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Une histoire naturelle des dragons

Marie Brennan, déjà auteure d’un anecdotique diptyque de fantasy paru chez Panini « Éclipse », Sorcière / Guerrière, nous revient avec les « Mémoires, par Lady Trent » dont voici le premier tome. Soit un monde de fantasy qui, par le plus grand des hasards, se trouve être un décalque de notre XIXe siècle, avec ses équivalents d’Angleterre victorienne, de Carpathes et de Russie tsariste. Depuis toute petite, Isabelle se passionne pour les dragons… mais dans la société mondaine où elle évolue, c’est là une inclination fort dommageable lorsqu’il s’agit de se dénicher un époux convenable. Par bonheur, ce jeune homme, Jacob Camherst, qu’elle rencontre au zoo face à la cage aux dragons, n’a que faire des convenances et s’avère lui aussi un afficionado de ces créatures, et, une fois marié à Isabelle, permet à cette dernière de laisser libre cours à sa marotte. Lorsque Lord Hilford monte une expédition vers la lointaine Vystranie afin d’y étudier les dragons in situ, Jacob en fait partie et, sous la pression d’Isabelle, fait tout pour que son épouse y participe. Bientôt, voilà la jeune femme sur la piste de ces créatures mythiques…

On pourra toujours s’interroger sur la nécessité évolutive d’un dragon à six membres (quatre pattes, deux ailes : admettons, ce n’est pas un vrai reptile) ou sur les circonvolutions historiques ayant mené le monde de Lady Trent à posséder des sociétés ressemblant comme deux gouttes d’eau à celles du nôtre… mais passons. Une Histoire naturelle des dragons est moins un roman de fantasy qu’un roman d’aventure scientifique avec des dragons. Des créatures fort méconnues au demeurant, et que l’appétit des hommes pourrait mener à leur perte – le lecteur souhaitant se documenter sur les dragons dans notre monde se reportera à l’essai de Michel Meurger, également intitulé Histoire naturelle des dragons (Terres de Brume, 2001). Bref, Marie Brennan restitue fort joliment cette simili-société victorienne, où les femmes restent tristement inféodées à leur père puis leur mari, et nous montre le parcours hasardeux d’Isabelle pour gagner ses galons de scientifique, de sa prime jeunesse jusqu’à ses vingt ans. Une héroïne positive, déterminée à ne pas laisser le carcan sociétal peser sur ses aspirations – et qui y parvient. En dépit des qualités du récit, les péripéties ne passionnent toutefois guère, le monde peine à intriguer et on finit par s’y ennuyer… poliment.

Une Histoire naturelle des dragons demeure un roman sympathique, au fond intéressant, doté de jolies quoique trop éparses illustrations – rarement des planches anatomiques, comme le laisse croire la couverture. Cela se lit une tasse de thé en main, le petit doigt relevé – mais en plein cœur de montagnes isolées. Les amateurs apprécieront sûrement ; allergiques à la fantasy victorienne, réfléchissez-y avant de passer votre chemin.

La suite, A Tropic of Serpents, est annoncée pour l’automne ; les tomes 3 et 4, The Voyage of the Basilisk et A Labyrinth of Drakes, sont quant à eux déjà parus outre-Atlantique.

Une demi-couronne

Après Le Cercle de Farthing et Hamlet au paradis, l’uchronique trilogie du « Subtil changement » arrive à sa conclusion avec Une demi-couronne. Les deux premiers volets – respectivement un impeccable whodunit et un haletant thriller – avaient placé la barre très haut : ce dernier tome sera-t-il du même niveau ?

Dix ans ont passé depuis les événements narrés dans Hamlet au paradis : en cette année 1960, l’Angleterre vit sous un régime ouvertement fasciste et antisémite. Le Premier Ministre Mark Normanby n’a-t-il pas lancé la construction d’un camp de concentration ? La « guerre de vingt ans » – nom donné au second conflit mondial – a pris fin, laissant l’Allemagne et le Japon grands vainqueurs, et Londres se prépare à accueillir une conférence de paix. Aussi Normanby charge-t-il Peter Carmichaël, désormais chef du Guet, la police secrète du Royaume-Uni, de veiller à la sécurité du pays : le peuple s’agite, et le retour annoncé du Duc de Windsor, séide notoire d’Adolf Hitler, n’arrange rien. Si Carmichaël est l’une des personnalités les moins appréciées d’Angleterre, il est secrètement à la tête d’un réseau d’exfiltration de Juifs – une activité illicite ignorée de tous, bien entendu, y compris de sa pupille, Elvira Royston. Il faut dire que la jeune fille ne manque pas de préoccupations propres à son âge : son entrée imminente dans la haute société britannique, la quête d’un époux et sa présentation à la reine. Or, sa présence fortuite lors d’une manifestation qui dégénère lui vaut d’être arrêtée. De là à se demander si, à travers Elvira, ce n’est pas Carmichaël que l’on cherche à atteindre…

Avec Une demi-couronne, Jo Walton assoit l’unité de sa trilogie en conservant le même dispositif narratif que dans les précédents volumes : les chapitres racontés à la première personne par le protagoniste féminin – ici, la jeune Elvira – alternent avec ceux dédiés à Carmichaël. Mais à la différence du Cercle… et de Hamlet…, Une demi-couronne patine, et sa brièveté s’avère ici un défaut. En dépit de l’intéressante peinture d’une haute société engoncée dans sa rigidité, les atermoiements d’Elvira, adolescente agaçante, peinent à passionner, et l’intrigue ne décolle que tardivement. Conséquence : la fin apparaît précipitée, peine à convaincre et laisse trop de questions à l’imagination du lecteur. Des réserves, donc, même si sur le fond, la trilogie du « Subtil changement » est un sans-faute plus que jamais d’actualité en cette période où l’on assiste à la tentation des extrémismes et où l’hypothèse d’une dérive autoritaire et sécuritaire semble de moins en moins… hypothétique, justement. Il n’en reste pas moins que sur la forme, il faut se contenter d’un troisième tome un bon cran en deçà des deux premiers, une conclusion hâtive à ce qui aurait pu devenir une excellente trilogie.

Allez, on se consolera sûrement de cette Demi-couronne en demi-teinte avec les prochains romans de Jo Walton annoncés dans la collection « Lunes d’encre » : Tooth and Claw et surtout My Real Children, qu’auréole une jolie réputation.

L'Épée de l'Ancillaire

[Critique commune à La Justice de l'Ancillaire et L'Épée de l'Ancillaire.]

Qui sait comment et pourquoi se forme la hype autour d’un livre ?

Au début était La Justice de l’ancillaire, premier volume des « Chroniques du Radch » et premier roman de l’auteure américaine Ann Leckie. Un livre qui nous est arrivé à l’été 2015 précédé d’un prestige certain, étant entendu qu’il a raflé à peu près tout ce qu’il se fait en matière de prix littéraires science-fictifs : un doublé Hugo-Nebula, un Locus du meilleur premier roman, un prix Arthur C. Clarke, un BSFA… et même le prix Bob Morane dans nos contrées. Excusez du peu. L’Épée de l’ancillaire, la suite, n’a dû se contenter que d’un BSFA et d’un Locus.

Autant dire que lorsqu’on a ouvert le bouquin, on a plus ou moins eu l’impression d’ouvrir l’Arche d’Alliance. Restait à voir si la hype était justifiée…

Futur lointain : l’humanité a essaimé sur de nombreuses planètes et s’est retrouvée confrontée à une poignée de races extraterrestres avec qui toute communication s’avère compliquée. Depuis trois mille ans, un empire – le Radch – a entrepris une implacable politique d’annexion, aidé en cela par sa souveraine immortelle, Anaander Mianaï, et sa cohorte de vaisseaux surarmés peuplés d’IA et d’ancillaires. Immortelle, l’empereur l’est devenue parce qu’elle est une et plusieurs : un même esprit réparti dans des dizaines (des centaines ?) de corps. Les vaisseaux (de trois classes : Justice, Épée et Miséricorde, d’où les titres des romans) sont pilotés par des IA ayant à leur disposition des centaines de corps de soldats – les ancillaires –, récupérés sur les planètes annexées. De fait, le Radch a tout d’un rouleau compresseur. Mais depuis vingt ans, le Radch a cessé de s’étendre. Pourquoi Anaander Mianaï a-t-elle changé sa politique ? Serait-ce à cause des Presgers, ces aliens brutaux rôdant aux marges de l’empire ?

Breq a été le Justice de Toren, fier vaisseau au service de l’empereur. Mais le Justice de Toren a été détruit vingt ans plus tôt, suite à une machination, et la seule chose qui en a survécu est un soldat ancillaire qui veut désormais se venger de l’empereur. Mais comment tuer une empereur théoriquement immortel ? Centré sur la vengeance de Breq, La Justice de l’ancillaire alterne flashbacks et (in)action présente. Après les révélations concluant le premier tome, L’Épée de l’ancillaire nous montre Breq mandaté en mission sur une station spatiale : complots et dégustation de thé constituent la majeure part du roman, avec un discours ténu sur les inégalités (la société radchaïe fonctionne sur une forme de clientélisme). Les deux romans sont longs, longuets, même, l’action y est rare et les humeurs de Breq finissent par lasser. L’univers du Radch impérial, dans son histoire comme sa géographie, demeure flou et monolithique, et la menace représentée par les énigmatiques Presgers reste hélas trop en marge – attendons de voir ce à quoi cela aboutira dans le troisième volet.

En l’état, les « Chroniques du Radch » apparaissent comme un terne melting-pot d’influences : on y retrouve pêle-mêle les Mentaux de la « Culture » de Iain M. Banks, les états d’âmes de L’IA et son double de Scott Westerfeld, le questionnement sur le genre faisant le sel de La Main gauche de la nuit d’Ursula K. Le Guin. De fait, la langue du Radch se distingue par son emploi par défaut du féminin : la soldat, la lieutenant, etc. Une affèterie intéressante, quoique probablement gratuite, qui peine à franchir la barre de la traduction : ce qui passe sans peine en anglais, où les déterminants n’indiquent pas le genre et où les adjectifs ne s’accordent pas, heurte en français. De plus, La Justice… pâtit d’une traduction rêche, où abondent les répétitions ; des défauts corrigés dans L’Épée…, heureusement.

Au regard de la hype évoquée plus haut et de sa kyrielle de prix, La Justice… et L’Épée de l’ancillaire suscitent l’incompréhension. Tout ça pour ça ? Une histoire sans grande originalité, avec un choix narratif particulier mais desservi dans le premier tome par une traduction râpeuse, qui se focalise jusqu’à l’obsession sur des détails, omettant au passage cet ingrédient indispensable à toute bonne histoire de SF : ce fichu sense of wonder ! Vous savez, ce vertige spatial/temporel/métaphysique qui vous a fait vibrer quand vous avez lu « Fondation », « Hypérion », « Succession »… Ici, il n’est présent qu’à doses homéopathiques. L’ensemble n’est pas nul ni même mauvais, juste affreusement décevant. Si un prix devait couronner La Justice… et L’Épée de l’ancillaire, ce serait celui du Roman le Plus Abusivement Surestimé de la décennie.

(Mais nous sommes faibles, et nous ne saurons faire l’impasse sur La Miséricorde de l’ancillaire.)

NDA : Ne parlez plus au chroniqueur de ce fichu service à thé !

La Justice de l'Ancillaire

[Critique commune à La Justice de l'Ancillaire et L'Épée de l'Ancillaire.]

Qui sait comment et pourquoi se forme la hype autour d’un livre ?

Au début était La Justice de l’ancillaire, premier volume des « Chroniques du Radch » et premier roman de l’auteure américaine Ann Leckie. Un livre qui nous est arrivé à l’été 2015 précédé d’un prestige certain, étant entendu qu’il a raflé à peu près tout ce qu’il se fait en matière de prix littéraires science-fictifs : un doublé Hugo-Nebula, un Locus du meilleur premier roman, un prix Arthur C. Clarke, un BSFA… et même le prix Bob Morane dans nos contrées. Excusez du peu. L’Épée de l’ancillaire, la suite, n’a dû se contenter que d’un BSFA et d’un Locus.

Autant dire que lorsqu’on a ouvert le bouquin, on a plus ou moins eu l’impression d’ouvrir l’Arche d’Alliance. Restait à voir si la hype était justifiée…

Futur lointain : l’humanité a essaimé sur de nombreuses planètes et s’est retrouvée confrontée à une poignée de races extraterrestres avec qui toute communication s’avère compliquée. Depuis trois mille ans, un empire – le Radch – a entrepris une implacable politique d’annexion, aidé en cela par sa souveraine immortelle, Anaander Mianaï, et sa cohorte de vaisseaux surarmés peuplés d’IA et d’ancillaires. Immortelle, l’empereur l’est devenue parce qu’elle est une et plusieurs : un même esprit réparti dans des dizaines (des centaines ?) de corps. Les vaisseaux (de trois classes : Justice, Épée et Miséricorde, d’où les titres des romans) sont pilotés par des IA ayant à leur disposition des centaines de corps de soldats – les ancillaires –, récupérés sur les planètes annexées. De fait, le Radch a tout d’un rouleau compresseur. Mais depuis vingt ans, le Radch a cessé de s’étendre. Pourquoi Anaander Mianaï a-t-elle changé sa politique ? Serait-ce à cause des Presgers, ces aliens brutaux rôdant aux marges de l’empire ?

Breq a été le Justice de Toren, fier vaisseau au service de l’empereur. Mais le Justice de Toren a été détruit vingt ans plus tôt, suite à une machination, et la seule chose qui en a survécu est un soldat ancillaire qui veut désormais se venger de l’empereur. Mais comment tuer une empereur théoriquement immortel ? Centré sur la vengeance de Breq, La Justice de l’ancillaire alterne flashbacks et (in)action présente. Après les révélations concluant le premier tome, L’Épée de l’ancillaire nous montre Breq mandaté en mission sur une station spatiale : complots et dégustation de thé constituent la majeure part du roman, avec un discours ténu sur les inégalités (la société radchaïe fonctionne sur une forme de clientélisme). Les deux romans sont longs, longuets, même, l’action y est rare et les humeurs de Breq finissent par lasser. L’univers du Radch impérial, dans son histoire comme sa géographie, demeure flou et monolithique, et la menace représentée par les énigmatiques Presgers reste hélas trop en marge – attendons de voir ce à quoi cela aboutira dans le troisième volet.

En l’état, les « Chroniques du Radch » apparaissent comme un terne melting-pot d’influences : on y retrouve pêle-mêle les Mentaux de la « Culture » de Iain M. Banks, les états d’âmes de L’IA et son double de Scott Westerfeld, le questionnement sur le genre faisant le sel de La Main gauche de la nuit d’Ursula K. Le Guin. De fait, la langue du Radch se distingue par son emploi par défaut du féminin : la soldat, la lieutenant, etc. Une affèterie intéressante, quoique probablement gratuite, qui peine à franchir la barre de la traduction : ce qui passe sans peine en anglais, où les déterminants n’indiquent pas le genre et où les adjectifs ne s’accordent pas, heurte en français. De plus, La Justice… pâtit d’une traduction rêche, où abondent les répétitions ; des défauts corrigés dans L’Épée…, heureusement.

Au regard de la hype évoquée plus haut et de sa kyrielle de prix, La Justice… et L’Épée de l’ancillaire suscitent l’incompréhension. Tout ça pour ça ? Une histoire sans grande originalité, avec un choix narratif particulier mais desservi dans le premier tome par une traduction râpeuse, qui se focalise jusqu’à l’obsession sur des détails, omettant au passage cet ingrédient indispensable à toute bonne histoire de SF : ce fichu sense of wonder ! Vous savez, ce vertige spatial/temporel/métaphysique qui vous a fait vibrer quand vous avez lu « Fondation », « Hypérion », « Succession »… Ici, il n’est présent qu’à doses homéopathiques. L’ensemble n’est pas nul ni même mauvais, juste affreusement décevant. Si un prix devait couronner La Justice… et L’Épée de l’ancillaire, ce serait celui du Roman le Plus Abusivement Surestimé de la décennie.

(Mais nous sommes faibles, et nous ne saurons faire l’impasse sur La Miséricorde de l’ancillaire.)

NDA : Ne parlez plus au chroniqueur de ce fichu service à thé !

Infinités

De Vandana Singh, auteure indienne née à New Delhi, mais vivant et travaillant désormais aux États-Unis, on avait pu lire jusqu’alors des nouvelles éparses (dans les revues Fiction, Angle Mort et le Bifrost 82) qui laissaient présager une plume très intéressante. Le présent recueil, fort de dix récits, d’un essai qu’on se permettra de juger relativement convenu, et d’un glossaire, vient confirmer cette impression de manière éclatante. Sous une sublime couverture d’Aurélien Police, servie par une traduction d’une grande finesse signée Jean-Daniel Brèque (y compris pour les trois textes repris), Singh use de son statut de femme indienne, professeur de physique, pour conférer à ses récits une empreinte très personnelle, où la sensibilité se marie à la subtilité sans pour autant négliger une dimension plus scientifiques.

Le premier trait saillant, c’est la prégnance de la culture indienne. Née et élevée en partie en Inde, l’auteure recourt à ses racines pour le cadre global de la quasi-totalité de ses récits – d’où le glossaire de termes indiens, à tout le moins bienvenu. Aux antipodes d’un décor inhabituel qui viserait à créer un sentiment d’exotisme propice au dépaysement du lecteur, ce cadre fermement ancré dans le quotidien, où le poids parfois trop lourd des traditions ne saurait faire oublier les vertus de la simplicité et du rapport à la nature et aux anciens, sert de terreau extrêmement fertile pour l’imagination de l’auteur. Ici, une femme souffrant du rigorisme exacerbé de son mari se découvre planète et n’aura de cesse de convaincre son entourage de la véracité de sa théorie. Là, une autre craint le retour annuel de la mousson, car elle sait qu’elle devient autre… Il n’aurait sans doute pas été possible à Singh de développer certaines des nouvelles de son recueil en dehors du cadre culturel indien, et de son code de conduite extrêmement rigide.

Si les thèmes abordés sont variés, et peuvent emprunter au fantastique, il s’en dégage néanmoins un attrait évident pour des histoires à fort contenu mathématique ou physique. Professeur de physique, donc, Singh puise dans ses connaissances pour en tirer des visions d’une beauté formelle évidente et hautement suggestives. On y croise donc un tétraèdre qui apparaît brutalement, tel le monolithe de Clarke, en pleine quatre-voies de New Delhi, ou encore un mathématicien qui tente d’accéder à l’infini via son étude de certains nombres remarquables. On y parle souvent d’univers parallèles qui seraient poreux, permettant l’irruption, dans le strict cadre indien qu’on vient d’évoquer, de phénomènes extraordinaires, dont on ne comprend au final pas grand-chose si ce n’est qu’ils génèrent un questionnement permanant sur nous-mêmes.

Car le dernier pan de l’écriture de Vandana Singh, peut-être le plus important, c’est son humanité, une humanité qui imprègne le livre de sa première à sa dernière page. Nous rencontrons ici des personnages authentiques, qui vont nous convier en toute simplicité à partager leur quotidien l’espace de quelques heures, jours, semaines. Cela tient à peu de choses, à une page initiale formidable pour chaque texte qui dévoile en douceur celui ou celle qui va nous accompagner, suscitant aussitôt l’empathie du lecteur. La quatrième de couverture évoque Theodore Sturgeon – on ne saurait être plus d’accord. Même si elle a tendance à prendre pour protagonistes des femmes, ce qui n’a rien d’étonnant du fait de son identité et de la place de ces dernières dans la société indienne, l’auteure brosse également le portrait d’hommes avec une finesse qui n’est accessible qu’à quiconque sait sonder l’âme humaine dans toute sa profondeur, une âme que Singh n’a de cesse de placer au même niveau que les merveilles scientifiques qu’elle nous donne à voir.

Oscillant entre science et poésie, mais d’un humanisme permanent, Infinités révèle de manière éblouissante le talent d’une auteure des plus attachante et à la voix unique, dont on attendra avec une grande impatience la prochaine parution.

Eos

Tout d’abord, des phrases. Sans verbe. Innombrables. À vous en rendre la lecture pénible. Voire insupportable. Mais aussi, par moments, parce que nous sommes en pleine fantasy aventureuse, un style ampoulé faisant la part belle à maintes descriptions adjectivées. Les dialogues ? Des changements de registre constants et invraisemblables, entre blagues potaches, envolées lyriques, pseudo-trouvailles d’allitérations… Au final, tout cela fait étalage d’un savoir-faire que l’auteur n’a visiblement pas – ce qui, pour un premier roman, n’est pas problématique, loin de là, mais aurait dû inciter Arthur à plus de modestie. Ces défauts dans la forme, on serait prêt à les supporter si le fond en valait la peine… Las ! Tout commence comme une histoire de triolisme sans aucun intérêt. Puis le personnage-titre du roman, Eos, jusqu’alors plutôt sympathique, devient soudainement d’une brutalité extrême, sans que l’on comprenne son cheminement intellectuel. S’ensuit tout un tas d’aventures qui laissent totalement indifférent. Bref, ce livre ne vaut pas tripette. Alors, que l’éditeur le compare à Glen Cook et Terry Pratchett en quatrième de couverture, c’est au mieux maladroit, au pire insultant pour ces deux grands auteurs de fantasy.

« “Vous voulez voir mes sequins et mes farins, monsieur le marchand de bouquins ? Sentent-ils le crottin ? À moins que ce ne soit l’idée que je renifle le purin de votre esprit chagrin.
— Faquin ! fait le lippu en reculant d’un pas.
— Margoulin !, réplique Eos.
— Oh, mais… Vaurien ! fait le chauve en cédant encore du terrain.
— Moins que rien ! Face de saurien ! Tête de batracien ! Cannibale païen ! Retourne dans ta niche à chien !” »

Quatre mots de fin : ça ne vaut rien.

Les Vandales du vide

Après « Une heure-lumière », voici « Pulps », la nouvelle collection du Bélial’. Une invitation à l’aventure, à de la science-fiction sur grand écran et, surtout, à la distraction sans se prendre au sérieux, voilà comment l’éditeur qualifie ce nouveau label en début d’ouvrage – et quoi de mieux pour commencer qu’un texte inédit (en français).

Les Vandales du vide de Jack Vance, paru en 1953, raconte les pérégrinations de Dick Murdock, jeune Vénusien quittant sa planète natale pour rejoindre son père astronome en chef de l’observatoire lunaire. En chemin, il apprend que des navettes ralliant Mars et Vénus à la Terre ont mystérieusement disparu. L’une d’elle est retrouvée déchiquetée dans un cimetière galactique ; le bruit court qu’un certain Basilic serait à l’origine de cette attaque. Dick, à peine arrivé sur la Lune, va enquêter sur ce mystérieux individu, et découvrir que le satellite terrien n’est pas seulement un observatoire des étoiles, mais aussi un lieu cachant bien d’autres secrets…

La courte préface qui ouvre le roman est assez amusante ; contrairement à Jean Giono qui affirmait qu’aucun homme n’irait sur la Lune et que ce n’était pas souhaitable, Jack Vance clame dès 1950 que « le voyage spatial, c’est demain », et énonce quelques suppositions : l’homme ira sur la lune vers 1965 (bien vu) ; des vaisseaux atteindront Mars en 1968 ; les colonies martiennes et lunaires seront pour 1980… Si aujourd’hui cela prête à sourire, il reste que l’esprit de découverte des auteurs de science-fiction de ces années-là est toujours un plaisir de lecture, au même titre que les explications scientifiques qui jalonnent le roman, Vance s’attardant régulièrement sur des détails (techniques) non dénués d’intérêts et qui nous permettent de garder l’esprit ancré dans ce divertissement imaginaire et science-fictif que sont les romans de l’âge d’or de la SF.

Du haut de notre XXIe siècle, il est certaines choses que l’on regarde avec tendresse en lisant Vance, Asimov, Dick et bien d’autres auteurs de cette époque. Tous imaginaient, anticipaient certaines technologies à venir, sans manquer de passer à côté de certaines autres. Ainsi, dans Les Vandales du vide, on vit sur Mars et Vénus, mais le héros doit quand même développer (en chambre noire) les photos prises sur la Lune – détail touchant, qui, mélangé à tout ce développement technologique et scientifique, nous ferait presque remonter le temps et nous plonger dans la peau d’un lecteur des années 50 découvrant avec émerveillement des romans de « voyage ».

Les Vandales du vide se lit comme un polar, une enquête menée par Dick Murdock qui n’est pas sans évoquer la recherche holmesienne d’un mystérieux coupable, exercice que Vance maîtrise déjà suffisamment pour crédibiliser les agissements de son héros et éviter d’agacer le lecteur – qu’y a-t-il de plus énervant qu’un ado sûr de lui et prétentieux ? Si la fin du roman peut sembler légèrement bâclée (un peu rapide dans son dénouement), l’ensemble, des plus honnête, n’a finalement pas d’autre but que de nous divertir. Une bonne trouvaille, en somme, que ces Vandales du vide : à l’heure où la techno va très (trop) vite, ralentir un peu, se replonger dans des romans venus d’un passé pas si lointain qui nous disent l’avenir s’avère riche de vertus roboratives. Bref, une nouvelle collection bienvenue et qui commence avec du fun, comme annoncé. On n’en demandait pas davantage.

Résidence Beau-Rivage

Pierre Stolze est certes un auteur de SF et de fantastique, mais il est un écrivain à part, extraordinaire. Terme qu’il faut prendre au pied de la lettre. Ce qu’il écrit sort complètement de l’ordinaire, loin, très loin des sentiers battus. Tout le monde a fait l’expérience de lire ces thrillers ou ces romans de fantasy (surtout), tous excellents, et a éprouvé ce sentiment frustrant d’avoir lu cent fois la même chose… Eh bien, pas de ça avec Pierre Stolze ! S’il ne renouvelle nullement ni le fantastique, ni la SF, il leur impose des traitements à nul autre pareil.

Tout d’abord, il faut oser centrer tout un recueil sur l’immeuble où l’on réside et ses environs pour en envisager l’avenir sur quelques décennies. Deux immeubles, plutôt moches, ayant tout du HLM, que l’on voit sur la couverture (NDRC : L’un des deux est effectivement celui de l’auteur, photographié par lui-même !). Rien dans ce visuel ne peut donner à penser que l’on a affaire ici à un recueil de textes ressortissant aux genres de l’Imaginaire. On y verrait plutôt un essai sociologique sur l’urbanisme ou la vie des cités.

On découvre dans la première nouvelle que non seulement l’ascenseur qui vient d’être rénové parle avec un accent allemand, qu’il dessert onze des douze étages de l’immeuble, ce qui est a priori normal, mais aussi l’enfer en dessous et le paradis au-dessus !

La novella qui suit voit son action principalement située dans la maison de retraite Les Chênes Verts, où vit la mère de Bernard Maillard, sur les berges de la Moselle. Il s’avérera que son oncle n’est pas seulement un fin connaisseur du fruit de la vigne, un cinéphile émérite et un chaud lapin ; le flic enquêtant sur la disparition de la femme de Bernard finira par en perdre son latin (Stolze s’amuse à semer et à commenter moult expressions latines tout au long de l’ouvrage). Après avoir longuement flirté avec la littérature générale, le texte fini dans une efflorescence de fantastique (ou de SF ?).

Suit une courte pochade de quelques pages sur les prophéties mayas (et aldébaraniennes), et les fins des mondes censées s’ensuivre que l’on ne saurait attendre qu’avec force verres de blanc des côtes de Moselle.

En 2024, la centrale nucléaire de Cattenom, non loin de Thionville, où tout le recueil se passe, a fini par sauter. Attentat ou tremblement de terre… La vie a repris ses droits dans ces territoires contaminés où des gens ont néanmoins survécu ; une expédition s’en vient explorer la résidence Beau-Rivage qui a résisté à l’explosion. Peut-être un endroit où rester à l’écart des turpitudes du monde…

En 2050, le réchauffement climatique a fini par noyer une bonne partie de l’Europe du nord, générant son flot de réfugiés tandis que les accords de Schengen ont été dénoncés depuis longtemps. Parmi les bateliers de la Moselle, il en est pour profiter des malheurs du monde en se faisant passeurs jusqu’à ce que, la tragédie survenant, ils ne se transforment en Charon.

Dans les deux derniers textes, Pierre Stolze délaisse le ton drolatique du début sans pour autant qu’il y ait de rupture ; la dernière nouvelle, qui tient davantage du policier que d’une SF qui n’offre que le contexte, s’avère même franchement dramatique.

L’écriture et les personnages croisés dans ce recueil entretiennent le flirt permanent de ce dernier avec la littérature blanche sans cependant dénier à aucun moment les genres de l’Imaginaire – si on excepte la dimension politique, Résidence Beau-Rivage ne peut guère se comparer qu’à l’excellent recueil de Claude Ecken, Au réveil, il était midi (l’Atalante), les deux auteurs ayant en commun de tenir la distance avec les riens de la vie quotidienne de tout un chacun. Mais surtout, on s’amuse beaucoup. Bâtir un recueil cohérent autour d’une résidence quelconque d’une quelconque ville de province et y intéresser le lecteur était certes un pari un peu fou. Un pari tenu, et gagné.

Bioshock Rapture

Outre une poignée de nouvelles, on a pu lire de John Shirley La Ballade de City, un remarquable roman dans la mouvance cyber-punk (paru en 1986 chez Lattès, ce qui ne nous rajeunit pas). Plus récemment, deux romans alimentaires, l’un tiré du jeu Watch Dog et l’autre de la franchise Predator. Veine alimentaire dans laquelle se situe aussi Bioshock-Rapture, qui constitue la préquelle d’un jeu vidéo. N’étant pas joueur, le présent roman sera ici traité en tant que tel, sans référence aucune au jeu qui l’a inspiré et dont j’ignore tout.

Andrew Ryan est devenu milliardaire aux États-Unis où il est arrivé tout jeune, fuyant la révolution bolchévique en Russie. Mais l’Amérique est loin d’être assez libérale pour lui qui exècre l’état et son corollaire, l’impôt, ne jurant que par la libre entreprise et l’économie de marché. Ryan serait un thuriféraire avant l’heure des Friedrich Hayek et Milton Friedman… En 1945, persuadé que le monde court à la ruine nucléaire, Ryan décide de fonder son utopie ultralibérale là où il pourra jouir de la plus parfaite extra-territorialité : au fond de l’océan. Et notre Ryan de poser d’emblée la question qui fâche : « Ce qu’un homme obtient par son travail, à la sueur de son front… Cela ne lui revient-il pas de droit ? » Il rêve ainsi d’une cité où les artistes n’auraient pas à craindre la censure, les scientifiques ne seraient pas inhibés par l’éthique… Mais qui peut devenir milliardaire à la sueur de son seul front ? Comme dit le proverbe corrigé : l’avenir appartient à ceux qui ont des ouvriers qui se lèvent tôt. D’emblée, le ver est dans le fruit. Les dés sont pipés puisque tout appartient à Ryan. Le capitalisme repose sur le fait qu’il y a des ressources naturelles que chacun pourrait (théoriquement) exploiter par son travail pour s’enrichir. Rien de tel à Rapture. Ryan invite dans son utopie des gens embrassant le même credo libéral que lui. Il tient à en écarter les parasites – syndicalistes, communistes, croyants et même simples altruistes. Il a fait sienne l’idée que seul l’égoïsme forcené mènera à une « utopique » justice sociale. « À leur arrivée, on avait imposé à la plupart des habitants de la cité sous-marine de changer leurs dollars américains en dollars de Rapture, Ryan ponctionnant sur le change une part destinée à assurer les frais de maintenance des divers services de la ville. » (page 105). Au temps pour l’utopie sans impôts !

Rapture est aussi un univers totalement clos sur lui-même, ce qui ne facilitera guère le libre-échange… car, si on y entre, on n’en ressort pas, même si ça tourne mal.

Et il advient ce qui devait advenir : l’utopie ultralibérale vire fissa à la dystopie la plus totalitaire tandis que gronde le mécontentement, puis la révolution…

Rétro-anticipation politique, virulente critique de l’ultralibéralisme, avec Bioshock-Rapture, John Shirley met parfaitement en relief tous les mécanismes de l’inévitable échec d’une utopie qui tourne à la tragédie, quand bien même l’auteur laisse à la fin une minuscule touche de ciel bleu dans un immense océan de noirceur. Contre toute attente, Bioshock-Rapture s’avère un bon roman, pas un chef-d’œuvre, non, mais une excellente surprise, tant on ne s’attendait pas à trouver là une critique politique aussi acerbe.

Reste le livre en tant qu’objet. Joli, certes. Mais à 28 euros, on se demande si le prix n’est pas en soi une illustration du propos…

Métaquine

La métaquine. Molécule miracle, psychotrope au spectre large, le produit semble une véritable panacée chimique pour les laboratoires Globantis qui espèrent en tirer un maximum de profit sans s’embarrasser de ses éventuels effets secondaires. On ne compte plus les usages d’un médicament tellement efficient qu’il échappe aux prévisions les plus optimistes de ses concepteurs. La métaquine réconforte les anxieux, soigne les TOC, guérit les psychoses aigües. Elle apaise aussi les troubles bipolaires, rétablissant les fonctions synaptiques endommagées, contourne les blocages ou inhibitions. Elle calme les bouffées délirantes des schizophrènes et combat même les addictions les plus retorses. Mais surtout, elle facilite la concentration des enfants hyperactifs, les transformant en agneaux dociles, en éponges prêtes à absorber les connaissances sans rechigner. Bref, la métaquine crée des individus parfaitement ajustés à la réalité de la société.

Responsable du marketing chez Globantis, Curtis ne doute pas un seul instant du succès de son plan de développement. C’est le client qu’il faut atteindre directement, quitte à zapper l’étape institutionnelle. L’argument ne laisse en tout cas pas insensible Clothilde, une élue très remontée contre le lobbying outrancier de l’entreprise pharmaceutique. Il inquiète fortement aussi Sophie, spécialiste du cerveau à la retraite qui s’est prise d’affection pour Régis, le voisin du dessus. D’une imagination débordante, le petit garçon a le seul tort de ne pas être assez attentif en classe, ce qui fait de lui une cible idéale pour la molécule. Heureusement, il peut compter sur son beaup, Henri, pour s’opposer au traitement. Le bougre a déjà recueilli sa mère Aurélia, une cybertox au stade terminal. Hélas, il flirte avec le burn-out et les envies de meurtre. Dans un monde aux contours incertains, où les faux-semblants abondent, malgré les avertissements de Ferdinand A. Glapier, le lanceur d’alerte omniscient du Web, tous semblent victimes du même tropisme. Une affinité irrésistible pour les collines boisées de La Guillane qui agit comme un attracteur étrange sur leur conscience.

Bien connu des amateurs du genre, François Rouiller ausculte depuis quelques années la science-fiction et ses représentations. Les plus chenus ont peut-être lu son essai Stups & fiction et le guide qu’il a consacré à la SF chez Les Empêcheurs de penser en rond. Le voici qui passe de l’autre côté du miroir pour nous livrer avec Métaquine® un récit tenant davantage du roman coupé en deux que du diptyque.

Au-delà de la simple dénonciation du milieu pharmaceutique, l’auteur suisse réveille de multiples réminiscences, mettant son érudition au service de son propos. En lisant Métaquine®, on pense à la « Trilogie Chronolytique » de Michel Jeury, à Nancy Kress ou à Greg Egan. Mais au jeu des références, c’est bien entendu Philip K. Dick qui s’impose en raison de thématiques assez proches des obsessions de l’auteur américain. Les fables de la gnose et du catharisme entrent ainsi en résonance avec les simulations hyperréalistes des ordinateurs à qubits, pendant que la physique quantique se coltine aux neurosciences pour redéfinir la conscience et la perception du réel. François Rouiller s’aventure sur un terrain aux frontières mouvantes, armé des outils de la science-fiction, pour susciter ce vertige spéculatif si familier à l’amateur du genre. Il bouscule nos certitudes sur le réel à grand renforts de superpositions d’univers, d’état quantique et de conduction synaptique, transformant nos crânes en boîte de Schrödinger. Et il nous abandonne, épuisé mais heureux, au terme de 800 pages d’un crescendo constant et maîtrisé.

Avec Métaquine®, François Rouiller met sur la sellette le fameux cogito de Descartes, en faisant entrer dans l’équation les neurosciences. Il propose ainsi au lecteur de quoi phosphorer longtemps sur la nature de la réalité : un remède contre l’ennui à ne pas rater, assurément.

Note : On renverra les convaincus vers le site suivant, histoire de prolonger l’expérience : http://www.metaquine.com/

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