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Entends la nuit

Entends la nuit , réjouissant et passionnant roman fantastique, marque le grand retour de Catherine Dufour à la fiction. Cela faisait en effet une presque décennie que l’auteure du Goût de l’immortalité, un des sommets de la science-fiction francophone des années 2000, n’avait publié de livre relevant de l’Imaginaire. L’écrivaine n’était cependant pas demeurée inactive, se faisant pendant les années 2010 essayiste avec des textes politiques et féministes tels que L’Histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça (Mille et une nuits) et Le Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses (Fayard). Et on se rappellera encore qu’elle est aussi une collaboratrice régulière du Monde diplomatique.

Cette attention critique au réel marque encore les chapitres initiaux de Entends la nuit. Ceux-ci narrent l’entrée dans la vie active de la parisienne Myriame, une vingtenaire emblématique d’une jeunesse très contemporaine. Celle de la « Génération Y » ou bien encore des « Millenials », selon les concepts sociologiques en vogue. Mal à l’aise avec une société dans les valeurs de laquelle elle ne se reconnaît guère — Myriame a un temps goûté une vie anarchisante dans l’Amsterdam underground —, l’héroïne de Entends la nuit peine tout autant à y trouver un emploi. Et c’est une manière de miracle que connaît Myriame lorsqu’elle réussit à se faire embaucher par la Zuidertoren, une entreprise transnationale prospérant dans l’immobilier – et dont le nom ne cache rien de la manière dont elle conçoit l’activité immobilière, puisqu’il s’agit du toponyme néerlandais de la Tour du Midi, gratte-ciel symbolisant le saccage urbanistique de Bruxelles… Exempte de toute lourdeur sociologisante, c’est d’une plume férocement ironique que Catherine Dufour évoque les débuts de la jeune femme à la Zuidertoren. Sa peinture mordante du monde entrepreneurial, sans en cacher la dureté, fait alors écho aux pages les plus drolatiques de Quand les dieux buvaient (cf. Bifrost 31), son très parodique cycle de fantasy. Myriame ne tarde cependant pas à découvrir que la « Z », comme elle l’appelle, sert de façade canoniquement ultralibérale à un univers surnaturel et pluriséculaire. Et auquel l’héroïne est initiée après avoir attiré l’attention de l’un de ses supérieurs hiérarchiques, le sé-duisant autant qu’étrange Vane. De leurs échanges d’abord distants et numériques (contemporain, Entends la nuit l’est encore par son usage du réseau social) naîtra bientôt une intense passion amoureuse. S’engageant avec exaltation dans les pas de son singulier amant, Myriame part à la découverte d’une topographie parisienne fantasmagorique. Empreint d’un érotisme gothique, ce passage de l’autre côté, non pas du miroir mais du mur (Le Passe-muraille de Marcel Aymé est ici explicitement cité), donne alors à Entends la nuit d’excitantes allures de conte de fées pour adultes. Mais ce dernier se métamorphose bientôt en un récit horrifique, à la violence âpre et étouffante. Se dessine dès lors une descente aux enfers (au sens propre) destinée à rappeler à Myriame « ce que le monde réserve aux prolotes qui croient au prince charmant  »…

Le dernier roman en date de Catherine Dufour séduit autant par son fantastique à l’originalité certaine que par sa lucide anatomie de la domination, et s’impose comme le plus recommandable des traités de savoir-vivre à l’intention des jeunes générations comme de leurs ainées.

Argent animal

Argent animal constitue la première traduction française d’un ouvrage de Michael Cisco. Il ne s’agit là que de l’un des treize livres publiés entre 1999 et 2018 par cet auteur étasunien. Hautement considéré par China Miéville ainsi que par Jeff VanderMeer, Michael Cisco a par ailleurs été récompensé par des prix tels que l’International Horror Guild Award ou bien encore le Best Weird Novel. Soient autant de patronages et de prix à même de susciter une curiosité certaine quant à cet Argent animal, qui plus est traduit par Claro.

S’inscrivant en un futur que l’on imagine proche, le roman débute dans une ville imaginaire d’Amérique latine, San Toribio. C’est là qu’ont été conviés à une conférence, entre autres spécialistes, les cinq économistes constituant les protagonistes initiaux d’Argent animal. Réunissant des femmes et des hommes de nationalités diverses, le quintette appartient à l’Institut d’Économie International. Tenant autant du cercle universitaire que de la secte, cette singulière élite participe du monde radicalement inégalitaire campé par le livre. Aux côtés de structures telles que l’IEI ou l’Organisation Internationale pour la Normalisation, les gouvernements pareillement inféodés à une «  économie mondiale […] devenue incontrôlable » s’emploient à protéger la minorité en tirant profit. Mais les jours de cet ordre inique semblent désormais comptés. Victimes d’une bizarre série d’agressions et d’accidents les empêchant de prendre part à la conférence, les cinq économistes de l’IEI conçoivent durant leur convalescence une forme inédite de monnaie appelée « argent animal ». Forte d’une puissance insolite, à la fois mystique et organique, la devise nouvelle semble agir par une vie propre. Échappant au contrôle de celles et ceux qui l’ont imaginé, l’argent animal va dès lors se répandre à travers l’espace géoéconomique, en sapant peu à peu les fondements. Les cinq économistes, entrés en dissidence après leur exclusion de l’IEI, accompagneront bientôt cette étrange révolution. Celle-ci sera encore rejointe par une certaine Assiyeh, autre protagoniste d’Argent animal. Tenant autant de l’aventurière que de la scientifique et de la sorcière, la femme jouera quelque rôle dans cette révolution fiduciaire et magique…

S’efforçant de faire éprouver à ses lecteurs et lectrices le trouble provoqué par cet extraordinaire basculement, Michael Cisco déploie une écriture en constante métamorphose. D’une linéarité plus qu’aléatoire, oscillant constamment entre science-fiction spéculative et fantastique horrifique, poésie surréaliste et considérations ironico-théoriques, Argent animal dessine une entreprise littéraire hors-normes. En réalité plus sensorielle que narrative, l’expérience proposée par Michael Cisco est certainement susceptible de fasciner une partie de ses lecteurs et lectrices. L’on a vu que l’auteur avait des admirateurs, et non des moindres. Mais pareille radicalité – se déployant qui plus est sur 700 pages – risque aussi d’exclure. Tel fut notamment le cas de l’auteur de la présente critique, demeuré tout à fait extérieur au trip qu’est Argent animal

Nuage orbital

L’innovation consiste à concevoir un outil plus efficace, moins fatigant à utiliser mais aussi moins coûteux à fabriquer : de la hache de pierre à la tronçonneuse, l’ingénierie a ainsi permis l’amélioration continue du rendement des bûcherons. La course à l’espace ne fait pas exception, même si son histoire est bien plus récente : on sait maintenant positionner en orbite maints satellites artificiels dont certains – raffinement suprême — sont habités. La technologie permettant de réaliser ces exploits est à présent éprouvée, mais elle reste si dispendieuse qu’elle est de facto réservée aux nations les plus industrialisées — quand ce n’est pas à l’initiative privée la plus riche. Taiyô Fuji pointe avec justesse dans Nuage orbital toute l’injustice impliquée par cet état des choses qui laisse sur la touche bon nombre de nations dont les ingénieurs, pourtant, ne déméritent pas dans la course à l’innovation : d’un côté se trouvent les nations industrialisées dont les techniciens spatiaux disposent d’ordinateurs à la puissance de calcul incomparable – le roman rappelle que le NORAD, chargé de la surveillance aérospatiale de l’Amérique du Nord, dédie une partie de ses ressources, humaines et informatiques, pour suivre l’itinéraire du Père Noël chaque soir de 24 décembre –, alors que de l’autre se trouvent des gens qui doivent parfois recourir au bricolage, au matériel hors d’âge, et même au calcul manuel, pour suivre la dynamique orbitale. Tout Nuage Orbital repose par conséquent sur une hypothèse science-fictive très intéressante : est-il possible, pour un ingénieur assez futé, de dépasser le handicap que représente une assistance informatique inférieure à celle de ses compétiteurs ? En d’autres termes, l’informatisation à outrance n’entraîne-t-elle pas une réduction de l’innovation technique, puisqu’elle conduit les ingénieurs à oublier leur créativité une fois le confort calculatoire acquis pour de bon ?

Les idées de Nuage orbital sont de toute évidence conçues pour captiver le lecteur intéressé par l’ingénierie, l’espace et la SF de progrès. Situé dans un futur proche, ce livre propose une réflexion sur le statut de l’innovation, qu’il calque sur un thriller politico-scientifique aux ramifications internationales où les intérêts des grands joueurs sur l’échiquier spatial s’opposent à ceux de leurs challengers. Kazumi et Akari, travaillant tous deux au sein d’une start-up vouée au suivi amateur des innombrables déchets spatiaux susceptibles de se changer en étoiles filantes, sont eux-mêmes des bricoleurs qui mettent par hasard au jour un complot international impliquant une technologie nouvelle : militarisée, celle-ci permet de détruire à moindre coût les satellites des grandes puissances. L’enjeu de la confrontation qui se préfigure, pour ceux qui se proposent de renverser la table, est de faire sortir un nouvel ordre spatial du chaos qui s’ensuivra. Comme on peut s’y attendre, la solution que l’équipe constituée autour de Kazumi et d’Akari mettra en œuvre, au profit des grandes puissances – USA en tête –, ne pourra venir d’un nouvel excès de puissance de calcul mais plutôt d’un bricolage. En ce sens, Nuage orbital peut bel et bien se lire comme une ode permanente à la créativité en ingénierie : on aurait de fait préféré que sa démonstration, louable, soit servie par un propos moins bavard… On aurait surtout apprécié que certains de ses personnages soient moins interchangeables, moins stéréotypés, aussi, et en tout cas plus attachants. Si aucun de ces défauts n’est tout à fait rédhibitoire, il n’empêche qu’ils interdisent à Nuage orbital d’atteindre le statut de grand livre que son argument aurait dû lui valoir. Dommage !

Malboire

Un an après sa très belle fantasy Bertram le baladin chez Critic, Camille Leboulanger est de retour à l’Atalante, où il renoue avec ses premières amours : le récit post-apocalyptique. Ceci dit, malgré une thématique similaire, Malboire est un roman très différent de son premier, Enfin la nuit. Moins paisible, cette histoire se déroule dans un futur indéterminé, longtemps après l’effondrement complet de la civilisation. Un univers de boue et de fange, dans lequel se débattent les derniers vestiges de l’humanité. Zizare est l’un de ces mange-terre qui hantent ces landes noyées. Pourtant, contrairement à ses congénères, il a gardé en lui une étincelle de conscience qui va l’amener à s’interroger sur son sort et sa nature. Au fil de ses errances, il va découvrir que le monde ne se limite pas aux marais toxiques et aux terres empoisonnées qui ont longtemps constitué son seul horizon. Certains s’y adonnent à d’absurdes cultes morbides, tels les Planches à Mort, ces surfeurs de l’Apocalypse qui attendent avec impatience l’ultime vague qui emportera tout sur son passage. D’autres, comme les Batras, sillonnent la région qu’ils pillent sans vergogne, s’accaparant le peu qu’il reste à posséder. D’autres encore, comme Arsen, la figure paternelle qui a ramené Zizare à la vie, sont les derniers détenteurs des savoirs d’autrefois et n’ont pas renoncé à faire renaître ce monde. Il y a enfin (et surtout) Mivoix, son âme sœur, sans qui le voyage dans lequel se lance Zizare n’aurait aucun sens.

Avec Malboire, Camille Leboulanger signe un roman somme toute assez classique, qui n’aurait guère été différent s’il avait été écrit cinquante ans plus tôt. Sa dernière partie, en particulier, a quelque chose de désuet dans son déroulement et dans ce que l’on y apprend de cet univers. C’est certainement l’élément le moins convaincant du récit. Avant cela, l’écrivain excelle dans la description de ce monde moribond. La Malboire et son environnement boueux, sa fange empoisonnée, est palpable tout du long, s’insinue dans chaque page du récit, constitue le premier et le principal adversaire auquel doivent constamment faire face ses personnages. Roman d’ambiance avant tout, Malboire s’avère une belle expérience de lecture, confirmant que Camille Leboulanger est un auteur à suivre, quel que soit le genre qu’il aborde.

L'Insondable Profondeur de la solitude

Malgré quelques heureuses initiatives ici ou là, les recueils de nouvelles de science-fiction demeurent une denrée rare en France. Autant dire que les chances de voir paraître chez un grand éditeur le premier recueil d’une écrivaine chinoise à peine trentenaire frôlent le zéro absolu. C’est pourtant ce qui vient d’arriver au Fleuve, qui publie L’Insondable profondeur de la solitude de Hao Jingfang. Le fait que l’un des textes figurant au sommaire, « Pékin origami », ait obtenu le prix Hugo 2016 de la meilleure novelette, n’est sans doute pas tout à fait étranger à cette décision, mais de là à considérer cette récompense comme un argument commercial de poids…

Le texte en question (qui figurait déjà au sommaire de l’anthologie Utopiales 2017) est effectivement le meilleur du recueil. L’auteure y décrit un lieu étrange qui voit trois villes coexister dans le même espace et se succéder à intervalle régulier sur une période de 48 heures. Une minorité de nantis vit confortablement dans la première d’entre elles pendant 24 heures d’affilée, avant que ses bâtiments ne se replient sur eux-mêmes et ne cèdent la place à la ville des classes moyennes pour une durée un peu plus courte. La majorité de la population doit quant à elle se contenter d’une vie aussi inconfortable que brève — huit heures en nocturne tous les deux jours – dans le troisième espace. C’est là que vit Lao Dao, modeste employé d’un centre de traitement des déchets, dont la vie va basculer lorsqu’il découvre qu’il est possible de passer d’une ville à l’autre. Une pratique aussi dangereuse qu’interdite, mais qui peut rapporter gros. Hao Jingfang signe ici un texte joliment inventif, très visuel, et d’une indéniable pertinence dans sa description d’une société dont l’ascenseur social est en panne. Le recueil s’ouvre donc sur une très bonne note. La suite n’est malheureusement pas au niveau.

Dans sa préface d’une grande humilité, Hao Jingfang reconnait ne pas beaucoup se préoccuper de ses intrigues. C’est vrai, mais ce n’est malheureusement pas le seul de ses défauts, ni même le moindre . En premier lieu, les idées de science-fiction qu’elle développe dans ses récits, à l’exception notable de «  Pékin origami », sont pour la plupart d’une grande banalité et plus souvent encore restent à l’état d’ébauche. C’est le cas de « La Chambre des malades », dans laquelle des patients sont soignés grâce à leurs interactions avec un réseau social virtuel, ou de « Le Dernier des braves », qui s’interroge maladroitement sur les notions d’héritage et de transmission du savoir à travers le destin de deux clones. D’autres récits font appel à un imaginaire totalement désuet aujourd’hui, notamment ceux mettant en scène une invasion extraterrestre (« Au Centre de la prospérité », « Le Chant des cordes » et « Le Théâtre de l’univers »), même si, dans le domaine, la palme revient à « L’Envol de Cérès » et sa colonie aux allures de village campagnard d’antan.

De manière plus générale, les nouvelles de Hao Jingfang souffrent d’une écriture désespérément plate (la responsabilité de ce problème ne me semble pas incomber au traducteur), ses récits manquent cruellement de chair, d’aspérités, ses personnages passent leur temps à geindre et à se plaindre de leur triste sort, et les intrigues se préoc-cupent davantage de répondre à leurs mesquines attentes qu’à mettre en lumière les particularités des mondes dans lesquels ils évoluent.

Au mieux pourrait-on encore sauver « Le Palais Epang », nouvelle relevant plutôt de la fantasy , qui met en scène Qin Shi Huang, premier empereur de Chine, plus de deux mille ans après sa mort. Deux nouvelles sur onze (et non douze , comme l’annonce la quatrième de couverture), le bilan est mince.

Le Gambit du renard

2018 aura été une année de transition pour la collection « Lunes d’encre », avec l’arrivée aux manettes de Pascal Godbillon et celle de nouveaux auteurs. Ainsi, après Adrian Tchaikovsly, Annalee Lewitz et Peter Cawdron, c’est au tour de l’Américain Yoon Ha Lee de faire son entrée avec Le Gambit du renard, premier roman et premier volet d’une trilogie (ce que n’a pas jugé utile de préciser l’éditeur).

Si on se fie à son intrigue, on serait tenté de classer ce roman dans la catégorie des space opera militaristes. De fait, après une première bataille meurtrière en guise de prologue, on enchaîne presque immédiatement avec une seconde, qui va s’étendre sur près de 300 pages. Rien de neuf dans les tranchées, en apparence. Et pourtant, on conseillera aux fans de Jack Campbell et David Weber de n’aborder ce livre qu’avec la plus extrême prudence, tant les risques d’AVC sont élevés.

Certes, le contexte est classique, celui d’une société belliqueuse, l’Hexarcat, en conflit permanent aux quatre coins de la galaxie, à la fois pour étendre son territoire et pour mater la moindre velléité de sédition. Dans le cas qui nous intéresse ici, la menace se nomme la Forteresse des Aiguilles Diffuses, une station spatiale dont la localisation constitue un danger critique pour le pouvoir en place si elle menait à bien ses projets de sécession. Pour l’en empêcher, l’Hexarcat envoie sur place une jeune officier aux méthodes peu orthodoxes, Kel Cheris, laquelle se voit contrainte de cohabiter au sein de son esprit avec Shuos Jedao, le fantôme d’un général aussi brillant que fou, mort quatre siècles plus tôt.

La situation de l’héroïne n’est pas la moindre des étrangetés de ce récit. Ainsi, les armes utilisées lors des nombreux affrontements auxquels on assiste n’obéissent guère aux lois de la physique. À ceci, une explication simple : dans cet univers, ces dernières ne sont qu’une variable qu’il est possible d’ajuster à grands renforts de mathématiques, de rites sociaux et de croyances, auxquels il convient d’ajouter une pincée de sacrifices humains. À ce niveau d’abstraction dans les progrès scientifiques atteints par cette civilisation, on pourra au choix classer Le Gambit du renard dans la hard science ou dans la space fantasy.

C’est dans ce domaine que Yoon Ha Lee excelle. La société qu’il met en scène est d’une complexité stupéfiante, et repose sur des codes à la fois précis, rigides et singuliers, quel que soit le domaine abordé, de la manière de tuer son prochain à celle de bien se tenir à table. Et le romancier a choisi de pousser son lecteur dans le grand bain sans lui fournir grand-chose à quoi se raccrocher… Soyons honnête : dans les premiers chapitres, on n’est jamais très loin de la noyade. Pourtant, au fil des pages, l’univers qu’il décrit fait progressivement sens, le flot d’informations continu auquel il nous soumet vient enrichir la compréhension que l’on acquiert petit à petit de cette société, aussi éloignée de la nôtre soit-elle. Rares sont les romans de SF à ce point immersifs dans un monde qui nous est étranger à tous points de vue.

Ceci dit, Le Gambit du renard reste en premier lieu une histoire de bataille spatiale. Il y a une dichotomie assez gênante entre l’intrigue, pour le moins basique, et la complexité de l’univers dans laquelle elle se déploie. À n’adopter que le point de vue des militaires qu’il met en scène, Yoon Ha Lee ne donne à voir qu’une vision parcellaire, et par là même frustrante du reste de cette société. En outre, le duo formé par Kel Cheris et Shuos Jedao est trop déséquilibré pour bien fonctionner : lui est un personnage complexe, à la fois héros et traître à sa patrie, aux motivations obscures et au parcours riche en péripéties, tandis qu’elle n’est guère plus qu’un réceptacle.

Ces défauts donnent parfois le sentiment que le roman se résume à un exercice de style, brillant, certes, mais un peu vain. Il n’en est pas moins vrai qu’on le referme avec l’envie chevillée au corps d’en lire la suite dans les meilleurs délais.

Les Portes de la maison des morts

Très vite, après Les Jardins de la Lune, les éditions Leha poursuivent «  Le Livre des Martyrs » avec ce copieux deuxième volume — mais peut-être auraient-elles dû prendre davantage de temps ? Car, à vouloir précipiter les choses, elles ont accouché d’un pavé proprement illisible… du fait d’une traduction catastrophique.

Nous y reviendrons, croyez-le bien, car ce sera là le point central du présent papier – le chroniqueur devant ici faire un aveu rarissime : il a jeté l’éponge à la page 380 ; plus rien, à ce stade, ne pouvait sauver le livre…

Quelques mots tout de même quant à l’histoire – ce qui n’est pas évident : l’auteur, décidément, ne prend pas le lecteur par la main, et l’immerge sans plus attendre dans un univers très complexe. En outre, Les Portes de la Maison des Morts n’est pas tout à fait une « suite » du tome 1 (ce qui serait plutôt l’objet du tome 3 à venir) : si l’on en retrouve quelques personnages, des « Brûleurs de ponts » désormais considérés comme des traîtres à l’empire malazéen, l’action prend place sur un autre continent, Sept-Cités, avec quantité de nouveaux « héros  ». Là-bas, la révolte gronde, sous la forme d’une antique prophétie apocalyptique appelée à se réaliser sous peu : le Tourbillon balaiera les envahisseurs malazéens, quitte à emporter tout un monde avec lui. Mais Steven Erikson ne saurait s’en tenir à ce vaste tableau d’ensemble, et met régulièrement l’accent sur des trames plus resserrées, comme l’emprisonnement, puis l’évasion rocambolesque d’un trio de personnages bigarrés incluant Félisine, la propre sœur adolescente de l’Adjointe Tavore, ou la quête hermétique de deux vagabonds hors-normes dans un monde magique où les Garennes antiques paraissent plus que jamais porteuses de menaces oubliées, tandis que des changeformes à demi fous répondent à un mystérieux appel…

La trame est complexe, oui — et on y devine une certaine grandeur, propre à cet univers de fantasy épique très coloré, où les dieux et la magie relèvent du quoti-dien. La retraite façon « Longue Marche » de Coltaine est typique de cette démesure fascinante, et devrait à elle seule constituer un monument du genre, mais le lecteur devrait aussi apprécier, outre les plans tortueux et fous des « Brûleurs de ponts », l’alliance contrainte des prisonniers des mines d’otataral, ou le caractère subtilement non humain de Mappo et Icarium.

Mais non… Parce que, en l’état, ce livre est proprement illisible. En effet, à Emmanuel Chastellière, traducteur du premier tome, succède ici Nicolas Merrien, qui a porté le projet de cette édition, les deux traducteurs alternant les volumes ; hélas, si son enthousiasme est admirable en tous points, et si ce projet éditorial avait tout pour allécher, sa compétence en tant que traducteur est au mieux douteuse – mais il serait sans doute bien injuste de lui faire porter tout le blâme, tant, à ce stade, c’est bien d’un problème d’édition qu’il s’agit.

Tout y est : faux amis, anglicismes (passons sur les « yep », c’est plus difficile pour les « marines », mais « impacter » est rédhibitoire), calques, confusions, répétitions (dont de nombreux visages qu’on dévisage et lignes qu’on aligne), lexique inapproprié (car tordu, souvent : « stuporeuse », « dessicative », « trémuler », quand un vocabulaire plus simple aurait été bien plus pertinent  ; mais on trouve aussi des emplois malvenus de mots plus banals, comme « désinvestir » ou encore « contention » ; sans parler des tournures tristement récurrentes : « trahir » quelque chose ou « témoigner de » quelque chose, dans le sens de révéler, ou « donner voix à… », systématiquement mal employées), ruptures de ton, grammaire acrobatique, orthographe malmenée (coquilles ou pas : « tache » est à peu près systématiquement écrit « tâche », etc.) — autant de fautes, de traduction ou parfois même de français (dont au moins un magnifique « malgré que »), qui plombent le texte à absolument chaque page, et produisent une même impression globale de lourdeur propre à faire saigner les yeux et les oreilles. D’où des abominations comme « l’eau alourdie de sédiments se soulevait en de turgides tuméfactions qui semblaient réticentes à aller où que ce soit  », ou encore « le tambour résonnait, répondant au tonnerre sus-jacent en témoignant d’une patience mesurée et impavide », sans même parler de « va-t-on devoir pénétrer cette profusion humaine ». Et, quand le texte anglais se montre délibérément un peu obscur, lors de scènes « bizarres », cela débouche sur des… trucs parfaitement imbitables (« La clairière fut en proie à une violence crispée, promesse d’une certitude qui s’annonça par l’effondrement soudain des branches couvertes de mousse . »).

Le lecteur veut bien faire quelques efforts, car il sent, derrière cette façade peu ragoutante, un roman de fantasy ambitieux et qui en vaut la peine. Mais chaque page est plus pénible que la précédente, et les illusions s’effondrent avant l’heure. Une énorme frustration, en somme. Tant on voulait y croire, à cette édition – mais on n’ose plus, après s’être infligé un peu moins de la moitié de ce deuxième tome. Encore raté…

Population 48

Troisième roman d’Adam Sternbergh, Population : 48 est situé par son éditeur « quelque part entre Tarantino et La Quatrième Dimension » — ce qui laisse de la marge. On s’étonnera, à ce compte-là, qu’il n’ait pas osé « Et si Kafka avait écrit un thriller ? », tant la situation absurde des protagonistes du roman aurait pu y faire songer.

En effet, dans la (très) petite ville de Caesura, Texas, tous les habitants ont vu leur mémoire effacée « pour leur bien », dans le cadre d’une sorte de programme expérimental de protection des témoins. Nombre des habitants sont probablement des criminels, et de la pire espèce, qui ont évité la prison en balançant leurs semblables ; il n’est pas tout à fait exclu que certains d’entre eux soient des innocents — victimes qui, dans le monde extérieur, seraient aussitôt massacrées par la pègre ; aussi « Blind Town » est-elle coupée du monde : pas de contact, pas de sorties. Mais le problème, c’est que du fait de cette amnésie contrôlée, rançon de leur « liberté », les habitants de Caesura ignorent ce qu’ils ont fait pour arriver là — beaucoup se bercent de la conviction de leur innocence, mais le doute demeure toujours… Jusqu’au « shérif » de la ville, Calvin Cooper, qui est dans le même cas que ses « administrés ».

En huit années de programme, il ne s’est pas passé grand-chose à Caesura. Jusqu’à un suicide récent, suivi d’un meurtre manifeste – et par arme à feu dans les deux cas, ce qui n’aurait jamais dû être possible. Il faut enquêter, et remuer la vase – des souvenirs pénibles pourraient bien remonter à la surface…

Le sujet est bon, l’ambiance intéressante, e il y a assurément de quoi en tirer des choses profondes et stimulantes. À ceci près qu’Adam Sternbergh n’est pas Kafka, et n’a jamais eu l’intention de l’être : ce postulat très riche (et absurde) n’est jamais autre chose que ce qu’il est – un postulat, un point de départ. L’auteur en extrait un thriller efficace, même si passablement mécanique : on tourne les pages, ça fonctionne bien, mais il ne faut pas en attendre davantage. En définitive, Population : 48 ne va jamais au bout de son sujet, et écarte la réflexion très vite pour se contenter d’aligner les twists avec la régularité d’une mitrailleuse. Ce qui suffit à en faire un divertissement correct, encore que la fin du roman, avec ses révélations en pagaille, tienne de la mauvaise blague un peu navrante — est-ce là le côté « drôle » dont parle la quatrième de couverture ?

Ça fonctionne, oui… mais mécaniquement. Et du coup ça ne convainc jamais totalement. Dès l’instant où Adam Sternbergh affiche son orientation thriller, la perception du postulat change chez le lecteur : ce qui pouvait se permettre d’être absurde commence dès lors à manquer de consistance et de crédibilité. Au fond, on se rend compte bien vite que ça ne tient pas la route : rien, dans cette expérience, ne parait plausible. Ça n’était pas gênant au départ, mais au fur et à mesure que les « révélations » s’enchaînent, dans plusieurs trames parallèles dont un certain nombre des plus superflues, le scepticisme croît… jusqu’au rejet (ou, au mieux, disons l’indifférence).

Pourtant, Population : 48 se lit non sans un certain plaisir, on tourne les pages sans y penser. Cela doit tenir à une certaine science de l’auteur, dans la caractérisation des personnages, notamment, et l’ambiance – sans oublier quelques dialogues et, oui, mettons, un twist ici, un autre là.

Rien de bien renversant, juste un divertissement correct – on hésite à employer le qualificatif « honnête »… et on regrette un certain manque d’ambition, peut-être.

Eymerich ressuscité

L’Évangile selon Eymerich, dixième volume de la série de Valerio Evangelisti, était supposé être le dernier. Mais l’auteur y est revenu, sept ans plus tard, avec ce roman ironiquement intitulé Eymerich ressuscité. Les habitués y renoueront avec tout ce qui constitue le sel de cette série – au point, à vrai dire, où cela fait tout de même quelques tomes qu’on est tenté de parler de « formule ». L’inquisiteur aragonais se retrouve à nouveau au cœur d’une étrange intrigue, un policier historique imprégné de thriller ésotérique que des ramifications contemporaines et futuristes éclairent (?) aux lumières de la science et (surtout) de la pseudoscience. Car, selon une mécanique éprouvée, si le cœur du roman met en scène Eymerich en son temps, des interludes réguliers plongent le lecteur dans un inquiétant futur proche, mais aussi un avenir plus lointain et insaisissable.

En 1374, essentiellement dans le sud de la France, Nicolas Eymerich n’est que trop heureux d’obtenir du pape d’enquêter sur un de ses compatriotes, le sulfureux Francesc Roma. On ne sait trop s’il est mort ou vivant, mais il paraît susciter par sa seule présence, dans les lieux où il se rend inopinément, des incendies que rien n’explique (sinon l’intervention démoniaque). Associé à son vieil ami, le père Jacinto, Eymerich arpente une région en proie à des troubles aussi bien politiques que religieux – le fanatisme d’un autre inquisiteur, le franciscain Borrel, qui voit des vaudois partout, ne lui facilitant pas la tâche. Or ce n’est pas un hasard si Roma parcourt ces lieux : une Église alternative, imprégnée des doctrines étranges de l’Orient, y pervertit sournoisement la notion même de résurrection… Et Eymerich, pour dénouer l’affaire, aura besoin d’alliés – aussi bien de cyniques seigneurs locaux, que ces cagots qui se lient à lui pour la raison presque navrante qu’il les méprise un peu moins que les autres.

Dans un futur proche, le savant hétérodoxe Marcus Frullifer, connu depuis le premier tome, est libéré de la RACHE par des scientifiques jésuites américains basés à l’observatoire Lucifer. Le vieux bouc un peu risible a des théories curieuses, qui fascinent et perturbent son très secret auditoire.

Enfin, dans un avenir plus lointain, un sage et ses disciples, sur la Lune, s’entretiennent de la vie et de la foi — livrant les fragments d’un véritable évangile…

Oui, la « formule Eymerich » est là – dans un onzième roman qui ne révolutionne absolument rien. D’ailleurs, les défauts de la série ne manquent pas à l’appel – notamment une tendance à user des archétypes de manière un peu trop caricaturale. Cela dit, dès l’instant ou l’on est prêt à tolérer une certaine dose de gloubi-boulga pseudo-scientifique, ce onzième volume est de ceux dont la structure temporelle complexe est pertinente, les trois époques se répondant véritablement. L’atout essentiel demeure le personnage d’Eymerich, un salaud que l’on ne peut qu’admirer pour sa science et sa ruse – au point où l’on tremble pour lui quand il tombe entre les mains de ses (nombreux) ennemis. Par ailleurs, au nombre des points positifs d’Eymerich ressuscité, on accordera une place particulière au thème rare des cagots, très bienvenu. Et tout cela se lit avec aisance, comme d’habitude.

En somme, un nouvel Eymerich – que les fans apprécieront comme tel. Ni plus, ni moins.

La Confession d'une âme fausse

Ilarie Voronca était une des figures de la communauté des artistes et intellectuels roumains exilés à Paris durant l’entre-deux-guerres – avec Eugène Ionesco, Tristan Tzara, Constantin Brancusi parmi tant d’autres. Voronca, poète avant tout, était associé aux avant-gardes artistiques, de ses compatriotes et au-delà, mais il a aussi composé des récits en prose, assez tardivement.

L’Éveilleur, au travers de ce petit volume, par ailleurs abondamment illustré de photographies et dessins d’époque du plus bel effet, en réédite pour la première fois trois exemples datés de 1942 : La Confession d’une âme fausse, donc, présenté comme un « court roman » (mais bon nombre de nouvelles publiées dans Bifrost s’avèrent plus longues), et deux très brefs contes en toute fin de volume, « Un peu d’ordre » et « Ma Chambre ».

L’auteur, dans sa langue d’adoption qu’est le français (et il a assurément une belle plume), y déploie un imaginaire oscillant entre fantastique, symbolisme, surréalisme, absurde, dada et toutes ces sortes de choses, pour un résultat finalement singulier, même s’il ne manque pas d’évoquer, comme l’avance l’éditeur, un Kafka (c’est tout particulièrement sensible dans «  Un peu d’ordre », avec son employé de bureau) ou encore un Boulgakov.

Dans La Confession d’une âme fausse, le narrateur, fatigué de son âme trop usée, consulte un chirurgien en mesure de la remplacer par une autre – celle d’un soldat tombé au front, et ce monde n’en manque pas, qui en est venu à compartimenter le temps en fonction des rares périodes de paix. Mais la cohabitation se passe mal : l’âme du soldat, déçue de son sort et de son recyclage, frustrée dans ses amours aussi, perturbe le quotidien mensonger du narrateur ; pas si mauvais bougre, ce dernier entend ramener cette âme à la paix pour qu’elle devienne bel et bien la sienne, à moins de trouver à procéder à un autre échange – ce qui implique tout d’abord une petite enquête afin de retrouver l’être aimé.

Ce très, très court « roman » ne manque pas d’atouts, parmi lesquels, outre une plume assez habile, on comptera au premier chef cette atmosphère d’étrangeté si caractéristique, qui se teinte d’un vague humour absurde renforçant la parenté avec Kafka, encore qu’il se double souvent ici d’une satire mordante, moins coutumière de l’écrivain tchèque. L’idée est belle, et produit de belles scènes, non exemptes d’une certaine mélancolie douce.

Ceci étant, la dimension proprement narrative de ce récit, l’œuvre d’un poète, et compagnon de route de l’avant-garde, accuse peut-être certaines limites, notamment en ce que le texte peut se montrer décousu, à mesure que l’on progresse : si la « poule noire » offre une digression étonnante, elle se rattache pleinement à l’histoire, et le chapitre du « photographe » ensuite raccroche les wagons ; on n’en dira peut-être pas autant de cet « éloge de l’ail » qui constitue l’intégralité du chapitre neuf, le huitième ayant déjà bifurqué vers les considérations culinaires – l’humour persiste, mais le traitement a quelque chose d’un peu trop désinvolte peut-être, dans son ambition de différence. Cela reste une lecture agréable et qui a beaucoup à offrir.

Des deux contes qui suivent, « Un peu d’ordre » est le plus séduisant – scène de bureau fantasmée, riche d’effets absurdes, d’une symbolique évidente mais pas moins juste. « Ma chambre » tient davantage du poème en prose, tout en images enchantées.

L’ensemble constitue un beau petit livre, et, sans aller jusqu’aux louanges superlatifs, on peut bien remercier L’Éveilleur pour cette redécouverte incongrue et d’autant plus séduisante.

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