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Épouvante et surnaturel en littérature

En 1925, à peu près au milieu de sa vie d’écrivain, Lovecraft reçut de son ami Paul Cook (pas le batteur des Sex Pistols) la commande d’écrire un article sur « les éléments de terreur et d’étrange dans la littérature ». En fait d’article, Lovecraft écrira un essai de plus de cent pages, certainement l’un des plus complets et marquants sur la littérature surnaturelle, qu’il ne cessera jamais de réviser jusqu’à sa mort. Lovecraft y procède à une recension, exhaustive ou presque, du genre jusqu’à son époque. Il y pose aussi quelques-uns des principes qui guident sa propre écriture. Le connaisseur d’HPL y reconnaitra enfin, dans quelques-uns des résumés, certaines des sources d’inspiration du maître de Providence.

« L’histoire étrange typique de la littérature est un enfant du XVIIIe siècle ». C’est parce que Lovecraft l’analyse ainsi qu’après quelques rappels historiques, remontant jusqu’à l’Antiquité gréco-latine, il commence son essai par les premiers vagissements du Gothique, singulièrement par Le Château d’Otrante d’Horace Walpole. Malgré les nombreux défauts formels qu’y pointe HPL, c’est pour lui le point de départ d’un mouvement qui conduira au « Weird » contemporain. De cette racine, HPL développe l’arbre généalogique du Gothique, passant par Ann Radcliffe, Matthew (Gregory) Lewis, Charles Maturin, et bien d’autres encore. En dépit de la qualité qu’il juge globalement faible de ces écrits, il pointe justement la « montée en gamme » qui marque le genre, comme si chaque auteur, parmi les mémorables, partait du niveau de ses prédécesseurs pour aller un peu plus loin, le Melmoth de Mathurin, loué par de très nombreux littérateurs du XIXe siècle, étant peut-être le chef d’œuvre du genre.

Le Gothique donna l’impulsion dont avait besoin l’horreur surnaturelle pour se développer. Dans la foulée de ce mouvement naquirent donc le Frankenstein de Mary Shelley et les ouvrages de Le Fanu ou Stevenson, entre autres, ainsi que, plus tard, les magistraux Dracula de Bram Stoker et Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.

De pays en pays, sans oublier la France de Baudelaire ou Maupassant, HPL emmène le lecteur au long de sa vision encyclopédique d’un genre qu’il connaît parfaitement ; un voyage passionnant, car très complet, au cours duquel on voit combien d’auteurs, connus pour d’autres choses, se sont essayés à l’étrange.

HPL développe longuement l’œuvre des auteurs qui lui semblent les plus importants et dont il s’inspira plus ou moins directement.

Un chapitre entier est donc consacré à Poe, clef de voute du genre horrifique pour HPL en ce qu’il synthétise et améliore ce qui s’est fait avant lui et sert de modèle à ceux qui lui succèderont.

Puis, de chapitre en chapitre, il traite en détail les auteurs qui l'ont le plus influencé. Ambrose Bierce et sa Mort d’Halpin Frayser ; Robert Chambers, auteur du Roi en jaune, par là-même père d’Hastur ; W. H. Hodgson dont la Maison au bord du monde ou Le Pays de la nuit offrent des aperçus d’espace et de temps incommensurables ; Arthur Machen dont Le Grand Dieu Pan lui ouvrit l’alphabet Aklo ; Algernon Blackwood, qui poussa à l’extrême, notamment avec « Les Saules », la vision lovecraftienne d’une littérature étrange qui est d’atmosphère plus que de faits. Et enfin Lord Dunsany et Montague Rhodes James, le premier touchant bellement cette vison « cosmique » que HPL considérait comme une composante essentielle de la littérature étrange dont il voulait parler, le second pour savoir si bien faire jaillir l'horreur et la peur du quotidien. Deux auteurs qui évoquent le recto et le verso de l’étrange tel qu'on le rencontre dans Les Contrées du rêve, où coexistent cités de marbre blanc et cavernes grouillantes de goules, paysages fantastiques et monstruosités à l'affut — le sublime et l'horreur.

On sort de cette lecture enrichi, ayant appris et compris. « Suggérer assez, et dire le moins possible », fut la règle cardinale de l’écriture d’HPL, il l’énonce ici, ainsi que cette autre, qu’il déduit de M.R. James et qu’il fera sienne : « Une histoire de fantôme doit être située à l’époque moderne dans un environnement familier, ses manifestations doivent être malfaisantes, et le patois technique de l’occulte doit être évité. »

NB : Pour qui lit l’anglais, on ciblera Epouvante et surnaturel en littérature dans sa version VO annotée par S.T. Joshi.

Les Contrées du rêve

Il est difficile d’écrire une seule chronique des Contrées du rêve ; à vrai dire il en faudrait deux : une pour les nouvelles du début, une autre pour la novella « La Quête onirique de Kadath l’inconnue » et ses trois surgeons. Tentons l’impossible.

Dans Les Contrées du rêve, on suivra, au fil des nouvelles, des quêteurs oniriques, maltraités par le monde de l’éveil, souvent nostalgiques d’un passé plus heureux, celui de l’enfance ou de l’époque paisible d’avant la modernité, qui trouvent refuge et consolation dans le monde magique et terrifiant né de leur esprit. Ces rêveurs sont des créateurs d’univers ; ils n’ont jamais perdu ce pouvoir en vieillissant ; ils n’ont jamais cédé à ce désenchantement que décrivait Weber à la même époque. Randolph Carter, auquel quatre textes — dont la novella — sont consacrés, en est l’archétype : même un temps perdu, il finit par retrouver son précieux accès au monde des rêves.

Guidé par le maître rêveur Lovecraft, alter ego de Carter, on part à la suite d’Iranon en quête de sa cité natale dont il doit redevenir roi, on défend le pays de Lomar sous l’œil hostile de l’Etoile Polaire, on assiste à la destruction de Sarnath l’orgueilleuse, on emboite les pas du mystérieux Hypnos à la recherche de paradis artificiels, on explore cette étrange maison dans la brume, dont nul ne revient inchangé, on embarque sur le bateau blanc pour un voyage à l’issue tragique le long des côtes superbes et terribles des Contrées du rêve, on assiste au drame de Kuranes, qui retrouva un rang que notre monde lui avait ravi en régnant à Celephaïs, on découvre qu’il n’est sage ni de s’attirer l’inimitié des puissants chats d’Ulthar, ni de chercher à voir les Autres Dieux.

Clé de voute du recueil, « La quête onirique de Kadath l’inconnue » est un long texte qui serait de la fantasy s’il ne prenait place dans un monde onirique. Au fil d’une grande épopée, Randolph Carter cherche Kadath, où vivent les Dieux, pour leur arracher le droit d’atteindre la cité du soleil couchant de ses rêves. Traversant mille contrées, combattant, s’alliant, rusant, tombant sans cesse de Charybde en Scylla sans jamais cesser de reprendre le contrôle des évènements, Carter est au centre de tribulations qui évoquent les Mille et Une Nuits, tant par le merveilleux omniprésent que par le rythme des déplacements, des alliances ou des conflits, mais aussi et surtout L’Odyssée ; Carter, comme Ulysse, résiste au chant des sirènes, finit par rentrer chez lui et découvre que tel était le but de sa quête.

Nourri de culture classique, Lovecraft décrit abondamment ses Contrées. Son style chargé, riche en adjectifs, emmène le lecteur dans un monde étranger proche parfois d’une Grèce antique cauchemardée. Riches matériaux, pierres précieuses, soieries, monstres, les Contrées sont baroques, démesurées dans la beauté comme dans l’ignoble. Couturées de gouffres noirs qu’il faut traverser pour avancer, elles unissent la nécessité de plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau à l’affirmation de la beauté troublante des charognes.

Les Contrées du rêve, recueil atypique, compile sans doute ce qui est le plus personnel dans l’œuvre de Lovecraft. Si ses nouvelles horrifiques, plus connues, disent beaucoup de ses croyances, les textes rassemblés ici nous parlent de son âme. Dans la lignée d’un Baudelaire bornant l’espace entre le poète et le vulgaire, Lovecraft décrit des personnages de rêveurs, inadaptés au monde, si amoureux de Beauté qu’ils pénètrent dans ces contrées oniriques où tout est fantastique, au sens le plus fort du terme, voire les façonnent, car qui est le poète si ce n’est celui qui crée des mondes merveilleux, uniques dans leur beauté, leur laideur, leur cruauté ou leur radicale étrangeté.

Dieu est mort, il revient aux rêveurs de créer le monde : « L’homme de Vérité est par-delà le bien et le mal », psalmodie une voix dans « A travers les portes de la clé d’argent ».

Un recueil indispensable pour qui veut vraiment ressentir Lovecraft.

Contes et nouvelles

Cette série rassemble les textes de Lovecraft écrits en son nom propre, et n’appartenant ni au « Mythe de Chtulhu », ni au « cycle » des Contrées du rêve. Il s’agit donc d’un ensemble hétéroclite, pour l’essentiel écrit durant les années 20, qu’on lira comme tel sans trop vouloir le comparer aux réussites majeures de l’auteur que peuvent être « La Quête de Kadath » ou « Les Montagnes hallucinées »… On y verra se déployer le talent de Lovecraft dans le domaine du fantastique, on le verra tâtonner à la recherche de son grand sujet (l’horreur cosmique, pour faire simple), et s’aventurer parfois dans des domaines plus inattendus.

On rassemblera ces textes en trois grandes veines : en premier lieu, le fantastique et l’horreur gothiques, dans la suite d’Edgar Allan Poe : surcharge baroque, odeurs méphitiques, ambiances morbides. Lovecraft est à l’aise dans ce re-gistre qui livre quelques perles : « La Tombe », beau texte nécrophile, et surtout « Je suis d’ailleurs », qui ne révèle que dans sa chute l’horrible position du narrateur. Certains textes explorent avec plus ou moins de succès des thèmes classiques : la malédiction familiale dans « La Tourbière hantée » (assez faible), puis dans « Les Rats dans les murs », autrement plus puissant, grâce à un substrat historique plus crédible. « La Maison maudite » est une variation sur la maison hantée, abordée par des personnages rationnels et scientifiques ; le récit de la veille des deux héros avec leurs appareils dans la cave de la demeure est tout à fait glaçant et réjouissant. On y trouve ce trait typique de l’auteur : ancrage dans une réalité historique (locale) et scientifique, absence de pathos, permettant une adhésion rationnelle au sujet. « Le Temple » possède un pitch très séduisant (un sous-marin allemand à la dérive découvre d’étranges ruines abyssales pendant que l’équipage sombre dans la folie), mais Lovecraft semble alors manquer de la maturité littéraire pour tenir son sujet, l’épopée technique face à l’inconnu — on est encore loin des « Montagnes hallucinées ». « De l’au-delà » est une tentative d’horreur scientifique (et si nous percevions la réalité au-delà de nos cinq sens ?) qui ne dépasse pas le cadre de l’anecdote, la vision hors des murs de la réalité n’a pas encore déployé toute son ampleur…

On ne peut passer sous silence « L’horreur à Red Hook », texte apparemment issu du traumatisme vécu par Lovecraft dans un quartier multiculturel de New York. Le récit est infusé d’un racisme assez répugnant, ce qui ne l’empêche pas de bien fonctionner, suivant le principe des meilleurs textes de l’auteur : une enquête révèle de nombreux éléments troublants qui, placés bout à bout, mettent au grand jour une horreur bien plus grande. On se permettra d’admirer la maîtrise narrative tout en tenant le propos à distance.

Cette nouvelle, tout comme « Les Faits concernant feu Arthur Jermyn », montre que le talent de Lovecraft se déploie sur des formes assez longues, permettant la création d’un contexte riche, ancré dans le passé de nombreux personnages. « … Arthur Jermyn » est une digression ample sur une étrange famille de fous et de dégénérés, liés à une antique cité africaine. La précision du récit, des témoignages, donne une puissante cohérence à l’ensemble, autorisant la fameuse suspension d’incrédulité. Le chroniqueur avoue aussi une petite faiblesse pour « La transition de Juan Romero », témoignage bref et hanté sur des évènements inexplicables et inexpliqués survenus dans une mine dont les ouvriers ont, peut-être, été confrontés à une mystérieuse entité souterraine.

« L’Image dans la maison déserte » se relie quant à lui aux récits de la vallée du Miskatonic. Campagne isolée, habitée par des fantômes du passé et d’étranges présences, on y ressent avec force l’amour de l’auteur pour son pays natal et on y lit, selon Francis Lacassin, la toute première mention de la ville d’Arkham.

Après les histoires d’horreur, une seconde veine se dessine avec les textes oniriques, ou « dunsaniens », pouvant pour certains se rattacher aux récits des contrées du rêve. Certains ne sont que des fragments, tentative d’expression d’une image ou d’une sensation (« Souvenir », « Ex oblivione », « Lui »), d’autres forment des récits plus élaborés. Je retiendrais personnellement « Hypnos », à l’imaginaire halluciné et baudelairien (d’ailleurs rattaché au cycle des Contrées du rêve dans sa nouvelle traduction), « Par-delà le mur du sommeil », tentative de description d'un contact, via les mondes du rêves, avec un Autre parfaitement étranger, et « Le Terrible vieillard », conte de Kingsport, moral et ironique. « Le Clergyman maudit » et « Le Livre », écrits bien plus tard, semblent être des essais explorant une voie plus introspective et plus personnelle…

Un troisième registre, pas le moins intéressant, est celui de l’humour. Avec « L’Indicible », Lovecraft ironise sur les écrivains abusant de cet adjectif (pour, finalement, prendre leur défense). « Dans le caveau » est une anecdote de fossoyeur, affreuse et très bien menée, et enfin « Herbert West, réanimateur » s’avère un feuilleton en six épisodes avec savant fou menant des expériences à la Frankenstein. Sous des oripeaux horrifiques, l’auteur se révèle ici franchement très amusant, par ses effets de non-dits et de répétitions.

Outre la lecture de quelques excellentes nouvelles, parcourir ce recueil de bric et de broc permet de voir un écrivain talentueux s’émanciper de ses maîtres (Poe, Dunsany…) et approcher en tâtonnant ses sujets les plus personnels. Car la sincérité de Lovecraft dans son œuvre est évidente : on y trouve ses peurs, ses angoisses, son amour de l’Histoire, de son pays natal, adossés à des rêves et des visions immenses.

L'Escargot sur la pente

Roman à l’histoire éditoriale mouvementée, tant en URSS qu’en France (paru sous forme de samizdat là-bas, et de manière tronquée sous nos latitudes), L’Escargot sur la pente est enfin disponible dans sa version intégrale auprès des lecteurs francophones — grâces en soient rendues à la collection « Lunes d’encre » pour sa réhabilitation des œuvres des Strougatski —, près d’un an après le décès du dernier des deux frères.

Dans L’Escargot sur la pente se confrontent deux mondes : d’un côté, la Forêt, dense, difficilement accessible, peuplée d’êtres étranges : des arbres sauteurs, des morts brûlants et des humains au cerveau embrumé. De l’autre, il y a l’Administration, surplombant la Forêt et chargée d’en faire l’étude, ou peut-être de la détruire, allez savoir. Philologue, Poivre travaille pour l’Administration et est censé l’étudier, justement. Son rêve est d’y mettre les pieds, bien que le credo de l’Administration affirme qu’il n’y a nul besoin de voir de près la Forêt pour l’étudier. À la suite d’un accident, Candide, lui, s’est perdu dans la Forêt. Recueilli par les habitants d’un hameau, il y végète depuis un temps indéterminé, mais chaque jour, il planifie pour le surlendemain de gagner la Ville — un chemin long et incertain, car personne ne le connaît… Ce qui n’empêchera pas Candide de découvrir ce qui se dissimule derrière les nombreux mystères de la Forêt.

L’Escargot sur la pente confronte deux romans, l’un symbolique, l’autre fantastique. Les chapitres concernant Poivre font la part belle à l’absurde, avec cette bureaucratie au fonctionnement insensé, qui semble se ficher totalement de son sujet d’étude. Poivre y est un rouage inutile, à la merci de directives aberrantes issues d’un chef invisible qui n’ont d’autres fins que de se situer dans la lignée des consignes antérieures. Le Château de Kafka n’est pas loin dans cette Administration, et on ne s’étonne aucunement que le roman des Strougatski n’ait pu être publié en URSS. Les chapitres dédiés à Candide forment un étrange récit d’exploration où pas grand-chose n’est ce qu’il paraît être ; progrès et sens inéluctable de l’histoire s’affrontent en douce dans les méandres marécageux. L’ensemble constitue un texte difficile d’accès, et la postface de Boris Strougatski n’est pas de trop pour en éclaircir les enjeux et livrer une proposition d’explication. Laquelle rattache L’Escargot sur la pente à ce qui fait la science-fiction : s’interroger sur le futur et la manière de l’appréhender.

À l’origine de L’Escargot sur la pente, il y a une novella, « L’Inquiétude », incluse dans le présent volume et qui s’intègre à l’univers du Midi — cet ensemble de dix romans (dont L’Ile habitée et Il est difficile d’être un dieu, réédités en « Lunes d’encre ») se situant dans un XXIIe siècle censément utopique. « Utopique » : pour cause de publication en URSS — la SF devant dépeindre un futur forcément radieux — ; et « censément » : la critique n’ayant jamais été loin chez les Strougatski.

Brouillon de L’Escargot… dont les frères Strougatski étaient peu satisfaits, « L’Inquiétude » relève explicitement de la science-fiction, et se révèle d’une lecture plus aisée. Si la moitié concernant la Forêt reste quasi identique, la moitié Administration change du tout au tout et, dans une veine proche de Stanislas Lem, traite de l’incommunicabilité avec une forme de vie autre. Ce roman et cette novella étant au fond des œuvres fort différentes l’une de l’autre, leur juxtaposition est d’un grand intérêt.

Devenu un classique en Russie, L’Escargot sur la pente, une lecture aussi riche qu’exigeante, naturellement des plus recommandable, prouve à nouveau que l’imaginaire à l’Est n’a rien à envier à sa contrepartie occidentale. Une fois la dernière page tournée, il n’est qu’une chose à faire : reprendre le livre au début, tâcher d’en débroussailler le sens, et gravir à nouveau la pente…

Maître de la matière

Après Jésus Vidéo (2001) et En panne sèche (2007), Andreas Eschbach nous revient avec un nouveau gros thriller lorgnant vers la science-fiction, couronné en Allemagne par le prix Kurd Laßwitz 2012 (comme les deux romans susnommés, et la moitié des œuvres de l’auteur…).

Au centre de l’intrigue de Maître de la matière, deux personnages, Hiroshi et Charlotte, qui ne vont cesser de se croiser au fil des années. Lui, japonais, est un frêle garçonnet suffisamment doué de ses mains (et de sa tête) pour construire tout ce qu’il veut, et a eu une idée pour rendre riche tout le monde. Elle, française, est la fille d’un ambassadeur pourvue du don de connaître le passé des objets en les touchant. Agés de dix ans, et alors que leur milieu respectif les oppose, ils se rencontrent à l’ambassade de France à Tokyo avant de se perdre de vue… et de se retrouver fortuitement à Boston, sur les campus du MIT et de Harvard. Tandis que Charlotte, étudiante en archéologie, continue d’évoluer dans les hautes sphères, Hiroshi trace son sillon dans la robotique. Ils se perdent à nouveau, mais se retrouvent une nouvelle fois sur une île de l’océan Arctique, au nord de la Sibérie, où vient d’avoir lieu un phénomène inexplicable dans l’état actuel des technologies…

L’idée géniale qu’a eu Hiroshi à l’âge de dix ans, c’est de créer des robots pour effectuer toutes les tâches pénibles. Avec le temps, il a développé son concept et tente de créer des essaims de nanorobots auto-réplicants. Pour devenir, non pas maître de l’univers, mais maître de la matière. Sans succès. Et voilà que sur cette île glacée, Charlotte et une équipe de climatologues ont mis à jour quelque chose qui s’apparente aux travaux d’Hiroshi. Sauf que ce dernier n’y est pour rien… Et que ce quelque chose, d’origine inconnue, se révèle terriblement dangereux.

L’histoire se déroulant sur une vingtaine d’années et plusieurs continents, la pose des jalons occupe tout de même les deux premiers tiers du récit, et il faut donc attendre le dernier pour que le roman décolle enfin. Néanmoins, les lecteurs s’attendant à être propulsé dans la stratosphère en seront pour leur frais. Comme avec ses précédents thrillers, Andreas Eschbach garde les pieds sur Terre et ne se focalise pas sur les thèmes proprement science-fictifs ou prospectifs (le voyage dans le temps pour Jésus Vidéo, l’après-pétrole pour En panne sèche). On peut en éprouver quelques regrets, car les perspectives entrouvertes sur l’avenir, la vie dans l’univers et la lointaine préhistoire humaine sont des plus passionnantes, et auraient sûrement mérité de plus amples développements. Au lieu de quoi, notre auteur a choisi de centrer son roman sur les personnages — surtout Hiroshi, délaissant quelque peu Charlotte et son étonnant don. Et là où les protagonistes de textes comme Jésus Vidéo ou Le Dernier de son espèce manquaient parfois d’un soupçon de naturel, ceux de Maître de la matière sonnent juste. De telle sorte que les chassés-croisés amoureux, prépondérants dans la première partie du roman, parviennent à ne pas lasser. Sans omettre des pistes de réflexion sur la richesse, les (in)égalités et les atavismes humains. Jamais plombant malgré son pessimisme certain, Maître de la matière se dévore d’une traite. Bref, une lecture hautement recommandable.

Terminal Mind

Philadelphie, dans un futur relativement proche marqué par la guerre des Hémisphères ayant modifié la donne géopolitique mondiale. La ville est coupée entre Bordiers — les riches, qui vivent sur les hauteurs, et ont accès à toute la technologie, notamment la chirurgie esthétique — et Combiers — les pauvres, donc, qui vivent sur les bords du lac. Trois garçons des deux classes, un peu désœuvrés, s’amusent en hackant des systèmes informatiques. Un jour, ils libèrent une entité électronique qui va causer des dégâts irrémédiables dans la cité. Cette « créature », c’est un cutter, ainsi appelé car il s’agissait à l’origine d’une personne, dont le cerveau a été découpé, les neurones étant ensuite recopiés dans une simulation numérique. Ce cutter va être au centre de la lutte de pouvoir voulue par son créateur, un docteur machiavélique prêt à tout pour arriver à ses fins : mettre la main sur la ville de Philadelphie, au bord de la guerre civile à mesure que Bordiers et Combiers s’opposent.

Terminal Mind a obtenu le Philip K. Dick Award en 2008 (ex aequo avec Adam-Troy Castro pour Emissaries from the Dead), prix créé pour récompenser le meilleur roman paru directement en poche, à l’image de l’essentiel de l’œuvre de Dick. Même si l’évolution des systèmes informatiques est au cœur de l’intrigue, avec ce concept de cutter, la vraisemblance informatique n’est pas la priorité de David Walton : on peine à croire à la plausibilité de tels progrès scientifiques dans un contexte post-apocalyptique ; en outre, aucune explication crédible ne nous est donnée sur le processus de création des cutters, et on assiste même à une scène surréaliste où une hackeuse réussit en une demi-heure à cracker un site dont la prestation consiste à garantir l’anonymat à ses clients ! Le contexte social s’avère lui aussi peu crédible : l’opposition entre riches et pauvres est esquissée à très gros traits. Rajoutez à cela des personnages pas toujours finement esquissés (le pompon pour Alastair Tremayne, savant fou dont l’aspect manipulateur est évident, ce qui ne l’empêche pas de se mettre dans la poche toute personne croisée) et des rebondissements un brin téléphonés, et vous obtiendrez ainsi un roman pas désagréable à lire, car bien rythmé, mais sans grand intérêt et vraisemblablement vite oublié.

Hell

Né à Osaka en 1934, Yasutaka Tsutsui écrit ses premiers récits sous l’influence d’écrivains tels que Dick ou Ballard, avant de s’affranchir de ses tutelles littéraires et verser dans une métafiction des plus personnelles. Couronné de nombreux prix dans son pays, il demeure en France peu connu du grand public malgré trois romans traduits. Une de ses œuvres bénéficie toutefois d’une renommée mondiale, et ce à travers son adaptation en anime : Paprika, de Satoshi Kon, est en effet inspiré d’un de ses romans.

L’enfer du titre, c’est le lieu dans lequel se retrouvent les protagonistes de ce livre : des morts débarqués dans une ville incertaine et qui, après la traditionnelle scène de déstabilisation initiale (« où suis-je ? »), se remémorent leurs existences passées, mais d’une manière détachée, sans sentiments. Aussi, lorsqu’ils croisent qui le patron l’ayant licencié, qui l’homme avec qui sa femme a couché, discutent-ils de manière posée, étalant leur biographie comme s’il s’agissait de celle d’une autre personne. Ce court roman fait de flashbacks suit plusieurs traces : celles d’un gang de yakuzas, dont les membres arpentent des voies diverses à la faveur d’une rencontre avec un autre clan ; celles d’un couple de sans-abris ; celles d’un infirme qui trouve dans son handicap un surcroît de motivation pour réussir sa carrière professionnelle, au mépris de toute considération pour les autres. Les trajectoires individuelles sont autant de faisceaux, tour à tour parallèles, convergents et divergents, qui tissent peu à peu une toile de dissertation dépassionnée — puisque de sentiments il n’y a point — sur l’existence, sur ce que l’Homme fait de sa vie, bien ou mal, et laisse derrière lui, sur la relation aux autres. Puis, soudain, la frontière entre l’enfer et le monde des vivants se fait poreuse, et tout est à reconsidérer…

Roman sans réel début ni fin véritable, ni même d’intrigue à proprement parler, comme si la forme se devait d’épouser le fond sur ce monde aux contours indéterminés, Hell risque de déstabiliser certains de ses lecteurs. Les autres sauront apprécier cette construction par accumulation d’existences, ce livre déroutant qui nous emmène loin de nos certitudes, dans un questionnement permanent, tour à tour drolatique et lugubre, sur l’essence humaine.

Complications

De Nina Allan, on n’avait pu lire jusqu’ici qu’une seule nouvelle, dans Lunatique n° 85. On passe au niveau supérieur, avec un recueil complet intitulé Complications, traduction du titre original The Silver Wind, auquel est venu se rajouter un texte (le premier du livre français). En horlogerie, une complication, c’est une fonction autre que celle de base d’une montre (à savoir indiquer l’heure) : donner la date, chronométrer, voire servir de boussole… Dans le recueil de Nina Allan, tandis que les montres jouent le rôle de machines transtemporelles, les complications concernent davantage les êtres humains et leurs relations. Au début, cela paraît simple : dans « Chambre noire », une femme qui fabrique des maisons de poupées aux pièces secrètes aide son ami, gravement malade, dans ses recherches sur un écrivain, Sylvester John, baptisé « le Lovecraft anglais ». Toutefois, dans « Le Char ailé du temps », le narrateur est Michael Newland, l’un des personnages de Sylvester John ; il nous présente sa famille, et notamment sa sœur Dora, dont il est amoureux, et qui finit par mourir d’une maladie. Heureusement, il peut la revoir une dernière fois grâce à la montre transtemporelle que lui a donnée son oncle. Puis vient « Gardien de mon frère »… et là on se rend vraiment compte des complications : le narrateur en est toujours Michael Newland… sauf qu’il n’a pas de sœur, mais un frère, Stephen, mort avant sa naissance tout en continuant à lui rendre visite régulièrement, tel un fantôme. On pressent alors ce que les nouvelles suivantes vont nous confirmer : la complication principale des montres qui parcourent ces pages, c’est de créer des univers parallèles dans lesquels Michael Newland va voir sa famille se recomposer à chaque texte. Mais tout cela reste davantage suggéré qu’explicité : chaque nouvelle a bien ses bizarreries, on nous y parle de machines transtemporelles, mais l’effet évident de ces instruments nous reste inconnu, car ils ne sont pas utilisés sous nos yeux. Il n’y a qu’en considérant les textes en regard les uns des autres que l’on décèle ces étonnantes recompositions de la cellule familiale, et que se tissent les fils reliant les différentes incarnations des protagonistes. Il en ressort une grande impression d’étrangeté, une ambiance extrêmement déstabilisante où l’on ne sait plus exactement comment est constituée la réalité, ni même s’il existe une réalité ou une multitude de plans parallèles isoprobables. Les protagonistes sont encore plus perdus que le lecteur car, du fait de la perméabilité de ces univers, ils ont parfois des réminiscences d’un ailleurs dont ils ne soupçonnent même pas l’existence. Peu à peu sourd ainsi de ces pages une sensation oppressante, que viendra matérialiser sur les dernières nouvelles un personnage sorti tout droit de l’univers de David Lynch. Entre-temps, on aura apprécié la profonde empathie de Nina Allan pour ses personnages, véritable sujet du recueil, et sa savante construction de ce mécanisme, complexifié à chaque nouvelle qui agit comme une nouvelle roue dentée rajoutée à l’ensemble. On précisera pour terminer que ces histoires d’univers parallèles jouant comme des vases communicants présentent quelques similitudes avec La Séparation, de Christopher Priest ; il n’y a donc rien de surprenant d’apprendre qu’Allan est par ailleurs la compagne dudit Priest… Ajoutez une pincée d’ambiance à la Ballard et vous saurez que ces Complications de Nina Allan constituent un très intéressant recueil, typique d’une certaine science-fiction britannique où les considérations scientifiques comptent moins que l’observation de leurs effets sur l’être humain.

Pucelles à vendre

[Critique commune à Pucelles à vendre et La Fabrique des monstres.]

Alma éditeur a publié au mois d’août deux ouvrages qui retiendront l’intérêt du lecteur des littératures de l’Imaginaire.

Le premier, Pucelles à vendre, est une enquête réalisée par William Thomas Stead, journaliste qui suivit l’affaire de Jack l’Eventreur et publia en 1892 dans la Review of Reviews une fiction anticipatrice sur un paquebot insubmersible, « Du vieux au nouveau monde », avant de succomber exactement vingt ans plus tard à bord du Titanic.

Lecteurs de « Sherlock Holmes », familiers des univers de « Chtulhu » : ici, enquête et horreurs sont atrocement vraies. Du lundi 6 au vendredi 10 juillet 1885, Stead publie dans la Pall Mall Gazette les résultats de son enquête sur la prostitution des pucelles. La majorité sexuelle féminine était alors fixée à treize ans, un homme pouvait faire ce qu’il voulait d’une fille dès lors qu’il obtenait son consentement. Encore faut-il s’entendre sur la validité de cet accord. Stead décrit l’attestation de virginité délivrée par des médecins complices. Les chambres insonorisées aux murs couverts de matelas capitonnés, afin que les victimes attachées par des liens ne soient pas entendues de l’extérieur, tandis qu’on les torture. Les descriptions s’enchaînent jusqu’à la nausée, état de la société victorienne à l’hypocrisie et l’indifférence permissives. Le scandale connaîtra un retentissement international et conduira au cours de cette même année la Chambre des Communes à élever la majorité sexuelle à seize ans. Stead ayant, pour les besoins de son enquête, acheté une jeune fille et obtenu un certificat de virginité, il fera l’objet d’une plainte pour enlèvement et séquestration d’enfant qui se soldera par une peine de trois mois de travaux forcés. L’enquête, motivée par le souhait de réveiller la conscience publique, est un témoignage stupéfiant de ce qui sera appelé le New Journalism.

Le second ouvrage, La Fabrique des monstres, les Etats-Unis et le FreakShow, 1840-1940, est un essai de Robert Bogdan sur le monde de la foire américaine et ses monstres.

Le monstre est une anomalie, qui vient perturber l’ordre apparemment naturel des choses. Il rompt le cours ordinaire, fait exception, s’oppose à la normalité humaine, à condition toutefois d’accepter que l’on puisse définir une norme.

« Le freak ne se définit pas par une qualité intrinsèque ; il renvoie plutôt à une représentation de soi, une manière de se mettre en scène, un point de vue », affirme Robert Bogdan, qui montre combien le phénomène du Freakshow est complexe : il ne suffit pas d’être monstrueux, encore faut-il le devenir, vouloir s’exhiber dans la peau d’un personnage : « Ça vous dirait d’être un géant ? » demande un imprésario à un type qui est seulement très grand.

Véritable attraction populaire qu’orchestrent Barnum, cirques itinérants et Dime Museums, le monstre marque l’intrusion de l’imprévu dans le réel, nous renseigne sur notre propre nature. Bogdan détaille la pseudo-vocation éducative de l’attraction de foire, avant que la science ne s’en empare via la pathologie. Largement illustré, ce splendide volume évoque les singulières histoires des « ambassadeurs de la planète Mars », en réalité des frères microcéphales, rappelle l’origine foraine du Geek, et présente l’inattendue dimension érotique des Ballyhoo et autre Blow off. Arnaque, gogo, boniment, chacun y trouve son compte. Un livre indispensable pour les admirateurs du film Freaks de Browning, ou du Charlatan de William Lindsay Greshman (« Série noire »).

Pour conclure, nous saluerons la cohésion éditoriale d’Alma, qui présente une problématique identique dans ses deux parutions : chosification du corps devenu objet (de désir et/ou de voyeurisme), qu’accompagne une vague caution scientifique et un balancement entre attirance malsaine et répugnance morale.

Deux livres qui trouveront leur place dans votre bibliothèque interdite.

La Fabrique des monstres

[Critique commune à Pucelles à vendre et La Fabrique des monstres.]

Alma éditeur a publié au mois d’août deux ouvrages qui retiendront l’intérêt du lecteur des littératures de l’Imaginaire.

Le premier, Pucelles à vendre, est une enquête réalisée par William Thomas Stead, journaliste qui suivit l’affaire de Jack l’Eventreur et publia en 1892 dans la Review of Reviews une fiction anticipatrice sur un paquebot insubmersible, « Du vieux au nouveau monde », avant de succomber exactement vingt ans plus tard à bord du Titanic.

Lecteurs de « Sherlock Holmes », familiers des univers de « Chtulhu » : ici, enquête et horreurs sont atrocement vraies. Du lundi 6 au vendredi 10 juillet 1885, Stead publie dans la Pall Mall Gazette les résultats de son enquête sur la prostitution des pucelles. La majorité sexuelle féminine était alors fixée à treize ans, un homme pouvait faire ce qu’il voulait d’une fille dès lors qu’il obtenait son consentement. Encore faut-il s’entendre sur la validité de cet accord. Stead décrit l’attestation de virginité délivrée par des médecins complices. Les chambres insonorisées aux murs couverts de matelas capitonnés, afin que les victimes attachées par des liens ne soient pas entendues de l’extérieur, tandis qu’on les torture. Les descriptions s’enchaînent jusqu’à la nausée, état de la société victorienne à l’hypocrisie et l’indifférence permissives. Le scandale connaîtra un retentissement international et conduira au cours de cette même année la Chambre des Communes à élever la majorité sexuelle à seize ans. Stead ayant, pour les besoins de son enquête, acheté une jeune fille et obtenu un certificat de virginité, il fera l’objet d’une plainte pour enlèvement et séquestration d’enfant qui se soldera par une peine de trois mois de travaux forcés. L’enquête, motivée par le souhait de réveiller la conscience publique, est un témoignage stupéfiant de ce qui sera appelé le New Journalism.

Le second ouvrage, La Fabrique des monstres, les Etats-Unis et le FreakShow, 1840-1940, est un essai de Robert Bogdan sur le monde de la foire américaine et ses monstres.

Le monstre est une anomalie, qui vient perturber l’ordre apparemment naturel des choses. Il rompt le cours ordinaire, fait exception, s’oppose à la normalité humaine, à condition toutefois d’accepter que l’on puisse définir une norme.

« Le freak ne se définit pas par une qualité intrinsèque ; il renvoie plutôt à une représentation de soi, une manière de se mettre en scène, un point de vue », affirme Robert Bogdan, qui montre combien le phénomène du Freakshow est complexe : il ne suffit pas d’être monstrueux, encore faut-il le devenir, vouloir s’exhiber dans la peau d’un personnage : « Ça vous dirait d’être un géant ? » demande un imprésario à un type qui est seulement très grand.

Véritable attraction populaire qu’orchestrent Barnum, cirques itinérants et Dime Museums, le monstre marque l’intrusion de l’imprévu dans le réel, nous renseigne sur notre propre nature. Bogdan détaille la pseudo-vocation éducative de l’attraction de foire, avant que la science ne s’en empare via la pathologie. Largement illustré, ce splendide volume évoque les singulières histoires des « ambassadeurs de la planète Mars », en réalité des frères microcéphales, rappelle l’origine foraine du Geek, et présente l’inattendue dimension érotique des Ballyhoo et autre Blow off. Arnaque, gogo, boniment, chacun y trouve son compte. Un livre indispensable pour les admirateurs du film Freaks de Browning, ou du Charlatan de William Lindsay Greshman (« Série noire »).

Pour conclure, nous saluerons la cohésion éditoriale d’Alma, qui présente une problématique identique dans ses deux parutions : chosification du corps devenu objet (de désir et/ou de voyeurisme), qu’accompagne une vague caution scientifique et un balancement entre attirance malsaine et répugnance morale.

Deux livres qui trouveront leur place dans votre bibliothèque interdite.

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