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La Cité des miroirs

Une aventure éditoriale d’une dizaine d’années (entre le déclic initial lors d’une balade avec sa gamine de huit ans – «  papa, tu peux me raconter une histoire où une petite fille sauve le monde ?  » – et la publication de l’ultime volet de la trilogie…) ponctuée d’un cancer entre les tomes 2 et 3, une saga littéraire de près de 2 500 pages en grand format, soit 900 000 mots, publiée dans plus de trente pays et près de quatre millions de dollars encaissés (pour les seules ventes des bouquins – sachant que les droits ont en outre été acquis par la Fox)… Contrat rempli, en somme, pour Justin Cronin, auteur exigeant, littéraire, qui, après deux livres mainstream non dénués de qualités mais aux ventes confidentielles (Huit saisons, un recueil de nouvelles, prix Pen-Hemingway tout de même, et le roman Quand revient l’été, tous deux traduits au Mercure de France), ambitionnait le jackpot avec la trilogie du «  Passage » et une bascule vers la littérature de genres et ses codes…

Un sacré pari, quand même. Parce qu’en pleine folie «  Twilight » et bit-lit’, avec un pitch se résumant à : « Futur proche ; l’humanité a été balayée par un virus ultra virulent transformant tout ceux qu’il contamine en vampires zombies dotés d’une force hors normes ; les rares survivants se terrent derrières les murs de villes forteresses », sincèrement, faut être sûr de son coup pour ne pas se faire taxer d’opportunisme patenté. Sûr de son coup, et doté d’un talent sans faille doublé d’une ambition à l’avenant. Rien que sur le papier, le projet donne le vertige : une quarantaine de personnages ; une action principale qui court sur trois générations et tout un continent ; une sous-intrigue qui, elle, promet de nous balader sur un millénaire. Rien que ça. D’ailleurs, Cronin n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Avec La Cité des miroirs, c’est un peu comme si j’avais écrit le troisième Testament. » Tout simplement. Et le pire, c’est que c’est vrai. La trilogie du « Passage », c’est pas compliqué, c’est le Stephen King du Fléau qui aurait boulotté le Dan Simmons de L’Échiquier du mal. Sauf qu’une fois qu’on a dit ça, on a rien dit ou presque. Rien dit de l’exceptionnelle densité de l’ensemble, de la redoutable humanité, la sidérante épaisseur des personnages qui traversent cette saga colossale, de son caractère digressif, réaliste, voire naturaliste, de sa richesse thématique, de sa dimension éminemment addictive, de l’implacable mécanique littéraire traversant ces milliers de pages. Cronin nous raconte son Apocalypse et sa Genèse mêlées. Et ça ne marche pas : ça court ! Un tour de force imparable, clairement, dont le premier opus a déjà rencontré pas loin d’une centaine de milliers de lecteurs en France, ce qui n’a rien d’étonnant.

On réservera tout spécialement cette « expérience » aux lecteurs cœur d’artichaut, ceux qui chialent à chaque fois qu’ils tombent sur La Route de Madison, qui vibrent d’empathie pour la chair, le sang et les larmes, les destins hors normes aussi bien que le caractère proprement merveilleux d’un quotidien fait d’une succession de petits riens, la transcendance viscérale d’un paysage âpre et brutal, l’amour comme début et fin de tout, l’amour, oui, qui s’avère in fine le sujet véritable de ce montre de papier. Mais attention tout de même. Que les purs cérébraux se méfient : dans le registre de l’émotion viscérale, la trilogie du « Passage » relève du chef-d’œuvre, et ses coups de boutoirs pourraient bien les faire plonger à leur tour… Ébouriffant.

Aquamarine

Milieu du XXIIe siècle. Au jeu du chamboule-tout climatique, l’Australie s’en est pas trop mal tirée et gère l’après comme elle peut, redécoupée en différente aires politiques plus ou moins réactionnaires et plus ou moins recluses. Saha Leeds a 16 ans. Élevée par sa tante sourde et muette, elle vit dans une zone néo-traditionnaliste, un coin friqué qui ne rigole pas avec le respect de la nature, les dérives scientifiques et les délires de bio-ingénierie farfelues qui ont cours ailleurs, chez les voyous d’à côté. Pauvre, ostracisée par ses camarades pourris de pognon, elle fait profil bas. D’abord parce qu’elle ne veut surtout pas se faire chasser de cette enclave serrée du derche mais paisible. Et aussi, surtout, parce qu’elle a un secret honteux. De grosses plaies qui lui découpent le torse, sous les bras. Des trucs dégueulas-ses qu’elle a de naissance et qui l’empêchent de se mettre en maillot de bain. Et de toute façon, elle ne sait pas nager. Une honte pour ce coin Aussie où la mer est mère de tout…

Sincèrement, j’aurais adoré aimer ce bouquin. Parce qu’Eschbach a du talent. Et parce que j’ai toujours été un fan honteux de L’Homme de l’Atlantide… Sauf que dans ce roman pour ado qui ne s’assume pas (pourquoi avoir publié ce YA dans « La Dentelle du Cygne » alors que l’Atalante dispose d’une collection jeunesse ?), rien ne va. À commencer par les ados eux-mêmes, compassés, improbables, plus neuneus que dans une pub de corn flakes. L’histoire est à l’avenant, totalement improbable, même à motiver sa sacro-sainte « suspension d’incrédulité » à grands coups de pompes dans le fondement tout au long de sa lecture. Ceci étant posé, Eschbach gère son arrière-plan socioculturel avec un certain métier, voire même quelques idées indéniables, mais le mal est fait, et pas qu’un peu : on y croit tout simplement pas. Du tout.

Reste un livre qui se lit. C’est sûr, y a des mots dedans. Mais sincèrement, à quoi bon ?

Métro 2035

Dix ans après le premier opus de cette série (sept ans en France), Dmitri Glukhovsky nous invite à une nouvelle plongée dans l’univers étouffant des souterrains moscovites. Si Métro 2034 avait relégué Artyom, moyeu central de Métro 2033, au rang de personnage secondaire au profit d’un trio, il reprend ici sa place dans ce nouvel opus. Exit donc Hunter, la machine à tuer. Par contre, le vieil écrivain Homère et la diaphane Sacha vont croiser la route du jeune homme, revenu dans la station VDNKh. Au début du roman, Artyom possède tout ce qu’il faut pour vivre heureux (autant qu’on puisse l’être dans ce monde en déliquescence) : une épouse aimante, fille d’un haut dirigeant, un statut de héros, puisqu’il a débarrassé le métro du « danger des Noirs ». On lui a même trouvé un travail facile et peu contraignant. Mais il ne peut se contenter de cela. Il est toujours rongé par les remords, persuadé d’avoir causé la destruction d’êtres intelligents (les Noirs, donc) capables de les aider à sortir de ce cloaque. Et il est hanté par la mémoire d’un message. Un message reçu à la radio, en provenance d’un autre groupe d’humains rescapés. Il s’accroche à cette idée, à ce rêve d’un ailleurs, d’une possibilité de vivre à nouveau sur la terre plutôt qu’en dessous, tels des rats, des vers… Cette existence lui devient si insupportable qu’il risque quotidiennement sa vie. Il sort, vêtu d’une vieille combinaison, et s’expose aux radiations toujours présentes. Il grimpe sur les plus hautes tours, armé d’un lourd poste de radio, et tente de joindre d’autres hommes, d’autres femmes. La radio-activité commence à produire des dégâts sur son organisme : ses cheveux tombent, son corps répond moins bien. Et les habitants de sa station le regardent avec pitié ou mépris. Aussi, quand Homère débarque et lui parle d’un nouveau message radio reçu voilà des semaines depuis une autre station de métro, Artyom n’hésite pas une seconde. Il abandonne le confort illusoire de VDNKh et part en quête de cette chimère : une porte vers l’extérieur, une chance de récupérer le statut d’être humain.

Revenir, des années après, à une série qui a fait son succès, est un exercice délicat pour tout créateur – nombreux s’y sont essayés, avec pertes et fracas, dans l’espoir de retrouver une gloire disparue. Or, Dmitry Glukhovsky avait parfaitement réussi sa sortie de l’univers foisonnant de Métro : Sumerki, et peut-être plus encore Futu.re, avaient prouvé qu’il n’était pas l’homme d’un seul ouvrage, mais bien un écrivain à part entière capable de changer de genre, de proposer des visions du monde variées, des univers différents et denses. Le doute n’en était pas moins permis…

Un doute que les premières pages de Métro 2035 balayent d’emblée. Moins cloisonné que Métro 2034, très tourné vers les relations complexes unissant Hunter, Homère et Sacha, ce dernier opus de la saga se montre plus ouvert, plus riche d’actions. Bien sûr, les doutes d’Artyom constituent la colonne vertébrale du roman : réflexions désespérées sur l’être humain, concessions dont il est capable pour survivre, sens de la survie même dans un contexte d’extrême brutalité… Aiguillonné par ces questions, le jeune homme cherche des réponses, et pour ce faire voyage : il parcourt des stations encore non visitées, mais aussi la surface, source de surprises et de déceptions, se met à la merci de personnages terribles et, hélas, si crédibles.

Avec Métro 2035, Dmitry Glukhovsky nous offre, non une resucée insipide, mais une nouvelle dimension épique, renouvelant avec succès son univers. Prenez donc une bonne bouffée d’air frais (ce sera la dernière avant longtemps) et plongez à nouveau, sans hésiter, dans les tunnels de Moscou.

Libration

Suite du premier roman de Becky Chambers, L’Espace d’un an, cet opus peut se lire indépendamment. Lovelace, sensible intelligence artificielle d’un vaisseau spatial, va enfin vivre au sein de la diaspora des Intells, au milieu des humains, Aéluons, Aandrisks, Harmagiens, Quélins… C’est Poivre, mécano, bricoleuse de logiciels plus ou moins pirate, qui lui a fourni illégalement une imitation de corps lui permettant de frayer parmi les espèces douées d’émotions. Elle-même a été élevée par une intelligence artificielle de navire dont elle recherche désespérément la trace.

Parallèlement, on suit Jane 23, une enfant-esclave parmi de nombreuses autres, élevée dans l’ignorance de tout par les Mères, des robots sans visage. Évadée, s’abritant dans un vaisseau spatial en partie fonctionnel, elle apprend à survivre malgré les chiens errants et à réparer l’engin pour pouvoir quitter ce territoire de retraitement de déchets technologiques.

Récit d’apprentissage, le roman suit la double trajectoire de personnes mal préparées à la vie en société du fait de leur isolement respectif. Jane n’a pour compagnons que les personnages virtuels de jeux interactifs, ainsi que l’IA qui tente de lui apprendre le monde à partir de sa base de données, tandis que Lovelace, devenue Sidra, se sent isolée dans un corps qui la limite, ne lui offrant qu’un seul point de vue et des connexions intermittentes au monde informatique. Auparavant omnisciente, elle découvre en quelque sorte l’ignorance, et doit apprendre à se comporter sans tout connaître du milieu où elle évolue et de ses interlocuteurs. Heureusement, ceux-ci se révèlent d’une tolérance et d’une compréhension sans faille.

Tout le monde ici respire la gentillesse, de sorte que les impairs sont moins vécus comme des risques de dénonciation que des occasions d’apprendre à se comporter avec autrui. Il est difficile, même pour une IA douée d’empathie et une humaine désocialisée, de se faire une place dans la société. À défaut d’intégration parfaite, le destin parfaitement symétrique de ces deux personnalités est celui de la recherche d’un équilibre : l’insertion, finalement, se fera en adaptant les traits irréductibles de sa vie passée. La libration du titre français, éloigné de l’original (A Closed And Common Orbit), illustre assez fidèlement les oscillations des protagonistes en quête de stabilité, les compromis que tout un chacun doit adopter pour assurer une stabilité satisfaisante. Il n’appartient pas qu’à Jane et à Sidra de faire des efforts en vue de s’insérer, mais à l’entourage de les y aider.

La science-fiction est ici davantage un décor qu’un moteur du récit : celui-ci évite de trop entrer dans les détails, du côté des technologies comme des sciences humaines, adoptant pour ce faire quelques stratégies cosmétiques peu convaincantes. Par ailleurs, le roman n’est pas exempt de naïvetés ni de mièvreries, mais c’est parce qu’il fonctionne avant tout à l’émotion. Les amateurs de space opera militaire ou de philosophie scientifique passeront leur chemin. Le reproche qui est d’ailleurs adressé aux entités biologiques est précisément de se fixer des buts dans la vie au lieu de se contenter de jouir de l’existence. L’avalanche de bons sentiments, agrémentée de quelques traits humoristiques, fonctionne toutefois mieux que dans le premier opus, du fait d’une intrigue plus serrée qui se dote en fin de volume d’une dernière quête servant à boucler la boucle. Dans la catégorie des histoires feel good n’ayant d’autre prétention que de transmettre de bonnes vibrations, Libration réussit assez bien son coup.

Aux comptoirs du cosmos

Si ce deuxième opus des cinq volumes consacrés à «  La Hanse galactique » laisse un peu en retrait Nicholas van Rijn, le flamboyant directeur de la Compagnie Solaire des Épices & Liqueurs, c’est pour faire place à d’autres personnages de la Ligue polesotechnique, qui résolvent à leur tour de tortueuses énigmes planétaires.

Ainsi, comment transporter sur une longue distance un lourd générateur à même de réparer un vaisseau spatial et de quitter une planète où rien n’est comestible pour l’humain, avant épuisement des provisions, quand une puissante théocratie interdit l’usage de la roue, et donc de moyens de transports adéquats ? Tel est le problème auquel est confronté le jeune David Falkayn, qui joue intelligemment sur deux tableaux et amorce ce qui s’apparente bel et bien à une révolution copernicienne ( « La Roue triangulaire »).

Dans « Un Soleil invisible », les Kraokas, peuple dispersé autour d’un astre brillant de type F impropre aux humains, tiennent à former un empire en interdisant la navigation interstellaire dans le périmètre que forment leurs rares planètes avec une quinzième qu’ils revendiquent, ce à quoi la Ligue pourrait consentir s’ils en connaissaient l’emplacement. Le même Falkayn ne dispose que de minces indices, lâchés par une femme venue transmettre ces souhaits à la Ligue, pour localiser l’étoile et déterminer ainsi l’importance des enjeux. La situation, calquée sur les revendications hégémoniques de l’Allemagne hitlérienne, repose ici aussi sur un détail scientifique d’ordre cosmologique.

Dans « Esaü », van Rijn vient de renvoyer Emil Dalmany, qui justifie devant lui sa décision prise sur une question commerciale à l’apparent désavantage de la compagnie. L’instauration d’un gouvernement indigène à la solde d’une entreprise commerciale afin de mieux contrôler la production traite en filigrane de la menace des transnationales, sur fond de chômage technique lié à l’utilisation de robots.

On le voit, les récits restent dans l’esprit de la saga, autour de problèmes de négoce sur des mondes étrangers, où l’art du compromis et du jeu à somme non nulle en font tout le sel. Les intrigues de type policier reposent le plus souvent sur des postulats scientifiques que Poul Anderson déploie avec beaucoup d’astuce.

Le « Cache-cache » auquel se livre un équipage extraterrestre arraisonné par van Rijn en raison des avaries que son propre vaisseau a subies, demande beaucoup de sagacité pour le repérer dans sa cargaison d’animaux exotiques, sachant que tous les éléments risquant de les trahir ont été retirés des lieux de vie. Cette nouvelle marque la première apparition de Bahadur Torrance, tandis que la dernière du recueil introduit l’imposant et très cultivé lézard Wodonite (sic !) Adzel, précisément à l’occasion d’un retour sur Terre qui lui donnera l’occasion de sauver un spectacle centré sur… l’humain. « L’Ethnicité sans peine » est un bel exemple d’ouverture sur les autres.

Si on considère qu’en outre ces nouvelles sont narrées sur un rythme soutenu, distillent une discrète ironie et regorgent de dialogues enlevés, on obtient cinq histoires très denses, que rehaussent encore des Interludes, savoureuses réflexions à propos de science ou d’extraterrestres, tout en finesse et en intelligence. Une chronologie de la civilisation technique signée Sandra Miesel clôt l’ouvrage. Le libre sieur Jean-Daniel Brèque, traducteur, a manifestement pris beaucoup de plaisir à coordonner l’ouvrage avec Olivier Girard. On reste dans la veine d’une science-fiction populaire, intelligente, mordante, et éminemment jouissive. En un mot : superfabulagique !

L'Âme des horloges

Holly Sykes est le personnage récurrent de ce nouveau roman de David Mitchell. En 1984, adolescente fuguant de chez elle, elle reçoit avant de partir, des mains de son petit frère Jacko, enfant atypique et bizarre, un labyrinthe qu’il a dessiné en lui demandant de l’apprendre par cœur. Elle-même entendait, vers sept ans, des voix qu’elle appelait «  gens de la radio » et qu’une femme qu’elle était seule à voir a fait partir tout en lui donnant l’occasion de mesurer l’étendue de ses pouvoirs, pour le moins effrayants. Des voix qui semblent recommencer des années après, de façon encore plus spectaculaire, au cours de visions cauchemardesques, scènes sanglantes où des esprits s’affrontent par l’entremise de mortels.

Comme toujours chez Mitchell, plusieurs intrigues croisées, situées à des époques différentes, complètent les pièces d’un puzzle hors normes. Holly joue à l’occasion un petit ou un grand rôle en qualité d’amante, épouse et mère, auteur à succès, sans qu’émerge une vue d’ensemble de ces récits par ailleurs passionnants. La vie est un labyrinthe : il faut parfois s’éloigner du but pour s’en rapprocher.

Ainsi, en 1991, Hugo Lamb, cynique et méprisant étudiant à Cambridge, parfait salaud sous couvert de bonnes actions ; en 2004, au mariage d’Ed, reporter de guerre en Irak et père d’une petite Aoife ; Crispin Hershey en 2015, célèbre auteur d’Embryons desséchés, écrivain lâche et égocentrique dévoré par la culpabilité d’une action honteuse… Autant d’éclats qui précisent, par petites touches ou portions plus explicites, l’arrière plan titanesque de la lutte entre Horlogers et Anachorètes, virtuellement immortels, qui prend des allures de série B avec la régénération d’âmes par psychovoltage ou de fumeuses invocations psychosotériques.

Le récit aurait pu s’achever en 2025, au terme d’un combat homérique digne d’un blockbuster hollywoodien, non dénué d’un certain humour second degré, où Holly, pièce essentielle sur l’échiquier, participe à sa façon, pourtant il se poursuit vingt ans plus tard, reléguant les Atemporels à l’arrière-plan, quand, sur fond de crise énergétique et d’extinction de la civilisation, la vieille femme qu’elle est devenue tente une dernière fois de protéger les siens. Dès lors, quel sens donner à ce fantastique ensemble ?

Mitchell égare son lecteur dans le dédale de centaines de récits enchâssés, articulés entre eux par de subtiles connexions, qu’il raconte de magnifique façon. Le ton est toujours juste, son travail sur la langue en témoigne, l’intérêt ne faiblit jamais, car chaque scène se déroule au rythme qui lui est nécessaire, les personnages, héroïques ou antipathiques, sont tous éclairés par l’intensité de leur vie intérieure, hantés par une sourde angoisse qui sous-tend leurs actions. C’est dans les détails infimes que le récit se déploie réellement, dans le renvoi que fait le titre du best-seller de Hershey, Embryons desséchés, à celui des âmes perdues ou peut-être de récits inachevés, dans le geste incompréhensible de la fugueuse qui jette à la rivière son disque préféré qu’elle a pris la précaution d’emporter, et dans les airs qu’elle traque sur les dernières stations de radio au soir de sa vie, comme une métaphore de ce qu’on jette puis recherche de son passé. Comme dans la vie, des renvois multiples, transcendant le temps, à défaut de dessiner une trajectoire, forment un tout qui fait sens. Les cassures ne manquent pourtant pas : chaque époque est clairement délimitée, la narration connaît des ruptures nettes, et Holly, marquée par une disparition, une trahison, un décès, une maladie, inlassablement, comme un mécanisme d’horlogerie qu’on remonte, recommence une nouvelle vie. Bien que menée pour des raisons morales, la lutte des Atemporels n’a au final pas grand sens, car dénuée de réel impact sur l’humanité. L’entropie continue de conduire au bord du gouffre. Par son obstination, ses sacrifices au nom des siens, Holly se révèle plus vivante qu’eux.

Comme à son habitude, David Mitchell, généreux conteur, mélange les genres et les styles pour mieux emporter son lecteur. Il se révèle ici étourdissant de virtuosité.

La Société des faux visages

« D’après une histoire (presque) vraie… » : voici qui aurait pu figurer sur un bandeau ornant la couverture de La Société des faux visages, dixième roman de Xavier Mauméjean. Partant d’une donnée avérée qu’il consigne en conclusion de son livre – « Freud et Houdini se trouvaient effectivement à New York en septembre 1909 » –, l’érudit romancier en déduit une série d’événements quant à eux rien moins que certains. Aucune archive n’atteste de la rencontre entre l’illusionniste et le psychanalyste par laquelle s’ouvre le récit. De même, nulle trace ne permet de vérifier la réalité de l’aventure singulière qu’auraient ensuite vécue de concert les deux hommes. La Société des faux visages retrace en effet l’enquête menée, quelques jours durant, par l’Autrichien et l’Américain pour éclaircir les circonstances de la disparition de Stuart Vandergraaf. Et ce après que son milliardaire de père a fait appel à leurs talents hors-normes…

Semblant s’inscrire par son synopsis dans le champ du récit criminel, ce roman de Xavier Mauméjean a – comme tous ses précédents – en réalité plus qu’à voir avec les littératures de l’Imaginaire. Empreintes d’une inquiétante étrangeté allant crescendo, les investigations menées par le médecin et le magicien les mettent d’abord en présence d’une machine inédite : celle-ci reproduit l’organisation de la psyché humaine théorisée par Freud. Semblant droit sortie d’un roman d’anticipation de la Belle Époque, l’invention s’avère aussi lourde de menaces que l’effrayant asile d’un gothique « gothamien » dans lequel Freud et Houdini auront par la suite à enquêter. Hormis ces artefact et lieu au-dessus desquels plane l’ange du bizarre, le duo d’enquêteurs mettra encore à jour des pratiques chamaniques amérindiennes. Tout en croisant, fugacement, la route d’un certain Howard Phillips Lovecraft…

C’est donc une énigme criminelle aux lisières du fantastique qu’imagine Xavier Mauméjean, inscrivant de la sorte La Société des faux visages dans la fascinante lignée des récits dévolus aux détectives de l’étrange. Ce que vient encore souligner le titre de son roman sonnant comme celui d’une aventure apocryphe de Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain magnifié par Jean Ray – et dont l’auteur est un fin connaisseur, comme l’attestent les pages qu’il lui consacre dans notre précédente livraison. À l’instar des histoires du Maître de Gand, La Société des faux visages déploie une narration « happante », confirmant pour le plus grand plaisir des lecteurs et lectrices que Xavier Mauméjean est un conteur généreux. En outre, comme dans ses fictions précédentes, l’auteur double son récit d’une réflexion passionnante sur l’imaginaire. Faisant en cela écho à des œuvres récemment parues telles Les Machines à désir infernales du Docteur Hoffman d’Angela Carter) ou Le Temps imaginaire de Christophe Carpentier, La Société des faux visages affirme en effet la toute puissance exercée par l’imaginaire sur l’humaine condition.

C’est cette vérité existentielle que met à jour l’enquête menée par ces deux connaisseurs achevés de la psyché que sont, chacun à leur manière, les protagonistes fameux de La Société des faux visages. Un geste romanesque par lequel Xavier Mauméjean conforte, avec brio, son indispensable statut de narrateur/penseur au sein du paysage de l’Imaginaire hexagonal.

Jérusalem

« Béhémoth » romanesque (selon Alan Moore lui-même), Jérusalem résiste à toute tentative de le résumer, non pas du fait de son nombre de pages, mais de sa folle et prodigieuse ampleur formelle…

C’est au cœur de la verte Albion, et non pas aux portes des déserts du Moyen-Orient, que se situe la Jérusalem donnant son titre au roman. Puisque les Boroughs (quartier populaire de la cité anglaise de Northampton, où le scénariste de Providence naquit en 1953) en constituent non seulement le lieu principal, mais bien plus encore l’objet essentiel. Pourquoi pareille fusion entre la Ville trois fois sainte et ces marges prolétaires d’une cité provinciale d’outre-Manche ? Car à l’instar de la véritable Jérusalem qui, au-delà de sa topographie concrète, recèle une géographie toute mentale et puissamment agissante, les briques et le bitume des Boroughs dissimulent pareillement une fascinante ville psychique. Pour achever de révéler comme de magnifier le double occulte de son urbaine contrée – un travail entamé dans son premier roman La Voix du Feu –, le disciple proclamé de Iain Sinclair qu’est Alan Moore compose ici une abyssale fiction psychogéographique : reproduisant avec un étourdissant brio la méthode de l’auteur de London Overground, Jérusalem déploie en effet une narration exploratoire et iridescente.

Se calant sur les pas de figures anonymes – notamment les Vernall et les Warren, deux lignées de la working-class de Northampton courant de l’Angleterre victorienne à nos jours – ou plus fameuses – citons, entre autres nombreux people apparaissant dans Jérusalem, Thomas Becket et Dusty Springfield –, le roman parcourt les Boroughs selon une inépuisable dynamique multiscalaire. S’attachant ici au seul cadre du salon d’une demeure ouvrière, là à celui des Boroughs saisis dans leur totalité, à moins qu’il ne s’attarde dans une ruelle borgne ou sur un terrain vague, Alan Moore envisage chacun de ces espaces par le biais d’autant de filtres narratifs qu’il existe de genres littéraires.

Si tous ne relèvent pas du champ de l’Imaginaire (Jérusa lem est ainsi irrigué par la poésie romantique de John Clare ou le théâtre de l’absurde de Samuel Beckett), Alan Moore emprunte nombre de ses prismes aux auteurs plus particulièrement chers aux bifrostien.ne.s. Tel chapitre dépeignant l’arrivée d’un garçonnet tout juste décédé dans un au-delà peuplé par les « Enfantômes » fait irrésistiblement écho au merveilleux angoissant de Peter Pan. Tel autre, mettant en scène la confrontation hallucinée d’un peintre avec un archange, évoque l’horreur titanesque et la géométrie non euclidienne de H. P. Lovecraft. Jouant aussi avec son propre univers fictionnel, l’auteur de From Hell teinte par exemple certaines de ses pages d’un fantastique conspirationniste, pages sur lesquelles plane l’ombre du Ripper telle qu’il l’a redessinée. D’autres lignes retraçant la très fantastique chevauchée d’un diable et d’un garçonnet à travers un au-delà au baroque psychédélique évoquent, quant à elles, certains des épisodes les plus hallucinants de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires.

Restituée par la traduction de Claro, l’écriture métamorphique et poétique participe encore du pouvoir épiphanique de Jérusalem. Ainsi dévoilée, cette gigantesque cartographie psychogéographique des Boroughs affirme leur centralité absolue dans la psyché moorienne. Comme il le précise en conclusion de son roman (qui s’ouvre d’ailleurs avec la mention « D’après une histoire vraie »), Alan Moore a en réalité peuplé ses Boroughs occultes d’autant de doubles fictifs de ses proches. Les Vendall et les Warren sont en effet inspirés de membres morts ou vivants de la famille de l’écrivain. Pouvant dès lors être appréhendée, selon la formule de Melinda Gebbie, la coauteure de Filles Perdues chez Delcourt (et épouse d’Alan Moore), comme la « mythologie génétique » d’Alan Moore, Jérusalem constitue le plus beau et le plus profond des guides quant aux origines de l’imaginaire moorien.

Mais de même que tout autre chef-d’œuvre autobiographique – ce qu’est Jérusalem, à sa manière absolument singulière –, le roman monstre et monde d’Alan Moore atteint certainement à l’universel. Nul doute en effet qu’au terme de cette phénoménale aventure littéraire, nombre de lecteurs et de lectrices auront fait des Boroughs leur propre capitale mentale. Car les unes comme les autres se seront reconnu.e.s dans son peuple d’outsiders magnifiques, conjurant leur marginalité par la magie de l’imagination.

En un temps où le négatif est plus que jamais à l’action dans le réel, Jérusalem dessine la possibilité d’une ville où l’Imaginaire est roi. On ne saurait trop remercier Alan Moore pour ce geste romanesque à la fois splendide et vital…

La Grève

De même que La Grève s’ouvre par une question énigmatique – « Qui est John Galt ? » –, on débutera cette chronique par une interrogation : qui est Ayn Rand ? Pas sûr, en effet, que cette polygraphe étasunienne (1905-1982) soit connue des bifrostien.ne.s. À moins qu’elles et ils ne soient aussi cinéphiles, tendance Cahiers du cinéma. Le film Le Rebelle (1949) de King Vidor – tenu pour l’un des sommets de l’âge d’or hollywoodien – fut en effet scénarisé par Ayn Rand d’après son deuxième roman, La Source vive (Plon). Le nom d’Ayn Rand sonnera aussi familièrement aux oreilles des féru.e.s d’histoire des idées. Hormis des romans et du théâtre, l’auteure de La Grève a en effet écrit des essais dont La Vertu d’égoïsme (Les Belles Lettres). Ayn Rand y définit l’Objectivisme, une philosophie aux implications éthiques et politiques. Parmi ses idées essentielles, l’Objectivisme compte la dénonciation absolue de l’altruisme. Considéré comme une erreur intellectuelle et morale, le souci de l’autre ouvre dans la perspective randienne une voie périlleuse amenant in fine au totalitarisme. À l’altruisme, l’Objectivisme oppose « l’égoïsme rationnel », faisant d’une approche strictement individualiste de l’existence la seule voie possible vers la liberté et le bonheur. Ce libéralisme radical – dont se réclament actuellement les « anarcho-capitalistes » libertariens ou bien encore les tenants du transhumanisme – sous-tend le roman lui-même extrême qu’est La Grève.

Se déployant sur presque 1400 pages, cette inscription de la pensée randienne dans un cadre fictionnel ambitionne rien moins que de doter l’Objectivisme d’une mythologie. Pour ce faire, Ayn Rand bâtit un récit polygénérique empruntant aussi bien aux formes fondatrices de l’Imaginaire qu’à ses déclinaisons modernes. Concernant celles-ci, La Grève — paru en 1957 – s’inscrit ainsi dans la vague dystopique répondant aux bouleversements de la première moitié du xxe siècle. En un futur que l’on suppose proche, Ayn Rand dépeint un monde dans lequel les nations sont devenues autant de «  Républiques populaires ». Sous couvert d’un étatisme généreux, leurs gouvernements en ruinent inexorablement les économies, amenant peu à peu leurs sociétés vers l’effondrement. Très rares sont celles et ceux ayant pris conscience de la catastrophe en cours. Parmi ces élu.e.s, on compte aux États-Unis Dagny Taggart – la dirigeante d’une société ferroviaire – et Hank Rearden, magnat de la sidérurgie, par ailleurs inventeur d’un métal inédit qui confère à La Grève une tonalité science-fictionnelle. Les protagonistes de La Grève sont traité.e.s sur un mode héroïque – Ayn Rand convoque à leur propos la figure de Prométhée –, voire super-héroïque. Dagny et Hank ont parfois des allures de Diana Prince et de Clark Kent de la grande entreprise. Comment ces deux incarnations exemplaires de la philosophie randienne sauveront-elles le monde ? En rejoignant une communauté olympienne de capitaines d’industrie, d’intellectuels et d’artistes fondée par le mystérieux John Galt. Alors utopique, La Grève dessine le projet d’une aristocratie (ultra) libérale, seule à même de ramener l’humanité sur la voie du progrès… C’est une singulière mythologie que constitueLa Grève : « ces tartufes de travailleurs sociaux [et] ces voleurs de fonctionnaires » y représentent « le mal à l’état pur » tandis que se forge une nouvelle « Atlantis » sous le «  signe du dol lar ». Faute d’y adhérer, on peut s’arranger de pareille vision du monde, d’autant plus que La Grève est souvent porté par un souffle expressionniste certain. Mais lorsque pendant des dizaines de pages, le roman se mue en exposé didactique de l’Objectivisme, l’ennui risque de guetter, voire même de frapper… Libre à chacun.e – histoire d’être in fine randien – de déterminer si la lecture au (très) long cours qu’est La Grève est (ou pas) tentante.

Celestopol

Connu avant tout comme traducteur et rédacteur en chef du site Elbakin, Emmanuel Chastellière commence également à se faire une certaine réputation en tant qu’écrivain. Après Le Village, son premier roman paru l’an dernier, les éditions de l’Instant publient aujourd’hui Célestopol, recueil de quinze nouvelles qui imaginent la Lune colonisée par la Russie tsariste au début du xxe siècle. Cette fantasy steam punk ne s’embarrasse d’aucun détail historique ou technique pour expliquer la fondation de cette cité. Pour l’essentiel, elle ne constitue que le décor des histoires mises en scène par l’auteur. À dire vrai, d’ailleurs, et c’est l’une des carences du livre, leur action, à quelques aménagements près, aurait pu se situer n’importe où sur Terre, tant à aucun moment on ne ressent le fait de se trouver sur la Lune. Ni la gravité, modifiée par quelque procédé technique, ni l’horizon, à peine évoqué, pas même les conditions de vie, ne viennent jamais nous le rappeler.

Chacun des récits est indépendant, mais on y croise quelques personnages récurrents, en particulier le Duc Nikolaï, maître incontesté des lieux, au courant de toutes les manigances, qu’elles se trament dans les arcanes de son palais ou dans les bas-fonds de sa cité, ainsi qu’Arnrún et Wojtek, improbable duo de mercenaires – elle, Islandaise, lui, habitant le corps de l’ours qui l’a tué. Et puis il y a les automates, ces êtres mécaniques chargés des plus basses besognes à Célestopol, tantôt manœuvres, tantôt poupées sexuelles.

Une bonne partie des nouvelles raconte des destins à la fois ordinaires et tragiques, celui de deux frères dont les relations conflictuelles vont atteindre le point de non-retour, celui de ce viticulteur incapable de produire autre chose qu’une piquette infâme, ou celui de ce réparateur d’automates amoureux de l’un de ces êtres. Les textes qui mettent en scène ces derniers renouent avec une thématique SF traditionnelle, qui les amène à s’interroger sur leur nature et leur place au sein de la société dès lors qu’une étincelle de conscience apparaît. Pour le reste, l’auteur puise volontiers dans le répertoire fantastique classique en réinventant le conte de Baba Yaga, en visitant un magasin hanté ou en faisant ressurgir les fantômes de l’histoire de la conquête lunaire.

Malheureusement, à une ou deux exceptions près, aucune de ces nouvelles ne fonctionne vraiment. De manière systématique, Emmanuel Chastellière prend le temps de construire posément l’histoire de ses personnages, avant de balayer d’un revers de main tout son travail en optant pour une chute abrupte et incongrue. Il arrive un moment où il ne semble plus savoir où conduire ses héros, ni comment boucler leur histoire. Au bout du compte, on garde de la lecture de ce recueil quelques ambiances bien rendues, le plaisir d’une écriture fluide et suggestive, mais surtout une grande frustration à voir chacune des constructions de l’auteur s’effondrer avant terme. Frustrant.

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