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L'Ami de toujours

Qui ne s’est pas inventé, dans sa jeunesse, un ami imaginaire ? Qui n’a pas trouvé en lui un réconfort pour les gros chagrins, un alibi pour les grosses bêtises, un secours pour les grands traumatismes ? Et que devient ce double une fois que l’on a grandi, que l’on n’a plus besoin de lui ? C’est à ces questions que répond en partie, à sa manière si érudite, Xavier Mauméjean dans L’Ami de toujours, un point de départ pour une immersion dans le monde des geeks et, surtout, dans l’inconscient de l’un d’eux.

David, le personnage narrateur, est un jeune homme pas réellement sorti de l’enfance, geek assumé (quoique !) transparent aux yeux du monde. Presque une caricature. Mal dans sa peau, il a enfin l’occasion de briller et d’obtenir le métier de ses rêves : concepteur chez un géant du jeu vidéo, à New York. Mais rapidement tout dérape. Pour commencer, à l’aéroport, il rencontre Richard, son ancien ami imaginaire. Celui avec qui il a partagé toutes ses souffrances et ses peurs d’enfant. Celui qui osait accomplir les actions dangereuses, aller dans les endroits périlleux, réaliser ce que son géniteur avait peur de faire. Mais aussi celui qui avait disparu depuis dix ans, avec l’arrivée de l’adolescence. Et qui, soudain, a l’air bien réel.

Après quoi David rate son entretien professionnel chez Eidetic ; une ligne de plus dans la litanie de ses échecs. Sauf que par miracle, il est malgré tout embauché : Richard a passé brillamment le test à sa place. Serait-il possible que d’imaginaire, ce fantasme d’enfant soit devenu un être de chair et d’os capable d’interagir avec le monde extérieur ? Que vient-il faire, de nouveau, aux côtés de David ? Quel est son but ?

Une fois dépassés les tics de langage « jeune » horripilants et les nombreuses (trop, par endroits) références aux jeux, groupes musicaux et films de la génération visée par le roman, on est vite happé par l’intrigue. Le parti pris de la narration à travers un journal intime (électronique, évidemment), un procédé certes classique, est efficace et permet de plonger dans le récit sans se poser de question. On est dans la peau de David et l’irruption de son double imaginaire sème un malaise qui ira crescendo jusqu’au dénouement final, agréablement surprenant, à défaut d’être totalement original.

Après le remarqué Rosée de feu et son fond très historique, Xavier Mauméjean se permet une petit halte dans le monde actuel. Coutumier de l’immersion totale dans l’univers, dans la période qu’il utilise comme cadre à ses romans, il plonge ici dans la vie des informaticiens et des geeks avec la même envie, la même curiosité. Tout en creusant en sus la question du double à travers les cultures et les âges. Même s’il est, rappelons-le, destiné à un public jeune (dès 12 ans, selon l’éditeur), L’Ami de toujours fourmille d’anecdotes, de références plus ou moins détaillées. Et cela, sans gêner la lecture ou ralentir le rythme ! Une preuve supplémentaire de l’érudition de cet auteur exigeant et de son talent à nous faire partager ses découvertes.

Memories of Retrocity

« Retrocity te nourrit de sa langueur, te fait ingurgiter sa propre logique. Puis, lorsque tu es assez mûr, elle te dévore, doucement... Et tu deviens alors une partie d’elle. Une de ces choses étranges qui m’ont tant effrayé lors de mon arrivée, durant mes premiers jours ici. » Page 45... aux alentours, disons, l’ouvrage n’étant pas folioté.

Memories of Retrocity, le journal de William Drum nous raconte l’histoire d’un flic exilé dans une ville nord-américaine éternellement grise, sur laquelle règne la compagnie Hover qui produit des prothèses chirurgicales, du matériel électronique désuet et bien d’autres choses encore (des cigarettes dégueulasses, du whisky tourbé !). Un mal endémique a frappé cette mégapole, le rétro-processus, dont la finalité est la fusion homme-machine, homme-objet (à un moment, un homme-fauteuil tente de mordre son épouse à rouages apparents ; ça vous rappelle quelque chose ?). Le seul moyen d’échapper au rétro-processus, c’est de se faire greffer un mécanisme qui sert alors de vaccin et éloigne définitivement une maladie qui, paradoxalement, peut vous conduire à une répugnante forme d’immortalité biomécanique. Voilà le monde glauque que va découvrir William Drum. Un monde forcément dangereux.

Memories of Retrocity est un projet à part dans le petit monde de l’Imaginaire de langue française (j’imagine assez douloureuse la facture de l’imprimeur), un roman graphique entièrement en quadrichromie, postfacé par Alain Damasio (plus sobre qu’à l’accoutumée, et qui produit là le meilleur segment textuel de l’ouvrage). Une première constatation s’impose : l’objet est magnifique. Mise en page de qualité, couverture embossée, fausses publicités ; tout est réussi sur le plan esthétique. La version luxe contient un CD musical, parfois redondant avec le texte mais pas inintéressant. Quant aux dessins, ils sont pour la plupart bluffants, les corps se mélangeant avec des engrenages, de la technologie très fifties. Ce n’est pas du steampunk, pas du gothique, pas du post-apocalyptique, mais un mélange de tout ça et de visions SF typiques des années 50-60. Impossible de ne pas penser au Dr Adder de K. W. Jeter pour les mutilations, aux délires visuels du Terry Gilliam de Brazil, au Blade Runner de Ridley Scott et à la série de jeux vidéos Fallout pour l’ambiance années cinquante remixées trash radioactif.

Pour ce qui est de la partie romanesque (écrite, donc), force est de constater que l’auteur n’est malheureusement pas toujours au niveau de ses ambitions. C’est honnête, il y a de bons passages, une vraie progression dramatique, une fin très forte, mais la narration n’est pas au diapason des dessins, époustouflants dans les registres érotiques ou horrifiques. A ce manque de punch narratif, on ajoutera des maladresses stylistiques, des disparités de ton malvenues, des problèmes de concordance des temps, des coquilles, une ponctuation pas toujours bien sentie. Des broutilles, si ce n’était qu’en un mot comme en cent, le texte est trop SAGE (surtout quand on le compare à celui de Damasio). On aurait aimé pénétrer plus profond dans ce délire érotique, tangenter une saine pornographie, on aurait aimé sentir davantage l’horreur (rarement indicible, brutale, frontale) de cette ville mutante qui semble tirée d’un mauvais trip de feu William S. Bur-roughs.

Malgré ses petits défauts (d’écriture), Memories of retrocity est un beau cadeau pour les fans de SF horrifique (ils se régaleront des références, parfois bien cachées, mais listées, par plaisir ? par honnêteté intellectuelle ? en fin de volume). Une initiative (et une ambition rare) à soutenir.

Fiction T11

Peu convaincant ce numéro de Fiction. Sommaire décevant, fabrication en net retrait comparé aux numéros précédents.

Il contient toutefois deux nouvelles formidables (Paolo Bacigalupi & Carolyn Ives Gilman) et une très belle évocation de l'Afrique future (Nnedi Okorafor). Le reste du sommaire est nettement moins enthousiasmant avec des nouvelles intrigantes, intéressantes, mais qui s'empilent sans convaincre totalement (Lisa Goldstein, Eugene Mirabelli, Daryl Gregory, James Patrick Kellly, David Marusek, Wayne Wightman). On touche ensuite le fond avec trois nouvelles assez longues, pénibles à lire, pour ne pas dire exécrables : « Le Blues du vampire » de Jeanne-A Debats, chronique vampirique future au ton insupportable, bâclée, qui contient d'assez jolies incohérences (de dates notamment) ; « L'Enfant sans nom » de Sara Doke, du sous-sous Robert Holdstock arthurien, mal écrit, déjà lu mille fois ; « La Cithare sans corde » de Yoon Ha Lee, un postulat de départ enthousiasmant, avec des détails déments, on croit pendant deux pages tenir un grand texte, mais au final c'est une purge, un récit piétiné et concassé par un auteur qui n'a pas su dominer son sujet.

Mais penchons-nous plutôt sur les trois textes qui valent vraiment le coup et celui de David Marusek :

Dans « L'Araignée artiste » de Nnedi Okorafor (auteur du magnifique, mais très gros, roman africain Who fears death), on suit une femme battue qui joue de la musique pour un drone de surveillance arachnoïde créé afin d’empêcher les populations locales d'abimer un pipeline. Dès la deuxième ligne, on se doute que cette histoire ne va pas très bien finir. Le texte aurait été parfait si l'auteur avait pu s'empêcher de l'achever par une couche de morale gonflante. On notera que ce texte n'est pas issu du magazine américain Fantasy & Science Fiction, mais de la très intéressante anthologie Seeds of change.

« Gens du sable et de la poussière » de Paolo Bacigalupi est une pépite. On y suit une troupe de mercenaires du futur qui peuvent manger de la poussière et des cailloux, qui se customisent et se mutilent pour rigoler (tout repousse très vite) et qui tombent nez à nez avec un chien. Que vont-ils bien pouvoir faire de ce truc d'un autre âge, cher à entretenir ? Profond, triste, hilarant. Un texte d'une maestria rare.

« Economancien » de Carolyn Ives Gilman est la grosse surprise de ce numéro. Un banquier londonien est envoyé par sa responsable en Nanonésie (mélange comique et réussi de la Micronésie et de Dubaï…) pour répondre à une offre d'emploi. En vingt ans, la Nanonésie est devenue une puissance boursière impressionnante grâce… à la magie locale (sorte de vaudou de l'océan Indien). Mais voilà que la crise des subprimes est passée par là et qu'il faut trouver un moyen d'envoyer le dollar mordre la poussière afin d'alléger le poids de la dette nationale. Malin, aussi fun que passionnant. Une grande réussite.

Hasard du calendrier, la partie fictions de la revue se termine avec « Oussama téléphone maison » de David Marusek, une nouvelle azimutée autour de la traque de Ben Laden, un texte où l'Amérique n'a pas vraiment le beau rôle. Un mélange de hard-SF et de comédie d'espionnage (style Les Chèvres du Pentagone), audacieux mais pas totalement convaincant.

Une fois encore, on regrettera la qualité globale des traductions, émaillées de choix douloureux pour le lecteur et de phrases suspectes.

C'était demain

Alors qu’il organise une soirée chez lui pour présenter sa nouvelle invention, la première machine à explorer le temps, l’apprenti écrivain H. G. Wells est interrompu dans sa présentation par Scotland Yard. Il est 5h15 du matin, et, quelques heures plus tôt, après plusieurs années de discrétion, Jack l’éventreur a de nouveau frappé. La police interroge les invités et ne tarde pas à trouver dans leurs affaires un manteau taché de sang. Une enquête rapide détermine que l’incriminant vêtement appartient à Leslie John Stephenson, chirurgien réputé et ami de longue date de H. G. Wells, un hôte évidemment introuvable depuis l’arrivée de la police. Soupçonnant le pire, Wells rejoint sa machine, mais l’Eventreur se trouve déjà à l’intérieur et l’a mise en marche pour se rendre Dieu sait où.

Libéré des tracasseries policières, H. G. Wells retourne à son invention (programmée pour revenir à son point d’origine si on n’en possède pas la clef ; comme c’est pratique, d’un point de vue scénaristique s’entend). Lancé à la poursuite de Jack l’éventreur, il atterrit dans un musée de San Francisco, en 1979, où est exposée sa fabuleuse Utopie (c’est le petit nom de l’engin). C’est dans cette grande ville américaine qu’aura lieu la traque et la confrontation entre l’inventeur (défenseur de l’amour libre) et le tueur en série (défenseur de l’éviscération sans conséquences), un duel à mort que va compliquer l’existence d’Amy Robbins, jeune chargée de clientèle de la Banque d’Angleterre à San Francisco, à laquelle H. G. Wells a demandé de l’aide pour « retrouver un ami anglais fraîchement débarqué et sans bagages ».

Ceux qui ont vu le sympathique film de Nicholas Meyer C’était demain, ne seront jamais surpris par le roman à son origine, tant les différences scénaristiques sont minimes. Mais là où le film fonctionnait grâce à son charme désuet et à l’air d’ahuri permanent que s’était composé pour l’occasion Malcolm « Caligula » McDowell, le roman piétine, ne sort que très rarement du cadre de l’honnête série B d’aventure. On n’y croit jamais (H. G. Wells met une demi-journée pour croiser des Noirs dans San Francisco, là où deux secondes devraient suffire ; le fonctionnement de la machine à explorer le temps semble se plier aux exigences du scénario, alors qu’on est en droit d’attendre l’inverse).

C’était demain est en substance une chasse à l’homme sans grande tension, globalement mièvre, qui demande un énorme effort de suspension d’incrédulité. La dernière page tournée, il reste quand même un livre plaisant, avec des moments très drôles (le repas chez McDonald’s, la scène de séduction d’Amy et la poursuite en voiture). Faire un Harlequin avec H. G. Wells, Jack L’éventreur et une jeune américaine « libérée » était un pari osé. Ce pari-là semble réussi, vous voilà prévenu. Dans le même genre, on préférera Le Jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson, et Le Voyage de Simon Morley de Jack Finney.

Teliam Vore

Deuxième ouvrage signé d’un auteur français (ou plutôt de deux, dans le cas présent) après Le Manuscrit de Grenade de Marianne Lecomte, depuis l’arrivée de Célia Chazel (transfuge des éditions Mnémos) chez Pyg-malion pour développer ce type de parutions (à savoir, de la fantasy francophone), Teliam Vore a beau constituer un premier roman, son univers n’est pas forcément inconnu de tous.

En effet, les deux auteurs, ainsi que leur complice Matthieu Leveder aux dessins, sont à l’origine des Chimères de Mirinar, un projet diffusé en ligne depuis quelques années déjà, une approche qu’ils regrettent d’ailleurs presque aujourd’hui, car il est aisé de passer pour d’éternels « wannabe » auteurs.

Au départ, il y a de toute évidence l’envie de proposer autre chose au lecteur qu’un banal univers médiéval-fantastique de plus. Les auteurs semblent nourrir une réelle ambition, une envie de bousculer les partis pris les plus classiques du tout-venant de la fantasy épique. On pourrait même évoquer une volonté de déconstruction : ici, pas de nom « exotique » à rallonge, pas de manichéisme exacerbé, pas de races par dizaines qui au final se ressemblent toutes plus ou moins…

Le cadre lui-même se révèle intrigant, porté par de bonnes trouvailles (les différents courants de magie, les mondes-miroirs, les Arches…), et les auteurs font preuve d’un certain souci du détail. Mais on flirte aussi parfois avec un trop-plein d’explications qui pour le coup nous ramène au cliché du monde trop planifié qui finit par écraser son intrigue. Et pourtant, l’écriture en elle-même est plutôt fluide, évitant l’écueil du premier roman croulant sous les adverbes et les descriptions interminables.

L’intrigue, justement, aux thématiques fournies et en fin de compte très actuelles, est relativement bien charpentée. Démarrant assez simplement, elle se complexifie peu à peu, développant une certaine noirceur.

Dommage par contre, là encore, qu’on ne puisse faire l’impasse sur un bémol : l’action. Elle occupe au bout du compte une place non négligeable, ce qui finit par lasser, surtout quand, dans le même temps, certains éléments de cet univers (les Titans, etc.) ou fils d’intrigue semblent finalement mis de côté sans raison.

Les personnages constituent également une source de déception : et c’est sans doute là le point le moins convaincant du roman. En dehors d’Elsy, d’Elodianne, et peut-être de la figure de Teliam Vore dans un registre bien différent, ils manquent tous cruellement de profondeur. La galerie de protagonistes, souvent forts en gueule, se limite à ce trait de caractère, sans plus. Il faut dire qu’ils ne sont vraiment pas aidés par les dialogues : là où un Glen Cook est parvenu à créer un langage argotique imagé, Teliam Vore échoue tristement, plombé par un vocabulaire douteux. Il ne suffit pas de quelques « putain » et autres « enculé » pour donner une réelle saveur aux échanges.

Au final, Teliam Vore est certes un roman ambitieux, mais dont on se demande s’il ne chancelle pas sous son propre poids. Un fait peut-être imputable à sa gestation compliquée — retravailler un roman n’est pas chose aisée, surtout quand on doit faire sauter près d’une cinquantaine de pages par rapport à la version autoéditée. En l’état, on ne peut qu’espérer que les auteurs aient tiré les leçons de cette première expérience pour nous proposer à l’avenir quelque chose de plus abouti… Reste que pour l’heure, on fera aisément l’impasse sur Teliam Vore, quand bien même ce roman demeure un cran supérieur par exemple aux dernières parutions d’auteurs français chez Mnémos.

Impossible maintenant de conclure sans évoquer l’épouvantable couverture du livre. Cette illustration proprement hideuse représente un véritable repoussoir, une horreur qui, une fois de plus, n’arrangera pas l’image de la fantasy en général…

Le Manuscrit de Grenade

Nouvelle incursion de Pygmalion du côté des auteurs français, un champ laissé en friche depuis bien longtemps, le roman de Marianne Leconte, paru en janvier dernier, ne convainc pas, bien qu’il ait su un temps éveiller notre curiosité.

En effet, le cadre et les partis pris de l’histoire s’avéraient plutôt séduisants à l’aune des premières pages : l’Espagne, la fin d’une époque avec la Reconquista, les questions de conflits entre les trois grandes religions monothéistes… Las !

Très court (une après-midi suffit à en venir à bout), le roman ne laisse malheureusement pas le temps au lecteur de se plonger réellement dans cet univers à tendance uchronique — la magie étant par exemple bien présente à travers les Doués, des personnages ostracisés par la société. On a rapidement la désagréable impression de rester à la surface des choses, de ne jamais ressentir quoi que ce soit à la lecture, et le récit prend même un malin plaisir à démarrer véritablement au moment où l’on referme le roman, un comble.

De fait, on suit l’intrigue d’un œil distrait. Il faut dire que les personnages mis en avant et les situations exposées peinent à nous affranchir de ce triste constat : les protagonistes n’ont pas l’occasion de gagner en profondeur en cours de route et l’on n’évite que rarement les clichés en tous genres — le méchant inquisiteur sans aucune once de subtilité ; le seigneur troublé par une jeune fille qu’il croit être un garçon ; la jeune fille qui cherche à s’émanciper du poids des traditions… On se demande parfois si l’on n’a pas en réalité affaire à un roman jeunesse — dans le mauvais sens du terme : aventures gentillettes, protagonistes unidimensionnels, univers manichéen, mise de côté des thématiques les plus sensibles — déguisé, n’étaient quelques scènes, notamment une nuit d’amour particulièrement fade et inutile, un peu plus « adultes » semées ici ou là.

La dimension uchronique du récit elle-même ne s’avère guère aboutie : à l’image de la toute fin du roman, qui semble précipitée, le destin de Grenade n’a finalement que peu d’impact, un peu comme si l’auteur avait bifurqué en cours de route du roman historique vers l’uchronie, mais sans avoir d’idée bien précise quant au chemin à suivre. Les remerciements le laissent d’ailleurs penser, puisque l’auteur reconnaît s’être empêtrée dans ses recherches historiques avant qu’on lui suggère de se tourner vers… l’uchronie.

Si le roman n’est en soi pas déplaisant, il n’en demeure pas moins insipide et l’on a déjà croisé bien plus abouti et ambitieux dans ce registre, à l’image de Le Sommeil de la raison de Juan Miguel Aguilera, pour ne citer qu’un exemple au passage.

Espérons que les prochaines tentatives de Pygmalion du côté des auteurs français soient plus heureuses. Difficile en effet d’imaginer qu’un tel éditeur ne puisse proposer mieux.

Maul

Tricia Sullivan fait partie de cette génération d’écrivaines apparues dans le milieu de la science-fiction américaine durant les années 90, et dont les rares à avoir été traduites en France (Patricia Anthony, Valerie J. Freireich, Kathleen Ann Goonan ou Linda Nagata) n’y ont guère rencontré de succès, malgré d’indéniables qualités le plus souvent. Maul est son quatrième roman paru outre-Atlantique, et le moins que l’on puisse dire est qu’il se distingue singulièrement du reste de la production courante.

Maul suit en parallèle deux intrigues qui, s’il est très tôt établi qu’elles entretiennent des liens étroits, resteront distinctes l’une de l’autre jusqu’au terme du récit. Dans la première, située dans un futur indéterminé, la quasi-totalité de la population masculine de la planète a disparu, victime d’une pandémie. Quelques privilégiés vivent pro-tégés dans des castellations, milieux de villégiature, mi-usines à sperme ; d’autres moins chanceux, comme Meniscus, servent de cobaye à des expériences scientifiques.

L’autre trame du récit se déroule dans un monde semblable au nôtre, dans une ambiance se situant quelque part entre Sex & the City et Baise-moi de Virginie Despentes. Lorsque Sun Katz et son gang de filles tombent sur une bande rivale au centre commercial, la situation dégénère très rapidement et des coups de feu sont échangés, semant la panique parmi la clientèle. Commence alors entre Katz et les autorités un jeu du chat et de la souris qui va se poursuivre tout au long du roman.

Maul brasse quantité de thèmes d’actualités, donne corps à diverses peurs contemporaines : pandémies, violence urbaine, consumérisme effréné, droit à l’image ou manipulations génétiques, les sujets évoqués ne manquent pas. Malheureusement, Tricia Sullivan ne va jamais au cœur des choses et se contente de mettre en scène de manière souvent provocante ces différents éléments. Dans un premier temps le procédé fonctionne, et donne lieu à quelques passages marquants — de ce point de vue, les premières pages du roman sont absolument parfaites —, mais très vite le récit se met à tourner en rond, à l’instar de Sun Katz, coincée au cœur du centre commercial, ou de Meniscus, prisonnier de sa cellule, et l’auteure n’a au final guère d’autre choix que de lancer son roman dans une surenchère qui frôle l’hystérie lors des derniers chapitres. Ajoutez à cela des personnages pour lesquels il est impossible d’éprouver la moindre empathie, se comportant comme des automates dénués de toute émotion et de la moindre trace d’intelligence, et vous obtenez un livre qui, malgré quelques scènes chocs et une écriture en parfaite adéquation avec son sujet (soulignons au passage la remarquable traduction de Diniz Galhos), parvient difficilement à masquer sa vacuité. On sort de cette lecture épuisé, mais loin d’être comblé.

Idlewild

Sept ans après l’arrêt de la collection « Millénaires » fondée par Marion Mazauric (partie depuis goûter aux joies de l’édition indépendante au Diable Vauvert), les éditions J’ai Lu se lancent une nouvelle fois dans la SF en grand format avec ces « Nouveaux Millénaires ». Etant donnée la surabondance de titres qui inonde le marché à l’heure actuelle, le pari semble loin d’être gagné d’avance, d’autant que, en ces temps d’hégémonie bit-litto-fantasyste, « Nouveaux Millénaires » se veut entièrement dédiée à la science-fiction. Choix courageux ou suicidaire ? On verra bien. En attendant, intéressons-nous aux textes.

Fils du célèbre astronome Carl Sagan, Nick Sagan a fait ses débuts du côté de la télévision, essentiellement autour de la franchise Star Trek pour laquelle il cosigna quelques épisodes. Paru en 2003, Idlewild est le premier tome d’une trilogie. Le roman débute de manière plutôt prometteuse, avec un narrateur amnésique s’éveillant dans un univers obéissant à des règles différentes du nôtre, où créatures lovecraftiennes, délires psychotropes et avatars informatiques se côtoient presque avec naturel. Où est-il, pourquoi est-il là, et surtout pourquoi est-il persuadé que quelqu’un cherche à l’éliminer ? Ces interrogations permettent de lancer le récit et d’accrocher le lecteur. Sauf qu’assez rapidement, lorsque les premières réponses tombent, la situation semble rentrer dans l’ordre, l’intrigue se met à faire du surplace et s’enlise petit à petit dans la description du quotidien des personnages et de leur univers. On se doute que Sagan garde quelques révélations cruciales en réserve, mais celles-ci se font attendre. Pire : lorsqu’elles arrivent enfin, le soufflé retombe de la plus lamentable des manières, et ce que l’auteur voudrait nous faire passer pour un incroyable coup de théâtre a un désagréable goût de déjà-vu et n’étonnera guère que les rares lecteurs n’ayant jamais ni vu ni même entendu parler de Matrix. Plus gênant encore, la réalité qui nous est alors révélée rend caduque l’essentiel de ce qui a précédé, lequel semble du coup n’avoir eu d’autre but que de brasser du vide durant plus de deux cent pages, en attendant que l’auteur se décide enfin à attaquer son véritable sujet. De ce point de vue, Idlewild ne peut être considéré que comme un prologue, hors-sujet la plupart du temps, et qui, à prendre ses lecteurs pour des cons d’une manière aussi ostensible, ne donne pas le moins du monde envie de lire la suite.

Destination Ténèbres

Soixante ans après ses débuts, Frank M. Robinson reste un auteur totalement méconnu du lectorat français. Il est vrai qu’il aura fallu attendre 2004 pour découvrir en Folio SF son formidable premier roman, Le Pouvoir, paru à l’origine en 1956 . Il est vrai aussi que son parcours est assez atypique. Nouvelliste prometteur dans les années 50, on le retrouve hippie à San Francisco lors de la décennie suivante, conseiller pour Playboy, collaborateur d’Harvey Milk (il fait d’ailleurs une apparition dans le film de Gus Van Sant), et enfin co-auteur avec Thomas Scortia d’une série de romans-catastrophe, dont L’Enfer de verre, qui deviendra sur grand écran La Tour infernale. Il faut attendre 1991 pour le voir revenir à la science-fiction avec ce Destination ténèbres, qui sera suivi d’un thriller empruntant au genre (Waiting en 1999, inédit en France), de plusieurs essais (dont Science Fiction of the 20th Century, récompensé d’un prix Hugo en 2000) et de quelques nouvelles.

Si son œuvre demeure quantitativement modeste, Frank M. Robinson n’en est pas moins un auteur important, non seulement en raison des succès qu’il a obtenus, mais surtout parce qu’il est un remarquable vulgarisateur, recyclant à l’intention d’un large public des thèmes SF largement développés par ses prédécesseurs. Le Pouvoir surfait déjà à merveille sur la vague paranoïaque en vogue à l’époque, tant en littérature (Marionnettes humaines de Robert Heinlein, L’Invasion des profanateurs de Jack Finney) qu’au cinéma (La Chose d’un autre monde, Invaders from Mars, etc.). Destination ténèbres reprend lui aussi un vieux thème de la science-fiction, celui du vaisseau-générations, qui a donné naissance à quantité de récits, parmi lesquels un certain nombre de classiques des années 40-50 (Croisière sans escale de Brian Aldiss, Les Orphelins du ciel de Heinlein, Le Navire étoile de E. C. Tubb, etc.). Autant de contributions qui offrent à Frank M. Robinson un cadre suffisamment familier aux lecteurs pour qu’il n’ait pas besoin de s’appesantir sur les aspects techniques de cette histoire et qu’il puisse plutôt se focaliser sur ce qui l’intéresse vraiment : l’environnement social ainsi constitué et la mission de ce vaisseau.

Depuis deux mille ans, l’Astro voyage à travers la galaxie à la recherche de la moindre forme de vie extraterrestre. Jusqu’à présent, l’expédition n’a croisé que des mondes morts, et au fil des siècles, l’espoir de succès s’est amenuisé. Pour le capitaine Kusaka, commandant le vaisseau depuis son départ et qui a vu se succéder sous ses ordres plus de cent générations tandis que lui ne vieillissait pas, il est temps de prendre des mesures drastiques et de lancer l’Astro à travers la Nuit, une zone désertique s’étendant sur plus de mille années-lumière. Au bout de ce voyage se trouve une région peuplée d’étoiles où leurs recherches ont davantage de chances d’aboutir, mais beaucoup parmi les membres d’équipage sont convaincus que Kusaka est devenu fou et que le navire n’est plus en état de se lancer dans un tel périple.

L’univers clos que constitue l’Astro nous apparait à travers les yeux de Moineau, technicien de dix-sept ans, amnésique à la suite d’un accident survenu lors de la dernière expédition à la surface d’une planète aussi stérile que les précédentes. On découvre donc en même temps que lui les principales figures de l’équipage, la manière dont fonctionne cette société singulière et les tensions qui menacent de la déchirer.

Du point de vue du pur plaisir de lecture, Destination ténèbres est un régal. A intervalles réguliers, de nouvelles révélations sur la véritable nature des évènements en cours relancent l’intérêt du récit et, entre quelques sorties périlleuses dans l’espace et diverses tentatives de meurtre dont est victime le narrateur, les péripéties ne manquent pas. La tension dramatique qui habite le roman doit également beaucoup à la confrontation continue entre Moineau et Kusaka, deux personnages que tout semble à priori opposer mais dont la relation va souvent prendre des détours inattendus. Sur le fond, Frank M. Robinson signe une réflexion douce-amère sur la condition humaine, où le destin tragique d’une poignée d’individus ne parvient jamais tout à fait à effacer le formidable désir qui porte cette odyssée. Sur les deux tableaux, Destination ténèbres est une réussite exemplaire.

Terra !

Au petit jeu consistant à survendre un produit en multipliant les comparaisons flatteuses, la quatrième de couverture de cette réédition se pose un peu là. Jugez plutôt : « Terra ! s’inscrit sans peine dans la droite lignée des meilleurs textes d’un Kurt Vonnegut ou d’un Jonathan Swift. » Et quelques lignes en-dessous, à propos de l’auteur : « Son infatigable fantaisie, son goût pour les mondes imaginaires font de lui l’un des plus grands écrivains contemporains italiens, dans la droite lignée d’un Calvino ou d’un Buzzati. » Rien que ça ! Le gogo-lecteur (serviteur), passant outre la malencontreuse répétition de la formule, se dit que mazette, ça doit être bien, alors. Et comme il est par définition un peu bête, il achève d’être tenté par la couverture plutôt réussie d’Alain Brion, figurant un improbable croisement entre l’Etoile de la Mort et une tête de Mickey géante, et s’empresse de lire ce livre qui promet de s’inscrire, disons-le, dans la droite lignée d’un Douglas Adams ou d’un Fredric Brown.

Donc. La Troisième Guerre mondiale a eu lieu (à cause d’une souris). Trois autres guerres mondiales plus tard, en 2157, la Terre est partagée entre trois grandes puissances qui vivotent dans les souterrains, hiver nucléaire oblige : la Fédération sino-européenne, l’Empire militaire sam (pour samouraï), et les cheiks aramérusses, sous la direction du terrible Grand Scorpion Akrab. On l’aura compris, ce n’est pas la vraisemblance qui importe ici, le ton est d’entrée de jeu celui de la farce à tendance absurde, voire surréaliste, de la satire sociale et politique pour elle-même.

L’idéal, dans ce monde-là, ce serait de trouver une Terre de remplacement, une planète relativement identique à la nôtre, dégâts irréversibles causés par la bêtise humaine en moins. Mais si l’espace a été en partie conquis, on n’a jamais pour autant trouvé la perle rare. Jusqu’à ce qu’un explorateur du nom de Van Cram le Viking émette un vecteur signalant l’existence d’une telle planète ; mais il a disparu dans des circonstances mystérieuses, et les ordinateurs terriens ne parviennent pas à localiser le miracle. Aussi les trois superpuissances montent-elles chacune de leur côté une expédition pour dénicher cette Terre de substitution. Les Sino-Européens — nos héros — embarquent à bord du Protée Tien, une immense tête de Mickey (donc), mais sont suivis de près par les Aramérusses, avec le Grand Scorpion lui-même à bord du prestigieux Calalbakrab, et par le Zuikaku, un petit vaisseau japonais rempli jusqu’à la gueule de commandos souris destinés pour la plupart à mourir par cocacolation du fait de l’intransigeance du seul humain à bord, le général Yamamoto.

Parallèlement, sur Terre, on (à savoir le télépathe chinois Fang et le jeune prodige Frank Einstein — mouarf, mouarf, mouarf) s’intéresse beaucoup à l’existence d’une éventuelle source d’énergie sans commune mesure, dissimulée par les Incas il y a de cela bien longtemps. Les deux trames sont bien évidemment appelées à se rejoindre : inutile de vous faire un dessin, la conclusion est convenue au possible.

Le problème est de tenir jusque-là. La quatrième de couverture n’est pas totalement mensongère : effectivement, la satire peut évoquer Swift, et le roman fourmille d’idées plus ou moins saugrenues et poétiques bien dans la manière d’un Vonnegut ou d’un Buzzati ; sans parler du ton ou de certaines « expérimentations », qui peuvent certes évoquer Calvino. Mais on reste dans ce registre de l’évocation, dans la mesure où tous les effets employés par Stefano Benni dans Terra ! tombent à plat. La satire, loin d’être mordante, est d’une triste banalité, la poésie tend vers la prétention, et — surtout — les nombreux gags qui émaillent l’ensemble, censés nous assurer au minimum quelques sourires, à défaut d’une franche hilarité, sont généralement aussi drôles et percutants qu’un spectacle d’Anne Roumanoff (au hasard).

Au final, Terra ! se révèle d’un ennui sans nom, et donne l’impression d’un triste gâchis : on a le sentiment que tous les ingrédients sont là pour donner un bon roman, mais qu’ils ont été accommodés n’importe comment, balancés dans la marmite dans une frénésie d’inventivité incontrôlée, le bon n’étant qu’esquissé, rarement, de temps à autre, mais se noyant le plus souvent, au mieux dans l’inachèvement, au pire dans la lourdeur. Terra ! devrait être drôle et cinglant, et ne manque pas d’idées brillantes. Mais non, rien à faire : on s’ennuie, on s’énerve parfois devant le traitement finalement réservé à telle ou telle invention qui nous paraissait intéressante dans un premier temps. Et au final, on expédie ce bâclage à la poubelle, ou on s’en sert pour caler une armoire, histoire de trouver une utilité à cette réédition.

Morale de l’histoire : « Don’t judge a book by its cover », comme on dit dans la perfide Albion ; le paquet cadeau était très joli, avec nombre de recommandations flatteuses, mais à l’intérieur on ne trouve que du vide — ou on préfèrerait en trouver…

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