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Les critiques de Bifrost

Un rat dans le crâne

Rog PHILLIPS
L'OEIL DU SPHINX (ODS)
10,00 €

Bifrost n° 90

Critique parue en avril 2018 dans Bifrost n° 90

Sur cette rive de l’Atlantique, le nom de Rog Phillips ne parle guère qu’aux connaisseurs les plus exhaustifs de la SF : un roman et une douzaine de nouvelles en tout et pour tout. Piège dans le temps, publié en 1954 sous le n°30 de feue la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, et l’une des plus belles illustrations de Brantonne, était une bonne histoire d’inspiration vanvogtienne jamais rééditée depuis. Cinq nouvelles dans Fiction, quatre dans les revues policières A. Hitchcock et Mystère, deux dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs récits de Fantastic Adventures. Puis plus rien. La douzième ne paraissant que l’an passé dans le 4e opus du Wendigo, revue publiée par l’Œil du Sphinx, comme le recueil qui nous occupe ici.

La carrière de Rog Phillips débute en 1945 pour se terminer une vingtaine d’années plus tard, peu avant sa mort, après six romans et cent soixante nouvelles environ. Les quatre textes ici sélectionnés par Richard D. Nolane (excellent connaisseur de nos genres de prédilection – il faut l’être, pour exhumer un tel auteur – qui dirigea chez Garancière, l’une des première collections de fantasy à avoir vu le jour en France : des bouquins de qualité sous de hideuses couvertures jaunes.) pour ce mini recueil furent publiées dans les années 50 et sont représentatives de la SF de l’époque.

La nouvelle qui ouvre le volume, « Un rat dans le crâne », nominée au Hugo 1959, est celle qui, à mon avis, a le plus mal vieilli. Légère modernisation de l’histoire de « savant fou » où un chercheur voit son université se refuser à financer ses travaux et décide de les poursuivre à domicile… On n’est pas loin du laboratoire d’arrière-cour ! Par ailleurs, l’électronique et la robotique d’un côté, les sciences cognitives de l’autre, ont fait quelques progrès depuis les années 50. Pour apprécier ce récit à sa juste valeur, il faut se mettre en situation et savoir qu’on lit là un texte écrit avant notre naissance (pour la majorité d’entre nous, tout du moins) et s’imprégner de ce contexte. Notons encore avec plaisir que L’OdS a repris en guise de couverture l’illustration originale de Emsh du numéro de décembre 58 de la revue If, où cette nouvelle était parue à l’origine.

Le deuxième texte, « Les Anciens martiens », daté de 1952, a moins vieilli bien qu’il soit empreint des forts relents d’une Guerre Froide naissante. Si on n’est pas bien loin du Ray Bradbury des Chroniques Martiennes, le Martien est toutefois d’un type plus ancien, c’est à dire perçu comme une menace, et tout le texte est conçu comme un récit d’espionnage de la plus belle eau.

« La Galerie » est certainement le plus moderne des textes réunis ici bien que l’entame soit davantage encore marquée par l’esprit de la Guerre Froide que le précédent (Khrouchtchev jouera bientôt de la godasse à l’ONU). Mais Rog Phillips va finalement réorienter avec bonheur son texte vers davantage d’ouverture à l’autre, lui conférant ainsi un surcroît de modernité.

Enfin, « Les Parias » joue du thème de l’altérité sur fond de risque nucléaire. Sans en avoir l’incroyable force, ce texte évoque par maints aspects « Journal d’un monstre », qui révéla le talent de Richard Matheson quasiment à la même époque. Le monstre d’aujourd’hui, terrifiant, sera la norme de demain. La nouvelle peut se lire comme une parabole contre le racisme. Ce qui serait aujourd’hui de la banalité la plus totale était alors radicalement progressiste, voire avant-gardiste, alors que les chasses aux sorcières maccarthystes n’avaient pas encore commencé ni a fortiori le mouvement pour les droits civiques qui en constituerait la réplique. Hiroshima était encore tout chaud et la thématique des dangers de l’atome, tant civil que militaire, venait tout juste de poindre.

Nul ne s’attendait ici à jamais revoir le nom de Rog Phillips sur la couverture d’un livre, plus de soixante ans après sa précédente publication ! Ce petit recueil n’est nullement indispensable, mais ce serait bouder son plaisir que de faire l’impasse pour tous ceux qui apprécient la SF classique. Une occasion à ne pas manquer.

Jean-Pierre LION

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