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Nécroscope

Brian Lumley, né neuf mois après la mort du grand H.P. Lovecraft, s'est d'abord fait connaître pour ses hommages au maître de Providence, notamment avec la série Titus Crow, loin d'être scandaleuse mais sentant parfois trop le pastiche bas de gamme. Mais c'est avec le cycle Nécroscope (treize volumes publiés au moment où j'écris ces lignes), que Lumley a rencontré un succès mondial (sauf en France, où il reste un parfait inconnu et semble condamné à le rester).

Dans ce premier volume, nous découvrons Harry Keogh — à la fois héros et anti-héros de la série. Harry a le pouvoir de converser avec les morts ; c'est un nécroscope, un être qui scrute les territoires de la mort avec son esprit tout comme nous utilisons des télescopes pour scruter le ciel ou espionner la voisine d'en face au moment fatidique du « tomber de sous-tif ». Nous sommes en U.R.S.S. en 1971 (année bénie s'il en est, exceptionnelle, puisque dans la réalité elle a vu la naissance à quelques mois d'écart du Org et du Vicious). Ces enfoirés de buveurs de vodka — les espions russes — ont décidé de réveiller une puissance vampirique hors du commun, enfouie quelque part dans les Carpates : Dragosani (c'est toujours marrant de voir des communistes s'intéresser à l'aristocratie des ténèbres). Heureusement, les espions britanniques sont là pour empêcher cette catastrophe et ils ont un atout de taille dans leur poche… STOP ! C'est étonnant et un tantinet inquiétant, cette trame rappelle grandement celle des Puissances de l'invisible de Tim Powers, écrit presque quinze ans plus tard ; il suffit de remplacer 1971 par 1963, Carpates par Mont Ararat, et ça marche. Outre cette ressemblance troublante, l'édition française de Nécroscope réserve une autre surprise, et elle est de taille : sa traduction. Denis Labbé est probablement un gentil garçon, tendance fan transi si on se fie au contenu de sa préface, mais il a un sérieux problème avec l'écriture romanesque et visiblement quelques lacunes en anglais. Pour s'en convaincre, il suffit de lire la page dix-sept de l'ouvrage, c'est à dire la première page du récit ; outre une phrase « suspecte », on compte sur cette seule page pas moins de dix-sept incarnations du verbe « être » alors que tout le monde sait (sauf les pontes du Fleuve Noir) que le premier devoir d'un traducteur/auteur c'est d'éviter, autant que possible, l'utilisation des verbes « être, faire, avoir, mettre ». Par la suite, la traduction semble s'améliorer, mais elle reste parsemée de phrases bancales, incompréhensibles, qui laissent à penser que le traducteur n'a pas tout compris et que personne n'a daigné relire son travail.

Dommage, Nécroscope est un bon bouquin, rythmé, avec des enjeux, de vrais personnages, une fin épatante, qualités que l'on reconnaît malgré le brouillage occasionné par la traduction à géométrie variable. Par ailleurs, ce roman, mais il en va peut-être différemment de la série complète, souffre à mes yeux de la comparaison avec Les Puissances de l'invisible de Tim Powers, mieux écrit, mieux traduit et beaucoup plus ambitieux.

Quant au tome 2 de la série, Vamphiry, que j'aurais dû critiquer ici même … primo, parler de l'histoire m'aurait obligé à révéler la fin de Nécroscope ; secundo, j'en ai cessé la lecture page 7 quand le préfacier et traducteur Denis Labbé présente ainsi son travail :

« Voici enfin, dans une nouvelle traduction, la suite des aventures de Harry Keogh et des réseaux-E britannique et soviétique. Lors de sa première sortie en 1997, chez un éditeur qui a aujourd'hui mis la clef sous la porte [Lefranq], des problèmes éditoriaux, juridiques, économiques et humains n'avaient pas permis à Vamphyri de bénéficier d'un travail à la hauteur de la qualité du roman. »

Faut-il en rire ou en pleurer ? Je vous laisse seuls juges, moi je vais faire un petit tour sur amazon.co.uk pour pouvoir suivre les aventures de Harry Keogh dans une langue que je comprends.

Cid « je déteste quand c'est mal traduit » Vicious

Les Légions dangereuses

Petit préambule sans doute nécessaire : je n'ai rien contre la fantasy humoristique, bien au contraire, d'ailleurs là, tel que vous me lisez, je sors tout juste d'une cure de Terry Pratchett qui m'a fait un bien fou… Sauf qu'ici, après m'être évadé (tel Monte-Cristo) de la lecture d'abord attentive, puis moins, des Légions Dangereuses de Fabien Clavel, je suis pour le moins consterné, passablement énervé et tout à fait décidé à déconseiller ce livre à mes proches, à mes moins proches, aux gens que je croise dans le métro et aux lecteurs de ma revue préférée, Asphodale, Faëries, Bifrost.

Pour ce qui est de l'histoire, c'est simple et simpliste… le dieu Quitiane a disparu et chacun des autres dieux envoie son champion à sa recherche, dont l'affligeant Zarvax, « le plus grand magicien du monde » (et ta sœur ? elle suce Merlin ?) ; oups !, au temps pour moi, l'éditeur a fait, entre autres conneries, une faute de frappe, il convient de lire non pas « le plus grand », mais bien le plus « gland ». Car rien ne manque à cette bouse de plus de 400 pages (en bifrostien courant, « bouse » signifie « livre à ne pas acheter, ni emprunter, ni toucher par inadvertance » 1) : des dieux, des magiciens, des voleurs, une princesse à la con… Pratchett devrait sérieusement songer à faire un procès — gageons néanmoins qu'il perdrait, vu que ses livres sont marrants alors que celui de Clavel est prépubère, affligeant, aussi réjouissant qu'un discours d'Ariel Sharon traduit en palestinien ou la scène de l'extincteur dans Irréversible. Si vous voulez de la fantasy et si vous voulez vous marrer, lisez plutôt : Blanche-Neige et les lance-missiles de Catherine Dufour, la trilogie de Barry Hughart chez « Lunes d'encre », ou n'importe quel opus du « Disque-Monde ».

Cid « very dangerous » Vicious

 

 

Notes :
Concède, ami lecteur, que « bouse » est un rien plus concis. [NDCV]

Haute-École

Hérus Tork est un monstre ; il sait se faire oublier et il sait se faire remarquer, si l'on en croit Mérot l'ancien. C'est le méchant de ce roman et, comme tout bon méchant qui se respecte, il a un projet démoniaque : créer une école de magie mixte où pourront (joyeusement ?) copuler les jeunes gens doués qu'il enlève aux quatre coins du royaume. Ainsi sera initiée une nouvelle génération de magiciens, au sang plus riche, aux pouvoirs plus étendus. Pour arriver à ses fins eugéniques, Hérus a besoin d'argent et d'un lieu qu'il lui sera facile de diriger. Arriviste, déterminé, cet abject individu tient plus du fonctionnaire nazi zélé que du Sauron des bacs à sable (ce qui nous change des habituels méchants de fantasy qui, réveillés après une longue cuite de dix mille ans, ont surtout envie de tout péter par l'entremise d'une armée d'orques, d'ogres, de satyres purulents, de dragons et/ou de gobelins — rayer les mentions inutiles). Du côté des gentils, on trouvera un trio de personnages fort bien campés : Madge Mayfield, une Louise Michel couturière ; Arik Renshaw, un magicien surdoué et d'une rare ambiguïté ; et Ian Bren, le Luke Skywalker des environs, le naïf surdoué de ce roman forcément initiatique. Ian, poussé par Arielle, ne pourra que se joindre à la Résistance, puisque la Force est avec lui. Faites péter les tambours de John Williams ! Un conflit se prépare, mais évidemment il ne se déroulera pas comme prévu…

Pour son premier vrai roman (elle avait commis en son temps un « Agence Arkham » tout à fait oubliable), Sylvie Denis n'a pas choisi la facilité, loin de là. Son récit est truffé de personnages, d'intrigues, de sous-intrigues, de rivalités diverses et de romance. D'ailleurs, au début, on ne comprend rien ou presque, la faute sans doute aux chapitres trop courts qui empêchent le lecteur de s'installer dans l'intrigue. Comme dans tout premier roman, il y a des défauts. Ici, c'est le style qui manque de fluidité et évoque souvent une longue chute dans des escaliers ; ce défaut-ci, criant au début du récit, a tendance à s'estomper par la suite. Il y a aussi les influences, parfois gênantes : La Guerre des étoiles, évidemment, le cycle de Robin Hobb, L'Assassin royal, et Shirley Jackson, m'a-t-il semblé. Tout comme chez Hobb, le monde décrit est un monde de carton-pâte, lissé et bancal, malgré de jolies descriptions ; on est loin de la brutalité décalée de La Compagnie Noire, ou du réalisme boueux du Livre de Cendres de Mary Gentle. Dans le même ordre d'idée, Sylvie Denis semble ne pas avoir choisi si son monde était médiéval ou pré-industriel, celte ou franc… Le plus pénible restant le côté « Harlequin » de certains passages, des moments particulièrement douloureux en ce qui me concerne et qui m'ont rappelé à quel point l'Humanité se porterait mieux si Céline Dion, la Star Ac' au complet et leurs clones lobotomisés au miel sentimental étaient brûlés en place publique. « Il y a plus dangereux que l'acide : l'eau de rose. » Et Sylvie Denis serait bien inspirée de se faire tatouer ladite sentence sur le dos des mains.

Pour ce qui est des qualités de l'ouvrage… il y a des moments réellement magiques, des personnages forts (Arik Renshaw en tête de gondole), des scènes de dialogue fort réussies et parfois de très belles descriptions. Et surtout, on ne peut que remarquer l'engagement politique réel qui transparaît au fil du récit ; Sylvie Denis raconte une révolution tout comme Emma Bull et Steven Brust dans Freedom and Necessity (le plus féérique des romans marxistes jamais écrits — une curiosité qui mériterait amplement d'être traduite). Elle écrit ses Lumières à la sauce Harry Potter, un projet original qui nous change de « Grand Méchant s'est réveillé et il n'est pas content ».

Haute-école n'est pas un grand livre, il semble souvent avoir été accouché dans la douleur ; mais on peut juger que c'est un bon livre en mettant dans la balance son ampleur, son faux manichéisme et son engagement politique de bon aloi. En tout état de cause, c'est un premier roman tout à fait honorable et fort lisible (si on survit aux cent premières pages, qui partent un peu dans tous les sens et auraient gagné à être élaguées). Quant à Sylvie Denis, dont les lecteurs de Bifrost (re)connaissent le talent depuis belle lurette, éclairée par les feux de la longue distance, elle semble avoir enlevé son masque pour mieux apparaître en pleine lumière : romantique, gauchiste, progressiste et sensible. Voilà une auteure qui a des choses à dire, mais qui, pour le moment me semble-t-il, les dit mieux dans le cadre de la science-fiction prospective. Espérons qu'elle ne donnera pas de suite à Haute-école pour se concentrer plutôt sur un projet de science-fiction.

D'ici à nulle part

Un recueil de vingt nouvelles et une préface en hommage à Charles Bukowski décédé il y a dix ans, a priori il y avait de quoi me faire peur et plutôt deux fois qu'une, car Bukowski, sans être un spécialiste capable de pondre un mémoire de douze pages sur son corpus vérolé et couperosé, je connais, j'ai dû lire tous ses bouquins et si j'en ai raté un, c'est uniquement parce qu'aujourd'hui encore j'en ignore l'existence… Alors autant dire, en résumé, que les histoires du Buk, tous ses contes tarés pleins de bière, de grosses putes, de paris hippiques, de Volkswagen pourrie à L.A., de match de boxe contre Hemingway, j'en ai bu du petit lait (de poule), ma poule…

Alors voilà, j'ai ce truc gris et marron caca dans les pognes, la couverture est de Beb Deum (déjà, ça commence fort), il y a du Mizio dedans (bon signe), du Beigbeder (méfiance), du Andrevon (quelle surprise !), etc. Et je m'y colle, en buvant de l'eau, vu que j'ai une infection dans la jambe droite qui me pourrit la vie jusqu'à la couille du même côté (mais bon, ça n'a rien a voir avec Bukowski, enfin du moins je vois pas le rapport, sauf qu'il aurait pu écrire l'histoire d'un mec qui a une infection du genou qui lui remonte dans les burnes)… Trois ou quatre heures plus tard (quand on aime, on ne compte pas), j'ai terminé le bouquin, ça fait trois cents pages, mais ça se lit vite. Première surprise, et elle est de taille, j'ai fini toutes les nouvelles sans me forcer. Deuxième bonne surprise, je n'ai trouvé aucune bouse, aucun texte hors de propos, aucun truc indigne, indécent. Troisième bonne surprise, j'ai pris cinq bonnes baffes. Dans l'ordre : Johan Heliot avec sa rencontre Fante/Bukowski incroyable de justesse, bien qu'uchronique ; ensuite, le grand retour du père Mizio avec une idée à la Mizio (et si le gouvernement frenchy organisait le « Happy Buk's Day », le jour des alcoolos, des laissés pour compte, des putes qui pissent direct du huit ans d'âge premier prix tellement elles sont imbibées, et j'en passe)… jubilatoire ; puis ça a été au tour de Catherine Dufour de m'en envoyer une bien belle entre les jambes, une road-story sentant l'autobiographie, le vécu, la pellicule de pollution moisie de L.A. et la tendresse des paumés ; suivant de près la petite Dufour (par la taille, pas par le talent), c'était au tour de Christian Vilà d'envoyer la purée, plutôt en grande forme le bonhomme, occupé à narrer la virée des fantômes Burroughs et Buk aux courses de Vincennes… Tout ça, c'était très bien, toujours sincère, jamais putassier, mais bon, il fallait bien que quelqu'un sorte du lot, qu'un bourrin franchisse le premier la ligne d'arrivée avec une gaule de soixante centimètres de long, le bout tout rose et de la sueur en mousse plein le colbac… et mon gagnant est une pouliche, « La Pute aux nichons de vingt litres l'un », montée par le jockey Jean-Pierre Andrevon ; il a beau être végétarien, le grenoblois aux bottes de vacher andalou, question viande (humaine) il s'y connaît, et à mes yeux son texte (fantastique) est le meilleur du lot, car c'est du pur Andrevon et du pur Bukowski, un point de jonction entre deux œuvres désormais inoubliables.

Pour le reste, je regrette juste que quelques grands noms aient oublié de bosser un peu plus leurs textes, messieurs Jean-Bernard Pouy, Jacques Barberi et Pascal Dessaint en tête de gondole, mais bon, on s'est bien marrés, moi, ma couille droite pleine de germes et ma jambe pourrie… Merci, monsieur Comballot.

Dans la pièce du fond

Et on reparle de William Chambers Morrow après la critique de Le Singe, l'idiot et autres gens. Tout comme l'ouvrage de chez Phébus, Dans la pièce du fond est un recueil de nouvelles, mais ce coup-ci tous les textes sont inédits en langue française. À la dernière page on apprend que ce livre a été « achevé d'imprimer une effrayante et glaciale nuit de décembre MMIII sur les mystérieuses presses de Plein Chant à Bassac (Charente) ». Ambiance. Voilà un magnifique objet — tête de mort et végétation maléfique en couverture — qui réserve quelques frissons au fil de ses neuf nouvelles (vingt pages en moyenne), parmi lesquelles on découvre une pendule reproduisant une pendaison miniatures tous les soirs à 11h30, un automate hanté et cette fameuse (car terrifiante) femme dans la pièce du fond… Ma nouvelle préférée restant « Un Mystère à South Park », où l'on assiste à l'arrivée d'un étrange bateau et de sa capitaine à San Francisco à la fin du XIXe siècle. Neuf bijoux à l'écriture ciselée, fort bien traduits, qu'apprécieront tout particulièrement les lecteurs d'Edgar Allan Poe et les fans de littérature gothique.

Les Fous d'avril

Doa. Trois lettres pour un auteur encore peu connu, qui signe ici son premier roman. Et s'offre ainsi l'honneur d'être le premier texte français de la collection « Rendez-vous ailleurs » du Fleuve Noir. Une œuvre brève, efficace, dans la plus pure tradition cyberpunk, avec quelque chose d'un roman d'espionnage un brin désuet. Le tout entre X-Files, James Bond, et un nouvel élément inconnu, le « facteur Doa », peut-être.

Markus Freys est un policier d'origine russe au passé obscur, recruté par Europol pour ses talents parapsychologiques surprenants. Son jeune frère, Joshua, vit exclusivement branché sur le Net : un petit génie du Réseau, qui compense son handicap physique par des aptitudes exceptionnelles à la manipulation du cybermonde. Lorsqu'un détraqué prend en otage les clients d'un grand magasin, on découvre que circule sur le Réseau un personnage qui s'attaque aux passeurs, tentant d'infiltrer leur esprit et générant chez eux une folie meurtrière. L'enquête que débute Freys révèle qu'il a déjà fait des victimes aux quatre coins du monde, et que le rythme de ses attaques s'accélère de façon alarmante. Aidé de Nelly, sa collègue, ainsi que de la psychologue Lise, Freys tente de remonter à la source du mal en recoupant les indices jusqu'à un hôpital militaire américain ; mais il se trouve rapidement bloqué par l'autorité des services secrets de divers pays en cause… Et tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à l'enquête commencent à mourir… Son frère, lors d'une plongée virtuelle, est attaqué par le cyber-criminel : Freys découvre alors que ce dernier est au courant de secrets les concernant, lui et son frère, qui n'ont jamais été divulgués, pas même aux autorités d'Europol. S'adjoignant l'aide d'un groupe de jeunes passeurs, Joshua remonte la piste de l'entité jusqu'à un laboratoire américain dont les activités sont curieusement suspendues…

Et les « fous d'avril », me direz-vous ? Eh bien, c'est un petit groupe d'amis vivant en Écosse et qui ont en commun d'être arrivés dans cette région au mois d'avril…

L'ensemble se lit d'un trait. Le suspense n'est pas à couper au couteau — le dénouement est convenu —, mais le récit est bien ficelé, sans longueurs inutiles, et les personnages attachants. L'analyse psychologique de Freys, par exemple, est une des grandes forces du texte : on est fasciné par ce qu'il considère comme sa « singularité ». On regrette toutefois que certains personnages et épisodes particulièrement maîtrisés soient comme étouffés par un récit qui demeure très, trop classique. Comme si, pour son premier essai, Doa s'était senti obligé, par convention peut-être, de se couler dans le moule du « techno-thriller » alors que son talent exigerait un cadre probablement plus « déjanté », moins balisé. Mais quoi : voici un bon roman, agréable à lire, et qui promet de l'avenir. On attend du coup le prochain opus, et ce dans un registre qu'on souhaite plus personnel afin de juger pleinement du talent de ce petit nouveau.

Le Chat Murr

[Chronique portant à la fois sur Fantaisies et sur Le Chat Murr.]

Hoffmann est un auteur que l'on ne présente plus. Ses œuvres ont inspiré tant les poètes que les romanciers et les musiciens. Cependant, comme trop d'auteurs que l'on croit connaître, et dont la renommée n'est plus à faire, son œuvre n'a vu que tardivement une parution française relativement complète, accessible à tous, dans une traduction soignée. Les éditions Phébus ont aujourd'hui entrepris de mettre un terme à cet état de fait, puisqu'elles nous proposent une réédition complète de ses « Contes et Récits » en quatorze volumes, dans la collection « Libretto », en choisissant les traductions les plus fidèles, à la fois à la lettre et à l'esprit de l'auteur. Disons-le dès maintenant : l'édition est attractive, avec un format « poche » amélioré, une belle impression et une très agréable absence de coquilles (denrée rare…). Par ailleurs, on y trouve de passionnantes introductions, préfaces et notes, nécessaires à une intelligence claire des textes. Bref, un outil tant de découverte que de travail.

Les deux premiers volumes qui initient cette collection sont aux deux extrêmes de l'œuvre hoffmannienne : les Fantaisies, publiés en 1812-1813, et son roman semi-testamentaire, Le Chat Murr. Deux œuvres d'un genre profondément différent, qui font à elles seules la preuve de l'éventail des styles d'Hoffmann, définitivement irréductible à un « type » d'écriture.

Les Fantaisies, autrement intitulées Fantaisies à la manière de Callot, sont un recueil de nouvelles fantastiques, parmi lesquelles se trouvent sans conteste les textes les plus célèbres du conteur allemand. La nouvelle d'ouverture, « Le Chevalier Gluck », fait partie des textes qui ont fait d'Hoffmann un des grands maîtres du fantastique. Dans la même veine, on retrouve le « Don Juan », et surtout les fameuses « Aventures de la Saint-Sylvestre », où ressurgit le personnage de Peter Schlemil, héros du roman éponyme de l'Allemand Adelbert Von Chamisso, toujours à la recherche de son ombre. À la faveur de cette nuit particulière, il partage une table de taverne avec Spicker qui, lui, a donné son reflet à la diabolique Giuletta, et que le flamboyant Docteur Dapertutto poursuit encore. À côté de ces textes proprement fantastiques, on redécouvre des contes nettement plus « merveilleux », comme « Le Vase d'Or », dans lequel Hoffmann laisse libre cours à son imagination. Les visions oniriques qu'il met en scène sont tour à tour fascinantes, inquiétantes, drôles, sombres, colorées, envoûtantes… mais toujours emplies d'une « vie » surprenante. La puissance évocatrice de l'auteur est tout simplement confondante. De nombreux passages feraient certainement envie aux tenants de l'écriture du rêve, tant ils semblent proches du fonctionnement effectif de notre inconscient, sans pourtant que la construction du récit soit jamais prise en défaut.

L'édition accorde également la place qui leur revient de droit aux « Kreisleriana », trop longtemps laissées de côté. Johannes Keisler, maître de chapelle et « double » avoué d'Hoffmann, est un homme en révolte contre ceux qui galvaudent la culture, se permettent des jugements d'ignorants, ou se targuent de dons artistiques ; personnages qu'on trouve alors tout particulièrement dans les salons mondains. Homme fantasque, parfois à la limite de la folie, ironique, mordant, Kreisler écorche sans remords toute une partie de la société qui se veut cultivée, et incarne à ses yeux le philistinisme. Loin du fantastique, ses écrits — sous forme de fragments compilés, écrits au hasard des partitions — sont aussi l'occasion de longs commentaires sur la musique, l'art et les mœurs de son temps. Les tableaux et les personnages qu'il y brosse font les frais de son humour ravageur, pour notre plus grand plaisir, même si, derrière cet humour, on sent une indignation à peine contenue, et parfois, au détour d'une phrase, la douleur d'un amour irréalisable.

Ce regard dévastateur sur la société n'est pas l'apanage exclusif de Kreisler. Hoffmann le place également dans la gueule du chien Berganza, qu'il emprunte pour l'occasion à Cervantès. Ce canidé, doué de la parole, entretient en effet une conversation prolongée avec le narrateur, au cours de laquelle il lui raconte ses expériences dans le monde des hommes « cultivés », et donne son point de vue plus particulièrement sur le théâtre de l'époque. Dans une veine très voltairienne, Hoffmann donne également la parole à un singe, admis, écouté et respecté dans les meilleurs salons, qui raconte comment il est passé du statut de primate à celui de « singe savant » en peu de temps et d'efforts. La lettre, adressée à son amie Pipi, tient en quelques pages, dont l'humour ravageur n'a pas pris une ride… Un grand moment d'anthologie de l'ironie.

Donner la parole aux animaux, Hoffmann le refera plus longuement dans son dernier ouvrage, le second qui nous intéresse : Le Chat Murr.

Dans ce roman, à la structure assez complexe, c'est plus précisément la plume que l'auteur donne au félin. Murr — qui était réellement le chat d'Hoffmann, soit dit en passant — , est un félin cultivé, un « honnête chat », dirait-on, qui, chez Maître Abraham, a appris seul à lire et à écrire, puis s'est découvert des talents de poète, d'essayiste, de moraliste…pour finalement se décider à écrire son autobiographie, aux fins d'élévation morale de tous les chatons qui la liront… Malheureusement, une fois l'ouvrage sorti des presses, l'imprimeur se rend compte que le texte a été entrelardé de passages appartenant à un autre ouvrage, vraisemblablement les « Mémoires » de Maître Abraham. La raison en est simple : Murr se servait de certaines feuilles déchirées comme support, ou comme buvard, et elles sont restées collées dans le « pattuscrit » — néologisme qui s'impose — remis à l'imprimerie.

Tout l'ouvrage repose donc sur l'alternance du récit de Murr et des aventures de Kreisler, racontées par son ami Abraham, dans un jeu d'oppositions et de parallélismes qui exige du lecteur une attention permanente pour en saisir toutes les finesses. Pour ne citer que quelques points, on opposera par exemple le lieu de vie de Murr, qui se limite aux immeubles avoisinant celui de son maître — et encore, pour de très rares sorties — à la vie errante de Kreisler. En revanche, ils ont en commun d'être confrontés au problème de la tentation de l'inceste. Mais autant Murr assume son être dans une écriture qui confine à la logorrhée, autant Kreisler — dont le moyen d'expression reste la musique — détruit presque systématiquement ses œuvres. De même, alors que le récit de Murr suit une structure linéaire, organisée en quatre parties claires, la vie de Kreisler est faite d'avancées et de retours en arrière, de hauts et de bas, de chemins divergents entre lesquels choisir… L'ensemble, dont la structure éclatée préfigure les romans contemporains, reste déconcertant, et parfois assez difficile à suivre, d'autant que le texte reste ouvert, inachevé, et laisse son lecteur quelque peu sur sa faim. La partie du récit consacré à Kreisler verse souvent dans le romanesque, touchant quelque fois à la mièvrerie dans les épisodes les plus « sentimentaux ». Les fantasmagories des Fantaisies sont bien loin. C'est certainement la partie de l'œuvre qui a le moins bien supporté le passage du temps… Mais on sent que l'auteur y investit davantage de son expérience personnelle, avec pudeur et retenue : l'intimité ainsi offerte nous fait largement oublier l'aspect un peu suranné.

Deux ouvrages donc, qui viennent ouvrir une longue série. Chacun à une extrémité du parcours créatif de leur auteur. L'un, fantastique, drôle, ironique, mordant, certainement le modèle même de ce que l'on conçoit comme l'Œuvre hoffmanienne… et le second, plus intime, plus éloigné de l'inspiration surnaturelle, et étrangement moderne. Deux volumes, donc, qui s'imposent tout simplement dans votre bibliothèque, en attendant de leur adjoindre les douze suivants.

Fantaisies

[Chronique portant à la fois sur Fantaisies et sur Le Chat Murr.]

Hoffmann est un auteur que l'on ne présente plus. Ses œuvres ont inspiré tant les poètes que les romanciers et les musiciens. Cependant, comme trop d'auteurs que l'on croit connaître, et dont la renommée n'est plus à faire, son œuvre n'a vu que tardivement une parution française relativement complète, accessible à tous, dans une traduction soignée. Les éditions Phébus ont aujourd'hui entrepris de mettre un terme à cet état de fait, puisqu'elles nous proposent une réédition complète de ses « Contes et Récits » en quatorze volumes, dans la collection « Libretto », en choisissant les traductions les plus fidèles, à la fois à la lettre et à l'esprit de l'auteur. Disons-le dès maintenant : l'édition est attractive, avec un format « poche » amélioré, une belle impression et une très agréable absence de coquilles (denrée rare…). Par ailleurs, on y trouve de passionnantes introductions, préfaces et notes, nécessaires à une intelligence claire des textes. Bref, un outil tant de découverte que de travail.

Les deux premiers volumes qui initient cette collection sont aux deux extrêmes de l'œuvre hoffmannienne : les Fantaisies, publiés en 1812-1813, et son roman semi-testamentaire, Le Chat Murr. Deux œuvres d'un genre profondément différent, qui font à elles seules la preuve de l'éventail des styles d'Hoffmann, définitivement irréductible à un « type » d'écriture.

Les Fantaisies, autrement intitulées Fantaisies à la manière de Callot, sont un recueil de nouvelles fantastiques, parmi lesquelles se trouvent sans conteste les textes les plus célèbres du conteur allemand. La nouvelle d'ouverture, « Le Chevalier Gluck », fait partie des textes qui ont fait d'Hoffmann un des grands maîtres du fantastique. Dans la même veine, on retrouve le « Don Juan », et surtout les fameuses « Aventures de la Saint-Sylvestre », où ressurgit le personnage de Peter Schlemil, héros du roman éponyme de l'Allemand Adelbert Von Chamisso, toujours à la recherche de son ombre. À la faveur de cette nuit particulière, il partage une table de taverne avec Spicker qui, lui, a donné son reflet à la diabolique Giuletta, et que le flamboyant Docteur Dapertutto poursuit encore. À côté de ces textes proprement fantastiques, on redécouvre des contes nettement plus « merveilleux », comme « Le Vase d'Or », dans lequel Hoffmann laisse libre cours à son imagination. Les visions oniriques qu'il met en scène sont tour à tour fascinantes, inquiétantes, drôles, sombres, colorées, envoûtantes… mais toujours emplies d'une « vie » surprenante. La puissance évocatrice de l'auteur est tout simplement confondante. De nombreux passages feraient certainement envie aux tenants de l'écriture du rêve, tant ils semblent proches du fonctionnement effectif de notre inconscient, sans pourtant que la construction du récit soit jamais prise en défaut.

L'édition accorde également la place qui leur revient de droit aux « Kreisleriana », trop longtemps laissées de côté. Johannes Keisler, maître de chapelle et « double » avoué d'Hoffmann, est un homme en révolte contre ceux qui galvaudent la culture, se permettent des jugements d'ignorants, ou se targuent de dons artistiques ; personnages qu'on trouve alors tout particulièrement dans les salons mondains. Homme fantasque, parfois à la limite de la folie, ironique, mordant, Kreisler écorche sans remords toute une partie de la société qui se veut cultivée, et incarne à ses yeux le philistinisme. Loin du fantastique, ses écrits — sous forme de fragments compilés, écrits au hasard des partitions — sont aussi l'occasion de longs commentaires sur la musique, l'art et les mœurs de son temps. Les tableaux et les personnages qu'il y brosse font les frais de son humour ravageur, pour notre plus grand plaisir, même si, derrière cet humour, on sent une indignation à peine contenue, et parfois, au détour d'une phrase, la douleur d'un amour irréalisable.

Ce regard dévastateur sur la société n'est pas l'apanage exclusif de Kreisler. Hoffmann le place également dans la gueule du chien Berganza, qu'il emprunte pour l'occasion à Cervantès. Ce canidé, doué de la parole, entretient en effet une conversation prolongée avec le narrateur, au cours de laquelle il lui raconte ses expériences dans le monde des hommes « cultivés », et donne son point de vue plus particulièrement sur le théâtre de l'époque. Dans une veine très voltairienne, Hoffmann donne également la parole à un singe, admis, écouté et respecté dans les meilleurs salons, qui raconte comment il est passé du statut de primate à celui de « singe savant » en peu de temps et d'efforts. La lettre, adressée à son amie Pipi, tient en quelques pages, dont l'humour ravageur n'a pas pris une ride… Un grand moment d'anthologie de l'ironie.

Donner la parole aux animaux, Hoffmann le refera plus longuement dans son dernier ouvrage, le second qui nous intéresse : Le Chat Murr.

Dans ce roman, à la structure assez complexe, c'est plus précisément la plume que l'auteur donne au félin. Murr — qui était réellement le chat d'Hoffmann, soit dit en passant — , est un félin cultivé, un « honnête chat », dirait-on, qui, chez Maître Abraham, a appris seul à lire et à écrire, puis s'est découvert des talents de poète, d'essayiste, de moraliste…pour finalement se décider à écrire son autobiographie, aux fins d'élévation morale de tous les chatons qui la liront… Malheureusement, une fois l'ouvrage sorti des presses, l'imprimeur se rend compte que le texte a été entrelardé de passages appartenant à un autre ouvrage, vraisemblablement les « Mémoires » de Maître Abraham. La raison en est simple : Murr se servait de certaines feuilles déchirées comme support, ou comme buvard, et elles sont restées collées dans le « pattuscrit » — néologisme qui s'impose — remis à l'imprimerie.

Tout l'ouvrage repose donc sur l'alternance du récit de Murr et des aventures de Kreisler, racontées par son ami Abraham, dans un jeu d'oppositions et de parallélismes qui exige du lecteur une attention permanente pour en saisir toutes les finesses. Pour ne citer que quelques points, on opposera par exemple le lieu de vie de Murr, qui se limite aux immeubles avoisinant celui de son maître — et encore, pour de très rares sorties — à la vie errante de Kreisler. En revanche, ils ont en commun d'être confrontés au problème de la tentation de l'inceste. Mais autant Murr assume son être dans une écriture qui confine à la logorrhée, autant Kreisler — dont le moyen d'expression reste la musique — détruit presque systématiquement ses œuvres. De même, alors que le récit de Murr suit une structure linéaire, organisée en quatre parties claires, la vie de Kreisler est faite d'avancées et de retours en arrière, de hauts et de bas, de chemins divergents entre lesquels choisir… L'ensemble, dont la structure éclatée préfigure les romans contemporains, reste déconcertant, et parfois assez difficile à suivre, d'autant que le texte reste ouvert, inachevé, et laisse son lecteur quelque peu sur sa faim. La partie du récit consacré à Kreisler verse souvent dans le romanesque, touchant quelque fois à la mièvrerie dans les épisodes les plus « sentimentaux ». Les fantasmagories des Fantaisies sont bien loin. C'est certainement la partie de l'œuvre qui a le moins bien supporté le passage du temps… Mais on sent que l'auteur y investit davantage de son expérience personnelle, avec pudeur et retenue : l'intimité ainsi offerte nous fait largement oublier l'aspect un peu suranné.

Deux ouvrages donc, qui viennent ouvrir une longue série. Chacun à une extrémité du parcours créatif de leur auteur. L'un, fantastique, drôle, ironique, mordant, certainement le modèle même de ce que l'on conçoit comme l'Œuvre hoffmanienne… et le second, plus intime, plus éloigné de l'inspiration surnaturelle, et étrangement moderne. Deux volumes, donc, qui s'imposent tout simplement dans votre bibliothèque, en attendant de leur adjoindre les douze suivants.

Les Ombres de Peter Pan

Après l'ambitieuse mais inégale anthologie Icares 2004, voici que Richard Comballot embarque un nouvel équipage d'auteurs sur les flots tumultueux de l'Imaginaire, avec cette fois Peter Pan pour bannière. Peter Pan, le « chef-d'œuvre terrible » de Sir James Matthew Barrie, ainsi que le rappelle Fabrice Colin dans une belle préface qui relève plus, toutefois, de l'exercice littéraire que de l'analyse thématique proprement dite. Peter Pan, la Fée Clochette, le Capitaine Crochet et les Pirates, Wendy et ses frères, le Pays Imaginaire (je préfère « Neverland ») évoquent l'irrésistible magie et l'indomptable cruauté de l'enfance, ce mélange d'émerveillements et de peurs que, tous, nous voudrions n'avoir jamais perdu et qu'aucun, pourtant, n'a su retenir, parce que — Tic Tac, Tic Tac — c'est tout simplement impossible. L'enfance fait partie de ces choses qu'il faut perdre pour se rendre compte qu'on les a possédées et passer ensuite sa vie à les rechercher, par procuration. C'est tout l'Imaginaire, au sens le plus large du terme, qui se légitime ici. Rêver à tout prix, naviguer, quelques instants encore, sur les eaux de l'enfance. Et puisque le but, hélas, est à jamais inaccessible, les tentatives d'abordage se doivent d'avoir la splendeur de l'échec et la beauté de l'irréalisable. De ce point de vue, cette anthologie est des plus admirables. Vingt-et-un récits qui sont autant d'ombres de Peter Pan, virevoltantes, cousues avec le fil coruscant de l'imagination et l'aiguille malicieuse du talent.

Outre l'inclassable « Supercroc » de David Calvo, « Peter Pan ne meurt jamais » de Sylvie Denis joue la carte de la provocation macabre. Mais c'est surtout Claude Mamier qui se distingue, avec « Ces ailes que je n'ai jamais eues », l'histoire d'un enfant qui rêvait de voler et qui finira par plier le monde à ses volontés. La nouvelle d'Ayerdhal, que l'on est content de retrouver, sous un titre trompeusement anodin, « Le Réveil du Croco », joue sur la dialectique du conte de fées, avec juste ce qu'il faut d'insolence et de férocité et un prodigieux savoir-faire. Vous n'oublierez pas de sitôt Nap Retep. Pierre Stolze, lui, se fend d'une approche S-F et nous explique comment la naissance de Peter Pan procède du contournement de la deuxième loi de la thermodynamique. La nouvelle désopilante de cette anthologie nous est offerte par la plume impertinente de Catherine Dufour, qui se paie le luxe d'un procès avec James Matthew Barrie comme témoin à charge dans « La Perruque du juge ». Je vous laisse deviner de quel juge il s'agit…

Si tous les auteurs présents s'amusent, ou parfois s'évertuent, à replacer dans des univers qui leur sont propres les ressorts narratifs et les personnages-clefs de l'œuvre de Barrie, réinventant tour à tour Clochette et Wendy, Peter et le Captain Hook, ceux qui y réussissent le mieux sont, et de loin, Christian Léourier, Johan Heliot et Xavier Mauméjean. Le premier, de retour après une longue éclipse, nous propose une parabole sur la fin de l'innocence dans « Blues pour un garçon perdu ». Il y transpose l'histoire de Peter Pan dans les années soixante françaises, entre salles de concert bondées et guerre des gangs larvée. Du moins jusqu'à ce qu'un journaliste assez peu scrupuleux vienne faire basculer l'épique dans le drame. Retrouvant naturellement son cadre de prédilection, Johan Heliot nous entraîne en pleine première guerre mondiale pour une « Idylle du temps des ombres » dans laquelle, entre bombes et tranchées, se rejoue, sous les yeux de Wendy et de ses frères, l'éternelle querelle entre l'Enfant qui ne voulait pas grandir et le Capitaine qui ne voulait pas mourir. Enfin, c'est un Xavier Mauméjean virtuose qui, avec « Raven. K. », livre un texte remarquable dont l'univers se déploie bien au-delà des signes qui lui ont été alloués par l'anthologiste. L'horreur des camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale n'a pas été épargnée aux êtres féeriques. À Ravensbrück, les fées sont parquées et souffrent sous la coupe de tortionnaires mandatés par le Reich. Classées par catégories, les « Dames d'Ici et d'Ailleurs » vont se voir imposer une voie de sortie pire que la torture. Nous sommes bien loin, ici, de l'espièglerie enjouée de Peter Pan à l'égard des Pirates… et le traitement du thème n'a plus rien d'enfantin. Sans doute est-ce « l'échec » le plus talentueux de toute l'anthologie, qui aura approché les rivages de l'enfance, sans jamais franchir les brisants du monde des adultes. Les mots sont comme des radeaux : ils nous permettent d'entrevoir le Pays Imaginaire autant qu'ils nous en éloignent. Cette anthologie était impossible. Comme Peter. Mais quel rêveur refusera de courir après son ombre ?

L'avis de SciFi-Universe sur Zendegi

« Greg Egan s'humanise de plus en plus. Alors qu'il faisait partie des auteurs de hard-science les plus pointus de sa génération, il glisse petit à petit vers de la science fiction plus humaniste, politique et abordable par le grand public. »

SciFi-Universe

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