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Cold Gotha

[Critique commune à Cold Gotha, Tous ne sont pas des monstres, Mastication, Question de mort, Délires d’Orphée, Léviatown et Mickey Monster.]

« Il arrive que l’œil capture une silhouette, celle d’un monstre sur un mur de béton, que l’oreille entende un hurlement surgissant d’une impasse. On se dit que c’est la fatigue, le stress de la vie moderne, et l’esprit reprend le dessus, pour retourner à la routine rassurante. En général, c’est ce qu’il faut faire, parce que la vie est banale, qu’elle n’a rien d’extraordinaire. Mais parfois il y a un monstre dans le béton, et l’horreur se déchaîne dans l’impasse. Alors on ne peut compter que sur le Club Van Helsing. » (Texte du rabat de droite.)

Voici donc les sept premiers volumes du Club Van Helsing, une collection créée et dirigée par Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean qui rappelle un peu L’Agence Arkham de Francis Valéry (série publiée il y a quelques années aux défuntes éditions DLM et dont, logiquement, au vu de la qualité des textes qui la composaient, personne ne se souvient). Première bonne surprise concernant Le Club Van Helsing : les livres sont jolis, avec leur couvertures N&B, leur pelliculage sélectif et leurs rabats.

Mais qu’est-ce que le Club Van Helsing ?

Ceux qui, comme moi, ont commencé par la lecture du Maud Tabachnik Tous ne sont pas des monstres, mais qui, contrairement à moi, n’ont pas poursuivi la série, ne pourront guère répondre à cette question, car le club de chasseurs de monstres n’y apparaît pas, à part une rencontre londonienne (et inutile) entre le personnage principal, Nathan, et Hugo Van Helsing, entrevue falote à laquelle on ajoutera une inscription sur une tombe et c’est à peu près tout. Pour le reste, nous avons affaire à un texte éclaté en nombreux points de vue qui évoque les pires pages paranoïaques de Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec et Dan Simmons : d’un côté de sales arabes de merde financés par Ben Laden (ah ah ah !) invoquent un Djinn en banlieue ; de l’autre, face à l’incurie des forces de maintien de l’ordre françaises, incurie qui pourrait bien provoquer la fin de notre monde occidental aux si belles valeurs (le pognon avant tout !), un super-héros juif (un peu con, mais ça c’est mon point de vue) va à Prague où il réveille le golem du Rabbi Löw. Le bien (les Juifs), le mal (les Arabes), la banlieue qui flambe à cause du noyautage terroriste islamiste (et surtout pas du chômage, du culte de l’argent facile et du racisme ambiant) ; un tel concentré de clichés pro-israéliens et anti-islamistes laisse pantois et il n’en faut pas plus pour jeter cet étron tiède à la poubelle en espérant que les éboueurs (probablement issus de l’immigration) ne tarderont pas à passer. C’est sûr qu’avec des textes de cet acabit, au mieux maladroits, au pire manichéens et simplistes, on progresse sur la voie de la tolérance et de l’intégration. A boycotter avec force ! Même si les intentions de Tabachnik (connue pour ses engagements politiques) étaient probablement bien moins puantes que son livre.

Ça ne s’arrange guère avec Cold Gotha de Guillaume Lebeau où Hugo Van Helsing joue au chasseur de vampires en Californie. L’auteur a visiblement trop regardé 24 heures chrono et trop lu la sous littérature de Tom Clancy ; résultat, il se prend pour un auteur de best-sellers américain et nous inonde de marques (Paul Smith, Vuitton, Converse, Yohji Yama-moto…), de détails techniques inutiles (« … les trois moteurs Honeywell TFE731-60 se turent », page 8), de calibres divers et variés (« un SABR calibre 5,56 mm. Lance-roquettes 20 mm semi-automatique alimenté par chargeur », page 23). Au final, ça ressemble à « Bécassine vient de découvrir les possibilités infinies d’Internet et écrit son SAS », et les seules fois où on rit, c’est face au sérieux imperturbable de ce mini-thriller-vampirique ennuyeux, plus con que le Da Vinci Code et rempli jusqu’aux marges de « Mossberg 500 », d’« Igla-S développé par KBM Mashynostroeniya », de « GT-500KR 1968 ». On imagine sans mal ce que donnerait une scène de cul écrite par Lebeau : « Il déroula sur les 144 premiers millimètres de sa verge en expansion sanguine un préservatif Durex nervuré, modèle straightpussy, marque déposée, n°de lot Fr-0666252134. Puis il soupesa ses testicules d’un diamètre de 3,81 cm à droite, 3,92 à gauche, avant de pénétrer Belinda avec un angle de 37,2° (le matin ?)… ». Allez, zou, poubelle !

Arrivé à la seconde fournée, un choix cornélien s’impose : soit lire le Bizien sur les loups-garous, soit lire le Heliot sur le sphinx. Après une courte hésitation, j’attaque le Bizien, qui commence très très mal : « Le personnage de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l’auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu’il ne partage aucunement ses idées », page 5. Si c’est si évident, pourquoi l’écrire ? Il me semblait que depuis la parution de La Mort est mon métier de Robert Merle, ce type de justifications ambiance « les lecteurs sont tellement cons, surtout levons toute ambiguïté » était devenue totalement inutile. Il faut croire que non… Quant au texte, il met en scène, sans grand panache, Vuk, ex-légionnaire et vétéran serbe qui massacre la moitié des vampyres et lycanthropes du sous-Paris, pour le compte de Winston Lester Kobayashi Takakura, à moins que ça ne soit pour celui d’Hugo Van Helsing. Ecriture coup de poing et bâclée (on dirait un Blade — pas le vampire, l’autre), scènes d’action nombreuses mais sans enjeux, récit sans véritable horizon d’attente : Mastication c’est Underworld 2 sans Kate Beckinsale, une aventure plus Kronenbourg  que glamour, saupoudrée d’une bonne dose du jeu de rôle Vampire — la Mascarade… Une série B un brin rock’n’roll, pleine de clins d’œil cinéma, de blagues foirées ; un textaillon (équivalent littéraire du gravillon) qui se laisse lire, dans le métro par exemple, mais qu’on oubliera sitôt la dernière page tournée. Pas scandaleux, jamais enthousiasmant. En tout cas, un texte qui est bien plus à sa place, chez Baleine, que les deux précédents.

Passons maintenant au cas Johan Heliot : Question de mort.

Big B. est un monstre, énorme, surarmé. Il se promène dans un Hummer avec, à l’arrière, une créature qui n’est ni un chien ni un singe et ne semble consommer que des sauces en sachet.

Big B. est un justicier qui travaille comme chasseur de monstres pour le compte d’Hugo Van Helsing, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, d’avoir une vision de la justice particulière : « Partout, on trouvait des clones de ce mec, qui veillaient à ce que leurs contemporains appliquent à la lettre les lois et règlements édictés pour le bien de la collectivité. Partout, ils cassaient les burnes aux dangereux terroristes du quotidien qui ne ramassaient pas les merdes de chiens ou traversaient aux feux rouges. Ces citoyens incarnaient les valeurs morales du pays avec une fierté d’autant plus imbécile qu’elle représentait le plus haut degré d’engagement politique dont ils étaient capables. » (Page 36.)

Big B. est à la poursuite du Sphinx et de ses deux assesseurs. Un sphinx qui découpe ses victimes quand celles-ci ne savent pas répondre à ses énigmes, un monstre qui n’hésite pas à faire des snuff movies qu’il balance ensuite sur l’Internet.

Première réussite du Club Van Helsing, Question de mort est une série B très marquée par les films d’horreur des années 70 et du début des années 80 (Massacre à la tronçonneuse, Evil dead, Vendredi 13, La Colline a des yeux…) Ce portrait d’une Amérique dégénérée évoque le célèbre épisode de la saison 4 de la série X-Files, « La Meute » (« Home » en VO). On est là face à un texte d’ambition restreinte, mais bien écrit, bien mené et plein d’humour (parfois pipi-caca — les lecteurs de Stephen King ne seront pas dépaysés). Adepte d’une littérature populaire de qualité, Johan Heliot semble être le seul des quatre premiers auteurs à avoir trouvé l’esprit Van Helsing, c’est-à-dire l’esprit X-Files, pour simplifier.

Vient ensuite Délire d’Orphée de Catherine Dufour, le mieux écrit des sept, sans aucun doute, mais paradoxalement le plus ennuyeux. On y suit Senoufo Amchis, tueur de cachalot, engagé par Hugo Van Helsing pour détruire une carapace de tortue d’un coup de harpon. Si ce petit livre est un joli portait de chasseur de monstres, c’est surtout une novella ultra linéaire, sans surprise aucune, dont l’histoire (d’adultère…) tient sur un ticket de métro plié en deux. Dans ses moments les plus inspirés, Dufour livre de belles pages sur Londres, la mer, le désir ; le reste du temps, elle étire comme elle le peut la matière d’une novelette. Dommage.

Mickey Monster de Denis Bretin et Laurent Bonzon (auteurs du Masque qui signent Bretin & Bonzon) surprend. D’abord, parce que c’est le Club Van Helsing qui respecte le plus la bible de la série. Ensuite, parce que cet hommage appuyé aux séries Z (plusieurs sont d’ailleurs planquées ici et là, au détour d’une description ou d’un dialogue) fonctionne à 100%. En deux mots, Mickey Monster est un remake de Blob (avec Steve McQueen) et Gremlins (le personnage du narrateur est inventeur, comme le papa acheteur du mogwai). Ce court roman a une petite musique, très agréable. L’ambition n’est pas bien haute, mais le résultat est tout à fait sympathique. Et je me suis même surpris à éclater de rire deux ou trois fois ; notamment lors de la scène de la demande en mariage, tout à fait savoureuse, faisandée comme il se doit. Malgré quelques failles scénaristiques dignes d’Ed Wood, ce Club Van Helsing est un petit bijou, crétin et jouissif, parfum Braindead. Dans la même veine que le Heliot, mais en plus marrant.

Quant à Leviatown de Philip Le Roy, c’est plus ou moins Notre-Dame des ténèbres de Fritz Leiber réécrit par Chuck Norris ou Steven Seagal. Même à doses homéopathiques (3-4 pages, le soir) ce concentré de ninjâneries, de blagues de mercenaires et de citations cinématographiques est insupportable. Extrait :

« Desert Eagle .50 Action Express, déclara Samsonite. Le calibre le plus puissant au monde pour une arme de poing semi-automatique. A faire passer du .44 Magnum pour une crotte de nez.

– ‘Utain cha fait mal conach’ ! se plaignit Mendez

– Le fait qu’il y ait écrit GROS CON sur ton front et DESERT EAGLE sur mon flingue devrait pousser tes deux petites noix à se casser et toi avec. » (page 27.)

Au final, de ces sept premiers Club Van Helsing, on retiendra le Johan Heliot, maîtrisé et plaisant, et l’hommage de Bretin & Bonzon à tous les Attaque de la moussaka géante, Blob et autres tomates tueuses. Pas de quoi sauter au plafond, surtout à dix euros le petit livre.

 

Callisto

Odell Deefus, un grand nigaud âgé de 22 ans, traverse le Kansas dans sa vieille Chevry Monte Carlo. Son but : atteindre la petite ville de Callisto, où se trouve un bureau de recrutement de l’armé américaine. Odell est résolu à s’engager pour aller combattre en Irak. Il a vu des « islamistes » à la télévision, et il les a trouvé très méchants. Et comme, en plus, il y a une prime pour les soldats qui acceptent de partir en Irak… Mais quelques kilomètres avant d’arriver à destination, sa voiture lâche. Il fait alors la connaissance de Dean Lowry, qui accepte de l’héberger. Dean est un type assez étrange, un petit dealer qui s’est récemment converti à l’islam. Odell se méfie de lui, et par un triste concours de circonstances, il le tue d’un méchant coup de batte de baseball. Puis il découvre un cadavre dans le congélateur de Dean. Odell se retrouve donc avec deux cadavres sur les bras et un énorme problème : il va falloir qu’il réfléchisse à tout ça. Et réfléchir, ce n’est pas vraiment le point fort d’Odell. C’est alors qu’il a une très mauvaise idée : pour justifier la disparition de Dean, il raconte à la police que celui-ci a proféré des menaces de mort à l’encontre du sénateur Ketchum, futur candidat républicain aux présidentielles américaines. Et, comme si ça ne suffisait pas, il explique que Dean est parti dans une voiture, en compagnie de plusieurs de ses « frères musulmans ». Il n’en faut pas plus pour que la mécanique paranoïaque se mette en branle et fonctionne à plein régime, jusqu’au délire total : policiers douteux, mystérieux agents de la sécurité nationale, FBI, télévangéliste à la tête d’une très politique « fondation pour le renouveau de la foi », reporters de chaînes de télévision en quête de scoop… Odell est aussitôt encerclé par une horde de tordus frénétiques, tous convaincus qu’il détient des renseignements essentiels sur un complot terroriste de grande ampleur. Tout le monde manipule tout le monde. Et Odell, déjà complètement dépassé par les évènements, doit faire face à une succession de situations délirantes. S’ajoute à tout ça l’apparition soudaine de Lorraine, gardienne de prison et sœur de Dean Lowry, dont Odell tombe instantanément amoureux…

La grande force de Callisto, c’est d’être un roman qui ne cherche pas à tromper son lecteur. D’entrée de jeu, les choses sont claires, les choix sont nets, tranchés : Callisto est une satire politique cruelle et survoltée. Une farce énorme, déjantée, décapante, et qui s’assume comme telle. Les personnages sont tellement chargés, tellement too much, qu’ils sont sans cesse à la limite de la caricature. Et les développements de l’intrigue atteignent vite un stade qui se situe très au-delà du crédible, ou même du simple réalisme. Mais c’est justement ce parti pris — radical, outrancier, excessif — qui fait de Callisto un roman unique. L’autre point fort de Callisto, c’est d’avoir choisi le personnage d’Odell Deefus comme seul et unique narrateur. Car ce grand gaillard a toujours — au minimum ! — un temps de retard sur l’action. D’où un effet comique à répétition, un peu facile, souvent cruel, mais d’une efficacité redoutable. On assiste, éberlué, aux mésaventures hilarantes d’Odell. Et bien sûr, on finit par s’attacher à ce type étonnant, devenu bien malgré lui la victime expiatoire d’un système politique démentiel. Au fil du récit, le personnage d’Odell évolue : il comprend peu à peu qu’on lui a menti, et que le vrai visage de l’Amérique n’est pas tout à fait celui qu’il a vu à la télévision. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que pour parvenir à cette vérité simple, il lui faudra passer par les pires épreuves.

Callisto est donc une vraie curiosité littéraire. Une sorte de composite bizarroïde, qu’on peut situer quelque part entre les polars teigneux de Jim Thompson (1275 âmes) et les fictions frapadingues de Chuck Palahniuk. Mais on peut aussi le lire comme un roman d’espionnage sous acide, voire même comme un cauchemar éveillé que subit le narrateur. Dans tous les cas, c’est un roman étrange, inclassable.

D’autant plus étrange qu’on ne sait rien de l’auteur. Torsten Krol refuse les interviews, les photos, les apparitions publiques. Personne ne sait à quoi il ressemble, même pas ses éditeurs. Opération marketing ? Ou gros problème de timidité excessive ? Torsten Krol est un écrivain-mystère. A tel point que certains critiques ont imaginé qu’il pouvait s’agir d’un écrivain célèbre utilisant le pseudonyme de Torsten Krol (on dirait le nom d’un personnage de Tolkien !). On a même cité le nom de J.D. Salinger, l’auteur du roman culte L’Attrape-cœurs, que personne n’a vu depuis des décennies. Tout simplement à cause du fait que l’écriture de Krol ressemble un peu à celle de Salinger… Mais bon, finalement peu importe. Qu’il ait été écrit par un Krol — ou par un Troll ! — ne change rien à l’affaire : Callisto est un livre qui se suffit à lui-même, et qui aurait facilement pu se passer de cette polémique un peu vaine. Alors surtout, ne passer pas à côté ; car un roman de ce calibre, on n’en lit pas tous les jours. Et ça, au moins, c’est une certitude.

Extrêmes

À découvrir sur le blog Bifrost, l'avis extrêmement complet de Sylvain Fontaine sur Extrêmes ! Quand le cinéma dépasse les bornes de Julien Bétan !

Rouge sang

Londres, XXIIe siècle. La société a fait un grand bond en arrière, revenant à la féodalité. Cruauté et violence sont les principaux moyens de gouverner et de maintenir l'ordre.

La capitale britannique est ravagée, le gouvernement et l'Etat l'ont désertée. Ses ruines sont tombées aux mains de deux chefs de guerre, en lutte pour le contrôle total de la ville. Val Volson, qui règne sur la majeure partie de la cité, décide de faire comme les monarchies d'Ancien régime. Il veut donner sa fille Signy en mariage à son rival, Connor. Il espère ainsi que cette union politique et charnelle mettra fin au conflit qui l'oppose à son rival. C'est donc sans aucune joie que Signy, véritable garçon manqué, accepte ce mariage. La cérémonie sera fastueuse, et marquée par un étrange signe des dieux. Stratège ou félon, Connor entend bien profiter de ce mariage pour faire main basse sur Londres. Naïf ou trop confiant, Val n'y verra que du feu. C'est donc dans la surprise que Connor lance son raid contre les Volson. Il réussit à tuer Val, ainsi que deux de ses trois fils. Seul Siggy, le jumeau de Signy, échappera à l'appétit d'un monstre mi-homme mi-cochon, le Pourceau…

Etrange créature que ce Pourceau. Il est un des nombreux Mi-Hommes, chimères mi-humaines et mi-animales qui habitent la banlieue londonienne. Ces êtres, issus de lointaines expérimentations génétiques, sont toujours méprisés et parfois lynchés. Mais c'est pourtant l'un d'entre eux qui recueillera et soignera Siggy. Le prince se comporte d'abord comme une peste avec celle qui l'a recueilli et remis sur pied. Il prendra ensuite conscience de l'humanité et de la profonde misère dans laquelle vivent les Mi-Hommes. Ivre de son nouveau pouvoir, le maître incontesté de Londres va vouloir étendre son royaume au-delà de la seule capitale. Il vise donc les terres des Mi-Hommes. La conquête et l'occupation des terres vont devenir le prétexte à la plus extrême brutalité contre les Mi-Hommes. Ces derniers vont alors tenter de renverser le tyran en s'alliant avec les humains. Qui, mieux que Siggy, pourrait les aider ?

Quant à Signy, mutilée par son époux et incapable de se déplacer, elle ne cesse de ruminer sa vengeance. Elle ne veut qu'une seule chose : la mort du tyran. Elle est prête à tout et aux pires sacrifices pour étancher sa soif de vengeance. Mais comment faire, alors qu'elle est emprisonnée dans un donjon dont elle ne peut s'extraire ? Il ne lui reste plus qu'à s'appuyer sur son chat, qui est bien plus qu'un simple félin…

Disons-le tout net, cette fantasy post-apocalyptique, initialement publiée dans une collection jeunesse, est un excellent cru qui vaut très largement ses 480 pages. On peste régulièrement dans ces colonnes contre les longueurs et les tirages à la ligne, mais là, rien à dire. L'écriture, d'abord lente mais fastueuse, bascule ensuite dans une nervosité qui colle parfaitement aux fracas des batailles. Loin de tout manichéisme, Burgess travaille soigneusement la psychologie de ses personnages. Il en fait des êtres profondément humains par leur ambivalence et l'ivresse de leur passion vengeresse ou conquérante. L'univers est lui aussi remarquablement travaillé, et ne se contente pas d'être un simple décor assurant l'unité de lieu. Bien sûr, les amateurs de hard SF purs et durs trouveront toujours à redire sur la génétique des Mi-Hommes. Mais qu'importe. On pense même par moment à Theodore Sturgeon, quand les Mi-Hommes et les humains révèlent à l'Autre sa part d'humanité. La quatrième de couverture évoque le bruit, la fureur, les larmes et le sang. Je ne peux manquer d'y ajouter l'ivresse des passions, qui donne parfois au roman des accents tragiques dignes de Sophocle ou Shakespeare. Les protagonistes sont emportés par la force des passions, et leurs vies se fracassent sur l'autel d'un destin qui les dépasse.

Melvin Burgess, auteur pour enfants et ados, s'est fait une spécialité d'aborder des thèmes assez difficiles à l'intention de son jeune public. Qu'il traite de sexualité ou de toxicomanie, il en montre la réalité sans fard, et sans moraliser. Ici, c'est la violence, à coup de massacres et de tortures qui pourra choquer les plus jeunes. Recommandé à partir de 15 ans, ce roman est une parfaite réussite. Saluons d'ailleurs la volonté de Folio « SF » de le sortir dans une collection tout public. Aussi bien destiné aux adolescents qu'à leurs parents, cette saga est le genre de livre idéal pour la plage. De l'aventure et du dépaysement à haute dose, mais d'une qualité aux antipodes de la littérature de gare.

Faut-il donc que ce livre ait un défaut ? Il est bien connu que Bifrost est toujours à la recherche de la petite bête. Celle-ci est vraiment toute petite, voire nanoscopique. On aurait juste aimé avoir les références de la fameuse saga islandaise dont ce livre est inspiré. Passez donc outre ce défaut, parce qu'il fallait bien en trouver un. Achetez-le pour vous, vos enfants, vos neveux, les adolescents et lecteurs de votre entourage. Il trouvera sa place dans toute excellente bibliothèque, aux côtés d'À la croisée des mondes de Philip Pullman. De jeunesse ou pas, peu importe la collection pourvu qu'on ait de la bonne littérature. Croyez bien qu'avec Rouge sang, Melvin Burgess ne vous décevra pas !

Les limites de l’enchantement

La vie suit son cours régulier dans le petit village de Hallaton. Les changements que connaissent l'Angleterre des années 60 et le monde ne s'y font pas vraiment sentir. Sauf peut-être à la télévision, qui diffuse l'avancée de la conquête spatiale ou Au-delà du réel. Animaux morts satellisés et feuilleton de science-fiction troublent Fern quand elle suit les programmes télé chez son amie Judith. Car la jeune fille est davantage habituée aux rituels invariables de Megan Cullen, sa mère adoptive. Maman Cullen, âgée de soixante-dix-sept ans, est une figure éminente du village. Sage-femme dont l'expérience vaut davantage que les diplômes d'Etat, elle a libéré la plupart des habitantes en les faisant accoucher ou en se chargeant de les faire avorter. Son savoir s'étend à l'herboristerie, aux pratiques folkloriques teintées de magie quotidienne, et aux détails des coucheries touchant les notables, qu'il vaut mieux tenir secrets. Mais la guérisseuse d'Hallaton se fait vieille, et Fern devra lui succéder. Aussi se prépare-t-elle à subir la Question, sorte d'initiation qui garantira le passage et la permanence des traditions. C'est compter sans la nouveauté, à peine dérangeante au début quand des hippies viennent s'installer à proximité de la chaumière, jeunes universitaires qui s'en remettent au flower power pour s'improviser fermiers. Les bouleversements se précipitent quand Maman Cullen est hospitalisée suite à une chute provoquée. Fern se retrouve bientôt seule, ce qui revient pour elle à être entourée de gens dont elle doit éprouver l'amitié. Menacée jusque dans sa petite demeure, elle mesure les limites de l'enchantement…

D'une certaine façon, ce roman de Graham Joyce fait suite à son remarquable Lignes de vie, comme on le dirait d'un contrepoint, à la fois opposé et complémentaire. Lignes de vie décrivait, au travers d'une profusion d'existences, la permanence d'un quotidien que la guerre elle-même ne peut troubler. Les Limites de l'enchantement parle des modifications profondes qui sont le fait des temps de paix. Cette fois-ci par le biais d'un récit linéaire, histoire à nouveau de femmes dont la figure de l'accoucheuse, présente dans les deux romans, tient lieu de transition. Il incombe à Fern d'endosser ses choix, voulus ou imposés, sans autre guide que la pratique. Certains, comme la Question, n'ont déjà plus lieu d'être, car d'autres mutations sont davantage effectives. Ainsi de la découverte des garçons, Chas le hippy et le fidèle Arthur McCann, ou des hommes comme le docteur aux crèmes brûlées, suppôt du sinistre Mr Venables, directeur de l'agence immobilière aux manières doucereuses, surnommé « l'anguille de Norfolk ». Fern devra demeurer attentive, sous peine de rester bloquée à distance de l'existence qui l'attend, car il suffit de battre des cils pour que cinq minutes passent, ou toute une vie. La jeune femme apprendra à feindre tout en restant elle-même, à utiliser des grands mots comme « vertex » pour parler d'un bébé qui se présente tête la première. Heureusement, elle pourra compter sur des alliés inattendus, tels Mme Marlène Mitchell, dite MMM, puéricultrice diplômée à la démarche silencieuse, ou ce lièvre, cousin du lapin d'Alice qui se fraye un passage entre les mondes. Après avoir subi la violence des mots et des coups, Fern retrouvera l'enchantement lors de la Fête du Lièvre, durant la Ruée de la Tourte et la Mêlée aux Bouteilles, traditions qui perdurent sans être entachées par la modernité.

Un très beau roman, proche de l'imaginaire du sublime écrivain irlandais Niall Williams, auteur notamment de Quatre lettres d'amour (Flammarion) et de Comme au Ciel (Denoël), tous deux situés dans le comté de Clare. Saluons enfin le travail de Mélanie Fazi, véritable sœur en esprit du romancier, qui va bien au-delà de la simple traduction. En témoigne par exemple le rendu du cryptage des carnets de Fern, à la fois authentique création et fidélité au texte.

Une fille comme les autres

Voici un roman qui, malheureusement, ne relève pas de l'imaginaire. Il a été inspiré par un fait divers qui s'est produit en 1965, dans le Midwest, ainsi que nous l'apprend la postface de l'auteur. Il l'a ensuite transposé dans le New Jersey, en 1958, sur les lieux même de sa propre enfance, des lieux qu'il connaît bien. On est dans la littérature mimétique et, même si Jack Ketchum nous épargne, toujours selon ses dires, une part de la violence, du sordide et de l'horreur, on est dans le roman noir. Très, très noir.

Imaginez. Une impasse pavillonnaire dans une petite ville américaine à la fin des années 50. L'été. Des enfants dans presque toutes les maisons du quartier… et deux filles nouvelles, Meg et Susan, qui s'installent chez leur tante, Ruth Chandler, suite à l'accident de la route qui a coûté la vie à leurs parents. La première partie du livre pose les personnages et les lieux. Tout est calme, paisible. Tout n'est pas parfait, mais tout est normal…

Ketchum a choisi comme narrateur David, le fils des voisins de Ruth Chandler dont un des fils, Donny, est le meilleur ami. Ce choix offre à Ketchum la possibilité de distanciation qu'il souhaitait et qui est renforcée par le fait que les événements sont contés avec 30 ans de décalage, par un David devenu adulte qui n'a pas tout vu ni ne veut tout dire. Le procédé permet d'éviter le « coup de poing à l'estomac » que l'on se prend à la lecture du terrible roman de Claude Ecken, Enfer Clos (le Bélial'). Chef-d'œuvre insoutenable. Bien sûr, on peut se démarquer des personnages du roman d'Ecken qui sont issus des circonstances particulières de la seconde Guerre mondiale. Il fallait ici autre chose. Si l'histoire prend place en Amérique, elle aurait pu être n'importe où ailleurs en Occident ; c'est un contexte dont chaque lecteur est proche à moins d'avoir une enfance particulière. Le malaise n'en naît pas moins inexorablement, lentement, et le lecteur est pris dans les anneaux de ce python d'angoisse dont l'étreinte devient suffocante à mesure que l'horreur se révèle, celle du non-dit n'étant pas moindre…

Une fille comme les autres n'est pas un roman à suspense. La préface de Stephen King, très intéressante au demeurant, ne laisse aucun doute quant à l'issue tragique. Nulle place n'est laissée à l'espoir. C'est un roman d'angoisse et d'horreur. King utilise l'expression « horreur existentielle ». L'effroi, ce qui glace le sang et fait une bonne part de l'art de Ketchum, tient à ce que les protagonistes de cette sinistre histoire sont des gens comme tout le monde. Meg est une fille comme les autres. Rien en elle ne justifie les atrocités dont elle est la victime. Et ses bourreaux, hormis cette « qualité », n'ont eux non plus rien d'extraordinaire. Ce sont des voisins connus depuis toujours qui pourtant vont se révéler d'une perversité et d'une cruauté sans borne.

Entre les bières et la télé, la vie de Ruth Chandler n'a rien de bien folichonne. Elle n'a aucune estime d'elle-même, se considère comme une ratée et nourrit une culpabilité masochiste. Elle cultive une haine inconsciente de sa propre personne, de son sexe, de la femme en général, une haine qui ne se traduit que dans le discours qu'elle tient à Meg. Sous la bonté, la folie. Avec l'arrivée de ses nièces, bouches à nourrir supplémentaires, cette haine va trouver un exutoire et se muer en sadisme en se tournant vers l'extérieur. Mais Ruth n'en est pas — ou à peine — consciente. On la verra punir Susan, handicapée, pour les reproches qu'elle adresse à Meg, en vain d'ailleurs. Outre ses fils, Ruth va impliquer d'autres gamins du quartier dans ses turpitudes, sévices et humiliations infligées à Meg.

David, le narrateur, reste sur le fil du rasoir. Hésitant entre le désir — et le pouvoir — de participer, et son empathie pour Meg. Ruth est la mère de son meilleur copain, c'est la femme la plus compréhensive du quartier vis-à-vis des enfants, celle qui offre une bière en douce. On éprouve des sentiments contradictoires à l'endroit de David et l'efficacité du roman tient à ce que Ketchum joue de cette ambiguïté. Il fait figure de bon mais, néanmoins, on lui en veut de ne pas agir plus tôt, voire plus efficacement. Il nous fait pitié ce gosse qui seul sait que ce qui se passe dans la cave des Chandler est mal et qui, donc, apparaît davantage coupable que les autres enfants qui torturent, brûlent et violent leur voisine parce qu'un adulte — en proie à la folie — leur en a donné la permission. On le comprend, et là réside la force de Ketchum. Le livre entretient une ambiguïté morale délibérée qui, en fait, traduit le problème que David doit résoudre malgré sa tragique incapacité à saisir la réalité des événements…

Cette horreur « existentielle », réaliste, qui ne fait pas appel au surnaturel et ne sollicite donc aucune suspension de l'incrédulité, tire sa force terrible de sa nature même. Pire, c'est arrivé. Et encore, le roman a-t-il été édulcoré. Pire, la maltraitance sur enfant est une réalité qui n'a rien d'exceptionnelle. C'est de l'ordre du fait divers courant, plus fréquent que le hold-up… Rare en littérature mais d'une atroce banalité dans la réalité. Ketchum donne à voir une image particulièrement noire de l'humanité, que Stephen King compare à celle de Malcolm Lowry et que nous autres, francophones, trouvons chez Thierry Di Rollo… Ils sont de ces auteurs dont les sommets nous plongent dans les abysses les plus profonds de l'âme humaine. Lorsque le mal vient s'incarner de manière aussi triviale en une Ruth Chandler, il a un impact sans commune mesure avec les formes allégoriques qu'il revêt dans la plupart des autres romans.

Ce qui précède doit beaucoup à la préface de Stephen King et à la postface de l'auteur. Après avoir lu l'une et l'autre, il devient impossible d'en faire abstraction car elles projettent sur le roman un éclairage qui s'impose avec une pertinence que je ne saurais égaler. Ce qui est certain, c'est qu'Une fille comme les autres est un livre d'une dureté et d'une noirceur terrible et peu commune. C'est un livre qui vous parle. Non. Qui vous hurle aux oreilles. Qui ne saurait laisser indifférent et qui vous hante longtemps après que vous en avez tourné la dernière page. Une réussite des plus remarquable. Un éblouissant soleil noir.

La Paille dans l’œil de Dieu

Il peut, de prime abord, sembler étrange qu'un roman d'une telle qualité soit resté plus de 25 ans sans réédition en France. Paru aux Etats-Unis en 1974, il avait été traduit en 1981, dans la collection « Super Plus » des éditions Albin Michel, en grand format. Les collections de cet éditeur (aux jolies couvertures argentées inspirées d' « Ailleurs & Demain ») étaient orientées vers le space opera et un certain classicisme, pour ne pas dire un archaïsme certain. On y publiait E.E. « Doc » Smith, Nathalie Henneberg ou Jack Williamson… Et rares sont les romans sortis dans ces collections à avoir été réédités. Pourquoi ?

Rappelons-nous. Nous sommes dans les années 80 et la « nouvelle science-fiction politique française » — c'est-à-dire gauchisante, pour ne pas dire gauchiste — connaît son heure de gloire. Le space opera n'est plus en odeur de sainteté. Il est considéré comme un genre médiocre et, surtout, réactionnaire, impérialiste et scientiste. Des tares alors rédhibitoires. Ce n'est pas faux, mais les contre-exemples abondent. Citons Babel 17 de Samuel R. Delany ou L'Anneau de Ritornel de feu Charles L. Harness. Or, les collections Albin Michel s'inscrivent dans ce genre désormais honni. Qui plus est, c'est l'heure de la revanche et certains auteurs ayant pris position en faveur de l'intervention militaire américaine au Viet-Nam quinze ans plus tôt sont frappés d'ostracisme. Ainsi, Larry Niven, Ben Bova ou Poul Anderson ont été mis à l'index par les ayatollahs de la S-F française. D'autres, tel Robert A. Heinlein, seront épargnés par les foudres de la censure éditoriale malgré des positions semblables, tandis qu'un Isaac Asimov, qui s'était déclaré opposé à la guerre, publiait des textes pour le moins aussi à droite si ce n'est davantage. Ce n'est qu'avec le récent, mais violent, clivage à droite de la société française, que Larry Niven et consorts ont recouvré droit de cité. Les trois sont désormais davantage publiés qu'ils ne l'ont jamais été, en volume du moins, ce qui n'est que justice car nous parlons là d'auteurs majeurs.

Qui le veut peut encore aujourd'hui entendre taxer La Paille dans l'Œil de Dieu d'œuvre militariste et belliciste. Peut-être que oui. Cela reste à prouver. Pierre Michaut, des éditions de l'Atalante, me disait une fois avoir envisagé puis renoncé à rééditer ce livre justement en raison de ses positions idéologiques alors qu'il publie… David Weber ! Le cycle d'Honor Harrigton est infiniment plus militariste, belliciste et médiocre que La Paille… Il semblerait qu'en utilisant une femme en tant qu'abruti galonné, on puisse s'autoriser un bellicisme primaire au nom d'un féminisme de mauvais aloi. Mais justement, les militaires de La Paille… ne sont pas des abrutis se prenant pour le plus fier d'entre eux, le général Custer. Nous avons donc bel et bien une histoire militaire, comme l'est celle de Bill, le héros galactique de Harry Harrison, ou La Guerre éternelle de Joe Haldeman. Et pourtant… Il existe, en matière de space opera, un pendant à l'heroic fantasy : le space opera héroïque. Héroïque, voilà bien un critère qui ne s'applique pas à La Paille… car une chose est certaine : Rod Blaine n'est pas un héros. Ni au sens tragique, ni au sens commun. Il n'est pas non plus un de ces anti-héros dont la S-F d'alors raffolait. C'est un homme capable, intelligent, un homme qui se trouve au bon (ou mauvais) endroit au bon (ou mauvais) moment. Voyons le contexte.

L'empire interstellaire humain a repris son essor malgré les guerres d'unification qu'il lui faut mener. Ainsi, la Néo-Chicago vient-elle d'être mise au pas par la marine impériale. Jeune aristocrate appelé à devenir marquis de Crucis, sire Roderick Blaine est promu capitaine de vaisseau et reçoit le commandement du croiseur McArthur, qu'il doit convoyer en Néo-Ecosse pour réarmement. À peine parvenu dans ce système, il reçoit l'ordre d'intercepter une sonde extraterrestre propulsée par une voile photonique en provenance de la Paille. C'est le premier contact de l'espèce humaine avec une intelligence étrangère. Thème classique de la S-F s'il en est.

Le titre renvoi à une configuration stellaire. Au-delà de la nébuleuse obscure du Sac à Charbon brille une super géante rouge : L'Œil de Murcheson, invisible depuis la Terre. Et, juste à côté, luit une étoile de type G qui, vue de la Néo-Ecosse, semble minuscule : la Paille dans l'Œil de Dieu. Car depuis la Néo-Ecosse, le Sac à Charbon apparaît comme le visage d'un homme encapuchonné… Pour comprendre l'histoire, il faut savoir que la propulsion interstellaire procède par bond d'une étoile à l'autre et que, depuis la Paille, on ne peut bondir qu'à l'intérieur même de l'Œil de Murcheson (au cœur même d'une étoile, en somme). Il faut donc disposer de la technologie adéquate pour résister au plasma stellaire : le champ Langston. Les Pailleux, n'en disposant pas, sont confinés dans leur unique système solaire depuis des milliers d'années, voire un million…

L'empire envoie deux astronefs dans le système de la Paille : le MacArthur et le Lénine. La mission de l'amiral Kutuzov, qui commande ce dernier, est de préserver à n'importe quel prix les secrets militaires de l'empire et d'empêcher qu'ils ne tombent aux mains des Pailleux.

L'un des tours de force ici réalisé par Jerry Pournelle et Larry Niven est la création d'une civilisation étrangère qui nous est progressivement dévoilée au fur et à mesure que les voiles de la dissimulation sont ôtés. Etrangère, mais pas trop. D'un niveau technologique comparable à l'empire. Pailleux et Humains ont suffisamment en commun pour que la guerre soit possible. Le gros de ce fort roman — qui à aucun moment ne tire à la ligne — consiste en une vaste partie de poker menteur où ni les uns ni les autres ne jouent jamais franc jeu ; dissimulant leur bellicosité réciproque. Les auteurs s'entendent à merveille pour restituer les tensions qui naissent et s'amplifient…

La Paille dans L'Œil de Dieu est un roman bien mieux pensé et conçu que la trilogie du Conquérant de Timothy Zahn, où la guerre résultait d'une tragique méprise. Rien de tel ici. Chacun des deux camps est déterminé à défendre jusqu'au bout ses intérêts et à ne rien lâcher, quitte, mais en ultime recours seulement, à se faire la guerre. Chacun est bien conscient que la guerre est le moyen le moins rentable de parvenir à ses fins, le commerce étant de loin préférable, à condition, toutefois, qu'il ne soit pas un marché de dupe.

Circonscrits dans le système de la Paille, les Pailleux n'apparaissent pas comme une menace pour l'empire ; par contre, une fois répandu dans le cosmos, ils pourraient bien se métamorphoser en un mortel péril pour le genre humain. À l'inverse, tant qu'ils sont confinés dans un unique système, les Pailleux restent sous la menace d'une extermination impériale. Tel est l'enjeu.

Ce roman est l'un des plus remarquables space opera jamais écrits. Et, pour un livre militariste et belliciste, il faut constater qu'il n'y a pas de combat à proprement parler. L'usage des armes reste parcimonieux. En fait, si le roman est militariste, c'est bien parce que les militaires n'y sont pas des barbares sanguinaires, mais des gens intelligents, pondérés, qui ont les pieds sur terre et, qui plus est, s'avèrent avoir raison. Les chercheurs sont plus naïfs. En fait, les militaires paraissent davantage empreints de méthode scientifique que les scientifiques eux-mêmes. L'un des personnages les moins sympathiques mais les plus intéressants est le marchand rebelle Horace Hussein Bury, un « Arabe » qui devient un fanatique anti-Pailleux. Dans un roman plus récent, on pourrait interpréter ce personnage comme un reflet de la politique américaine actuelle. Mais en 1974 ?

À mon sens, c'est à la page 73 que l'on trouve le meilleur révélateur du droitisme des auteurs. Dame Sally Fowler répond à Bury : « On nous apprend que l'évolution physique d'une espèce évoluée est peu envisageable. Les sociétés humaines protègent leurs membres les plus faibles. On invente les chaises roulantes, les lunettes et les prothèses auditives dès qu'on en a la capacité technique. Quand une société part en guerre, les hommes (trait machiste — il n'y a aucune femme parmi les forces MSI) doivent généralement passer des épreuves d'aptitude avant d'être autorisés à risquer leur vie. Nul doute que ça aide à gagner le combat […] mais ça ne laisse guère de place pour la sélection naturelle. » Là encore, la réflexion est loin d'être dénuée de bon sens d'autant que les auteurs énoncent le fait sans porter plus qu'un jugement implicite.

Toute la construction romanesque tend à créer une situation où la réponse optimale est celle fournie par les militaires. C'est donc une construction d'une intelligence exceptionnelle, d'une machiavélique rouerie. Les personnages humains sont intéressants, crédibles, diversifiés. Il faudrait des Pailleux radicalement autres pour amener ce même panel d'humains à un comportement et à un jugement différents. Un autre livre !

Dans cette nouvelle traduction, plus fluide, même si je préférais la désignation « Granéen » (du Grain) plutôt que « Pailleux », La Paille dans L'Œil de Dieu confirme son statut de chef-d'œuvre majeur ayant renouvelé le space opera. Souvent imité, jamais égalé (même pas par Banks). C'est un livre dense et intense, sans longueur ni temps mort, à l'action constamment soutenue par des personnages crédibles et forts de leurs différences où une civilisation complexe a été élaborée avec le plus grand soin pour servir le propos. Jamais le thème du premier contact n'avait été traité de manière aussi aboutie. C'est presque le livre de science-fiction idéal. C'est une mise en scène très réfléchie d'une situation purement science-fictive. Les Pailleux ne sont pas des extraterrestres métaphoriques et ce n'est donc pas une fiction spéculative qui nous est ici proposée. Le renvoi vers l'univers des auteurs et lecteurs se fait à minima. On serait donc dans le divertissement mais avec une intelligence et une profondeur rarissime, même en littérature spéculative, et l'on comprend les réticences de l'Atalante à reprendre ce roman pernicieux en diable.

Ce roman doit être lu par tout amateur de space opera pour l'immense plaisir qu'il procure en tant que tel mais aussi, surtout, peut-être, par tout amateur de S-F qui inclinerait à penser à gauche pour se confronter à une pensée de droite à l'intelligence particulièrement affûtée. La Paille dans L'Œil de Dieu (qui date de 1974, rappelons-le) est le roman fondateur du « nouveau space opera ». Si vous ne deviez en lire qu'un seul, ça ne saurait en être un autre.

Le Temps des guerriers

Des années ont passé depuis le voyage initiatique du roi Tangiia sur l'île de Rarotonga. L'ambitieux Kieto, alors enfant, a bien grandi. Il veut reprendre la mer, son destin le poussera à conquérir Albainn, la mystérieuse terre de Brume où vivent les hommes blancs, c'est écrit dans les étoiles. Mais pour mener à bien cette quête, il doit apprendre à combattre. Sous prétexte de guider le prince Ru dans un voyage d'exploration, il entraîne donc ses anciens compagnons d'aventure (les Picts Seumas et Dorcha, l'inverti Hommefemme) à la recherche de la tribu des Maoris, qui possède l'art de la guerre.

On retrouve avec curiosité et plaisir les personnages du cycle des Rois navigateurs (critique du premier opus in Bifrost n°45) dans d'épiques tribulations, entre vieilles inimitiés et nouvelles rancunes. Kilworth mène de front trois intrigues parallèles, inégales en longueur et en intérêt : la quête de Kieto et consorts ; les menées du prêtre maléfique Ragnu, acharné à faire échouer cette expédition ; l'errance du jeune Kumiki, qui veut retrouver son père Seumas pour le tuer. C'est l'occasion d'une seconde plongée dans l'univers charnel, coloré, des Polynésiens, l'auteur continuant de restituer savamment les contrastes de la civilisation, de la culture océanienne. Mais s'il renouvelle sa matière avec un sens certain de la démesure et du spectaculaire, les diverses intrigues s'épuisent en développements répétitifs, les excès virent à l'automatisme, le récit finissant par tirer quelque peu en longueur. De stations en stations, les héros explorent, massacrent mécaniquement ogresses, harpies, bêtes malignes, peuple de morts-vivants, sont confrontés à divers envoûtements et autres interventions divines : jusqu'à l'ultime rivage où on n’est pas plus avancé. Dommage que Kilworth n'ait pas cherché à creuser deux ou trois bonnes idées (la terre parallèle des maoris, la lutte des géants colorés de Rapa nui).

Un deuxième tome de mise en place ou de transition, comme on voudra, avant la conclusion du cycle dont quelques éléments glanés çà et là dans le récit laissent imaginer qu'elle sera plutôt brutale.

La Musique de verre

Eilish et Erin sont deux musiciennes virtuoses. Eilish vit au XVIIIe siècle, dans les bas-fonds londoniens ; c'est une traîne-misère qui gagne sa vie en jouant des verres (soit en effleurant des soucoupes produisant des notes cristallines), jusqu'à ce qu'un coup de pouce du destin la propulse chez Benjamin Franklin. L'inventeur est à la recherche de talents capables de sublimer sa dernière trouvaille, l'armonica (sans h) de verre. De son côté, Erin vit à Seattle, en 2018, dans une atmosphère d'aseptisation nostalgique ; c'est une star de l'harmonica qui a la plus grande difficulté à concilier carrière et vie privée, ayant notamment à gérer la maladie neurologique dont souffre Charlie, son génial compositeur de frère.

L'intrigue se poursuit, aussi bien en 1792 qu'en 2018, par plages d'un ou deux chapitres. Les histoires d'Eilish et d'Erin s'enchevêtrent, les personnages du passé répondant de façon troublante à ceux du futur, dans une sorte de quête de l'accord parfait — musicothérapie du corps et des âmes.

Et le sense of wonder là-dedans ? Il repose dans ce fabuleux instrument, cet harmonica de verre dont on tente en vain d'imaginer la sonorité durant la lecture, qui relie les deux héroïnes à travers les siècles par apparitions interposées. Lien que l'auteur a voulu symbolique et métaphysique, lien qui apparaît en réalité bien artificiel, tant l'effort pour rattacher une partie du roman à la S-F est visible, par l'évocation convenue du proche avenir et les hypothétiques « connexions quantiques de l'espace-temps » qui justifient cahin-caha les intrigues parallèles — prétextes narratifs sans véritable intérêt mais qui, heureusement, ne nuisent pas au thème central illuminant le roman, à savoir la musique.

La passion, le savoir de Louise Marley (ancienne chanteuse d'opéra) en la matière est évidemment palpable. Le cœur du récit est ici, dans cette fascination pour la musique, dans le sentiment ineffable qu'elle procure.

Autant l'avouer : malgré d'indéniables qualités, ce roman ne convainc pas. Les sautes de rythme, le délayage de l'action, la mièvrerie généralisée atténuent l'émotion que, par ailleurs, il est censé provoquer. Cet humanisme bon ton, toutes ces longueurs, ces langueurs, ces froufrous de robes, ces maladroites envolées lyriques conviendront peut-être aux lecteurs sensibles. Peut-être… Quant aux autres, amateurs de S-F virile et sanguine, passez votre chemin.

Un visage pour l’éternité

À l'instar des pains dans le pays de Canaan, on assiste, dans nos contrées, à la multiplication des collections de poche dédiées à la fantasy. Après les éditions du Seuil, c'est au tour du Livre de Poche de proposer la sienne, lancée, comme cela devient une habitude, à grand renfort de publicité et avec une mise en place tapageuse en librairies. Ce ne sont pas moins de cinq titres qui déboulent dans le paysage, déjà saturé, de la fantasy. Rien que des rééditions, des débuts de cycle et quelques « one-shots ». La routine, en somme. Alors, puisqu'il faut bien juger sur pièces et au cas où la perle rare se cacherait dans ce premier lot, commençons par le roman le plus ancien : celui de C. S. Lewis.

Bien moins connu en France que son collègue et néanmoins ami J. R. R. Tolkien, C. S. Lewis [1898-1963] est pourtant, en Grande-Bretagne, une célébrité. Il faut croire que l'adaptation cinématographique de Le Lion, la sorcière blanche et l'armoire magique et le coup de pouce de J. K. Rowling ont contribué à le sortir de l'ombre de Tolkien où il moisissait sous nos longitudes. Bref, c'est ici la réédition d'un roman paru initialement aux éditions L'Age d'Homme en 1995, qui nous revient sous une illustration de couverture tout simplement hideuse. Ceci étant énoncé, venons-en maintenant au livre. Un visage pour l'éternité est présenté par l'auteur comme un mythe gréco-romain réinterprété : celui de Psyché et Eros. Pour les très irrespectueux lecteurs de Bifrost, précisons que la version de cette histoire, qui se rapproche beaucoup d'un conte — d'ailleurs, on y reconnaît des éléments empruntés par quelques contes postérieurs, notamment celui de « Cendrillon » —, est relatée dans l'ouvrage d'Apulée L'Ane d'or ou les métamorphoses. Histoire de résumer ce mythe, disons qu'il s'agit d'une histoire d'amour contrarié (celui de Psyché et d'Eros) et de jalousie (celle de la déesse Aphrodite puis des deux sœurs de Psyché). Le tout se termine évidemment bien pour les deux amants. Ajoutons, détail qui a son importance pour la suite de cette chronique, que les philosophes néo-platoniciens virent dans le mythe de Psyché la promesse d'une renaissance, d'une vie future après la mort et d'un bonheur éternel.

C. S. Lewis transpose le canevas de cette histoire dans un royaume barbare oriental : le royaume de Glome. Le récit nous est narré à la première personne par la fille aînée du roi de Glome, Orual, qui, en conséquence, devient le personnage principal : première différence — mais pas la seule — avec le mythe originel. Sous sa plume, le pays imaginaire qu'elle habite se pare d'une vraisemblance envoûtante que viennent renforcer des éléments empruntés à la réalité : le nom de lieux lointains (la Perse et la Grèce) et celui de personnages historiques (Socrate, Homère) ; des références à des récits mythologiques et à la philosophie hellène. L'ensemble donne une vague indication sur l'époque où est sensée se dérouler le récit. Justement, puisqu'on en parle, celui-ci est centré sur la vie d'Orual et la tragédie personnelle qui a déterminé sa destinée. C'est là l'une des forces du roman, car le point de vue d'Orual, son interaction avec les acteurs de son histoire intime, ne rendent que plus poignant le récit de ses souffrances, de ses doutes et de son désir de justice.

Cependant, derrière ce drame humain se détache en filigrane une œuvre très proche des textes apologétiques de C. S. Lewis. En effet, ne nous voilons pas la face, Un visage pour l'éternité est une manière pour l'auteur de défendre sa foi chrétienne. Le dispositif narratif qu'il met en place est sur ce point transparent. La première partie présente les éléments du réquisitoire de Orual. En gros, si les puissances divines sont bonnes et toutes-puissantes, elles ne peuvent tolérer la souffrance de leurs créatures. Or, durant son existence, Orual ne va cesser d'être accablée par les malheurs. Laide de naissance mais appelée à succéder à son père, elle se décharge de son amour sur sa sœur benjamine, belle et adorable — elle ne va pas tarder à être adorée par le peuple aussi, d'ailleurs —, et noue une relation de complicité intellectuelle avec Le Renard, un grec érudit réduit en esclavage par son père. Mais sa sœur lui est ravie par les dieux jaloux, déséquilibrant l'harmonie de son existence. Elle ne songe plus alors qu'à se venger de ceux-ci, car, si leurs créatures souffrent, c'est que les dieux ne sont soit pas bons, soit pas tout-puissants, voire les deux à la fois. Et s'ils sont nuisibles, ils ne méritent que d'être condamnés. Ainsi, aux trois-quarts du livre, la sentence finit par tomber : si les dieux ne répondent pas à l'accusation d'Orual, c'est qu’ils n’ont pas de réponse.

Puis, la seconde partie débute et avec elle, évidemment, la révélation. Convoquée magiquement devant les dieux, Orual peut enfin leur faire part, sans intermédiaire, de ses récriminations et espérer une réponse. Bien entendu, la plainte est la réponse, car en la formulant, Orual se rend compte de l'inanité de celle-ci. En fait, si les dieux ne répondent pas à Orual, c'est que leur existence est la seule réponse à toutes les questions. Ce n'est qu'au seuil de la mort qu'Orual perçoit cette vérité. Elle peut alors partir en paix.

Arrivé au terme de cette chronique, il faut donc se rendre à l'évidence. Un visage pour l'éternité est une réussite en matière de réinterprétation mythique. Mais en même temps, C. S. Lewis met son érudition au service d'une foi, certes sincère, mais par trop moralisatrice et qui donne l'impression de lire une profession de foi pour catéchumène. Qu'ajouter de plus face à cet assaut de religiosité ? Ah oui, retournez lire James Morrow.

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