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Dans l'Abécédaire : Q

Cet univers vous déplaît ? Avez-vous essayé les autres dimensions ? Dans l'Abécédaire, on suit les explications du romancier et vulgarisateur scientifique Rudy Rucker tente d'élargir le cadre de notre pensée pour mieux entrevoir la quatrième dimension

Au-delà du Gouffre est disponible à la précommande

Au-delà du gouffre, recueil de Peter Watts, parait le 14 novembre, soit lundi prochain. La version numérique sera disponible avec un petit jour de retard, soit le 15 novembre. Les deux sont dès aujourd'hui disponible à la précommande.

Et toujours, pour patienter d'ici la semaine prochaine, téléchargez L'Île, une nouvelle gratuite extraite du recueil !

Anamnèse de Lady Star

La quatrième de couverture de l’édition originelle d’Anamnèse de Lady Star, second ouvrage de l’entité L.L. Kloetzer, affirme d’emblée que ce roman « fera date dans l’histoire de la science-fiction française ». Et sans doute cette prophétie mérite-t-elle de se réaliser… Car il s’agit d’un livre foisonnant, et ce sur tous les plans – mais peut-être brille-t-il avant tout du fait d’une remarquable adéquation du fond et de la forme, témoignant d’un effort rare, conjoint et fructueux sur les deux plans, indissociables ?

Car cette enquête historique (et judiciaire ?) menée par la chercheuse Magda Makropoulos, se livrant à une complexe archéologie des sources numériques – cette « anamnèse », donc, ce travail sur la mémoire susceptible de tant de connotations, peu ou prou toutes appropriées –, s’inscrit notamment dans le cadre d’une sorte de roman choral, où chaque témoin offre un nouveau point de ressouvenir, mais s’inscrivant dans un rapport personnel aux faits, nécessitant des approches formelles différentes. Ce qui, à vrai dire, confine parfois à l’exercice de style – mais cette qualification, souvent péjorative, s’avère pourtant inappropriée, car c’est ici la justesse de ton qui domine.

Une belle manière de subvertir un thème apocalyptique ou post-apocalyptique relativement classique, en somme, tant au sens de destruction globale que d’épiphanie d’ordre religieux ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que le drame incommensurable fondant le roman, cette annihilation soudaine de plus des trois quarts de l’humanité (qui survit, pourtant, dans les îles et les étoiles – et sans vraie régression) via l’usage d’une terrifiante « bombe iconique », soit qualifié d’un terme autrement connoté, celui de « Satori » – renvoyant à l’illumination du moine bouddhiste en prise avec l’illusion du monde, et percevant, derrière la futilité apparente d’un kôan par essence illogique, la réalité sous-jacente, affranchie des distorsions humaines.

Une autre conséquence, cependant, est que le roman, hermétique, ne tend guère la main au lecteur – parfois au point de le perdre un peu… Mais l’appréciation globale demeure, ô combien positive, ce sentiment d’un à-propos permanent, d’un livre exigeant mais à bon escient.

Par ailleurs débordant d’idées – d’autant mieux servies qu’elles sous-tendent une intrigue ambitieuse autant que palpitante, ne s’arrêtant certes pas aux seuls faits à redécouvrir, mais visant plutôt, au-delà de la seule compréhension de ce qui s’est produit, à en déterminer une sorte de signification, ce qui n’est pas tout à fait la même chose…

D’où la quête de cette « femme » étrange et dotée de mille visages et de mille noms, cette Élohim – non-humaine, mais encore ? – qui semble, de par sa seule présence diffuse, donner un sens à l’histoire ; or la tentation est grande d’user de ce liant improbable pour expliquer l’inexplicable – au-delà du questionnement éthique, le cas échéant. Quoi qu’il en soit, cette « Hypasie », ou quel que soit le nom (chargé de sens) qu’on lui donne, semble toujours se trouver là – mais quel est son rôle ? Muse, femme fatale, complice, témoin, amante, égérie ? Peut-être tout cela à la fois… ou rien de la sorte – tant elle est rétive à la compréhension, car issue d’un niveau de sens foncièrement différent. Mais sa traque a ceci de déconcertant qu’elle semble d’une certaine manière forcer son apparition à tous les degrés de l’enquête – comme si Magda, en cherchant à l’identifier, la suscitait elle-même… au point de parasiter ses recherches par une vertigineuse et inaccessible boucle de rétroaction.

Le résultat final est remarquable, et bien au-dessus du lot. Anamnèse de Lady Star est un superbe roman, à n’en pas douter une des œuvres les plus enthousiasmantes et fascinantes de la SF française de ces dernières années – et peut-être plus encore.

CLEER

CLEER est le premier roman signé L.L. Kloetzer (pour Laure et Laurent), et il affiche une singularité d’une étonnante ambition – au-delà de son seul sous-titre ô combien intriguant, parlant de « fantaisie corporate ».

Il s’agit en effet de nous plonger dans un avatar ultime d’entreprise multinationale, lumineuse et froide, blanche et aseptisée, Le Groupe, ou bien CLEER – suit toujours cette devise creuse en apparence, potentiellement chargée pourtant de menace : « Be yourself. » Les Kloetzer décortiquent ce cadre précis – et sans doute guère utilisé dans les genres de l’Imaginaire – en en faisant ressortir les points saillants, mais sans céder aux facilités de la caricature ou du pamphlet.

Sauf sur un point, mais à dessein, et il concerne ses deux personnages principaux, deux cadres jeunes et prometteurs, parfaitement stéréotypés. Vinh Tran est une froide machine à tuer, dont l’efficacité n’a d’égale que l’ambition – violent, machiste, narcissique, autoritaire, il ne fait preuve d’aucune empathie (et n’en suscite pas davantage ?) : c’est un robot au service d’une cause et cette cause est Le Groupe (ou la sienne…). Charlotte Audiberti, par contre, si elle se montre extrêmement efficace, est une personnalité autrement fragile, avec quelque chose de visionnaire qui fait toute son utilité – cela tient, au départ, d’un cliché façon « intuition féminine » (un cliché bienvenu dans le cadre de sa relation à Vinh), mais cela s’avère bien plus que cela, au fur et à mesure que sa perception du monde et son empathie exacerbée se muent et se transcendent pour faire de la jeune femme un oracle.

Vinh et Charlotte intègrent un service baptisé « Cohésion Interne », et leur rôle se partagera entre la communication, l’enquête et peu ou prou l’espionnage : il y a des problèmes hors-normes au sein du Groupe, et c’est à eux de les résoudre.

Dès lors, chaque chapitre porte sur un dossier particulier, et on peut voir dans l’ensemble une sorte de fix-up. Ces enquêtes – assez ludiques, dans un premier temps – les amènent régulièrement aux confins de l’insolite et de l’étrange, sinon du fantastique ou de la science-fiction. Au-delà de ces cas concrets, cependant, se dessine une ascension dans l’entreprise ; mais si Vinh grimpe les échelons à la manière d’un cadre ambitieux lambda (quoique paranoïaque), Charlotte, en définitive, et sans doute du fait de son intérêt pour une méthode de management aux prétentions psychologiques, touchera, devant cette Échelle de Jacob, à quelque chose de plus essentiel, confinant, au-delà d’un inquiétant conditionnement, à la transcendance, voire à la post-humanité.

L’absurde est de la partie, encore que d’une manière subtile. En fait, il y a peut-être quelque chose d’un « Kafka 2.0 » là-dedans ; car si l’absurde est bien là, et forcément pesant, la possibilité qu’il y ait un sens à tout ça n’est jamais totalement exclue… ce qui ne la rend au fond que plus terrifiante.

CLEER bénéficie d’une superbe ambiance, travaillée avec finesse et ô combien évocatrice ; il profite d’un style tantôt chirurgical, tantôt déroutant, usant au mieux du vocabulaire corporate ; il intrigue autant qu’il secoue, enfin, mais sans jamais forcer les réactions du lecteur – lequel peut s’y perdre, mais avec un plaisir certain. Belle réussite, donc, que cette première collaboration : un objet à part, aussi convaincant qu’inattendu.

La Voie du Cygne

Le prince Nerio de Lethys vient d’être découvert, le cœur transpercé, dans les jardins du palais de la Petite Dvern. Ancien quartier pénitentiaire, la Petite Dvern est désormais le royaume du Prince Jaran, que son frère jumeau Danil Daï Nelles lui a cédé contre la promesse de ne jamais convoiter le trône. Danil règne donc sur Dvern, principal port de la côte est de l’Empire Atlan, pendant que son cadet fait de la Petite Dvern un lieu de perversité, de débauche et de jeux. D’autres règles y ont cours. Des règles que ne maîtrise pas Carline, fille adoptive de l’excentrique mais respectable professeur d’université Jeophras Denio. Au terme d’une partie de jeu de l’oie, revisité et baptisé ici jeu du Cygne en référence aux armes de la maison de Nerio de Lethys, Carline se retrouve accusée du meurtre princier. Denio, devenu limier pour Jaran, doit mener l’enquête afin de l’innocenter.

Trois arcs narratifs s’entrecroisent, pour trois époques différentes : la jeunesse des princes, éduqués ensemble par un monarque sadique ; la tragique partie du jeu du Cygne, à l’issue de laquelle Nério a trouvé la mort ; l’enquête menée par Denio pour disculper sa fille. Laurent Kloetzer réinterprète et transpose dans une Renaissance italienne fantasmée des mythes et personnages grecs connus : Icare, le labyrinthe du Minotaure construit par Dédale, père d’Icare, le disque de Phaïstos… à cette richesse sur le fond, l’auteur ajoute une contrainte de forme puisqu’il impose à son récit les règles du jeu du Cygne qui régissent le destin de ses personnages. Cette construction à tiroirs ne perd jamais en cohérence, ni en clarté.

Quelques facilités narratives (Alexis, Gavroche amoureux de Carline qui tombe souvent à point nommé pour tirer Denio d’affaire ; ce même Denio que ses ennemis laissent pour mort dans un couloir du palais se réveillant en sécurité dans la chambre douillette d’une auberge…) et des dialogues dont la modernité contraste trop avec l’ambiance Renaissance peuvent parfois dérouter (à l’exception des lecteurs de Petites morts, fix-up qui justifie cet écart de langage – Laurent Kloetzer ne laisse rien au hasard). Quelques bémols qui ne freinent en rien la lecture de ce roman baroque et plaisant.

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Au-delà du gouffre

Le dernier Bifrost

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