sur le thème un peu fourre-tout de la nature, à prendre au sens propre et au figuré.

Dans un recueil, l’importance des textes introductifs et conclusifs n’est plus à démontrer. Au cas présent, ils nous font dire d’emblée que cette édition a peu de chance de résister à l’épreuve du souvenir. Le petit jeu littéraire de Jean Pruvost en fin d’ouvrage est illisible, et le « coup de cœur » des Imaginales (David Bry, « Je suis forêt ») donne une variation tragique sur la marche des Ents qui n’impressionnera que les lecteurs de fantasy débutants. La magie antillaise qui se dégage du « Mal de Mer » de Ketty Steward avait de quoi séduire, mais cette histoire de dieu des eaux déprimé se résout trop tôt et de manière trop paresseuse pour convaincre. On rêve de ce qu’aurait pu faire Lucius Shepard d’un tel matériau… Sur le thème de la nature vengeresse, Aurélie Wellenstein plaque une histoire de spectres maritimes qui se prennent pour des Juges des Enfers grecs. De belles images qui pâtissent d’un style quelconque et d’une morale naïve. Et boum ! La claque de l’antho (la seule, d’ailleurs) est signée Stefan Platteau : « Les Enfants d’Innana », à l’ambiance shepardienne (encore !), relate l’ascension d’un sommet himalayen par deux expéditions concurrentes afin de voler ses secrets à une entité extraterrestre, le tout dans le contexte de la seconde Guerre mondiale. Exploits alpinistes, batailles en altitude et magie tibétaine au menu, le tout décrit dans une langue méticuleuse. Lucius, sors de ce corps ! Le désert est le point commun des productions de Charlotte Bousquet et Ariel Holzl : à l’ambiance orientale de l’une répondent chez l’autre des vignettes d’un Paris ensablé – qui m’ont évoqué fugacement le Peut-être de Klapisch –, les deux textes se caractérisant par des intrigues aussi faméliques et dépouillées que leur décor. Autant pour l’effet d’immersion… On passe rapidement sur la fanfic d’Estelle Vagner à base de lycanthropes chagrins et sur le post apo’ autoritariste des époux Belmas, guère original mais qui vaut tout de même pour sa noirceur crasse et son remake futuriste du « big crunch » franco-anglais (avec provocations à l’avenant, genre : « French men feuque Anglish women ! »). Gregory Da Rosa se vautre dans les grandes largeurs avec son histoire moyen-âgeuse de gamine presciente et idiote, humiliée par des villageois bas du front, et où décidément rien ne fonctionne : ni le style, ni les personnages, ni l’ambiance. Ancien auteur de jeux de rôle, Philippe Teyssier signe pour sa part une amusante fable mettant en scène des animaux anthropomorphisés lancés dans une (en)quête des origines. Jean-Laurent Del Socorro revient, d’une manière à peine décalée, sur le parcours de la prix Nobel de la paix Malala Yousafzai (« Armée d’un livre et d’un crayon »). Un biopic certes émouvant, mais qui détonne un peu dans le contexte. Le forçage génétique, ses limites et effets pervers, sont au cœur de la nouvelle de Loïc Henry (« Malaria ») : la démonstration fait froid dans le dos mais a un goût de déjà-vu. Peu d’optimisme non plus, voire du cynisme, chez Vincent Mondiot (« Par-delà les ruines »), qui conduit ses primitifs dans une expédition suicide au terme de laquelle l’unique survivante découvrira que le monde n’est peut-être qu’une illusion, ou un terrain de jeu… En quelques pages qui rappellent le récent Passengers, Estelle Faye raconte le voyage d’un vaisseau quasi vidé de ses occupants et lentement colonisé par les plantes. La vision d’une arche de verdure fonçant à travers les étoiles a quelque chose d’onirique.

Depuis ses origines, l’anthologie dédiée au festival des Imaginales se fait fort de mélanger écrivains en devenir et chevronnés. Le casting 2019 aura dérogé quelque peu, puisque si le sommaire ne comporte aucun néophyte, aucun poids lourd du domaine n’y figure non plus. Natures souffre peut-être de cette absence. Le constat n’en est pas moins brutal : sur les quinze nouvelles, moins de la moitié retiendront tant soit peu l’attention d’un lecteur entraîné et exigeant. Platteau, Teyssier, Del Sorroco, Faye ; Mondiot et les Belmas, à la rigueur. C’est tout ? C’est tout. Rendez-vous au printemps 2020. Ou pas.

Sam LERMITE

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