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Les Domaines de Koryphon

Koryphon abrite deux peuples extraterrestres cruels et barbares — les erjins et les morphotes —, ainsi que des populations humaines issues de deux vagues de colonisation à plusieurs siècles d'intervalle. Derniers arrivés, les outkers sont les maîtres de vastes domaines sur le continent d'Uaia. Ces grands propriétaires traitent les autres occupants de leurs terres, aussi bien humains qu'extraterrestres, comme des créatures inférieures, et se montrent naturellement hostiles à tout changement. Mais un mouvement indépendantiste est apparu chez les Uldras, descendants des premiers colons humains, mené par le Prince Gris, un Uldra qui a grandi chez les outkers, dont la domination est désormais menacée.

Sur cette base, Vance greffe une intrigue sans guère de relief, simple démarquage d'une certaine thématique coloniale, n'hésitant pas à employer — et ce, jusqu'à la lie — le cliché du serviteur élevé avec les enfants de ses maîtres qui devient par la suite leader révolutionnaire. Cela dit, si l'on veut bien passer sur cet aspect, le roman est agréable, distrayant et plutôt imaginatif. Paysages et coutumes valent comme toujours le détour, avec un bonus pour le passage chez les coureurs de vents. On peut néanmoins se demander que penser de la manière dont le conflit se trouve résolu en fin de compte. L'idée que, « sauf dans certains cas isolés, les titres [de propriété] de chaque terre ont pour origine un acte de violence, plus ou moins lointain », et qu'il s'agit d'une leçon que nous donne l'histoire, quoique typiquement vancéenne dans son pessimisme, montre bien les limites de la réflexion politique de l'auteur : sur ce plan, le roman est loin de rivaliser avec, par exemple, Ce monde est nôtre, de Francis Carsac, qui présente une situation analogue. Mais il est vrai que Carsac — malgré ses dénégations — s'est apparemment inspiré de l'Algérie coloniale, tandis que Vance lorgne plutôt du côté de l'Afrique du Sud ou de la Rhodésie.

Croisades

Concocté par le maître d'œuvre du présent Bifrost, Croisades présente quatre novellas — trois rééditions de textes traduits chez nous dans les années 70 et un inédit. Le volume s'ouvre sur un récit tout à fait atypique de Jack Vance, « La Grande Bamboche » (1973), une histoire d'univers parallèles ambitieuse mais desservie par une certaine confusion — peut-être était-ce inhérent au thème — , et à laquelle il manque sans doute une véritable chute pour entraîner l'adhésion du lecteur. Un récit vraiment curieux, qui en surprendra plus d'un. Avec « Les œuvres de Dodkin » (1958), c'est plutôt du côté de Kafka que lorgne Vance lorsqu'il décrit un monde futur stratifié et bureaucratique, où l'absurdité règne en maîtresse. Parti à la recherche de l'origine d'une directive qu'il juge stupide — et le lecteur avec lui — , un personnage plus ou moins individualiste et asocial appartenant à l'une des couches les plus basses de cette société va non seulement découvrir certains vices et subtilités du système, mais aussi et surtout y trouver enfin sa place lors d'une excellente chute finale. Ironique, sarcastique et diaboliquement efficace, c'est à mon goût le meilleur texte du recueil. « Les faiseurs de miracles » (1958) décrit l'un de ces mondes coloniaux que Vance affectionne. Cette fois, tout repose sur l'affrontement en diverses factions constituées des descendants d'armées venues s'échouer des siècles plus tôt sur une planète dont les nouveaux venus ont repoussé les autochtones dans les forêts. De belles scènes de bataille servies par un humour grinçant, un peuple extraterrestre à l'esprit bien tordu comme il faut, une savoureuse inversion des valeurs entre la science et la magie, le tout conduisant à un retournement final tout à fait réjouissant. Du pur bonheur. Quant à l'inédit, « Les maîtres de Maxus » (1951), il traite d'esclavage et de vengeance, deux thèmes qui reviendront souvent dans les œuvres ultérieures de Vance, préfigurant plus ou moins la Geste des Princes-démons ou les Chroniques de Durdane. On y trouve aussi un de ces portraits de cynique absolu comme Vance sait si bien les dessiner. Bien qu'il soit le plus ancien du volume et que sa narration soit un peu légère — notamment dans la description des cultures rencontrées, souvent fragmentaire — , voilà un texte qui n'a pas pris une ride. Et c'est d'ailleurs le compliment que l'on peut faire à l'ensemble de cet excellent recueil.

Les Langages de Pao

Une planète exotique, de méchants envahisseurs, un jeune garçon dépossédé de son trône par un vil usurpateur — son oncle, évidemment — puis éduqué par un puissant guerrier en attendant l'heure de la revanche : peut-on imaginer un space opera plus conventionnel ? Mais Vance est un maître et s'il utilise cette trame éculée, c'est pour faire de la linguistique le thème central de son roman. Partant de l'hypothèse que le langage contrôle le fonctionnement de la pensée et donc les agissements de l'homme, il pose directement la question suivante : « est-ce la langue ou le comportement qui passe en premier ? » (p.67)

Pour illustrer sa réflexion, Vance nous invite sur Pao, une planète surpeuplée dont les quinze milliards d'habitants sont d'une homogénéité absolue, tous aussi « sains d'esprits » qu'insensibles à la souffrance humaine en raison d'une « compréhension intuitive du destin ». Témoin de ce fatalisme et de cette incapacité à se rebeller, la langue paonaise est passive et dépourvue de passion, ce qui empêche les paonais d'être des commerçants efficaces, des ingénieurs inventifs ou des combattants capables de s'opposer à l'invasion des Brumbos de Batmarsh.

Face à ces derniers, les paonais demanderont donc l'aide de Palafox, un « sorcier » de la planète Breakness, issu d'une société masculine de cyborgs surpuissants dont la longévité est si grande qu'ils finissent tous mégalomanes. L'individualisme y est la valeur dominante, au point que les mots « coopération », « loyauté » ou « confiance » n'existent pas ; au point que la langue de Breakness est « unique en ce qu'elle [dérive] entièrement de l'individu qui la [manie] » ; au point que « le Moi étant la base d'expression implicite, le pronom « Je » [est] inutile. »

La solution proposée par Palafox sera de modifier la seule langue de Pao, ou plus exactement de créer trois nouveaux langages artificiels, susceptibles d'influencer la personnalité des enfants dès leur plus jeune âge : le vaillant pour les militaires, le cogitant pour les commerçants et le technicant pour les industriels. En quelque sorte, Vance revisite le mythe de la tour de Babel, mais ici la diversification des langages est initialement évaluée comme un enrichissement, comme une force, comme une adaptation nécessaire à la survie. En même temps, cette division peut évidemment être source d'incompréhension et de conflits. Du coup, la complexité des buts et des moyens font que le résultat est très incertain. Loin de contrôler parfaitement la situation, les sorciers de Breakness sont des manipulateurs égoïstes dont les motivations ne sont pas claires, même pour eux-mêmes : ils déplacent parfois des pions au hasard et leurs alliances peuvent varier au gré de leur intuition. Bref, ce sont des personnages compliqués à saisir, bien loin des archétypes manichéens habituels : une nouvelle preuve du talent de Vance, toujours capable de détourner et d'enrichir des intrigues apparemment banales.

Le propos est donc à la fois intelligent et habile, jamais pesant ni prétentieux, toujours distrayant et coloré — la marque de fabrique de Vance. Pourtant, la démonstration atteint ses limites quand il serait nécessaire de faire « ressentir » les nuances des langages plutôt que les expliciter. Et pour cause : dès le chapitre deux, une longue note expose l'impossibilité pour l'auteur de bien traduire les différences fondamentales entre deux langues dans celle du lecteur. On aimerait mieux appréhender les subtilités du parler des Mercantils, mieux saisir comment peut fonctionner celui des anarchistes fous de Vale — décrit comme « une improvisation personnelle, presque complètement dénuée de règles » — ainsi que les autres exemples linguistiques dont Vance émaille son récit.

Ce défaut formel ainsi que le caractère très anecdotique de l'intrigue principale empêchent sans doute Les Langages de Pao d'atteindre au statut de chef d'œuvre. Néanmoins, ce court roman est une œuvre exceptionnelle dans la SF par l'intelligence de son approche du thème linguistique. Il demeure donc une référence incontournable qui mérite de figurer dans toute bibliothèque idéale.

Un monde d'azur

Un océan. Immense, à perte de vue. Au milieu, quelques îles paradisiaques, peuplées d'hommes organisés en castes. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait le Roi Kragen. Cette énorme créature marine règne sur l'archipel par l'intermédiaire des Médiateurs, des hommes qui communiquent visiblement avec lui sans que l'on sache par quel truchement. En échange de sa protection contre les autres créatures marines (essentiellement des Kragens de taille plus modeste), les hommes le vénèrent et lui fournissent de quoi contenter sa faim dévorante d'éponges.

Le héros de ce roman, Sklar Hast, est le premier assistant du Maître Transmetteur — la caste qui permet aux îliens de rester en contact permanent les uns avec les autres. Personnage déchiré entre son envie de mettre fin à l'immobilisme de certains de ses proches et son respect des traditions, sa vie va basculer le jour où il comprend que l'Homme peut assurer tout seul sa sécurité et se défaire du joug du Roi Kragen. Dès lors, il n'aura de cesse de dynamiter les acquis de sa société, et sera prêt pour cela à semer le chaos. D'où émergera — il l'espère — un monde où lui et les siens pourront regarder les flots sans crainte.

Les ingrédients propres au dépaysement vancéen sont là : des îles idylliques, des créatures étranges (le Kragen, assez différent du monstre mythique kraken dont le nom s'inspire pourtant), une société très minutieusement créée, différente et crédible, dans sa technologie comme dans son organisation — qu'on imagine très ancienne. Quelques pages suffisent à Jack Vance pour nous la décrire, puis il plonge très rapidement ce système dans le chaos, à la suite de la tentative de Sklar de tuer un petit kragen. Dès lors, le rythme trépidant ne faiblira jamais, hormis lors d'assemblées qui sont autant de procès (tradition romanesque et filmique chère à l'Amérique). Du coup, une fois qu'on tient ce livre, on ne le lâche pas, d'autant plus qu'il est assez court (à peine deux cents pages). On regrettera peut-être la fin un peu précipitée — on aurait aimé une scène finale épique de lutte contre le Roi Kragen — mais on conseillera sans problème la lecture de ce récit d'aventures inventif, exemple éclatant — à tous les sens du terme — de ce que peut écrire Jack Vance au mieux de sa forme.

Space Opéra

Space opéra. Que l'amateur de batailles spatiales et autres starwarseries ne se laisse pas abuser par ce titre. En effet, ledit amateur serait ici bien avisé de passer son chemin, sur ce livre en particulier mais aussi, d'ailleurs, sur l'essentiel de l'œuvre de Vance… Point d'enjeux intergalactiques et autres empires malfaisants. Quoi, alors ? Une balade sur divers mondes au gré de la fantaisie d'une vieille dame fortunée, excentrique et amie des arts, réac' à ses heures, qui s'est piquée d'entreprendre une tournée interplanétaire au cours de laquelle elle entend bien apporter à ces pauvres extraterrestres incultes les bienfaits de la musique classique terrienne… Pour ce faire, elle n'hésitera pas à affréter un vaisseau spatial, le Phébus, et à réunir la fine fleur des musiciens et cantatrices de la vielle Terre. Vogue la galère : tout ce petit monde embarque pour un périple où, on l'a compris, les déconvenues cocasses promettent de se succéder…

Space opéra tient sans conteste une place mineure dans l'œuvre vancéenne. Si on ne s'y ennuie pas, l'action, linéaire mais soutenue par une série de frasques amusantes, et sous-tendue en arrière-plan par le problème de l'énigmatique Madoc Roswyn, manque néanmoins de punch. Tout comme l'essentiel des personnages, falots et pour beaucoup à peine esquissés. Difficile de ne pas achever le livre en se disant que Vance rate ici ce qu'il réussit dans Les baladins de la Planète Géante, avec un canevas de base en tous points identique. Sauf qu'un roman de Vance, même moyen, se situe au-dessus du tout-venant. On se gardera donc de jeter ce Space opéra à la corbeille. D'abord parce qu'on retrouve, et de jolie manière, la théorie de mondes et peuples étranges, hauts en couleurs, véritable marque de fabrique du créateur de Tschaï. On y retrouve aussi, et c'est toujours une réussite, l'un de ces duos vancéens savoureux, à savoir la vieille tante riche et parvenue nantie de son neveu vénal, feignant et volontiers couard… Comme de coutume, le neveu sortira grandi de cette histoire — qui, pour lui, prendra des allures d'initiation — et finalement fait homme, alors que la tante, personnage monolithique et immuable, n'aura en rien changé ses vues et habitudes. Le sujet aussi, moins anodin qu'il n'y paraît, mérite qu'on s'y attarde. Vance nous parle ici, en bon libertarien, de tolérance, d'acceptation de la diversité, de racisme, finalement.

Voici donc un livre mineur, inégal mais plaisant, assez représentatif d'une certaine « manière vancéenne », qu'on lira non parce qu'il s'agit d'un incontournable, mais pour passer quelques heures de détente — un roman semblable au livret d'un opéra-bouffe : vif et enjoué. Et bien sûr on y trouvera confirmé le goût de l'auteur pour la musique en général et le jazz en particulier, lui qui la pratiqua longtemps.

Planète géante

« La Planète Géante se situe au-delà de la frontière où s'applique la loi terrienne et a été colonisée par des groupes fuyant les contraintes ou résolus à vivre selon des principes dépourvus d'orthodoxie : non-conformistes, anarchistes, fugitifs, dissidents religieux, misanthropes, déviants, marginaux. L'immensité de la Planète Géante les a tous absorbés sans distinction. »

C'est donc dans ce cadre, cette Planète Géante dénuée de technologie qui n'est pas bien sûr sans rappeler l'Amérique des colons, des grands espaces, des libertés et de la loi du talion, un Far West magnifié, une utopie en quelque sorte, que Jack Vance nous entraîne, l'espace de deux romans, deux « road books » qui, une fois réunis, forment l'une de ses créations les plus attachantes, un cycle charnière où se retrouve synthétisé l'essentiel des caractéristiques des grands récits vancéens.

De fait, si La Planète Géante, prime volet du diptyque, est l'un des tout premiers romans de notre auteur, il est étonnant de constater combien il contient en germe ce qu'on retrouve aujourd'hui, cinquante ans plus tard, dans nombre des livres majeurs constitutifs de son œuvre. Et surtout, bien sûr, dans le cycle de Tschaï. On pourrait d'ailleurs aisément parler, à propos de La Planète Géante, d'un « proto-Tschaï », tant le canevas narratif des deux œuvres est semblable.

Le vaisseau d'une des rares ambassades terriennes, alors qu'il effectue sa mise en orbite autour de la Planète Géante, est victime d'un attentat. Les survivants, perdus dans l'immensité d'un monde qu'ils ne connaissent pas, devront parcourir par leurs propres moyens les 65 000 kilomètres qui les séparent de l'enclave terrienne. Autant dire qu'il y a du pain sur la planche… On l'a dit : nous sommes ici dans La Planète Géante, mais nous pourrions tout aussi bien nous trouver dans Le Chasch du cycle de Tschaï, qui ne paraîtra pourtant que quinze ans plus tard. Les procédés narratifs sont les mêmes, tout comme les thématiques : le voyage et ses motifs — aspect formateur, la découverte, l'improvisation, le choc des cultures, etc. —, la vengeance (même si elle est un moteur narratif plus prégnant dans Les Baladins…), le retour à l'état de nature, la colonisation bien sûr, une quasi constante chez Vance… Jusqu'au personnage principal, Claude Glystra, qui, avec sa volonté inflexible, ses capacités d'adaptation et son courage à toute épreuve, ne peut qu'évoquer Adam Reith, le héros de Tschaï. Ici, l'intrigue se résume à une succession de péripéties, au gré des rencontres, au gré des villes et cités, autant de prétextes pour finalement nous faire découvrir l'extraordinaire diversité de ce monde, cette Planète Géante fascinante, entité duale et monstrueuse, d'une formidable beauté mais d'une dangerosité permanente, véritable personnage central du livre. Un roman mineur, certes, mais plaisant.

Meilleur est malgré tout Les Baladins de la Planète Géante (plus de vingt ans séparent les deux livres). Meilleur parce que plus riche de détails croustillants, beaucoup plus drôle et nourri par des personnages hauts en couleurs. Et si, en fin de compte, le canevas d'intrigue de base reste sensiblement le même pour les deux histoires (il s'agit encore d'un long voyage, qui s'effectuera cette fois en bateau sur le fleuve Vissel), il n'est plus ici question de simple prétexte à la découverte d'un environnement exotique (même s'il l'est, et ô combien !).

Le roi du lointain Soyvanesse organise un concours théâtral doté d'un prix fabuleux : un château, un titre de noblesse, et suffisamment de fer (la monnaie d'échange de la Planète Géante, pauvre en minerais) pour s'assurer une vie paisible et opulente. Apollon Zamp, le capitaine de l'Enchantement de Miralda, un magnifique, formidable, exceptionnel ( !) bateau théâtre, décide de relever le défi… Mais pour cela, il lui faudra lutter contre les autres troupes d'acteurs et histrions, à commencer par celle que dirige le fourbe et impétueux Garth Ashgale, son rival de toujours… Et puis le voyage de Coble à Mornune est long, très long, et les rives de la Haute Vissel peu sûres… S'ensuivent des aventures échevelées et colorées ponctuées par les portraits des peuples et cultures formant la mosaïque qu'est la Planète Géante, et qu'on découvre au rythme des escales de l'Enchantement de Miralda dans son trajet vers l'amont, des arrêts dans des cités, villes et villages, où la troupe donne des représentations de Macbeth, de l'antique Terre, sous l'impulsion du nouvel associé de Zamp, le pingre Gassoon (on songe, évidemment, à Space Opera, antérieur aux Baladins et moins convaincant). Bref, on s'amuse et on rigole, comme dirait Spinrad ; on s'émerveille, surtout.

Jacques Chambon, dans la préface au Livre d'or qu'il lui a consacré (Pocket, 1980), dit de Vance qu'il « nous apparaît comme un penseur de mondes, un créateur de merveilles qui s'est fait une spécialité de donner consistance aux châteaux de nos rêves. » Ce cycle, appelé à reparaître au Bélial' en un fort volume, dans des traductions révisées et complétées, en fournit l'une des plus éclatantes confirmations.

Emphyrio

Ghyl Tarvoke habite avec son père à Ambroy, au pays de Fortinone, sur la planète Halma ; ils sont sculpteurs sur bois. Ambroy vit sous la férule des Seigneurs et du Service de Protection Sociale. Ses citoyens sont des bénéficiaires, à part quelques marginaux. À Ambroy, toute production en série est prohibée pour soi-disant préserver la plus haute qualité et les guildes qui gèrent cette production s'apparentent à des coopératives monopolistiques. Grâce à la Protection Sociale qui dispense ses crédits aux bénéficiaires en rétribution de leur activité, ceux-ci ne vivent pas dans la misère quoique chichement et une vie de labeur ne leur permettra pas le luxe d'un yacht spatial. Pour garantir le statu quo et l'orthodoxie, les inspecteurs de la Protection Sociale font figure de flics. Voilà pour le cadre.

La force de Vance est de n'en point trop faire. Le régime politique d'Ambroy est vu de l'intérieur, par monsieur tout le monde. Ce n'est pas une caricature. On comprend, à le voir fonctionner, que les gens le tolèrent. Entre propagande, contrôle social, corporatisme et compensations, beaucoup y trouvent leur compte. Le modèle est inspiré du soviétisme, mais non totalitaire. Il est ainsi possible d'être non-cop, c'est à dire hors système, sans être forcément hors-la-loi. Il en résulte que cette société qui a préservé la propriété privée est plus proche de l'idéal stakhanoviste que de la démotivation globale.

Ghyl Tarvoke, reprenant le nom du légendaire libérateur Emphyrio, causera la chute du système non pour son fonctionnement intrinsèque mais parce qu'il repose sur une escroquerie. Vance voulait dénoncer le système socialiste en soit, et non en brocardant ses dérives staliniennes. C'est parce qu'il est un idéaliste épris de liberté et du désir d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte que Ghyl Tarkove fera tomber le système en dénonçant l'arnaque sur laquelle il repose. Or, celle-ci n'a rien à voir avec le socialisme.

En fait, on a deux grilles de lecture possibles, Soit Vance, incapable de dénoncer l'idéal socialiste, recourt à un expédient pour boucler son intrigue, soit il est de mauvaise foi et justifie délibérément sa dénonciation du socialisme par des éléments qui lui sont extérieurs. La liberté n'en sort pas diminuée pour autant, au contraire : le déni de duperie lui est profitable. Il ressort du roman que le système était la dupe complice de l'escroquerie.

Le système tel que Vance l'a dépeint apparaît comme une version corporatiste de la social-démocratie et de l'état providence qui devrait la caractériser. Emphyrio date de 1969, soit bien avant la chute du mur de Berlin, et Vance ne pouvait tenir compte des évolutions que celle-ci a entraînées, en passant d'un régime où une large majorité trouvait son compte à un autre où une minorité peut s'offrir des yachts au détriment du plus grand nombre. En parfait arriviste, Ghyl Tarvoke aurait donc pu réussir dans Russie d'Eltsine…

Jusqu'à l'instant de rupture où il s'empare d'un vaisseau spatial, Tarvoke aura oscillé entre révolte et conformisme du fait de l'absence de conflit œdipien avec son père qui l'a laissé très libre durant son enfance au cours de laquelle il a acquis son goût pour la liberté.

On se souvient que Jack Vance fut des 72 auteurs à s'être prononcés en faveur de la poursuite de l'engagement américain au Viêtnam. Ce n'est pas la lecture d'Emphyrio qui démentira son statut d'auteur de droite. Cette prise de position a, en France, acquis davantage d'importance que le contenu politique des textes.

D'Etoiles, garde à vous ! (Starship Troopers) à Révolte sur la Lune en passant par le christique En terre étrangère, Heinlein est plus ambigu. Il n'y a pas de rupture entre ses trois textes ; ils ne sont pas contradictoires à condition de les placer dans la bonne perspective, une perspective libertaire qui convient également à Vance. Il faut bien sûr donner à ce terme le sens qu'il recouvre outre atlantique (libertarian) car, en France, il est quasiment synonyme d'anarchiste. Il faut se garder de cette confusion et prendre toute la mesure de ce qui sépare Bakounine de Thoreau. On définit parfois le courant libertaire, non sans ambiguïté, comme anarchisme de droite ou anarchisme positiviste. S'il n'ouvre en effet pas sur les tentations nihilistes et leurs dérives terroristes, il alimente par contre les discours capitalistes, impérialistes et néo-libéraux qui le galvaudent à l'envi. Pour qui, comme Vance, n'est pas aussi extrémiste que Thoreau, il existe un risque patent de laisser poindre derrière la liberté un idéal social darwiniste. Derrière le libertarisme se profile la figure du self-made man et des notions de frontière et de conquête, telle celle de l'Ouest. On est là au cœur d'une idéologie individualiste. Ne vaut que ce que l'on fait par soi-même — pas forcément seul comme Thoreau. Ni non violent ni pacifiste, l'individualisme libertarien devrait être fermé à l'exploitation prolétarienne ou esclavagiste et s'accommoder d'une nature humaine non conforme à l'idéal chrétien. Il refuse à l'état le monopole de la violence qui est l'autoroute pour le fascisme et revendique pour chacun le droit de se battre pour défendre sa liberté d'agir. Ce que fait Emphyrio, en émule de Soljenitsyne qui écrivait : « La liberté vaut que l'on se batte quotidiennement pour elle. » Comme toute idée politique, elle est susceptible de perversion et imprègne encore la société américaine alors qu'elle peut effrayer les citoyens bien policés d'Europe, surtout quand elle se voit convoquée pour parer de ses ors l'impérial capitalisme et son égotisme social darwiniste. Emphyrio est donc bien un roman politiquement engagé, à droite, mais résolument antifasciste. On appréhende dès lors mieux la position de Vance sur la guerre du Viêtnam, le communisme et toute forme d'idéologie socialiste, y compris celle, très light, de la social-démocratie, étant alors perçus comme attentatoires aux libertés individuelles. Or, tant chez Vance que chez Heinlein, elles sont ce qu'il y a de plus sacrés.

Emphyrio est un bon Vance. Toutes les qualités de l'auteur y fleurissent, bien que l'intérêt de l'action y soit secondaire ; les personnages, sommaires, sonnent pourtant juste. C'est le cadre social qui sert de moteur à un roman dont il ne faut pas négliger le background où s'inscrit sa dimension politique.

Papillon de lune

Je ne sais pas si vous vous êtes un jour demandé ce qui fait un bon anthologiste. Pour ma part, je crois avoir trouvé une réponse. Un bon anthologiste serait un individu qui arriverait à présenter ou à rendre compte d'un auteur ou d'une idée avec des textes qu'il aime en nous faisant croire que ce sont les seuls textes intéressants sur l'idée ou de l'auteur. Mais peut-être aussi n'est-ce simplement qu'un individu ayant du goût et des exigences de qualité — et on sait que Jacques Chambon en avait. Les Livre d'or me semblent, dans le genre exercice imposé, d'une grande difficulté — une fois passé la préface biobibliocritique — dans la mesure où, si l'auteur est renommé, trouver des textes remarquables peut être ardu. S'il est en revanche possible de disposer de bons textes sans mal, c'est peut-être que l'auteur ne mérite pas encore cette reconnaissance.

Pour Vance, l'exercice relevait d'une certaine difficulté. Chambon propose sept textes, contre une moyenne de dix environ dans cette série d'anthologies. Trois dépassent les cinquante pages… et occupent plus de la moitié du volume. Cela explique sans doute que sur ces trois textes, deux soient inédits — difficile de les caser en revue. On pourra diviser le sommaire en trois groupes répartis dans le temps : trois récits pour le début des années 50, deux pour résumer les années 60 et deux pour les années 70. « Comme par hasard », le recueil s'achève, selon moi, en apothéose après nous avoir offert un petit inventaire des « richesses » du monde de Vance. Inutile de traiter chaque nouvelle ; ce qu'il faut savoir, c'est la différence entre un bon café normal et un très bon express bien serré… Les ingrédients sont les mêmes, leurs proportions et l'intensité du goût changent. Est-ce que cette formule lapidaire peut définir la différence entre une nouvelle et un roman de Vance ? Je le crois ! Et dans ce sens, l'avantage est à la nouvelle. Si je considère « Papillon de lune », je découvre une société stratifiée et figée, un langage codé — genre Parapluies de Cherbourg —, des problèmes d'identité et d'apparence ,et un rapport à l'intelligence des personnages en quête. Sans parler de la référence directe et manifeste à la Geste des Princes-Démons, on retrouve là des, voire les constantes vancéennes. Pour bien vérifier la règle classique qui veut que les exceptions la confirment, on trouve dans « Alice et la cité » un personnage féminin riche et dense qui diffère des autres personnages féminins mais qui pourrait vivre sur Un monde d'azur. Si vous me lisez, vous devez avoir un aperçu récent de Vance ; remontez donc quelque trente ans en arrière pour le découvrir pleinement ou valider vos impressions.

Le Cycle de Tschai

L'édition du Club du Livre d'Anticipation portait en bandeau sur la jaquette de couverture « Le chef d'œuvre énorme de la science-fiction baroque », « une odyssée merveilleuse et terrifiante ! » ; les illustrations de Caza étaient « baroques » (dans la mesure où il usait de matériaux et techniques mixtes pour un même dessin) et bien datées du début des années 70. Jacques Chambon et Jean-Pierre Fontana signaient une longue préface bibliographique et critique, le même Jacques Chambon donnant plus tard un Livre d'or consacré à Vance. Au lieu de volumes séparés, la dernière édition en date est un énorme pavé qui regroupe les quatre épisodes de la série. (Heureuse et malheureuse initiative ; quatre en un, mais un bouquin lourd et fragile).

Une vedette d'exploration attaquée se pose en catastrophe sur la planète Tschaï. Adam Reith s'en tire, mais il est blessé et des indigènes s'emparent du véhicule. Adam se rétablit au sein de la communauté nomade des Kruthe où seuls ceux qui ont un emblème sont considérés. Il apprend la langue et le fait que la planète est « gouvernée » par quatre grandes « races » : les Chasch, les Dirdir, les Wankh et les Pnumes. Reith découvrira que chacune de ces ethnies a été importée de la Terre (ce qui justifie une foule de comportements).

Reith et le Kruthe qui l'a sauvé doivent fuir, ce dernier rompant ainsi avec ses traditions. Reith veut retrouver sa vedette. En chemin ils rencontrent un homme-Dirdir avec lequel ils vivront le reste de l'aventure avant d'intégrer à l'équipe une esclave des Pnumes. Après avoir cherché les moyens financiers de parvenir à leur fin et (dé)mystifié quelques puissants, l'équipe parviendra à repartir vers la Terre et l'histoire s'arrêtera là. Mais on aura compris que ce n'est pas cette arrivée au but, ce départ, enfin, vers Ithaque qui importe.

Si on considère le baroque comme la juxtaposition inattendue d'éléments disparates, il est indéniable que Tschaï relève du baroque. En effet, les quatre romans proposent des sociétés variées et, en leur sein, une infinité — ou presque — de personnalités et de comportements divers. Le tout est lié par la quête d'Adam Reith… qui forme une véritable Odyssée, proche à mon goût de celle de Lafferty — Les Chants de l'espace (Opta, « Galaxie bis »), qu'il serait bon de rééditer — , au moins par l'humour. On retrouve là l'ossature des grands Vance et l'impression que l'auteur travaille pour une agence de voyage ou rédige des comptes-rendus pour une autre « Planète fantôme » sous la responsabilité d'un ethno-sociologue.

La première question qui vient à l'esprit est la suivante : Vance se sert-il de ce qu'il connaît pour raconter ou raconte-t-il pour placer ses inventions ? Interrogation de pure forme, sans doute, eu égard au plaisir que procure la lecture, mais pas gratuite si l'on pense à toutes les inventions vancéennes. Je répondrai que l'Amérique depuis laquelle écrit Vance (son cadre habituel, même s'il rédigeait souvent ses textes lors de séjours à l'étranger) lui offre la multitude de comportements suffisante à détourner ou décaler. Mais, surtout, l'auteur doit fonctionner comme ses personnages et nécessiter un écran pour supporter la réalité. On notera à ce propos que l'humour et un certain détachement président aux aventures de Reith. Ce personnage n'est, à mon sens, aucunement crédible ou vraisemblable et cela n'a aucune importance : ce qui importe, c'est l'exotisme — des décors comme des individus — et le comportement iconoclaste, interventionniste du héros qui, une fois la surprise du dépaysement dépassée, impose son humanité aux autres qui ne demandaient rien et souvent ne savent que faire de leur liberté recouvrée. On remarquera que c'est toujours à cause d'une femme que les choses changent. Il me semble que l'on doit pouvoir trouver des traces de misogynie dans d'autres textes de Vance — l'écriture de Tschaï est antérieure au « Women's lib » — mais je pense que c'est une misogynie étatsunienne qui relève de l'éducation rooseveltienne, du bien-pensant (il n'est qu'à voir comment les relations de couple sont abordées). Dans le même temps, il me semble percevoir dans la dernière partie une forte condamnation de la pédophilie.

Voilà sans doute expliqué le baroque de Vance comme mélange des éléments protecteurs nécessaires à l'auteur et des obligations culturelles et sociales de son temps. Peut-être une manière insidieuse de se montrer critique.

Rhialto le merveilleux

[Critique commune à Un monde magique, Cugel l'astucieux, Cugel saga et Rhialto le Merveilleux.]

La Terre se meurt. Chaque matin, le soleil rouge peine à se lever sur un paysage érodé, sur des villes antiques, sur des peuples las. La technologie a disparu, sauf des chroniques, à moins que la magie ne constitue son ultime avatar.

Paru fin 1950 aux USA, Un Monde magique a tout de suite acquis un statut mythique. Damon Knight en avait publié un texte dans sa revue Worlds Beyond, où figurait une publicité pour le recueil, qui inaugurait une nouvelle collection. « « En vente dans votre kiosque », clamait la publicité en quatrième de couverture de Worlds Beyond, raconte Robert Silverberg, mais où était le livre ? […] Enfin, la dernière semaine de décembre ou juste après le Nouvel An, un ami m'en a donné un exemplaire acheté quelque part. On était au début de la guerre de Corée, en un hiver troublé où le papier manquait et les réseaux de distribution hoquetaient. […] Ce livret sur mauvais papier et sous une vilaine couverture est devenu dès lors une des raretés de la S.-F. américaine. Je l'ai couvé comme la prunelle de mes yeux ; je le couve encore. »1

On peut entamer une carrière livresque sous de meilleurs auspices. Mais Un Monde magique fera date. Ce portrait au fusain d'une planète à l'agonie, où des individus blasés font montre d'un cynisme de vieillard, échangent des propos aussi surannés que leur cadre de vie et vivent des aventures aux enjeux incertains, tranchait sur la production de l'époque. Celle-ci n'était pas forcément plus optimiste, l'horreur nazie, puis celle d'Hiroshima étant passées par là, mais elle était moins languide. En cinq nouvelles, Jack Vance entrouvrait la porte qui, quinze ans plus tard, à la parution américaine du Seigneur des anneaux, livrerait pleinement passage à la fantasy moderne. Quinze ans, c'est aussi le temps qu'allait attendre l'auteur pour renouer avec sa Terre mourante.

Après la tapisserie (effrangée ici et là) de ce premier livre, dont les personnages se croisent et se perdent, s'allient et s'affrontent au gré des nouvelles, c'est à une structure plus simple, héritée du roman picaresque, que Vance recourt pour Cugel l'astucieux. Parce que le sorcier Iucounu l'a surpris chez lui, il envoie son voleur, Cugel récupérer un objet magique, le second œil d'une paire qui permet de contempler le Monde supérieur. Pour s'assurer de sa collaboration, il lui implante une créature extraterrestre chargée de le maintenir dans le droit chemin. Transporté au loin, Cugel devra rentrer par ses propres moyens sa mission accomplie. Les circonstances feront qu'à la fin de son périple, il se retrouvera libre, mais dupé, et forcé d'accomplir le même trajet pour se venger…

Une fois encore, Vance va délaisser sa série durant quinze ans ou presque (trois textes sortent au cours des années 70).

Cugel saga reprend là où Cugel l'astucieux s'achevait, sur une plage déserte à l'autre bout du monde. Peu soucieux d'affronter les mêmes périls, notre antihéros choisit une autre route, mais vit plus de péripéties encore. Vance s'en donne à cœur joie dans un de ses meilleurs livres, parodiant plusieurs genres littéraires, en une suite de tableaux époustouflants de cultures iconoclastes. « Les colonnes » présente ainsi une métaphore assez critique de la course à la réussite sociale, tandis qu'« À bord de la Galante » bénéficie de l'expérience de l'auteur en mer, quoiqu'il paraisse douteux que Vance ait exercé l'activité prêtée à Cugel. Au terme de ses aventures, souvent tragiques en dépit du ton léger de l'ouvrage, notre voleur aura acquis quelque sagesse et même trahi quelques sentiments désintéressés (qu'il se reproche, bien sûr).

Après cette éclatante réussite, Rhialto le merveilleux pâlit quelque peu. Recueil de trois textes, dont « Fanhure », un pur régal, mêle enquête policière et voyages dans le temps autour de la disparition d'une charte (un thème repris dans Bonne vieille Terre), et dont « Morreion » nous emmène au bout de l'espace pour remettre en cause tout ce qu'on croyait savoir des protagonistes, le livre souffre de sa conception éclatée et laisse quelques personnages en plan. Plus coda qu'apogée, il conclut pourtant d'élégante manière cette série originale.

Notes :

1. « Jack Vance : The Eyes of the Otherworld and The Dying Earth », in Reflections & Refractions, Underwood Books, 1997.

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