Connexion

Actualités

Les 1001 vies de Billy Milligan

Ni S-F, ni fantastique, mais tellement délirant dans ses implications que le lecteur est rapidement invité à perdre ses repères normatifs, Les 1001 vies de Billy Milligan est une plongée hallucinante dans l'esprit d'un malade un peu particulier. Immersion si complète et si totale que Daniel Keyes fait œuvre de transfiction, d'où la présence du livre dans la collection « Interstices », dont le nom résume bien le propos. De Daniel Keyes, on connaît évidemment l'excellent Des fleurs pour Algernon qui, tout en conservant un propos clairement estampillé science-fiction, se débarrasse de la quincaillerie inhérente au genre pour se consacrer à la seule vraie littérature, l'humain. Avec Les 1001 vies de Billy Milligan, on découvre une autre facette de son travail, mais qui ne renie évidemment rien de la profonde humanité et de la sincère préoccupation quant à l'état du monde qui transpirait dans Des Fleurs pour Algernon.

Cas célèbre aux Etats-Unis dans les années 70/80, aussi bien dans les annales psychiatriques que judiciaires, Billy Milligan est emblématique d'une justice qui enferme à défaut de comprendre, qui punit au lieu de soigner. Violé par son beau-père encore enfant, le jeune Billy éclate sa conscience en mille morceaux et se recompose un univers unique, sorte de cocon schizoïde qui fait cohabiter plusieurs personnes au sein du même corps. De ce « syndrome de personnalités multiples », on ne connaît quasiment rien (et pas grand-chose de plus aujourd'hui), mais ses implications sont fascinantes. Imaginez un seul corps et plusieurs entités qui se le partagent. Des gens différents, avec une histoire personnelle différente, des talents différents, des âges différents, des nationalités différentes, des compétences différentes, des comportements différents, des phobies différentes et… parfois même, un sexe différent. Chacun peut accéder au « projecteur », ergo la conscience et piloter l'entité Billy Milligan. Pendant ce temps, les autres s'éclipsent. Quand une autre personnalité reprend le projecteur, elle n'a aucun souvenir de ce que son prédécesseur a fait. Vous imaginez ? Non, c'est presque inconcevable. Et pourtant, c'est avec ce fléau que Billy Milligan a vécu (et continue à vivre, d'ailleurs, en Californie), jusqu'à ce qu'une affaire de viol attire l'attention des psychiatres (et, hélas, des médias) sur son cas totalement délirant. Le violeur, c'est Milligan, personne ne le nie. Le hic, c'est qu'il ne s'agit pas de Billy Milligan au sens normal du terme, mais « d'un » Milligan. Les autres refusent l'accusation et n'ont d'ailleurs rien à voir avec cette histoire sordide. Détail qui permettra aux équipes soignantes d'assister, d'abord incrédules, puis convaincues, aux hallucinantes transformations mentales (parfois quasiment physiques) d'un individu qui souffre au-delà de l'exprimable. Dans cette cacophonie intérieure incroyablement organisée (et hiérarchisée, avec ses chefs, ses bannis, ses conseillers et ses indésirables), Daniel Keyes construit cette biographie comme un véritable thriller, le voyeurisme en moins et l'empathie en plus. D'abord sceptique, puis fasciné et, au final, enthousiasmé, le lecteur fait le voyage (car c'en est un) les yeux écarquillés, tant le paysage est lunaire. Travail, camps de redressements, prison, asile psychiatrique, réinsertion manquée, rien n'est épargné au jeune Billy, malgré des talents insoupçonnés (peintre, expert en armes et en combat, érudit, chacune de ses compétences correspondant à une personnalité bien définie), jusqu'à ce que le travail presque exclusif d'un psychiatre fasse émerger Le professeur, l'individu qui résume (en les diminuant, d'ailleurs) toutes les facettes de Milligan, lui faisant prendre conscience d'une vie en ruines, mais lui redonnant paradoxalement espoir.

Parti sur les traces de Truman Capote et de l'inégalable De Sang froid, Daniel Keyes signe à sa manière une histoire (un témoignage, un document, appelez-le comme vous voudrez) aussi passionnante qu'intelligente, aussi dérangeante que subtile. Plaidoyer pour une humanité qui triomphe face au malheur et à l'ignorance, Les 1001 vies de Billy Milligan peut se concevoir comme une sorte de parallèle à Des fleurs pour Algernon. Un texte étonnant et inoubliable, à ne surtout pas manquer1.

Notes :
En bons râleurs bifrostiens que nous sommes, on regrettera juste que cette seconde édition française n'ait pas eu la bonne idée de reproduire le cahier photos de l'édition VO. [NDRC]

Harry Potter et les Reliques de la mort

Et de sept. Promis juré, J.K. Rowling en finit une bonne fois pour toute avec la série qui l'a rendue millionnaire et dont l'impact éditorial est tel qu'on ne peut plus l'évoquer sans parler de « phénomène culturel ». Vraiment fini ? Ter-mi-né, assure l'auteur. D'ailleurs, on ne dévoile pas un trop grand secret en signalant que Rowling prend soin d'inclure un épilogue à la fin du roman, interdisant de fait toute suite directe au tome 7. C'est ce qu'on appelle du travail bien fait. Et la plus riche des écrivains anglais de s'atteler à un nouveau roman, un polar. Vous n'avez pas peur qu'on vous descende ? lui demandent les journalistes incrédules. Je m'en contrefous, répond-elle… Et elle a raison. Quand on pèse plus lourd que le Reine d'Angleterre et quand on a le même tirage que La Bible et Thomas Day réunis, on n'a pas grand-chose à craindre. En attendant, il faut bien le reconnaître, Rowling a soigné sa sortie. Harrry Potter tome 7 est tout simplement impeccable. Bien traité, bien maîtrisé, complet, en quelque sorte. Cela reste de la littérature pour adolescents, ça n'atteint jamais la puissance évocatrice ou l'intelligence de propos d'un Philip Pullman, mais dans le genre, c'est absolument parfait. Rien à redire, donc, d'autant que la direction prise par les tomes précédents faisaient craindre le pire. Pas de panique, l'auteur a redressé la barre, maintenu une certaine ambiguïté dans ses personnages et… rempli son contrat.

Côté scénario, l'ensemble est bien rodé. On laissait Harry au tome précédent englué dans la mission suicide confiée par un Dumbledore on ne peut plus mort, on le retrouve ici entouré de ses fidèles amis, tous bien décidés à en découdre avec l'affreux Voldemort, jusqu'à la bataille finale (et générale). Roublarde, Rowling prend son temps et s'offre même le luxe de singer quelques grands classiques de la fantasy, Le Seigneur des anneaux en tête. Ne doutons pas une seule seconde qu'elle l'a fait exprès, et ce dans le seul but pervers de faire hurler à la mort les fanatiques de Tolkien. Que dire de plus sur un roman qui tient plus du produit que d'autre chose ? Rien, justement, si ce n'est que l'engouement suscité par la série la handicape fortement aux yeux des élites intellectuelles que nous sommes. Et c'est dommage, car une lecture intellectuellement honnête entraîne un constat clair. Harry Potter (7 ou pas) est une saga remarquablement bien menée, intelligente, drôle, légère, attachante et plutôt riche. Superficielle, sans doute, vaine, jamais. Pas de quoi s'inquiéter donc. Le bulldozer vous écrase, certes, mais en douceur, et au final, ça ne fait pas grand mal. C'est même assez agréable de se laisser embarquer, de tourner les pages les unes après les autres comme un gosse gourmand et de se faire plaisir, tout simplement.

La Guerre des fleurs

Roman de fantasy en un seul tome (si si, promis), La Guerre des fleurs est sans doute le meilleur moyen de découvrir toute l'étendue du talent de Tad Williams. Tour à tour dramatique, drôle, désespéré, fantastique, épique et totalement crétin (avec un humour à l'anglaise écrit par un américain, ceci expliquant cela), La Guerre des fleurs condense quantité de livres en un seul, pas toujours avec succès, certes, mais avec suffisamment de bonheur pour emporter l'adhésion. Reconnaissons toutefois que si le roman est un one shot, il pèse tout de même ses 700 pages et il aurait mérité un bon coup de ciseau (un ban pour l'éditeur qui l'a publié en un seul volume, là où beaucoup l'auraient publié en deux). C'est dommage, car cette avalanche de scènes inutiles allonge l'intrigue au point d'ennuyer le lecteur au lieu d'apporter des éléments nouveaux. Défaut notable, donc, mais pas non plus rédhibitoire. Passons.

Ouverture en douceur avec une description exhaustive, touchante et navrante de la vie de Théo Vilmos, trentenaire déjà fatigué, chanteur dans un groupe de rock de jeunes (trop jeunes pour lui, d'ailleurs), sans grande ambition, sans épaisseur, bref un looser sympathique comme on les aime auquel il est évidemment impossible de ne pas s'attacher. Pas de chance, sa mère meurt d'un cancer (d'où de très chouettes scènes d'agonie qui calment quand même tout net), sa copine fait une fausse couche et en profite pour le quitter, autant de catastrophes qui s'abattent sur un pauvre Théo qui supporte comme il peut. Un Théo qui décide d'ailleurs de s'exiler à la campagne après avoir vendu la maison de sa mère, histoire de faire un point, de voir venir, quoi.

On bascule ensuite dans le grand n'importe quoi avec l'irruption d'une fée désagréable et grossière qui sauve Théo in extremis d'un machin putride et agressif manifestement composé de morceaux de cadavres. Et voilà l'anti-héros projeté dans le monde des feys (on dit feys, ne me demandez pas pourquoi) au beau milieu d'un affrontement immémorial entre les grandes familles (les oligarches, en quelque sorte) de feys aux noms de fleurs (cf. le titre, donc) qui aiment à se foutre sur la gueule et, au passage, massacrer de l'humain de ci de là. On s'en doute, Théo Vilmos va-découvrir-sa-destinée au cours des (nombreuses) péripéties qui l'attendent. Et si l'ensemble est parfois looooooooong, ça n'en reste pas moins jouissif par endroits, ce qui justifie amplement la lecture du pavé.

Au final, lire La Guerre des fleurs n'est ni un sacerdoce, ni un exploit. Tad Williams est tout simplement un écrivain professionnel incapable de faire court, mais il sait captiver ses lecteurs et les intéresser immédiatement en les embarquant dans un délire somme toute maîtrisé, sensible, souvent touchant et pas si bête. Pourquoi bouder son plaisir ?

Artefact 1.0

À peine un an après la parution de son dernier « vrai » roman (Grande Jonction, cf. critique in Bifrost n°44 et l'interview dans notre n°45), Maurice Dantec revient embêter journalistes et lecteur avec Artefact, épais recueil qui rassemble trois nouvelles manifestement liées entre elles par une volonté qui nous échappe. Délaissant quelque peu ses expérimentations littéraro-philosophiques, l'auteur maudit fait un joli retour aux sources en utilisant toutes les ficelles du thriller pour arriver à ses fins, la S-F en plus. Car oui, on le sait, Maurice aime la S-F. Pour preuve, Grande Jonction est, de son propre aveu, post-apocalyptique. Et la première nouvelle d'Artefact, joliment titrée « Vers le nord du ciel », s'en approche par bien des aspects tout en empruntant pas mal d'idées à la science-fiction la plus classique (voire la plus banale).

Le lecteur entre à l'intérieur de la tête d'un agent cosmique, sorte d'extraterrestre envoyé par ses pairs observer la race humaine depuis la nuit des temps (amusant, d'ailleurs, de savoir que l'extraterrestre incarné en humain — une sorte d'humain augmenté — envoie ses rapports en utilisant un réseau sub-photonique avec relais sur Titan ; de la S-F, on vous dit). Et voilà notre ET plutôt sympathique présent dans le World Trade Center un certain 11 septembre au matin. Pas de chance, même si tout est écrit. Une fois les deux avions intégrés aux deux tours, l'extraterrestre en profite pour sauver une petite fille (tout le recueil est pourri de symboles liés à l'innocence), permettant à Maurice de faire ce qu'il fait très bien : écrire vite, écrire palpitant, écrire passionnant. Le sauvetage est un voyage à lui seul, le suspense est efficace et, malgré les partis pris stylistiques répétitifs extrêmement énervants, Maurice maîtrise son sujet. Mais l'Etat veille, et avec lui ses hommes en noir et ses agences paragouvernementales bien décidées à repérer l'extraterrestre et à savoir ce qu'il veut… Nouvelle fuite, donc, dans le Grand Nord Canadien pour un final hélas prévisible (car vu et revu cent fois en S-F), mais pas si désagréable. Bref, un voyage qui vaut largement le détour.

Second texte du recueil, « Artefact » se veut centre et signification de la notion d'écriture. Tissu de philosophie hermétique (sauf pour les jeunes étudiants en philo pas encore revenus de tout et les fans de base) sur l'acte d'écrire, le texte ne manque certes pas d'intérêt, mais sa nature même l'éloigne des deux autres (d'où la légitime question : qu'est-ce qu'il fout là ?). Ceci étant, l'alibi narratif est un petit plaisir pervers à lui seul : amnésique, un homme se réveille dans ce qui semble être un hôtel en Italie. Une machine à écrire lui tombe rapidement entre les mains. Une machine à écrire qui… écrit toute seule ce que vit l'homme… Qui voit s'écrire son quotidien à mesure qu'il le vit… Et qu'il se décide à décrire tout en lisant au matin ce qu'a écrit la machine à écrire. Qu'il écrivait, quoi. Drôle, non ? D'autant que pris au piège de ce cercle assez troublant, l'esprit part en vrille (Dantec est super fort pour partir en vrille) très vite et navigue sur des eaux encore plus troubles.

Troisième et dernier récit, « Le Prince de ce monde » est symptomatique du Dantec polémique. Plutôt provoc, populiste et profondément américain (avec cette obsession de la justice personnelle), Maurice se met en scène lui-même en diable (enfin, son frère, plutôt) vengeur, massacrant par le menu (avec moult détails de tortures sophistiquées) journalistes, racistes et pourritures en tout genre, tout en proposant la vision en léger différé de ses exploits sur un site Internet. Horreur sans nom que la moitié de la planète se fait un plaisir (tout en s'en offusquant, hein, on est entre gens biens) de regarder, avant de succomber aux virus mortels disséminés par ce monstre super énervé. Toutefois, le fond du problème est ailleurs. En posant la question de la valeur intrinsèque de la justice (humaine ou divine), Dantec nous met mal à l'aise et face à nos propres contradictions. Un exercice plutôt sain, somme toute. Et si cette nouvelle se caractérise par une extrême violence, elle se termine en texte moraliste… Innocence, enfant, lumière, pêché, tout ça. Bref, comment se racheter aux yeux du monde et aux yeux de Dieu quand on a subit l'horreur et qu'on la distribue à son tour ?

Au final, Artefact ne constitue pas vraiment une rupture avec l'œuvre de Maurice Dantec, plutôt un retour aux sources, doublé d'une expérimentation formelle qui peut agacer. Mais au-delà du nom même de Dantec, propre à faire hurler tout le monde dès qu'on le prononce, force est de constater que ce dernier livre n'a rien de formidable. Pas mauvais non plus, juste moyen. Attendons la suite.

La Lune vous salue bien

Vingt années après les événements relatés dans La Lune n'est pas pour nous, depuis que les extraterrestres Ishkiss et la colonie libertaire ont plié bagage à bord de la Lune, le monde a bien changé et se remet lentement du chaos des Années Sombres : certains Terriens sont frappés d'une mystérieuse maladie psychique, le lunatisme, et les Etats-Unis d'Amérique, qui ont imposé leur suprématie technologique, vivent dans la peur de l'invasion depuis que des Ishkiss et des Sélénites dissidents ont établi une colonie sur Mars. Quant au général Rommel, après la déroute du Reich, il a établi, avec les restes de son armée, un royaume en Afrique, aux sources du Nil. Royaume dont n'est jamais revenu aucun des espions envoyés sur place. L'agent secret français Boris Vian finit par réussir là où tous ont échoué. Il découvre que Rommel est infecté par un curieux parasite, et qu'il est devenu étrangement pacifiste depuis sa rencontre avec un américain, un certain « Commandant Bob ». Sous la fausse identité de Vernon Sullivan, Vian est donc dépêché outre-Atlantique pour voir ce qui se trame là-bas.

Et il s'en trame, des choses ! Le Président Eisenhower est assassiné à Dallas, Goebbels travaille pour une agence de publicité, un Walt Disney plus réactionnaire que nature construit une ville idéale en Floride, une organisation d'écrivains de science-fiction complote en secret, et les Ishkiss tentent de revenir sur Terre. Entre complots, tentatives d'assassinat et rencontres avec John Kennedy ou Lolita, Vian va découvrir la face cachée de sa mythique Amérique.

Curieusement, la structure de la trilogie sélénite de Johan Heliot m'a fait songer aux Anno Dracula de Kim Newman : d'abord un roman à l'ambiance exubérante se déroulant à la fin du XIXe siècle, puis un opus plus sombre situé pendant une période peu glorieuse du XXe siècle (guerre des tranchées chez Newman, hitlérisme chez Heliot), pour terminer par un épisode plus léger à base d'espionnage dans les années 1950. Tous ces romans rameutant, dans la tradition d'un certain genre d'uchronies, les figures historiques, populaires ou romanesques des époques abordées.

Après le vénérable Jules Verne dans La Lune seule le sait, puis Léo Malet dans La Lune n'est pas pour nous, c'est donc Boris Vian qui s'y colle. On sent l'auteur beaucoup plus à l'aise avec l'Amérique des années 50 et sa pléthore d'icônes culturelles qu'avec l'Allemagne nazie du tome 2. Question de génération, sans doute, et aussi de goût littéraire : Johan Heliot est un écrivain de science-fiction et, justement, la S-F est indissociable du pays et de l'époque. C'est donc tout naturellement qu'il nous fait rencontrer, dans ce roman où les clins d'œil abondent, un Bob Heinlein militariste et les auteurs de l'écurie Campbell, tandis que la paranoïa anticommuniste devient, comme dans les bons vieux films de S-F d'alors, une paranoïa anti-martiens.

Mais à trop vouloir s'amuser et se faire plaisir, l'auteur accumule les allusions inutiles (Ma sorcière bien aimée, Les Tonton flingueurs, Fernand Reynaud, entre autres) amenées de façon peu subtile, qui ont surtout tendance à nous faire sortir du récit. Too much, finit-on par dire, surtout quand on voit le héros rencontrer « par hasard » son énième personnage peu connu dans ce monde uchronique mais emblématique dans notre branche à nous du Multivers.

Il y a par ailleurs, dans La Lune vous salue bien, un problème de registre de langue. Ce Boris Vian de fiction (entre parenthèses, pourquoi diable en avoir fait un gros macho aussi désagréable ?) parle l'argot. Pourquoi pas, sauf qu'il manie dans le même temps une langue soutenue. Ainsi peut-il jacter le français de la rue pour sortir au paragraphe suivant un subjonctif bien troussé (sans parler du « je foutis le camp » qui m'écorcha les oreilles au détour de la page 173). Le style a parfois même un petit côté XIXe désuet totalement inapproprié ici. On sait l'auteur féru de littérature populaire de cette période : cela faisait merveille dans La Lune seule le sait, pas dans une histoire se déroulant en 1954.

Avec ce roman, Johan Heliot montre une fois de plus qu'il est un bâtisseur d'univers doté d'un imaginaire très riche, d'une solide culture, tant historique que littéraire, et d'un sens de l'humour qui peut faire mouche. Mettre ce talent au service d'une vision humaniste où les utopies libertaires ont le beau rôle ne peut pas faire de mal (l'auteur envoie quelques piques aux USA de G.W. Bush). Seulement voilà, pour les raisons évoquées plus haut, ce troisième opus a du mal à fonctionner. Manquant d'ambition, il n'est au final qu'un récit riche en péripéties dont le rythme ne faiblit pas. On était en droit d'attendre de la part d'un auteur qui a fait ses preuves une conclusion plus enlevée à une trilogie qui avait débuté par un prix Rosny mérité.

Porteurs d'âmes

Léonie, une Libérienne séquestrée depuis l'âge de huit ans par sa tante qui la prostitue, parvient à s'enfuir. Sans papiers, malgré les efforts de l'association qui l'a recueillie et l'enfer qu'elle a vécu, elle n'est pas autorisée à rester en France et choisit la clandestinité. Afin de se payer de faux papiers, elle accepte de jouer les cobayes pour des tests de médicaments bien peu protocolaires. Naïve, elle commet toutes les erreurs qu'entraîne son ignorance de la vie et des gens.

Dans le même temps, un policier de la criminelle, désabusé pour avoir trop connu les noirceurs de l'âme humaine, découvre un charnier sur un discret îlot de la Marne alors que, pour trouver les motifs d'une mise à pied, on venait de lui adjoindre une partenaire chargée de le fliquer. Edmé, qu'on surnomme le Miso pour son désintérêt des femmes, comprend qu'il est tombé sur une grosse affaire comprenant plusieurs tortionnaires s'amusant avec leurs victimes.

Quel lien y a-t-il entre ces deux intrigues et celle de Cyrian, fils à papa ? Cet étudiant apparemment sans histoires, en réalité prêt à subir moult humiliations et commettre des abjections jusqu'à perdre l'amour de sa fiancée, accomplit les épreuves initiatiques lui ouvrant les portes de la secte des Titans. Grâce à elle, il a accès au translateur d'âme qui permet de vivre quatre jours dans le corps d'une autre personne, de regarder et sentir le monde avec d'autres yeux. Cyrian, immédiatement accro, tient à renouveler l'expérience.

Ce n'est pas la première fois que Bordage imagine pareille situation : qu'on se souvienne des spectateurs se branchant sur les gladiateurs dans Wang, mais, hormis la description fascinée de la découverte extrême, ultime, de l'autre, il ne pousse pas l'analyse bien loin. Certains passages contant les différences de perception sont bien vus, d'autres paraissent trop convenus ou naïfs pour susciter l'adhésion.

Son attention se porte davantage sur ses personnages en mal d'amour, meurtris par la vie ou n'ayant pas pris la mesure du monde. C'est davantage pour mettre l'accent sur la condition des sans-papiers ou sur l'égoïsme généralisé des nantis que Bordage déroule une intrigue policière exploitant ces thématiques. Le sordide des situations impressionne peu, pourtant, peut-être parce que les personnages stéréotypés et les intrigues convenues ne permettent pas de dépasser les clichés. Bordage a voulu placer l'amour au plus fort de la noirceur : c'est lui qui sauve chacun des protagonistes. Mais il les change trop rapidement pour être crédible et l'ensemble, un peu trop chargé de bons sentiments, n'évite le mélo poisseux que de justesse. Les Bulls qui défendent le squat contre la police : de sacrés braves gars ; Edmé : un flic éteint métamorphosé par un simple baiser ; en revanche, tante Destinée et son amant Lucius se comportent avec toute la noirceur que réclame leur statut d'esclavagistes, Thénardier faisant tenir à Léonie le rôle de Cosette ; les incessantes galères de celle-ci ne sont que le prétexte un peu trop évident à dresser la liste des déboires des sans-papiers.

Il n'en reste pas moins qu'en conteur accompli, Bordage capte suffisamment l'attention du lecteur pour l'empêcher de se poser ces questions en cours de route. Les clichés et les bons sentiments sont présentés avec un art consommé de la narration. Les passages trop sucrés alternent avec des scènes d'action, et tant pis pour ceux qui auraient souhaité des plats plus relevés ! Bordage vise clairement à satisfaire le grand public ; il serait indécent de reprocher à un si performant ambassadeur d'arrondir les angles, compte tenu du nombre de lecteurs qu'il acclimate aux littératures de l'imaginaire.

Lunatique spécial Michel Demuth

Décédé en septembre 2006, Michel Demuth fut une grande figure de la science-fiction française, par son œuvre comme ses activités éditoriales. L'hommage qui lui est ici rendu par Richard Comballot et Jean-Pierre Fontana, ami de longue date, comprend deux interviews réalisées par les susnommés (dont celle parue dans Bifrost n°25) et une bibliographie d'Alain Sprauel (tout autant parue dans Bifrost n°25). La couverture est bien sûr signée Philippe Druillet (peu inspiré), avec qui il réalisa Yragaël. Le reste de ce copieux hors-série laisse la parole à l'auteur qui avait séduit plusieurs générations avec Les Galaxiales, un cycle de nouvelles contant une ambitieuse histoire de futur (publié en deux volumes chez J'ai Lu, le troisième et ultime volet de la saga n'ayant jamais été achevé par l'auteur). Les nouvelles du début et de la fin de sa carrière alternent avec les articles critiques consacrés à Cordwainer Smith et Robert Sheckley, et, dans un registre plus léger, aux illustrations érotiques de Raymond Bertrand et à l'aventure de la revue coquine Paris Hollywood.

Parmi les textes des années 58-59, on remarque les influences (revendiquées) de Sheckley et Vance dans « Marginal II » (deux astronautes commercent avec des extraterrestres) et « Niralia » (l'amoureux d'une extraterrestre aperçue lors de ses explorations d'univers parallèles tente de trouver celui où ils seraient heureux ensemble). Deux nouvelles se rattachant au même cycle, « Translateur » et « Mnémonique », mettent en scène des humains se déplaçant instantanément à travers l'espace grâce aux propriétés des Bleutés, des cristaux permettant la téléportation. À la dimension aventureuse du premier récit fait suite un texte plus poétique où perce déjà le styliste de la maturité. Vance est encore décelable dans « Les Climats », où, sur une planète de villégiature qui reproduit les climats et paysages à la demande du client rôde un ennemi extraterrestre pris en chasse par les vacanciers.

La sélection suivante permet de découvrir un Demuth plus intimiste, qui rend, avec « Le Monde terne de Sébastien Suche » un très bel hommage à sa littérature de prédilection, la science-fiction, et se révèle très autobiographique dans « The Fullerton Incident » : l'auteur apparaît sous la forme d'un fantôme revenu dialoguer avec son épouse. On le voit également s'essayer à la littérature policière avec sa seule mais brillante incursion dans le domaine : « Jérôme et la nymphette », qui fait d'un pédophile un héros. Raconté du point de vue du pervers sexuel, ce texte de 1964 fait preuve d'une belle modernité.

En revanche, « Intervention sur Halme », daté de 1967, reste dans l'esprit et le registre de l'époque, avec une complexe histoire d'espionnage politique sur des mondes éloignés du pouvoir central. « Yragaël ou la fin des temps vers 3200 » est une Galaxiale fort éloignée de la version BD et, enfin, « Dans Le Ressac électromagnétique », paru en 2002, est un magnifique récit où le style de Demuth, débarrassé de toute fioriture et concentré sur l'essentiel, nous fait regretter qu'il ait si rarement repris la plume, et ne soit pas donné la peine d'achever son grand œuvre.

Les Hommés dénaturés

Vers 2030, suite aux méfaits de la pollution, la fertilité a chuté à un point tel que les familles en manque d'enfants adoptent des animaux. C'est dans ce contexte que Shana Walders, jeune appelée qui souhaite faire carrière dans l'armée, aperçoit dans un hangar, en organisant l'évacuation d'une zone dangereuse suite au déraillement d'un train transportant des produits toxiques, des singes dotés d'un visage humain. Son témoignage, loin de lui valoir les honneurs de la presse, ruine ses chances d'entrer dans l'armée, déjà vacillantes à cause de ses insubordinations causées par son caractère de cochon. Vivant cette radiation comme une injustice, Shana mène sa propre enquête, auprès d'un danseur de ballet classique dont les singes génétiquement modifiés sont le portrait craché. Elle trouve une aide précieuse auprès d'un médecin âgé qui n'en a plus pour longtemps à vivre et qui dispose des relations nécessaires pour vérifier l'exactitude de son témoignage.

On se doute, bien entendu, à quoi serviront des singes à visage humain. Nancy Kress pointe du doigt les aberrations auxquelles la société risque d'aboutir, sous la pression des événements et devant l'absence de morale des entreprises mercantiles. L'auteur préfère que les recherches posant des problèmes éthiques soient autorisées avec un cadre législatif précis garantissant la transparence et empêchant les dérives plutôt qu'interdites, ce qui conduit les entreprises peu scrupuleuses à ouvrir des laboratoires clandestins ou dans des pays peu regardants. Reste que les problèmes écologiques et les dangers des manipulations génétiques sont davantage survolés que traités dans ce roman, l'auteur ayant plutôt mis l'accent sur le côté aventureux de l'histoire.

Au final, cette enquête policière qui ne manque pas de rebondissements et reste agréable à lire ne dépasse pas le niveau d'un bon Fleuve Noir de l'époque, ce qui est déjà fort honorable. Toutefois, s'agissant de Nancy Kress, on regrettera qu'elle n'ait pas davantage fouillé son sujet.

L'Homme démoli - Terminus les étoiles

Touche-à-tout de talent, Alfred Bester écrivit nombre de comics (Superman, Green Lantern) et de pièces radiophoniques (The Shadow, Charlie Chan), fut rédacteur en chef d'une revue glamour qui lui permettait d'approcher les actrices d'Hollywood, et ébranla en 1952 le monde tranquille de la science-fiction avec un roman novateur à tous points de vue, L'Homme démoli, lequel lui valut de recevoir le tout premier prix Hugo. Déjà, au début de sa carrière, la revue Thrilling Wonder Stories organisa un concours amateur dans le seul but de récompenser l'auteur débutant de 1939.

L'Homme démoli se situe dans un futur débarrassé du meurtre grâce à une police télépathe qui prévient le crime avant qu'il soit commis. Le coupable est promis à la démolition, à savoir une régression mentale et une reconfiguration des neurones jusqu'à la « renaissance ». À la tête d'un empire industriel, Ben Reich, hanté dans ses cauchemars par un homme sans visage, décide d'abattre son concurrent direct, auquel il a proposé une alliance commerciale. Alfred Bester reprend donc la vieille intrigue policière du crime parfait dans une société censée le rendre impossible. Il dissémine pour cela dans l'arrière-plan de sa société future des éléments qui serviront son intrigue : les extrapers déchus pour n'avoir pas respecté la déontologie des télépathes, les psychochansons qui manipulent l'auditeur avec des messages subliminaux, identiques aux ritournelles qui encombrent l'esprit mais se révèlent en l'occurrence pratiques pour masquer les pensées. Bester a surtout pris le temps de bien structurer un monde où cohabitent des télépathes, distinguant diverses classes en fonction de leurs capacités mentales, imaginant des codes et des règles qui donnent de l'épaisseur et de la crédibilité à sa société. Le space opera qui sévissait à l'époque parut aussitôt suranné. Bien sûr, d'autres facettes du roman retiennent l'attention : au niveau symbolique, chaque personnage représentant un certain type de société. À l'intrigue classique se superpose une dimension psychologique.

Le suspense est constant, Ben Reich dansant perpétuellement sur une corde raide. L'univers n'est plus détaillé d'entrée de jeu mais progressivement révélé, presque de façon incidente, procédé encore peu courant en S-F et qui participe de cette gymnastique mentale dont sont friands les lecteurs, réalisant les conséquences qui en découlent et l'impact non négligeable sur l'intrigue. Bester ne s'embarrasse pas de fioritures stylistiques : il va à l'essentiel, parsemant ses dialogues de courtes descriptions. Un humour discret mais omniprésent retient l'attention ; le texte est truffé de traits d'esprit et d'aphorismes qui le font pétiller, mais aussi rehaussé d'effets typographiques permettant de visualiser l'intrication des pensées, le tout dessinant des calligrammes dignes d'Apollinaire. Avec le recul du temps, l'ensemble, s'il abuse d'artifices, n'en reste pas moins détonant car cette accumulation fait précisément de ce roman mené tambour battant un véritable feu d'artifice.

Terminus les étoiles, moins percutant, repose, lui, sur la téléportation. Gully Foyle, mécanicien, est le seul survivant du Nomad, qui a explosé. Un vaisseau passe au large, qui ne s'arrête pas, malgré les signaux de détresse. Organisant sa survie, Foyle jure de retrouver les responsables. Dans un premier temps, Foyle s'enrichit, en vendant une partie de la cargaison du Nomad dont il connaît les coordonnées ; dans un second temps, il retrouve ceux qui l'ont abandonné à son destin pour les exécuter. On aura reconnu là la trame du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, emprunt revendiqué par Bester. Gully Foyle se téléporte (on dit « fugguer ») partout où les coupables se terrent, enquêtant dans le même temps sur le grand responsable, Presteign, puissant homme d'affaires disposant de sa propre milice, corrompu au-delà de toute mesure. Mais Foyle lui-même, accomplissant sa vengeance, reconnaît être devenu un monstre coupé de son humanité. Les péripéties s'enchaînent sans temps mort, un peu trop rapidement pour donner de la profondeur au roman.

La présente édition, dans une nouvelle traduction de Patrick Marcel, est complétée par une bibliographie des œuvres de Bester réalisée par Alain Sprauel. Si ces romans ont un peu vieilli, leur lecture reste indispensable pour juger de l'apport de Bester à la science-fiction. Bien que cherchant plus à éblouir qu'à convaincre, il n'en a pas moins révolutionné la façon d'écrire et d'aborder la S-F, comme en témoignent Serge Lehman et Neil Gaiman dans leurs préfaces.

Les Brigades fantômes

[Critique commune à Le Vieil Homme et la Guerre et Les Brigades fantômes.]

S'engager dans l'armée à soixante-quinze ans, alors qu'on a toujours été anti-militariste, relève forcément de motifs qui n'ont rien à voir avec les guerres que l'humanité en expansion mène dans la Galaxie contre diverses espèces extraterrestres. John Perry, à présent veuf, ne désire pas connaître le naufrage de la vieillesse : contre deux ans de service dans les Forces de défense coloniale, l'armée promet de lui rendre la jeunesse puis de l'expédier en « retraite » sur une colonie, le retour sur Terre étant interdit.

En fait de rajeunissement, John Perry reçoit un nouveau corps, cloné lors de l'engagement selon des méthodes de croissance accélérée et amélioré génétiquement : dans ses veines coule le SangmalinTM, qui donne une couleur verte à sa peau et assure une oxygénation optimale, et son esprit dialogue avec AmicerveauTM, un ordinateur jouant le rôle de pager mais aussi d'interface avec le corps, décuplant par exemple les capacités de réaction ou de précision.

Le temps de tester leur nouvelle enveloppe très performante avec des partenaires sexuels, les nouvelles recrues commencent un entraînement qui relativise l'excellence de ces formations. Les premiers combats achèvent de détruire les illusions. Il apparaît vite que l'engagement de deux ans n'a plus cours en temps de guerre ; or, les Terriens, non seulement sont engagés dans nombre de conflits, mais ne font rien pour y mettre fin : aucune négociation n'a jamais été envisagée, pas plus qu'on n'a tenté de comprendre le point de vue de l'ennemi. L'humanité se contente de poursuivre une politique d'expansion agressive sans pitié, ni stratégie élaborée pour limiter ses pertes. Le simple fait d'envisager une entente est considéré comme un acte de trahison. John Perry, qui a révélé, contre toute attente, un sens militaire lui valant de monter en grade, se demande quelle part d'humanité conservent en eux des soldats génétiquement améliorés et à l'esprit assisté par leur AmicerveauTM, capables de piétiner des êtres évolués hauts de cinq centimètres comme s'il s'agissait de fourmis. C'est ce type de questions éthiques et philosophiques que pose le premier volume — questionnement souligné par un sens de la dérision et un humour très second degré complètement gâché en VF par une traduction inepte. Des propos qui ne renouvellent pas ceux de La Guerre éternelle, le roman de Joe Haldeman auquel on ne peut s'empêcher de penser, Starship Troopers (de Robert Heinlein) étant l'autre référence qui vient à l'esprit ; le présent roman condense au contraire l'ensemble des préoccupations liées à ce type d'histoire, d'une manière fort habile, tout en développant un récit passionnant sans aucun temps mort.

Ces interrogations sont accentuées par la révélation d'escadrons fantômes encore plus déshumanisés. En effet, l'armée dispose malgré tout des candidats à la vie militaire qui seraient décédés avant leur incorporation : elle les clone et y introduit un esprit entièrement conçu pour la guerre. S'agit-il encore d'humains ? On comprend le secret entourant ces Brigades fantômes : comment réagir face à l'enveloppe physique de son épouse devenue une machine à tuer ? L'amélioration du processus conduit, dans le second volume, à disposer de soldats d'élite à peine nés : il est déstabilisant de croiser des individus apte à parler une minute après leur naissance, à marcher deux minutes plus tard et à mener l'interrogatoire d'un ennemi au bout de quinze jours. Pour beaucoup, un soldat des Brigades fantômes n'est qu'un Amicerveau logé dans un support biologique, qui est d'ailleurs transformé en engrais si l'esprit qui l'occupait a été transféré dans un autre corps.

L'un d'eux, Jared Dirac (tous portent des noms de scientifiques), a en outre reçu un second esprit, celui de Charles Boutin dont il est déjà le clone, un scientifique de la Recherche militaire accusé d'intelligence avec l'ennemi pour avoir donné aux Rraeys des informations sur l'Amicerveau. L'armée pense que si les Rraeys s'allient avec les Eneshans et les Obins, forçant l'humanité à combattre sur trois fronts à la fois, c'est grâce au rôle joué par Boutin. Pour maquiller sa fuite, Boutin a transféré son esprit dans un clone qu'il a abattu. Une prouesse dans la mesure où le transfert d'esprit ne pouvait s'effectuer que d'un corps à l'autre avant que le savant ne réussisse à stocker la conscience sur un support numérique. C'est parce qu'il n'a pas eu le temps de vider la mémoire de celui-ci que son esprit est une nouvelle fois transféré dans le corps du soldat Jared, soumis à haute surveillance en lisant ses pensées par le biais des Amicerveaux, une possibilité qu'on avait cachée aux soldats pour ne pas les inquiéter ; on espère qu'il retrouvera ainsi quelques-unes des informations permettant de savoir où Boutin se cache et connaître surtout la nature du complot ourdi contre les Terriens. Au fur et à mesure qu'il retrouve la mémoire de son hôte, Jared gagne en humanité en même temps qu'il devient apte à juger sa hiérarchie, laquelle n'a pas hésité, pour obtenir des renseignements, à inoculer à un extraterrestre prisonnier un poison nécessitant la prise d'un antidote à vie.

John Scalzi franchit, dans Les Brigades fantômes, un cran supplémentaire dans la perte d'humanité, du point de vue physique comme du point de vue moral. D'épineuses questions éthiques sur la légitimité de la violence, la définition de l'humain ou le contrôle d'autrui continuent d'être posées à travers ce roman fort prenant qui n'a jamais perdu de vue la dimension aventureuse de son récit ni l'indispensable touche d'humour. Même le projet de Boutin ressasse ces interrogations selon des perspectives inédites.

Pour Le Vieil homme et la guerre, son premier roman, John Scalzi a reçu le prix Campbell et a été nominé au Hugo. Des récompenses bien méritées, ce diptyque temporaire se révélant passionnant de bout en bout. En attendant la traduction du troisième opus de cette saga, The Last Colony, tout en priant pour que l'éditeur nous épargne cette fois une traduction de Bernadette Emerich.

  1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148 149 150 151 152 153 154 155 156 157 158 159 160 161 162 163 164 165 166 167 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179 180 181 182 183 184 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200 201 202 203 204 205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217 218 219 220 221 222 223 224 225 226 227 228 229 230 231 232 233 234 235 236 237 238 239 240 241 242 243 244 245 246 247 248 249 250 251 252 253 254 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 265 266 267 268 269 270 271 272 273 274 275 276 277 278 279 280 281 282 283 284 285 286 287 288 289 290 291 292 293 294 295 296 297 298 299 300 301 302 303 304 305 306 307 308 309 310 311 312 313 314 315 316 317 318 319 320 321 322 323 324 325 326 327 328 329 330 331 332 333 334 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344 345 346 347 348 349 350 351 352 353 354 355 356 357 358 359 360 361 362 363 364 365 366 367 368 369 370 371 372 373 374 375 376 377 378 379 380 381 382 383 384 385 386 387 388 389 390 391 392 393 394 395 396 397 398 399 400 401 402 403 404 405 406 407 408 409 410 411 412 413 414 415 416 417 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 565 566 567 568 569 570 571 572 573 574 575 576 577 578 579 580 581 582 583 584 585 586 587 588 589 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600 601 602 603 604 605 606 607 608 609 610 611 612 613 614 615 616 617 618 619 620 621 622 623 624 625 626 627 628 629 630 631 632 633 634 635 636 637 638 639 640 641 642 643 644 645 646 647 648 649 650 651 652 653 654 655 656 657 658 659 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714  

Ça vient de paraître

La Maison des Soleils

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 114
PayPlug