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High-opp

Fond de tiroir ? Evidemment. « Demeuré inédit jusqu’à ce jour, refusé à l’époque et sans doute retrouvé dans les archives d’un agent littéraire », nous dit le quatrième de couverture ; le préfacier parle, lui, d’un roman perdu. High-Opp et une dizaine d’autres œuvres auraient ainsi pris le moisi durant plus d’un demi-siècle avant de refaire surface. On peut se demander pourquoi. Pourquoi ce roman n’a-t-il pas vu le jour durant les vingt années qui séparent Dune de la mort d’Herbert ? On ne peut que se perdre en conjectures d’autant que nul ne s’étend sur les conditions de cette résurgence inopinée.

A ses débuts, dans les années 50, Herbert ne publia qu’un unique roman (Le Dragon sous la mer), mais n’en continua pas moins d’écrire. High-Opp (Oh, le vilain titre !) date de la fin de ces années-là : après Le Dragon… et avant 1959, où il commença à rassembler du matériel en vue de Dune.

On ne peut que suivre Gérard Klein dans son éclairante postface (qu’on déconseille de lire avant le roman — ce n’est pas pour rien une postface). Klein voit sur High-Opp l’influence de trois écrivains majeurs de l’époque. Au premier chef : A. E. Van Vogt. Quant à la construction du récit, qu’il rapproche de celle du Monde des A. Mais aussi parce qu’il est question d’une « sémantique » qui n’est pas ce que l’on entend généralement par là, mais d’un corpus de techniques de propagande, et qui renverrait à la sémantique générale de Korzybski au cœur du roman de Van Vogt. Surtout, par la personnalité du héros, Daniel Movius, doué d’emblée mais se révélant hyperadapté aux circonstances ; il ne s’agit pas tant de pouvoirs surhumains que d’une capacité extrême d’homme providentiel à même de toujours fournir la réponse optimale à la situation. Autant d’éléments qui font penser à la programmation neurolinguistique (PNL) qui ne sera inventée qu’une vingtaine d’années plus tard par R. Bandler et J. Grinder et dont le fameux « la carte n’est pas le territoire » est la première présupposée. Movius apparaît comme l’archétype de la personne que la PNL se propose de modéliser en vue de la reproduction des compétences. La fin du roman d’Herbert explicite ce concept central de la PNL qui veut qu’un système (un individu, en somme) contienne en lui-même les ressources nécessaires au changement et à l’adaptation optimisée, et qu’il « suffit » de faire sauter les verrous que sont les croyances pour libérer ce potentiel. On voit là combien la PNL peut se rapprocher de la Dianétique. Mais elle n’est qu’un outil auquel Herbert ne voit pas du tout la même fonction.

Autre influence plausible, celle du cycle de « Fondation » d’Isaac Asimov, selon lequel les crises de civilisation sont prévisibles et remédiables. Pour Herbert, ces crises trouvent leurs origines dans la sclérose et le dévoiement des systèmes de pouvoir, surtout bureaucratiques, qui finissent par ne plus avoir d’autres fins que leur propre pérennité. La « fondation » selon Herbert, c’est le Bu-Sab (le bureau des sabotages dans Dosadi). Le concept était alors dans le Zeitgeist. On le retrouve chez Moorcock, notamment dans le cycle de « Jerry Cornelius », héros qui aurait pu être un agent du Bu-Sab, des « facteurs chaos » venant réintroduire de la fantaisie, de l’imprédictibilité dans les systèmes mortifères conduisant à l’accroissement de l’entropie, comme incarné par Miss Brunner ou, ici, Quillian London.

Enfin, Klein voit dans le modèle de société de High-Opp l’influence du Philip K. Dick de Loterie Solaire, où l’on percevait l’influence de Van Vogt sur ce premier roman de Dick qui influença Klein à son tour pour Le Sceptre du Hasard.

High-Opp contient en germe l’essentiel de la thématique qu’Herbert développera dans ses œuvres majeures ultérieures, dont le principal est la lutte contre la tyrannie, tout particulièrement bureaucratique. A l’instar des libertariens, Herbert se méfie des pouvoirs, mais ne suit pas ces derniers dans le primat qu’ils accordent à l’individu. Selon Klein, Herbert, écologiste avant l’heure, prête à l’espèce ses propres finalités, en premier lieu la survie, qui implique la préservation d’un milieu adéquat et une capacité d’adaptation. Herbert apparaît au final comme un darwinien doté d’une vision spéciste de l’évolution le conduisant à préférer des systèmes aristocratiques, plus à même de transmettre les valeurs nécessaires. Plus un individu a de devoir et plus il a de pouvoir pour les assumer. La valeur ne se mesurant plus dès lors à l’aune du pouvoir ou de la possession, mais à celle de son apport global à autrui, en favorisant une société changeante et variée.

High-Opp est peut-être resté au fond d’un tiroir parce que trop en avance sur son temps pour trouver preneur. C’est certes encore une œuvre de jeunesse, mais dont la lecture est aisée et agréable. Pour une surprise, c’est une bonne surprise !

La Lisière de Bohême

Longtemps chroniqueur au quotidien Le Monde en charge des littératures de l’Imaginaire, Jacques Baudou est bien connu des amateurs. Cette fois, il passe de l’autre côté et entre dans le domaine des créateurs. Avec ce court roman, il y réussit de bien brillante manière.

L’objet proposé par l’éditeur est plaisant, avec sa couverture cartonnée revêtue d’une jaquette à l’esthétique remarquable qui évoque le bois de Ryhope cher à Robert Holdstock, ou la forêt d’épines de La Belle au Bois Dormant, et dont le graphisme agrémente joliment les pages intérieures.

J’ai envie de dire que l’on sent la patte du critique dans une volonté de rechercher le zéro défaut. Nickel chrome sur toute la ligne. La Lisière de Bohême est un premier roman, certes, mais c’est le roman d’un lecteur très expérimenté. C’est aussi, à la manière de Morwenna de Jo Walton, un roman plein d’allusions et de citations à travers lesquelles Jacques Baudou rend hommage à toute une littérature qu’il adore.

Comme le titre n’en fait point mystère, La Lisière de Bohême est une fantasy sylvestre. C’est un roman paisible, tranquille. Loin des fureurs habituelles du registre — à moins qu’il ne s’agisse de fantastique, à la lisière des genres. L’explication finale de la coda se veut même SF. Si cette histoire de fantômes flirte avec les genres, elle est surtout proche d’une littérature blanche, intimiste et plutôt minimaliste. Baudou ne cesse d’y jongler avec des mises en abîmes et des récits enchâssés.

Nulle part en France, sur le cours de la Bleigne, dans la vaste forêt qui s’étend entre Ferventes et Sognes, l’écrivain à succès Roland Darjac s’est installé dans une maison forestière pour se ressourcer. Un jour de pluie arrive Béatrice, randonneuse venue spécialement le rencontrer après avoir lu son dernier roman, L’Examen de conscience, qui est aussi le premier à contenir des éléments fantastiques. Ce roman a remémoré à la visiteuse un album illustré qui l’avait beaucoup marqué dans son enfance. Si Darjac ignore tout de l’album en question, il révèle à Béatrice que ce qui, dans son livre, ne relève pas de la fiction, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, ce sont les trois fantômes ! Et il les lui montre. Aux fantômes s’ajoutent les mystères d’un inaccessible manoir composite connu comme la folie Millescande qui fut jadis le théâtre d’un drame, et ceux d’un domaine tabou dont on ne parle qu’avec réticence dans la région où d’étranges phénomènes ont lieu et dont les récits nous parviennent au fil des rencontres que Roland fait faire à Béatrice. Au final, tous les éléments vont s’emboîter et trouver leur juste place.

La coda finit par tirer le livre sur les rives de la SF, on l’a dit. Peut-être Jacques Baudou se refusait-il à écarter ce genre, mais je me demande si la conclusion n’aurait pas été plus élégante sans ?

Le roman s’écoule comme un profond ruisseau, au rythme des promenades pédestres en forêt, et non seulement il n’y a pas de temps mort ni longueur, mais le livre ne se dépare jamais d’une certaine densité. Remarquablement écrit, La Lisière de Bohême ne s’adresse évidemment pas aux amateurs exclusifs de fantasy épique pleine d’action frénétique ni à ceux d’horreur, tendance gore. Il est pour ceux, en quête d’un plaisir différent, qui aiment les belles lettres comme de belles choses. Espérons qu’il trouvera son public, il le mérite.

Culturama

On sait que les big data, par leur capacité à traiter de grandes masses de données, sont en passe de corriger notre vision du monde. Un changement d'échelle comparable selon les auteurs à la révolution galiléenne où la lentille grossissante changea la vision et donc la compréhension du cosmos en révélant les lunes de Jupiter. Les recherches exploratoires des big data sont dépourvues d'hypothèse, mais offrent des résultats inattendus souvent instructifs. Profitant de la numérisation de trente millions d'ouvrages par Google, les auteurs ont imaginé une nouvelle approche de la culture, du langage et de l'Histoire basée sur la récurrence des termes à travers les textes, à laquelle ils ont donné le nom de culturomique. À vrai dire, elle n'est pas inédite puisque des recherches lexicographiques ont déjà été menées par des linguistes qui ont patiemment recensé les occurrences d'un terme à travers une période ou dans l'espace restreint d'un livre ; l'aspect fastidieux de l'entreprise limitait ces évaluations à quelques rares recherches. Les capacités de l'ordinateur permettent de systématiser ce type de questionnement.

Cet ouvrage retrace l'aventure des chercheurs : il a fallu convaincre Google de l'utilité d'une telle exploration pour se voir accorder l'accès aux calculateurs et aux données couvrant l'édition de 1800 à nos jours. L'obtention de graphes a rencontré un tel enthousiasme auprès des utilisateurs potentiels, sociologues, historiens, linguistes, qu'un Ngram Viewer, N identifiant le nombre d'éléments recherchés dans une requête, est désormais en libre accès (https://books.google.com/ngrams).

Cet aspect anecdotique est de peu d'intérêt. Les premiers chapitres sont un exposé un peu laborieux de la constitution du savoir et de sa consultation depuis les origines. Mais il s'agit d'un ouvrage grand public, qui a pour corollaire de délimiter clairement la question. Pour exploiter les statistiques, il est nécessaire de se doter d'outils mathématiques : on saura ainsi en quoi consiste la loi de Zipf (qui établit dans les années trente la liste des mots composant l'Ulysse de James Joyce), celle de Benford, ou la fréquence de Hautpoul.

À quoi sert-il de relever les occurrences d'un terme dans un ensemble de livres ou de revues ? On peut ainsi démolir des idées reçues ou constater des mouvements de fond invisibles autrement, car étalés dans le temps ou occultés par le crépitement de l'actualité. On réalise là une traque de la matière noire de la culture. Ainsi, véritable matière noire lexicale, la loi de Zipf détermine que les mots revenant moins d'un million de fois ne sont pas repérés par les dictionnaires, même spécialisés. Le seuil d'entrée est fixé à un milliard d'occurrences.

Il est troublant de constater que la fréquence de régularisation d'un verbe irrégulier en langue anglaise, du fait d'un emploi erroné généralisé, est similaire à la demi-vie d'une substance radioactive. Il est ainsi possible de connaître le nombre de verbes irréguliers qui le seront toujours dans cinq siècles et même de déterminer le prochain à recevoir une forme régulière. De même, l'entrée de mots nouveaux dans un dictionnaire est dépendante de leur fréquence.

Les exemples qui constituent l'essentiel de l'ouvrage, souvent surprenants, recensent les emplois possibles de telles recherches : mise en évidence d'une censure dans l'Allemagne nazie jusqu'à présent passée inaperçue, activités garantissant une célébrité rapide (les grands criminels avant les acteurs) et courbe de l'oubli au sein de la mémoire collective, taux de pénétration d'une invention, accélération de la capacité d'apprentissage de la population. Au passage, on fait appel aux fractales de Mandelbrot ou à la théorie des jeux de von Neumann. Des applications pratiques sont également envisageables avec les big data, comme la détection des fraudeurs dont les déclarations ne suivent pas la courbe de Benford lors du trucage des chiffres. Sur le plan culturel, la mesure de l'accélération du progrès et des changements du mode de vie humain met en évidence la proximité d'une singularité typiquement vingienne d'une limite au-delà de laquelle l'activité humaine telle que conçue actuellement ne pourrait se poursuivre. De façon plus prosaïque, des changements progressifs de l'opinion peuvent être mis au jour, dont des publicistes ou des politiques pourraient tenir compte. Nous ne sommes pas loin de la psychohistoire asimovienne.

Instructif et distrayant, l'ouvrage a le mérite de rendre ces notions statistiques accessibles au grand public. Corollaire : il manque une analyse plus en profondeur des implications philosophiques et sociales de telles recherches. Mais chaque lecteur trouvera ici les éléments pour mener sa propre réflexion.

Terminus Radieux

Presse dithyrambique, Pierre Jourde satisfait, Prix Médicis. Faut-il en dire plus ?

Terminus radieux est le dernier roman post-exotique d’Antoine Volodine. Le post-exotisme, SF qui ne veut pas en être, collective, fascinée par l’idéal communiste, dont Terminus radieux serait, si l’on en croit son titre, l’aboutissement.

Fini de temporiser. Je me lance.

Terminus radieux est inracontable. C’est une expérience à vivre.

Contexte : futur, date indéterminée, taïga. La Seconde Union Soviétique, mondiale celle-là, s’est effondrée sous l’assaut de forces contre-révolutionnaires backstage. Effondrement politique, social, mais aussi écologique. Les innombrables mini-réacteurs nucléaires qui réalisaient le rêve écolo-productiviste d’une décentralisation énergétique à la soviétique ont failli, engloutissant d’immenses zones sous les radiations. Hommes et bêtes meurent. La civilisation avec eux.

Dans ces limbes, deux « lieux ».

Un train en route pour un hypothétique camp de prisonniers où pourraient vivre enfin heureux, car régulés, les soldats et prisonniers qui le conduisent dans une stricte égalité communiste. Le camp comme réalisation parfaite du rêve totalitaire d’ingénierie sociale marxiste-léniniste. Sloterdijk et sa domestication du parc humain ne sont pas loin.

Un kolkhoze, « Terminus radieux », gouverné par Solovieï, sorte d’ogre chaman omnipotent, entre Staline et Raspoutine, qui s’introduit dans les rêves et les façonne. Y vivent aussi la mémé Oudgoul, liquidatrice rendue immortelle par les radiations, les trois filles de Solovieï, victimes de ses viols psychiques, et quelques autres, plus ou moins contrôlés par lui. L’arrivée de Kronauer, soldat déserteur qui a conservé un semblant d’indépendance, déséquilibre la mécanique du lieu.

Terminus radieux est l’histoire de ces lieux, de ceux qui y vivent, si peu. Chacun raconte son histoire, dans ces mots qui fuient progressivement le monde. Noms et lieux s’effacent des mémoires. Les livres aussi, brûlés pour se chauffer. Avec eux s’éteignent le savoir technique et l’idéologie omniprésente. C’est dans les mémoires, les réflexes, les tics de langage qu’elle survivra le plus longtemps, pierre de Rosette d’un monde enfoui.

Lire Terminus radieux, c’est partir pour un voyage vers la fin de tout, entre rêve et réalité. Il faut pour cela abandonner toute rationalité. Dans un monde qui s’éteint, qui retourne au végétal, aucune assise stable sur laquelle s’appuyer. Le temps est élastique. Les distances incertaines. Les humains vivants, ou morts, ou presque morts, ou régulièrement ressuscités ; en état d’indétermination quantique, des communistes de Schrödinger. Qu’importe. Tous agissent, à leur façon, en dépit d’identités devenues poreuses.

C’est aussi lire un roman très écrit, plein d’images, de néologismes végétaux, doté d’un rythme presque hypnotisant. Un roman encore dans lequel on sent une ironie pince-sans-rire, une prise de distance par rapport à une langue révolutionnaire des origines utilisée avec une ferveur détachée qui en souligne le caractère religieux. Quant à l’idéologie, mourante comme le reste — mots, pensée, systèmes —, son dernier avatar est le féminisme étymologiquement hystérique et profondément non humain de Maria Kwoll. La domination masculine comme blueprint de toutes les autres.

Une lecture très russe dans le ton, entrainante en dépit du fond, jamais ennuyeuse, toujours surprenante.

Trois Oboles pour Charon

« Sisyphe, agité par de cruels tourments, s’offre à mes regards ; il roule un énorme rocher et le pousse avec ses pieds et ses mains jusqu’au sommet d’une montagne. Mais dès que la roche est près d’atteindre à la cime, une force supérieure la repousse en arrière et l’impitoyable pierre retombe de tout son poids dans la plaine. Sisyphe recommence sans cesse à pousser la roche avec effort, la sueur coule de ses membres, et des tourbillons de poussière s’élèvent au-dessus de sa tête. » Ainsi Homère décrit-il, dans L’Odyssée, le supplice infligé à Sisyphe par Zeus. Pas de rocher chez Franck Ferric, mais une torture tout aussi cruelle. Sisyphe, pour avoir trompé le roi des dieux, est condamné à renaître, éternellement, au milieu d’un conflit dans lequel il doit perdre la vie. Rendu amnésique par Charon, le passeur du fleuve des Enfers, quoi qu’il fasse, il périt. Lors de la brutale Antiquité, il reprend vie au milieu des cadavres de l’armée de Varus, défaite par les Germains, et se retrouve gibier d’une meute sans pitié. Au VIIIe siècle il assiste, dans le camp des vaincus, au triomphe sanglant des Francs sur les Saxons. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se réfugie, insensé, dans les entrailles d’un Messerchmitt fuyant les attaques anglaises. Et entre chaque épisode, entre chaque renaissance, il retourne dans les bas-fonds du Monde, sur les rives du Léthé, auprès de son bourreau involontaire, Charon. A chaque mort, il perd la mémoire et poursuit son chemin de croix.

Ce qui frappe avant tout au début de ce roman, c’est la dureté, la cruauté du monde décrit. Servies par une langue âpre, minérale, sèche. Par des phrases qui griffent, qui tranchent, qui arrachent. Tuer ou être tuer. Ne rien faire d’autre que tenter de survivre. L’homme n’est qu’un animal qui court à sa perte, sans jamais rien comprendre à ce qui lui arrive. Il vit uniquement par des sensations : la chaleur des cendres ou la douleur de la faim, la violence de la colère ou la morsure du froid. Et Sisyphe, malgré les bribes de connaissances arrachées à chaque nouvelle apparition sur notre Terre, suit la voie tracée pour lui par les dieux. Il se dresse à chaque fois, seul, contre un destin écrit d’avance. Et périt à chaque fois, seul, dans le sang et les cris.

Erudit et malin, ce roman séduit par la force de son personnage tout d’abord. Le lecteur est jeté dans la peau de ce géant hirsute, malmené par des dieux qu’il a cru tromper. Cet être au physique hors norme est rongé de doutes. L’incompréhension face à son sort et sa rage permanente le guident, lui permettent de découvrir, peu à peu, son identité, la raison de son supplice. Les résurrections, principaux chapitres au début de l’ouvrage, cèdent progressivement la place à l’affrontement entre lui et Charon. Franck Ferric aurait pu se contenter d’enchaîner les renaissances de Sisyphe à des périodes différentes, accumuler les morceaux de bravoure et exposer sa maîtrise de l’Histoire. Et pourtant non. Afin de maintenir l’intérêt de son lecteur, il a su déplacer le centre de gravité de son intrigue d’un solo à un duo fort réussi. Car si Sisyphe a mérité son sort, Charon doit-il, lui aussi, payer pour la faute d’un autre ? Doit-il supporter indéfiniment les mêmes questions posées par cet amnésique violent ? Continuer à servir des dieux à l’influence en perdition, ou prendre le parti de leur victime ?

Trois oboles pour Charon est définitivement une excellente surprise. L’arrivée de Franck Ferric, auteur français peu capé, dans la prestigieuse collection « Lunes d’encre », était aussi attendue que surveillée : c’est une réussite indéniable. Davantage habitué aux nouvelles qu’aux romans, il a su donner une dimension, un souffle nouveaux à un mythe pourtant balisé, et fournir à son héros une force et une grandeur dignes de celles de son modèle. Au risque de se répéter : voilà une excellente surprise.

14

Dénicher un appartement pas cher à Los Angeles ? Une gageure. Presque autant que parvenir à se garer en moins d’une demi-heure. Alors, quand Nate Tucker entend parler de cette occasion dans un vieil immeuble de briques rouges, il n’hésite pas une seconde. D’accord, l’ascenseur est en panne. Mais quoi de plus classique ? Bien sûr, une blatte l’accueille dans son nouveau logement. Et alors ? On ne va tout de même pas se formaliser pour si peu. Sauf que, de jour en jour, le jeune homme découvre des éléments étranges, des anomalies anodines prises une par une, mais qui, bout à bout, finissent pas créer chez lui un sentiment de malaise croissant. Pourquoi ce locataire quitte-t-il le n°5 avec une telle hâte ? Pourquoi la porte de l’appartement n°14 est-elle condamnée par plusieurs cadenas ? Pourquoi la lumière de sa cuisine, quelle que soit l’ampoule utilisée, s’obstine-t-elle à émettre une lumière « noire » ? Pourquoi aucun appartement n’a-t-il les mêmes dimensions ?

L’ouvrage se divise en deux grandes parties : d’abord l’enquête, puis l’immersion dans l’étrange et l’horreur. Dans un premier temps, Nate, moyennement pris par un travail sans intérêt, alimentaire, part à la découverte de l’immeuble Kavach. Cette vieille bâtisse livre peu à peu ses secrets. Mais chaque réponse amène d’autres questions. Chaque découverte rend le mystère encore plus profond, les ramifications encore plus importantes. Malgré quelques longueurs, cette première moitié joue son rôle. Les pages tournent sans trop de temps morts, l’intrigue se tient. Peter Clines entoure son personnage principal de quelques locataires, créant ainsi une équipe d’enquêteurs amateurs. Dont Xela, la pin-up adepte des bains de soleil topless sur la terrasse ; Veek, l’informaticienne fan de Scooby-Doo ; Tim, l’homme au passé mystérieux. Et quelques autres. Rien de bien original, donc — on peut même parler, pour certains personnages, de caricatures, à moins qu’on ne préfère, histoire de rester positif, considérer ces derniers comme des clins d’œil aux livres et films de genre. A trop viser le grand public, Peter Clines n’hésite pas à enfiler les clichés, ni à avancer chaussé de sabots taille 45. La vieille voisine est forcément grincheuse ; quelques morts épicent l’action, mais pas trop. Et cela se ressent particulièrement à la fin du roman. Comme si l’auteur peinait à boucler un sujet pourtant pas si mal abordé, mais en définitive trop grand pour lui. Comme si l’écriture de la série best-seller « Ex- » (-Heroes, -Purga-tory et -Patriots) ne l’avait pas préparé à affronter les Grands Anciens.

14 n’en demeure pas moins un divertissement efficace, à la lecture rapide et aux multiples rebondissements. Et une distrayante plongée dans un complot tentaculaire. Sans plus.

Le Jardin des silences

Six années séparent Notre-Dame-aux-Ecailles, second recueil de l’auteure, du présent Jardin des silences. C’est long, six années… Mais Mélanie Fazi prend son temps, trace son chemin dans la jungle des mondes de l’Imaginaire à son rythme, alternant entre ses activités de traductrice et d’écrivain. Aux vues des qualités de l’œuvre produite (deux romans et trois recueils, donc), elle fait bien.

Sous un habillage (très beau) évoquant celui des deux précédents recueils de l’auteure chez Bragelonne (repris depuis chez « Folio-SF »), Le Jardin des silences propose douze nouvelles (comme ces autres recueils, là encore) initialement publiées sur des supports divers (site internet, revue, mais surtout anthologies), donc deux inédits, le tout écrit/publié sur une période d’une dizaine d’années.

« Un petit bijou d’intelligence et de sensibilité », disait ici même (in Bifrost n°50) Claude Ecken à propos de Notre-Dame-aux-Ecailles. Une formule qu’on reprendra sans sourciller. Il y a une magie indéniable dans les textes de Mélanie Fazi. Une magie faite de simplicité, d’évidence, presque de candeur — comme un certain effarement quant à la perversité du monde, parfois, ce qui rend cette dernière plus dérangeante encore. C’est intimiste, limpide, mené d’évidence. Avec toujours bien présent les motifs au cœur de la création fazienne : l’enfance et l’adolescence, la bascule qu’opère le passage à l’âge adulte. Moins de fantômes, toutefois, dans le bouquet présenté. Et un fantastique qui lorgne davantage vers le conte (« Swan le bien nommé », ou encore « Un bal d’hivers »), s’avère sans doute moins angoissant que dans Serpentine (son premier recueil) et se pare plus volontiers des atours de la fantasy. Il y a quelque chose de Carole Martinez chez Mélanie Fazi (il faut lire Le Cœur cousu chez « Folio »), notamment dans sa manière de dépeindre un monde au merveilleux jamais forcé, toujours évident.

Et comme il en va de tous les recueils, on choisira ses textes préférés (« L’Arbre et les corneilles », assurément, ou la nouvelle titre) et ceux qu’on estime un peu en-dessous du reste. L’unité de ton, chez Fazi, peut parfois lasser. Peut-être pourrait-on attendre de l’auteure un « lâcher prise » plus total, plus débridé. Qu’elle se mette un peu plus en danger dans son écriture, qu’elle aille un peu moins où on l’attend. Peut-être… Reste une nouvelliste (puisque c’est ce que Fazi est avant tout, et tant mieux !) aux qualités d’âme et de style exceptionnels — normal qu’on lui en demande beaucoup. En attendant, nul n’hésitera à se perdre dans le présent Jardin des silences : il est des promenades moins grisantes.

La Chance que tu as

La Chance que tu as est un très court roman de Denis Michelis, son premier. Il se lit en une grosse heure et, durant ce temps, il oppresse.

Un jeune homme, dont nous ne connaitrons jamais le nom, trouve « enfin » un emploi au Domaine, un hôtel restaurant de prestige niché au cœur d’une forêt. La chance qu’il a ! Dans la situation catastrophique du pays, avec son chômage de masse. Il y est conduit par des parents, tout au moins ils semblent l’être, soulagés et heureux que leur rejeton soit enfin « casé ».

Mais rien ne tourne comme prévu. Le contrat de travail a-t-il été signé ou pas ? Depuis combien de temps le personnage est-il à l’œuvre au Domaine ? Et surtout, pourquoi tout est-il si étrange ? Pourquoi les relations entre salariés sont-elles si tendues ? Pourquoi leur supérieure est-elle aussi stressante ? La redescente est rude. Le paradis promis n’en est pas un, c’est dans un enfer crépusculaire qu’a pénétré ce jeune qui avait tant de « chance ». Un enfer qui, narrativement, vire rapidement au weird tant les situations sont étranges, vécues dans un emprisonnement semi volontaire qui évoque Evenson.

La Chance que tu as est une allégorie, un conte horrifique sur la situation des salariés aujourd’hui. Recherche de productivité, cadences infernales, dépersonnalisation, pression au silence, tout y passe. Y compris les harcèlements moraux ou sexuels ou la dictature des consignes absurdes. On y voit les petits chefs pousser aux limites puis se dédouaner en renvoyant la responsabilité sur le niveau supérieur. On y voit la désintégration de toute solidarité entre salariés, et l’isolement, l’ostracisation de ceux, trop naïfs, qui veulent comprendre ou faire respecter leurs droits élémentaires, risquant de gêner l’atteinte par le collectif de travail de ses objectifs imposés. On y voit aussi, et c’est plutôt fin, l’indifférence des clients, tyranneaux d’habitude — le client est roi, et il entend que ça se voie — qui détournent opportunément les yeux quand les conditions de production de ce qu’ils achètent deviennent intolérables.

Le jeune homme finira par être « libéré » quand l’institution n’aura plus besoin de lui. Un autre le remplacera. Il devrait presque dire merci.

La Chance que tu as est la mise en étrangeté de phénomènes connus, qui acquièrent, de ce fait, une puissance de dénonciation nouvelle. Suffisamment légère pour être transparente, l’allégo-rie amènera peut-être à ces questions des lecteurs qui les auraient évitées.

Le Syndrome Indigo

Le Syndrome indigo est le premier roman d’une des figures de proue de l’avant-garde autrichienne, le jeune prodige Clemens J. Setz.

On pourrait le résumer en disant que c’est du Vian noir et intranquille. Tentons d’être un peu plus disert.

Le titre fait référence à une divagation New Age prétendant que certains enfants seraient dotés d’une aura indigo, invisible bien sûr à l’œil nu, qui serait le signe de caractéristiques hors du commun dans les domaines de l’intelligence ou de l’empathie, au prix d’une certaine étrangeté et d’une résistance à toute autorité rendant difficile leur insertion scolaire ou sociale. Des personnalités riches mais borderline.

Dans le monde de Setz — car c’en est un — de nombreux enfants indigo ont commencé à apparaître au milieu des années 90. Malheureusement, les indigos de Setz sont toxiques, physiquement. Près d’eux, on souffre vite de maux de tête, de nausées, de vertiges ; une exposition prolongée entraine des troubles plus graves tels qu’eczéma chronique ou dépression. En Autriche, l’Institut Helianau, dirigé par l’étrange Dr Rudolph, accueille ces enfants, les isole aussi. Le jeune Clemens J. Setz, professeur de mathématiques stagiaire, y est le témoin de la « relocalisation » de certains enfants, partant pour ne pas revenir. Suite à une violente altercation avec le Dr Rudolph, Setz quitte l’Institut puis se lance dans une enquête sur ces inquiétantes « relocalisations ».

A priori ça paraît simple et balisé. Insider, mystère, enquête, complot, menace, résolution. Sauf que pas du tout.

La narration de Setz, qui met son double biographique en scène, alterne sans cesse entre deux époques et deux narrateurs. Il y a Setz, « l’enquêteur », et Robert, un indigo devenu adulte, qui a perdu son aura mais vit dans la souffrance psychique tant sa violence et sa rage cherchent à s’exprimer ; l’un est traité à la première personne, l’autre à la troisième. S’y ajoutent documents annexes et notes historiques montrant au lecteur la récurrence du phénomène indigo dans l’Histoire — mais, dans le passé, l’information ne circulait guère. Le tout forme un patchwork qui, peu à peu, prend forme. Forme toujours fuyante car la vérité d’une page est remise en cause quelques feuilles plus loin (Setz regrette dans le roman les « nouvelles ampoules », trop neutres, quand les anciennes interprétaient le réel comme les hommes le font). On doit s’y résoudre : on n’arrivera pas à une vraie résolution, tel n’est pas le but. C’est le voyage qui compte, pas la destination, et il n’est pas de tout repos. Le lecteur arpente les terres inquiétantes de l’étrangeté, où ce qu’il croit savoir sur les rapports humains s’avère faux, et où les images qu’il croit faire sens cessent d’être vraies, remplacées qu’elles sont par d’autres, à la surprenante beauté, décalées ou déviantes.

Le monde est agressif, les hommes aussi, le contact des autres engendre malaise, violence ou peur. Se frotter au réel est inquiétant et pénible. A la fin, aussi épuisé que Setz et Robert, le lecteur reposera le roman en se disant qu’une telle expérience vaut autant par sa singularité que par son charme vénéneux. Car le monde de Setz est beau, comme un tableau de Bosch. Dans un style très imagé, quelque part entre Vian (auquel il emprunte des images — la méduse — ou des moments de fusion entre organique et minéral) et Lynch (pour l’étrangeté des lieux, des actes, des discours), Setz promène ses héros sur une route aux nombreux méandres. Les digressions abondent, qui, d’un même mouvement, ralentissent la progression et permettent à Setz, entre grande culture, pop culture, histoire peut-être secrète, et délire fortéen à la Infos du Monde, de questionner la réalité, livrant au lecteur un récit fait de bribes lâchement liées où s’entremêlent réalité, réalité interprétée, rêve et imaginaire.

Au fil de cette déambulation sans cap dans un monde distordu — souvenir du Festin nu —, Setz parvient, en le déstabilisant sans cesse, à forcer le lecteur. Le forcer à s’abandonner, à cesser de lutter, à voir enfin, réceptivité contrainte oblige, certains des troubles de notre société et, peut-être, à y réfléchir. Les digressions mettent l’important et le futile sur le même plan autant qu’elles signalent l’incommunication. Le rapport aux enfants, l’amour/haine que leur voue notre société, fait face à la sensiblerie envers les animaux. La place, particulière, des enfants handicapés, victimes de leur trouble et bourreaux de leur famille, qu’on écarte pour qu’ils dérangent moins. L’invisibilité des SDF dans ce monde même où d’omniprésents iBall semblent surveiller tout et tous. La destruction de toute singularité dans un monde formaté. L’envie de tuer, de détruire, de blesser, la rage primale que ne bride que l’empathie et qui se libère quand celle-ci n’existe pas. La torture, cachée, dont l’Occident est capable ; des tortionnaires froids comme ces cadres exécutifs qui offrent leur corps au culte de la performance. Le passé qui ne passe pas, celui de l’Occident et singulièrement des Germains.

Le Syndrome indigo est une expérience éprouvante mais dense qu’on ne peut que recommander, en dépit de son faible contenu fantastique, aux amateurs de littérature exigeante qui veulent plonger dans l’uncanny valley et en être troublés.

La Saga d'Oap Täo

La trame est des plus simples : croyant sauver une vie, Oap Täo, trafiquant et baroudeur de l’espace, a récupéré un droïde éjecté d’un vaisseau spatial détruit par la police fédérale interstellaire. Pour échapper à celle-ci, il se réfugie hors de sa juridiction, dans le bar d’un authentique Breton sur un astéroïde perdu. Forcé de fuir avant l’arrivée de la police autorisée, il embarque avec le seul autre client de l’établissement, Face-de-Lune, qui dispose d’un vaisseau suffisamment rapide pour distancer les condés spatiaux. Celui-ci, dont le corps est déformé par la Fleur, une redoutable drogue qui évacue les angoisses mais remodèle physiquement son consommateur, l’emmène sur Rasalgheti retrouver un comparse, Ay-Tek. Il s’avère assez rapidement que Face-de-Lune est au service de Crass, un bandit de la pire espèce, destinataire de l’importante cargaison de Fleur détruite par la police. La réparation du droïde était censée révéler l’emplacement de la drogue. Malheureusement, la mémoire de ce dernier est endommagée. Crass charge alors Oap Täo de dénicher la planète où se trouve la Fleur. Accompagné du droïde qu’il a nommé ZAG-O (son numéro de série étant 246-0), notre héros se met en quête malgré l’absence totale d’indices. Ses pérégrinations de monde en monde l’amèneront sur une planète où des lichens géants dotés de télépathie ont établi une relation symbiotique avec une espèce de chauve-souris, découverte qui est loin de signifier la fin de ses ennuis…

Paru en 1990, en trois volumes de la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, ce sympathique space opera est, chronologiquement, le premier opus des « Chroniques des Nouveaux Mondes » dont les éditions ActuSF ont déjà publié l’intégrale des nouvelles en trois volumes. Comme Jean-Marc Ligny s’en explique dans l’interview en fin de volume, l’événement déclencheur de l’écriture du cycle est la rencontre avec le scénographe Jacques Lelut, qui exposait ses vaisseaux spatiaux à la convention SF de Roanne en 1979. D’autres volumes ont suivi au Fleuve Noir, ainsi que Les Oiseaux de lumière, en collaboration avec Mandy, chez J’ai Lu, ouvrage où intervient également Oap Täo.

Classique dans la forme, Jean-Marc Ligny développe une histoire du futur qui rend hommage au space opera d’antan, entre aventure et humour, et quelques séquences poétiques. Les clins d’œil dont il parsème le récit permettent de déceler les influences, « Les Seigneurs de l’Instrumentalité » de Cordwainer Smith en tête, mais aussi Kurt Vonnegut Jr, Gérard Klein et bien d’autres. Quelques bonnes idées agrémentent ce récit sans prétention, comme la maladie d’oscillation temporelle affectant les premiers pilotes de saut hyper-spatial, qui fait vieillir et rajeunir physiquement la victime à un rythme rapide. Pour la présente édition, le texte a été revu et mis à jour au regard des développements ultérieurs des « Chroniques ». C’est frais, enlevé, et sans temps mort, à mille lieues des dystopies écologiques de l’auteur. Pourquoi bouder son plaisir ? D’autant plus que Ligny pourrait prochainement revisiter son havre de paix pour se reposer de ses prospectives plus sombres.

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