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Le Fleuve obscur de l'avenir

Sous ce titre surgi de nulle part se présente un omnibus de B. R. Bruss comprenant les romans Et la planète sauta…, L’Etrange planète Orga et Parle, robot ! Sans oublier la nouvelle « Le Coupable » et une postface signée Laurent Genefort qui passe en revue les livres de l’auteur.

B. R. Bruss est apparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il atteignait la cinquantaine, pour signer ses œuvres relevant de l’Imaginaire. La plus grande part d’entre elles allaient paraître au Fleuve Noir, quarante-trois dans la collection « Anticipation » et neuf dans « Angoisse », et ce durant les vingt-cinq premières années d’« Anticipation » et le premier tiers des numéros, du 33, SOS Soucoupes, au 651, Penelcoto. Trois autres romans furent publiées ailleurs sous ce pseudonyme : Et la planète sauta… (Le Portulan) sur lequel nous allons revenir, et Apparition des surhommes (Temps futurs), au début de la carrière de Bruss, puis Les Espaces enchevêtrés (chez NéO), tout à la fin. B. R. Bruss reste comme l’un des auteurs phares de la période classique d’« Anticipation » et l’un de ceux qui demeurent lisibles aujourd’hui bien qu’il s’agisse clairement de la SF de papa, voire de grand papa…

Parle, robot !, qui date de 1969, est un B. R. Bruss déjà tardif : l’autobiographie ou la confession d’un robot devenu conscient au fil de sa longue « vie » et de ses différents propriétaires. Le robot du titre n’ayant jamais révélé sa conscience qu’à des mourants, il n’est point ici question de débattre de la conscience artificielle ; Bruss fait l’économie de cette dimension spéculative consubstantielle à la thématique du robot. Même si ce récit reste meilleur que la majeure partie de ce que la collection publiait alors — on s’autorisera même une pointe de nostalgie à sa lecture —, ça n’en reste pas moins une SF sans réelle envergure.

L’Etrange planète Orga est plus typique de la manière de B. R. Bruss. Le plus souvent, chez Bruss, les personnages sont des chercheurs (ou se trouvent dans une position de chercheurs) avec une énigme spatiale sur les bras. Situation qui peut être conflictuelle ou seulement mystérieuse. Les armes ne sont que très rarement la solution, et on finit par aboutir à la paix sans qu’un camp soit anéanti par l’autre et par trouver un modus vivendi. Dans ce roman, un petit groupe d’explorateurs part à la découverte de la mystérieuse et réputée dangereuse planète Orga. Des mystères qui seront percés, com-me il se doit, et des conflits qui s’éteindront comme des feux privés d’oxygène…

Avec Et la planète sauta…, on remonte le temps jusqu’en 1946. Premier roman de l’auteur, le livre s’inscrit au sein de la production qui suivit les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. Il est composé de deux parties, la première se scindant elle-même en deux. Un aérolithe s’écrase en Sologne et deux chercheurs assistent à l’événement ; ils récupèrent l’objet et découvrent qu’il contient des artefacts extraterrestres — mieux, une bibliothèque. Après avoir passé des dizaines d’années (et le deuxième quart du livre) à étudier celle-ci en secret dans leur manoir solognot, nos chercheurs finissent par avoir une assez bonne idée de la civilisation rhaméenne développée sur la cinquième planète du système solaire aujourd’hui réduite à un champ d’astéroïdes orbitant entre Mars et Jupiter suite à une monstrueuse catastrophe. La seconde moitié du roman est constituée de l’extraordinaire document que représente le journal de Morar, politicien, savant et philosophe contant les derniers jours de Rhama et le rôle qu’il y joua — il s’agit bien sûr d’une mise en garde contre le risque d’un anéantissement global dû à l’énergie atomique, Bruss ciblant clairement le monde communiste. Quand Gérard Klein réédita Et la planète sauta… pour la première fois en 1971, en « Ailleurs & Demain classique », la guerre froide battait encore son plein, et le lire à la lueur de ces circonstances lui conférait sans doute un intérêt particulier. Si le risque d’une guerre nucléaire totale s’est largement estompé — sans doute moins qu’on veut bien le croire, ceci étant —, lire aujourd’hui ce récit, presque soixante-dix ans après sa parution initiale, s’avère malgré tout intéressant, et ce de manière assez inattendue, avouons-le. Les intentions dont Bruss taxait Rahrs, les ennemis de Rhama, n’apparaissent-elles pas aujourd’hui dans des pratiques extrêmes de marketing ou de management ?

B. R. Bruss écrivit aussi sous les noms de Roger Blondel et de René Bonnefoy (son vrai nom). On se perd en conjectures quand on compare l’œuvre de B. R. Bruss à celle de certains de ses collègues en « Anticipation », surtout à la lumière du fait que cet ami de Pierre Laval collabora sous l’Occupation et occupa un poste important à la censure du régime de Vichy. Mais Bonnefoy s’illustra aussi sous le feu durant la Grande Guerre, et fut décoré pour cela. On peut dès lors sans doute interpréter à la fois sa collaboration et le pacifisme de son œuvre ultérieure dans un même refus de réitérer les boucheries de 14…

Reste que cet omnibus est un hommage, et un hommage mérité, à l’un des auteurs qui fut un des piliers du Fleuve Noir « Anticipation ».

La République des enragés

Selon Eric B. Henriet, le point de divergence d’une uchronie apparaît souvent faible. Le choix doit en effet tenir compte de la connaissance historique du lecteur potentiel, en gros les acquis enseignés au collège et au lycée. L’auteur doit proposer également une réécriture vraisemblable de l’Histoire à partir d’un moment de rupture suffisamment crédible. De ce postulat, certes critiquable puisqu’il se cantonne au temps court de l’événement, découle une abondante littérature où il est d’usage de s’intéresser davantage aux conséquences d’une victoire de Napoléon ou des nazis plutôt qu’aux effets à long terme d’une incongruité en Mésopotamie.

La République des enragés ne déroge pas à ce principe puisque Xavier Bruce choisit de prendre comme point de divergence l’un des événements les plus marquants de la mémoire collective française : Mai 68. L’auteur nous invite ainsi à suivre les trajectoires d’un groupe de jeunes hommes et femmes amenés à se croiser, puis à se retrouver, durant ce moment de crise nationale. Sur cet argument de départ, Xavier Bruce greffe des motivations plus personnelles sortant du cadre classique de la rationalité. Nos jeunes gens partagent en effet la particularité d’être des fugitifs. Evadés en 1952 d’un centre de recherche ultra-secret, ils sont pourvus de pouvoirs extraordinaires faisant d’eux des mutants. Des sortes de X-Men en puissance, condamnés à se cacher des autorités, et qui semblent prêts à mettre à profit le chaos de Mai 68 pour régler quelques comptes et construire un nouveau monde.

Le sujet abordé par Xavier Bruce (ancien collaborateur de Bifrost, rappelons-le au passage) augurait du meilleur. Hélas, l’auteur semble s’être laissé contaminer par l’état d’esprit prévalant à cette époque dans la jeunesse. Sous couvert d’ode à la liberté, surtout des corps, d’ailleurs, La République des enragés est traversé par un sentiment de laisser-aller, un j’m’en foutisme global conférant à l’intrigue un rythme paresseux où même les coups de théâtre apparaissent téléphonés. Du côté des personnages, ce n’est guère mieux. Leur psychologie est brossée à gros traits quand elle ne paraît tout simplement pas grotesque. Sur ce point, la prime de la caricature revient incontestablement à l’ancien militaire raciste et au secrétaire d’Etat arriviste issu de l’organisation d’extrême droite Occident. Plus fâcheux, leurs parcours s’entremêlent sans contribuer à une quelconque progression dramatique, l’auteur préférant nourrir sa passion sincère pour la croupe de ses héroïnes.

Du point de vue de l’uchronie, les perspectives sont à peine esquissées. Tout au plus, Xavier Bruce laisse-t-il entendre que la disparition du général De Gaulle n’est pas étrangère à sa rencontre avec un mutant. Pour le reste, il faut se contenter d’un dénouement expéditif, somme toute très frustrant. Sur une période assez proche, on recommandera Rêves de gloire de Roland C. Wagner, bien plus convaincant.

En fait, La République des enragés n’est pas une uchronie prenant pour point de divergence les événements de Mai 68, mais un roman inconséquent qui arrache péniblement un sourire. On aurait presque envie de paraphraser un slogan de l’époque et d’en rajouter : Cours camarade, fuis…

Les Nuits du Boudayin

Un temps projetée chez Denoël, dans la collection « Lunes d’encre » puis abandonnée au profit de titres plus faisables, l’intégrale des aventures du privé Marîd Audran paraît finalement chez Mnémos. Un livre massif, relié, à la couverture rigide cartonnée, mais malheureusement gâchée par une illustration que l’on qualifiera poliment de moche. Même si les trois romans de la série demeurent disponibles en poche, on peut se réjouir de trouver désormais dans nos contrées l’ensemble des aventures du personnage créé par George Alec Effinger. Les nouvelles rassemblées dans le recueil posthume Budayeen Nights figurent en effet au sommaire de cet ouvrage, à l’exception cependant de « Marîd Changes his Mind ». Mais, ceci n’est pas bien grave vu qu’il s’agit des six premiers chapitres du roman Privé de désert. Par contre, on peut déplorer que la traduction de Jean Bonnefoy, surtout les calembours piteux des titres, n’ait pas été un tantinet remaniée. Tant pis !

A la croisée de la science-fiction et du roman noir, le quartier du Boudayin s’apparente à un coupe-gorge fréquenté par quelques touristes téméraires en quête de frisson, voire d’activités beaucoup plus illicites. Pour les habitués, prostituées, souteneurs et michetons, sexchangistes, policiers véreux et autres ruffians prompts au maniement du couteau ou du pistolet à aiguilles, ce lieu représente un havre de tranquillité pour mener à bien leurs combines. A la condition de respecter la hiérarchie criminelle et les règles établies par Friedlander bey, alias Papa, le caïd des caïds de la Cité. Dans ce futur balkanisé, où les anciennes nations ont cédé la place à une multitude d’entités politiques en conflit perpétuel, où la civilisation musulmane semble avoir pris le dessus, où les modifications corporelles ont pignon sur rue, se faire câbler le cerveau est devenu une opération banale pour peu qu’on possède les fonds nécessaires à l’intervention. Ceci permet d’accroître considérablement ses capacités ou de bénéficier d’autres personnalités. Ainsi, il suffit de brancher sur son implant un MAMIE (module mimétique enfichable) pour devenir quelqu’un d’autre, personnage réel ou fictif. Et si l’on ajoute un PAPIE (périphérique d’apprentissage intégré), on gagne des connaissances supplémentaires, voire une résistance accrue à la douleur, la faim ou les retours de beuverie. Bref, on flirte avec une sorte de posthumanité.

Si « Les Nuits du Boudayin » s’inscrivent dans les archétypes du roman noir, le contexte science-fictionnel rappelle bien entendu celui du courant cyberpunk. Dans le futur de George Alec Effinger, le changement de sexe n’exige qu’une opération chirurgicale pour adapter son anatomie. Le câblage neuronal apparaît monnaie courante, permettant toutes les fantaisies. La consommation de drogues adoucit la dureté de la vie et des cuites. Mais l’esthétique cybernétique est ici teintée de culture musulmane. Le décalage apporte un zeste d’exotisme propice au dépaysement, même si le récit demeure ancré dans le registre hard boiled.

Au cours de ses pérégrinations livresques, le lecteur s’attache aux pas de Marîd Audran, sorte de Philip Marlowe avec keffieh, dans un décor des mille et une nuits de la déglingue. Dans Gravité à la manque, le bougre doit affronter un dangereux tueur, aux MAMIES multiples, sur fond de machination politique. Ce volet des enquêtes d’Audran se détache très nettement du lot, car si Privé de désert et Le Talion du Cheikh comptent quelques épisodes amusants, on n’y retrouve hélas pas la même fraîcheur. Devenu en effet l’homme de main de Friedlander bey, Marîd change de statut, n’évoluant plus qu’à la marge du quartier du Boudayin.

A l’exception des trois textes déjà parus en France, les nouvelles proposées ne sont que fonds de tiroir frustrants et histoires fragmentaires, inachevées du fait de la mort d’Effinger. En conséquence, on retiendra surtout « La Ville sur le sable », matrice du Boudayin et récit teinté d’uchronie baignant dans la solitude, l’alcool et les regrets, mais aussi « Le Cyborg sur la montagne » et « Le Chat de Schrödinger » (un prix Hugo et Nebula, tout de même), intéressante variation sur le thème des univers multiples. Parmi les inédits, on se contentera de signaler « Le Vampire du Boudayin », où l’on retrouve le décalage jubilatoire de Gravité à la manque.

On le voit, toutes les nouvelles rassemblées dans cette intégrale ne semblent pas indispensables, loin s’en faut. Certes, le fan de Marîd Audran y trouvera sans doute de quoi contenter sa curiosité, notamment en découvrant les premiers chapitres du quatrième roman de la série et un texte fragmentaire, situé bien après l’action de la trilogie, à une époque où les PAPIES et les MAMIES ont été supplantés par une technologie plus moderne. Mais tout cela procure également un sentiment de tristesse, celui des projets inaboutis.

Le Guide de l'uchronie

L’actualité se révèle chargée en matière d’uchronie chez ActuSF puisque pas moins de deux ouvrages relevant de cet exercice intellectuel et ludique sont parus en janvier. Un roman (signé Xavier Bruce) et un guide de petit format, mais pesant tout de même plus de trois cents pages. Bernard Campeis et Karine Gobled, par ailleurs membres du jury du prix ActuSF de l’uchronie, ont dépouillé un vaste corpus d’œuvres relevant de l’histoire alternative. Ne dédaignant aucune de ses manifestations, ils ont opéré une sélection sans chercher à être exhaustifs parmi les romans, les essais, les revues, la bande dessinée et les autres médias. Un travail salutaire, précieux pour le néophyte, mais dans lequel le connaisseur trouvera matière à réflexion. Car si l’ouvrage se veut d’un usage pratique, comme une sorte de vade-mecum, il se révèle également didactique. Les auteurs proposent en effet une alternative aux essais de Eric B. Henriet, lui-même préfacier de l’ouvrage, faisant œuvre de pédagogues sur des questions théoriques et historiographiques, sans omettre des sujets plus délicats comme les diverses déclinaisons de l’exercice et ses relations avec les autres fictions, l’Histoire et le révisionnisme. Quelques entretiens avec des acteurs de l’uchronie et un historien viennent enrichir le guide, apportant un éclairage supplémentaire au travail des auteurs. L’ouvrage peut par ailleurs s’enorgueillir de notices bien conçues, résumant sans trop dévoiler les œuvres sélectionnées. Elles comportent un bref commentaire et aiguillent le curieux vers d’autres pistes de lecture. On regrettera juste l’absence d’index, compensé il est vrai par un sommaire et le classement alphabétique des titres.

Comme le rappelle l’introduction, si les faits historiques connus demeurent intangibles, leur interprétation peut faire l’objet d’amendements et de débats, parfois féroces, l’Histoire étant à bien des égards un sport de combat. De nouvelles sources, une grille de lecture différente ou le recours à d’autres outils conceptuels peuvent conduire l’historien à modifier sa vision du passé. La démarche paraît profitable lorsqu’elle ne sert pas des enjeux idéologiques. Cependant, en empruntant les outils de l’historien, on peut appliquer le même raisonnement avec l’uchronie et ainsi émettre quelques réserves devant l’annexion au genre d’œuvres hybrides, comme par exemple l’uchronie fantastique et de fantasy. Réécriture de l’Histoire à partir d’une ou plusieurs divergences, l’histoire alternative doit respecter un minimum la rationalité. L’intrusion d’un élément surnaturel ou emprunté à la mythologie semble rompre le pacte établi avec le lecteur féru d’Histoire. Sur ce point, Xavier Mauméjean propose un échappatoire satisfaisant, du moins suffisamment argumenté pour vaincre les réticences. Autre point à discussion, le steampunk et les autres fantaisies historiques relèvent davantage d’un jeu avec la fiction, ses codes et ses stéréotypes, que d’un jeu avec l’Histoire. Un plaisir régressif plutôt qu’un exercice intellectuel, même si certains auteurs ont su joliment tirer leur épingle du jeu. Aussi, préférons-nous nous en tenir à la proposition de Eric B. Henriet, qui classe l’exercice en deux catégories : l’uchronie pure et les récits à caractère uchronique. Comme quoi, à trop vouloir rentrer dans les détails, on finit par rencontrer l’avocat du Diable…

En dépit de ce léger bémol, Le Guide de l’uchronie semble une opportunité à saisir pour l’amateur d’Histoire alternative. Avec cet ouvrage, Bernard Campeis et Karine Gobled remplissent pleinement leur rôle, celui de passeurs attachés à partager leur passion. Bref, vous l’aurez compris, il n’existe guère d’autres alternatives que celle d’acquérir ce petit guide bien pratique.

Le Paradoxe de Fermi

Le Paradoxe de Fermi est une version corrigée du roman de Jean-Pierre Boudine publié en 2002. Treize ans après la version initiale, l’auteur ajoute certains développements que l’histoire récente (crise financière de 2007, accroissement des inégalités mondiales, ou progression incontrôlée de la menace climatique — éléments ayant conduit le 22 janvier dernier à une avancée de deux minutes de la célèbre Horloge de l’Apocalypse) rend incontournables.

En Pythie moderne, Boudine décrit les effets ravageurs d’une crise systémique débutant dans la finance puis s’étendant de proche en proche à tous les rouages d’une société technicienne devenue si complexe que le moindre défaut suffit à la faire s’écrouler. Il le fait à travers le journal, futile testament, d’un narrateur réfugié dans une grotte des Alpes pour fuir la menace mortelle que représentent ses derniers contemporains.

L’auteur montre comment une division du travail poussée à l’extrême, une informatisation omniprésente et un défaut évident d’intégration sociale rendent les sociétés aussi fragiles que de très fins mécanismes d’horlogerie. Alors quand, au bout du déni, le réel s’écrase sur la face du monde, quand un système économique productiviste, inégalitaire, en surchauffe, finit par exploser, quand l’agressivité d’une espèce prédatrice, l’individualisme égotiste qui fonde la nature humaine — Hobbes ? —, et la dictature de l’immédiateté avec ses conséquences écologiques s’en mêlent, la danse sur le volcan finit inévitablement au fond de sa gueule.

Tout ceci, Boudine le montre sans guère de pathos, et il est difficile de prendre son raisonnement en défaut. Il en tire une solution simple, comme évidente, au célèbre paradoxe de Fermi. La vie intelligente ne peut durer. Les civilisations techniciennes s’autodétruisent vite. C’est pour cela que nous n’en avons jamais rencontré aucune dans l’immense univers.

En accord total avec la thèse de l’auteur, je ne trouve néanmoins pas son texte sans défaut. Froid, presque clinique, Boudine ne crée pas de personnages. On en sait un peu sur son narrateur, presque rien sur les autres. Aucun ne développe avec le lecteur une relation qui l’impliquerait. Très bref dans sa description de l’effondrement, il convaincra les convaincus tels que moi mais manque sûrement d’artifices rhétoriques pour faire basculer les indécis. Si on ne s’intéresse pas à ces questions, tout peut sembler trop rapide, trop explicitement didactique. A mi-chemin entre un roman comme Exodes de Jean-Marc Ligny et un essai comme le glaçant The Collapse of Complex Societies de Joseph Tainter, Le Paradoxe de Fermi est au moins une bonne introduction à la fragilité d’un monde qui nous paraît acquis. En cela, il est utile et méritoire.

Dernières Nouvelles d'Œsthrénie

[Critique commune à Chants du cauchemar et de la nuit et Dernières nouvelles d'Œsthrénie.]

Thomas Ligotti est une star de l’horreur psychologique et/ou philosophique dans le monde anglo-saxon, si connu et si nihiliste qu’on a accusé les créateurs de la série True Detective de lui avoir piqué des idées. Il  n’était toujours pas traduit  en  France. Omission coupable réparée  grâce  aux éditions Dystopia et à la traductrice Anne-Sylvie Homassel.

Cette dernière a composé Chants du cauchemar et de la nuit, un recueil VF inédit de l’auteur comptant onze nouvelles issues de divers ouvrages VO (Grimscribe notamment), et une préface de la traductrice. Judicieusement choisies, ces nouvelles offrent une vision globale des facettes du travail de Ligotti. De la presque classique « Petits jeux », qui ouvre le recueil, au « Tsalal » qui le ferme, en passant par les lovecraftiennes « L’Art perdu du crépuscule » ou « Nethescurial », la diversité des textes présentés est la grande qualité de cet ouvrage.

Dans la lignée de Poe pour une certaine esthétique gothique, et plus encore de Lovecraft pour un matérialisme et un nihilisme absolus, Ligotti crée une horreur, gothique un peu, cosmique beaucoup, dans laquelle l’individu — on est tenté d’écrire la victime — se trouve confronté, à son corps défendant, à une vérité que l’illusion de la réalité lui avait toujours dissimulée. Comme chez Lovecraft, l’Homme de Ligotti n’est qu’un atome insignifiant au sein d’un univers qui, au mieux, l’ignore. Il n’y a pas de sens, pas de but, la vie même est superflue. Et la conscience : une erreur tragique de l’évolution. Mort et extinction sont préférables à la poursuite de la pantomime grotesque qui place l’Homme au centre de l’Univers ou de la Création. Comme l’écrit son préfacier Ray Brassier : « Life, in Ligotti’s outsized stamp of disapproval, is MALIGNANTLY USELESS ».

La révélation est cruelle, terrifiante ; les yeux humains ne sont dessillés que dans la souffrance. Illusion, révélation, horreur, c’est le triptyque de Ligotti. Il y a toujours un visage derrière le visage, une ville derrière la ville, un paysage derrière le paysage, et c’est insupportable. Guère plus que des marionnettes (image récurrente), incertains de leur identité, les humains ne peuvent vivre sereins que dans l’ignorance. Un mot, un geste, une rencontre, un livre les force, pour le pire, à quitter la dreaming innocence. Voir c’est savoir, et savoir c’est vouloir l’annihilation. Pour illustrer cette philosophie, qu’il décrit explicitement dans l’excellent The Conspiracy Against the Human Race, Ligotti oscille sans cesse, dans ces nouvelles, entre des descriptions d’une beauté surprenante et des considérations philosophiques boursouflées au point d’en devenir obèses. Si le fond est passionnant, la forme très irrégulière et la narration bien trop souvent statique peuvent rebuter. Peut-être plus essayiste que romancier, Ligotti n’est pas un auteur d’accès facile, quand bien même on adhère à sa philosophie. Il est néanmoins judicieux pour le public français d’aller à sa rencontre. Pour voir.

Actualité chargée pour Anne-Sylvie Homassel puisque paraît aussi, toujours chez Dystopia, Dernières nouvelles d’Œsthrénie qu’elle a écrit sous son identité d’Anne-Sylvie Salzman. Une préface des Rémy puis six nouvelles liées racontent sur plusieurs décennies l’histoire de l’Œsthrénie, petit pays imaginaire d’Europe Centrale. Situé, hélas, à la croisée des chemins, l’Œsthrénie tente d’exister sous la surveillance malveillante, la domination plus ou moins explicite, et les agressions fréquentes, de l’Autriche, la Roumanie, la Turquie parfois. De décennies en décennies, d’une nouvelle à une autre, le lecteur suit les destins de personnages liés, qui sont aussi celui du pays lui-même, sur une échelle de temps allant d’un moment au XIXe à un autre au XXe, d’un monde féodal à une technocratie impériale. Il y a un peu des Soldats de la mer dans ce recueil, avec un fantastique beaucoup moins présent.

Ces Dernières nouvelles… entrainent leurs lecteurs à la découverte en profondeur d’un pays proche et pourtant différent. Elles le poussent à plonger dans son histoire, ses mœurs, ses coutumes (superbes scènes de mariage et d’enterrement), sa politique intérieure, sa religion, ses déboires géopolitiques. Sont longuement et précisément décrits, dans un style à mi-chemin entre le conte et la chronique historique, les vies heurtées (entre mésalliance, terrorisme politique, ascension sociale fulgurante et déchéance aussi rapide) des quelques héros d’Œsthrénie et le destin brisé d’un pays indépendant — aussi peu que ce soit — qui fait une révolution avant d’être conquis en fait puis en droit. L’histoire du pays conditionne les vies. Le personnage principal, c’est l’Œsthrénie.

Le tout est minutieux, précis, parfois trop détaillé, d’autres fois un peu désincarné en raison des échelles de temps, toujours plaisant à lire néanmoins.

Chants du cauchemar et de la nuit

[Critique commune à Chants du cauchemar et de la nuit et Dernières nouvelles d'Œsthrénie.]

Thomas Ligotti est une star de l’horreur psychologique et/ou philosophique dans le monde anglo-saxon, si connu et si nihiliste qu’on a accusé les créateurs de la série True Detective de lui avoir piqué des idées. Il  n’était toujours pas traduit  en  France. Omission coupable réparée  grâce  aux éditions Dystopia et à la traductrice Anne-Sylvie Homassel.

Cette dernière a composé Chants du cauchemar et de la nuit, un recueil VF inédit de l’auteur comptant onze nouvelles issues de divers ouvrages VO (Grimscribe notamment), et une préface de la traductrice. Judicieusement choisies, ces nouvelles offrent une vision globale des facettes du travail de Ligotti. De la presque classique « Petits jeux », qui ouvre le recueil, au « Tsalal » qui le ferme, en passant par les lovecraftiennes « L’Art perdu du crépuscule » ou « Nethescurial », la diversité des textes présentés est la grande qualité de cet ouvrage.

Dans la lignée de Poe pour une certaine esthétique gothique, et plus encore de Lovecraft pour un matérialisme et un nihilisme absolus, Ligotti crée une horreur, gothique un peu, cosmique beaucoup, dans laquelle l’individu — on est tenté d’écrire la victime — se trouve confronté, à son corps défendant, à une vérité que l’illusion de la réalité lui avait toujours dissimulée. Comme chez Lovecraft, l’Homme de Ligotti n’est qu’un atome insignifiant au sein d’un univers qui, au mieux, l’ignore. Il n’y a pas de sens, pas de but, la vie même est superflue. Et la conscience : une erreur tragique de l’évolution. Mort et extinction sont préférables à la poursuite de la pantomime grotesque qui place l’Homme au centre de l’Univers ou de la Création. Comme l’écrit son préfacier Ray Brassier : « Life, in Ligotti’s outsized stamp of disapproval, is MALIGNANTLY USELESS ».

La révélation est cruelle, terrifiante ; les yeux humains ne sont dessillés que dans la souffrance. Illusion, révélation, horreur, c’est le triptyque de Ligotti. Il y a toujours un visage derrière le visage, une ville derrière la ville, un paysage derrière le paysage, et c’est insupportable. Guère plus que des marionnettes (image récurrente), incertains de leur identité, les humains ne peuvent vivre sereins que dans l’ignorance. Un mot, un geste, une rencontre, un livre les force, pour le pire, à quitter la dreaming innocence. Voir c’est savoir, et savoir c’est vouloir l’annihilation. Pour illustrer cette philosophie, qu’il décrit explicitement dans l’excellent The Conspiracy Against the Human Race, Ligotti oscille sans cesse, dans ces nouvelles, entre des descriptions d’une beauté surprenante et des considérations philosophiques boursouflées au point d’en devenir obèses. Si le fond est passionnant, la forme très irrégulière et la narration bien trop souvent statique peuvent rebuter. Peut-être plus essayiste que romancier, Ligotti n’est pas un auteur d’accès facile, quand bien même on adhère à sa philosophie. Il est néanmoins judicieux pour le public français d’aller à sa rencontre. Pour voir.

Actualité chargée pour Anne-Sylvie Homassel puisque paraît aussi, toujours chez Dystopia, Dernières nouvelles d’Œsthrénie qu’elle a écrit sous son identité d’Anne-Sylvie Salzman. Une préface des Rémy puis six nouvelles liées racontent sur plusieurs décennies l’histoire de l’Œsthrénie, petit pays imaginaire d’Europe Centrale. Situé, hélas, à la croisée des chemins, l’Œsthrénie tente d’exister sous la surveillance malveillante, la domination plus ou moins explicite, et les agressions fréquentes, de l’Autriche, la Roumanie, la Turquie parfois. De décennies en décennies, d’une nouvelle à une autre, le lecteur suit les destins de personnages liés, qui sont aussi celui du pays lui-même, sur une échelle de temps allant d’un moment au xixe à un autre au xxe, d’un monde féodal à une technocratie impériale. Il y a un peu des Soldats de la mer dans ce recueil, avec un fantastique beaucoup moins présent.

Ces Dernières nouvelles… entrainent leurs lecteurs à la découverte en profondeur d’un pays proche et pourtant différent. Elles le poussent à plonger dans son histoire, ses mœurs, ses coutumes (superbes scènes de mariage et d’enterrement), sa politique intérieure, sa religion, ses déboires géopolitiques. Sont longuement et précisément décrits, dans un style à mi-chemin entre le conte et la chronique historique, les vies heurtées (entre mésalliance, terrorisme politique, ascension sociale fulgurante et déchéance aussi rapide) des quelques héros d’Œsthrénie et le destin brisé d’un pays indépendant — aussi peu que ce soit — qui fait une révolution avant d’être conquis en fait puis en droit. L’histoire du pays conditionne les vies. Le personnage principal, c’est l’Œsthrénie.

Le tout est minutieux, précis, parfois trop détaillé, d’autres fois un peu désincarné en raison des échelles de temps, toujours plaisant à lire néanmoins.

L'Âme de l'empereur

Brandon Sanderson est connu notamment pour Elantris, Warbreaker, Fils-des-Brumes, ou la conclusion en cours d’écriture de « La Roue du temps » dont il remplace le créateur, Robert Jordan, mort prématurément. L’Ame de l’empereur a reçu le Prix Hugo du court roman 2013.

Empire de la Rose. A sa tête, Ashravan — sorte de roi fainéant entouré d’Arbitres qui exercent la réalité du pouvoir. Plusieurs factions patriciennes gravitent autour du monarque. Celle de l’Héritage détient le pouvoir, que voudrait s’approprier celle de la Gloire. Du désir à l’impérieuse nécessité il n’y a qu’un pas, que franchit la Gloire en envoyant un sicaire éliminer l’empereur. L’assassin ne parvient à tuer que l’impératrice, laissant le monarque dans un état végétatif. Or, l’Héritage doit absolument présenter dans les plus brefs délais un empereur fonctionnel à la cour sous peine de perdre le pouvoir. Il lui faut donc passer un « pacte avec le diable » en proposant à Shai, jeune Faussaire condamnée à mort, de forger une âme pour l’empereur afin d’implanter une conscience dans son corps inerte. Problème de taille, la nouvelle âme doit être suffisamment proche de l’ancienne pour rendre la Falsification indétectable. Shai, mise au secret dans une chambre du palais, va donc se plonger dans la vie de l’empereur et percer son intimité.

Réussira-t-elle la Falsification la plus difficile de sa carrière ? Usera-t-elle du pouvoir que lui donne son acte pour changer l’empereur ? Et sortira-t-elle vivante de cette aventure dont aucun témoin ne doit subsister ?

Sanderson, connu pour être l’auteur qui invente des systèmes de magie originaux, ne fait pas exception ici. La Falsification est une réécriture des caractéristiques d’un objet par la réécriture de son histoire. Veut-on s’enfuir d’une pièce verrouillée ? Il suffit de « raconter » à la serrure qu’elle fut mal forgée et présente donc un défaut structurel que le captif utilisera pour la briser. Connaissance du passé et réécriture sont les dons magiques des Faussaires ; s’y ajoutent psychologie et sens déductif. Savoir ce qu’est la chose pour savoir ce qu’elle aurait pu être, et la convaincre de le devenir. On pense à l’Egan d’Isolation — le principe est proche.

En dépit de l’écriture un peu trop moderne de Sanderson, le voyage qu’il propose s’avère agréable. Shai est un personnage aimable qui tentera de faire les choses justes quand l’occasion lui en sera donnée. Le lecteur embarque avec elle dans une aventure inédite au cœur des arcanes mortels de la politique impériale.

Fille de l'eau

Fille de l’eau est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Rendez-vous manqué avec la couverture, d’abord, complètement à côté de la plaque, et qui tente d’attirer le (jeune) chaland féminin avec une illustration digne des pires cauchemars bit’litogirly des éditions Milady. Avec le titre français, ensuite (auquel on préférera de beaucoup l’anglais, Memory of Water), partiellement hors sujet, lui aussi, et qui renvoie immanquablement à la bouse filmique de M. Night Shyamalan. Avec la traduction dudit roman, enfin. Car s’il m’est difficile de me référer au texte finnois (j’ai le finnois rouillé, voyez-vous), la surabondance de répétitions, d’imparfaits du subjonctif et de l’emploi du passé simple rebuteront le plus motivé des lecteurs de moins de, disons, 70 ans… un comble, au regard de la couverture !

Reste un premier roman qu’on imagine doté d’une belle langue sous les scories lourdingues. Une ambiance oppressante dans ce futur d’après les guerres de l’eau, dans ce nord de l’Europe privé d’hivers et sous influence chinoise totalitaire — l’environnement politique mondial, juste effleuré, n’en est que plus oppressant et suffit à mesurer l’ampleur de la catastrophe. Et un personnage principal, enfin, magnifique de justesse et de profondeur, dépositaire de la tradition zen séculaire antécatastrophe, pont entre deux univers condamné à la ruine. Un beau livre, sans doute, récit du désenchantement, mais pollué par son environnement éditorial français. Un rendez-vous manqué, vous dis-je. Qu’on ne peut que regretter.

Thinking Eternity

9 novembre, une date funeste dans l’histoire de l’humanité. Des terroristes répandent un gaz mortel dans des stations de métro du monde entier. Plusieurs milliers de personnes meurent à travers la planète. Quelques rares individus survivent, mais y perdent la vue. Adrian Eckard est l’un d’eux. Ce biologiste de haut niveau va profiter de la greffe d’un œil révolutionnaire. Homme augmenté, mais complètement bouleversé par cet événement tragique, il change de vie. Il va désormais partager son savoir avec ceux que le monde a laissés de côté, créant ainsi, sans le vouloir, un mouvement mondial, le thinking. De son côté, sa sœur, brillante neuro-informaticienne, est approchée par Eternity Incorporated. Cette entreprise tentaculaire, à la fortune considérable et à l’influence non moins importante, cherche des moyens de sauver l’espèce humaine : villes protégées par des bulles, intelligences artificielles, etc. Malgré eux, frère et sœur vont se trouver mêlés à des intrigues telles que le visage du monde en sera durablement modifié.

En 2011 paraissait Eternity Incorporated, chronique d’un monde ravagé par un virus exceptionnellement efficace. Thinking Eternity nous raconte comment on en est arrivé là, comment l’humanité a couru à sa perte. Une réflexion sur l’avenir de nos sociétés, en somme : peut-on continuer en laissant dans l’ignorance, la pauvreté et la faim, une grande partie de l’humanité ? Pour Adrian, la réponse est non, plus encore depuis que son regard a été modifié. La solution réside dans le savoir, un savoir accessible à tous, chaque habitant de la planète, d’une part grâce à un réseau fiable et gratuit, mais aussi par la vulgarisation des connaissances scientifiques et leur traduction dans la plupart des langues. Diane, elle, explore une autre voie : la création d’I.A. capables de pallier les faiblesses des êtres humains, de guider les civilisations vers la paix et la prospérité. Deux directions pas forcément incompatibles, portées par des personnages riches et complexes dont les doutes ponctuent l’intrigue, offrant de fait la possibilité au lecteur de s’interroger sur ce thème capital, de remettre en question ses propres certitudes.

Récit à deux voix, Thinking Eternity se lit vite. Trop, peut-être (c’est là le seul reproche qu’on pourrait faire à ce roman SF construit comme un thriller à la mécanique un peu trop apparente). Les chapitres courts, les re-gards croisés sur les événements confèrent à cette chronique d’une mort annoncée un rythme efficace. D’autant que certaines des pistes suivies par les deux personnages principaux semblent des plus crédibles et nourrissent une réflexion stimulante. Les complots succèdent aux tentatives d’assassinat, les coups de théâtre aux choix cornéliens, le tout sans temps mort. On souligne parfois dans nos pages le peu d’appétence des auteurs français pour cette SF qui pense le monde et ses enjeux actuels. Si Thinking Eternity manque peut-être encore un peu d’ampleur, pêche parfois du fait d’un cadre narratif un tantinet rigide, Raphaël Granier de Cassagnac nous rappelle ici qu’il n’en est pas moins un véritable auteur de science-fiction. Francophone, qui plus est. Voilà qui n’est pas si courant, et mérite qu’on y re-garde d’un peu plus près : il y a là de quoi y trouver son compte.

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