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Anamnèse de Lady Star

La quatrième de couverture de l’édition originelle d’Anamnèse de Lady Star, second ouvrage de l’entité L.L. Kloetzer, affirme d’emblée que ce roman « fera date dans l’histoire de la science-fiction française ». Et sans doute cette prophétie mérite-t-elle de se réaliser… Car il s’agit d’un livre foisonnant, et ce sur tous les plans – mais peut-être brille-t-il avant tout du fait d’une remarquable adéquation du fond et de la forme, témoignant d’un effort rare, conjoint et fructueux sur les deux plans, indissociables ?

Car cette enquête historique (et judiciaire ?) menée par la chercheuse Magda Makropoulos, se livrant à une complexe archéologie des sources numériques – cette « anamnèse », donc, ce travail sur la mémoire susceptible de tant de connotations, peu ou prou toutes appropriées –, s’inscrit notamment dans le cadre d’une sorte de roman choral, où chaque témoin offre un nouveau point de ressouvenir, mais s’inscrivant dans un rapport personnel aux faits, nécessitant des approches formelles différentes. Ce qui, à vrai dire, confine parfois à l’exercice de style – mais cette qualification, souvent péjorative, s’avère pourtant inappropriée, car c’est ici la justesse de ton qui domine.

Une belle manière de subvertir un thème apocalyptique ou post-apocalyptique relativement classique, en somme, tant au sens de destruction globale que d’épiphanie d’ordre religieux ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que le drame incommensurable fondant le roman, cette annihilation soudaine de plus des trois quarts de l’humanité (qui survit, pourtant, dans les îles et les étoiles – et sans vraie régression) via l’usage d’une terrifiante « bombe iconique », soit qualifié d’un terme autrement connoté, celui de « Satori » – renvoyant à l’illumination du moine bouddhiste en prise avec l’illusion du monde, et percevant, derrière la futilité apparente d’un kôan par essence illogique, la réalité sous-jacente, affranchie des distorsions humaines.

Une autre conséquence, cependant, est que le roman, hermétique, ne tend guère la main au lecteur – parfois au point de le perdre un peu… Mais l’appréciation globale demeure, ô combien positive, ce sentiment d’un à-propos permanent, d’un livre exigeant mais à bon escient.

Par ailleurs débordant d’idées – d’autant mieux servies qu’elles sous-tendent une intrigue ambitieuse autant que palpitante, ne s’arrêtant certes pas aux seuls faits à redécouvrir, mais visant plutôt, au-delà de la seule compréhension de ce qui s’est produit, à en déterminer une sorte de signification, ce qui n’est pas tout à fait la même chose…

D’où la quête de cette « femme » étrange et dotée de mille visages et de mille noms, cette Élohim – non-humaine, mais encore ? – qui semble, de par sa seule présence diffuse, donner un sens à l’histoire ; or la tentation est grande d’user de ce liant improbable pour expliquer l’inexplicable – au-delà du questionnement éthique, le cas échéant. Quoi qu’il en soit, cette « Hypasie », ou quel que soit le nom (chargé de sens) qu’on lui donne, semble toujours se trouver là – mais quel est son rôle ? Muse, femme fatale, complice, témoin, amante, égérie ? Peut-être tout cela à la fois… ou rien de la sorte – tant elle est rétive à la compréhension, car issue d’un niveau de sens foncièrement différent. Mais sa traque a ceci de déconcertant qu’elle semble d’une certaine manière forcer son apparition à tous les degrés de l’enquête – comme si Magda, en cherchant à l’identifier, la suscitait elle-même… au point de parasiter ses recherches par une vertigineuse et inaccessible boucle de rétroaction.

Le résultat final est remarquable, et bien au-dessus du lot. Anamnèse de Lady Star est un superbe roman, à n’en pas douter une des œuvres les plus enthousiasmantes et fascinantes de la SF française de ces dernières années – et peut-être plus encore.

CLEER

CLEER est le premier roman signé L.L. Kloetzer (pour Laure et Laurent), et il affiche une singularité d’une étonnante ambition – au-delà de son seul sous-titre ô combien intriguant, parlant de « fantaisie corporate ».

Il s’agit en effet de nous plonger dans un avatar ultime d’entreprise multinationale, lumineuse et froide, blanche et aseptisée, Le Groupe, ou bien CLEER – suit toujours cette devise creuse en apparence, potentiellement chargée pourtant de menace : « Be yourself. » Les Kloetzer décortiquent ce cadre précis – et sans doute guère utilisé dans les genres de l’Imaginaire – en en faisant ressortir les points saillants, mais sans céder aux facilités de la caricature ou du pamphlet.

Sauf sur un point, mais à dessein, et il concerne ses deux personnages principaux, deux cadres jeunes et prometteurs, parfaitement stéréotypés. Vinh Tran est une froide machine à tuer, dont l’efficacité n’a d’égale que l’ambition – violent, machiste, narcissique, autoritaire, il ne fait preuve d’aucune empathie (et n’en suscite pas davantage ?) : c’est un robot au service d’une cause et cette cause est Le Groupe (ou la sienne…). Charlotte Audiberti, par contre, si elle se montre extrêmement efficace, est une personnalité autrement fragile, avec quelque chose de visionnaire qui fait toute son utilité – cela tient, au départ, d’un cliché façon « intuition féminine » (un cliché bienvenu dans le cadre de sa relation à Vinh), mais cela s’avère bien plus que cela, au fur et à mesure que sa perception du monde et son empathie exacerbée se muent et se transcendent pour faire de la jeune femme un oracle.

Vinh et Charlotte intègrent un service baptisé « Cohésion Interne », et leur rôle se partagera entre la communication, l’enquête et peu ou prou l’espionnage : il y a des problèmes hors-normes au sein du Groupe, et c’est à eux de les résoudre.

Dès lors, chaque chapitre porte sur un dossier particulier, et on peut voir dans l’ensemble une sorte de fix-up. Ces enquêtes – assez ludiques, dans un premier temps – les amènent régulièrement aux confins de l’insolite et de l’étrange, sinon du fantastique ou de la science-fiction. Au-delà de ces cas concrets, cependant, se dessine une ascension dans l’entreprise ; mais si Vinh grimpe les échelons à la manière d’un cadre ambitieux lambda (quoique paranoïaque), Charlotte, en définitive, et sans doute du fait de son intérêt pour une méthode de management aux prétentions psychologiques, touchera, devant cette Échelle de Jacob, à quelque chose de plus essentiel, confinant, au-delà d’un inquiétant conditionnement, à la transcendance, voire à la post-humanité.

L’absurde est de la partie, encore que d’une manière subtile. En fait, il y a peut-être quelque chose d’un « Kafka 2.0 » là-dedans ; car si l’absurde est bien là, et forcément pesant, la possibilité qu’il y ait un sens à tout ça n’est jamais totalement exclue… ce qui ne la rend au fond que plus terrifiante.

CLEER bénéficie d’une superbe ambiance, travaillée avec finesse et ô combien évocatrice ; il profite d’un style tantôt chirurgical, tantôt déroutant, usant au mieux du vocabulaire corporate ; il intrigue autant qu’il secoue, enfin, mais sans jamais forcer les réactions du lecteur – lequel peut s’y perdre, mais avec un plaisir certain. Belle réussite, donc, que cette première collaboration : un objet à part, aussi convaincant qu’inattendu.

La Voie du Cygne

Le prince Nerio de Lethys vient d’être découvert, le cœur transpercé, dans les jardins du palais de la Petite Dvern. Ancien quartier pénitentiaire, la Petite Dvern est désormais le royaume du Prince Jaran, que son frère jumeau Danil Daï Nelles lui a cédé contre la promesse de ne jamais convoiter le trône. Danil règne donc sur Dvern, principal port de la côte est de l’Empire Atlan, pendant que son cadet fait de la Petite Dvern un lieu de perversité, de débauche et de jeux. D’autres règles y ont cours. Des règles que ne maîtrise pas Carline, fille adoptive de l’excentrique mais respectable professeur d’université Jeophras Denio. Au terme d’une partie de jeu de l’oie, revisité et baptisé ici jeu du Cygne en référence aux armes de la maison de Nerio de Lethys, Carline se retrouve accusée du meurtre princier. Denio, devenu limier pour Jaran, doit mener l’enquête afin de l’innocenter.

Trois arcs narratifs s’entrecroisent, pour trois époques différentes : la jeunesse des princes, éduqués ensemble par un monarque sadique ; la tragique partie du jeu du Cygne, à l’issue de laquelle Nério a trouvé la mort ; l’enquête menée par Denio pour disculper sa fille. Laurent Kloetzer réinterprète et transpose dans une Renaissance italienne fantasmée des mythes et personnages grecs connus : Icare, le labyrinthe du Minotaure construit par Dédale, père d’Icare, le disque de Phaïstos… à cette richesse sur le fond, l’auteur ajoute une contrainte de forme puisqu’il impose à son récit les règles du jeu du Cygne qui régissent le destin de ses personnages. Cette construction à tiroirs ne perd jamais en cohérence, ni en clarté.

Quelques facilités narratives (Alexis, Gavroche amoureux de Carline qui tombe souvent à point nommé pour tirer Denio d’affaire ; ce même Denio que ses ennemis laissent pour mort dans un couloir du palais se réveillant en sécurité dans la chambre douillette d’une auberge…) et des dialogues dont la modernité contraste trop avec l’ambiance Renaissance peuvent parfois dérouter (à l’exception des lecteurs de Petites morts, fix-up qui justifie cet écart de langage – Laurent Kloetzer ne laisse rien au hasard). Quelques bémols qui ne freinent en rien la lecture de ce roman baroque et plaisant.

Mémoires vagabondes

Petit retour au siècle dernier : en 1997, Laurent Kloetzer faisait son entrée en littérature avec Mémoire vagabonde, roman de fantasy devant davantage aux mémoires de Casanova et à l’œuvre de Choderlos de Laclos qu’aux traditionnelles références du genre. Un récit où, par le biais des aventures libertines et picaresques de son héros, Jaël de Kherdan, l’auteur s’interrogeait sur les rapports entre réalité et fiction, souvenirs et mensonges, et développait un univers bien plus complexe que ce qu’il semblait être de prime abord.

Une Mémoire vagabonde, d’abord publiée en format poche, lauréate du prix Julia Verlanger en 1998, que Laurent Kloetzer revisitera grandement pour sa réédition en grand format : « En 2001, j’ai repris la version publiée en 97, enlevé quinze pour cent du texte et corrigé beaucoup de choses dans le style, suite aux trucs que m’avait appris Sébastien Guillot pour la réédition de La Voie du cygne », nous confie l’auteur interrogé à ce sujet pour ce dossier.

Quinze ans plus tard, Laurent Kloetzer renoue avec le personnage de ses débuts – personnage qu’il n’avait d’ailleurs jamais tout à fait abandonné, puisque deux des cinq nouvelles qui composent Petites morts, davantage roman que recueil, d’ailleurs, ont déjà été publiées précédemment.

Premier constat : Laurent Kloetzer écrit mieux que jamais. Il n’est qu’à lire les quelques scènes du premier roman qu’il revisite ici pour juger du parcours accompli. C’est également cette écriture ciselée qui donne tout leur charme aux deux nouvelles initiales au sommaire de Petites morts : « Éva » et « Mademoiselle Belle ». La première, une fois n’est pas coutume, apporte un regard extérieur sur le personnage de Jaël, héros romantique tel que le rêvent Éva, jeune valétudinaire de douze ans, et sa grande sœur Léora. Un triangle amoureux qui ne peut bien entendu que très mal finir. La seconde est une merveille d’érotisme pas toujours feutré, où l’on batifole au cœur d’un jardin luxuriant et où l’on s’émeut d’une gorge à peine découverte ou de la courbe d’une nuque, avant de s’abandonner à des jeux d’une rare perversité. L’une comme l’autre de ces nouvelles constitue une fête des sens permanente comme peu d’écrivains sont capables d’en mettre en scène. Malheureusement, la seconde moitié de Petites morts abandonne en grande partie ces célébrations charnelles pour renouer avec les principaux thèmes qui animaient Mémoire vagabonde. À la recherche de sa propre identité, Jaël y est balloté en permanence entre rêve et réalité, manipulé par des forces qui le dépassent et des individus dont il ignore tout. Dans le dernier texte au sommaire, « Immacolata », le récit bascule d’ailleurs dans la pure science-fiction, remettant en cause tout ce qu’on pensait avoir compris de cet univers. Mais à force d’empiler ainsi les strates de réalité et de remettre sans arrêt en question leur existence véritable, Laurent Kloetzer finit par perdre son lecteur. Et il est d’autant plus difficile de suivre ses développements que les textes n’offrent pas grand-chose à quoi s’accrocher. Pas les univers, qui se succèdent sans révéler leur vraie nature, ni les protagonistes, qui dissimulent leurs motivations – quand ce n’est pas leur identité – sous plusieurs épaisseurs de faux-semblants. Certes, « Immacolata » parvient in fine à renouer certains fils, en même temps qu’il offre à Jaël l’une de ses incarnations les plus intéressantes et qu’il prolonge dans une nouvelle direction la plupart des thèmes précédemment abordés. Néanmoins, à trop souvent se montrer cryptique dans sa narration, Laurent Kloetzer finit par perdre de vue l’essentiel, et les bonheurs de lecture qu’il a si bien su susciter dans la première moitié de Petites morts ne se retrouvent que trop rarement dans la seconde.

Réminiscences 2012

À vue de nez, Réminiscences 2012 contient les plus anciens textes publiés de Laurent Kloetzer. Même si le recueil a paru en 2001, plusieurs de ses nouvelles sont datées de 95-96, et la toile de fond porte nettement les stigmates d’un imaginaire fin-de-siècle pré-apocalyptique déjà un peu daté (ambiance Strange Days, Millennium de Chris Carter et bug de l’an 2000).

Monsieur K., le narrateur principal des douze aventures de ce livre (une par mois de l’an 2012, à l’époque encore dans l’indéfini du futur), est flic privé pour une mégacorpo de la Ville. Mensuellement confronté à des énigmes, crapuleries, tas de cadavres et imbroglios cyniques, il élucide ces mystères un peu au hasard, sans grand enthousiasme et parce que c’est son job. Monsieur K. est autant une sorte de Nestor Burma nonchalant qu’un double de l’auteur, velléitaire et rêveur, partageant avec ce dernier un cadre de vie (la Ville de Paris sommairement cyberpunk), des goûts musicaux (le rock des années 60-70) et une mélancolie douce de jeune adulte.

En relisant Réminiscences vingt ans après sa rédaction, après avoir suivi Kloetzer dans ses livres brillants que sont La Voie du cygne ou Anamnèse de Lady Star, je me suis demandé si, pour un écrivain, grandir en maturité ne revenait pas simplement à mieux dissimuler ses défauts. Mieux tenir le lecteur à distance, par une forme d’achèvement de ses textes.

Réminiscences 2012 est un épatant premier livre, en cela qu’il est très souvent raté (intrigues peu passionnantes, écriture floue, personnages parfois sommaires) mais que ses défauts ne pèsent pas lourd tant l’honnêteté et l’énergie de l’auteur transparaissent à chaque page. Du fait de la liberté qu’il s’octroie dans l’écriture, son livre est un petit laboratoire des littératures de l’Imaginaire, dans ses thèmes (mélange de polar, SF, fantasy, récit de guerre, parodie, autobiographie, j’en passe) comme dans ses formes. On notera, parmi d’autres expériences narratives, une nouvelle labyrinthique bourrée de liens hypertextes, conçue pour une lecture en ligne mais qui fonctionne tout à fait de façon linéaire, entre Cortázar, livre dont vous êtes le héros et littérature numérique.

Les deux grandes inventions du livre, cependant, restent le personnage d’Alex, compagnon du héros en charge des punchlines, et sa forme même. Alex est à la fois un sidekick à la Robin, un assistant à la Watson, un ressort comique à la âne de Shrek, un narrateur de récits sordides, une source de deus ex machina et l’incarnation d’une pure fonction narrative. Bien plus dense que le falot Monsieur K., Alex est la vraie création en termes de personnage, et le doute qui demeure sur sa nature constitue le fil rouge le plus passionnant du livre.

Quant à la structure (douze nouvelles indépendantes qui, combinées, forment un roman), elle est celle du fix-up, déjà employée par Ballard ou par Priest (Vermillion Sands, L’Archipel du rêve) et qui connaît toujours un succès non-démenti dans nos littératures (Complications de Nina Allan, Cartographie des nuages de David Mitchell). C’est aussi, bien sûr, celle d’une grande partie des livres suivants de Kloetzer, depuis Le Royaume blessé jusqu’à Petites morts, proposition hybride qui impose un travail de reconstruction de la part du lecteur et qui permet, par la multiplication des ellipses structurelles, nombre d’ouvertures et de questionnements sur la nature des récits.

L’œuvre de Laurent Kloetzer est un ensemble homogène et organique, riche en passerelles de livre à livre. Pour qui voudrait voir se dessiner le tableau entier, Réminiscences 2012 est une porte et une clé du labyrinthe. C’est également une lecture délassante, un pulp doux-amer et déjà vaguement nostalgique.

Un étranger en Olondre

Fraîchement arrivées dans le milieu (oui, encore une nouvelle structure !), les éditions de l’Instant ont jeté leur dévolu sur un premier roman atypique écrit par l’Américaine Sofia Samatar, un récit couronné par le World Fantasy Award 2014 – tout de même…

À la mort de son père, riche cultivateur de poivriers dans une contrée reculée, Jevick prend en charge les affaires familiales. Des responsabilités nouvelles qui vont le conduire à Olondre, dans la cité de Bain, où il ne tarde pas à se retrouver impliqué dans une guerre de religions après avoir été visité par un Ange, sorte de fantôme vénéré par les adorateurs de la déesse Avalei…

On pourrait, à lire ces quelques lignes introductives, reléguer Un étranger en Olondre au rand d’ersatz du « Prince du néant » de R. Scott Bakker. On aurait tort.

Porté par la plume de Sofia Samatar, le récit se pare d’une poésie remarquable, et ce dès les phrases initiales – force est d’ailleurs de saluer le travail de traduction de Patrick Dechesne, à la hauteur d’un style qui superpose les adjectifs et les métaphores avec une habileté proprement épatante au fil des pages. Une sensibilité stylistique qui infuse jusqu’au cœur même du texte ; il est ici question d’émerveiller, certes, mais en douceur, en toute subtilité. On visite à demi-mots des contrées insolites aux noms improbables que l’auteure effleure le plus souvent, avant de plonger dans des descriptions sidérantes de minutie au cœur même de certaines villes et contrées. Olondre ne se dévoile pas si facilement, elle conserve jusqu’au bout son mystère.

Cette façon si particulière de concevoir l’exploration d’un monde en rebutera plus d’un, sans doute, de même que la lenteur évidente de l’histoire… Mais ce serait nier l’effet recherché par l’auteure, à savoir imprégner lentement le lecteur d’une ambiance feutrée, magique et, en définitive, infiniment romantique. Pas tant intéressée par l’aspect politique de la chose que par le pur point de vue personnel et intimiste, Sofia Samatar fait le choix radical de tout asseoir sur l’insignifiance du quotidien, l’émerveillement constant du banal. Un résultat qui s’avère tout à fait étonnant, pour ne pas dire magistral.

D’un roman de fantasy seulement peuplé de quelques figures archétypes et d’un Ange, Sofia Samatar tire un flamboyant récit d’amour aux multiples facettes. L’amour de son pays, de ses origines, parfois difficilement conciliable avec les aléas de la vie. L’amour d’un homme et d’une femme traité avec une pudeur infinie dans une langue qui trouve alors tout son intérêt, déposant sur ce couple impossible un parfum de divin, de mythologique. Sans oublier l’amour des livres…

C’est là que réside le véritable cœur d’Un étranger en Olondre, dans cette déclaration d’amour encore plus malicieuse que le Morwenna de Jo Walton. Le livre devient un objet magique, un vallon, qui permet au récit de prendre des envolées lyriques insoupçonnées. Sofia Samatar pousse la démonstration jusqu’à construire de véritables poupées russes narratives en enchâssant des récits de légendes dans une histoire narrée par un personnage lui-même inclus dans le récit central – jusqu’à donner vie à un livre au sein même de son propre livre. L’intelligence de l’ensemble, sa manière et ses répercussions forcent le respect.

Un étranger en Olondre se révèle un trésor d’intelligence, de beauté, de subtilité et, oui, osons le mot une fois encore, de romantisme. Le genre de fantasy rare et précieuse qui confère au genre ses lettres de noblesse.

NDRC : En totale contradiction avec l’édition dans laquelle il nous est proposée, en somme, le bouquin étant d’une exceptionnelle… laideur, et d’une fabrication calamiteuse – dommage…

Jennifer a disparu

Laurent Genefort est pour le moins une figure connue en Bifrosty : on lui doit entre autres le cycle « Omale » (« Folio SF ») et, plus près de nous, Lum’en (au Bélial’), roman lauréat du prix Julia-Verlanger 2015 et du Grand Prix de l’Imaginaire 2016 – sans oublier sa nouvelle « Ethfrag », au sommaire de notre 78e livraison, elle aussi lauréate du Grand Prix de l’Imaginaire 2016, un doublé meilleur roman/meilleure nouvelle francophone inédit dans l’histoire du prix…

Donc, l’arrivée des aliens sur Terre n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde, à commencer par notre narrateur, romancier de science-fiction, et par là même contraint à changer ses plans de carrière pour se reconvertir en détective privé. Il faut dire que la mode littéraire du moment tend davantage aux histoires de fesses entre humain et vampire, vampire et loup-garou, ou plus simplement aux histoires de fesses tout court…

Attendant avec une impatience non dissimulée l’arrivée de clients, notre privé voit débarquer dans son local un extraterrestre – le frère de Totoro tout craché et répondant au doux nom de Patou. Un client, enfin ! Qui signale illico au désœuvré que son amant, Jennifer, a disparu. On s’en doute, c’est le début des ennuis…

De Creil à Bruxelles en passant par les restos du trajet, le récit taille son chemin, une route bourrée de références à la pop’ culture contemporaine – de Lady Gaga à Psy et son Gangnam Style, sans oublier, on l’a dit, un Totoro gigantesque doté d’un accordéon dissimulé sous sa poitrine. Ambiance Men in Black garantie, avec cohorte d’extraterrestre incluse, ce qui n’est pas non plus sans nous ramener vers Points chauds (Le Livre de poche), autre roman de l’auteur farci d’extraterrestres et prenant pour point de départ une arrivée massive d’ET de toutes sortes et espèces.

Au final, un court récit en mode road-trip déjanté assez inattendu sous la plume de Laurent Genefort, hommage assumé aux Futurs mystères de Paris de Roland C. Wagner dans lequel on retrouvera aussi quelque chose du Dirk Gently de Douglas Adams, voire de Jonathan Ames, le héros désabusé de la série Bored to Death (l’abus d’alcool et de psychotropes en moins). En somme, une petite pépite de détente que l’on conseillera sans réserve.

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