Connexion

Actualités

Sous l'ombre des étoiles

Soldat participant à la guerre qui oppose l’humanité à une race extraterrestre, les Salamandres, Kee Carson ne survit que de justesse à la destruction du navire spatial sur lequel il sert. Placé en stase, il se réveille 250 ans plus tard sur une planète coupée du reste de la galaxie, Seinbeck, alors que la guerre est depuis longtemps terminée. Recueilli par une tribu de nomades, il lui faut désormais s’adapter à cette nouvelle vie et, sans espoir de rentrer chez lui, lui trouver un nouveau sens.

Initialement paru en 2014 chez Rivière Blanche, Sous l’ombre des étoiles s’appuie en premier lieu sur un petit groupe de personnages attachants et sur les liens qu’ils tissent au fil de leur périple. Perdu en terre étrangère, Kee Carson se voit contraint de remettre en cause tout ce qu’il croyait acquis, y compris sa haine viscérale pour les Salamandres, qui cohabitent désormais avec les humains et qu’il lui faut côtoyer au quotidien. Une autre espèce menace à présent les uns et les autres, les Seinbecks, les obligeant à unir leurs forces pour leur faire face. Mais là encore, la haine qui les oppose est-elle inéluctable ?

Sans être particulièrement original, Sous l’ombre des étoiles est un roman fort agréable à lire. S’il manque une pincée d’exotisme dans la description de cette planète, Thomas Geha se montre en revanche particulièrement inspiré lorsqu’il s’agit de décrire le quotidien de ses nomades, mais également leur culture et leurs traditions. Le genre de roman qui, au siècle dernier, aurait sans mal trouvé sa place dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, et y aurait figuré dans le haut du panier.

Ce récit est suivi d’une novella sans rapport aucun, « Une Île (et quart) sous la lune rouge », pas tout à fait inédite comme l’indique la quatrième de couverture, mais qui n’avait connu jusqu’alors qu’une diffusion très confidentielle, chose d’autant plus regrettable qu’il s’agit de l’un des meilleurs textes de son auteur. Débutant dans un cadre familier, celui d’une petite île bretonne dont la description semble sortir tout droit d’un roman du terroir – un registre dans lequel l’auteur excellait déjà dans son recueil Les Créateurs –, le récit bifurque assez brusquement vers la science-fiction en développant une idée aussi originale qu’étonnante. Une belle manière de détourner les légendes folkloriques vers les rives de la fiction spéculative, qui démontre s’il en était encore besoin que Thomas Geha est un écrivain aux multiples facettes.

Sauve qui peut – Demain la santé

Trois ans après Au Bal des actifs, qui interrogeait les mutations à venir du monde du travail, la nouvelle anthologie de La Volte, Sauve qui peut, s’intéresse quant à elle à la médecine.

Faute d’être convaincante sur le fond (elle ne fait qu’effleurer son sujet), la nouvelle de Raphaël Granier de Cassagnac qui ouvre les hostilités constitue au moins une introduction intéressante en mettant en scène, dans un avenir relativement proche, différents rapports possibles des individus à la santé. La suite est encore moins enthousiasmante…

Il apparaît très vite que la grande majorité des participants s’est moins intéressée à la santé proprement dite qu’à sa politique. Des progrès de la recherche, de l’apparition de nouvelles maladies ou des questions d’éthique, il n’est quasiment jamais question. Partant de constats difficilement contestables (la privatisation des soins et l’abandon des services publics, la désertification médicale, la pénurie de certains médicaments), nombre d’auteurs – dont les deux-tiers ou presque sont des nouveaux venus – déroulent des futurs dystopiques tellement similaires que l’on a presque l’impression qu’il s’agit d’un univers partagé. Certains s’en tirent mieux que d’autres grâce à leur savoir-faire (Norbert Merjagnan), à une appréciable empathie avec leurs personnages (Chloé Chevalier) ou à un salvateur sens de l’humour (Benno Maté). Les autres se complaisent dans la caricature : vaccinés contre non-vaccinés (Sylvain Palard), guérilleros en lutte contre les laboratoires (Mélanie Fievet), étranges shamans futuristes capables de soigner bien mieux que n’importe quel médicament (Elio Possoz ou Jean-Charles Vidal, ce dernier a priori sans lien avec le dictionnaire médical éponyme). Globalement, ces auteurs semblent privilégier de manière caricaturale et parfois inquiétante une approche « naturelle » aux questions de santé plutôt que de faire confiance à l’industrie pharmaceutique, systématiquement considérée sous ses aspects les plus sombres.

Si Tristan Bultiauw cède lui aussi dans les derniers chapitres de sa nouvelle à cette célébration du retour à l’ordre naturel des choses, il a au moins le mérite de le faire dans un cadre très différent, celui d’un futur lointain dans lequel la population humaine se limite à quelques centaines d’individus, répartis aux quatre coins du système solaire. Et surtout, par la maîtrise de sa narration et l’originalité de l’univers qu’il met en scène, il nous offre l’une des rares bonnes surprises de cette anthologie. Théodore Koshka peut lui aussi faire valoir l’originalité du cadre de son récit, l’histoire d’une psy humaine envoyée sur un monde lointain pour y soigner aliens, I.A. et autres androïdes. Malheureusement, tout cela est écrit sans une once de style et se traîne sur plus de cinquante pages.

Le reste de l’anthologie va de l’anecdotique (Ketty Steward, dont le texte ne relève guère de la SF sinon par la forme) au tellement bizarre qu’on se demande si on n’est pas plutôt, en fait de nouvelle, en présence d’une blague (Lise N. chez qui la maladie est considérée comme une chose à aimer…), en passant par l’inabouti (Lauriane Dufant, dont le texte est intéressant mais terriblement brouillon). Les seules à tirer leur épingle du jeu sont Li-Cam et Sabrina Calvo, la première en poussant les thématiques abordées vers le cyberpunk, genre dans lequel elle est particulièrement à l’aise, la seconde en signant – une fois de plus, serait-on tenté de dire – un récit aussi beau que déroutant qui finit par se défaire du thème imposé pour s’envoler vers ailleurs.

Ces quelques réussites font que Sauve qui peut n’est pas tout à fait la purge qu’elle a failli être (et évitent au bouquin la géhenne de la poubelle bifrostienne). N’empêche que si j’avais su, j’aurais plutôt ressorti mon vieil exemplaire d’Histoires de médecins.

Pour patrie l’espace

Enlevé à ses parents et élevé dès son plus jeune âge pour intégrer la prestigieuse Garde Stellaire, Tinkar Holroy est un pur produit de l’Empire terrien. Son avenir est tout tracé : il combattra jusqu’à la mort pour sa patrie. Mais le sabotage de son vaisseau va faire dérailler son destin. En perdition au milieu de nulle part, il est recueilli par une cité de l’espace et découvre une civilisation humaine aux antipodes de celle qu’il connaît et dont il ignorait l’existence jusque-là.

Quatrième roman signé Francis Carsac, paru en 1962 au Rayon Fantastique, Il est assez tentant de considérer Pour patrie l’espace comme son chef-d’œuvre. En premier lieu pour la richesse de l’univers qu’il met en scène. La société que l’on découvre jusque dans ses moindres détails à travers le regard de Tinkar est d’une grande richesse. Égalitaire et libertaire, elle détonne parmi celles habituellement décrites dans la science-fiction – française en particulier – de cette époque et dévoile ses spécificités au fil des dialogues et des descriptions sans que le récit n’en soit jamais alourdi. Il en va de même pour le monde que le héros a laissé derrière lui, dont on découvre la nature profonde par petites touches au fil des pages.

Pour patrie l’espace est aussi un roman foncièrement pessimiste sur la nature humaine et l’évolution des sociétés. Aussi progressistes soient les habitants des cités de l’espace, ils n’en sont pas moins perclus de préjugés, en particulier vis-à-vis de ceux qu’ils nomment les planétaires – et plus souvent encore les limaces ou les poux de planète. Et l’union de ces deux branches de l’humanité face à un ennemi commun, aussi nécessaire soit-elle pour leur avenir commun, ne semble devoir se réaliser que dans la douleur. Carsac ne se berce pas davantage d’illusions lorsque, après la chute de l’Empire, il fait lui succéder un régime tout aussi violent et corrompu.

Dernier tour de force de ce roman : raconter cette histoire du point de vue d’un personnage que tout, dans les premières pages du livre, nous rend antipathique. Pour patrie l’espace est la transformation de cet individu borné et son ouverture à un monde où, malgré toutes les potentialités qui lui sont offertes, il n’est pas le bienvenu.

Plus d’un demi-siècle après sa parution initiale, Pour patrie l’espace reste l’un des plus beaux fleurons de la science-fiction française, l’un des rares à pouvoir défier sur leur propre terrain les meilleures œuvres américaines des deux décennies précédentes. À lire et relire encore.

Quitter les monts d’automne

Dans un lointain futur, l’humanité a essaimé sur de nombreux mondes, ainsi Tasai, dont la culture préindustrielle est clairement inspirée du Japon du Dit du Genji. Sous la lointaine houlette du Flux, concept nébuleux qui apparaît religieux quand on y devine, de l’extérieur, une dimension technologique, Tasai prise d’autant plus le « Dit » que l’écriture y est interdite et passible de mort ; mais il y a donc les conteurs, ces gens qui ont connu l’expérience mystique du Ravissement – dès lors à même de conter ce qui ne peut pas être lu, en plongeant dans une sorte de transe. Mais tout le monde n’a pas accès au Dit : la narratrice, Kaori, a beau être fille et petite-fille de conteuses, il se refuse à elle – aussi doit-elle se contenter de danser sur les récits des autres.

À la mort de sa grand-mère, pourtant, elle hérite d’un bien singulier trésor : un rouleau calligraphié, dont la simple possession est criminelle. Kaori, intriguée autant qu’effrayée par l’objet, mais tout autant curieuse de savoir d’où elle vient pour savoir qui elle est, doit quitter les Monts d’Automne pour en apprendre davantage. Son périple, sur Tasai même, lui fait envisager un monde bien différent de celui qu’elle a toujours connu — mais elle voyagera à terme bien plus loin, quittant Tasai pour naviguer au sein du Flux et contre lui, et en définitive remonter à sa source : il y faudra des années-lumière de distance, et des siècles d’errance…

Quitter les Monts d’Automne débute comme un roman initiatique assez commun – le cadre japonisant ne lui conférant pas tant de singularité que cela, même s’il n’est pas sans élégance. Dans le meilleur des cas, Émilie Querbalec chasse ici sur les terres d’Ursula K. Le Guin, et non sans habileté. Cette référence vaut sans doute aussi pour la suite, dans la confrontation du caractère « primitif » de Tasai et de Kaori avec la réalité autrement technologique des mondes du Flux – même si ce dernier apparaît bien plus menaçant que l’Ekumen…

C’est bien ce décalage qui fait la saveur du roman – et de la sorte la dimension initiatique du récit se mue, insidieusement d’abord, puis plus brutalement, en une prise de conscience quant à la nature de l’univers qui dépasse et sublime la seule quête d’identité. Mais en des termes communs ? L’expérience vécue par Kaori, si elle évoque aux lecteurs de SF la démesure intimidante et fascinante du sense of wonder, ce vertige si désirable, revêt pour elle quelque chose qui tient de la magie. Cette naïveté participe de son charme – et si l’on a pu critiquer le caractère passif de « l’héroïne » une fois Tasai abandonnée, on avouera que cela nous préserve des fâcheuses lourdeurs si communes dans les récits où figure un(e) élu(e).

Il s’agit bien d’un pur roman de science-fiction, du début à la fin – le caractère en apparence « primitif » de Tasai ne suffit certes pas à lui conférer les atours de la fantasy. Si Quitter les Monts d’Automne donne parfois l’impression de jongler entre les genres, c’est plutôt au travers d’une trame globale qui peut paraître décousue par moments – notamment lors des étapes intermédiaires du voyage spatial, quand une sorte de thriller en huis-clos se met en place. En même temps, ce caractère s’avère pertinent, quand on le lit au prisme de la dilatation spatiale et temporelle qui caractérise la deuxième moitié du roman. Et si le point final a sans doute, comme le point de départ, quelque chose de convenu, peu importe : c’est le voyage qui compte – et il est fascinant.

La plume d’Émilie Querbalec y est pour quelque chose : sans en faire trop, elle sonne juste – et parvient régulièrement à exprimer une sobriété élégante tout à fait à propos. En d’autres occasions, la justesse et la sobriété s’associent pour exprimer la douleur de Kaori avec un impact certain, qu’il s’agisse d’une mélancolie sourde s’inscrivant dans la durée, ou de la brutalité insoutenable d’une très rude scène de viol. Au-delà, cependant, il y a donc ce vertige des grands nombres, suscité et entretenu avec beaucoup d’habileté.

Quitter les Monts d’Automne n’est sans doute pas un roman parfait, mais il fonctionne remarquablement bien, surtout en ce qu’il dépasse le caractère un brin bateau de l’exposition pour convier le lecteur à participer, au côté de Kaori, à une fascinante et surprenante odyssée de l’espace, qui est en même temps, comme de juste, une aventure personnelle.

Les Villes nomades

Chez Mnémos comme en SF, on est friand des Histoires du futur. Après celles d’Heinlein, de Smith ou de Niven, l’éditeur publie celle créée par James Blish dans les années 50 et 60 à travers les quatre tomes du cycle «  Les Villes nomades ». Certains sont des fix-ups, d’autres des romans écrits d’une traite, l’un d’eux a été rédigé des années après les autres et inséré entre les deux premiers tomes de la trilogie initiale, et tous ont subi des révisions en réponse à des points soulevés par les lecteurs. Aux hommes les étoiles décrit une année 2018 où la Guerre Froide est toujours d’actualité, et où, pour combattre l’URSS, les USA se sont transformés à leur tour en un état policier et totalitaire  ; dans l’espoir de préserver la culture occidentale, une cabale initie un projet scientifique secret, notamment un « pont » dans l’atmosphère de Jupiter devant permettre de valider certaines théories alternatives. Dans Villes nomades, l’aboutissement du projet a permis, mille ans plus tard, à des villes entières de s’arracher de la surface de la Terre pour proposer leurs compétences industrielles ailleurs, sur le modèle des Okies, travailleurs migrants de l’Oklahoma des années 20 et 30. Dans La Terre est une idée, on suit les aventures intergalactiques de New York, une des plus prestigieuses de ces villes nomades, menée de main de maître par le (très asimovien) maire Amalfi. Enfin, dans Un coup de cymbales, Blish va au terme de ses 2000 ans d’Histoire future et au bout de celle de l’univers !

La préface se plaît à souligner la solidité scientifique de l’ensemble (Blish, critique à la dent dure, en reprochait l’absence à certains de ses collègues auteurs) et l’importance du cycle dans le corpus SF, quand bien même « il fait son âge ». Une solidité qu’il importe toutefois de nuancer, car ce qui n’a pas été invalidé depuis les années 50/60 est parfois employé de façon abracadabrante, notamment en cosmologie – dans le premier et le dernier roman, on a davantage du technobabillage que de la vraie science, même de son époque. Quant au statut de cycle majeur, on est loin des autres Histoires du futur, d’autant que des quatre romans, seul le troisième présente un réel intérêt. Le premier est poussif pour le peu qu’il a à raconter (qui plus est résumé en quelques paragraphes dans les autres tomes), le second est un roman d’apprentissage très (trop) classique, même si son protagoniste est attachant, et le dernier s’avère trop bancal sur le plan scientifique pour convaincre. Reste à mettre au crédit de l’ensemble un sense of wonder indéniable et un excellent troisième tome.

Le Seigneur des Empereurs

Second volet du diptyque « La Mosaïque Sarantine », Le Seigneur des empereurs fait suite à Voile vers Sarance. Il introduit un nouveau personnage, Rustem, un médecin Bassanien envoyé espionner Sarance, et qui, comme Crispin, est un autre étranger portant un regard extérieur sur les Sarantins. Un homme ordinaire évoluant, bien contre son gré, au cœur des intrigues tissées par trois femmes exceptionnelles pour s’emparer du pouvoir ou le conserver. Kay a toujours particulièrement soigné ses personnages, tout spécialement les féminins, mais il atteint sans doute ici le sommet de son art en la matière. S’il nous place au point où le paradigme bascule, où l’Histoire prend un nouveau cours, dans les pas des souverains et autres hauts personnages, il n’en oublie pas pour autant le sort des gens modestes. D’ailleurs, les scènes de plus grande envergure ne sont pas situées à la fin du roman, mais bien avant, et la conclusion met à nouveau en lumière l’art du mosaïste et celui qui lui donne vie.

La première partie (environ 240 pages) nous fait croire que le rythme restera aussi lent que dans le premier volet ; la seconde nous détrompe, faisant s’accélérer les événements et réservant au lecteur ébahi des scènes d’une intensité dramatique absolument extraordinaire. Si Voile vers Sarance pouvait laisser penser que le diptyque pouvait relever, dans un monde imaginaire où le surnaturel est réel, d’une allégorie du règne de Justinien et de Théodora, dans l’Histoire réelle, Le Seigneur des empereurs, en revanche, donne à ces personnages, ainsi qu’à l’équivalent de Bélisaire, un destin totalement inédit. Ainsi, la remarquable précision de la reconstitution de la Byzance de l’époque, jusque dans le comportement de ses souverains ou dans des citations à peine déguisées de L’Histoire secrète de Justinien, par Procope de Césarée, est mêlée à un cours de l’Histoire différent, et bien sûr à des phénomènes magiques.

Voile vers Sarance était un bon roman pour qui connaissait déjà et appréciait Kay. Le Seigneur des empereurs est d’un tout autre niveau, hissant l’ensemble du diptyque à des hauteurs vertigineuses, dignes du meilleur de sa bibliographie (qui regorge pourtant de très grands romans de fantasy historique). On ne pourra que recommander à qui veut découvrir la prose du Canadien de s’y intéresser (même s’il devra faire preuve de patience, tant la mise en place des dominos est lente – mais leur chute ébouriffante), et on conseillera même à ceux qui ne l’apprécient pas, d’habitude, de se faire violence, tant les événements d’une certaine nuit fatidique sont contés par l’auteur de manière extraordinaire, parfaitement servis par la remarquable traduction inédite de Mikael Cabon.

Les Hurleuses

Les Hurleuses est la première partie du diptyque « Vaisseau d’Arcane », qui se déroule dans le même univers qu’Engrenages et sortilèges, roman d’Adrien Tomas YA paru chez Rageot. Celui-ci se destine cette fois aux adultes et se place dans un autre coin de ce monde. En termes de genre, Les Hurleuses relève de l’Arcanepunk / Fantasy industrielle mélangeant technologie et magie, la première étant alimentée par la seconde (l’arcanicité remplace l’électricité). En effet, la magie peut se présenter sous forme solide ou liquide, pouvant notamment frapper quelqu’un pris sous un « orage de mana » et le transformer en « Touché », individu dont la personnalité et l’intelligence sont quasiment annihilées mais qui, contrairement à un mage classique, a accès à des réserves d’énergie surnaturelle illimitées, utilisées pour alimenter trains, canons à rayons et autres ascenseurs à lévitation. La magie a de plus des effets mutagènes, transformant des essaims d’insectes en intelligences de groupe ou les poissons des abysses en une civilisation hautement évoluée, qui explore la surface via des aéroscaphes mécaniques. On comprendra donc que les villes humaines soient sous dômes !

L’intrigue nous fait suivre Sof, une infirmière qui cherche à soustraire Solal, son frère qui vient juste de devenir un Touché, du sort de centrale énergétique vivante qu’impose le gouvernement, tandis que Nym, Opérateur (assassin) jadis au service de ce dernier, cherche à les retrouver, alors qu’il vient de décider de trahir et est lui-même poursuivi par ses anciens collègues. Le roman nous emmène aussi sur les premiers pas de l’ambassadeur Gabba Do du peuple des Profonds… pardon, des Poissons-crânes. Le tout alors que la guerre menace sur deux fronts, d’un côté avec les orcs (qui sont verts car partiellement autotrophes grâce à la chlorophylle), de l’autre avec l’ancienne puissance colonisatrice, la république isocratique (comprenez : Communiste) de Tovkie.

Au début, on croit deviner dans Les Hurleuses un classique pamphlet pro-écologiste, anti-industrialisation, anti-préjugés (ici envers les orcs), dénonçant une oligarchie vaguement déguisée en démocratie, les assassinats commandités par l’État, les collusions entre les officiels et les industries (armement, minières), les méfaits du capitalisme débridé, le musellement (ou pire) des intellectuels, journalistes, opposants et syndicalistes, avec en point d’orgue « l’ isocratisme, c’est le Bien ». Sauf qu’on finit par s’apercevoir que le propos d’Adrien Tomas est considérablement plus nuancé et subtil que cela. Et que de toute façon, l’univers (même si les races tolkieniennes végétales ou celles mutées par magie ne sont pas originales, juste assez inhabituelles), les personnages, les dialogues, le style, et surtout un scénario remarquablement astucieux compensent largement ce qui aurait pu être une maladresse. Et de toute façon, comment résister à un roman mettant en vedette la gougère à la méduse ? Vivement la suite !

La Chose

Approchez… Plus près… Installez-vous confortablement au coin du feu et venez lire cette histoire terrifiante… Laquelle ? Vous la connaissez, voyons… Celle de l’expédition partie au pôle Sud et qui n’est jamais revenue : hommes et chiens confrontés à l’inconnue, à l’horreur radicale. John Carpenter vous l’a déjà racontée en 1982 dans The Thing, à moins que ce ne soit la version de 1951 de Christian Nyby, The Thing from Another World… Ici, revenez à la source et découvrez la toute première version de l’histoire : La Chose, signée par John W. Campbell sous le pseudonyme de Don A. Stuart en 1938 dans les pages de son magazine, Astounding. Un récit culte. Séminale s’il en est. Une pierre de touche dans l’histoire de la SF mondiale.

Délicieusement rétro avec ses grands gaillards adultes parlant de « zoziaux  » ou son poêle à charbon pour chauffer la base, La Chose est finalement très moderne dans son histoire. Et si la lecture superpose les images des films aux mots du texte (l’adaptation de Carpenter s’avérant très fidèle), elle apporte également sa propre scénographie. L’origine extraterrestre de la chose est détaillée, son vaisseau localisé, et son apparence initiale présentée. Le tour de force opère : que le lecteur connaisse par cœur l’histoire qui va se dérouler au fil des pages ou qu’il la découvre complètement, la tension montera petit à petit, jusqu’au climax final. Même si celui-ci est, par une belle pirouette, plus optimiste que les films, et finit par un beau cadeau scientifique pour l’humanité. Si un récit a mérité le nom de la collection qui le publie, c’est bien celui-ci : dès les trois premiers mots, impossible de le lâcher. D’autant que le texte est suffisamment ancien et court pour que l’auteur n’ait pas eu le temps d’exposer ses théories les plus nauséabondes sur l’esclavage, le racisme, les femmes ou la sexualité. Autant en profiter sans remords ni mauvaise conscience, donc.

Le livre terminé, il reste tout de même une question : comment diable des vaches ont-elles été acheminées dans le sous-sol de l’Antarctique pour répondre aux besoins en viande et en lait des scientifiques américains ? (1)

Note
(1). Par bateau, comme tout le reste, ainsi que l’a fait l’amiral Byrd en 1933 avec trois têtes de bétail qui seront même ramenées aux États-Unis en 1935, ce dont Campbell, curieux et documenté, avait forcément connaissance [NdPPD]

Eau douce

Que se passe-t-il quand un enfant grandit dans le ventre de sa mère ? Pour les Igbo, il est encore en contact avec les esprits qui décident de son destin. Mais le portail est censé se fermer le jour de la naissance.

Ada, elle, n’a pas eu cette chance : la porte est restée ouverte, et elle est désormais ?gbanje, habitée par les esprits qui n’ont pas réussi à quitter son corps avant la naissance.

Elle grandit au Nigeria dans une famille divisée, en ignorant cette possession. Jusqu’à son départ pour des études aux États-Unis, et à l’agression violente qu’elle subit là-bas, qui déclenche sa « renaissance  ». Désormais, elle partage sa vie avec les êtres qui habitent son âme, chambre de marbre censée être inviolable. Tiraillés entre l’émerveillement d’être chair, et l’appel insistant des « frèresœurs », ceux qui sont restés dans l’obscurité de l’autre côté, les esprits prennent parfois le contrôle de son corps, comme As?ghara, la bête, qui gère tout contact charnel, ou Saint Vincent, qui offre une autre alternative à l’Ada, « en suspension, entre ces concepts inadaptés de masculin et de féminin ». Car comme le disent si bien les voix, les « nous », qui protègent l’Ada de l’intérieur, pour lui éviter de trop souffrir : « beaucoup de choses sont préférables à une souvenance totale. »

Sans fard, mais gardant néanmoins toujours une certaine pudeur sur les agressions vécues, qui se devinent, et se dévoilent peu à peu pour être enfin écrites dans la dernière partie du livre, ce récit en partie autobiographique exprime avec brio le terrible parcours des troubles de la personnalité, et des traumatismes qui ont pu les déclencher.

Jouant parfois avec le fantastique par la multiplicité des personnalités mythologiques et divins qui s’y expriment, ces narrateurs si différents, l’histoire retrace surtout avec force et intimité le parcours d’une vie fracassée, et le coût de la survie, ses années passées à se chercher, et à tenter de recoller les morceaux éparpillés dont on n’avait pas conscience ni connaissance. Car comment réparer ce qui est dévasté ? Comment avancer, quand seule la déshumanisation permet de continuer ? Les émotions sont précises, et la sincérité visible derrière chaque voix, chaque moment de la vie de… de qui d’ailleurs ? Chaque voix, à sa façon est unique, et le patchwork dessiné est fascinant, dans ses détails ou dans son ensemble.

Le fantastique n’est qu’esquissé, à travers le doute entre folie ou la foi dans la cosmologie igbo ou chrétienne, est sert surtout de passerelle vers la construction d’un nouvel être, qui sera la somme de tous les autres, et de toutes ses expériences, charnelles, divines, mystiques, qui forment, malgré tout, l’humain.

“À dos de crocodile” dans la Yozone

« À dos de crocodile est un concentré de science-fiction de haut vol, celle du vertige explorant un avenir très lointain et si différent de notre présent. L’humain a toujours besoin de défis pour alimenter son envie d’aller plus loin, les extraterrestres sont une réalité, la science a progressé à bonds de géant… mais l’univers conserve toujours une part de mystère, donc de magie. » La Yozone

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug