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Feuillets de cuivre

Durant quarante ans, le policier Ragon traîne son mal-être et une énorme carcasse à travers les rues parisiennes. De sordides garnis en splendides hôtels particuliers il affronte le crime, décliné en problèmes audacieux, à l’ingéniosité fantasque. Loin des progrès de la toute nouvelle police scientifique, Ragon délaisse souvent l’observation directe des cadavres, dédaigne les indices s’ils ne sont pas liés à un livre. Car Ragon suit les lignes de vie dans les phrases imprimées, s’informe d’une vie en parcourant son résumé écrit. Au fil de sa carrière, laborieuse comme son déplacement, Ragon affronte le mal, qui finira par révéler son identité : l’Anagnoste. Conformément au plus beau de la tradition feuilletonesque, l’affrontement entre le policier et sa Némésis décidera de leur devenir commun…

Encadré comme de serre-livres par une préface vive et avisée d’Étienne Barillier, et une postface d’Isabelle Perier, érudite mais grevée d’« Ainsi » répété qui fleure le tic d’écriture, Feuillets de cuivre apparaît d’entrée comme l’œuvre la plus ambitieuse de Fabien Clavel à ce jour. Le récit en forme de fix-up présente de réelles qualités, principalement l’élaboration d’une création assurément personnelle – on est ici loin de l’ouvrage de commande –, œuvre en soi qui s’inscrit également dans l’univers commun mis en place au fil des écrits de l’auteur.

Ragon, que l’on voit littéralement porter le poids de son existence, est un personnage fort, attachant, peut-être sous-exploité dans son rapport essentiel aux livres (par comparaison, il faut lire Le Corps des libraires de Vincent Puente aux éditions La Bibliothèque, qui, sur des présupposés similaires, les explore jusqu’au bout en un stupéfiant exercice d’imagination), et assurément trop vite expédié à la fin. Il est entouré de beaux personnages secondaires comme pouvait en offrir le classique et populaire cinéma français.

Reste toutefois que la narration souffre de certains défauts. Que le personnage soit à peine animé, comme un corps solide incapable à lui seul de mouvement, est une merveilleuse trouvaille. Qu’il soit passif, aidé par le hasard, ou la révélation à point nommé d’un indice majeur, est une carence dans l’intrigue trop souvent présente. De même pour la magie. Elle est une réalité en ce monde, attestée mais mal connue, voire passée sous silence par les autorités. Choix de l’écrivain, évidemment incontestable. Mais que la magie ne soit qu’un bouche-trou pour combler les faiblesses de l’intrigue est un défaut. Dans un contexte très proche, Randall Garrett, dans son cycle consacré au détective « Lord Darcy », présentait la magie comme une réalité aux lois rigoureuses, comparables à des lois physiques, qui donc faisaient corps avec le monde, les conditions des crimes perpétrés et la résolution des enquêtes. Chez Fabien Clavel, la magie est un outil pour porter le récit ; chez Garrett, elle appartient au récit.

Quelques fautes de syntaxe et répétitions viennent troubler le lecteur, d’autant plus regrettables qu’il s’agit ici d’un pastiche d’écriture, principalement celle de la langue du XIXe siècle, littéraire ou de feuilleton. Plus ennuyeuses sont les erreurs, telle la célèbre danseuse Yvette Guilbert, obstinément ici nommée « Guibert », sans que l’effet soit imputable au prétexte de l’uchronie.

Reste cependant un plaisir de lecture, voire une franche réussite ici ou là : « Tourbillons aux Trois Ponts d’or » est un superbe récit qui mériterait de figurer dans une anthologie sur le paradoxe temporel. Des moments agréables, donc, qui auraient pu être des temps forts. Feuillets de cuivre constitue un passe-temps plaisant, bien au-dessus de l’actuelle production steampunk française, toutefois encore en dessous de ce que Fabien Clavel est en mesure d’écrire.

Cookie Monster

Dixie Mae travaille au service client de Lotsa Tech, « le gros lot du high-tech », une firme qui garantit le meilleur, aussi bien à ses usagers qu’au personnel employé. Tout paraît se dérouler au mieux sous la houlette de Mr Johnson, dans une ambiance qui mêle super-efficience et aimables vannes de bureau, jusqu’au jour où Dixie reçoit sur son poste un message troublant. L’envoyeur anonyme sait tout de la jeune femme, y compris des détails remontant au plus loin de sa vie privée, qu’elle est littéralement seule à connaître. Très vite, il ne fait aucun doute que « quelque part au sein de ces élégants immeubles était tapie une véritable ordure. Une ordure qui jouait aux devinettes avec elle. » Dixie Mae sonde ses collègues qui se retrouvent partagés entre désir sincère de lui venir en aide et frilosité. Après tout, travailler pour Lotsa Tech est une véritable aubaine, et nul n’est irremplaçable. Mais est-ce vraiment le cas ?

Disons le tout de suite, l’intrigue déroulée par Vinge, et le format de la novella qui ne se perd pas dans l’accessoire, garantissent au lecteur un formidable moment. Ce qui n’était pas gagné d’emblée car l’auteur prend un risque à traiter un thème maintes fois rebattu. Or non seulement Vinge en a évidemment conscience, mais il joue avec les références, en dressant la liste au lieu de les taire. La page 56 est un modèle de roublardise, à la fois bibliographie idéale et moyen d’assumer l’héritage science-fiction. Vinge va même jusqu’à citer deux fois Darwinia de Robert Charles Wilson. Or cette surexposition du thème abordé, loin d’en désamorcer l’impact, permet à l’auteur de tenter radicalement autre chose, et d’y parvenir. Vernor Vinge utilise le principe de décohérence. Si le réel macroscopique est parfaitement imité, ne va-t-il pas réduire les interférences des simulacres quantiques ? Au fur et à mesure de l’enquête menée par Dixie Mae et ses compagnons, des bribes d’informations s’échappent dans leur environnement qui, en retour, agit sur eux comme un observateur.

N’en disons pas plus au risque de trop révéler, ce qui est dommageable pour un roman et s’avèrerait fatal pour un format court. Si toute la nouvelle collection du Bélial’ garantit le même shoot de SF, à la fois bref en lecture et intense de plaisir, vous tenez avec « Une heure-lumière » votre nouveau dealer.

Légationville

Légationville est un de ces livres compliqués, à l’instar de L’Œcumène d’or de John C. Wright ou L’Abîme de John Crowley. C’est aussi, à l’image de ces deux références, un planet opera et un livre-univers. China Miéville nous y propose un improbable croisement entre Jean-Claude Dunyach pour les animaux-villes, le Frank Herbert de Dosadi pour l’environnement toxique de la cité, Babel 17 de Delany pour les problématiques de langage liées aux personnages d’EzRa et EzCal, et Cité de vérité de James Morrow pour l’impossibilité du mensonge. Sans pour autant que tout cela rende compte du livre qu’est vraiment Légationville…

Légationville est une enclave humaine sise sur Ariéka, un monde à l’atmosphère toxique habité par des êtres appelés Hôtes ou Ariékans. C’est la colonie du bout du monde du Brémen (un État interstellaire), une manière d’île de Pâques, si on veut. Dans le premier tiers du livre, on découvre Légationville avec le personnage principal, Avice Benner Cho, au travers de chapitres alternés : « Ensuite » et « Auparavant », qui suivent l’« Entrée en matière ». « Auparavant » et « Ensuite » se rapprochent chronologiquement pour fusionner lorsque le roman prend son essor. On y voit Avice, gamine, s’amuser dans l’enclave, puis devenir pilote d’astronef, quitter Ariéka, se marier, y revenir avec un mari qui aura son rôle à jouer.

Les Hôtes parlent simultanément par deux bouches un langage qui exclut tout mensonge. Les Humains comprennent cette langue mais sont incapables de se faire comprendre des natifs à l’exception de Légats, qui tiennent le haut du pavé de la communauté humaine d’Ariéka, étant indispensables aux échanges. Ce sont des paires de clones symbiotiques, élevés et formés pour ne faire qu’un unique individu s’exprimant par deux bouches. China Miéville perturbe l’accord en nombre pour rendre compte de cette situation inédite comme d’autres, Ayerdhal par exemple, ont altéré l’accord en genre pour mettre en scène des personnages bigenrés. L’auteur a aussi revu le lexique traditionnel de la SF pour amplifier l’originalité de sa création.

Quand arrive EzRa à Légationville, un Légat différent, élaboré par le Brémen qui entend bien conserver dans son giron sa colonie traversée par des velléités d’indépendance, le fragile équilibre prévalant sur Ariéka se voit rompu par le déclenchement d’une sorte de guerre de l’opium impromptue dont Avice sera l’observatrice privilégiée.

La dimension spéculative de ce roman très moderne est enfouie sous d’épaisses strates de complexité, mais il est néanmoins difficile de réduire Légationville à un simple divertissement, à moins de le voir comme une partie de bridge. Un roman qui prend la tête et procure par là même son plaisir en une sorte de défi. Si les motifs profonds sont bien connus – la colonie rêvant d’indépendance, la relation avec les natifs, etc. –, l’ensemble est nappé de la thématique du langage et de ses implications dans le contexte créé par l’auteur. Dépaysement garanti. Mais encore faut-il le vouloir…

Almuric

Ce volume n’est pas le meilleur des douze publiés chez Bragelonne sous l’égide de Patrice Louinet – ne serait-ce que du fait de la présence dans ses pages du roman éponyme, le premier que Howard se soit essayé à écrire, un texte qui ne donna pas satisfaction à son auteur, au point qu’il l’abandonna inachevé, et qui n’avait donc pas vocation à être publié, on le comprend aisément à la lecture. Le travail du biographe permet de dater ce texte de février 1934 et de lui donner sa vraie place au sein du corpus howardien. Patrice Louinet y voit une application littéraire du débat Howard/Lovecraft sur l’opposition entre physique et intellect, opposition que l’on retrouvera dans nombre de textes et où les deux auteurs peuvent transparaître derrière les personnages.

Le roman dont la fin est d’une plume autre que celle de Howard est suivi de cent soixante pages de nouvelles d’inspiration fantastique autour du thème de la réincarnation. « Le Jardin de la peur » met en scène James Allison, un héros inspiré par Le Vagabond des étoiles de Jack London, qui se souvient de ses existences antérieures. On le retrouvera dans plusieurs fragments en appendice. « La Voix d’El-lil » est un texte qui fut publié dans Oriental Stories, un pulp dirigé par Farnsworth Wright spécialisé dans les aventures situées dans ces contrées alors fort mystérieuses pour le grand public. Suit « La Hyène », texte de jeunesse d’un Howard âgé de dix-huit ans manquant encore de maîtrise. Viennent ensuite quelques récits d’un moindre intérêt : « Une sonnerie de trompette », qui fut écrit en collaboration ; « Le Cobra du rêve », une réécriture d’une autre nouvelle ; deux histoires de fantômes : « Le Fantôme sur le seuil » et « Le Fléau de Dermod ». Dans un court texte intitulé « Delenda est », Howard manifeste sa haine de Rome, l’incarnation de la civilisation opposée aux barbares. « La Vallée perdue » est un western fantastique qui, en dépit de ses qualités, ne trouva pas à être publié à l’époque. Enfin, la dernière nouvelle, « Le Roi du peuple oublié », s’avère particulièrement intéressante en ce qu’elle figure ce qu’Howard écrira de plus proche de la science-fiction – un récit destiné à Astounding.

L’ouvrage se termine par une centaine de pages d’appendices, dont les quatre fragments consacrés à James Allison, du Cavalier-Tonnnerre et de Nekht Semerkeht, un récit inachevé qui semble bien avoir été interrompu par le suicide de Howard. Un ultime essai de Patrice Louinet, « To live is to die », dans lequel il revient une dernière fois sur l’œuvre du Texan à travers les textes qui sont ici proposés, conclut l’ensemble.

On ne pourra que louer Patrice Louinet et Bragelonne pour la qualité de l’énorme travail (douze volumes, six mille pages quasi intégralement retraduites) fourni afin de mettre à la disposition des lecteurs une édition qui se veut définitive des œuvres de « Two-Gun Bob », qu’il s’agissait avant tout d’expurger des scories laissées par Lin Carter et Sprague de Camp. À qui ne voudrait pas lire cette somme somptueuse, on conseillera Conan – Les Clous Rouges et Le Seigneur de Samarcande, ou encore le seul Conan, volume de poche chez Milady, qui présente une sélection soignée des aventures du Cimmérien, plutôt que cet Almuric contenant l’ultime reliquat de ce qui méritait malgré tout d’être publié – dans les genres qui nous occupent, tout du moins…

Résonances

Avec Résonances, Pierre Bordage illustre l’adage qui veut qu’un auteur, en fin de compte, écrive toujours les mêmes histoires. Soit les aventures de l’erwack Sohinn, qu’une rencontre improbable va lancer dans un périple à travers toute la galaxie… Ça ne vous rappelle vraiment rien ?

Ici, tout commence au-dessus d’un astroport, sur DerEstap, banlieue lointaine de l’univers. La planète est régulièrement menacée par la chute d’étranges créatures énergétiques, improprement appelées dragons. Sohinn en est le meilleur chasseur. Une énième attaque, difficilement stoppée, a pourtant failli détruire toute la station. Sohinn s’en sort par miracle. Parmi les passagers survivants en transit, se trouve Eloya, la femme interdite, constamment voilée, que son peuple mène vers une union dont pourrait dépendre le sort de l’univers… Quand il croise son regard, malgré le voile, Sohinn n’a pas une seconde d’hésitation : il rejoindra cette femme, coûte que coûte, car il sait intuitivement que leurs deux destins sont liés. Tel est la voie de l’Accord, l’accomplissement suprême du peuple erwack.

Assez nombreux sont les connaisseurs de l’œuvre de Pierre Bordage pour qu’il nous faille trop, dans cette critique, développer la trame, par ailleurs assez simpliste. De fait, tout le livre recycle, en les réinventant, des situations, des figures déjà croisées ailleurs (de « Rohel » jusqu’à « La Fraternité du Panca »). L’habituelle confrontation avec le Grand Méchant intergalactique existe bien, tout comme l’incontournable élu, et les seconds couteaux hauts en couleur. Les deux héros se démarquent d’une façon notoire : Sohinn n’a littéralement pas de vie intérieure et semble déconnecté de toute attache sentimentale (ses parents sont vaguement évoqués mais aucune amoureuse, aucun ami, aucun enfant). De même pour Eloya, qui regarde ses parents disparaître un à un avec une relative indifférence. En contrechamp, Bordage décrit une société futuriste finalement pas si éloignée de la nôtre, où ont cours les mêmes réflexes de pensée, les mêmes rivalités, le même obscurantisme. Il est vrai que l’auteur a souvent pratiqué une SF à deux visages, le côté épique, sinon « exotique », étant contre-balancé par un aspect plus sombre, dominé par des considérations mitigées sur l’avenir.

Tout bien pesé, l’amateur d’aventures en a pour son compte, et c’est après tout ce qu’il demande à ce genre de roman efficace, la trajectoire de Sohinn alternant avec le récit d’Eloya, dans un ensemble qui s’enchaîne de manière cohérente.

N’insistons pas davantage sur la technique d’un auteur sûr de ses effets, qui procède avec cette écriture posée, imagée, précise, qu’on lui connaît. Il ne faut certes pas attendre de Résonances autre chose qu’un agréable moment de lecture, procuré par le savoir-faire certain de Pierre Bordage, lequel parvient tout de même, roman après roman, à réaffirmer sa singularité face au tout-venant du space opera militariste, bourré de pensées belliqueuses et de testostérone. Ce courant de SF reconduit souvent les vieux gestes agraires du colon de base, qui mesure sa puissance à l’étendue de ses possessions et à la force de ses adversaires, la morale du professionnel inflexible et sans états d’âme. Or, Résonances dit tout l’inverse. Ses héros se battent pour rejoindre leur but sans savoir si quelqu’un ou quelque chose les attend au bout du voyage. Résonances explore à fond l’expérience physique et mentale de la désorientation, de l’absence de contours, l’expérience métaphysique de la fatalité : l’idée, au fond, que l’homme n’a de prise sur rien.

Soundtrack

Début du XXIe siècle. Dans une capitale japonaise en voie de tropicalisation, en proie aux épidémies virulentes, au débordement des cours d’eau et aux émeutes raciales, Touta, Hitsujiko et Leni se cherchent et se croisent sur fond d’apocalypse lente. Les deux premiers ont vécu quatre années, abandonnés sur une île déserte. Ils y ont développé une forte empathie avec la nature, au point de rejeter tous les aspects du progrès et de la civilisation humaine. De son côté, Léni appartient à la communauté moyen-orientale de Tokyo. En compagnie de son corbeau apprivoisé Kroy, l’adolescent(e) au sexe fluctuant a déclaré la guerre à Ceux du Talus. Il les traque dans les tunnels creusés sous les artères de la cité, les livrant à la vindicte de son pistolet photographique. Marginal à plus d’un titre, le trio va devenir peu à peu le fer de lance d’un changement brutal et total de paradigme.

Les éditions Picquier se sont fait une spécialité des romans et nouvelles asiatiques, témoignant toujours d’un goût sûr, tant du point de vue des classiques que des ouvrages plus contemporains. Soundtrack ne vient nullement contredire cette assertion. Le roman de Furukawa Hideo n’usurpe d’ailleurs pas sa réputation d’OLNI. Foisonnant, virtuose, iconoclaste, monstrueux, le récit échappe aux classifications pour créer sa propre niche littéraire, à l’ombre des deux Murakami, Haruki et Ryu. L’auteur japonais ne fait pas secret de sa volonté de démiurge, livrant le fond de sa pensée dans une postface éclairante. Sous sa plume, Tokyo devient la scène d’un spectacle punk où la performance théâtrale se pare des attributs du do it yourself et où la danse s’apparente à un art de la guerre.

Résumer l’intrigue de Soundtrack paraît une gageure, tant Furukawa Hideo puise à sa guise dans les différents genres. Une touche d’aventure, une structure empruntée au roman d’apprentissage, un soupçon de polar et un zeste d’anticipation, tels sont les ingrédients du cocktail avec lequel l’auteur dynamite le paysage urbain de la métropole japonaise. En vrac, il convoque l’ancien et le nouveau monde, usant de la danse, du cinéma, de la littérature comme des armes d’une lutte révolutionnaire contre le carcan de la tradition, le nivellement consumériste et l’illusion des diverses idéologies. Face à tout cela, il préfère l’énergie brute de la jeunesse et le déchaînement de l’instinct primitif.

À cause de sa densité et du jusqu’au-boutisme de son propos, Soundtrack peut paraître une lecture ardue, voire déstabilisante. Pourtant, on s’accroche, porté par des mots scandés comme une incantation rageuse, fasciné par les descriptions du tissu urbain et souterrain de la métropole tokyoïte, envoûté par le sens de l’anticipation de l’auteur, bousculé par la puissance de sa narration et les sursauts de sa chorégraphie du désastre. Bref, on ne reste pas indifférent face à ce déferlement d’émotions, entre performance théâtrale et roman. Les esprits curieux savent maintenant ce qu’il leur reste à faire. Ils ne seront pas déçus.

Semences

Avec Semences, Jean-Marc Ligny achève ce qu’il convient maintenant d’appeler son triptyque climatique. Commencé par AquaTM, lequel vient d’être réédité en poche (« Folio SF »), puis poursuivi avec le très noir et très puissant Exodes, le nouvel opus vient achever un cycle composé de trois récits pouvant se lire de façon indépendante. On recommandera cependant aux éventuels curieux de le découvrir dans l’ordre, histoire de goûter à la cohérence de l’ensemble. Hélas, si Exodes avait enthousiasmé, le présent roman douche sérieusement toute exaltation. Certes, la qualité du projet de l’auteur n’est pas en cause, ni la préférence du chroniqueur pour les histoires se terminant mal. La déception trouve en fait sa source dans le traitement simpliste du récit et une intrigue lorgnant ouvertement du côté de la littérature young adult.

Pourtant, l’argument de départ augurait du meilleur. Le récit débute en effet au Groenland, dans une communauté inuite tentant de survivre, vaille que vaille, au bouleversement climatique et à l’effondrement de la civilisation. Natsume et sa sœur Hiroko y vivent depuis quinze années, abandonnés par leurs parents partis dans l’espoir de trouver des semences pour permettre la renaissance de l’agriculture. Mais Hiroko se meurt, malade de la dengue. Elle ne tarde d’ailleurs pas à décéder, faute de remède. Natsume reprend alors la route, intrigué par l’arrivée d’une colonie de fourmis mutantes ayant traversé le bras de mer séparant l’île du continent.

Après un changement abrupt de point de vue, on est propulsé ailleurs, adoptant le regard neuf de deux jeunes gens qui ne vont plus quitter le devant de la scène jusqu’à la fin. Nao et Denn sont nés dans une communauté retournée à l’âge de pierre, coincée entre un désert impitoyable et la mer. Le couple n’a pas connu le monde d’avant, ni l’Âge d’Or, dépeint de manière très apocalyptique par ses aînés, ni les Âges Sombres, déchéance légitime à laquelle Mère-Nature a condamné l’homme après que son hubris a contribué à la fin du monde. Mais leur communauté se meurt, faute de sang nouveau. Comme Nao et Denn sont jeunes, pleins de vie, ils décident de partir à la recherche du paradis, aiguillés par leur rencontre avec un mystérieux étranger qui leur a légué un foulard peint avant de mourir. Dans ses bagages, le couple emmène également une colonie de « Fourmites ».

L’éditeur présente Semences comme un road novel sur fond d’univers post-apocalyptique. Même si le roman n’est pas La Route de Cormac McCarthy, l’histoire comporte bien un point de départ et une destination, avec, entre les deux, un voyage parsemé de péripéties, de rencontres et d’épreuves à surmonter. À bien des égards, cette structure le rapproche davantage du roman d’éducation, sentiment renforcé par le choix des personnages principaux, deux adolescents en quête d’indépendance. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des précédents volumes du triptyque. En dépit d’une idée forte, on va y revenir, l’intrigue s’enferre dans une routine, au rythme mollasson, dont on se désintéresse peu à peu tant les ressorts paraissent convenus et prévisibles. Le traitement des personnages ne permet pas davantage de gommer l’agacement. Nao et Denn semblent en effet bien plus préoccupés par les émois adolescents et les étreintes moites. Ils ne s’inquiètent guère des menaces et, plutôt que de succomber au désespoir, préfèrent jouer à la bête à deux dos, avant d’opter pour le triolisme parce qu’ils sont jeunes et n’ont pas de préjugés. Que reste-t-il alors pour éviter le naufrage ? Un décor puissant, réaliste, nourri au meilleur des spéculations des chercheurs du GIEC. Et puis, une idée quand même, celle d’imaginer comme successeur de l’humanité une espèce mutante de fourmis avec laquelle l’homme ne peut espérer cohabiter qu’en lui rendant des services. On goûte tout le sel de ce retournement de situation, au final assez réjouissant.

Malheureusement, ceci ne vient pas tempérer la déception. Semences fait pâle figure après AquaTM et surtout Exodes. Mieux vaut l’oublier ou, à la rigueur, le conseiller à des adolescents.

Entre ciel et enfer

Classée à la deuxième place des pandémies les plus mortelles ayant frappé l’humanité, juste derrière la grippe espagnole, la Grande peste noire demeure néanmoins pour la postérité le fléau ultime, celui qui, conjugué à la guerre et à la famine, a donné sa substance aux visions apocalyptiques des chantres de la fin du monde. Si son impact sur la démographie et la société européenne fait toujours l’objet d’études historiques, le sujet a également inspiré quelques auteurs de science-fiction. Les noms de Connie Willis (Le Grand Livre) et de Michaël J. Flynn (Eifelheim) viennent immédiatement à l’esprit des connaisseurs. On peut désormais ajouter celui de Christopher Buehlman, même si ce dernier se distingue de ses prédécesseurs en transformant la maladie en signe annonciateur de l’Armageddon.

Adonc, nous sommes en 1348. La Grande Peste noire ravage la Chrétienté, mettant un terme provisoire au conflit engagé entre la Couronne de France et celle d’Angleterre. Dans un royaume français en proie au désespoir, où l’on prie la grâce de Dieu et le pardon de ses péchés, histoire d’échapper au fléau, une petite troupe composée d’un chevalier déchu devenu brigand, d’un prêtre alcoolique et sodomite, et d’une jeune fille parlant aux morts et aux anges, entreprend un long voyage de la Normandie vers Avignon, siège de la papauté. Traversant un pays assiégé par la maladie, abandonné par les seigneurs retranchés derrière leurs murailles, où l’on fait la chasse aux horsains et où l’on brûle les Juifs, parfaits boucs émissaires des malheurs du temps, le groupe affronte également une menace moins terrestre. L’enfer semble en effet avoir lâché ses démons sur Terre. Une multitude de monstruosités dignes de figurer dans les œuvres de Jérôme Bosch ou sur les tympans décrivant le Jugement dernier. Devant ce spectacle de fin du monde, les chrétiens s’interrogent avec angoisse. Qu’attend donc Dieu pour sauver ses créatures ?

Entre ciel et enfer laisse une impression mitigée. Si la dimension historique convainc sans peine – les efforts de l’auteur étant sur ce point méritoires –, on demeure toutefois dubitatif face à l’argument fantastique. Malgré des prémisses engageantes, le roman peine en effet à capter l’intérêt sur le long terme. La faute à une intrigue ne faisant que rejouer des ressorts déjà vu ailleurs, on pense bien entendu ici aux innombrables apocalypses zombies dont l’édition, tous supports confondus, a tiré une rente fructueuse avant d’épuiser le filon. Les scènes horrifiques assez honorables, où se déchaînent les créatures impies issues de la Géhenne, le traitement banal des personnages et les descriptions crues mais sans surprise de l’épidémie ne parviennent hélas pas à redresser la situation. Au fil des pages, le périple de la petite troupe se mue en randonnée plan-plan, jalonnée par des péripéties convenues et les habituelles figures imposées. Bref, ne nous voilons pas la face, on s’ennuie ferme, agacé par les clichés, les transitions eschatologiques un tantinet grandiloquentes et un dénouement bâclé et confus.

Au final, avec ce deuxième roman paru dans l’Hexagone (Ceux de l’autre rive), l’enfer accouche d’un têtard. Et l’on se demande de plus en plus ce que Christopher Buehlman peut nous proposer de vraiment original…

Membrane

En 1996, Chi Tawei fuit sa ville natale, Taiwan, pour s’installer à Paris dans l’espoir de pouvoir enfin exprimer ses orientations sans se mettre en danger. Il y écrit Membrane, son premier roman, dans lequel il s’attaque à des sujets difficiles : l’homosexualité, le transhumanisme et la théorie du genre. Désireux de se démarquer de la littérature taiwanaise de l’époque, il choisit, pour exprimer sa différence et sa quête d’identité, un genre littéraire marginal et étranger, la science-fiction. Membrane sera de fait le premier roman de SF taïwanais…

En 2100, la Terre est inhabitable suite au réchauffement climatique : l’humanité vit dans des complexes sous-marins tandis qu’en surface, des armées d’androïdes s’affrontent. Momo, l’héroïne du roman, est une esthéticienne célèbre, différente, autiste ou presque (elle a toujours l’impression qu’une membrane la sépare des autres), qui reçoit ses richissimes clientes à domicile. Du fait de brûlures récurrentes générées par le rayonnement ultraviolet ambiant, la protection dermatologique reste la préoccupation majeure des habitants sous-marins, conférant aux professions liées aux soins corporels un prestige considérable. Momo doit son succès à une crème miraculeuse dont elle enduit les corps, la M-Skin, une crème générant une peau mémorielle qui, une fois récupérée après usage, donne à la praticienne accès au vécu de ses clients : travail, activité sexuelle, piqûres de moustique, alimentation… Les belles jeunes femmes qui fréquentent son salon de massage sont loin d’imaginer que Momo se sert de produits cosmétiques pour épier leurs secrets, savoir « qui a fait l’amour, avec une personne de quel sexe, qui pendant l’étreinte amoureuse a fait usage de fouets en cuir… qui joue au Don Juan ou à la Méduse… » Momo peut non seulement savoir, mais vivre et ressentir dans sa chair leurs moindres gestes. Elle ignore cependant une chose : la M-Skin est en réalité une invention militaire dédiée à d’autres intérêts…

Le décor est planté, la personnalité de Momo décryptée et sa vie de recluse célèbre sur des rails. Or, à la veille de ses trente ans, Tomié, une de ses clientes, va sortir notre héroïne de son cocon protecteur. Cette journaliste japonaise publie un article accusateur sur la mère de l’esthéticienne, une dirigeante de L’Empire éditorial Macrohard n’ayant pas vu sa fille depuis vingt ans…

Le roman commence vraiment au moment où la mère prend rendez-vous avec sa fille, une visite qui ravive la colère de Momo autant que ses souvenirs.

À sept ans, et alors de sexe masculin, Momo a contacté un virus qui s’est attaqué à ses organes, contraignant l’enfant à vivre pendant trois ans dans une chambre stérile en compagnie d’une fillette nommée Andy. Se sentant abandonné par sa mère, il reporte son affection sur sa compagne manifestement insensible au mal dont il souffre. Hélas, quand Momo se réveille de son opération dans un corps tout neuf et féminin, son amie a disparu… Retour au présent : les révélations et surprises ne cesseront plus se s’enchainer…

En décrivant la relation entre Momo et Andy, entre sa mère et Tomié, Chi Ta-wei aborde des thèmes très actuels : qui de l’enfant ou de l’androïde est le plus humain ? Où commence et finit l’humanité ? Surfant sur la vague cyberpunk des années 80-90, l’auteur réfléchit sur l’identité sexuelle et biologique, et se pose cette question pour lui fondamentale : qu’est-ce qui définit l’être humain ? Le cerveau, le corps, le sexe, la mémoire ou le libre arbitre ? L’auteur cherche sa vérité : suis-je un humain « normal » ou un « homosexuel » ? Suis-je un Taiwanais ou un Chinois ? Il semble qu’il ait trouvé des réponses…

Reste un roman transgressif intelligent, riche en rebondissements et empreint d’une grande sensualité. Une découverte.

Archives du vent

Archives du Vent met en scène Egon Storm, cinéaste génial et mystérieux, retranché sur une côte déserte d’Islande, qui n’est pas sans rappeler la figure de Kubrick. Inventeur d’un procédé révolutionnaire, le Movîcone, permettant de synthétiser le jeu d’un acteur ou de toute autre personne à partir d’extraits d’images de film ou d’archives, et donc de mêler facilement l’histoire à l’imaginaire, il a trois chefs-d’œuvre à son actif qui mettent en scène des personnes aussi différentes que Louise Brooks, Marlon Brando, Albert Einstein (en pianiste) ou encore Adolf Hitler (en poète). Le roman s’ouvre sur le quatrième opus de ce cinéaste, œuvre inespérée et improbable : on y voit un jeune homme qui part en quête d’Egon Storm, le double de son père, Erland Solness, suicidé dix ans auparavant. Après une centaine de pages, l’action se suspend au moment où le récit balance entre deux hypothèses ; une nouvelle voix prend alors le relais, celle du réalisateur, Storm bien entendu, qui répond aux questions d’une femme venue l’interroger sur ce quatrième film et sur son père à elle, Erland Solness, qui vient de se tirer une balle dans la tête. On apprend que ce dernier, dans sa jeunesse, avait entamé un vaste poème philosophique sur l’homme et ce qu’il nommait l’autre réel, intitulé Archives du vent…

La couverture de l’ouvrage ne nous dit rien d’autre que ce synopsis, en boucle lui aussi : on y voit Louise Brooks, vêtue de noir, relevant son voile et découvrant un regard pénétrant. La même photo est reproduite en première et quatrième de couverture, mais doublement inversée, de gauche à droite et de haut en bas. Clôture parfaite sur un roman qui, on l’aura compris, met en son cœur la question du double et de son existence, et cette autre encore bien plus abyssale de l’imaginaire et de la réalité. Pierre Cendors construit patiemment, en silence, depuis de nombreuses années, une œuvre plurielle entre roman et poésie où les frontières des genres s’estompent : fantastique, chamanisme, prose poétique, bribes métaphysiques, récit de voyage… Ce roman en est un aboutissement logique, et redoublé d’ailleurs par le récit de son voyage en Islande publié sous forme de carnet, L’Invisible dehors, chez Isolato (2015), sorte d’esquisse méditative des Archives…. Dans ce dernier roman s’entretissent, par dizaines, en un réseau dense, des références littéraires et cinématographiques, réelles ou imaginaires. Ainsi le nom de Solness, bien entendu, fait penser à la pièce éponyme d’Ibsen et nous plonge de suite dans l’angoisse d’une quête métaphysique vouée à l’échec et à la mort. Et c’est bien ce qu’est ce roman, pour une part, hanté par la question de savoir comment il est possible de créer encore et d’accéder par la création à l’autre réel, au-delà de cette réalité factice que nous construit et nous impose la société. La création n’est qu’un jeu d’ombres – comme le Movîcone nous le suggère – et répétition du même, aussi originale soit-elle ; le poème qui donne son titre au roman n’est d’ailleurs lui-même qu’un centon, et l’on sent se lever la présence fantomatique de Borges et de son Ménard… Pour échapper à l’échec, il faut alors s’épuiser, en son corps et son âme, dans les solitudes de la nature et les reflets multipliés de soi et de l’autre, en espérant une révélation, autant d’expériences qui nécessitent un engagement existentiel fort dont on ne peut questionner la sincérité chez l’auteur : Pierre Cendors cherche à se faire voyant selon un certain romantisme que n’eût pas désavoué Rimbaud. Pourtant, ce jeu de résonances infinies qui constitue la chair intime de l’œuvre est peut-être la principale difficulté de ce roman qui redouble à l’envi, parfois trop, les mises en abyme, les références doublées, triplées, au risque de nous perdre pour de bon. Et l’on se prend à songer : que peuvent se dire deux miroirs qui se rencontrent ? « Des choses profondes et superficielles », répète inlassablement l’écho…

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