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Le Violon

À la Nouvelle-Orléans, un drame vient d’avoir lieu : Triana Becker a perdu son second mari, Karl, mort du sida. Par amour et/ou démence, elle reste enfermée seule avec lui pendant deux jours, avant que la famille débarque. Seule ? Pas vraiment, car Triana éprouve une passion dévorante pour Beethoven, Mozart… Dès le début, on comprend que la musique sera un personnage à part entière du roman. Lorsque la famille arrive, on découvre une version dark des Quatre Filles du Dr March : Triana l’aînée est la femme banale, sans don, aux goûts macabres. La cadette, Rosalind, est la gentille, rondelette et alcoolique. Katrinka, la troisième, est la beauté fatale, mal dans sa peau, orgueilleuse et vénale. Quant à Faye, la petite dernière, la fragile, c’est la disparue, l’ombre qui plane au-dessus de cette sororité à l’enfance difficile (père dur, mère alcoolique). Le passé et la famille ont une importance capitale pour Triana qui est, disons-le, la reine de la culpabilité mal placée.

Alors qu’elle écoute sa musique, allongée sur le sol, pour oublier le monde, le chant magnifique d’un violon va se faire entendre. Celui qui va devenir son violoniste fait alors son apparition. Bien que visible par tous, il n’est pourtant pas ce qu’il paraît. Dans les 200 ans, beauté ensorcelante, doué du don de la musique, élève d’un grand maître… Stefan a tout pour lui, mais… c’est un fantôme et il a jeté son dévolu sur Triana ! À partir de cette rencontre hors norme, c’est une valse tragique, malsaine, qui va s’initier entre eux, haine et amour, désir et rejet. Il devient difficile de savoir qui traque l’autre, où est la folie, où est le fantasme. De la Nouvelle-Orléans à Rio en passant par Vienne, ce couple irréel va parcourir son passé à travers ses pires souvenirs, l’un voulant attiser la culpabilité et la folie, l’autre souhaitant comprendre et sauver.

On oublie souvent (à raison) qu’Anne Rice ne se réduit pas aux « Chroniques des vampires » et aux « Sorcières Mayfair ». En parallèle de ces sagas cultes, de petits ovnis parsèment sa bibliographie, dont ce Violon publié en 1997.

Dans ce bref roman, présenté comme le témoignage direct de Triana, nous retrouvons des éléments chers à l’autrice : le gothique des décors, la décadence, la folie, l’érotisme, la foi, la mélancolie et la poésie morbide qu’elle met dans les relations entre ses personnages. Mais… on ne va pas cacher le fait que la lecture du Violon n’est pas passionnante, le livre risquant fort de vous tomber des mains. Il faut au moins passer les six premiers chapitres avant que l’action commence enfin, six chapitres lourds, répétitifs, larmoyants, qui sonnent parfois comme du mauvais Shakespeare. Une fois passé ce cap, on commence à y prendre un peu plaisir, d’autant que les sujets abordés s’avèrent tout de même intéressants : sida, lutte contre l’alcoolisme et ses conséquences violentes, perte d’un enfant, culpabilité, obsession, confiance en soi…

Tout n’est pas à jeter dans ce Violon, à la seule condition de trouver la motivation pour ne pas refermer le livre !

Le Sortilège de Babylone

Le Sortilège de Babylone aurait tout à fait pu s’intituler Entretien avec un esprit. Il adopte, comme le premier et fameux roman d’Anne Rice, la forme d’un dialogue : celui que mène un nommé Azriel avec Jonathan Ben Isaac, un universitaire new-yorkais sexagénaire, spécialiste du Moyen-Orient antique. Quant à Azriel, c’est sous les traits d’un jeune homme d’une brune et singulière beauté qu’il se présente un soir d’hiver à l’historien. Dès lors, l’universitaire chenu consigne les propos qu’Azriel lui dispense des heures durant. Or la tâche s’avère à plus d’un titre surprenante pour Jonathan…

Alors que Le Sortilège de Babylone se déroule à la fin du XXe siècle, Azriel révèle être né au vie siècle avant notre ère à Babylone. Alors capitale d’un empire couvrant l’actuel Moyen-Orient, la cosmopolite cité abrite notamment une communauté juive dont fait partie Azriel. Soit une appartenance monothéiste n’empêchant cependant pas le jeune Juif de vouer un culte au dieu poliade de Babylone, Mardouk, après qu’il lui fut apparu. L’étroite relation alors nouée entre la divinité polythéiste et son élu hébreu amènera au terme de force rebondissements à la douloureuse métamorphose d’Azriel en « Serviteur des Ossements » (titre originel du roman). Désormais devenu le plus puissant des esprits peuplant le panthéon syncrétique du Sortilège de Babylone, Azriel s’engage dans une odyssée à travers les âges et les nations. Comptant parmi ses innombrables étapes l’antique cité grecque de Milet, ou bien le quartier juif de la Strasbourg médiévale, le périple plurimillénaire d’Azriel l’amène enfin dans les actuels États-Unis. C’est là qu’il y rencontre donc Jonathan, bien vite convaincu de la véracité des dires du Serviteur des Ossements après qu’il lui a fait la démonstration de ses prodigieux talents. Ceux-là mêmes dont Azriel fera encore usage dans sa lutte contre le Temple de l’Esprit, une secte contemporaine aux ramifications planétaires ourdissant d’inquiétantes menées eschatologiques…

Après les vampires, momies et autres sorcières, c’est donc un nouveau pan de l’Imaginaire qu’Anne Rice réinterprète avec ce Sortilège de Babylone, inventant avec Azriel une chimère au croisement du Judaïsme antique et de la mythologie babylonienne. En combinant deux spiritualités a priori antithétiques, l’auteure reste bien évidemment fidèle à sa manière oxymorique. Il en va de même pour son écriture polymorphe, oscillant entre l’allant du thriller fantastique et le rythme autrement plus posé de la réflexion religieuse. D’abord assez habilement associées à la suggestive évocation des étranges exploits d’Azriel, les considérations métaphysiques vont cependant croissant. Inexorable conséquence : Le Sortilège de Babylone perd de son charme initial et en devient in fine bien lourd. Et l’on peinera donc à l’inscrire parmi les réussites majeures d’Anne Rice…

La Saga des sorcières Mayfair

Vaste épopée familiale, la « Saga des sorcières Mayfair » explore un monde mêlant amour, richesse et créatures surnaturelles, en suivant la lignée éponyme à la trilogie.

Le premier tome s’attache à Rowan Mayfair, jeune neurochirurgienne dotée de pouvoirs psychiques, soustraite enfant à sa famille pour être emmenée à San Francisco. Bien que son don, le pouvoir de modifier la matière cellulaire, lui permette de sauver des vies, il lui octroie aussi la capacité de tuer, sur simple volonté. Accompagnée de Michael Curry, un entrepreneur du bâtiment qu’elle a sauvé de la noyade, elle revient dans la maison familiale située dans le quartier du Garden District de la Nouvelle-Orléans. La maison, délabrée, est hantée par un esprit nommé Lasher. Rowan, malgré elle, devient l’héritière de plusieurs générations de sorcières. Ignorante de l’histoire familiale, elle cherche à percer les secrets de ses origines et révéler sa véritable identité tout en affrontant Lasher. En parallèle de son histoire, les archives du Talamasca, une société secrète étudiant les phénomènes surnaturels depuis le Moyen Âge, retracent l’histoire et la généalogie des sorcières Mayfair et leur lien avec Lasher. Le récit de la vie des sorcières, raconté par divers témoignages à multiples points de vue, offre une vue d’ensemble approfondie des enjeux complexes et des ramifications qui se déploient au fil des trois volumes.

Le deuxième tome se concentre sur Lasher, ses origines, sa relation complexe avec la famille Mayfair. Entité éternelle, Lasher prend forme lorsque la première des Mayfair, envoyée au bûcher pour sorcellerie, lui accorde son attention, l’éveillant ainsi à sa propre existence. Ses interactions avec les sorcières au cours des siècles lui permettent de se développer et de renforcer son pouvoir. Incarné en tant qu’humain, il ne cesse de chercher à se reproduire. La narration alterne avec le récit de Julien, l’un des sorciers les plus puissants de la famille, exclu de l’héritage du fait de sa condition d’homme. Son enquête sur Lasher nous est livrée, bien après son décès, par l’entremise d’un gramophone enchanté, un appareil contre lequel Lasher ne peut rien.

Le dernier volet se penche sur les origines des créatures surnaturelles liées aux Mayfair, les Taltos. L’intrigue se focalise sur deux protagonistes : Mona, la jeune héritière de la famille Mayfair, qui se trouve enceinte à l’âge tendre de treize ans suite à sa liaison avec Michaël ; et Ashlar, un Taltos survivant qui se démarque par sa sagesse et sa maturité parmi ses semblables. Les Taltos, êtres légendaires issus d’une époque révolue où géants, esprits et humains coexistaient, possèdent une longévité exceptionnelle et une capacité à penser sur un temps long, tout en conservant une forme de candeur. Au sein du Talamasca, une faction dissidente détient une Taltos femelle. L’éventualité de la procréation entre ces deux créatures soulève des enjeux monumentaux : la possible extinction de l’humanité elle-même.

Le concept des Taltos vient enrichir la mythologie d’un univers partagé qui englobe à la fois les « Chroniques des vampires » et la « Saga des sorcières ».

Dans ces dernières, Anne Rice lie surnaturel et sensualité, bien que certaines scènes de sexe, violentes, sombrent dans le ridicule. Les forces occultes confèrent pouvoir, richesse et connaissance, mais peuvent aussi corrompre et brouiller les frontières entre le bien et le mal. Pris dans l’implacable machination ourdie par un esprit immortel, les personnages, complexes et ambigus, aux prises avec leurs démons intérieurs, aspirent à un avenir meilleur. La trilogie interroge le libre arbitre et explore la dualité entre choix et destin.

Le surnaturel s’intègre subtilement dans la réalité, les forces et les esprits exploitant des phénomènes naturels tels que tempêtes, maladies mentales ou crises cardiaques pour masquer leur intervention. D’abord mystérieux et puissant, il se pare peu à peu de justifications rationnelles, se mêlant étroitement à la génétique. Les thèmes de la famille et des liens du sang, si chers à l’autrice, trouvent un écho dans l’ADN, où la mémoire génétique entrelace relations, substance et continuité.

Anne Rice tire son inspiration de son environnement, notamment sa vaste demeure à la Nouvelle-Orléans, et de sa propre vie, y compris son retour d’exil à San Francisco. Pour plus d’authenticité, elle convoque les images de son passé, des écoles aux églises, en passant par le défilé du Mardi Gras, les réunions familiales et même les cérémonies funéraires. Ajoutés à une écriture ample et poétique, ces éléments lui permettent de déployer, dans le premier tome, tout son talent de conteuse maîtrisant l’art de créer des images vivantes. Cependant, la qualité diminue au fil des volumes. L’introduction du catholicisme, du personnage de Saint Ashlar et de la métaphysique personnelle de l’autrice, ainsi que les longs passages discursifs, dans Taltos, finissent par susciter l’ennui.

C’est d’autant plus frustrant que l’autrice démontre une réelle sensibilité aux évolutions de son époque. Mona utilise un ordinateur personnel, une technologie émergente dont la pleine puissance demeure encore méconnue. Son regard acéré sur l’économie, la société capitaliste et son virage ultralibéral, s’incarne à travers de la jeune fille qui mûrit rapidement et s’émancipe par la maîtrise du sexe et de l’argent. En conclusion, on se limitera à la lecture du premier volet du cycle sans redouter d’y perdre.

Ramsès le damné

Début 1914. Lawrence Stratford est un riche Britannique passionné d’égyptologie. Il a laissé depuis longtemps les rênes de la Stratford Shipping à son frère et à son neveu pour se consacrer à plein temps à sa passion, à laquelle il s’adonne en organisant, en compagnie d’un ami égyptologue local, des expéditions de recherche de vestiges cofinancées par des musées. Dans une tombe aux décorations inhabituelles, Stratford découvre une momie dont les inscriptions prétendent qu’elle est celle de Ramsès II ; alors même que la momie dudit Ramsès avait été « découverte » en 1881 et qu’elle était exposée depuis. Plus surprenant encore, la tombe dans laquelle Stratford fait sa découverte date du premier siècle avant notre ère, soit plus de mille ans après la mort attestée du grand pharaon. Enfin, cerise sur le gâteau, Stratford traduit des inscriptions qui affirment que la momie découverte est celle de Ramsès « le damné », étrange surnom, et qu’elle serait bien celle de Ramsès II, devenu immortel et endormi… pour l’instant.

Hélas, l’égyptologue ne peut profiter longtemps de son incroyable découverte. Il est empoisonné dans la tombe même par son neveu Henry, un alcoolique criblé de dettes, qui voit là un moyen de régler ses problèmes d’argent. Stratford, qu’on croit mort d’un infarctus, est enterré en Égypte et la momie ramenée à Londres pour être étudiée au British Museum. D’abord, elle fait l’objet d’une exposition privée dans la maison même de Stratford en présence de sa fille, Julie. C’est là lorsqu’Henry tente d’empoisonner Julie, que Ramsès se lève et la sauve, provoquant la fuite du scélérat. Ramsès est éveillé. De nouveau. Il va devoir s’adapter au monde moderne, nous raconter son histoire et tomber amoureux de la jeune femme.

Les quelques lignes qui précèdent résument les cinq premiers chapitres du premier volume. Celui-ci en compte vingt-trois. Ramsès va donc acquérir en un rien de temps l’anglais et les techniques modernes, devenir peu à peu un parfait gentleman, retourner en Égypte où il ressuscitera imprudemment Cléopâtre, son dernier amour sur la momie de laquelle il tombe par hasard dans un musée, tenter enfin de vaincre la folie meurtrière d’une reine qui l’a aimé avant de le haïr pour n’avoir pas aidé Marc-Antoine et dont la raison ressuscitée vacille. Le tout en compagnie d’Elliott, un vieil ami de Stratford, noble ruiné et ex-amant secret de l’égyptologue, et d’Alex, le fils de celui-ci, un garçon terne, promis depuis toujours à Julie qui l’apprécie beaucoup mais ne l’aime pas.

Dans les deux tomes suivants, on verra les fiançailles de Ramsès et Julie – devenue immortelle aussi –, la liaison passionnée entre Cléopâtre et le jeune Alex, l’union spirituelle entre Cléopâtre et son âme sœur moderne – Sybil, une écrivaine de fantastique –, l’immortalisation d’Elliott – je vous en épargne une autre encore plus baroque –, et l’entrée dans le jeu de Bektaten, reine immortelle d’un royaume perdu, âgée de dix mille ans, créatrice de l’Élixir d’Immortalité et de maintes autres potions magiques ; sans oublier le vieux rival de celle-ci, qui l’a trahi il y a cent siècles, ni leurs réseaux d’espions et d’assistants. Tout ce monde combattra et les « bons » gagneront. Enfin, on ira en Russie pour contrer la menace, brandie par un nationaliste slavophile, d’un retour sur Terre d’Osiris himself sous la forme d’une statue animée gigantesque qui interviendrait dans la Grande Guerre. Ouf !

Le premier roman a été publié en VO en 1989, le deuxième en 2017 (coécrit avec son fils), le troisième (aussi avec son fils) en 2022, quelques mois après le décès d’Anne Rice.

Disons-le sans hésitation, cette trilogie n’est vraiment pas bonne. Comme dans les « Chroniques », Rice y met en scène des personnages immortels confrontés au passage du temps long et à la perte des choses et des êtres qui faisaient sens pour eux. De même, la trilogie donne lieu au dévoilement des origines de l’effet magique impliqué. Mais le parallèle s’arrête là.

Là où les tourments de Louis était pertinents et intelligemment développés, ici, ceux des uns et des autres font plutôt sourire. Même si certains personnages, après mille deux cents pages, finissent par devenir attachants, rien ne va dans l’histoire ou les dialogues.

La Momie, outre les nombreuses coïncidences ou l’adaptation hyper-rapide de Ramsès à la modernité qui entament la suspension d’incrédulité, est une longue histoire d’amour sirupeuse entre la jeune femme indépendante et la momie torturée revenue d’entre les morts, parsemée de dialogues tout à fait consternants dignes d’Harlequin.

Les deux tomes suivants, écrits presque trente ans plus tard, remettent en selle les personnages de La Momie à la suite directe des événements du premier opus. Même si la narration des histoires d’amour y est un peu moins désastreuse, elle constitue encore un élément important, alourdi par le fait que le moindre geste ou mot est expliqué par les auteurs, comme si le commentaire de texte était contenu dans le texte. Remplis d’action, les tomes 2 et 3 contiennent de nombreux rebondissements inutiles, car les trajectoires restent les mêmes une fois ces péripéties purement noradrénergiques résolues par les personnages. L’utilisation même des protagonistes est perfectible, certains font tapisserie, disparaissent une fois leur fonction remplie, ou sont placés sous la garde d’immortels pour leur protection, ce qui permet de les sortir de la lumière.

Enfin, Rice développe une sorte de métaphysique qui évolue au fil des tomes, d’un athéisme simple à une sorte de spiritualisme sans divinité qui change encore dans l’ultime volet en impliquant une sorte de force (dieu ?) de la mort et des âmes en transmigration dont l’existence était vaguement supposée dans le deuxième opus. Nul doute que les errances métaphysiques personnelles et documentées d’Anne Rice elle-même expliquent ces interrogations, portées par les personnages et l’action, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont guère servies par le récit. D’autant que là aussi, quels que soient les abîmes de temps ou d’espace invoqués, rien n’affecte vraiment les personnages, héros destinés à réussir et à survivre à tout.

En conclusion, mieux vaut éviter de lire cette trilogie. Toute la finesse de Rice l’avait désertée lorsqu’elle l’écrivait.

Les Infortunes de la belle au bois dormant

1982. Les deux derniers romans d’Anne Rice, The Feast of All Saints et La Voix des anges, n’ont eu ni le triomphe critique, ni le succès commercial d’Entretien avec un vampire : le premier est considéré comme trop dense pour être digeste, le second est crucifié par la critique. L’autrice décide donc de revenir à l’érotisme, un domaine auquel elle s’était frottée dans les années 60, et d’écrire, sous le pseudonyme d’A.N. Roquelaure, une trilogie de romans BDSM (sortis en VO de 1983 à 1985 ; un quatrième tome, jamais traduit, paraîtra trente ans après ses prédécesseurs) aussi « dégraissés » de toute lourdeur que possible et inspirés par le conte de… La Belle au bois dormant. La chose peut paraître d’une originalité et d’une audace folle, mais il faut réaliser que la version de Perrault, la plus connue sous nos latitudes, est loin d’être la seule, et dans nombre de cas, la Belle n’est pas réveillée de son sommeil magique par un banal baiser, mais par un viol, voire la fin d’une grossesse consécutive à ce dernier. Rice ne fait que développer ce qui se passe après cet acte – et retrouve au passage le succès, le cycle acquérant même, au fil des ans, un statut culte.

Le Prince, qui, en la violentant, réveille la Belle, est l’héritier du plus puissant royaume des environs, dont la Reine exige des monarques voisins qu’ils lui livrent, en tant que tribut, un de leurs descendants pendant quelques années. Ceux qui l’ont vécue n’évoquent jamais leur expérience… et pour cause. Ils sont en fait réduits à l’état d’esclave sexuel, obligés d’être nus et à quatre pattes en permanence, soumis aux châtiments corporels et aux désirs sadiques de leurs maître(sse)s. On ne peut ni les tuer, ni les mutiler, ni les blesser, mais à part ça, tout est permis. Complète innocente, la Belle intègre ce système, et sa peur et sa confusion initiales laissent vite place à une béatitude masochiste marquée par un profond syndrome de Stockholm et quelques rares éclairs de lucidité quant à l’horreur de sa situation (passivité qui, toutefois, est dans la droite lignée des différentes versions du conte). Le ton n’a rien de tragique, pas plus qu’il n’est explicitement parodique, même si, parfois, la conjugaison d’absurdité et d’extrême des situations vécues par les protagonistes (le point de vue majoritaire est celui de la Belle, mais celui d’un Prince étranger dont elle s’amourache est aussi présent dans chacun des tomes) prête à se demander si tout cela n’est pas la manifestation de la volonté sadique de placer un personnage innocent, un peu nunuche et disneyien, dans les pires situations imaginables, ses blanches fesses soumises au battoir ou aux attentions toutes masculines, féminines, voire les deux à la fois, de ses maîtres. La chose (tragi-)comique étant que de tome en tome, la situation de la Belle devient plus extrême : dans le second, elle est envoyée en punition de son insolence dans le terrible Village, de sinistre réputation, où elle est, cette fois, soumise aux appétits des gueux, et dans le troisième, capturée par des étrangers, elle devient carrément une chose, un jouet sexuel supposé dénué d’humanité. On notera toutefois que dans le quatrième tome, la Belle prend le pouvoir et change profondément le système – nous voilà rassurés.

Pas vraiment destinée à tous les profils de lecteurs, cette tétralogie s’avère fort bien écrite et traduite, particulièrement plaisante dans sa dimension comique, même si le frisson érotique ressenti reste finalement assez mince.

Le Chevalier-Mage

Quand Gene Wolfe s’essaie à la fantasyperfusée à la mythologie, quel en est le résultat ? L’épais diptyque du « Chevalier-Mage ». Celui-ci prend la forme d’une lettre (longue, la lettre) que le narrateur envoie à son frère Ben, pour lui dire que, grosso modo, tout va bien, il s’est juste aventuré dans les bois un peu plus loin que prévu et s’est retrouvé dans le monde de Mythgarthr sans vraiment s’en rendre compte. Lui, il voudrait simplement retourner à Griffonsford, son village… en supposant qu’il vienne bien de Griffonsford. Tout est si flou, les souvenirs soudain si incertains pour celui qui se fait désormais appeler Able du Grand Cœur.

Bien que situé au milieu, Mythgarthr n’est pas exactement Mid- gard, la cosmologie de cet univers ne compte pas neuf mondes comme dans la mythologie nordique mais sept, superposés, avec un différentiel temporel — plus on monte, plus le temps passe vite, et inversement quand on descend. Au fil des pages, le diptyque mêle les mythologies scandinave et chrétienne avec un zeste de légende arthurienne. L’exploration de cet univers n’est toutefois pas ce qui préoccupe le plus l’auteur, dans la mesure où les aventures d’Able se déroulent pour l’essentiel sur Mythgarthr, avec quelques incursions dans l’étrange Ælfrie, que peuplent différentes races d’elfes, et au Sciel, où flotte l’aérien château du Père des Batailles, sorte de Valhalla.

Le Chevalier suit donc les premiers pas d’Able dans cet univers qu’il découvre, puis sa quête pour devenir chevalier et comprendre les implications morales du rôle. En chemin, il rencontre différents alliés : Gylf le chien parlant et les elfes de feu Uri et Baki. Au passage, il tombe éperdument amoureux d’une elfe des mousses, Disiri, et se lance à la recherche d’Éterne, une épée magique. Suivront de nombreuses péripéties, impliquant entre autres créatures fabuleuses des géants et des dragons, et une défense toute chevaleresque de l’honneur. Contrairement à son titre, Le Mage ne montre pas Able devenir quelque puissant sorcier : certes doté de pouvoirs, dont il ne se servira guère, notre chevalier mènera une guerre incessante contre les Géants du givre.

Comme souvent avec Wolfe, le « Chevalier-Mage » laisse l’impression durable qu’il y a quelque part une intrigue claire, juste au-delà de ce que l’on peut saisir. Sans être véritablement un narrateur non fiable, Able sait des choses mais omet de les signaler au moment opportun, laissant ses lecteurs errer dans une incertitude relative. Admirablement écrit et traduit, Le Chevalier suscite la curiosité et maintient l’intérêt au long de ses centaines de pages ; en revanche, il convient de s’accrocher pour venir au bout du Mage : aussi bavard que nébuleux, lâchant parfois quelques explications, ce deuxième tome, hélas, paraît interminable, jusqu’à une fin qui fait « pschitt ». L’ensemble constitue donc une semi-déception. Ou une semi-réussite, c’est selon.

Soldat des Brumes

À la croisée de l’Histoire et de la mythologie, le cycle « Soldat des brumes » nous propose une forme de fantasy dont la manière et la matière ne sont pas sans évoquer celles de Robert Holdstock, notamment dans « La Forêt des mythagos », mais peut-être plus encore dans « Le Codex Merlin ». Gene Wolfe nous immerge sans préambule en terre grecque, vers 479 avant J.-C., au moment du reflux de l’armée du Grand Roi Xerxès Ier, suite aux échecs cuisants de Salamine et de Platée (Soldat des brumes et Soldat d’Aretê), puis quelques années plus tard en Égypte, remontant le cours du Nil au-delà du Royaume de Koush (Soldat de Sidon).

Latro est un soldat perdu du Grand Roi, un mercenaire parmi d’autres qui composent l’ordinaire des contingents cosmopolites du monarque perse. Gravement blessé à la tête après Platée, il se remet lentement de ce traumatisme, non sans quelques séquelles sur sa mémoire. Par son truchement, nous découvrons donc un monde à la fois reconnaissable et étranger, les toponymes ne correspondant pas exactement à ce que nous connaissons du monde grec. Platée devient ainsi Argile, et Salamine est désigné sous le terme Paix. De même, Pensée, Corde, Colline, Dauphins et Colline-de-la-Tour se substituent à Athènes, Sparte, Thèbes, Delphes et Corinthe, faisant craindre une gymnastique mentale pesante. Fort heureusement, il n’en est rien : le changement des noms procède au dépaysement, nous mettant dans la même situation que Latro face à l’inconnu. Le bougre se révèle vite, en effet, un narrateur non fiable, amnésique et de surcroît incapable de mémoriser toute expérience et connaissance récentes. Ce handicap le contraint à se livrer quotidiennement à un fastidieux travail de remémoration, se fondant sur ses écrits de la veille pour comprendre sa situation présente et se projeter dans l’avenir. Un processus expliquant une narration elliptique, où nous percevons les effets avant d’en appréhender les causes.

Dans un monde en proie à l’esclavage, d’aucuns ne donneraient pas cher du devenir de Latro. Pourtant, tous ceux qui le rencontrent sont d’accord pour louer ses qualités exceptionnelles et chercher à s’attirer ses faveurs. On le dit en effet capable de lier commerce avec les dieux et avec leurs serviteurs. On le croit également dépourvu de malice, fidèle à sa parole et à ses amitiés. On le tient enfin pour un soldat d’Aretê, redoutable avec son épée Falcata, doué pour le combat mais aussi pour accomplir d’autres exploits, le plus grand de tous restant celui d’élucider le mystère de son identité.

« Soldat des brumes » est une fresque monumentale où se côtoient Histoire et mémoire sans que l’une ne vienne interférer avec l’autre. Gene Wolfe y déploie des trésors d’écriture pour distiller sa connaissance des civilisations grecque et égyptienne afin de nourrir et de rendre tangible un worldbuilding qui doit autant à Hérodote qu’à son imagination. Dans ce monde à la fois proche géogra- phiquement, mais éloigné dans le temps et pourtant bien présent encore dans leurs angles morts, il s’interroge sur la mémoire dont dépendent l’identité, et peut-être aussi, du moins à l’époque antique, la destinée. Dépourvu de souvenirs et de la faculté à mémoriser, Latro apparaît ainsi comme une page vierge, devant sans cesse réapprendre pour comprendre son environnement. Mais, mémoire n’est pas savoir, comme il s’en rend rapidement compte. Sa quête ne tarde pas à se transformer en une véritable odyssée, qui le voit accomplir des prouesses et s’accomplir au point de toucher à une forme de mythification. De son parcours, Gene Wolfe tire un récit dense, délicieusement allusif, affectionnant les digressions et préférant les méandres à la ligne droite. Il nous promène ainsi de l’Attique au Péloponnèse, en passant par la Thrace, l’Égypte ou l’Afrique noire, sans perdre de vue la destination qu’il s’est fixé.

Si presque vingt années séparent les deux premiers romans du troisième, le hiatus ne nuit cependant pas à la cohésion de l’ensemble. Bien au contraire, Soldat de Sidon prolonge avec bonheur la saga commencée avec Soldat des brumes renouant avec ce goût pour la découverte et prolongeant le voyage de Latro en terre africaine, au-delà de la sixième cataracte du Nil. Un sacré voyage, qui ne laissera personne insatisfait, et qui a valu aux premier et troisième tomes de cette série le prix Locus du meilleur roman de fantasy et le World Fantasy Award 2007.

Le Livre du long soleil

Le « Livre du Long Soleil » est considéré comme le deuxième cycle majeur de Gene Wolfe, après le « Livre du Nouveau Soleil ». Les deux font d’ailleurs partie d’une saga plus grande, le « Cycle solaire », qui comprend aussi le roman Le Nouveau Soleil de Teur, la trilogie « The Book of the Short Sun », restée inédite en français, ainsi que neuf nouvelles. Notez qu’il faut prendre les termes de « cycle » ou de « tétralogie » avec des pincettes : d’une part chacun des quatre romans du « Livre du Long Soleil » est la suite directe, parfois à la minute près, du précédent (et ils se déroulent de toute façon tous sur un intervalle temporel très resserré, environ deux semaines), d’autre part les anglo-saxons le considèrent comme un roman unique coupé en quatre volumes. Notez aussi que les liens entre les deux cycles majeurs de Wolfe sont si ténus que le lecteur peut tout à fait lire ce « Livre du Long Soleil » sans jamais se rendre compte qu’il se déroule dans le même univers que « Le Livre du Nouveau Soleil » !

Organsin est Paterdans un Mantéion, c’est-à-dire un hybride de prêtre et d’instituteur dans une structure qui tient autant de l’école que du temple. Les divinités qu’il sert peuvent apparaître dans des « Fenêtres sacrées » et posséder leurs fidèles. Son monde est cylindrique, son soleil rectiligne, et la nuit, on aperçoit, de l’autre côté du ciel, des Terres Célestes. On pourrait presque croire à un univers de fantasy assez inhabituel si sa douzaine de déités ne vivait pas dans un endroit appelé l’Unité Centrale, si les habitants de ce « Méande » (déformation de « Monde ») n’avaient pas le souvenir, transmis de génération en génération, d’être originaires d’un autre endroit où le soleil était rond, et que ledit Méande était une création artificielle du chef des dieux. Ajoutez le fait que dès le début, Wolfe vous montre des robots, des engins volants, et parle à mots couverts de manipulations génétiques pour que même le plus novice des lecteurs de SF comprenne qu’il a en réalité affaire à une histoire de vaisseau à générations. Classique ? Pas tant que ça : ces histoires se posi- tionnent majoritairement selon deux axes (les passagers ont tout oublié / ont été abusés et croient réellement être dans un vrai monde, ou bien, au contraire, les passagers savent très bien dans quoi ils sont embarqués), et l’univers de Wolfe se trouve, de façon très intéressante, à l’intersection des deux. L’effet du temps et des manipulations de l’Équipage (bien distinct du Fret) fait que par exemple, les esprits téléchargés des dirigeants de l’expédition deviennent des dieux, et que leur injection mémétique via des écrans d’ordinateur devient une « possession » divine.

Organsin subit au début du premier tome une épiphanie, étant un instant possédé par l’Autre, cette déité qui ne vit pas dans l’Unité Centrale et correspond au Dieu judéo-chrétien. On notera d’ailleurs que comme le reste de l’œuvre de Wolfe, ce cycle est puissamment influencé par sa foi catholique, un autre personnage majeur, Alque, ayant d’ailleurs plus qu’une vague parenté avec Moïse guidant son peuple vers la Terre Promise. L’Autre donne à Organsin pour mission de sauver son Mantéion, justement racheté par un potentat louche. Ce qui conduira le Pater, de fil en aiguille, à assumer le rôle d’un dirigeant religieux et politique à la fonction indûment suspendue depuis des décennies, et à changer son monde.

Sur le papier, tout cela paraît fort intéressant. Le gros problème est que si, toujours en théorie, Wolfe serait un immense styliste, à la prose érudite et intelligente, en pratique on est très tenté de rebap- tiser l’ouvrage « Le Livre du long sommeil », tant la lecture en est laborieuse et frustrante : longueurs et interminables tunnels de dialogues alternant avec de brusques accéléra- tions et ellipses dans l’intrigue rendant parfois la chose difficilement compréhensible, scènes qu’on attendait avec impatience et qui sont expédiées d’un trait de plume, jeux érudits (le chat Catachrest, par exemple) qui n’amuseront que leur auteur et une poignée de lettrés parmi le lectorat, etc. Certes, la révélation finale remettra certaines choses en perspective et fera bénéficier l’auteur d’une (très) relative indulgence, mais, clairement, ce cycle ne sera certainement pas à même de séduire le grand public !

Le Sortilège de Castelview

Il arrive, même aux plus remarquables auteurs, de se fourvoyer à l’occasion. Gene Wolfe compte au nombre des plus remarquables écrivains anglo-saxons des domaines de l’Imaginaire et figure parmi les stylistes les plus accomplis. De ce qui nous a été traduit dans la langue de Molière, il n’y a rien à jeter… hormis ce Sortilège de Castelview, qui ressortit à la fantasy urbaine – des univers où le merveilleux, le fantastique, ne font pas à proprement parler irruption dans notre monde mais y sont monnaie courante.

Castelview est une petite bourgade de l’Illinois profond où ja- mais rien ne se passe si ce n’est qu’à l’occasion, il est possible d’apercevoir au loin le château… Il n’y aurait pas là de quoi fouetter un chat si, précisément, il n’existait point de château dans les environs, en dépit de tous ceux qui l’ont aperçu, avec de notables différences toutefois. Will Schields, qui vient de faire l’acquisition du garage d’occasion de la petite ville, l’a vu, lui aussi, depuis le grenier de la maison qu’il envisage d’acheter pour lui-même, sa femme et sa fille. Tom et Sally Howard devaient vendre celle-ci, contraints à déménager suite à la promotion obtenue par monsieur ; or, le voilà qui meurt soudain… Les Schields manquent de peu d’avoir un accident de la route sous la pluie diluvienne s’abattant sur Castelview, n’évitant que de justesse un cavalier juché sur un immense cheval qui s’avérera, plus tard, compter huit pattes ! Et c’est parti pour un enchaînement de péripéties dont on se demande bien où elles vont nous mener.

Outre les Schields, Will, Ann et Merce, on a toute une ribambelle de personnages. Ajoutons la fée Morgane Viviane, un docteur elficologue et, pour faire bonne mesure, G. Gordon Kitty, un chat qui parle ! Soit une vingtaine de personnages à qui il arrive des tas de trucs dans cette ville où rien n’arrive jamais, bien qu’elle soit frontalière du pays des fées… Saupoudrez tout ça d’un zeste de Matière de Bretagne et le tour n’est pas du tout joué…

L’intrigue est des plus mal élaborée qui soit. On assiste à un enchainement de péripéties sans queue ni tête, se balançant d’un cliffhanger à l’autre comme Tarzan de branche en branche. Wolfe en abuse, mais c’est ce qui rend en fin de compte la lecture supportable. Si, à la fin du livre, les divers protagonistes semblent avoir plus ou moins compris ce qu’ils y faisaient, ce n’est pas le cas du pauvre lecteur qui ne parvient ni à démêler ni à trancher le nœud gordien de cette histoire à dormir debout, et reste le bec dans l’eau sans rien avoir compris des tenants et aboutissants, ignorant le pourquoi du comment jusqu’à la fin.

S’il est un livre de Gene Wolfe à éviter, ce doit être celui-là !

Silhouettes & Toutes les couleurs de l’enfer

La trentaine de nouvelles réparties entre Silhouettes et Toutes les couleurs de l’enfer fut publiée aux États- Unis dans un unique recueil, Endangered Species, mais Denoël décida d’en tailler deux surgeons. Peut-être regrettera-t-on que les non anglophones soient ainsi empêchés de prendre la suffisante mesure de ce qu’était initialement Endangered Species, à moins de considérer que ce bouturage éditorial ajoute à la foisonnante bigarrure de ces récits. Car si la SF domine dans Silhouettes, et le fantastique dans Toutes les couleurs de l’enfer, chacun des recueils décline en réalité ces genres selon de nombreuses nuances.

Dans Toutes les couleurs de l’enfer, on y retrouve des réinterprétations contemporaines de la mythologie antique (« L’Homme du Nebraska et la Néréide »), des contes de fées (« Dans la maison de pain d’épice ») et d’autres figures du folklore (« Un Chalet sur la côte »). À ces variations sur le merveilleux traditionnel s’ajoutent celles sur l’imaginaire du XIXe siècle comme « Notre voisin, par David Copperfield ». Parfois intertextuel, le fantastique de Toutes les couleurs de l’enfer emprunte aussi des voies formelles singulières. On peinera à trouver un précédent à « Kevin Malone », « Suzanne Delage », « La Plus belle femme du monde » et « Mon livre », tous d’une troublante texture, cauchemardesque et ironique. Celle-ci marque aussi la mini-trilogie réunissant « June dans les ténèbres », « La Mort de Hyle » et « Extraits du carnet du Docteur Stein », croisant fantastique et SF pour éclairer d’un jour futuriste un cas de supposée possession.

Cette synthèse entre anticipation et (apparent) surnaturel apparait également dans Silhouettes avec « La Femme qui aimait Pholus le centaure », la science y donnant vie à cette chimère. Et de l’étrange, il y en a encore dans « Le Chat », qui s’inscrit dans le « Livre du Nouveau Soleil ». Cette nouvelle tutoie la fantasy comme « Le Dieu et son homme », sorte de genèse miniature. Le goût de Gene Wolfe pour le mélange des genres n’exclut cependant pas la pratique d’une SF plus canonique. Dans la lignée des androïdes rêveurs de Philip K. Dick, « Les ZOROS de la guerre »spécule sur la psyché robotique. L’intelligence artificielle constitue encore le sujet de « L’Autre mort », agrégeant pour ce faire horreur et exploration spatiale. Et l’on pourrait encore ajouter à ces thématiques SF la génétique (« La Maison des ancêtres »), les multivers (« Procréation ») ou l’uchronie (« Les Fauteurs de paix »).

Diverses sont ainsi les contrées fictionnelles cartographiée par ces récits qui, au-delà de leur immédiate hétérogénéité, participent d’une même dynamique du voyage. Prenant pour les uns la forme d’un aventureux périple vers des lieux inconnus – terrestres (« Douce fille des forêts ») ou d’outre-espace (« Lukora ») –, ces voyages peuvent aussi être des déambulations bien plus modestes dans les étroits espaces du quotidien (« Guerre sous l’arbre »). Spatiales, ces explorations sont aussi parfois mentales, s’apparentant alors à de véritables trips (« Toutes les couleurs de l’enfer »). Allant au bout du monde ou d’eux-mêmes, les protagonistes de Silhouettes et de Toutes les couleurs de l’enfer y font une expérience d’autant plus troublante de l’altérité que celle-ci leur ressemble étrangement. Car c’est un Imaginaire à l’évidente connotation psychanalytique que pratique ici Gene Wolfe, prenant ainsi place dans la surréaliste galaxie de la weird fiction.

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