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Le Dieu foudroyé

[Critique commune à La Forteresse perdue, Les Dieux verts et Le Dieu foudroyé.]

La Forteresse perdue n’avait jamais été réédité depuis sa parution originale au « Rayon Fantastique » en 1962. À sa lecture, on comprend vite pourquoi, tant cette dernière s’avère pénible. Une bien mauvaise surprise, en somme, d’autant que mes lectures précédentes de l’auteure m’avaient plutôt laissé de bons souvenirs…

Dans sa préface, Didier Reboussin écrit : « Comme toujours chez Nathalie Henneberg, il faut oublier l’aspect rationnel des choses (…) où le monde futuriste qu’elle dépeint n’a rien de plausible. » Nous voilà prévenus… Donc, une expédition de la Légion de l’Espace lancée vers Alpha du Centaure a abordé un monde nommé Isis ouvert sur plusieurs dimensions. Elle y a établi un fortin et s’y accroche avec la rage du désespoir. Mais Isis sert aussi de tête de pont à des créatures d’énergie vampiriques se manifestant sous l’aspect de flammes violettes qui entendent envahir la Terre pour se repaître des êtres humains…

Le roman s’articule autour de trois personnages. Alix Orlova — une projection transparente de l’auteure —, Arnold de Held — celle de son mari, Charles —, et enfin Ruy Béarn-Léans, traitre façonné dès le début par les flammes violettes qui n’est pas sans rappeler le héros du Sabre de l’Islam. On y retrouve les figures d’amants tragiques que séparent les valeurs sacrées du devoir auxquels ils se sacrifient. La Forteresse perdue offre une dimension largement autobiographique de la vie des époux Henneberg au Proche Orient au début des années 40, à travers une évocation de la défense acharnée de Palmyre (Syrie) par une compagnie de la Légion Étrangère face à des troupes anglaises largement supérieures tant en nombre qu’en matériel. Le récit se veut poétique, épique, haut en couleur. Il n’en est rien. Les mots, précieux souvent, s’alignent mais peinent à faire jaillir des images ; un défaut de cohérence rend l’histoire difficile à suivre, et il faut passer la moitié de ce « fort Alamo stellaire » pour percevoir une amélioration sensible qui ne parvient toutefois pas à sauver cet ensemble brouillon. Dommage.

Avec Les Dieux verts rien ne change, sauf que cette fois, ça marche… Tout ce qui apparaissait confus dans La Forteresse perdue devient limpide, évident. La poésie prend corps et les images jaillissent à toutes les pages, souvent sublimes. J’avais un excellent souvenir des Dieux verts, mais après la cruelle déception de La Forteresse perdue, le pire n’était pas à exclure. Or, dès les premières pages, je me voyais rassuré et embarqué, entrainé au plus profond de la nuit d’émeraude avec des personnages plus grands que nature. On plonge dans un univers flamboyant de tous les tons du vert, un tourbillon de merveilles créées par une styliste hors pair dont on ne trouvera guère l’équivalent que chez Samuel R. Delany. Plutôt que de s’empiler, les mots chantent et se répondent en canon, engendrant la plus gracieuse des polyphonies.

Il y a 2000 ans, la Terre, alors à son apogée, maîtresse d’un empire stellaire, s’est soudain vue frappée par un terrible cataclysme qui n’a laissé que de rares survivants tout en l’isolant du cosmos. La civilisation humaine s’est effondrée tandis que pour les plantes et les insectes, l’heure de la revanche sonnait. Depuis, l’homme défend les ruines de son empire avec mollesse, s’abandonnant aux rêves, à la décadence, laissant les rênes aux végétaux et copiant les insectes, notamment dans leurs mœurs cruelles. Ainsi, la loi impose-t-elle aux derniers mâles solaires, de race pure, de mourir après le vol nuptial… l’enjeu pour les plantes étant d’en accélérer la disparition avant que l’isolement de la Terre ne prenne fin. En dépit de son amour pour la petite reine Atléna, Argo, le suffète des mers, refuse de se plier à cette loi inique et se rebelle. Comme d’habitude chez Henneberg, leur amour est frappé du sceau de la tragédie. Tandis qu’Atléna se voit chargée de défendre ce qui reste de l’empire, Argo se retrouve à la tête d’une horde de monstres et de mutants avec laquelle il entend libérer A-Atlan du joug des plantes intelligentes et rendre à l’humanité sa splendeur passée.

Les Dieux verts, qui en est à sa quatrième édition, offre toute la panoplie des thèmes chers à Henneberg. L’amour rendu tragique par un implacable destin qui dresse les amants l’un contre l’autre, chacun mu par un sens du devoir infrangible. Le combat final, apocalyptique, fratricide, qui toujours évoque ceux de Palmyre, où l’ennemi véritable se dissimule en arrière-plan. D’innombrables plantes sont ici nommées par leur nom scientifique, ce qui aurait eu tôt fait de sombrer dans le dernier lourdingue, or il n’en est rien. Une riche poésie émerge de toutes les nombreuses descriptions où l’auteure se joue de mots rares pour les palais, les femmes-insectes souvent comparées à des phalènes ou à des orchidées…

Imaginez deux parties d’échecs. Même ouverture. Même variante. L’une perdue, l’autre gagnée. Difficile de concevoir que deux romans aussi semblables parviennent à des résultats aussi opposés. Les Dieux Verts est un pur chef-d’œuvre ; La Forteresse perdue pour ainsi dire illisible.

Entre ces deux extrémités, Le Dieu foudroyé occupe une place médiane. Ce troisième volume, qui vient compléter La Plaie, où Nathalie Henneberg évoquait l’exode vécu enfant avec les derniers Russes Blancs de l’armée de Wrangel, point final de la révolution bolchévique, n’en a pas l’envergure. Le souffle épique s’est tari. Initialement publié chez Albin Michel un an avant sa mort (en 1977), ce roman est le chant du cygne d’une auteure désireuse de ne pas laisser son grand œuvre inachevé. La flamme vacille, comme la vie d’Henneberg elle-même. Peut-être a-t-elle trop attendu… Nathalie Henneberg a toujours fonctionné à l’inspiration, elle n’a jamais été un écrivain de métier pouvant sur le tard compter sur le savoir-faire acquis pour compenser une moindre activité créatrice. En dépit de quelques morceaux de bravoure disséminés ici ou là, jamais Le Dieu foudroyé n’atteindra à l’éblouissement des Dieux verts ni à l’ampleur de La Plaie. Le talent est un tigre furieux qui emporte tout dans une étourdissante chevauchée, laissant le lecteur tout ébahi ; mais à juste le tenir par la queue, il se retourne et lacère de ses crocs et ses griffes. Plus grand est le talent, plus sauvage le tigre. Ainsi le tigre du Dieu foudroyé était-il un vieil animal déjà bien fatigué.

Signal d'alerte

Le temps passe pour tout le monde, mais pour les écrivains, il passe différemment : l’homme vieillit, l’œuvre peut vieillir, mais la manière parfois ne change jamais. Ainsi du Neil Gaiman nouvelliste, dont le troisième recueil, par sa composition et ses thématiques, s’inscrit dans la parfaite lignée des deux précédents, parus en 2000 et 2009, déjà au Diable Vauvert. Soit un patchwork de textes hétéroclites et de taille variable, où tous les mauvais genres sont convo-qués dans une joyeuse célébration de la forme courte (mais pas que : le recueil comporte également quelques poèmes).

Destins tragiques ou bien contrariés, explorations de solitudes, voyages bizarres dans l’enfance du monde ou les noires cruautés de l’âge adulte, parsemés de clins d’œil à la littérature comme il l’aime : l’auteur britannique porte encore une fois un regard ironique et généreux, fourmillant de détails, sur un petit peuple de (anti)héros aux abois, pour lesquels le basculement dans le fantastique agit comme un révélateur — ou une porte de sortie. Petite musique tantôt légère tantôt grave, mais toujours bienveillante, d’un écrivain voué au réenchantement d’un réel méchamment cabossé.

Il serait vain d’énumérer toutes les histoires de ce copieux volume, aussi me contenterai-je d’évoquer les plus représentatives : ainsi la sombre et belle novella « La Vérité est une caverne dans les Montagnes noires », implacable récit de vengeance dans le cadre des îles du Nord de l’écosse. « Le Dogue noir », qui clôt le volume, qui rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros d’American Gods, confronté ici à d’étranges apparitions (fantôme et monstre canin) dans une campagne anglaise où les brumes de la féérie sont moins toxiques que les amours déçus. L’histoire parvient à surprendre malgré des ficelles grosses comme des camions, et l’on reste admiratif devant la progression et l’équilibre général de l’intrigue. Tout en maîtrise. Citons encore « Le Problème avec Cassandra », sur une petite amie imaginaire qui vient s’incruster dans la vie de son créateur, et dans laquelle on peut voir une métaphore sur le travail d’écriture. Et puis aussi, pourquoi pas, « Le Retour du mince duc blanc », d’inspiration Moorcockienne.

Gaiman excelle dans l’hommage littéraire et le pastiche : les mânes — ou les œuvres — de Bradbury, Ellison, Sheckley, Conan Doyle, Jack Vance sont ainsi convoquées et revisitées avec bonheur (réjouissante « Une invocation d’incuriosité »). Dans « Nulle heure pile », l’auteur se confronte à l’univers de Doctor Who, le temps d’une aventure inédite et angoissante. Les réécritures de contes de fées sont également plutôt réussies : mention en particulier à « La Dormeuse et le rouet » (déjà critiquée, sous un autre titre, dans le Bifrost n°82). À noter enfin quelques textes échappant à toute classification, et qu’on qualifiera donc prudemment d’expérimentaux, tels « Orange », où le lecteur doit progresser au travers de ce qu’on devine être les réponses à un interrogatoire, et « Un calendrier de contes », construit à partir d’échanges avec des fans sur Twitter.

Revenons pour finir sur cette coutume typiquement anglo-saxonne qui consiste, pour un auteur, en pré- ou en postface, à faire sa propre exégèse. Rapportée au présent recueil, cela donne une introduction un brin putassière, où le rappel des circonstances de la création de chaque nouvelle est noyé sous une tonne d’éloges dégoulinants, d’anecdotes plus ou moins dignes d’intérêt et d’autosatisfecit. Dans un sursaut de lucidité, Gaiman y évoque toutefois avec justesse cette zone de confort que les écrivains et nous, lecteurs, partageons e voulons rarement quitter (ou au prix de grands efforts). Ce qui nous ramène à la propre introduction du présent papier : il y a des auteurs qu’on aborde en sachant qu’ils vous désintégreront les neurones, et d’autres qu’on retrouve comme une paire de pantoufles, vieillies mais agréables. Pantouflard, Gaiman ? Le plaisir qu’on prend à le lire est peut-être différent, cela n’en reste pas moins du plaisir.

Empire des chimères

Petit patelin endormi à une heure de la plus proche agglomération, Lensil ne dépare pas au milieu des plaines mornes. Au village, on semble peu concerné par ce début des années 80, où la rigueur remplace l’espoir né avec l’élection de François Mitterrand. La population vaque à sa routine, troquant le dynamisme contre une sourde neurasthénie. La jeunesse s’ennuie, frappée par un destin ne lui laissant guère de choix autre que celui d’endosser les habits gris de ses aînés. Les adultes continuent d’entretenir l’illusion d’une France heureuse, comme une force tranquille flirtant avec l’inexorable déclin. Et, pendant ce temps, une pourriture insidieuse mine les fondations de la petite communauté. Une mycose lente et irrésistible dont les manifestations verruqueuses suscitent surtout l’indifférence. Jusqu’au jour où une fillette disparaît. Très vite, on s’émeut, on bat la campagne pour la retrouver, ne découvrant qu’un charnier composé de tous les chats disparus récemment. Les signes de mauvais augure s’accumulent pendant que des lointaines puissances économiques et politiques complotent un avenir plus divertissant — mais la solution à tous ces maux se trouve sans doute ailleurs. Dans une boîte noire décorée d’une corneille blanche renversée. Une boîte qui attend qu’on soulève son couvercle pour voir tous les possibles s’effondrer en une seule réalité. Peut-être sous la forme d’un parc à thème, déclinaison grandeur réelle de l’univers d’un jeu de rôle immersif. Ou alors sous une forme plus sinistre, voire cauchemardesque.

La lecture de Pur, le précédent roman d’Antoine Chainas, n’avait guère suscité l’enthousiasme. À vrai dire, un ennui insidieux prévalait, au point de classer ce texte d’inspiration ballardienne parmi les ratés de l’auteur. Empire des chimères s’inscrit clairement à un autre niveau, marquant le retour de Chainas à son meilleur. Avec ce roman de plus de six cents pages, il nous immerge dans un univers gigogne où réalité et simulacre de réalité s’imbriquent de manière inextricable. Empire des chimères joue en effet sur plusieurs registres, usant des codes du roman noir, du thriller, de la politique fiction et d’un fantastique teinté de science-fiction, pour brouiller les pistes et déstabiliser le lecteur. S’amusant de la porosité des frontières entre les genres, Chainas nous manipule, sème les indices horrifiques au cœur d’une intrigue futée dont le point focal demeure cette mystérieuse boîte au contenu indéterminé influant sur le destin des uns et des autres. Boîte de Pandore ou de Schrödinger ? Sans doute un peu des deux, et peut-être même bien davantage. L’auteur ne rechigne pas ainsi à invoquer le ban et l’arrière-ban de la mythologie et de la science pour bousculer les certitudes, suscitant le malaise et l’angoisse à grand renfort de métaphores organiques, de champignon invasif, de moisissures et autres signaux d’alerte néfastes. Ces manifestations méphitiques nourrissent une atmosphère délétère, propice à toutes les folies criminelles, où le prosaïsme du quotidien reflète le scénario d’un jeu de rôle imaginé par un créateur devenu fou et un écrivain de science-fiction n’étant pas sans évoquer un certain Philip K. Dick. Mais Antoine Chainas ne se contente pas de perdre le lecteur dans un univers singulier et inquiétant. Sous le roman de genre affleure un propos plus politique, dans la meilleure acception du terme, celle qui évite de verser dans le militantisme. Ce début des années 80 qu’il choisit comme contexte, incarne en effet une période de désenchantement où la Gauche change d’avis au lieu de changer la vie. C’est aussi celle de l’accélération de la mondialisation, entraînant le village France, peuplé de Gaulois déjà réfractaires, dans une concurrence acharnée avec le reste du monde, pour le meilleur d’une société post-industrielle confinée dans l’illusion consumériste. Mais aussi pour le pire, c’est-à-dire la dilution du lien social et la mise à l’encan de l’environnement. Traversé par des personnages lumineux, tel ce garde-champêtre opiniâtre au passé ne passant pas, cette adolescente gothique pleine de courage, ou encore cette vieille institutrice marquée par le deuil, Empire des chimères recèle également son comptant de médiocres et de monstres mémorables. Bref, on est bien content de retrouver Antoine Chainas avec un roman ambitieux alliant le plaisir des mauvais genres à une réflexion sur le monde tel qu’il va mal. À découvrir, assurément.

Dimension Uchronie 1

Collectées par Bertrand Campéis, l’éminence masculine du Guide de l’uchronie réédité récemment chez ActuSF, Dimension uchronie 1 rassemble quatorze nouvelles d’auteurs divers, résultat d’un appel à textes lancé fin 2017. Des femmes et des hommes, à part égale, des écrivains expérimentés et des novices, des francophones et un Américain, un peu esseulé pour le coup. La curiosité piquée, l’amateur d’histoire alternative se dit qu’il y a peut-être matière à satisfaire sa passion pour les déviances historiques. Hélas, à trois exceptions près, le résultat apparaît au mieux quelconque, au pire médiocre Passons rapidement sur « Nouvelle Sparte » d’Émilie Chevallier Moreux, dont le texte peut se résumer à un seul terme : abscons. Les nouvelles suivantes remontent un tantinet le niveau, mais elles ne sont pas en mesure de corriger cette fâcheuse entrée en matière. « Pour l’honneur de Rome » mélange l’uchronie au voyage temporel en imaginant un monde où l’Empire romain n’existe pas. On conçoit sans peine ce que Poul Anderson, voire Pierre Barbet auraient pu faire avec un tel argument de départ. Ici, c’est juste raté. Dans une autre acception de l’Histoire, Jean-Claude Renault se serait sans doute abstenu. Pas de chance pour nous qui n’y vivons pas… Les choses ne s’arrangent guère avec « Nova Lua », même si Clémence Godefroy sait jouer de la corde sensible. Sa nouvelle se réduit à la confession d’une missionnaire issue du culte christaoiste, curieux syncrétisme de christianisme et de taoïsme né après la défaite de la papauté pendant la Querelle des Investitures et après son exil en Orient. Décidée à mourir pour sa foi, la religieuse prend fait et cause pour les esclaves d’une colonie européenne passée à la religion déorégalienne. Même si la proposition de l’autrice est originale, avouons que l’on reste quand même un tantinet sur sa faim. Dommage… Avec Florie Vignon, Sébastien Capelle, Fabien Clavel et Thomas Milleton, on oscille ensuite entre l’anecdotique et le besogneux. Heureusement, la nouvelle de Tesha Garisaki vient nous rafraîchir la mémoire. « Le Festival des dragons de Tenochtitlan » apporte en effet la preuve que le ridicule ne tue pas, et on se demande quelle idée saugrenue a pu traverser l’esprit de l’anthologiste en sélectionnant ce texte, à part peut-être la volonté de faire une mauvaise blague. « Code noir », de Pierre Léauté, calme heureusement tout net l’énervement. Passée une chronologie superflue qui fait craindre un instant le didactisme lourdaud, le récit révèle un humour grinçant de bon augure. Faire de l’idole des jeunes l’une des têtes pensantes et agissantes du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, et de Jacques Mesrine le président d’une République sociale, a de quoi réjouir les mauvais esprits. Pour le reste du sommaire, on pardonnera au chroniqueur de faire l’impasse sur les textes de Marie Czarnecki, Emmanuel Chastelière et Sara Doke, afin de consacrer plus de temps à « Projections » de Louis Gastebois. Petit plaisir pour cinéphile, la nouvelle nous immerge dans un monde où l’industrie du cinéma a dépéri au profit du petit écran. Le texte abonde en clins d’œil et allusions faisant appel à la culture cinématographique. Dans cette acception de l’Histoire, le Napoléon de Kubrick a ainsi été tourné, le nouvel Hollywood n’a jamais émergé, et George Lucas finit avec une balle dans la tête avant d’avoir pu entreprendre le tournage de Star Wars. Avec cette réflexion sur le cinéma, l’entertainment et l’art, Louis Gastebois (un émule de l’inspecteur Clouseau ?) écrit sans doute le texte le plus stimulant de l’anthologie. On en redemande, et on est récompensé par le texte de Zoé Dangles. « Celle qui glisse sur les ondes » marque effectivement l’esprit. Ici, l’uchronie évolue à la marge, comme une tache de fond, visible dans le décor d’un Cambodge techno et dynamique. Mais le cœur du récit s’attache au drame vécu par les Rohingyas, sujet à la résonance très contemporaine. Voici un texte dur, très dur, mais bien écrit, évoquant avec pudeur et acuité le silence autour du massacre d’un peuple. Reste « Alerte rouge », nouvelle de Jerry Oltion, où l’auteur américain nous rejoue la crise des fusées, façon ruse de sioux contre visages pâles. Amusant, mais pas inoubliable. Bref, alors que le titre de l’anthologie laisse présager un second volume, on se prend à demander si l’on ne va pas passer son tour. Qui sait ? Vous avez deux heures pour écrire sur ce sujet d’uchronie personnelle. Très personnelle.

Dictionnaire de la fantasy

Chroniquer un dictionnaire est un exercice périlleux. À moins de s’ériger en expert absolu des domaines abordés par les contributeurs de l’objet, une situation réservée à l’érudit chenu ou au fan monomaniaque, difficile en effet, si l’on ne dispose pas du bagage adéquat, de critiquer les choix des auteurs, a fortiori lorsqu’il s’agit d’universitaires attachés à leur champ disciplinaire. Tout au plus peut-on déplorer quelques oublis. Un écueil vite écarté par Anne Besson, dans un avant-propos où elle précise que le Dictionnaire de la fantasy n’a pas pour objet de servir de best of, même si l’on ne peut nier l’impact du succès en librairie présidant au choix de quelques auteurs, GRR Martin, J.K. Rowling, Robin Hobb et Robert Jordan, pour ne pas les nommer.

Membre du Centre d’Études et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire, professeur de littérature générale et comparée à l’université d’Artois, par ailleurs autrice de plusieurs essais consacrés au genre et ex-chroniqueuse du site ActuSF, la directrice d’ouvrage ne peut guère être critiquée pour sa méconnaissance du domaine questionné. À vrai dire, en dépit d’une couverture souple un peu fragile et d’illustrations couleurs chichement comptées, l’objet est très bien conçu. Bénéficiant de 117 notices classées par ordre alphabétique et accompagnées de renvois vers d’autres parties, le Dictionnaire de la fantasy apparaît en effet comme le pendant académique de La Fantasy pour les nuls dirigé par Jean-Louis Fetjaine. En somme, pas vraiment le genre d’ouvrage destiné aux novices, même si la volonté pédagogique n’est pas complètement absente de ses pages, notamment dans les très riches annexes où sont dévoilés les auteurs ayant contribué à l’ouvrage, un récapitulatif des entrées et, surtout, une liste d’œuvres conseillées classées par thème. Le Dictionnaire de la fantasy s’adresse donc à l’amateur souhaitant mettre sa connaissance du genre à l’épreuve de l’analyse raisonnée d’universitaires, spécialistes dans les domaines de la littérature et de l’Histoire. Sur ce point, on n’est pas déçu, tant l’approche transversale se veut foisonnante et originale. Certes, on retrouve quelques-uns des tropes, motifs et lieux communs du domaine. Mais à côté de l’élu, de l’épée, du dragon, de l’empire, de l’elfe, du barbare, des châteaux et autres chevaliers, les contributeurs proposent des articles consacrés au tourisme, au fandom, au péplum, à la nourriture, à la boisson, à la sexualité et aux femmes. Sans pour autant négliger l’aspect technique et historique du genre, les auteurs abordant aussi les notions d’intertextualité, de cycle, de mythe, de conte et de modernité. Heureusement, pas de notice fastidieuse consacrée à la taxinomie, même si les sous-genres de la fantasy sont évoqués de manière indirecte dans plusieurs articles. Parmi les écrivains qui jalonnent l’ouvrage, on ne sera pas étonné de retrouver J.R.R. Tolkien, C.S. Lewis, R.E. Howard et Mervyn Peake à côté des moins connus William Morris, Lord Dunsany, T.H. White et George MacDonald. Si la littérature apparaît comme le cœur du propos du dictionnaire, le regard des contributeurs ne se cantonne pas à ce seul média. Le jeu de rôles et ses déclinaisons vidéoludiques, le GN, le cinéma, les séries, la bande-dessinée, comics et mangas, font également l’objet de notices. Enfin, les points de vue de quelques acteurs du genre, Lionel Davoust, Mélanie Fazi, Jean-Philippe Jaworski et Estelle Faye, pour n’en citer que quelques-uns, viennent donner un peu de chair à l’ensemble.

Au final, ce Dictionnaire se révèle un ouvrage indispensable pour l’amateur, contribuant par ses articles à développer un panorama synthétique sur l’histoire, les thématiques et l’évolution d’un genre né en réaction à la modernité, et pourtant enrichi à son contact.

La Cité de l'orque

Le label Albin Michel Imaginaire débute l’année 2019 avec La Cité de l’orque, roman d’un inconnu dans nos contrées (sauf à lire le présent Bifrost), si l’on fait abstraction du court teaser « Le Vêlage » (disponible sur le blog AMI) et des avis élogieux de quelques blogueurs éclairés bien connus des habitués de l’Internet.

Premier roman adulte de Sam J. Miller, par ailleurs qualifié d’étoile montante de la SF américaine, La Cité de l’orque nous projette au XXIIe siècle, à une époque où les effets de la catastrophe climatique, dont nous observons les prémisses et entretenons les causes, donnent leur pleine démesure cataclysmique, contribuant à un exode massif de population. Face à l’élévation du niveau des océans, moult mégapoles et pays ont été submergés, en partie ou totalement, provoquant un désordre généralisé. En proie à la sécession, les États-Unis ont basculé dans la guerre civile et l’obscurantisme (refrain connu) et, même si l’on ne sait pas grand-chose du reste du monde, on devine que les événements ont redessiné la géopolitique mondiale. Bref, à l’instar d’une marée irrésistible, l’afflux de réfugiés climatiques a échoué sur les rivages artificiels d’un archipel de plates-formes surpeuplées, dominées par un struggle for life encouragé par le libéral-capitalisme prédateur. Rien de neuf sous le soleil de la dystopie, nous dira-t-on (si ce n’est qu’on a les pieds qui baignent désormais dans l’eau salée). Du contexte général de la planète, on s’en tiendra à quelques bribes d’information, Sam J. Miller ayant choisi de poser son récit dans le décor inhospitalier de la cité flottante de Qaanaaq, non loin de la localité éponyme située au Groenland. Entité complexe jouissant des bienfaits d’une source géothermique sous-marine, Qaanaaq apparaît comme une jungle impitoyable où l’espace vital se monnaye très cher. Sous la surveillance des IA en charge des routines de la cité et des actionnaires, les premiers de cordée des lieux, vivant reclus dans leurs tours surprotégées, on ne peut pas dire que l’altruisme ruisselle à Qaanaaq. Une foule foisonnante de réfugiés tente pourtant d’arracher un peu de place au soleil glacial de l’Arctique. Des vendeurs de nouilles ou de soupe, des pêcheurs, des mineurs de glace, vivants entassés dans des épaves rouillées, sous la coupe des hommes de main des seigneurs de la pègre. Des besogneux, âpres au gain, durs à la peine, animés par un embryon de révolte ne demandant qu’à se déchaîner, mais dans l’attente d’un signe pour agir. Peut-être la venue de cette femme, l’orcamancienne, accompagnée dit-on par un orque et un ours blanc, est-elle ce signe ?

Au fil d’une intrigue paresseuse, du moins au début, Qaanaaq se révèle ainsi comme un formidable melting-pot dont on goûte l’agitation avec fascination, tout en sentant sa crasse entêtante, en entendant les cris de rage ou de souffrance de ses habitants et en ressentant dans sa chair le froid coupant du Pôle Nord. Sur ce point, le travail de Sam J. Miller est admirable d’authenticité. Une poignée de personnages principaux et secondaires apporte un surcroît d’intérêt au récit, notamment un personnage de coursier pansexuel. À ceci, ajoutons enfin des trouvailles en pagaille, en particulier les failles, une IST du futur mettant l’individu contaminé en contact avec la mémoire de celui qui l’a infecté, et les nanoliés, produits d’une expérience avortée funeste. Pour le reste, le récit de La Cité de l’orque apparaît un tantinet décousu, voire convenu. On ne se passionne guère pour son intrigue mollassonne (on l’a dit) et téléphonée qui voit l’horizon d’attente se réduire à une peau de chagrin. Tout ça pour ça, est-on même tenté de soupirer. En dépit de ce bémol, un brin fâcheux hélas, le roman de Sam J. Miller demeure une tentative de post-cyberpunk qui suscite la sympathie. Et même si toutes les promesses ne sont pas tenues, La Cité de l’orque dévoile un univers ne demandant qu’à prendre de l’ampleur. On est curieux d’en découvrir d’autres aspects.

Chanur, l'intégrale T1

Guère disponible en-dehors du marché de l’occasion, le cycle de « Chanur » fait l’objet d’une réédition en intégrale dans la collection « Nouveaux millénaires ». Deux briseurs d’étagères à pas cher regroupant cinq romans, avec un premier tome, ici chroniqué, composé de Chanur, L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur. De quoi réjouir les fans de Carolyn J. Cherryh — on connaît les noms ! —, les amateurs de space opera divertissant, mais aussi de Lois McMaster Bujold, avec laquelle l’autrice entretient une parenté, et pas seulement pour les nombreux prix Hugo qui récompensent son œuvre. Hélas, trois fois hélas, le chroniqueur doit d’entrée confesser s’être profondément ennuyé à la lecture de ce fort volume. Mais cela est sans aucun doute de sa faute…

Sept peuples spatio-pérégrins forment une association informelle dans un coin pas si lointain de la Galaxie, et dans un futur, disons, éloigné… Ils y pratiquent le commerce, respectant les conventions établies entre eux pour maintenir la paix aux points de rencontre, des stations spatiales ressemblant fortement à des ports francs. Un gentlemen’s agreement qui ne les empêche pas de comploter afin d’étendre leur pré carré. Plus roublards que les autres, les Mahendo’sat ont favorisé l’essor des Hani, leur procurant la technologie de la navigation spatiale afin de permettre à cette civilisation féodale de félins grégaires, où les femelles, épouses, sœurs et parentes contribuent à l’entretien et au développement des biens du clan, de sortir de son Moyen âge. Bien entendu, l’irruption des Hani dans le concert des peuples spatio-pérégrins a quelque peu irrité les Kif, des prédateurs fort antipathiques, et les Stsho, une espèce craintive et foncièrement raciste. Quant aux peuples méthaniens, tc’a, chi et autre knnn, nul ne connaît leur pensée tant leur attitude et actions paraissent incompréhensibles. Dans ce coin d’univers, l’équilibre prévaut donc, jusqu’au jour où surgit un huitième peuple : les hommes. Et lorsque Tully, un mâle humain un tantinet falot, trouve refuge à bord de L’Orgueil de Chanur, l’astronef commandé par l’habile Pyanfar Chanur, celui-ci devient l’enjeu d’un affrontement feutré et mortel.

Carolyn J. Cherryh a surgi dans le paysage science-fictif américain avec deux romans parus en 1976 (Les Portes d’Ivrel et Frères de la Terre), salués à leur époque par la critique, obtenant même le prix John W. Campbell du meilleur nouvel auteur de l’année en 1977. À partir des années 1980, elle élabore le cycle « Alliance-Union », dont le foisonnement et le relatif irrespect des conventions du genre apportent une touche assez rafraîchissante pour l’époque. Chanur et ses suites s’inscrivent ainsi dans ce cycle, faisant la part belle au personnage de Pyanfar Chanur et à l’équipage exclusivement féminin de son astronef, les mâles étant considérés davantage comme une charge. Un point de vue original, pour ne pas dire subversif, auquel Carolyn J. Cherryh s’efforce de donner de la substance en mettant à contribution les sciences sociales, humaines et naturelles. Toutes les nations extra-terrestres se voient ainsi dotées d’une culture substantielle et de motivations en cohérence avec leur nature, l’humanité étant ravalée, de son côté, à un rôle accessoire, une sorte de MacGuffin littéraire. Hélas, si le worldbuilding en impose par sa somptuosité et son inventivité, l’intrigue ne convainc guère. Dès Chanur, un fait confirmé ensuite avec L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur, le récit se révèle bavard, peu palpitant, voire répétitif. La tension dramatique accuse de sérieux coups de mou du fait d’un enjeu finalement bien maigre, et sans doute aussi à cause de personnages agaçants, pour ne pas dire caricaturaux. Bref, on tourne les pages sans passion, s’ennuyant de péripéties dignes d’un mauvais épisode de Star Trek ou Babylon 5.

Au final, s’il se trouve des amateurs pour tenter l’aventure du premier tome de l’intégrale, avertissons-les quand même que l’intrigue entamée par L’Épopée de Chanur trouve sa conclusion avec Le Retour de Chanur, au sommaire du second volume. Pour les autres, les amateurs de space op’ léger et admirateurs de félidés dans l’espace, voici une lecture recommandable. Une engeance à laquelle le chroniqueur n’appartient pas. Tant pis pour lui.

Helstrid

Helstrid est une novella de SF de Christian Léourier. C’est aussi le nom de la planète très inhospitalière sur laquelle se déroule le récit. Une atmosphère saturée d’alcane, des vents approchant les 200 km/h, des températures inférieures à -150 °C, Helstrid a tout pour qu’on ne s’y pose pas. Mis à part des ressources minières ; voilà pourquoi la Compagnie l’exploite. C’est sur Helstrid que travaille Vic, avec quelques autres aux motivations variées — argent, goût de l’aventure, de la découverte, ou encore, dans le cas de Vic, la volonté de se refaire une vie après une rupture douloureuse. Car si les contractuels ne passent que peu d’années sur Helstrid, le voyage aller-retour — en hibernation — prend cinquante ans. Quand il reviendra sur Terre, Vic, enrichi, retrouvera un monde différent et un entourage vieilli ou décédé…

Pour l’instant en tout cas, Vic est sur Helstrid, et il doit assurer le ravitaillement d’un avant-poste qui en a grand besoin. C’est à bord du convoyeur Anne-Marie qu’il va s’élancer vers l’antenne N/2, accompagné par les convoyeurs automatiques Béatrice et Claudine. De fait, pour cette mission, Vic ne sert à rien, les trois IA des véhicules gèrent seules trajet et pilotage, la présence humaine n’est contrainte que par un protocole désuet. Durant la quarantaine d’heures prévue pour le voyage, Vic aura donc le temps de s’interroger sur le sens de la vie. Mais voilà que les incidents se multiplient, que la survie même de Vic devient douteuse, et que l’interrogation existentielle prend une tournure terriblement actuelle.

Ayant fui le souvenir d’une femme aimée qui l’a quitté sans explication, Vic réalise trop tard que, si loin qu’on aille, ce n’est jamais qu’avec soi qu’on part, et qu’à destination ne se trouve nul autre que soi-même. Arpentant le sol glacé d’un monde encore plus dangereux qu’il ne l’imaginait, Vic n’est pas un héros. Il n’est qu’un homme seul, perdu au milieu d’un enfer environnemental, un nobody contre qui une planète largement inconnue s’acharne, un solitaire forcé d’accorder sa confiance, jusqu’à lui confier sa vie, à une IA qui dit faire de sa sécurité sa priorité. Guide et planche de salut à la fois, Anne-Marie sait être une compagne compatissante durant ces quelques jours d’effroi. Amicale, prévenante, rassurante, conversant volontiers, elle disserte sur la conscience et la perception, jusqu’à prouver à Vic qu’entre son moi numérique et celui, biologique, de son passager, les différences sont moindres qu’il ne le croit. Sur la fin, alors que tout est encore en balance, Vic fera preuve de dignité et de courage, des caractéristiques humaines qui contrastent avec la rationalité tranquille de l’IA.

Lisant Helstrid, le lecteur passera plus de cent pages en compagnie du couple improbable formé par Vic et Anne-Marie. Et il en sortira éprouvé, car Vic est un personnage que sa détresse rend attachant, au point qu’on tremble pour lui quand le danger arrive. L’homme et l’IA vont de Charybde en Scylla, la tension ne cesse de monter jusqu’à l’insupportable, on se croirait parfois dans Le Salaire de la peur.

Léourier raconte ici une très belle histoire pleine de tension et d’humanité — une sorte de Vieil homme et la mer de l’espace. Il offre une de ces histoires old school qui mettent le focus sur l’homme face à l’adversité, qui l’obligent à se mettre au clair avec ce qu’il est, qui oublient pour un temps société et politique. Une histoire reposante, en somme, par la simplicité de ses enjeux, et en même temps terriblement « impliquant » par l’énormité de ceux-ci — pour le héros menacé du récit comme pour le lecteur qui prend fait et cause pour lui au point que sa tension artérielle augmente au rythme du sien. Must-read.

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Dans ce livre riche en illustrations, Elsa De Smet nous propose une approche originale de l’astronomie et de l’astronautique à travers la mise en image de ces disciplines pour leur diffusion vers le grand public. Son travail commence à la fin du XIXe siècle, quand émergea l’idée d’une science pour tous, avec d’ardents promoteurs comme l’astronome François Arago, auquel succèdera Camille Flammarion. Les sciences s’allièrent alors aux arts pour mettre ces récits en image, avec une volonté didactique et de divertissement. Cette iconographie fut notamment réutilisée par Jules Verne, qui est sans nul doute l’un des premiers à intégrer les sciences dans un roman. La même chose se produisit en Allemagne, pays de plusieurs des pères fondateurs de l’astronautique, où l’iconographie chercha aussi à montrer les réalisations pratiques du progrès technique. Cette abondante production d’images a bien sûr accompagné l’aventure spatiale. Mais, si tout le monde connaît l’œil de la Lune transpercé par l’obus du Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902) ou le pas-de-deux des Dupont dans les aventures lunaires de Tintin (Hergé, 1954), peu d’entre nous connaissent les origines culturelles de ces images et les histoires qui les relient. L’auteure analyse donc toute l’iconographie de la culture populaire, des astronomies populaires européennes aux pulps américains, pour comprendre comment, et par quelles voies, ces images sont devenues si efficaces et si souvent reprises. L’auteure montre aussi qu’elles sont les témoins privilégiés de l’histoire des sciences et des techniques ainsi que de la communication à leur propos : pour scénariser les promesses d’un futur dans l’espace, les images sont d’autant plus précises que les techniques d’observation le sont. Des premiers dessins de la Lune par Galilée aux photographies prises depuis le sol de notre satellite par les astronautes de la mission Apollo 11, on suit la façon dont ces images ont été absorbées par l’imaginaire collectif, ainsi que l’émergence du space art et de ses liens étroits avec les sciences. Au croisement de l’histoire culturelle, de l’histoire de l’art et de l’histoire des sciences, l’ouvrage d’Elsa De Smet, érudit mais restant accessible, est tout à fait recommandable.

L'Ours et le Rossignol

Inspiré de contes russes, L’Ours et le rossignol, opus initial d’une trilogie, est aussi le premier roman de son autrice, Katherine Arden. Il emmène le lecteur au Nord de la Russie médiévale, ou plutôt la Rus’, puisque, à cette époque, la Russie n’existait pas. Les Rus’, peuple scandinave à l’origine, étaient dirigés par des knèzes, des nobles rivaux, dont l’allégeance allait aux seigneurs mongols. Le peuple vient de se convertir au christianisme sans avoir complètement oublié ses anciennes croyances. Il continue à honorer les domovoï, ces esprits protecteurs des maisons, et à craindre les créatures qui hantent les lacs et les forêts.

Le tsar, deux fois veuf et tombé sous le charme d’une belle inconnue à qui l’on prête le pouvoir de parler aux animaux et que les évêques ne tardent pas à qualifier de sorcière, est obligé d’éloigner de Moscou leur seul enfant, une fille. Marina épouse donc un boyard de la Rus’ septentrionale, Piotr Vladimirovitch. De cette union heureuse naissent quatre enfants, enjoués et résistants. Marina tombe à nouveau enceinte, d’une fille qui sera, selon elle, comme sa mère. Elle meurt en mettant au monde Vassilissa en novembre. Dounia, sa servante, élève les enfants et les régale de contes au coin du feu les soirs d’hiver. Sur l’insistance du tsar, maître des intrigues de la cour, Piotr se remarie avec Anna Ivanovna, une dévote qui, elle aussi, voit les esprits. Loin de considérer cette particularité comme un don, elle espère que sa piété et les offices du père Konstantin la guériront de sa différence. En marâtre identique à celles des contes, elle prend en grippe la petite Vassia, bien décidée à grandir aussi libre que ses frères, et réfractaire à toute contrainte. Ses pouvoirs attirent rapidement l’attention de Morozko, le roi de l’hiver qui lutte contre le réveil de son frère maléfique Medved.

Katherine Arden parvient à recréer l’ambiance des contes et légendes slaves et à faire vivre un bestiaire fantastique aussi fascinant que dangereux. Elle immerge son lecteur dans le folklore russe, sa poésie et les interminables hivers de ses contrées les plus reculées. Roman d’apprentissage centré sur la jeunesse de Vassia, qui, entourée d’une famille bienveillante et tolérante, se construit en opposition à la norme donnant aux femmes un rôle des plus restreints (épouse, mère et femme au foyer), L’Ours et le rossignol propose aussi le récit de la transformation d’un monde et d’un conflit entre la foi chrétienne et la magie ancestrale. Cette société en plein basculement s’en trouve fragilisée, ce qui permet le réveil de redoutables forces immémoriales. Si le récit n’est pas parfait — il souffre d’un manque de rythme dans son premier tiers —, il reste impressionnant de maîtrise, surtout si l’on considère qu’il s’agit là d’un premier roman. Il offre aussi une fin satisfaisante qui permet d’attendre sereinement la sortie de la suite, The Girl in the Tower, traduite par Jacques Collin et annoncée pour août 2019.

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