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Les critiques de Bifrost

Le village

Le village

Emmanuel CHASTELLIÈRE
LES EDITIONS DE L'INSTANT
320pp - 18,50 €

Bifrost n° 84

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

Le silence.

La seule chose qui réponde à la jeune fille, un matin, à son réveil. Qui est-elle, d’où vient-elle, où est-elle ? Mystère.

À l’intérieur, une maison vide au parquet grinçant et au miroir insondable. À l’extérieur, un chemin menant à travers un paysage bucolique vers le village, désert à la lumière du jour, mais à l’obscurité ondoyante.

C’est là que la jeune fille cherche ses souvenirs et réveille les ombres d’un passé troublé. Là qu’elle rencontre Fumée, Fugue, Pastel, Paille, Carotte, Ficelle… et autres Enfants Perdus, plus tout à fait des enfants, pas encore des adultes, sans identité, sans souvenirs d’« avant », comme elle, mais prêts à tout pour survivre. Prêts à tout pour échapper une fois de plus aux docteurs de peste et à leurs terribles loups de lune qui apparaissent à la nuit tombée pour les traquer.

Interlude.

Le village, autre temps, autres gens… et ses enfants qui succombent les uns après les autres à une maladie incurable sous les yeux horrifiés de parents désespérés. Au point de faire confiance à l’étranger qui prétend avoir la solution à tous leurs maux. Mais quand l’invisible côtoie l’indicible, nul ne sait ce que la fin du monde réserve…

Y compris le lecteur omniscient qui, sans se défaire d’une impression de déjà-vu, se perdra lui aussi dans les lignes et ruelles de ce village protéiforme. Car en jouant habilement avec les multiples références (et parfois hommages), Emmanuel Chastellière nous offre ici un conte macabre réussi. La plume, à fleur de peau, sait rester suffisamment fine, efficace et concise, pour peindre une atmosphère, au minimum inquiétante et presque hammerienne, au pire dantesque, mais toujours fantastiquement troublante. L’histoire, qui cherche d’abord ses repères avec minutie, trouve un rythme de croisère pour exploser en un bouquet final baroque. Les personnages, touchants dans leur quête tragique de liberté – ou de rédemption –, sont les marionnettes d’un récit initiatique cauchemardesque où les jeux d’ombres et de fumées les baladent sans pitié d’un bout à l’autre de ce huis-clos en plein air, pantins dansant avec le chaos, oscillant sur le tissu d’une réalité se déchirant sous leurs pas. Et toujours, au-delà de l’oubli, cette présence ancestrale dans le noir, cette ombre inconnue du coin de l’œil, cet appel à la terreur primaire qui s’agite au plus profond de chacune des terreurs d’enfance…

Malgré quelques hésitations et légères maladresses qui se laissent parfois deviner lors d’un détour romantique, le premier roman de ce faux novice (qui, en plus d’errer depuis les origines dans l’ombre d’Elbakin.net, a un certain nombre de traductions à son actif) est un coup d’essai transformé, qui ne manque pas de nous rappeler qu’il faut parfois accepter d’oublier qui l’on a été pour devenir celui qu’on sera, et toujours reconnaître qu’« il était temps de partir ».

Maëlle ALAN

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