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Le Cycle de la lune

Quand on parle d’Edgar Rice Burroughs (1875-1950) aujourd’hui, c’est généralement pour faire référence à Tarzan, plus rarement John Carter, mais presque jamais pour parler du reste de l’œuvre importante de cet écrivain prolifique et très populaire en son temps. Arrivé par hasard à l’écriture ou peu s’en faut, cet auteur américain connut une vie digne d’un aventurier, à l’image de ses récits, entre westerns, guerres et science, inspirant au passage un nombre incroyable d’écrivains, de cinéastes et de scientifiques.

L’idée qui donna naissance au « Cycle de la Lune » lui vint très tôt dans sa nouvelle (parmi tant d’autres) carrière d’écrivain. Commencée pendant la Première Guerre mondiale, la courte histoire à l’origine de la trilogie, « Under the Red Flag », fut refusée par les éditeurs, qui ne voulaient pas de récits guerriers en ces temps de paix retrouvée. Burroughs la garda donc en réserve, et y revint quelques années plus tard en l’intégrant à sa trilogie lunaire. Celle-ci, dont l’édition française est épuisée (et pour ainsi dire introuvable), parut en feuilletons à partir de 1923. Le premier regroupement des trois récits fut publié en 1926, mais amputé de près d’un quart de son contenu, et il fallut attendre l’édition posthume de 1962 pour pouvoir se plonger dans l’intégralité du texte.

Débutant à la fin des années 1960, le récit fait une étape dans les années 2050 et se termine en 2430, dans les pas d’un narrateur nommé Julian. Partant du postulat qu’ « Il n’y a pas de temps, pas de futur, seul maintenant existe », Julian nous raconte l’histoire de sa dynastie et ses aventures sous ses différentes incarnations.

Tout commence avec Julian V dans La Princesse de la Lune. Après la découverte des Martiens (ou des habitants de Barsoom, comme ils nomment eux-mêmes leur planète) par le célèbre John Carter, des solutions sont envisagées pour que les deux peuples puissent se rencontrer, le voyage interplanétaire semblant enfin rendu possible grâce aux dernières découvertes scientifiques. Las, la première expédition humaine envoyée vers la planète rouge, dirigée par Julian V, échoue. Saboté par un membre vindicatif et ivre de l’équipage, le lieutenant Ortis, le vaisseau est obligé d’alunir. Les explorateurs découvrent alors la jungle du satellite terrien et entrent en contacts avec les différentes peuplades autochtones… initiant au passage un conflit qui durera plusieurs siècles, entre civilisations lunaire et terrienne, entre les perfides Ortis et les braves Julians. Une guerre qui modèlera l’Histoire des deux mondes.

Que ce soit dans cette première partie, dans la deuxième, Les Conquérants de la Lune, ou la dernière, Les Héritiers de la Lune, où l’on suit respectivement Julien IX et Julian XX, le scénario respecte toujours les mêmes codes, entre pulp et récits d’aventures. Le héros, homme intelligent et intrépide, se retrouve en difficulté, rencontre une jeune femme belle et intelligente, la sauve ou est sauvé par elle, ils tombent amoureux, doivent se défendre contre l’ennemi de toujours, mais en sortent victorieux, après moult péripéties palpitantes. C’est désuet à souhait, parfois charmant. Et on se prend souvent au jeu, comme un enfant suspendant son incrédulité en découvrant ces « il était une fois » d’un autre monde et d’un autre temps.

Si on reprend le contexte de l’époque, la trilogie prend toute son ampleur de récit de SF, critique de la société et de l’Histoire en marche. Dans un monde perturbé et sans repères, sortant de l’un des plus grands conflits de l’époque moderne, Burroughs, entre Prohibition et années folles, pressentit les troubles à venir, les manifestations montantes des extrémismes de tout bord dans la civilisation occidentale. Ainsi, au-delà de la guerre entre la Lune et la Terre, comment ne pas remarquer dans Les Conquérants de la Lune une critique implicite du communisme ? Quand Julian lutte pour pratiquer sa religion au sein d’une société totalitaire qui tente d’effacer tout individualisme, qu’il se bat pour protéger sa famille des polices dictatoriales, pour défendre sa liberté d’expression, on devine le regard inquiet tourné vers l’Est d’un auteur visionnaire. Et dans Les Héritiers de la Lune, comment ne pas soupçonner le roman patriotique ? Quand la vie de Julian est celle d’un chef guerrier dans toute sa splendeur et ses doutes, les batailles et les morts qui jonchent les nombreux conflits sont comme autant d’avertissements contre l’horreur à venir, contre l’ennemi qui se prépare dans l’ombre. Même si la paix l’emporte finalement, même si l’aventure fait écran…

Le « Cycle de la Lune » compose donc une étape curieuse dans l’œuvre de Burroughs. Au-delà du premier niveau de lecture plutôt sympathique (et très old school) des aventures des héros, le message de l’auteur est direct, brut et catégorique : méfiez-vous de tout totalitarisme, soyez libres et indépendants. Un message atemporel, qui mériterait peut-être une réédition française…

Les Premiers Hommes dans la lune

Prépublié en feuilleton dans The Strand Magazine de décembre 1900 à août 1901, Les Premiers hommes dans la Lune est une des scientific romances chères à l’auteur anglais. Au canon de Jules Verne succède la cavorite, sans doute parmi les plus connues des matières inventées par la SF. Elle est l’œuvre du scientifique Cavor, savant génial mais un brin toqué, au risque de détruire entièrement son laboratoire. Il s’associe toutefois avec Befdord, un industriel qui entrevoit tout le bénéfice qu’il pourrait tirer de cette nouvelle matière. Car la cavorite permet rien moins que de s’affranchir de la gravité, ce qui a un intérêt économique évident. Mais, pour vérifier définitivement ses capacités, rien de mieux que d’expérimenter soi-même : voici nos deux acolytes embarqués dans une sphère recouverte de stores de cavorite, qu’on peut actionner différemment pour guider le véhicule. Après les bizarres sensations nées d’un voyage en apesanteur, les voici arrivés à proximité de la Lune. Ils décident alors de tenter le tout pour le tout et d’alunir ! Sur place, les surprises se succèderont : l’air est respirable ; lors du lever de soleil sur la Lune, l’astre se recouvre d’une végétation luxuriante invisible de la Terre ; enfin, si on n’a jamais observé de vie sur la Lune, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas… Car les Sélénites existent bel et bien, ils ont même développé une société complexe hyper codifiée,  et plus avancée que la nôtre à bien des titres… et tout cela dans des galeries souterraines !

Sans doute un brin moins connu que La Guerre des Mondes, La Machine à explorer le Temps ou L’Île du Docteur Moreau, Les Premiers hommes dans la Lune s’inscrit pourtant dans la droite lignée des précédents romans de Wells : une œuvre romanesque au contenu scientifique indéniable. Certes, tout n’est pas rationnel : la cavorite paraît un brin miraculeuse, la végétation et la vie sélénites semblent bien improbables, tant on aurait dû les observer depuis longtemps, même en 1900… Mais Wells ne néglige pas la plausibilité de son récit : le voyage de la Terre à la Lune se fait en apesanteur, dont les effets sont assez minutieusement décrits ; le port non-obligatoire du scaphandre est justifié scientifiquement (prends-en de la graine, Ridley Scott, toi qui as commis Prometheus !) ; et la civilisation sélénite est parfaitement cohérente, répartie en castes définies selon la fonction à assumer au cours de son existence. Même si on nage en pleine fantaisie, celle-ci repose sur un substrat crédible ; on n’oubliera pas de sitôt ces hommes-insectes à la tête disproportionnée ! Le plus intéressant tient certainement au fait que, bien que nous soyons ici dans un voyage extraordinaire que n’aurait pas renié Jules Verne — lequel est par ailleurs cité —, la destination s’avère tout sauf idyllique. La société lunaire est en effet une vraie dystopie, rigide, totalitaire, immuable ; on l’imaginera d’ailleurs sans mal comme une projection déformée de la vie anglaise de l’époque, et des craintes nourries par Wells quant au futur tel qu’il le prédisait. Ainsi le récit agit-il comme une alerte à destination de ses lecteurs : méfiez-vous de ce que vous voulez faire de votre société, car elle risque fort de finir comme celle que vous avez sous les yeux dans ce roman.

Pour finir, on signalera l’astuce finale de narration : racontée du point de vue de Bedford, l’histoire aurait dû s’arrêter lorsque celui-ci regagne la Terre, laissant derrière lui Cavor. Pourtant, ce dernier réussira à faire parvenir des nouvelles, et à laisser planer une ultime menace (qu’on retrouvera dans les pages du présent Bifrost, mais sous la plume d’un autre anglais, Stephen Baxter).

Publié à l’aube du XXe siècle, ce roman connaîtra une influence durable : adapté trois fois (par Méliès en 1902, Gordon et Leigh en 1919, Juran en 1964), il sera source d’inspiration pour C.S. Lewis dans Le Silence de la Terre, et la cavorite réutilisée à plusieurs reprises, par Vernor Vinge par exemple, ou encore dans La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Un classique.

Sur la lune

Bien que sous-titré « Un récit fantastique », Sur la Lune de Tsiolkovski peut être considéré comme l’un des textes fondateurs de la hard science. Deux personnages, égarés sur le satellite de la Terre, y font l’expérience d’une pesanteur six fois inférieure à celle de notre monde : les masses y connaissent donc un poids six fois moindre et, selon le principe fondamental de la dynamique, il est par conséquent six fois plus facile aussi pour l’être humain de les mettre en mouvement : ainsi, le narrateur et le physicien peuvent-ils à moindre coût se changer en hercules de foire ! Tsiolkovski ne se contente pas de montrer les conséquences étonnantes qu’implique la gravité inférieure de la Lune par rapport à celle de la Terre — qui préfigurent le saut géant du capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune de Hergé… et prophétisent ceux des astronautes d’Apollo 11 ! —, car en bon fondateur de la hard SF, il prend soin d’explorer d’autres dimensions du voyage lunaire. Sur la Lune, l’éclairage direct par le Soleil réchauffe la surface au point de la rendre brûlante — alors que la nuit est au contraire glaciale : on rappellera ici que si la Terre et la Lune sont à la même distance du Soleil, la température de la première est plus élevée grâce au léger effet de serre naturel de notre atmosphère.

La leçon de physique, de thermodynamique, de planétologie et même de biomécanique, dans Sur la Lune, a beau se révéler par moments naïve, elle ne manque pas d’intérêt tant Tsiolkovski cherche à tirer avec rigueur toutes les implications scientifiques de son hypothèse de fiction. Le texte prend ainsi la forme d’un quasi-dialogue entre le narrateur et son ami physicien, le premier jouant le rôle d’auditeur naïf et le second réalisant le gros du travail d’investigation scientifique : à quoi ressemble une éclipse de Lune vue… depuis la Lune ? Comment échapper à la cuisson instantanée dans l’environnement lunaire ? Etc. Si le diptyque lunaire d’Hergé et les enregistrements historiques des premiers pas de l’être humain sur la Lune ont popularisé les caractéristiques planétologiques les plus remarquables de notre satellite, disposer d’un récit de fiction explorant la Lune avec pareille ténacité ne manque pas d’intérêt. On pardonnera de fait volontiers à Tsiolkovski d’avoir justifié les quelques fragilités de son Sur la Lune par le recours facile au rêve lucide…

De la Terre à la Lune

C’est sur fond de guerre de Sécession que Verne ouvre son diptyque lunaire. Avec une ironie voltairienne, les premières pages de De la Terre à la Lune en soulignent notamment la destructrice modernité : « Au combat de Gettysburg, un projectile conique lancé par un canon rayé atteignit cent soixante-treize confédérés, et au passage du Potomac, un boulet Rodman envoya deux cent quinze Sudistes dans un monde évidemment meilleur. » De fatales prouesses que l’on doit aux membres du Gun-Club de Baltimore, une société savante réunissant des balisticiens émérites dont « chacun […] avait tué […] une “moyenne” de deux mille trois cent soixante-quinze hommes et une fraction. » Mais ces « Anges exterminateurs, au demeurant les meilleurs fils du monde » se trouvent fort dépourvus quand le conflit vient à cesser… Jusqu’à ce que Barbicane (président du Gun-Club, au patronyme logiquement guerrier) leur propose de tourner leurs insatiables canons vers une nouvelle cible : la Lune. Y envoyer un projectile lui apparaît comme l’unique défi à la hauteur du club en ce temps de « paix inféconde ».

Le projet soulève l’enthousiasme du Gun-Club puis des États-Unis tout entier. Enfin, c’est au tour du monde de s’enflammer, grâce à une campagne de presse planétaire. Ainsi informé, le Français Ardan se joint au projet. Digne exemple de cette furia francese promise par son vigoureux patronyme, Ardan suggère de transformer le boulet en nef spatiale, afin d’explorer le sol lunaire. Peut-être même, de le coloniser ! Emportant l’adhésion de Barbicane, le charismatique Français l’embarque avec lui ainsi que Nicholl — ex-militaire et fabriquant d’armes de son état — dans l’obus dûment aménagé. Se joignent à eux une chienne et quelques poules, seules représentantes du sexe féminin dans cette très mâle odyssée. Expulsé de la Terre par le plus énorme canon jamais construit, le projectile emmène bientôt ses passagers Autour de la Lune.

Objet intégral du second volet du diptyque, leur voyage interstellaire tourne court. Empêchés d’alunir par une rencontre imprévue avec une météorite, les trois astronautes doivent se contenter de survoler la Lune — d’assez près, cependant, pour permettre de « contrôler les diverses théories admises au sujet du satellite terrestre ». Puis l’obus reprend la direction de la Terre, y déposant ses occupants sains et saufs. Pourtant semi-victorieux, ils effectueront une tournée triomphale à travers les États-Unis, que l’ultime page d’Autour de la Lune dépeint ainsi : « L’apothéose était digne de ces trois héros que la Fable eût mis au rang de demi-dieux. »

Les « Voyages extraordinaires » doivent leur réussite à un équilibre entre envolées imaginaires et apports documentaires. C’est dans De la Terre à la Lune que Verne combine au mieux ces deux ingrédients, s’y montrant par ailleurs le plus remarquablement visionnaire. En imaginant une expédition lunaire plongeant ses racines dans la chose militaire, l’écrivain préfigure la place essentielle de celle-ci dans la future conquête de l’espace. Rappelons le rôle joué par von Braun (concepteur du V2) dans le programme Apollo, conçu par les USA comme une arme dans la guerre froide les opposant à l’URSS. Visionnaire, Verne l’est encore en faisant de la presse mondiale une actrice clef de son odyssée lunaire des années 1860 — comme le seront un siècle plus tard les médias modernes, érigeant le premier alunissage en retentissant événement planétaire.

Autour de la Lune séduit quant à lui beaucoup moins, faute d’un souffle narratif suffisant. Prisonnier de son souci de vraisemblance — la science de son temps ne lui propose aucune solution satisfaisante quant à un alunissage —, Verne décide de refuser la Lune à ses personnages. Un choix transformant Autour de la Lune en « un huis-clos, tenu dans un espace plus confiné encore que ne le sera celui du Nautilus », comme l’écrit Dahan dans sa notice. Dès lors, réduits à l’état de spectateurs, Barbicane, Nicholl et Ardan se contentent de vérifier à travers un hublot la conformité de leurs cartes lunaires avec le paysage s’offrant à eux. Le tout en des descriptions abondant en détails topographiques… Dès lors, le romanesque croule inexorablement sous la charge documentaire. Et Verne ne se révèle pas meilleur visionnaire que raconteur dans ce second volume. Autour de la Lune n’offre qu’un maigre lot d’intuitions science-fictionnelles. Tout au plus on retiendra la chute en mer de l’astronef, semblable à celle des capsules Apollo.

C’est un diptyque lunaire somme toute paradoxal qu’a imaginé Verne, car bien plus convaincant sur Terre que dans l’espace. D’une force science-fictionnelle inentamée, De la Terre à la Lune affirme que la conquête spatiale est une continuation de la guerre par d’autres moyens…

Histoire comique des États et Empires de la lune

Personnage littéraire de la fameuse pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac est aussi un personnage historique : soldat, il est contemporain de Louis XIII et vit le basculement de l’équilibre des pouvoirs en Europe, lorsque l’affaiblissement de l’Espagne consacre la supériorité militaire de la France ; lettré, il fréquente les cercles littéraires parisiens et rencontre peut-être Molière au cours de ses années de formation. La France profite alors de l’œuvre pacificatrice de Henri IV : si la Fronde bat sans doute son plein au moment de l’écriture des États et Empires de la Lune, les guerres de religion appartiennent au passé ; une fois terminé le dernier conflit nobiliaire de notre pays, celui-ci ne vit plus de troubles civils majeurs jusqu’à la Révolution. De Bergerac connaît ainsi un environnement social quelque peu pacifié — à défaut d’être pacifique —, et donc propice à l’expression d’idées nouvelles. Il n’y a de fait rien de surprenant à voir sa fiction lunaire adopter les codes du conte philosophique et de la satire sociale.

Même si l’objet du voyage de Cyrano de Bergerac est un corps céleste, il serait difficile de qualifier son séjour lunaire de science-fiction : le transport se fait dans des conditions guère moins réalistes que celles qu’invoque un Baron de Münchhausen cent trente ans plus tard dans son propre récit spatial. La vraisemblance scientifique n’intéresse en effet pas l’auteur des États et Empires de la Lune : si l’hypothèse initiale — celle d’une nature matérielle de la Lune et de sa position dans le système qu’elle forme avec la Terre — est valable, elle n’est introduite en tant que telle qu’à des fins philosophiques. Libertin (dans l’acception du xviie siècle), de Bergerac formule cette hypothèse à des fins provocatrices : imaginer que « la Lune est un monde […] à qui le nôtre sert de Lune » revient à dénier à la Terre son caractère de spécificité dans l’œuvre de création divine. La démonstration de l’auteur est appuyée par sa description d’une société de sélénites quadrupèdes : à l’absence de spécificité de la Terre dans le concert universel va répondre celle de l’espèce humaine dont le plan d’organisation ne représente en rien un optimum, puisque les habitants de la Lune se révèlent plus anciens et plus avancés que ceux de notre propre monde.

Si le monde lunaire et la société qu’il abrite sont originaux, et même fantastiques — certains personnages relevant d’une réalité transcendante —, ils ne constituent pas pour autant une utopie. Cyrano n’est presque jamais reconnu par ses interlocuteurs sélénites comme un être doué de conscience et de raison : sa bipédie le fait même considérer comme un animal extraordinaire qu’il est bon de garder en cage pour l’amusement des puissants de la Lune ! La société de celle-ci est donc, à sa façon, tout aussi imparfaite que celle de la Terre, puisque la raison n’y règne pas. Une leçon somme toute assez pessimiste qu’administre l’auteur de ce court texte : même les plus avancées des sociétés demeurent soumises aux superstitions — un constat qui reste aujourd’hui on ne peut plus pertinent… Bravo !

L'Homme dans la lune

Évêque anglican né une petite vingtaine d’années après la mort de Nicolas Copernic (1543), contemporain de Johann Kepler et Giordano Bruno, décédé une dizaine d’années avant la naissance d’Isaac Newton (1642), Francis Godwin (1562-1633) est l’auteur d’un catalogue d’évêques, d’études historiques… et d’un roman de proto-science-fiction paru de façon posthume : L’Homme dans la Lune.

« Ô Lecteur, tend l’Oreille et prépare-toi à entendre l’Aventure la plus étrange survenue à un Mortel. »

Le récit se présente comme le compte-rendu d’un gentilhomme espagnol, Domingo Gonsales. Forcé de quitter son pays à la suite d’un duel, Gonsales se retrouve sur l’île de Sainte-Hélène. Là, il entreprend d’apprivoiser des gansas, des sortes d’oies, et se fabrique une nacelle tirée par les volatiles. Suite à diverses péripéties sur le chemin du retour vers l’Espagne, Gonsales se retrouve à son corps défendant emmené vers la Lune par son attelage de gansas

Par l’entremise de son narrateur, Godwin se fait le porte-parole des théories de Copernic : l’ascension de Gonsales vers la Lune est l’occasion de s’interroger sur le mouvement apparent des astres et leur vitesse, de l’attraction gravitationnelle de la Lune et de la Terre, ainsi que de la transmission de la chaleur dans un espace dépourvu d’air. Autant de notions qui nous semblent tomber sous le sens, mais qui n’étaient pas encore universellement acceptées à l’époque. Après onze jours de voyage, Domingo arrive sur la Lune et la voit sous son véritable aspect : essentiellement couverte d’eau, elle comporte un unique continent. Autre monde, autres couleurs : celles-ci sont littéralement indescriptibles. Ici, tout est vingt à trente fois plus grand que sur Terre. Gonsales rencontre bientôt les gigantesques habitants de la Lune, qui s’expriment dans une langue musicale compliquée, et découvre leur société idéale : sur ce monde pastoral plongé dans un printemps perpétuel, on mange peu, on vit longtemps, les femmes sont belles, la fidélité fait loi, et les cadavres ne se décomposent pas ; de plus, les larcins sont inconnus. Peut-être cette harmonie est-elle due à cette vilaine astuce : les Lunaires se débarrassent de leurs rejetons imparfaits en les envoyant sur Terre. Inquiet pour le bien-être de ses gansas, Domingo décide de revenir sur son monde natal après quelques mois — le récit se poursuit par l’atterrissage en Chine, pour une poignée d’aventures d’un intérêt secondaire.

L’Homme dans la Lune saura inspirer une cohorte d’auteurs, à commencer par Cyrano de Bergerac. Au-delà de son aspect picaresque, qui rend la lecture toujours plaisante (pour peu que l’on soit amateur de curiosités), le récit vaut pour les aspects scientifiques liés au voyage spatial de Gonsales, audacieux pour l’époque de publication, et pour la description de l’utopique société lunaire. Une œuvre somme toute étonnante de la part d’un ecclésiastique, prouvant que, parfois, science et religion peuvent faire bon ménage.

Le Songe

Aussi important que méconnu, Le Songe ou Astronomie Lunaire est l’œuvre de Johann Kepler, une figure plus célèbre pour sa place dans l’histoire des sciences que dans celle de la fiction. Né en 1571, contemporain de Tycho Brahe — dont il fut l’assistant — et de Galilée, Kepler révolutionna avec eux l’astronomie, notamment avec les trois Lois portant son nom. Publiées entre 1609 et 1618, elles démontrent, entre autres, le caractère elliptique de l’orbite des planètes autour du soleil. S’imposant comme un des inventeurs de la modernité scientifique, Kepler peut aussi être considéré comme un des fondateurs de la science-fiction. Peut-être même le créateur du genre ? C’est en tous cas l’avis de l’universitaire Michèle Ducos. Dans sa riche introduction au Songe, elle le qualifie en effet de « premier récit de science-fiction au sens propre du terme ». Car l’ouvrage se démarque des précédentes fictions séléniennes par sa combinaison inédite d’éléments fictifs et documentaires.

Pareil mélange caractérise d’emblée Le Songe. S’incluant lui-même dans son récit, Kepler l’ouvre de la sorte : « une nuit, après avoir contemplé les étoiles et la Lune, je me mis au lit et m’endormis profondément. Dans mon sommeil, je crus lire un livre apporté de la foire ; en voici le contenu. » Cette lecture onirique fait connaître à Kepler l’existence de Duracotus et de ses extraordinaires découvertes. L’Islandais Duracotus est le fils de Fiolxhilde, une magicienne. Au terme d’une enfance sorcière, il quitte son île. Sa route l’emmène au Danemark, où il croise celle de Tycho Brahe. Devenu son disciple, Duracotus s’initie à « la plus divine des sciences », l’astronomie. Regagnant ensuite sa « patrie semi-barbare », il y retrouve sa mère. Elle le met en contact avec un esprit, un « démon » qui lui décrit un monde extraterrestre du nom de Levania. Il s’agit en fait de la Lune, dont il décrit non seulement les contours, mais aussi les créatures la peuplant. Celles-ci se répartissant entre Subvolva, le versant de la Lune visible depuis la Terre, et Privolva, sa face cachée…

Rien moins que fantastique, ce récit du démon est en réalité scientifique. Composant ainsi l’astronomie lunaire promise par le titre, il synthétise l’ensemble des connaissances à la disposition de Kepler. Selon l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet — qui a consacré à Kepler deux romans —, sa « description des mouvements de la Terre dans le ciel est fondée sur l’hypothèse héliocentrique de Copernic ». Et c’est encore « en fonction de données astronomiques que Kepler détermine une “géographie lunaire” » (Michèle Ducos), impliquant notamment l’existence d’un équateur divisant l’astre en hémisphères. Un même esprit scientifique règne quant aux éléments les plus (apparemment) extravagants de cette astronomie lunaire. Ainsi, les Sélénites mis en scène par Le Songe « sont fondés sur des analogies à base d’hypothèses » (Jean-Pierre Luminet). Des conjectures que Kepler prend le soin d’expliciter par 223 notes émaillant son texte, ainsi qu’un « Appendice géographique ou, si l’on préfère, Sélénographique ». Plus longues que Le Songe lui-même, ces denses annexes en révèlent — y compris sous forme de schéma — tout le soubassement théorique.

Entamant Le Songe en 1609, Kepler y travaillera jusqu’à sa mort en 1630. Publié en 1634, l’ouvrage irriguera la littérature lunaire à venir, notamment chez Jules Verne et H.G. Wells. Une postérité qui atteste de l’importance de ce Songe, à plus d’un titre fondateur.

L'Histoire véritable

Tel Ulysse, Lucien part un jour en voyage d’exploration avec un groupe d’aventuriers afin de découvrir le bout de l’Océan et rencontrer des peuplades inconnues. Or, beaucoup à l’époque (iie siècle de notre ère) voyaient en la Terre une assiette plate flottant sur l’Océan (quand le dieu de la mer Poséidon s’énerve, il la frappe et provoque les désastres). Un Océan qui, de fait, à son extrémité, est en contact avec le Ciel — ce qui s’avère pratique pour s’envoler et atterrir en quelques jours sur la Lune. Aussi, après avoir franchi les colonnes d’Hercule et découvert une île fabuleuse où les rivières charrient du vin et où les poissons en sont imbibés, Lucien est pris dans un fort courant aérien. Sept jours de voyage dans les airs, et le voilà sur notre satellite, dont le roi est Endymion, ancien amant de Séléné, déesse de la Lune. Une guerre se prépare contre le Soleil et son roi Phaéton pour la possession de l’Étoile du Matin. Lucien et sa troupe y participent, évidemment, au milieu de combattants tous plus étonnants les uns que les autres.

Pour impressionner le chaland, bon nombre d’auteurs de l’époque avaient tendance à donner pour vraies de parfaites inventions, à enjoliver les choses, ou à reproduire sans être allés eux-mêmes vérifier des informations pour le moins surprenantes — telles ces fourmis grandes comme des chiens, transportant leur or dans des coffres, ou ces habitants de contrées lointaines vivant des parfums respirés. Aussi Lucien, en réaction, écrit deux courts textes d’aventures truculentes et fantasques — l’Histoire véritable et l’Icaroménippe — où, comme il le dit lui-même dès le titre et dans les premières pages, tout est faux, bien sûr.

Le récit est donc avant tout un jeu littéraire : il s’agit pour le lecteur de reconnaître les très nombreuses citations ou emprunts faits à la littérature d’imagination de l’époque afin de s’en moquer et les ridiculiser. Évidemment pour nous autres, du xxie siècle, cela tombe parfois à plat. Les écrivains cités nous sont connus, mais certains de leurs écrits ne nous sont jamais parvenus, si ce n’est sous la forme de bribes ou de citations plus ou moins complètes. Il reste cependant Homère, Xénophon ou Hérodote, plagiés à tour de bras — rappelons que pour les Grecs, le plagiat était considéré non comme un vol, mais comme une marque de culture…

Au-delà de cet aspect littéraire, on peut tout à fait lire l’Histoire véritable sans être un spécialiste des mondes antiques, car c’est avant tout une suite de récits flamboyants et distrayants, même près de deux mille ans plus tard. Lucien y invente des peuples fantasques — les Colokynthopirates (pirates aux navires en forme de coloquintes) affrontent les Caryonautes (marins sur coques de noix), les Psyllotoxotes (archers montés sur puces) guerroient contre les Caulomycètes (hoplites en forme de champignons) —, et concocte sans cesse de nouvelles situations rocambolesques — les marins visitent le pays des morts, où ils rencontrent les anciens protagonistes de la guerre de Troie, et l’un d’eux tombe à son tour amoureux de la belle Hélène — qui s’enchaînent à une rapidité folle. Impossible de s’ennuyer. D’autant que l’Histoire véritable donne une impression de déjà-vu, tant d’autres écrivains s’en sont inspirés par la suite : Thomas More et Rabelais, Cyrano de Bergerac et Voltaire, Swift enfin. Même le Pinocchio de notre enfance n’est pas loin, quand Lucien et ses hommes font malgré eux un séjour dans le ventre d’une baleine.

L’Histoire véritable s’avère une lecture indispensable pour tout amoureux de la Lune et pour tout lecteur de SFFF. Disponible à un prix modique, qui plus est : plus aucune excuse pour ne pas franchir le pas.

Défaillances système

Déjà bien connue des lecteurs des éditions L’Atalante, l’écrivaine américaine Martha Wells a récemment été couronnée par les prix Hugo, Nebula et Locus de la meilleure novella pour Défaillances Systèmes. Ce court récit de 122 pages est depuis devenu le point de départ d’une série nommée « Journal d’un AssaSynth » que L’Atalante, certainement bien encouragé par le succès de la fameuse collection « Une heure-lumière » des éditions du Bélial’, a décidé de publier entièrement d’ici octobre prochain — soit un total de quatre novella, ce qui fait tout de même, pour peu qu’elles soient toutes proposées au même prix, un ensemble de la taille d’un roman classique pour 43,60 euros…

Dans ce premier opus, notre narrateur, un androïde de sécurité (ou SecUnit), nous explique comment son expédition au cœur d’une planète lointaine l’a amené à pirater son propre module superviseur chargé, en théorie, de le plier à la volonté de ses maîtres et d’en faire un serviteur docile. Même si les humains qui l’accompagnent ignorent cette émancipation dans un premier temps, il se trahit rapidement lorsqu’il doit voler au secours de deux des scientifiques aux prises avec une mystérieuse et monstrueuse créature surgit du sol. Une surprise d’autant plus désagréable que la planète était classée comme sans danger par la Compagnie. Interrompant ses activités récréatives, AssaSynth, notre cyborg narrateur, comprend vite que quelque chose cloche et que ses collaborateurs humains risquent la mort à tout moment car… quelqu’un les a trahis !

Texte court, donc, et scindé en huit chapitres qui ne laissent aucun temps mort aux lecteurs. D’autant plus qu’AssaSynth s’avère vite un narrateur drôle et cynique goûtant peu la compagnie des humains, qui l’embarrassent, ni non plus celle de ses propres congénères androïdes, qui n’ont rien à faire de lui. Plus intéressé par sa série télévisée Apogée et déclin de la Lune sanctuaire — en fait un soap de bas étage —, notre androïde mi-biologique mi-machine finit tout de même par se prendre d’amitié pour le Dr Mensah. Son interaction avec les autres humains, ainsi que sa volonté increvable de vouloir décider par lui-même, rendent AssaSynth absolument délicieux à suivre. Martha Wells, non content d’avoir trouvé là un personnage principal prometteur et attachant, construit en arrière-plan un univers ultra-connecté où les aspects humains les plus vils n’ont pas disparu, bien au contraire. Efficace dans ses scènes d’actions comme dans son humour et son message politique, Défaillances systèmes se dévore à toute vitesse. Même si l’on se demande bien ce que nous réserve la suite de la série (et comment elle pourra éviter la répétition), ce premier opus laisse au final une excellente impression qui ravira tous les fans de SF désireux de ne pas sacrifier la qualité sur l’autel du divertissement pur et dur.

Sur Mars

Paru une première fois aux défuntes éditions Nicolas Chaudun, Sur Mars – récit de voyage en terre rouge a bénéficié d’une réédition amendée chez « l’agence de voyage littéraire » 1115 en ce mois de mars (forcément). Le titre de ce court roman indique bien le projet : raconter l’aventure de la première expédition humaine en direction de Mars. En mai 2025, profitant d’une fenêtre de tir adéquate, ils sont six, deux femmes et quatre hommes, d’une quarantaine d’années ou plus, issus de diverses nationalités — on ne saura pas lesquelles, l’intérêt est ailleurs —, à quitter la planète bleue pour notre rouge voisine. Leur mission sur place : préparer les suivantes, en vue d’une colonisation ultérieure. Le narrateur, anonyme, tient un journal ; cette expédition est pour lui une manière de rendre hommage à son père, graveur. Et s’il ne trouve pas de vie martienne, peut-être y rencontrera-t-il tout de même l’amour.

En une petite centaine de pages, ponctuées par des photographies aériennes de la surface martienne, Arnauld Pontier nous raconte cette aventure humaine et scientifique, très référencée — que ce soit du côté des œuvres inspirées par Mars (pensez Bradbury, Burroughs et les autres) ou des découvertes apportées par les sondes arpentant sa surface. Les descriptions détaillées de la planète rouge — pour ainsi dire, on y est — sont le point fort de l’ouvrage. Sous cet aspect-là, l’immersion est réussie. Néanmoins, on sait que l’atmosphère martienne est pour le moins ténue, et cette novella pâtit justement d’un léger manque de souffle qui lui empêche d’emporter totalement l’adhésion.

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