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Un rat dans le crâne

Sur cette rive de l’Atlantique, le nom de Rog Phillips ne parle guère qu’aux connaisseurs les plus exhaustifs de la SF : un roman et une douzaine de nouvelles en tout et pour tout. Piège dans le temps, publié en 1954 sous le n°30 de feue la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, et l’une des plus belles illustrations de Brantonne, était une bonne histoire d’inspiration vanvogtienne jamais rééditée depuis. Cinq nouvelles dans Fiction, quatre dans les revues policières A. Hitchcock et Mystère, deux dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures. Puis plus rien. La douzième ne paraissant que l’an passé dans le 4e opus du Wendigo, revue publiée par l’Œil du Sphinx, comme le recueil qui nous occupe ici.

La carrière de Rog Phillips débute en 1945 pour se terminer une vingtaine d’années plus tard, peu avant sa mort, après six romans et cent soixante nouvelles environ. Les quatre textes ici sélectionnés par Richard D. Nolane (excellent connaisseur de nos genres de prédilection – il faut l’être, pour exhumer un tel auteur – qui dirigea chez Garancière, l’une des première collections de fantasy à avoir vu le jour en France : des bouquins de qualité sous de hideuses couvertures jaunes.) pour ce mini recueil furent publiées dans les années 50 et sont représentatives de la SF de l’époque.

La nouvelle qui ouvre le volume, « Un rat dans le crâne », nominée au Hugo 1959, est celle qui, à mon avis, a le plus mal vieilli. Légère modernisation de l’histoire de « savant fou » où un chercheur voit son université se refuser à financer ses travaux et décide de les poursuivre à domicile… On n’est pas loin du laboratoire d’arrière-cour ! Par ailleurs, l’électronique et la robotique d’un côté, les sciences cognitives de l’autre, ont fait quelques progrès depuis les années 50. Pour apprécier ce récit à sa juste valeur, il faut se mettre en situation et savoir qu’on lit là un texte écrit avant notre naissance (pour la majorité d’entre nous, tout du moins) et s’imprégner de ce contexte. Notons encore avec plaisir que L’OdS a repris en guise de couverture l’illustration originale de Emsh du numéro de décembre 58 de la revue If, où cette nouvelle était parue à l’origine.

Le deuxième texte, « Les Anciens martiens », daté de 1952, a moins vieilli bien qu’il soit empreint des forts relents d’une Guerre Froide naissante. Si on n’est pas bien loin du Ray Bradbury des Chroniques Martiennes, le Martien est toutefois d’un type plus ancien, c’est à dire perçu comme une menace, et tout le texte est conçu comme un récit d’espionnage de la plus belle eau.

« La Galerie » est certainement le plus moderne des textes réunis ici bien que l’entame soit davantage encore marquée par l’esprit de la Guerre Froide que le précédent (Khrouchtchev jouera bientôt de la godasse à l’ONU). Mais Rog Phillips va finalement réorienter avec bonheur son texte vers davantage d’ouverture à l’autre, lui conférant ainsi un surcroît de modernité.

Enfin, « Les Parias » joue du thème de l’altérité sur fond de risque nucléaire. Sans en avoir l’incroyable force, ce texte évoque par maints aspects « Journal d’un monstre », qui révéla le talent de Richard Matheson quasiment à la même époque. Le monstre d’aujourd’hui, terrifiant, sera la norme de demain. La nouvelle peut se lire comme une parabole contre le racisme. Ce qui serait aujourd’hui de la banalité la plus totale était alors radicalement progressiste, voire avant-gardiste, alors que les chasses aux sorcières maccarthystes n’avaient pas encore commencé ni a fortiori le mouvement pour les droits civiques qui en constituerait la réplique. Hiroshima était encore tout chaud et la thématique des dangers de l’atome, tant civil que militaire, venait tout juste de poindre.

Nul ne s’attendait ici à jamais revoir le nom de Rog Phillips sur la couverture d’un livre, plus de soixante ans après sa précédente publication ! Ce petit recueil n’est nullement indispensable, mais ce serait bouder son plaisir que de faire l’impasse pour tous ceux qui apprécient la SF classique. Une occasion à ne pas manquer.

Pierre-Fendre

Un château absolument gigantesque. Grand comme un monde. On y naît, on y vit, on y meurt, mais on n’en sort pas ! Les salles y sont si vastes qu’elles abritent des pays entiers et autant de saisons. Viridis, le printemps ; Chaloir, l’été ; Feuilles-Sèches, l’automne, et Pierre-Fendre, l’hiver. L’hiver où dort la Sommeilleuse qui rêve ce château-monde, dit-on…

Tout pourrait être bien ainsi et continuer encore et encore… Mais voici qu’un couple gay, Dulvan et Garicorne, se met en tête de changer cela, d’abattre les remparts de ce château qu’ils vivent comme une prison, entendant pour ce faire éveiller la Sommeilleuse. Tout le monde ne goûte cependant pas à l’idée de liberté que pourrait offrir l’accès au Grand Dehors. Comme nul ne sait ce qu’il en est du Grand Dehors, certains craignent qu’une terrible catastrophe ne vienne s’abattre sur leur monde tandis que d’autres, plus simplement, redoutent que leur confortable situation ne se voie remise en question. Ainsi, la sœur de Dulvan, Aurjance, se lance, en compagnie de son amie Farille, aux trousses de son frère afin de lui faire entendre raison. La grosse sorcière Murdoche, accompagnée d’une gamine à tout faire plus ou moins débile nommée Clabousse, du Bandit Yuk Long Renard et de ses acolytes bientôt rejoints par le jeune forgeron Fauric, engage également la poursuite des deux damoiseaux… Et tout ce joli monde se poursuit à qui mieux mieux de rencontres en aventures.

À l’instar de nombre de ses confrères, Brice Tarvel recourt à une triple ligne narrative, histoire d’allonger la sauce. On suit tour à tour Dulvan, Aurjance et Murdoche, dont les divers accompagnateurs n’ont nulle autre justification de leur existence que de donner prétexte à des dialogues, pour délayer la sauce. Pour les uns comme pour les autres, les péripéties s’enfilent comme les perles d’un chapelet.

Selon une mode qui semble sévir depuis quelque temps déjà chez les Indés de l’Imaginaire, Brice Tarvel, comme Gregory Da Rosa (Sénéchal) et Olivier Bérenval (Nemrod), s’emploie à « torsionner » un vocabulaire qu’il eut pu se contenter de tordre dans le dessein de conférer au texte une impression d’ailleurs. C’est plus varié que Da Rosa, mieux inspiré que Bérenval, mais, si ça ne gêne guère, ça n’aboutit pas davantage.

Voici donc un livre d’aventures à lire à toute vitesse pour passer un moment avant de l’oublier, tant on est au niveau zéro de la problématique…

Station : la chute

Depuis qu’elle a été expulsée de la Terre par des IA militaires devenues incontrôlables, l’humanité s’est réfugiée dans l’espace. Entre les bases sur la Lune, Mars ou d’autres astres telluriques, et plusieurs habitats artificiels, les hommes ont confié leur destin aux dieux du Panthéon, autrement dit un conglomérat d’entités numériques collectives. Sur Station, la principale colonie humaine, le confort s’achète désormais à prix d’or. Des licences qui permettent d’enrichir la réalité augmentée de la Trame, un filtre bienvenu permettant de masquer la froideur et la décrépitude des lieux. Un bon moyen aussi d’oublier l’exil et le spectacle déprimant offert par le clair de Terre. Pour le commun des mortels, la Trame est devenue indispensable. Elle donne accès au réseau, revêt l’architecture de la station de textures riches et variées, s’ajustant aux préférences des habitants, et elle permet de communiquer avec les dieux. Elle socialise et exclut à la fois, proscrivant de l’environnement visuel des usagers les personnes indésirables. Elle héberge enfin dans ses serveurs la conscience téléchargée des défunts, procurant à leurs proches un peu de réconfort. Longtemps, la Guerre Logicielle contre la Totalité, des IA entrées en rébellion, a menacé cet équilibre. Une trêve fragile a fini par être signée, au prix de concessions difficilement acceptées par tous et du retour des prisonniers de guerre. Tout juste libéré, Jack Foster entend goûter à son amnistie pour se réconcilier avec ses parents et retrouver la femme qu’il a aimée jadis. Quatre mois d’existence avant d’être chassé de son corps par Hugo Fist, le logiciel de combat implanté dans sa chair. La licence d’utilisation arrivant bientôt à échéance, le contrat prévoit en effet l’effacement de sa psyché au profit du parasite numérique, dont le sale caractère et le peu d’empathie constituent un fardeau de plus en plus lourd à porter. Mais les événements le poussent à reprendre le fil d’une enquête que son engagement dans l’armée l’avait obligé à abandonner.

Crashing Heaven, reprenons le titre original, entretient une parenté très forte avec le roman noir. En d’autres temps, d’aucuns auraient invoqué le cyberpunk, courant initié et définit par Bruce Sterling et ses confrères neuromantiques. Mais les temps changent, et si l’univers d’Al Robertson se nourrit d’ultra-technologie, transhumanisme et vision post-singularité y compris, il n’en reste pas moins empreint d’un classicisme indéniable, jusque dans son intrigue lorgnant de manière évidente vers le roman noir. On y retrouve ainsi le sempiternel duo d’enquêteurs, bon flic/méchant flic, ici incarnés par Foster, un vétéran de la Guerre Logicielle, et Fist, l’IA bagarreuse. Blade runner n’est pas loin, mais aussi Dashiell Hammett, Foster reprenant l’archétype du dur-à-cuire, bien sûr désabusé, et pourtant prêt à rétablir un tort, même s’il sait que cela ne changera pas grand chose à la réalité sociale. Face aux puissances du Panthéon, ces entités logicielles tutélaires faisant la pluie et le beau temps sur Station, et face à la Totalité, le duo doit se garder des complots et manipulations sans oublier la pression hostile des anciens collègues de Foster, les flics de l’InSec. Al Robertson use et abuse des poncifs du roman noir, saupoudrant le tout d’un vernis mythologique, les manigances du Panthéon rappelant en effet beaucoup celles des dieux antiques. On pense toutefois aussi beaucoup à Destination ténèbres de Frank M. Robinson, où l’équipage de l’Astron use de falsifs, des environnements virtuels qui embellissent coursives et cabines du vaisseau-génération. Le traitement de la conscience des défunts et la marchandisation de l’existence évoquent Noir, le roman de K.W. Jeter, où le héros dispose d’ailleurs d’implants oculaires lui faisant appréhender la réalité à la manière d’un roman noir des années 1940-1950. Bref, s’il ne fait pas toujours montre d’une extrême originalité, Al Robertson n’en construit pas moins un monde cohérent, sous-tendu par une intrigue nerveuse. Et même si l’on peut regretter cent pages de trop, un déchaînement pyrotechnique et hyper-technologique interminable, Station : la chute n’en demeure pas moins un divertissement stimulant qui s’acquitte de son tribut à ses prédécesseurs avec efficacité. À suivre, peut-être, avec Waking Hell, second roman de l’auteur et nouvelle incursion dans l’univers mis en place avec Crashing Heaven.

The Only Ones

Pauvre fille à la trentaine bien sonnée, Moira a toujours vécu dans le quartier du Queens, subsistant d’expédients et de rapines. Une existence âpre dans un monde lui-même en proie aux maladies et à la paranoïa. Car depuis la Grande Vague, première des pandémies dévastatrices, l’humanité a appris à vivre avec la menace virale, s’accoutumant à la ségrégation sociale renforcée. Miséreuse, illettrée et orpheline, Moira se débrouille, vendant son corps contre des aliments, un toit et un peu de protection contre la précarité. Cette enveloppe corporelle constitue d’ailleurs sa seule richesse, recelant en son sein un trésor inestimable. Une immunité contre toutes les maladies. Moira est en effet une vivace doll, autrement dit un être unique dont les gènes font l’objet d’un trafic de la part des biohackers qui en prélèvent des échantillons pour cloner des bébés sains, résistants aux multiples virus. Jusqu’au jour où l’un des clients change d’avis. Moira se retrouve alors mère d’un nourrisson viable qu’elle doit désormais élever, toute seule.

Dystopie quand tu nous tiens… The Only Ones est le premier roman de Carola Dibbell, autrement plus connue dans le milieu du journalisme pour ses critiques rock et punk, mais aussi pour son activisme féministe. Avec ce livre, elle nous projette dans un futur pas si lointain qui ferait passer Les Fils de l’homme (le roman et le film) pour une aimable comptine. Sur une trame minimaliste, l’autrice nous livre un roman d’apprentissage, celui d’une femme qui n’imaginait pas un seul instant devoir élever un enfant, une petite fille de surcroît, dans un monde où un génome sain se monnaie très cher. Ne nous voilons pas la face, le principal attrait de The Only Ones réside dans le choix de ce narrateur particulier. Écrit dans un style oral, au registre langagier assez pauvre, un tantinet saoulant à la longue, le récit dévoile un futur chaotique où l’État et la protection qu’il accorde aux plus faibles se cantonnent au strict minimum. Parcouru par des milices surarmées – Pro-Vie, traditionalistes et autres –, ce monde n’est plus fait pour la jeunesse. Donner naissance à une progéniture qui survivra aux diverses mutations virales est devenu exceptionnel, du moins sans le recours aux biotechnologies. Dans une ville de New York fragmentée, exposée aux rafles arbitraires et aux quarantaines, le patrimoine génétique de l’humain est ainsi mis aux enchères, cultivé dans des fermes par des généticiens de fortune qui transposent leur art du clonage des animaux dans le domaine plus rémunérateur de l’humain. Une pratique hasardeuse dont le résultat n’est pas du tout garanti. Pourtant, pour Moira, porteuse saine d’une immunité universelle, ce commerce apporte assurément un peu de sécurité. Il contribue hélas également à faire de son corps une machine à enfanter, d’où on extrait les ovules à la chaîne pour les faire pousser in-vitro et hors de portée de son amour maternel.

Si The Only Ones marque par la noirceur de son propos, le roman de Carola Dibbell suscite aussi l’émotion. Le personnage de Moira exprime un désir sincère et naïf, celui d’éduquer sa petite fille afin de la préparer au mieux à sa vie d’adulte. Un souhait partagé par de nombreux parents, mais rendu ici plus incertain par la déliquescence du monde et par sa condition de sous-prolétaire.

Bref, The Only Ones se révèle effectivement un roman à remiser dans sa bibliothèque, non loin de La Servante écarlate de Margaret Atwood et d’autres classiques de la dystopie. Un sous-genre jamais à cours d’idées en matière de catastrophisme.

Issa Elohim

Pendant un reportage dans un camp Front ex, la journaliste suisse Valentine Ziegler découvre, parmi les migrants cherchant à franchir les frontières de l’Union européenne, un mystérieux réfugié prénommé Issa que tout le monde présente comme un Elohim, autrement dit un extraterrestre. Le fait n’est pas inédit. Il fait même l’objet d’un véritable culte depuis l’hypermédiatisation de Noïm, le plus célèbre d’entre eux. Entretenant le buzz autour de l’Elohim, les adeptes de la secte Aion ont essaimé partout dans le monde, en quête de ses semblables, afin de donner davantage de substance à leur discours prophétique. Ces êtres qui se prétendent venus d’ailleurs laissent toutefois Valentine sceptique. D’abord incrédule et méfiante, elle finit par succomber à l’aura surnaturelle émanant d’Issa, cette foi irrationnelle se trouvant confirmée par un swap, autrement dit la dématérialisation inexpliquée du garçon, puis sa réapparition quelques instants plus tard. Avec l’aide d’un politicien nationaliste issu de son pays natal, lui aussi fasciné par le jeune réfugié, elle tente d’obtenir un visa, précieux sésame pour entrer en Europe, puis cherche à obtenir le droit d’asile en Suisse pour le garçon et ses amis.

Bienvenue dans le futur de Laurent Kloetzer, celui que l’on a découvert et apprécié dans Anamnèse de Lady Star et Vostok. Issa Elohim s’inscrit dans cette anticipation, prenant place avant le Satori, l’attentat dont les conséquences cataclysmiques ont bouleversé la planète, provoquant la quasi extinction de l’humanité. Dans ce court roman, Laurent Kloetzer s’attache à la condition des migrants dans les camps Frontex où l’Union européenne sous-traite la misère, fermant les yeux sur les exactions de ses supplétifs au nom d’une maîtrise des flux migratoires très ambiguë. Mais si le traitement des migrants motive le séjour de Valentine dans un camp de rétention, son attention finit par se focaliser sur Issa, le fameux Elohim. Est-il vraiment un extraterrestre comme l’affirment ses amis ? Ou plus simplement un affabulateur épaulé par des complices, n’ayant trouvé que cette seule stratégie pour obtenir l’asile en Europe ? La question reste en suspens, Laurent Kloetzer se gardant bien de donner une réponse définitive. Il préfère tisser sa toile pour nous capturer, déroulant un questionnement stimulant autour de la foi. Il montre de quelle façon celle-ci cherche à conformer la réalité aux désirs des croyants, transformant leur vie et jusqu’à l’existence de leurs proches. Objet de tous les fantasmes et de toutes les peurs, Issa inspire aussi une fascination planétaire, une illusion collective, support d’un discours empreint de mysticisme. À moins qu’il ne soit un simple humain, ballotté sur les routes de l’exode.

Avec Issa Elohim, la collection « Une Heure-lumière » s’enorgueillit d’un second titre francophone dont l’atmosphère et le propos interpellent durablement notre conscience. Bref, voici de quoi commencer la troisième année d’existence de la collection de novellas inédites du Bélial’ dans une très bonne disposition d’esprit.

After Atlas

Quarante années après le départ de l’Atlas pour les étoiles, on s’apprête enfin à révéler le message laissé dans une capsule par Lee Suh-Mi et Cillian Mackenzie, l’Éclaireuse et le directeur marketing à l’origine du voyage sans retour vers la planète où résiderait Dieu. Quarante ans, c’est justement à peu près l’âge de Carlos Moreno, enquêteur efficace du ministère de la Justice de Norope, le gov-corps regroupant le Royaume-Uni et les pays scandinaves. Aussi connu parce qu’il a été abandonné par sa mère dans sa plus tendre enfance, il aimerait que l’événement ne ramène pas à la surface ce passé familial dramatique dont son père ne s’est jamais remis, optant pour la réclusion au sein du Cercle, la secte fondée par Alejandro Casales, dont les membres ont tous été recalés à la sélection de l’Atlas. Pourtant, ce passé se rappelle à son souvenir, non par l’entremise de l’hystérie médiatique autour de la capsule de l’Éclaireuse, mais parce que l’on retrouve le corps démembré du gourou du Cercle dans une chambre d’un hôtel low-tech anglais. À vrai dire, ses supérieurs ne lui laissent guère le choix : résoudre ce crime le plus rapidement possible, et ainsi dénouer la crise diplomatique qui s’amorce entre les trois principaux gov-corps, ou repartir pour dix ans supplémentaires d’esclavage. Dans tous les cas, rien que des mauvais choix.

Avec After Atlas, Emma Newman continue de nous dévoiler le futur esquissé par Planetfall. Cette fois-ci, nous restons sur Terre, découvrant un monde exsangue, en proie aux guerres endémiques, avec un écosystème en lambeaux et des ressources en voie d’épuisement. De puissantes entités supranationales issues du mariage incestueux entre le politique et les firmes transnationales, les gov-corps, se partagent la planète. Cette oligarchie hypocrite et prédatrice assure à la population un minimum vital, dispensé sous forme d’ersatz alimentaires générés par des imprimantes 3D, des jeux massivement immersifs et des informations formatées. Sans cesse dorloté par un Assistant Personnel Artificiel avec lequel il communique via la puce implantée dans son corps, le vulgum pecus semble avoir renoncé à toute velléité de lutte des classes. Quant aux déchus du système, victimes de trafiquants esclavagistes, ils sont ramenés au statut de non-personne, condamnés à une longue existence de servitude pour payer leur dette au propriétaire de leur contrat. De quoi faire passer leSoleil vert de Richard Fleischer pour une douce utopie. Avec After Atlas, Emma Newman malmène nos certitudes, sacrifiant l’humanisme sur l’autel de l’instinct de survie. La rareté et le capitalisme ont accouché d’un monde cauchemardesque où la liberté n’est qu’une illusion qui se monnaye au prix fort. L’autrice use des ressorts du whodunit pour en dresser un tableau sinistre. Une vision que l’on aimerait bien ne pas voir se réaliser et dont pourtant on perçoit les prémisses, tant ses spéculations brassent des thèmes sociétaux familiers. À l’instar de l’enquêteur désabusé du roman noir, mais agissant davantage ici en analyste de données, Carlos cherche à survivre dans un monde vendu à des puissances aveugles aux drames individuels, son personnage contribuant à porter de manière puissante le déroulé d’une intrigue oscillant entre roman noir et spéculations science-fictives.

Bref, dans un registre différent, Emma Newman confirme l’excellent ressenti à la lecture de Planetfall, démontrant par ailleurs la réussite de son passage de la fantasy urbaine à la science-fiction. After Atlas a le charme vénéneux de la dystopie, donnant à réfléchir sur les lendemains qui déchantent. L’autrice nous renvoie ainsi à nos choix présents, sans chercher à faire preuve d’angélisme ou à diaboliser outre mesure. Une qualité précieuse, magnifiée par un art du récit impeccable. On en redemande !

Tension extrême

Dernier thriller en date de Sylvain Forge, Tension extrême a obtenu le Prix du Quai des orfèvres 2018, prix décerné annuellement à un roman policier par un jury présidé par le Préfet de Police de Paris et composé d’un aréopage de professionnels du droit pénal et de la procédure éponyme. Ceci explique peut-être cela. Car Tension extrême n’est pas un bon roman, mais il est écrit pour eux.

Nantes, aujourd’hui. Deux hommes, jumeaux et porteurs du même modèle de pacemaker, succombent simultanément à une défaillance destructrice de leur implant cardiaque. Il est vite évident que les défaillances ont été provoquées de l’extérieur. On découvre bientôt que c’est le téléchargement d’un virus, lors d’une mise à jour sans fil de l’implant, qui a rendu le sabotage possible. Car le pacemaker était « connecté », comme le sont aujourd’hui nombre d’objets, du réfrigérateur à la montre en passant par les boxes, les téléphones ou les voitures. Un « internet des objets » dont les spécialistes savent qu’il est peu sécurisé et donc vulnérable à des attaques aux objectifs variés. Jusque là, ça va. Pourquoi ne pas aborder ce thème d’actualité dans un roman policier ? Et pourquoi ne pas en faire un thriller dans lequel un génie diabolique de l’informatique menacerait de répandre un virus très dangereux dans la nature à une date symbolique pour lui ?

Trois cent quatre-vingt-dix pages, soixante-quatorze chapitres, dans mon expérience, ce n’est jamais très bon signe. Ca se vérifie ici. Le rythme trépidant que trouve l’auteur l’est au détriment de toute écriture ou caractérisation. Le style est au mieux nonchalant. L’auteur abuse d’un argot censé « faire flic » mais qui fait juste vieux. Beaucoup d’idées ou de situations sont évacuées en quelques lignes, dans un saupoudrage qui donne parfois l’impression qu’on lit le plan détaillé d’un roman à écrire. Les personnages (le vieux flic qui en a vu ou la nouvelle surdiplômée ; sans oublier les toppings « qui font vrai et émouvant » comme le désir d’enfant, la mort de la mère, ou les secrets de famille, le tout totalement hors du sujet principal et vite expédié aussi) reprennent les clichés faciles des romans policiers. Les développements informatiques, pas toujours exempts d’erreurs techniques, sont souvent confus quand ils ne sont pas amusants de naïveté. En revanche, les noms complets des services policiers (jusqu’à leur localisation sur la carte de France) ou des procédures utilisées ont dû ravir le jury du Prix, même si l’auteur confond allègrement meurtre et assassinat par exemple.

Pour qui a été écrit ce roman ? Je vois deux publics cibles. D’abord, le jury du Prix du Quai des Orfèvres. Le passage en revue des services et des techniques de police (jusqu’aux fichiers spécialisés) a sûrement plu à un jury de professionnels qui a pu entrer dans ce roman comme dans ses pantoufles. Choix narratif gagnant pour l’auteur. D’autre part, des lecteurs très peu regardants sur l’écriture (ou même la construction interne de l’histoire) à la recherche d’un divertissement qui leur donnera le sentiment d’avoir découvert quelque chose sur une menace qui nous environnerait et sur laquelle nous saurions trop peu. Grâce au roman, ils pourront briller en informant leurs amis sur le dessous des cartes. Carton plein pour eux ! Rien en revanche pour les lecteurs de Bifrost.

Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell

Imaginez ! Sherlock Holmes et le Dr Watson ont vraiment existé, et tout le monde le sait. Cthulhu et les autres Grands Anciens existent vraiment, mais ça, personne ne le sait. Imaginez ! James Lovegrove, l’auteur britannique bien connu, reçoit, par un heureux hasard testamentaire, trois manuscrits inédits du Dr Watson. Après quelques vérifications quant à leur authenticité, Lovegrove les juge assez crédibles pour être offerts à la sagacité de lecteurs qui pourront ainsi se faire leur propre opinion. Ces trois manuscrits constitueront trois romans relatant des événements, jusqu’ici inconnus, survenus en 1880, 1895, et 1910.

Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell est le premier des trois. On y apprend la vérité longtemps dissimulée sur les aventures afghanes de Watson et la cause véritable de son rapatriement d’urgence en Angleterre. On y voit la première rencontre entre le jeune retraité et celui qui allait devenir son mentor et ami. On y apprend comment ce dernier, pas encore l’immense détective qu’il est supposé devenir, découvre une réalité incroyable et terrifiante que même son esprit rationaliste est obligé d’admettre. On y découvre un Moriarty bien plus néfaste que dans l’histoire officielle, en quête d’une domination sur le monde plutôt que sur le crime.

Lovegrove livre avec ce premier ouvrage un pastiche/mashup de plutôt bonne tenue. L’habitué des deux cycles y retrouvera ses petits. Holmes et Watson ressemblent à Holmes et Watson : arrogance intellectuelle, brillance, et manque de tact pour l’un, loyauté, courage et fortitude (y compris face à la brusquerie récurrente de Holmes) pour l’autre, sans oublier la certitude commune et presque naïve de la supériorité britannique. Racontée, comme de juste, par Watson, dans un anglais victorien tout à fait convaincant (5), l’histoire (puis la trilogie) est présentée comme l’histoire secrète de Sherlock Holmes. Se confiant au lecteur, Watson présente comme un écran de fumée les récits que nous tenions jusqu’ici pour vrais, et nous invite à découvrir enfin le vrai combat du duo, un combat de toute une vie non pour la justice et contre le crime mais pour la survie de l’espèce humaine face aux menées de cultistes dégénérés œuvrant à ramener à l’existence des entités aussi incroyables que mortelles.

Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell est un bon divertissement. Le style de Watson est présent (tout en retenue britannique même lorsqu’il décrit des horreurs, donc sans l’avalanche lovecraftienne d’adjectifs), les personnages collent à ce qu’on connaît d’eux. Il y a un plaisir certain à revisiter l’histoire des deux détectives, à corriger la chronologie, à imaginer qu’ils auraient pu mener un combat occulte durant toutes ces années sans que nous l’ayons jamais su. Lovegrove, tout à son plaisir d’écrivain, se permet même des références qui sont autant de clins d’œil aux lecteurs de Lovecraft ou de Doyle. Les pisse-vinaigres reprocheront peut-être un name-dropping lovecraftien un peu appuyé (qu’on mettra sur le compte de la volonté holmesienne de TOUT savoir sur ces entités qu’il découvre, comme il essaie toujours de tout savoir sur tout), ou la construction en deux parties assez distinctes : l’enquête holmesienne puis la partie pulp quand, faits rassemblés, il faut se dresser face à l’inconnu au péril de sa vie (les rôlistes adoreront).

Le Cinquième Principe

Le Cinquième principe, le maître ouvrage de Vittorio Catani, conduit son lecteur, en 565 pages et à travers les yeux d’une dizaine de personnages principaux, au cœur des bouleversements d’un monde depuis trop longtemps au bord du désastre.

D’abord, le monde. Milieu du XXIe siècle, le stade ultime du capitalisme (ajoutons-y globalisé). Le climat ne va pas fort ; les pôles fondent, y déambulent des animaux holographiques pour les yeux de touristes inconscients. Les inégalités sont abyssales. L’esclavage est redevenu légal dans certains pays. Recherche publique et éducation connaissent un crépuscule planifié. Les États – fragmentés – ne sont plus que de vagues syndics de faillite alors que des entités capitalistiques globales mettent, à leur profit, le monde et sa production en coupe réglée. Parce qu’il faut bien vendre, le consumérisme – financé par l’émission d’obligations personnelles – atteint des sommets aujourd’hui inimaginables. Les onze milliards d’humains qui peuplent la planète sont largement équipés de PEM (prothèses électroniques mentales), les équivalents futurs des actuels smartphones, qui accèdent directement au cerveau. Elles leur offrent le meilleur : communication instantanée, traduction, accès à l’information, et, surtout, le pire : publicité ciblée, manipulation douce, surveillance constante, virus en tous genres ; servitude volontaire offerte à un maître sans visage et sans nom. Loin des regards et de la connaissance de cette classe moyenne mondiale, déjà paupérisée ou en voie de l’être, vivent 90 millions de super-riches qui exploitent une plus-value de moins en moins produite par le travail humain. De fait, le gros des humains – qualifiés par l’überclasse de Bhumans (humains de série B) – est devenu superflu, à l’exception du nombre minimal indispensable à la production des biens matériels qu’il faudra regrouper et réduire en servitude ; le projet est en cours. L’überclasse a déjà fait physiquement et mentalement sécession (cf. Bruno Latour), elle n’a plus qu’à se débarrasser des « surnuméraires ».

Ça pourrait être désespérément gris. Ça l’est sur le fond, pas sur la forme. S’inspirant explicitement du Meilleur des mondes, Catani crée un monde atroce mais chatoyant, comme une plante carnivore. Comment mieux contrôler la masse que par la consommation et le divertissement ? Entre Galbraith et Marcuse, l’auteur crée un monde de consommateurs béats, s’endettant jusqu’à la moelle pour s’offrir les derniers produits inutiles vantés par la publicité intrusive et rendus indispensables par des virus comportementaux. Un monde tout entier accessible par PEM et voiture volante sans qu’aucun sentiment de communauté n’émerge jamais. Un monde où le sexe est l’opium du peuple quand il est gratuit et le privilège sans limite des dominants quand il est payant. Un monde dont les malheurs n’inspirent à ceux qui ne les subissent pas que l’attrait de la distraction.

Mais ce monde est au bout. Lois de l’Histoire (de Marx à Tilly) ou Cinquième Principe de la thermodynamique pointent dans le même sens. Le monde est au bord de bouleversements, de révolutions, de changements drastiques jamais vus auparavant. Une théorie mathématique l’affirme, des Événements Exceptionnels, incompréhensibles et de plus en plus nombreux, semblent l’indiquer. De ces changements, qui mettraient fin à ses privilèges, l’überclasse ne veut à aucun prix.

C’est de cette contradiction, de cette tension entre ceux qui veulent faire accoucher les changements inévitables et ceux qui veulent les empêcher, que naît la jonction entre sens de l’Histoire et personnages du roman. Catani engage le lecteur sur les traces d’Auro, qui cherche la vérité sur un Événement Exceptionnel et la dissimulation qui l’entoure, d’Alex/Ehrlic, physicien entré en clandestinité qui a découvert le Cinquième Principe et sera un moteur des changements à venir, de Waldemar, physicien ploutocrate qui ouvre pourtant aux hommes les portes d’un autre monde bien plus satisfaisant que celui d’Amatka, de Manu et Lauri, en quête d’explications satisfaisantes sur un Événement Exceptionnel et qui découvriront qu’un autre monde est vraiment possible à la condition que l’Humain change et se reconnecte à son être, de Janko, fêtard un peu vain confronté aux réalités du monde et transformé par elles, de Mait, activiste révolutionnaire qui découvre le pouvoir et la violence potentielle du collectif dans la Gestalt réalisée et les canalise pour le changement. Sans oublier Yarin, un des maîtres du monde, aussi rationnel qu’inhumain.

Leurs interactions, leurs luttes, leurs épreuves, dynamiques, flamboyantes, virevoltantes, du New York souterrain à la Chine en passant par l’Afrique ou l’Antarctique, entraînent le lecteur dans un tourbillon aussi exaltant que révoltant, aussi prenant qu’enrichissant. Catani rend explicite, allégorise, explore des alternatives. Quand tout aura été dit et accompli, quand le changement sera advenu, il sera devenu clair qu’on ne peut changer la société sans changer l’Homme.

Nombre de romans d’anticipation politique sont chiants, quelques-uns sont pétillants. Le Cinquième principe appartient sans conteste à la seconde catégorie.

Au-delà de Sherlock Holmes

Les quatre textes qui composent Au-delà de Sherlock Holmes sont extraits du Big Book of Sherlock Holmes Stories d’Otto Penzler. Tous ont en commun de placer le plus grand détective du monde face à l’Imaginaire au sens large. Chaque texte est précédé d’une courte notice bio présentant son auteur.

L’ouvrage s’ouvre, hélas, sur la plus faible des quatre nouvelles. « L’Aventure du loup fantôme », d’Anthony Boucher, ne présente guère d’intérêt. On voit Holmes y trouver par inadvertance le sens caché derrière le conte du Petit Chaperon Rouge et en tirer une vérité première sur la préférence humaine pour les croyances admises contre les vérités nouvelles. Même le ton n’est pas vraiment le bon. « L’Affaire des patriarches disparus », de Logan Clendening, est très courte (2 pages). Amusant exercice de style, elle donne l’occasion à Holmes d’éprouver ses talents hors pair d’observation déductive pour retrouver au Paradis les parents disparus de l’humanité en mobilisant le paradoxe de l’omnipotence. Vient ensuite « Les Joyaux de la couronne martienne » de Poul Anderson. L’auteur SF s’y amuse à faire d’Holmes un martien, aussi aviaire qu’étonnamment proche de l’original. Il joue aussi à réutiliser le nom de John Carter, à transcrire Baker Street à la mode martienne, ou à mettre en scène un probable descendant de l’Inspecteur Gregson ; mais il oublie d’inclure un Watson martien. Mystère en chambre close dans l’espace interplanétaire, la nouvelle, fort sympathique par l’Holmes qu’elle donne à voir, lorgne du côté du « Diadème de Béryls » de Doyle. L’anthologie se clôt sur « Le Diable et Sherlock Holmes », de Loren D. Estleman. Texte plutôt fin et parfaitement dans le ton des nouvelles originales, la nouvelle confronte Holmes et Watson à un aliéné qui dit être le diable. L’assurance et la patience de Holmes sont bien présentes, sa faiblesse face à l’ennui aussi, ainsi que quelques références. Mais ce qui brille ici c’est l’amitié indéfectible que Holmes éprouve pour son partenaire, au point que sa légendaire rationalité est ébranlée quand s’y soumettre risque de placer Watson en danger. Un texte riche de compréhension de l’œuvre originale.

Inégal mais rapide à lire, le recueil vaut un coup d’œil, au moins pour les deux derniers textes. Et si on apprécie la confrontation de Holmes au surnaturel, on lira avec grand profit Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell, chroniqué aussi dans ce numéro.

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