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La Porte de l’éternité

Le lieutenant d’artillerie W.H. Hodgson est de garde dans un poste avancé lorsqu’il reçoit la visite d’un officier supérieur qui lui enjoint de le suivre sans délai pour une mission aussi capitale que secrète. Dans un cottage discret d’Irlande, il apprendra la nature de la tâche qu’on veut lui confier : utiliser une drogue expérimentale pour voyager en esprit (au sens spirite du terme) vers le futur afin d’en ramener des informations susceptibles de permettre à la Grande-Bretagne de conserver sa place prééminente après guerre et d’éviter un holocauste à venir sur lequel on ne donne pas de détail. Si Hodgson, l’un des maîtres du fantastique horrifique de l’époque, a été choisi, c’est précisément pour ses capacités d’imagination ; on suppose que certains rêveurs induisent en eux-mêmes le type de déplacement que la drogue propose d’amplifier à des niveaux inégalés. Commence alors pour lui un voyage en direction de la fin des temps, qui se révèle bien plus complexe que prévu et gros d’enjeux proprement époustouflants. Car, au fil de l’aventure, c’est au devenir de l’humanité qu’est confronté Hodgson, et à celui de l’univers même.

La Porte de l’éternité entraîne son lecteur dans un voyage extraordinaire au sens vernien du terme. Pastiche de merveilleux scientifique, il se déploie en une succession de récits à la première personne enchâssés, certains quasi épistolaires. On y croise le comte Lugard (vampire ou pas) et le professeur Copplestone de L’Extase des vampires, mais aussi Oscar Wilde, Camille Flammarion, Alfred Jarry, H.G. Wells et Nikola Tesla, entre autres, ainsi qu’un grand détective qu’il est inutile de nommer. Chacun des protagonistes du récit détient une part de vérité, une part dont, hélas, il ne peut déterminer le degré de véracité. Qui plus est, aucun n’est sûr du rôle qu’il a à jouer dans l’avènement ou l’empêchement d’un futur à venir qui n’est guère favorable à l’humanité. L’avenir est-il déterminé ou contingent ? Peut-on changer l’Histoire et le faut-il ? Agir en utilisant les connaissances ramenées de l’avenir, est-ce détourner le temps de son cours ou, au contraire, faire advenir l’avenir aperçu ? Que croire ? À qui faire confiance ? Que faire ? Autant de questions qu’essaient de démêler les héros du roman, à grand renfort de réflexions et de conversations érudites.

Disons-le tout net, le projet de Stableford est couronné de succès. Il raconte une histoire de temps long à côté de laquelle celle de Wells semble bien modeste — allant jusqu’à envisager mort thermique de l’univers et Big Crunch. Il utilise fort habilement les connaissances techniques et scientifiques de notre temps pour en faire des savoirs ramenés du futur. Il reprend des interrogations contemporaines sur le devenir des civilisations, jusqu’à l’ère des machines autoréplicantes destinées à conquérir l’univers entier au fil des éons. Il illustre le concept de « Dark Forest » popularisé par Liu Cixin. Envoyant ses héros dans un « Abîme du temps » futur et non passé, dans un monde post-humain dont la vacuité d’hommes rappelle un peu l’ambiance du Illium de Simmons, il truffe par ailleurs son texte de références si discrètes qu’elles ne gêneront jamais le lecteur qui ne les reconnaît pas mais raviront celui qui les capture. Surtout, il donne vie à un Holmes aussi rationnel et frénétique que le vrai, à un Jarry aussi bizarre, à un Flammarion aussi spirite, sans oublier de ramener l’injustement oublié Hodgson en pleine lumière. Et que dire de Wilde ? Wilde est une pure réussite. C’est Wilde lui-même qui nous parle dans ce roman dont la forme conversationnelle rappelle furieusement Le Portrait de Dorian Gray. Un Wilde aussi fin, égocentrique, excessif, brillant, parfois vain, et hélas anéanti que le vrai. Un Wilde mourant qui se décrit lui-même, moment émouvant, comme son propre portrait corrompu alors que vit pour l’éternité l’artiste qu’il a inventé pour lui servir de masque ; l’homme mourra, restera l’artiste. Un twist final ne gâche rien, d’autant qu’il laisse de fait l’avenir ouvert à l’imagination du lecteur.

La Porte de l’éternité est un roman de Brian Stableford dont la couverture comme le titre VO sont au mieux peu excitants, au pire répulsifs ou trompeurs. En effet, ce n’est pas d’enquête au sens holmesien qu’il s’agit ici, pas plus que de vampires rodant dans les Carpathes ou les ruelles sordides de Whitechapel. Et pourtant, tu dois lire ce livre, lecteur. Tu le dois pour l’amour de toi car c’est l’un des romans les plus prodigieux qu’il te sera donné d’ouvrir cette année.

Ce matin, Maman a été téléchargée

France, 2050 environ. Une technique nouvelle permet de numériser la conscience individuelle des mourants. Largement illégale, la procédure est néanmoins pratiquée par une discrète clinique proche d’un mouvement sectaire : la Voie du futur. Se faire numériser, c’est la décision qu’a pourtant prise Michèle Vidal, une vieille dame qui est incidemment la mère d’un fils unique, Raphaël. Au grand dam de celui-ci.

Cerise sur le gâteau, Michèle, non contente de se faire numériser, organise un download de sa conscience numérique dans le corps d’un robot de service domestique — et pour que ce soit vraiment drôle, elle choisit un modèle nommé « pulpeuse », en d’autres termes, une « bombasse » robotique. Le but avoué de l’opération est de rester pour l’éternité proche de son fils, de pouvoir continuer à l’aider, le conseiller, le soutenir, quoi que ce dernier puisse en penser. Elle va alors lui pourrir la vie, nuire à sa relation sentimentale, et provoquer un bordel sans nom en intervenant sur les réseaux comme un virus intrusif, jusqu’à être perçue comme une menace par les services secrets. Car à sa présence physique, Michèle va ajouter la traque numérique de son fils, par le biais des lifelogs qui enregistrent tout ce que fait une personne, et quelques modifications manipulatrices de la réalité augmentée du pauvre garçon et de son entourage.

Que ce livre est mauvais ! Style appliqué et consciencieux, futur si proche de nous qu’il n’a guère d’intérêt, banalité du contexte (un vaudeville quelconque comme seule illustration envisagée par l’auteur des questions posées par la numérisation des consciences), délires scientifiques censés être amusants (la puce porteuse de la conscience qui peut provoquer une explosion atomique si on essaie de la forcer), situations qui se veulent drôles et cocasses sans jamais l’être (la mère « pulpeuse » dont l’auteur ne fait rien du physique), personnages taillés à la hache — l’épitomé de la caricature étant atteint avec Michèle, sorte de mère juive abusive entre Madame Sarfati et la Marthe Villalonga d’Un éléphant ça trompe énormément. Et puis des services secrets qui apparaissent par flashes et semblent, dans leur ton et leurs résultats, devoir plus aux Tontons Flingueurs qu’à Matrix. S’y ajoutent un sexisme bon enfant à bas bruit qui aurait été normal seulement dans un roman écrit il y a cinquante ans, une marchande de fleurs, des phrases involontairement drolatiques — « Parée par toi, je me sens digne d’affronter le monde » —, et un lexique vieux jusque dans les prénoms.

J’arrête là, je ne voudrais pas tirer plus sur l’ambulance qui, un jour, emporta Michèle. Ce matin, maman a été téléchargée est un roman pour vieilles gens qui veulent s’initier aux dangers d’une modernité bien mystérieuse sans perdre pour autant leur bonne humeur. Ils pourront l’acheter pour la bibliothèque de l’Ehpad, ou se le faire lire par le facteur de Veiller sur mes parents lorsqu’il passera prendre le café.

Braises de guerre

Ailleurs, dans longtemps. L’Humanité, au bord de la faillite, a été contactée par un vaisseau de commerce alien qui lui a ouvert les portes de la Multiplicité, une association de peuples stellaires vivant en bonne intelligence. En son sein, les Humains ont créé la Généralité. Cette instance regroupe les peuples humains, divisés — comme de juste — entre le Conglomérat (conservateurs et capitalistes, en gros) et les Extérieurs (plus progressistes, en gros) ; si je donne peu de détails c’est que, mis à part cette présentation pion noir/pion blanc, il n’y a pas grand-chose de plus dans le roman.

Conglomérat et Extérieur se sont livrés une guerre cruelle qui a culminé dans ce que l’on peut qualifier de crime de guerre. En effet, le roman s’ouvre sur un bombardement nucléaire massif, décidé par la commandante Annelida Deal afin d’anéantir le commandement Extérieur au prix d’énormes pertes civiles, sans oublier la destruction totale de la « jungle consciente » de Pelapatarn. Immédiatement après, l’un des vaisseaux « Carnivore » de l’opération — le Chien à Problèmes —, pris de remords, démissionne et se reconvertit en transporteur pour le Maison de la Récupération, une sorte d’ONG spatiale qui s’est donnée pour mission de récupérer les spatiaux en péril ; un peu la SNSM des espaces infinis. Quant à la commandante Deal, en Paul Touvier des cieux, elle commence une vie d’errance, sous une fausse identité, avec la complicité d’une partie de la hiérarchie militaire du Conglomérat.

Et voilà que, quelques années plus tard, le paquebot sur lequel se trouve Deal (je spoile, mais il est impossible de ne pas comprendre qui est qui en lisant), attaqué sans raison, s’écrase sur le Cerveau, l’une des sept planètes qui constituent l’étonnant système de la Galerie dont chaque planète a été entièrement sculptée, dans un passé très lointain, par une espèce inconnue. Chien à Problèmes, sous les ordres de la contestée commandante Sal Konstanz, elle-même flanquée d’un Second rétif et d’un « médecin de bord » aussi pistonné qu’incompétent, part à la rescousse du paquebot torpillé. Il lui faudra faire vite pour ramener d’éventuels survivants et, peut-être, découvrir ce qu’il s’est passé. Mais, dans cette histoire, c’est le passé qui s’est invité. Chien à Problèmes devra donc embarquer deux espions de terrain, découvrir qui était vraiment visé et pourquoi, apprendre la vérité sur le destin de la commandante Deal, et se retourner contre ses anciens frères d’armes, les autres vaisseaux « Carnivore » — le tout sans oublier de changer la face du monde.

Bon, disons-le sans détour, ce n’est pas un bon roman. World-building minimal, character-building qui ne vaut guère mieux pour les personnages principaux (culpabilité, rédemption, rien d’original dans le thème ni le traitement), et caricatural pour les seconds rôles taillés à la hache. Intrigue simplette et simpliste, ni surprenante ni captivante. Plausibilité scientifique à la trappe — le top étant les déplacements en hypervide, un concept que même Chien à Problèmes, qui pourtant le pratique, est incapable d’expliquer. Et puis, le secret dans les planètes sculptées que personne n’avait jamais découvert, et sur lequel tombe involontairement une pauvre naufragée, qui plus est naufragée là par hasard, une de ces merveilleuses coïncidences qui font avancer les intrigues faibles. Mais surtout, l’écriture rend impossible toute adhésion au récit. Entre tentatives d’humour potache ratées, explications « Pour les Nuls » et faiblesse manifeste du niveau de langue, l’histoire, d’une banalité et d’un manichéisme extrêmes, n’est pas sauvée de sa médiocrité par la plume de l’auteur — qui tend plutôt à l’enfoncer. Ah oui, il parait que ça ressemble à la « Culture ». Misère. S’il suffisait de donner des noms stupides à des vaisseaux sentients… D’ailleurs, si on pouvait arrêter les noms de vaisseaux stupides ; ça a été drôle une fois, ça ne l’est plus. Braises de guerre a gagné le BFSA Award 2018 ; je veux bien qu’on m’explique.

Aux limites de l’infini

Stanley G. Weinbaum est l’un des pionniers de la SF américaine. Né en 1902, il mourut d’un cancer du poumon en 1935, à 33 ans seulement, peu de mois après la publication de son texte le plus fameux, « Une odyssée martienne ». Célébrée par Isaac Asimov comme « l’une des trois histoires qui ont changé la SF », la nouvelle reçut un très bon accueil critique. Le lecteur y croise un groupe d’explorateurs envoyés sur Mars grâce à une fusée atomique (quoi que ce puisse être). Ils y rencontrent, pour la première fois peut-être de l’histoire de la SF, une créature extraterrestre (puis de nombreuses autres) visiblement intelligente, mais non humanoïde, avec toutes les impossibilités de communication que ça peut générer. Raisons d’agir, langages, culture, les Martiens de Weinbaum sont manifestement dotés d’une intelligence équivalente, voire supérieure (l’auteur resservira cette supériorité supposée dans une autre nouvelle du recueil, « Les Lotophages ») à celle des Terriens, mais il est clair que celle-ci ne nous est pas directement accessible. Cette approche de la vie extraterrestre, résolument nouvelle, enchanta le lectorat de l’époque et répondait par anticipation à la demande de John W. Campbell : « Écrivez-moi une créature qui pense aussi bien ou même mieux qu’un homme, mais pas comme un homme. »

Dans Aux limites de l’infini, à la suite de cette « Odyssée martienne », on pourra lire six autres nouvelles de longueurs diverses, toutes dans une traduction inédite.

Ainsi lira-t-on le texte éponyme au recueil, une sorte d’escape game improvisé dont la solution est la découverte d’une expression mathématique, « Les Mondes du Si », qui explore la possibilité d’univers parallèles infinis bien avant qu’Hugh Everett ne la formalise, « Dérive des mers », où un cataclysme géologique risque d’interrompre le Gulf Stream, refroidissant alors les terres de l’Est Atlantique, provoquant par là même exodes, guerres et débroussaillage malthusien, « Les Lotophages », où, sur une Vénus froide (!), on s’interroge, après Schopenhauer, sur la vie comme volonté, « Les Lunettes de Pigmalyon », où un voyage en paracosme conduit à s’interroger sur réalité et perception, et la très courte « Graphe », qui pointe les méfaits du stress induit par une vie professionnelle hégémonique.

L’ensemble forme un ouvrage à l’intérêt historique évident. Ramener sur le devant de la scène un pionnier peu connu du grand public français, donner à voir ce premier contact qui rompt avec les codes précédents de l’alien humanoïde et/ou purement hostile, tout ceci est intéressant. D’autant que dans les autres textes, Weinbaum fait montre d’un intérêt louable pour la science de son époque et les questionnements philosophiques ; aucun texte n’est, de fait, dépourvu d’une réflexion sous-jacente à l’intrigue.

Il y a néanmoins des bémols. Très datés dans leur écriture, les textes peinent à passionner. Le style est parfois plat, parfois verbeux, parfois trop visiblement conscient de sa propre finesse. De (rares) saillies sexistes font sourire — O tempora ! O mores ! Et puis, les erreurs et méconnaissances scientifiques de l’époque heurtent ou amusent. Vénus, qui ne tourne pas, est froide et dotée d’une pression supportable. L’atmosphère de Mars est largement respirable, et sur sa surface on trouve des canaux — alors qu’il était déjà admis qu’ils n’étaient qu’un fantasme de Percival Lowell. Ça peut faire beaucoup. On est ici dans l’archéolittérature. À toi de voir, lecteur, si tu veux participer à l’expédition.

Terminus

Le prologue du roman s’ouvre sur une vision de l’apocalypse : deux soleils, un paysage de glace où lévitent tête en bas une multitude de crucifiés. Pour achever sa formation, Shannon Moss, agent spécial du NCIS, est envoyée en 2199 pour observer le Terminus, la fin du monde. Elle en revient avec une blessure qui nécessite l’amputation d’une jambe au dessus du genou et un traumatisme psychologique. Au début des années 80, grâce à la physique quantique, les États-Unis ont mis en place un programme ultrasecret de voyage dans l’espace-temps. Plusieurs vaisseaux ont été expédiés en mission d’exploration. Certains sont revenus, d’autres se sont perdus à jamais. Après sa formation, Moss est amenée à enquêter sur un meurtre brutal, dans son temps présent à elle, en 1997. Patrick Mursult, un marine qui a fait partie du programme Eaux Profondes, semble avoir sauvagement assassiné sa famille. Sa fille aînée, Marian, a disparu. Moss est envoyée dans une TFI (trajectoire future inadmissible) pour recueillir des indices. Si on ne voyage pas vraiment dans l’avenir, mais dans des avenirs possibles dont la probabilité de les voir se réaliser reste inconnue, ces sauts dans le temps permettent parfois de résoudre des affaires ou de prévenir des crimes dans la temporalité initiale. Moss espère ainsi retrouver Marian vivante. Problème : Patrick Mursult est considéré comme mort en mission avec l’équipage du Balance perdu en Eaux Profondes. Sa réapparition coïncide avec un autre phénomène : le Terminus se rapproche inexorablement, dans toutes les trajectoires explorées. L’enquête de Shannon Moss se double d’une course contre la montre et contre la mort à travers temps.

En plus d’offrir un thriller addictif, Tom Sweterlitsch joue avec le temps de manière fascinante. Quand elle fait un saut dans une trajectoire, Shannon Moss vieillit au prorata des mois passés dans celle-ci. Mais son retour se fait quelques secondes à peine après son départ. Le décalage entre son âge réel et l’âge perçu se creuse encore lorsque ses sauts sont lointains : pour les gens qui l’ont connu dans le passé (en réalité des échos de personnes réelles), elle n’a pas vieilli. Ce serait presque anecdotique si elle n’avait pas en plus conscience que les trajectoires potentielles s’effacent à chaque retour dans la réalité et que ce qu’elle y vit n’existera plus que dans sa mémoire. Sa vie se résumant à une illusion (et à plus d’un titre, comme elle le découvrira), seule sa mission fait sens. Elle est prête à lui sacrifier son existence. La pression qui pèse sur ses épaules s’alourdit encore lorsqu’elle se rend compte que les informations qu’elle ramène de ses explorations contribuent à précipiter l’arrivée du Terminus. Tom Sweterlitsch ne laisse aucune place au hasard ou à l’approximation. Chaque fait évoqué compte, peu importe la trajectoire de réalisation, et peut influer sur le présent. Sa maîtrise des intrigues, de leur imbrication et du rythme impressionne tout autant que la caractérisation des personnages. En imaginant des futurs potentiels effrayants de vraisemblance et en choisissant une narration au plus près de Shannon Moss, l’auteur maintient son lecteur en haleine jusqu’à la fin, elle-même sujette à différentes interprétations. En physique relativiste, la réalité existe au sein d’un espace-temps qui ne s’écoule pas dans une seule direction. La distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une construction. Passé et futur sont simultanés. Si l’avenir est déjà écrit, quelle possibilité pour Shannon Moss d’éviter qu’advienne la fin des temps ? Seule certitude, Terminus est un roman brillant qui remue autant les tripes que les méninges.

Pierre-de-vie

Appelkirk, un paisible village de huit cents âmes, est situé dans les Marches, région centrale du monde où le temps ne s’écoule pas de manière identique d’est en ouest. En Orient, territoire des dieux, la magie est puissante, le temps passe plus vite et il est très difficile d’y exister en tant qu’individu isolé. En Occident, au contraire, plus de magie et un temps qui se fige, une population vivant de routines et d’habitudes. Appelkirk est un peu l’Angleterre campagnarde fantasmée dans les romans du xxe siècle qu’on retrouve aussi dans la Terre du Milieu habitée par les Hobbits de J. R. R. Tolkien : une petite ville calme, à l’écart du monde, administrée avec équité et probité par son seigneur local, abritant une population de fermiers, artisans et commerçants capables d’oublier les querelles intestines insignifiantes pour s’unir lorsque le bien commun est menacé. Si la religion y est présente, les prêtres préfèrent s’occuper des vivants et se tenir éloignés des affaires des dieux, sources de troubles. La magie, appelée yeya, y est suffisamment présente pour fabriquer des charmes et des talismans destinés à purifier l’eau, accélérer les guérisons ou protéger les maisons. Elle confère aussi à la plupart des habitants un ou plusieurs dons. Le personnage central du roman, Taveth, est capable de voir les gens à différentes étapes de leur vie, sous forme de multiples ombres. D’autres peuvent faire léviter des objets, faire fructifier les arbres fruitiers. À Appelkirk, on pense d’abord à l’utilité pour tous avant de penser à soi, même si chaque habitant cherche sa pierre-de-vie, ce pour quoi il est fait et qui le rendra heureux. Trouver sa pierre-de-vie, c’est aussi trouver sa place dans le monde, l’endroit, la tâche, le métier ou la fonction dans lesquels on peut se sentir être soi-même. L’équilibre d’Appelkirk se retrouve en danger lors du retour d’Anethe, ancienne maîtresse des lieux, partie en Orient. Si, pour elle, quelques dizaines d’années ont passé, sur ses terres plusieurs générations se sont succédées. Elle fuit la colère d’Agdisdis, la déesse du mariage. Presque simultanément arrive Jankin, un étudiant de l’ouest, aussi passionné par l’histoire que par les femmes et qui peut, pour Agdisdis, devenir le parfait instrument de sa vengeance. Car s’il y a un domaine dans lequel le petit village n’est guère conventionnel, c’est bien celui de l’amour. Taveth aime Ferrand, le seigneur d’Appelkirk, et son mari Ranal, qui exploite les terres pour Ferrand. Ranal l’aime en retour, mais entretient une relation avec Chayra, l’épouse de Ferrand. Ce polyamour, très éloigné de la monogamie prônée par Agdisdis, a donné naissance à une famille joyeuse et soudée et fonctionne à la condition que chacun respecte les sentiments des autres et veille au bien-être émotionnel de tous…

Jo Walton joue, tout en subtilité et finesse, avec le concept de temps : pour les habitants du village, Hanethe est un visiteur du passé tandis que pour Jankin, les Marches représentent le passé. La narration, non linéaire, et la quasi absence d’utilisation de temps du passé quand elle adopte le point de vue de Taveth renforcent cette impression de décalage temporel. À première vue, pas d’enjeux extraordinaires dans la fantasy de Jo Walton. Les décors délaissent les salles du trône au profit d’une cuisine emplie d’odeurs de délicieuses tourtes chaudes ou d’un jardin où les fleurs s’épanouissent. Pourtant, les drames qui bousculent la tranquillité de la calme bourgade sont les mêmes que ceux qui traversent les romans de fantasy épique. À l’échelle d’Appelkirk, il y a un monde à sauver, des dieux à déjouer, des gens à protéger, des batailles à mener, du sang, des morts et des larmes. Pierre-de-vie, à sa façon, aborde aussi des sujets importants tels que la politique (ici, dans son sens premier : tout ce qui a trait à la vie de la cité), les mœurs et les relations familiales, la religion, le libre-arbitre et la possibilité de se trouver et d’être soi-même. Les jurés du prix Mythopoeic ne s’y sont pas trompés en 2010.

Tous ces mondes

Les Bob, très, très nombreux à présent, continuent leur train-train quotidien. Enfin, leur routine à eux n’a pas grand-chose de commun avec celle de monsieur tout le monde. Certains d’entre eux poursuivent l’évacuation de la Terre avant sa disparition ; d’autres découvrent le retour d’une ancienne menace : le clone envoyé par le Brésil n’est pas mort, loin de là ; une majorité fait tout son possible pour éloigner les Autres, cette race extra-terrestre sans état d’âme et à la puissance destructrice, des différentes colonies présentes ou futures. Pendant ce temps, le plus ancien des Bob se prépare à dire adieu à la peuplade primitive dont il s’était entichée sur Delta Eridani. Parallèlement à cela, l’un de ses descendants perfectionne un humanoïde lui permettant d’interagir avec les humains de façon plus efficace et plus rassurante pour ces êtres de chair et d’os terrorisés par l’étrangeté des Bob et leur inhumanité apparente.

Ainsi s’achève la trilogie Nous sommes Bob… enfin, jusqu’à la parution d’une suite annoncée. Car l’auteur ne va pas laisser passer un tel filon. Il a annoncé pour cet été deux nouveaux tomes, ayant pour thème central la recherche de Bender, un descendant de Bob parti voilà bien longtemps en exploration et dont plus personne n’a de nouvelles. Entre-temps, est sorti Outland, une histoire de portail dimensionnel et de Terre alternative, sans rapport avec le « Bobiverse » (l’univers des Bob). Néanmoins, à la fin de Tous ces mondes, l’auteur a la bonté de clore les chantiers laissés ouverts. Le lecteur a les réponses aux questions posées lors de ces trois tomes : la menace des Autres, la sécurisation des habitants de la Terre et même l’histoire d’amour entre Howard et Bridget, un clone et une humaine.

Les œuvres de Dennis E. Taylor ont un certain succès sur Audible et cela se comprend. Elles sont parfaitement adaptées au support audio tant l’intrigue est légère, le traitement parfois schématique, les situations assez répétitives. En somme, la série des Bob s’avère distrayante et sa lecture plaisante, avec une idée de base originale et un traitement plutôt futé. Néanmoins, l’auteur a eu du mal, sur l’ensemble de la trilogie, à se renouveler. Les trois tomes ressemblent plus à un long roman divisé qu’à trois opus possédant chacun une vie propre. Et donc pas de nouveau souffle capable de relancer l’intérêt du lecteur. Les pages se tournent, vite, mais le manque d’intérêt se fait sentir de plus en plus fort. Il est par conséquent nécessaire et satisfaisant, si l’on a lu les deux premiers volumes de la série, de se précipiter sur Tous ces mondes. Mais de là à attendre la sortie des tomes 4 et 5…

Reincarnation Blues

Milo est un quinquagénaire plutôt cool. Il vit en bord de plage, promène de riches clients en mer quand il a besoin d’argent, boit tranquillement des bières devant l’océan avec son chien et le soir retrouve sa compagne du moment. Mais un requin affamé met fin à ce bonheur, certes caricatural, mais suffisant. Exit Milo ? Pas vraiment. Car cet individu n’en est pas à son premier décès. Loin de là. Il approche en fait de sa dix millième mort. Pas mal, hein ? C’est d’ailleurs le détenteur du record. Les autres parviennent à la perfection au bout de leur millième réincarnation à quelques centaines près. Mais dix mille ? Cela commence à faire beaucoup. Trop aux yeux du grand boa cosmique. D’ailleurs, si Milo ne parvient pas, enfin, au stade ultime très rapidement, c’en sera définitivement terminé pour lui. L’univers a beau être patient, à force, il se lasse. Donc, encore cinq réincarnations et c’est le grand plongeon dans le néant, la dissolution, la disparition définitive. Milo a donc sacrément intérêt à se bouger le derrière !

L’idée de départ est fort séduisante et offre de bonnes possibilités narratives : époques variées, classes sociales multiples, tonalités diverses, et un discours sur la vie après la mort toujours porteur. Ajoutons à cela une imagination riche et assez variée de l’auteur. De quoi obtenir un cocktail plaisant. Et même plus. Oui mais voilà, Michael Poore aime trop la facilité et il ne tient pas la longueur. Rappelons d’abord que Reincarnation Blues est son premier roman publié. Auparavant n’étaient parues de lui que des nouvelles. Et cela se ressent grandement dans ce texte : si Milo à la recherche du salut et de l’amour (eh oui, il est en couple avec la mort : ça calme !) offre un fil rouge efficace au récit, ce roman ressemble tout de même plutôt à une suite de courts récits enchâssés dans une vaste structure. De nombreuses nouvelles, plus ou moins réussies, plus ou moins inspirées, plus ou moins cruelles (l’auteur n’hésite pas à aller loin dans la déchéance de son héros), avec pour personnage central une réincarnation de Milo dans le passé ou le futur (à ce propos, Michael Poore nous prépare un avenir bien sombre). Avec des fins plus ou moins impressionnantes (dont l’une, à base de survol de murailles, qui n’est pas sans rappeler une aventure du célèbre baron de Münchhausen), mais sans lien véritable entre elles, d’où un sentiment de récit décousu. Tout cela tend bien vers l’issue finale — Milo va-t-il enfin, grâce à des existences de plus en plus vertueuses, atteindre le nirvana ? —, mais, souvent, cela reste tiré par les cheveux, le lien entre les différentes histoires demeurant artificiel.

Pour ne rien arranger, Michael Poore se laisse parfois aller aux blagues faciles, à l’humour potache à base de pipi, caca, prout et bière faisandée. Gageons que l’auteur devait faire un malheur sur le campus. Mais dans le roman, ça tourne vite un peu en rond. Et les structures des phrases, comme le vocabulaire sont souvent trop familiers. À trop vouloir aller vers la simplicité, le style parlé, le roman finit par sembler bâclé par moments.

Tout cela rend-il la lecture de Reincarnation Blues à proscrire ? Loin de là ! Les vacances sont bientôt là pour beaucoup. Le soleil et la chaleur (pas trop, quand même) aussi, en principe. Les conditions idéales pour déguster ce roman léger, sympathique et entrainant.

Les Naufragés de Velloa

La Terre est devenue un monde hostile et dangereux. Les hommes ont colonisé Mars et Vénus, planètes désormais rivales luttant pour la suprématie. Si les habitants de ces deux mondes connaissent le confort d’une technologie avancée, il va autrement pour les milliards de réfugiés terriens, parqués dans des bases ou des stations condamnées à long terme, sur Europe ou Encélade, par exemple, le plus loin possible, en tout cas, de ces deux Edens aux frontières closes. Un statu quo bientôt remis en question lorsque Mark, agent martien en mission sur Mercure, comprend qu’un vaisseau de réfugiés pourrait bien avoir rejoint une étoile située à une vingtaine d’années-lumière de manière… instantanée. Une découverte sensationnelle à même d’offrir la victoire à l’un des camps. Sauf qu’isolément, Vénusiens et Martiens n’ont pas la technologie pour atteindre Sigma Draconis. Aussi décident-ils d’une mission commune, avec pour but de s’approprier cette fabuleuse découverte au détriment de son adversaire…

Romain Benassaya ancre une nouvelle fois son roman dans un futur où l’humanité n’a pas su protéger son berceau, le transformant en dépotoir mortel. Une nouvelle fois, un contact est établi avec une (ou plusieurs) race extraterrestre aux pouvoirs supérieurs et aux intentions inconnues. Toutefois, à la différence de Pyramides, où le mystère reste entier jusqu’à l’ultime page, on en apprend ici beaucoup sur les créatures venues d’un autre coin de l’univers. Sur leur identité et sur leurs buts. Dans ce récit, quand bien même l’auteur maintient le suspense jusqu’au bout, l’intérêt est plutôt dans le rapport de force entre les nombreuses factions en présence. Car les envoyés de notre Système solaire vont rencontrer une civilisation établie sur Velloa, une planète orbitant autour de Sigma Draconis — là où se sont réfugiés les naufragés de l’Embrun 17, le vaisseau miraculeusement déplacé. Avec à la clé de nombreuses interactions, de nombreuses alliances, de nombreuses haines. Dans un enchevêtrement un brin schématique, certes, mais dans l’ensemble plutôt maîtrisé.

Voilà donc un roman de pur divertissement, dans la stricte tradition de ce que pouvait nous proposer le Fleuve Noir période « Anticipation » : combats, rebondissements, trahisons. Avec en plus un brin de dimension sociale qui fait écho au présent — on pense ici au Issa Elohim de Laurent Kloetzer (le Bélial’), même si l’approche s’avère bien différente. Sans oublier de payer son écot aux préoccupations écologiques du moment… Et une lecture agréable, finalement, pas si superficielle, plutôt bien charpentée et libérée de certains des défauts qui encombraient Pyramides. Plutôt encourageant pour la suite, en somme.

L’Effondrement de l’empire

L’humanité a bien grandi et a trouvé de nouveaux terrains de jeu : quarante-huit systèmes stellaires, choisis non pas pour leurs conditions d’accueil (la plupart sont dépourvus de planète habitable) mais parce qu’ils sont reliés entre eux par le Flux, à savoir l’outil qui a permis l’hégire spatiale. Ce même Flux qui a permis à une guilde, la famille Wu, de diriger un empire gigantesque. Or ce bel ordonnancement va connaître des bouleversements soudains. Tout d’abord, l’emperox meurt et cède, faute de mieux, son trône à sa fille, peu réjouie de ce choix. Son règne s’avère difficile ; Cardenia manque d’entrain pour ce poste exigeant et bafoue les codes de ce monde tourné vers le passé (Dowton Abbey dans l’espace, en quelque sorte). Et voilà que le Flux, d’ordinaire d’une grande stabilité, se met à présenter des variations aux conséquences possiblement catastrophiques. Une bouche d’entrée a déjà disparu, abandonnant à un sombre destin une colonie tout entière. Comment l’empire, et même l’humanité dans son ensemble, vont-ils survivre à ce cataclysme annoncé ?

Ainsi donc, le Scalzi nouveau est arrivé. Oui, déjà. Prise de tête vient à peine de disparaître des étals des libraires — et avant lui La Controverse de Zara XXIII. John Scalzi est un auteur pour le moins prolifique. Heureusement, il sait varier ses histoires, leur genre, leur rythme, leur ton (même si son humour demeure reconnaissable). Cette fois-ci, il nous embarque dans un space opera ambitieux annoncé comme une trilogie. Enfin, au moins une trilogie… Quoiqu’il en soit, le deuxième tome, The Consuming Fire, déjà paru aux États-Unis, devrait sortir en France d’ici la fin 2019.

C’est donc parti pour des intrigues et des plans à double ou triple bandes ; des scènes d’action grandioses avec destruction de matériels et pertes humaines (John Scalzi s’y connaît, on le sait depuis Le Vieil homme et la guerre) ; des luttes où l’humanité ne cessera de révéler l’étendue de sa médiocrité, mais aussi, parfois, quelque grandeur. Et au centre de ce déferlement, une poignée d’individus hauts en couleur : Cardenia, pour commencer, future emperox Griselda II, jetée dans la cage aux lions, mais pas vraiment sans défense ; Nadashe Nohamapetan, membre d’une guilde ennemie et vraie arriviste, prête à tout, vraiment tout, pour le pouvoir ; Kiva Lagos, au franc parler (c’est peu de le dire !) et au vaste appétit sexuel, commerçante avisée n’hésitant pas à sacrifier quelques vies pour augmenter ses bénéfices. Des hommes entourent ce trio féminin, mais ce sont elles, les vraies maîtresses du jeu (en tout cas, pour l’instant). Sans parler de sexisme et autres -ismes à la mode, voilà qui est bienvenu dans un genre, le space opera, plutôt masculin et stéréotypé, où la figure féminine se réduit souvent à deux horizons, celui de potiches ou de décalque d’une virilité bien « burnée » (on se souvient de l’Honor Harrington de David Weber). Chez Scalzi, même s’il n’évite pas certains clichés, nul ne peut nier que les héroïnes déploient une véritable personnalité.

S’il nous offre un roman plutôt court (à peine plus de 300 pages, la taille habituelle de ses productions — une petite pensée pour Peter F. Hamilton, qui ferait bien d’en prendre de la graine…), l’auteur parvient à mettre en place un univers cohérent et riche de promesses. Le problème du déplacement dans l’espace, souvent évacué et laissé à la marge, est ici au centre de l’intrigue et s’avère un remarquable pivot pour le récit (merci Frank Hebert). La structure de la société, même si elle manque d’originalité, est tout à fait cohérente et assez complexe pour offrir de nombreuses possibilités de rebondissements. À l’image des personnages, plutôt convaincants. Une bonne pioche, cette fois : allez, M. Scalzi, on continue sur ce rythme effréné et avec cette qualité s’il vous plait.

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