Connexion

Actualités

Characters, Emotion & Viewpoint

[Critique commune à Beginnings, Middles & Ends et Characters, Emotion & Viewpoint.]

Outre ses créations littéraires, Nancy Kress a publié divers essais, parmi lesquels certains sont consacrés à l’écriture, notamment Beginnings, Middles & Ends et Characters, Emotion & Viewpoint, qui traduisent deux intentions radicalement différentes en dépit de titres proches. De fait, les deux ouvrages témoignent d’un inégal intérêt.

Beginnings, Middles & Ends relève plutôt de l’essai théorique dans la mesure où il se focalise sur les trois moments clés qui donnent son titre à l’ouvrage. Nancy Kress consacre quelques lignes très réalistes à l’activité d’éditeur, à ses conditions de travail qui l’obligent à aller directement à l’essentiel. L’éditeur est en général le premier lecteur professionnel, d’autant plus exigeant qu’il permettra ou pas à l’auteur de toucher son lectorat. D’où l’importance de vrais début, milieu et fin qui structurent le récit. Ils constituent un pacte avec le lecteur, et une promesse à tenir jusqu’au bout. Nancy Kress distingue avec pertinence la fin d’un récit – là où donc il s’interrompt, et qui peut être le fait de circonstances autres que celles attachées à la création – de là où il s’achève, voire même d’un dénouement ultérieur qui viendrait confirmer ou nuancer l’achèvement. Dans tous les cas, « Deus ex machina n’est pas un compliment ». La volonté de l’auteur est toutefois contrainte par la cohérence de l’ensemble du récit, et par les attentes du lecteur, ou plutôt de cette variété qu’est le lectorat qui diffère d’un sujet à l’autre selon des facteurs sociaux, politiques, religieux, mais également selon ses lectures passées et maintes autres considérations.

Characters, Emotion & Viewpoint ne s’adresse pas à l’écrivain confirmé, ni même à un auteur débutant, mais à quelqu’un qui souhaite écrire. Ce que confirme la dédicace adressée aux «  auteurs du futur ». À partir de là, les conseils s’apparentent trop souvent à des vérités simples, du style « l’eau mouille », des avis qui ne sont pas faux en soi mais un peu courts. Qu’on en juge : il faut s’inspirer de personnages mais s’en démarquer ; s’intéresser à leur devenir  ; respecter leur cohérence tout en introduisant des ruptures. Et du côté de l’apprenti auteur : suivre les règles tout en faisant confiance en son intuition, et le fameux « show, don’t tell ». Remarquons, sans que ce soit une critique mais afin de prévenir le lecteur de Bifrost, que quatre pages uniquement sont consacrées à la science-fiction et à la fantasy, mais autant à la seule littérature western.

L’intérêt est donc bien partagé. On peut douter de la réelle pertinence de Characters, Emotion & Viewpoint, qui trop souvent fait penser à ces manuels typiquement américains promettant d’inculquer l’art de vous faire des amis ou de vous transformer en spécialiste du management. Beginnings, Middles & Ends est d’une lecture plus enrichissante, mais s’adresse plutôt à ceux qui ont déjà écrit, sans considération de la qualité du résultat et de sa diffusion.

Reste que l’on peut préférer à l’ensemble Le Langage de la nuit d’Ursula K. Le Guin (Aux Forges de Vulcain, 2016) et Écriture : mémoire d’un métier (Le Livre de Poche), de Stephen King, qui satisfont davantage les attentes théoriques et pratiques…

Beginnings, Middles & Ends

[Critique commune à Beginnings, Middles & Ends et Characters, Emotion & Viewpoint.]

Outre ses créations littéraires, Nancy Kress a publié divers essais, parmi lesquels certains sont consacrés à l’écriture, notamment Beginnings, Middles & Ends et Characters, Emotion & Viewpoint, qui traduisent deux intentions radicalement différentes en dépit de titres proches. De fait, les deux ouvrages témoignent d’un inégal intérêt.

Beginnings, Middles & Ends relève plutôt de l’essai théorique dans la mesure où il se focalise sur les trois moments clés qui donnent son titre à l’ouvrage. Nancy Kress consacre quelques lignes très réalistes à l’activité d’éditeur, à ses conditions de travail qui l’obligent à aller directement à l’essentiel. L’éditeur est en général le premier lecteur professionnel, d’autant plus exigeant qu’il permettra ou pas à l’auteur de toucher son lectorat. D’où l’importance de vrais début, milieu et fin qui structurent le récit. Ils constituent un pacte avec le lecteur, et une promesse à tenir jusqu’au bout. Nancy Kress distingue avec pertinence la fin d’un récit – là où donc il s’interrompt, et qui peut être le fait de circonstances autres que celles attachées à la création – de là où il s’achève, voire même d’un dénouement ultérieur qui viendrait confirmer ou nuancer l’achèvement. Dans tous les cas, « Deus ex machina n’est pas un compliment ». La volonté de l’auteur est toutefois contrainte par la cohérence de l’ensemble du récit, et par les attentes du lecteur, ou plutôt de cette variété qu’est le lectorat qui diffère d’un sujet à l’autre selon des facteurs sociaux, politiques, religieux, mais également selon ses lectures passées et maintes autres considérations.

Characters, Emotion & Viewpoint ne s’adresse pas à l’écrivain confirmé, ni même à un auteur débutant, mais à quelqu’un qui souhaite écrire. Ce que confirme la dédicace adressée aux «  auteurs du futur ». À partir de là, les conseils s’apparentent trop souvent à des vérités simples, du style « l’eau mouille », des avis qui ne sont pas faux en soi mais un peu courts. Qu’on en juge : il faut s’inspirer de personnages mais s’en démarquer ; s’intéresser à leur devenir  ; respecter leur cohérence tout en introduisant des ruptures. Et du côté de l’apprenti auteur : suivre les règles tout en faisant confiance en son intuition, et le fameux « show, don’t tell ». Remarquons, sans que ce soit une critique mais afin de prévenir le lecteur de Bifrost, que quatre pages uniquement sont consacrées à la science-fiction et à la fantasy, mais autant à la seule littérature western.

L’intérêt est donc bien partagé. On peut douter de la réelle pertinence de Characters, Emotion & Viewpoint, qui trop souvent fait penser à ces manuels typiquement américains promettant d’inculquer l’art de vous faire des amis ou de vous transformer en spécialiste du management. Beginnings, Middles & Ends est d’une lecture plus enrichissante, mais s’adresse plutôt à ceux qui ont déjà écrit, sans considération de la qualité du résultat et de sa diffusion.

Reste que l’on peut préférer à l’ensemble Le Langage de la nuit d’Ursula K. Le Guin (Aux Forges de Vulcain, 2016) et Écriture : mémoire d’un métier (Le Livre de Poche), de Stephen King, qui satisfont davantage les attentes théoriques et pratiques…

L'une rêve, l'autre pas

1. - Beggars in Spain, 1993, roman inédit en français

1.5. - « Méfiez-vous du chien qui dort… » (« Sleeping Dogs » , 1999, novella traduite de l’américain par Marianne Thirioux, dernière édition VF : Horizons lointains, J’ai Lu « SF », 2005)

2. - Beggars and Choosers, 1994, inédit en français

3. - Beggars Ride, 1996, inédit en français

 

L’histoire débute en 2008, une époque où une invention a permis l’accès à une source d’énergie illimitée et gratuite. Le riche Roger Camden veut le meilleur pour son héritière. Justement, une modification génétique in vitro permet de se passer du sommeil, temps « perdu » occupant le tiers d’une vie. Mais l’épouse de Camden tombe enceinte de jumelles hétérozygotes : Leisha est une Non-Dormeuse, Alice est normale. Leisha aura tout le loisir pour apprendre plus de choses et briller en société ; Alice sera normale. Qui plus est, effet secondaire de la modification génétique, les Non-Dormeurs vivront plus longtemps. Tandis que Leisha et Alice s’éloignent l’une de l’autre, la société se met à craindre les Non-Dormeurs et leurs meilleures capacités… Pourtant, ceux-ci ne visent pas autre chose qu’aider leurs semblables. C’est là l’intrigue de L’une rêve, l’autre pas, court roman couronné par les prix Asimov’s, Hugo et Nebula ainsi qu’un Grand Prix de l’Imaginaire – excusez du peu. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : comme souvent chez Nancy Kress, cette novella originelle a donné lieu à un roman, Beggars in Spain, dont L’une rêve, l’autre pas constitue le premier quart. Ce roman nous amène dans la seconde moitié du xxie siècle : le fossé entre les riches Non-Dormeurs et les autres humains ne cesse de se creuser. Face à la haine dont ils sont victimes, les Non-Dormeurs finissent par se retirer dans une zone sanctuaire des USA avant de fuir dans l’espace, à bord de l’orbitale Sanctuaire ; sur Terre, Leisha, persuadée que Dormeurs et Non-Dormeurs forment toujours une même espèce, tente toujours de promouvoir l’harmonie. À bord de Sanctuaire, dirigé d’une main de fer par Jennifer Sharifi, les Non-Dormeurs continuent d’expérimenter, jusqu’à créer des Non-Dormeurs améliorés, plus intelligents encore : les Supers. Lorsque Sanctuaire veut déclarer son indépendance, la chute de Sharifi viendra de Miranda, sa fille améliorée.

Beggars and Choosers débute quelques années plus tard, au début du xxiie siècle. La population des USA se divise désormais entre Non-Dormeurs (habitant tous Sanctuaire), donkeys génétiquement modifiés (mais pas insomniaques), et livers normaux, qui forment le gros de la société. Le roman délaisse Leisha Camden pour se concentrer sur trois autres personnages : Billy Washington, un liver vieillissant, Diana Covington, donkey qui travaille pour une organisation gouvernementale chargée de réguler les modifications génétiques, et Drew Arlen, artiste et amant de Miranda Sharifi. Face aux inégalités grandissantes, les Supers menés par Miranda finissent par répandre une invention altérant génétiquement tous ceux qu’elle touche : ils deviennent autotrophes. Le but, rendre tout un chacun autonome. L’idée est louable mais prouve ses limites dans Beggars Ride , situé au début des années 2120. Les USA, en voie de désagrégation, sont parcourus par des tribus de livers autarciques. Miranda et Jennifer Sharifi, désormais sortie de prison, continuent de s’opposer. On suit dans ce dernier volume Jackson Aronow, médecin que le changement provoqué par Miranda a privé de patients, et sa sœur Theresa, jeune femme asociale qui refuse obstinément le changement. Quel avenir reste-t-il pour l’humanité ?

En 1999, Nancy Kress a ajouté un nouveau chapitre à sa trilogie, sous la forme d’une novella incluse au sein de l’anthologie Horizons lointains réunie par Robert Silverberg. Avec « Ne réveillez pas le chien qui dort… », l’auteure s’intéresse à un aspect inexploré de « Sleepless  » : les animaux génétiquement modifiés. Lorsque la petite Precious est tuée par un chien non-dormeur, la vie de sa grande sœur Carol Ann en est bouleversée à jamais. Pourquoi ? Comment ? Elle va tout tenter pour retrouver les responsables et obtenir des réponses à ses questions brûlantes… jusqu’à croiser le chemin de Jennifer Sharifi.

Le premier roman tire son titre d’une réflexion que se fait Leisha : on croise un mendiant en Espagne, on accepte volontiers de lui donner un sou. Six mendiants, oui, on leur donnera aussi une petite pièce. Mais cent mendiants ? Non, c’est sûr. Néanmoins, c’est occulter une partie de la réalité : l’Espagne n’est pas peuplée que de mendiants. Mendiants, gens fortunés, etc., tous font partie d’un écosystème. Le premier roman de la trilogie « Sleepless » propose des pistes de réflexion sur l’égoïsme rationnel d’Ayn Rand (développé dans La Grève, ouvrage récemment paru aux Belles Lettres et critiqué dans notre précédente livraison) et l’anarchisme des Dépossédés d’Ursula Le Guin. A-t-on besoin d’une élite super-intelligente et immortelle pour nous guider ? Mais que valent les bonnes intentions face à l’inertie crasse des gens ? Quelles conséquences morales pour les modifications génétiques ? A-t-on le droit de modifier nos semblables, pour leur bien, peut-être, mais sans requérir leur avis ?

Des plus intéressante sur le papier, la trilogie «  Sleepless » peine cependant à passionner. Si les quatre novellas composant Beggars in Spain se lisent avec un plaisir certain, les deux romans suivants prouvent surtout que Nancy Kress est bien plus à l’aise sur la distance du court roman (ce que confirme « Ne réveillez pas le chien qui dort… »). Personnages falots, enjeux distants : trop souvent l’encéphalogramme reste plat. Dommage. Reste L’une rêve, l’autre pas, un texte important, qu’on ne se privera pas de lire et relire.

La Flûte ensorceleuse

Sorti outre-Atlantique en 1985, La Flûte ensorceleuse est le deuxième roman de Nancy Kress, après Le Prince de l’aube. Tous deux relèvent (plus ou moins) de la fantasy médiévale et mettent en scène un personnage central féminin, fait assez peu commun pour l’époque. Dans La Flûte ensorceleuse, Fia est montreuse d’histoires itinérante. Elle divertit les puissants en faisant apparaître des fables de la brume qui naît entre ses mains. Son talent, assez pauvre, lui permet cependant de gagner sa vie et d’élever son fils, Jorry. Le roman s’ouvre in medias res : Fia vient d’ingérer les drogues qui permettront à son don de s’exprimer avant de donner une représentation devant le roi de Veliano, royaume qui connaît une prospérité aussi soudaine qu’inattendue grâce aux gisements de pierres précieuses récemment découverts. Le spectacle prend un tour surprenant quand l’histoire qu’elle conte échappe à Fia, déclenchant l’hostilité de la cour, et qu’elle découvre la présence de Brant d’Erdulin, son amour de jeunesse. Ce dernier apprend bien vite qu’il est le père de Jorry et le fait enlever autant par représailles que par calcul. Bien meilleur qu’elle dans l’utilisation de son pouvoir, il n’est pas pour autant responsable du fiasco de la démonstration de Fia. À la cour du roi Rofdal, l’arrivée imminente d’un héritier exacerbe les tensions. Léonore, troisième épouse, compte bien enfanter un fils et raffermir son emprise sur son époux. Lors de la seconde représentation, Fia met en scène la quête d’une flûte magique, alors même que les envoûteurs sont punis de morts, leurs corps écorchés pendus par les pieds à la vue de tous. Piégée par son art qui lui échappe, manipulée par Léonore et perturbée par les sentiments qu’elle porte encore à Brant, Fia ne peut fuir et tente d’agir avec ses faibles moyens. Son salut dépend entièrement de l’utilisation de la magie, or elle manque cruellement de talent en la matière. À cette impression d’impuissance, renforcée par une narration à la première personne qui restreint le propos et occulte les motivations – pourtant très transparentes – des autres personnages, s’ajoute une ligne narrative essentiellement sentimentale. Si Nancy Kress se révèle pertinente sur le thème de la maternité et de l’amour filial, elle échoue à rendre crédible la relation entre Brant et Fia : cousue de fil blanc, oscillant entre romantisme immature et élans délétères, elle agace et finit par perdre le lecteur. Une lecture dispensable, donc, pour qui souhaite découvrir ou approfondir l’œuvre de Nancy Kress – des textes de l’auteure bien plus essentiels ont été traduits ces dernières années.

Le Prince de l'aube

Publié originellement en 1981, le tout premier roman de Nancy Kress, Le Prince de l’aube, paraîtra seulement onze ans plus tard en français. Curieux roman que celui-ci, bien éloigné de ce à quoi l’auteure américaine nous habituera par la suite – à savoir une science-fiction teintée de hard science. De fait, il s’agit ici de fantasy. Si les premières pages laissent imaginer une veine humoristique pré-Pratchett, la suite nous détrompe vite. Dans un monde qui ressemble au nôtre sans l’être pour autant, la jeune princesse Kirila, héritière du royaume de Kiril, décide de se lancer dans une Quête (la majuscule est de mise) au long cours : celle du cœur du monde. Où est-il ? Qu’y trouve-t-on ? Personne ne le sait. Bien vite, Kirila croise celui qui deviendra son compagnon de route : Chessie, labrador au pelage violet, autrefois un prince avant qu’un sorcier ne le métamorphose en canidé. Ensemble, Chessie et Kirila vont arpenter le monde de long en large, faisant des rencontres étranges et inattendues – le petit peuple des Quirks aux différentes saveurs, au cœur du monde à leur manière particulaire, l’inquiétante magicienne Polly Stark, ou encore le jovial prince Larek, amateur de joutes. C’est ce dernier que Kirila décide d’épouser, au grand dam de Chessie, qui préfère prendre la poudre d’escampette. Là s’achève la première partie du roman. La seconde débute vingt-cinq ans plus tard, avec le retour du labrador enchanté : après le décès de Larek, Kirila reprend le fil de sa Quête, décidée pour de bon à trouver le cœur du monde. Mais la princesse a vieilli et Chessie a pris goût à sa nature canine…

À vrai dire, ce Prince de l’aube consiste moins en un texte de pure fantasy qu’une métaphore à peine déguisée d’une vie humaine – plus exactement de la vie d’une femme – où chaque rencontre revêt les atours de l’allégorie. Une vie, donc. Le goût juvénile de l’aventure et le plaisir des découvertes sont relégués au placard après les émois du mariage ; il faut attendre longtemps avant de pouvoir repartir, mais le temps joue désormais contre vous. Et puis, quel est l’intérêt de la Quête ? Ne risque-t-on pas la déception une fois celle-ci accomplie ? Le voyage n’a-t-il pas plus d’intérêt que la destination ? Enfin, qu’y a-t-il au cœur du monde, si ce n’est soi-même ? Kirila perdra bon nombre d’illusions et de croyances en chemin mais sortira grandie de ces épreuves. Roman picaresque autant que réflexion sur les passions et le sens d’une vie, Le Prince de l’aube se révèle une étrange aventure, quelque peu décousue et imparfaite, mais d’une lecture agréable – le ton doux-amer, touchant, en fin de compte, y joue pour beaucoup, tout comme la fin, étrangement émouvante. On aurait tort de le dédaigner.

Zero K

Comme nombre d’auteurs américains modernes, Don DeLillo s’essaye à son tour à la science-fiction. Enfin… pas si l’on en croit la quatrième de couverture d’Actes Sud, où l’on parle d’un voyage « à travers des images puissamment inédites qui évacuent celles de la science-fiction pour mieux reformuler toutes les questions  ». Le lecteur de littérature générale peut donc ouvrir le roman en toute quiétude : Zero K n’est pas vraiment de la science-fiction. Nous voici rassurés…

Voyons donc de quoi parle cette histoire réaliste : un jeune homme, Jeffrey, est réclamé par son père, le milliardaire Ross Lockhart, pour venir assister à la mort de sa belle-mère, Artis. Jusque-là, rien que du très ordinaire. À ceci près qu’Artis a choisi de mourir pour être cryogénisée et renaître dans un monde nouveau, un monde d’après où tout serait différent. Au sein d’un complexe perdu quelque part entre le Caucase et la mer Noire, Ross a investi des milliards pour participer à l’immense (et dément) projet de cryogéniser des êtres humains pour sauvegarder une humanité courant depuis des années à sa perte. Mieux encore, cette entreprise pharaonique se propose de redéfinir la société, le langage et le système de croyance. On inculque aux sujets une nouvelle langue universelle et on leur enseigne une philosophie toute neuve appelée Convergence – ici, on se demande comment Actes Sud peut tenter de faire croire au lecteur que Zero K n’est pas un récit de science-fiction.

Reste que pour ceux qui se fichent des étiquettes, le nouveau roman de DeLillo s’avère passionnant. L’auteur américain, à travers la cryogénisation, redéfinit la mort comme une nouvelle existence. On ne meurt plus, mais on passe vers un autre univers qui n’existe pas encore. Guidé par Jeffrey, personnage au moins aussi froid que le style de DeLillo, on pénètre dans un complexe inquiétant où la vie semble irrésistiblement attirée vers le néant. L’humain devient ici sujet d’abstractions, l’existence même est dépouillée jusqu’à la moelle pour n’en laisser que des concepts intemporels, des philosophes et artistes modernes dissertent sans fin sur l’avenir de l’homme… et le monde se meurt à travers des écrans de télévision.

Le romancier met en parallèle la mort de notre planète, crevant littéralement sous les guerres, les catastrophes naturelles et la pollution, et la mort de l’être humain, incapable de trouver sa place dans une société devenue complètement artificielle. Hanté par les mannequins sans vie qui parsèment le complexe, le narrateur n’arrive plus à se définir lui-même qu’en nommant ce qui l’entoure. Il faut des noms pour exister, il faut des étiquettes pour avoir une contenance. Tout semble couler dans ce futur que l’on ne voit que par écrans interposés, et Jeffrey tente de s’accrocher à la dernière parcelle d’avenir qu’il comprend encore : le langage. C’est aussi par le langage que le nouveau monde qui attend les personnes cryogénisées se doit de tout changer, grâce à lui l’humanité prendra un nouveau départ. Certainement meilleur. Il faut absolument qu’il le soit.

Dans cette bulle hors du temps, Don DeLillo fascine autant qu’il repousse, avec cette froideur clinique qui semble ausculter ses personnages, les disséquer lentement pour les exposer les entrailles à l’air. Malheureusement, il choisit par la suite de revenir dans le monde réel, de s’embarquer dans une histoire entre Jeffrey et une autre femme avant de réaliser que la chose n’a pas grand intérêt et de revenir au cœur du sujet pour confronter le père et le fils, tentant de mettre face à face présent et avenir, rancœur et pardon. L’espace d’un instant, Ross apparait plus humain, en paix avec lui-même, tandis que notre civilisation n’en finit plus de courir à sa perte. Le complexe, de plus en plus hermétique, devient une scène bouffonne et surréaliste où l’on croise un moine témoin d’une dévotion grotesque sur la route de l’Everest, où des jumeaux dissertent sur le besoin de retour à l’animalité par la guerre, le propre de l’homme. Au milieu, des figures féminines, muettes et inquiétantes, comme autant de statues vidées de leur sens, comme autant de rocs dans un ouragan. Au-dessous, Zero K stoppe la marche du temps, on y vit suspendu, se questionnant à l’infini sur l’infini. C’est peut-être bien là que réside la réponse de Don DeLillo à la course effrénée de notre époque vers l’apocalypse : mettre tout en pause pour redémarrer l’histoire.

Même si le roman souffre d’un gros ventre mou avec ce retour forcé au réel, la densité de son propos, son écriture glacée mais précise suffisent à vaincre les réticences du lecteur à tourner les pages. Une expérience intrigante, philosophique, nihiliste et science-fictive, n’en déplaise à son éditeur, qui n’a pas compris que c’est la science-fiction qui donne tout son sens au propos de Don DeLillo.

La Forêt sombre

Si Le Problème à trois corps, best-seller improbable chroniqué dans notre 85e livraison, figure sur votre pile de lecture, passez d’emblée à la critique suivante : la présente chronique révèle quelques éléments-clé du premier volume (et évitez de même de lire la quatrième de couverture du présent bouquin : elle spoile éhontément). De fait, ce deuxième volet de la trilogie de Liu Cixin débute peu de temps après le volume initial et nous présente une Terre en état de crise : tandis que les intellectrons trisolariens espionnent notre planète et bloquent le développement de certains pans cruciaux de la recherche scientifique, la flotte extraterrestre est en route et atteindra le Système solaire dans quatre siècles – autant dire demain. Un délai toutefois assez long pour que des solutions soient envisagées, du moins si l’humanité ne se laisse pas aller au défaitisme ou à l’évasionnisme. Sous l’impulsion des Nations Unies, le programme Colmateur est ainsi mis en place : quatre individus – un ancien secrétaire d’État américain à la défense, un ex-président vénézuélien, un chercheur britannique et un quidam chinois — bénéficient de moyens illimités pour trouver des stratégies secrètes permettant de vaincre les Trisolariens. Le Chinois, c’est Luo Ji, qui ne sait pas pour quelles raisons on l’a choisi. De plan, il n’en a guère non plus. De toute façon, impossible d’en parler : les intellectrons, ces « protons intelligents » envoyés par Trisolaris, surveillent tout ce qu’il se fait. Et si les Trisolariens, incapables de différencier la pensée de la parole, ignorent de ce fait le mensonge, ce n’est pas le cas de leurs sympathisants humains réunis dans l’Organisation Terre-Trisolaris : leur riposte consiste à associer à chaque Colmateur un Fissureur, chargé de le comprendre et de le briser. Mais Luo Ji sera son propre Fissureur. L’humanité a-t-elle encore une chance ? Surtout quand les Fissureurs triomphent un à un des Colmateurs et que la seule chose que fait Luo Ji est… rien.

Épais pavé, La Forêt sombre exacerbe les défauts du Problème à trois corps : le roman est long et bavard, parfois jusqu’à l’excès, en particulier dans sa première moitié. Les protagonistes demeurent encore trop lisses, et les rares personnages féminins sont traités avec un romantisme confinant souvent à la mièvrerie. Enfin, sur quelques points de détail, il faut parfois suspendre son incrédulité plus qu’à l’accoutumée (toute proportion gardée pour un roman de genre).

Il n’empêche : ces défauts mis à part, La Forêt sombre ne manque pas de souffle ni d’ambition, et cette suite au Problème à trois corps finit par emporter le morceau. Dans un contexte de fin du monde quasi imminente, les différents types de réponses (sociales, militaires, etc.) à l’invasion d’un ennemi surpuissant sont passées en revue en profondeur. Si les deux premières parties du roman traînent certes en longueur, la dernière, plus orientée vers l’espace, s’avère brillante, avec un lot de scènes et de réflexions saisissantes. Dans les premières pages, Liu Cixin énonce les deux axiomes de la cosmosociologie (survivance et croissance dans un univers aux ressources finies), et propose en fin de compte une réponse extrêmement décourageante au paradoxe de Fermi – c’est d’ailleurs de cette réponse que provient le titre du roman.Le Problème à trois corps s’achevait sur une note sombre ; La Forêt sombre se termine sur un statu quo fragile, qui donne envie de lire au plus vite le troisième et dernier volet de la trilogie.

Faux-semblance

Nouvelliste fort peu prolifique, Olivier Paquet a publié une grosse quinzaine de textes en près de vingt ans. Dans un format rappelant les recueils de Jean-Claude Dunyach chez le même éditeur, Faux-semblance réunit quatre nouvelles, trois parues dans la défunte revue Galaxies, entre 2000 et 2003, ainsi qu’une inédite, le tout introduit par une intéressante préface signée Xavier Mauméjean.

Les trois premiers textes plongent le lecteur dans des situations de conflit. « Synesthésie » voit l’humanité confrontée à une belliqueuse race extraterrestre, les Arkosiens. Ceux-ci n’apprécient guère que les humains s’implantent dans leur galaxie via une Porte TransUnivers, et veulent un accès à ce moyen de transport. Problème : la Porte est capricieuse et nécessite des efforts de compréhension. Des efforts, le gouverneur de cet avant-poste, doué de synesthésie – ce mélange de sens où, par exemple, un son s’interprète comme une odeur – est disposé à en faire, mais cela sera-t-il le cas de son homologue, la diplomate arkosienne ? Nouvelle couronnée par le Grand Prix de l’Imaginaire en 2000, « Synesthésie » est un plaidoyer pour la paix et la compréhension entre les peuples, hélas plombée par une écriture un peu trop maniérée. Le même reproche s’applique à « Rudyard Kipling 2210 », hommage à l’écrivain britannique. Le fond est convaincant, la forme moins. Dans ce récit, l’humanité s’oppose à nouveau à une race extraterrestre, les Rôdeurs. Quelle que soit l’époque, on aura toujours des fantassins ; justement, le boulot de Kipling est d’identifier les soldats tombés au front. Un jour se présente à lui l’épouse d’un soldat défunt, qui a besoin de faire son deuil… Retour sur Terre avec « Cauchemar d’enfants » : on dit souvent que ce sont les enfants qui font la loi. Une déclaration à prendre ici au pied de la lettre, car dans cette société, les rênes du pouvoir appartiennent aux plus jeunes. Le lieutenant Dobrozumsky a un partenaire, le capitaine Lone, âgé de quatorze ans… Les voilà à enquêter sur le cas de la jeune Alice, onze ans, qui estime que ses parents ont failli à leurs devoirs. Un texte glaçant, qui frappe droit au but. Enfin, « Une jeune fille aux pieds nus » nous transporte au Japon, juste après qu’un tsunami a ravagé une ville. Hikaru, la jeune fille en question, erre parmi les ruines, jusqu’au moment où elle tombe sur un enfant, coincé dans un monceau de décombres. Trop en dire gâcherait ce récit délicat et assez touchant.

En somme, deux nouvelles de SF peu convaincantes, deux nouvelles fantastiques plus réussies. Pourquoi pas.

Guide de la SF et de la Fantasy

Pilier de la blogosphère francophone dédiée aux littératures de l’Imaginaire avec son RSF Blog, Karine Gobled avait déjà publié aux éditions ActuSF un Guide de l’uchronie, co-écrit avec Bertrand Campeis. En solo, la voici qui récidive avec un nouveau guide consacré, en toute simplicité, à la science-fiction et la fantasy, ainsi qu’aux autres genres et sous-genres de l’Imaginaire – fantastique, steampunk et uchronie…

De quoi retourne-t-il précisément ? Ayant pour ambition de faire découvrir les littératures de l’Imaginaire au néophyte, le guide entreprend d’abord de battre en brèche les idées reçues et les clichés. Les chapitres suivants passent ensuite en revue les grands genres : la SF, la fantasy, le steampunk, l’uchronie, proposant un bref historique suivi d’un guide de lecture de douze titres ou cycles/séries. Le dernier tiers de l’ouvrage quitte la littérature pour s’intéresser à tous ceux qui la font et la mettent en avant : les éditeurs, les bibliothèques spécialisées, les prix, les manifestations dédiées, les universitaires, les sites web, les blogueurs. De brèves interviews ponctuent l’ouvrage, achevant ainsi un panorama plutôt complet des littératures de genre dans l’Hexagone. Mission accomplie ? Presque.

Certes, on pourra toujours pinailler : outre une maquette austère, des énumérations un brin fastidieuses, un ton parfois scolaire et un risque de péremption élevé (certaines informations étaient déjà dépassées à parution), ce Guide contient aussi quelques petites erreurs et approximations, et certains des partis-pris s’avèrent discutables. Ainsi, pourquoi n’aborder le fantastique que via deux de ses créatures les plus connues, à savoir le vampire et les zombies : quid du reste, Lovecraft, Stephen King, Jean Ray ou Mélanie Fazi ? Pourquoi proposer des suggestions de lecture faisant la part belle aux classiques en fantasy, littératures vampirique et zombiesque, uchronie, steampunk… sauf en science-fiction, dont la sélection fait bon nombre d’impasses ? Pourquoi consacrer tant de place à certains genres ayant fait l’objet de petits guides séparés chez le même éditeur ? Mais y a-t-il là de quoi vouer le présent ouvrage aux gémonies ? Non, sans doute pas.

En fin de compte, ce Guide n’apportera pas grand-chose aux connaisseurs – hormis l’envie d’ergoter (mais obtenir l’unanimité sur un tel projet relève, justement, de la science-fiction). Ça tombe bien : l’ouvrage ne s’adresse pas à eux. Pour les amateurs ou les curieux, il s’agit là d’un petit livre recommandable, en dépit de ses défauts, d’autant que tous les autres guides sur les littératures de genre (Le Science-fictionnaire de Stan Barets, Le Guide Totem de la SF de Lorris Murail, Passeport pour les étoiles de Francis Valéry) sont épuisés et/ ou introuvables. Fans éclairés : offrez celui-ci à vos amis, à vos ennemis, à votre petit frère ou votre mère, à vos voisins ou aux premiers Témoins de Jéhovah venant toquer à votre porte, glissez-le en douce dans la poche de tous ceux qui croient ne pas aimer les littératures de l’Imaginaire — peut-être changeront-ils d’avis…

L'Âge d'or

En 2015, l’étonnant roman de Michal Ajvaz, L’Autre ville, était passé sous le radar bifrostien. Déambulation onirique et surréaliste dans une Prague à mille lieux de la capitale devenue trop touristique, ce troisième roman de son auteur (et premier à paraître en français) avait été récompensé par un Prix Européen des Utopiales. Deux ans plus tard, les éditions Mirobole ont publié son huitième roman (et donc deuxième à paraître en français), L’Âge d’or.

Bien après son retour à Prague, le narrateur du présent livre propose au lecteur une excursion sur une île égarée, sans nom, quelque part entre le Cap-Vert et les Canaries. Une île autre, si l’on se fie au titre original du roman (« L’Autre Île »). Drôle de bout de caillou, pas spécialement exotique ni paradisiaque, où les colons européens n’ont jamais réussi à imprimer durablement leur marque. Chez ses habitants autochtones, tout est fluctuant : l’identité, les noms, la langue, l’écriture, la gastronomie… Le hasard, les accidents, les erreurs, tous y sont essentiels. Les maisons ont des parois d’eau ; on cuisine sans feu, en laissant macérer les aliments. Le roi de l’île, élu, ne sert à rien ; les lois passent par le bouche à oreille, se déforment avant de revenir, peut-être, à leur aspect initial. Une utopie ? Si l’on veut. Le narrateur, exaspéré, a fini par quitter l’île.

Et puis il y a le Livre : l’unique livre de la culture de cette île, ouvrage collectif n’ayant rien à envier au Livre de sable borgésien. Dans ce livre qui se transmet de lecteur en lecteur, chacun est libre d’ajouter ou retrancher des pans de l’intrigue ; c’est un palimpseste insensé et foisonnant dont les récits s’enchâssent et jettent des passerelles entre eux, où chaque détail est susceptible de faire l’objet d’une longue digression. Et, peu à peu, le guide de voyage de cette île perdue se mue en retranscription de quelques-uns des récits composant ce Livre – des récits puisant au creuset des mythes et légendes, avec des princes et des princesses, des joyaux, des secrets, des vengeances, tour à tour drôles, grotesques ou effrayant – jusqu’à finir par prendre l’apparence du Livre en question, le narrateur se jouant de son lecteur. On pourrait comparer cet aspect de L’Âge d’or au Jardin des sept crépuscules de Miquel de Palol, qui n’a pas à rougir sous l’aspect du foisonnement et de l’enchâssement des récits, ou aux Insulaires de Christopher Priest, mais ce ne serait pas rendre justice au récit du Tchèque : Ajvaz a sa singularité, à nulle autre pareille – et donc précieuse.

Porté par une langue exquise et évocatrice, L’Âge d’or ne laisse d’intriguer. Foin d’exotisme facile mais dépaysement assuré. Au lecteur de décider s’il accepte de lâcher prise et d’être emporté par la prose onirique de Michal Ajvaz. Même s’il peut en laisser certains sur le bord du chemin, ce voyage vaut le détour.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug