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L'Œil du temps

[Critique commune à L'Œil du temps, Tempête solaire et Les Premiers-nés.]

Une équipe de l’ONU en hélicoptère — une femme, deux hommes —, et les trois cosmonautes d’une capsule Soyouz sont pris dans un étrange phénomène physique et s’aperçoivent assez vite que la Terre a été démontée puis remontée avec des morceaux d’époques différentes, a priori toutes antérieures à leur naissance. L’équipe de l’ONU rejoint un contingent de l’armée britannique du milieu du XIXe siècle, dans le nord de l’Inde, et l’équipe du Soyouz observe trois grands peuplements humains très développés sur cette nouvelle Terre baptisée Mir, avant d’initier leur rentrée dans l’atmosphère. Babylone est le plus proche : une ville coupée en deux par une explosion nucléaire « ancienne », vers laquelle, après quelques péripéties, vont converger l’armée d’Alexandre Le Grand et celle de Gengis Kahn, ainsi que nos voyageurs du futur (du moins ceux qui ont survécu).

 

Le premier volume de cette trilogie Baxter/ Clarke est un étonnant mélange de hard science discrète et de SF à papa (on pense à certains romans de Silverberg, agréables mais mineurs). Même si la première partie, jusqu’à la page 128, est un poil laborieuse, on progresse vite vers la confrontation Gengis Kahn/Alexandre le Grand promise, le tout vu par des yeux modernes. Suivre les aventures de Zabel et Bisesa, découvrir un Rudyard Kipling jeune, tout cela fait de L’Œil du temps une sorte de plaisir coupable, à l’ancienne, tout à fait recommandable si on supporte les maladresses d’exposition et la violence. Car, comme Origine, par moment L’Œil du temps envoie du bois et pas pour rire (viols, décapitations, énucléations, chirurgie avec les moyens du bord). Pas de doute, on savait s’amuser à ces époques-là (le mélange n’arrange rien, bien au contraire). Mais Baxter ne s’attarde jamais sur cette violence qu’il n’essaye même pas de mettre en scène. Au voyeurisme, il préfère le factuel sec et distant. Contrairement à ce qui se passe dans la vraie vie, ici un viol ne dure jamais plus d’une ligne.

Tempête solaire, le second tome, part dans une direction tellement différente qu’on en est déboussolé pendant presque toute sa lecture. Le 9 juin 2047, une tempête solaire frappe la Terre et provoque de nombreuses catastrophes, électriques et autres. S’ensuit une intrigue hard science autour d’une seconde tempête solaire, « a global killer », prédite pour quatre ans et demi plus tard par un génie des neutrinos. Force est de constater que c’est du pur Baxter, dans sa veine Déluge/ Arche, avec une catastrophe, une solution « impossible ou presque », un fond progressiste très marqué, une grande foi dans le futur. On n’évite pas de longues plages d’explication à base de physique des particules, mais aussi des passages d’exposition, patauds, qui semblent ressurgir d’un autre âge de la SF, celui, justement, des Fontaines du paradis d’Arthur C. Clarke.

Dans le troisième tome, Baxter fait la jonction entre tous les éléments des tomes précédents et les Œils (sic!) du temps, c’est-à-dire les Premiers-nés du titre. Ce troisième tome, malheureusement, se révèle aussi laborieux qu’ennuyeux, malgré quelques passages réussis et une saine volonté de vouloir « nouer ensemble » toutes les pistes empruntées par les tomes précédents.

La trilogie de « L’Odyssée du temps » est un ensemble « malade de son hétérogénéité », mais paradoxalement cette hétérogénéité, ces surprises régulières, participent du charme global qui se dégage des deux premiers volumes. Le troisième (remake au carré du deuxième : la menace venue d’ailleurs, les « préparatifs de survie », la confrontation) n’est pas de trop, il est raté.

Au final, on conseillera le premier tome à ceux qui veulent lire de la SF à papa pleine de grands empires en mouvements (Macédoniens, Mongols). Les tomes deux et trois, conçus pour pouvoir être lus sans le un (les rappels des faits sont nombreux), plairont plutôt aux fans hardcore de Baxter qui veulent tout savoir sur la construction d’un bouclier planétaire, les conséquences de l’immersion totale d’une planète jovienne dans le Soleil et la nature de sphères dont le rapport circonférence/diamètre est trois, au lieu de Pi. 

Évolution

Lorsque paraît Evolution en anglais, chez Gollancz en novembre 2002, Stephen Baxter écrit de manière professionnelle depuis plus de dix ans et a déjà derrière lui une bibliographie imposante (une quinzaine de romans, dont les cycles majeurs des « Xeelees » et des « Univers multiples »). C’est un écrivain au sommet de son art ayant habitué ses lecteurs à des intrigues d’une ambition et d’une ampleur pour le moins vertigineuses. Et pourtant…

Imaginer l’histoire de la lignée humaine sur six cent cinquante millions d’années, du Crétacé jusqu’à un demi milliard d’années dans le futur. Rien que ça. Sur mille pages. Ben voyons… Autant dire que ça vous met d’emblée comme un frisson, un genre de vertige.

Purga est une espèce de rat primate, une petite créature aussi discrète que tenace passant le plus clair de son temps à éviter de se faire bouloter par les rois du monde, des lézards géants fortement pourvus en dents. Nous sommes il y a soixante-cinq millions d’années et, s’ils ne le savent pas encore, les dinosaures n’en ont plus pour longtemps… Pour Purga et ses descendants, qui survivront à la tempête de feu provoquée par le cailloux céleste tombé au large de ce qui n’est pas encore le Mexique, c’est le début de l’aventure, le chapitre initial (sur dix-neuf, réunis en trois énormes parties : « Les ancêtres », « L’être humain » et « Les descendants », cette dernière étant la plus courte) de ce qu’il faut bien considérer comme un tour de force époustouflant. Avec un souci du détail qui laisse songeur quant à la masse de documentation réunie pour accoucher d’un tel projet, Baxter entreprend la longue narration de la lignée humaine à travers une série de portrais choisis à des moments précis, dans des lieux cruciaux, de représentants plus ou moins lointains de notre grande famille. Purga, donc, qui survit à l’apocalypse ; Plessis (une sorte d’écureuil) ; le lémurien arboricole North ; Vagabonde, le singe navigateur qui s’essaie au radeau de la Méduse ; le lemming Creuse, qui tente d’échapper au froid ; Capo, le presque homme, entre chimpanzé et hominidé ; et d’autres encore, nombreux, une théorie de personnages qui nous conduira cinq cents millions d’années dans le futur, jusqu’au symbiote Ultima. Ouf…

« Ceci est un roman. J’ai essayé de romancer la grande histoire de l’évolution humaine, en aucun cas d’écrire une thèse ; j’espère que ce livre est plausible, mais mieux vaut ne pas lire ce livre comme un essai. Mon histoire est essentiellement basée sur les reconstitutions hypothétiques du passé établie par des experts dans leurs domaines. Dans bien des cas, j’ai choisi l’idée qui me paraissait la plus plausible ou la plus excitante parmi plusieurs possibilités. Mais une partie est basée sur mes propres spéculations échevelées… » Ces quelques mots de l’auteur extraits de sa courte postface à Evolution posent l’un des enjeux essentiels du roman. Car Baxter ne se contente pas ici de raconter la grande aventure de la race humaine, ses origines et son devenir, il remplit les blancs, s’amuse à extrapoler non seulement ce qui sera peut-être, mais aussi ce qui a peut-être été (des raptors titillés par l’embryon d’une intelligence naissante ; des géants ailés qui jamais ne se posent au sol, passant leur vie dans les nues, entre ciel et espace…). Un roman, on vous dit, riche d’inventivité, de trouvailles, de péripéties, une fresque sans équivalent, la nôtre, telle qu’elle a été et comme elle sera peut-être.

Au final, Evolution s’impose comme un projet monstre, mais aussi une sorte de condensé de l’auteur tant on y trouve ce qui le caractérise : la conjonction de ses deux passions — la prospective et l’histoire, toutes deux toujours mises en perspective de l’évolution, la grande question darwinienne au cœurs de l’œuvre de notre homme —, sa démesure, sa propension à tirer à la ligne aussi, parfois, sa capacité de travail prodigieuse, sa précision extrême, agaçante car maniaque, son style, tout juste utilitaire… Bref, tout ce qui fait que Baxter est Baxter, un romancier prodigieux qui signe ici sinon son grand œuvre, une manière de quintessence de celle-ci, un livre pivot aussi passionnant qu’incontournable.

Origine

[Critique commune à TempsEspace et Origine.]

Pierre d’achoppement de nombreuses conversations érudites, la définition de la SF agite périodiquement un genre à la recherche d’une identité, ou du moins essayant de comprendre les motifs de son désaveu parmi une intelligentsia prompte à exclure. Pourtant, il suffit de lire la série des « Univers multiples » (« Manifold » chez nos cousins de la perfide Albion) pour expérimenter l’intuition de Norman Spinrad. Pour l’auteur américain, la SF semble être en effet la seule forme de littérature vraiment en prise avec son époque, explorant la réalité multiple dans laquelle nous vivons.

Un message parfaitement reçu par Stephen Baxter, puisque l’on retrouve bien chez l’auteur britannique cette volonté de dévoiler la multitude des possibles. Une détermination conjuguée à un désir quasi-prométhéen de pousser l’humanité hors de son berceau terrestre pour l’amener à accomplir son destin d’espèce intelligente, pour la forcer à s’affranchir du carcan bureaucratique, économique, idéologique et religieux l’empêchant de coloniser l’espace.

De fait, Baxter n’a de cesse dans ses romans, astucieux cocktails de sense of wonder et de hard science, de vilipender la frilosité des institutionnels, refaisant au passage l’histoire de la conquête spatiale avec Voyage. Il déplore également la perte de l’esprit pionnier rappelant la fragilité de l’humanité et son caractère éphémère au regard de l’histoire de l’univers.

Paru dans l’Hexagone entre 2007 et 2008, la série des « Univers multiples » gravite autour du paradoxe énoncé en 1950 par le célèbre physicien Enrico Fermi. Au cours d’un repas avec des collègues, le scientifique s’interroge sur la possibilité d’une vie, et d’une visite extraterrestre. Constatant que notre soleil est une étoile jeune à l’échelle de la galaxie, il formule la question suivante : « S’il y a des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient déjà être chez nous. Où sont-ils ? »

A ce paradoxe, Baxter répond en plusieurs points, déclinant ses propositions en trois épais romans. A l’instar du David Bowman de L’Odyssée de l’espace de Kubrick et Clarke, Reid Malenfant y apparaît comme le moteur d’une variation thématique riche en trouvailles sidérantes. Un personnage fort, certes quelque peu monolithique, animé par son obstination à rallier l’espace et les étoiles. Autour de lui, diverses réalités se déploient, se faisant et se défaisant au gré des extrapolations scientifiques et science-fictives de l’auteur britannique.

En guise d’ouverture, Temps propose au lecteur un véritable feu d’artifice d’idées, de théories et de notions scientifiques, toutes plus vertigineuses les unes que les autres. Le propos n’est pas sans rappeler les perspectives cosmiques, pour ne pas dire métaphysiques, d’Olaf Stapledon, ou encore celles d’H. G. Wells dans La Machine à explorer le temps, roman pour lequel — ce n’est sans doute pas un hasard — Baxter a imaginé une suite.

Temps explore l’hypothèse d’un univers dépourvu de toute autre forme de vie intelligente. A la question de Fermi : « Où sont-ils ? », il répond : « Nulle part ». Et ce n’est pas la vision du futur offerte par un artefact venu de l’avenir, la perspective d’une fin du monde probable ou l’apparition de mutants aux desseins mystérieux qui rassure l’humanité. Bien au contraire, ces faits l’accablent et l’affolent, ressuscitant les pires réflexes de préservation de l’espèce.

Par le biais de la physique quantique, Stephen Baxter nous projette à la fois dans l’avenir, au terme de l’univers, et dans l’arborescence des possibles. Deux interrogations lancinantes traversent le roman. Que deviendra l’intelligence une fois l’humanité disparue ? Comment parvenir à vaincre l’entropie ? A ces questions, l’auteur britannique apporte des réponses époustouflantes, sans omettre d’user d’un des points forts de la SF : adopter le point de vue de l’autre, l’étranger, l’inhumain, ici incarné par des calmars génétiquement modifiés. On en redemande.

Situé en un même temps et un même lieu, mais sur une ligne parallèle, Espace joue la carte du foisonnement, l’intrigue linéaire cédant la place à une succession de récits entrecoupés d’ellipses temporelles. Cette fois-ci, Stephen Baxter use et abuse de la profondeur de champ de l’univers, déroulant son histoire sur quelques milliers d’années. Le procédé a de quoi réjouir l’amateur avide de spéculation science-fictive, cependant il faut reconnaître que le récit se montre beaucoup plus décousu, accusant de sérieux coups de mou, même si le final reste toujours aussi vertigineux.

Au paradoxe de Fermi, l’auteur britannique répond ici par une autre question : « Pourquoi les extraterrestres n’arrivent-ils que maintenant ? » Baxter imagine en effet que la vie est présente partout dans l’univers. Sous diverses formes, elle grouille littéralement, affichant ses manifestations passées et présentes aux yeux d’une humanité désormais ravalée au rang d’espèce superflue. Toutefois, si la vie intelligente abonde et prolifère, affrontant avec succès ou non ses démons intérieurs, pourquoi aucune civilisation extraterrestre n’est-elle parvenue à conquérir et dominer la galaxie ? Guère pressé d’apporter une réponse, l’auteur britannique nous ballade d’un lieu à un autre. Des déplacements dans l’espace et le futur — conformément au principe de la physique d’Einstein — accomplis via des portails convertissant la matière en lumière. Ces voyages permettent à Stephen Baxter de mettre en scène des formes de vie étranges et de balayer quelques millénaires d’évolution de l’humanité dans une perspective fort peu réjouissante, il faut le reconnaître. Ces diverses spéculations ne tempèrent malheureusement pas complètement la déception. Après TempsEspace fait un peu l’effet d’un brouillon un tantinet indigeste.

Avec Origine, troisième volet de la série, exit la Terre, l’univers et le reste… Baxter plante le décor sur une Lune rouge dont les vagabondages dans l’infinité des réalités l’amènent à moissonner de façon aléatoire la vie à la surface de la Terre. Malenfant et ses compagnons découvrent ainsi un monde où coexistent plusieurs espèces d’hominidés, dont l’une d’entre elles semble avoir atteint un stade d’évolution supérieur à celui de l’Homo sapiens. Ils rencontrent également quelques contemporains issus d’une réalité alternative, notamment des Anglais provenant d’une Terre où les Etats-Unis n’existent pas et où l’Homme de Néanderthal n’a pas disparu.

Si les prémisses du roman paraissent stimulantes, on déchante assez vite. Origine s’apparente à une purge longue et douloureuse. Une sorte de Au cœur des ténèbres chez les pithécanthropes écrit par un Homo guère habilis. A vrai dire, Baxter tire à la ligne, ne nous épargnant rien des soucis digestifs de ses personnages et de leurs tracas quotidiens. Le récit se cantonne à une interminable litanie de scènes de viol, de cannibalisme, de torture et d’actes de barbarie, sans que l’on ne ressente une quelconque progression dramatique. C’est juste gore et vain. A sa décharge, l’auteur britannique ne choisit pas la facilité, adoptant avec maladresse le point de vue de quelques hominidés. Ceci n’excuse toutefois pas les nombreuses pistes qu’il laisse en friche, préférant donner libre cours à son penchant pour la Préhistoire et l’évolution. Quant au paradoxe de Fermi, il se réduit à la portion congrue, se résumant à une nouvelle question à laquelle Baxter apporte une réponse bâclée dans les cent dernières pages.

Au final, si Temps paraît incontournable, on ne peut manifester autant d’enthousiasme pour Espace. Quant à Origine, mieux vaut passer outre pour sauter directement à la case du recueil Phase Space évoqué plus haut, histoire d’achever la série des « Univers multiples » sous de bons augures.

Espace

[Critique commune à TempsEspace et Origine.]

Pierre d’achoppement de nombreuses conversations érudites, la définition de la SF agite périodiquement un genre à la recherche d’une identité, ou du moins essayant de comprendre les motifs de son désaveu parmi une intelligentsia prompte à exclure. Pourtant, il suffit de lire la série des « Univers multiples » (« Manifold » chez nos cousins de la perfide Albion) pour expérimenter l’intuition de Norman Spinrad. Pour l’auteur américain, la SF semble être en effet la seule forme de littérature vraiment en prise avec son époque, explorant la réalité multiple dans laquelle nous vivons.

Un message parfaitement reçu par Stephen Baxter, puisque l’on retrouve bien chez l’auteur britannique cette volonté de dévoiler la multitude des possibles. Une détermination conjuguée à un désir quasi-prométhéen de pousser l’humanité hors de son berceau terrestre pour l’amener à accomplir son destin d’espèce intelligente, pour la forcer à s’affranchir du carcan bureaucratique, économique, idéologique et religieux l’empêchant de coloniser l’espace.

De fait, Baxter n’a de cesse dans ses romans, astucieux cocktails de sense of wonder et de hard science, de vilipender la frilosité des institutionnels, refaisant au passage l’histoire de la conquête spatiale avec Voyage. Il déplore également la perte de l’esprit pionnier rappelant la fragilité de l’humanité et son caractère éphémère au regard de l’histoire de l’univers.

Paru dans l’Hexagone entre 2007 et 2008, la série des « Univers multiples » gravite autour du paradoxe énoncé en 1950 par le célèbre physicien Enrico Fermi. Au cours d’un repas avec des collègues, le scientifique s’interroge sur la possibilité d’une vie, et d’une visite extraterrestre. Constatant que notre soleil est une étoile jeune à l’échelle de la galaxie, il formule la question suivante : « S’il y a des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient déjà être chez nous. Où sont-ils ? »

A ce paradoxe, Baxter répond en plusieurs points, déclinant ses propositions en trois épais romans. A l’instar du David Bowman de L’Odyssée de l’espace de Kubrick et Clarke, Reid Malenfant y apparaît comme le moteur d’une variation thématique riche en trouvailles sidérantes. Un personnage fort, certes quelque peu monolithique, animé par son obstination à rallier l’espace et les étoiles. Autour de lui, diverses réalités se déploient, se faisant et se défaisant au gré des extrapolations scientifiques et science-fictives de l’auteur britannique.

En guise d’ouverture, Temps propose au lecteur un véritable feu d’artifice d’idées, de théories et de notions scientifiques, toutes plus vertigineuses les unes que les autres. Le propos n’est pas sans rappeler les perspectives cosmiques, pour ne pas dire métaphysiques, d’Olaf Stapledon, ou encore celles d’H. G. Wells dans La Machine à explorer le temps, roman pour lequel — ce n’est sans doute pas un hasard — Baxter a imaginé une suite.

Temps explore l’hypothèse d’un univers dépourvu de toute autre forme de vie intelligente. A la question de Fermi : « Où sont-ils ? », il répond : « Nulle part ». Et ce n’est pas la vision du futur offerte par un artefact venu de l’avenir, la perspective d’une fin du monde probable ou l’apparition de mutants aux desseins mystérieux qui rassure l’humanité. Bien au contraire, ces faits l’accablent et l’affolent, ressuscitant les pires réflexes de préservation de l’espèce.

Par le biais de la physique quantique, Stephen Baxter nous projette à la fois dans l’avenir, au terme de l’univers, et dans l’arborescence des possibles. Deux interrogations lancinantes traversent le roman. Que deviendra l’intelligence une fois l’humanité disparue ? Comment parvenir à vaincre l’entropie ? A ces questions, l’auteur britannique apporte des réponses époustouflantes, sans omettre d’user d’un des points forts de la SF : adopter le point de vue de l’autre, l’étranger, l’inhumain, ici incarné par des calmars génétiquement modifiés. On en redemande.

Situé en un même temps et un même lieu, mais sur une ligne parallèle, Espace joue la carte du foisonnement, l’intrigue linéaire cédant la place à une succession de récits entrecoupés d’ellipses temporelles. Cette fois-ci, Stephen Baxter use et abuse de la profondeur de champ de l’univers, déroulant son histoire sur quelques milliers d’années. Le procédé a de quoi réjouir l’amateur avide de spéculation science-fictive, cependant il faut reconnaître que le récit se montre beaucoup plus décousu, accusant de sérieux coups de mou, même si le final reste toujours aussi vertigineux.

Au paradoxe de Fermi, l’auteur britannique répond ici par une autre question : « Pourquoi les extraterrestres n’arrivent-ils que maintenant ? » Baxter imagine en effet que la vie est présente partout dans l’univers. Sous diverses formes, elle grouille littéralement, affichant ses manifestations passées et présentes aux yeux d’une humanité désormais ravalée au rang d’espèce superflue. Toutefois, si la vie intelligente abonde et prolifère, affrontant avec succès ou non ses démons intérieurs, pourquoi aucune civilisation extraterrestre n’est-elle parvenue à conquérir et dominer la galaxie ? Guère pressé d’apporter une réponse, l’auteur britannique nous ballade d’un lieu à un autre. Des déplacements dans l’espace et le futur — conformément au principe de la physique d’Einstein — accomplis via des portails convertissant la matière en lumière. Ces voyages permettent à Stephen Baxter de mettre en scène des formes de vie étranges et de balayer quelques millénaires d’évolution de l’humanité dans une perspective fort peu réjouissante, il faut le reconnaître. Ces diverses spéculations ne tempèrent malheureusement pas complètement la déception. Après TempsEspace fait un peu l’effet d’un brouillon un tantinet indigeste.

Avec Origine, troisième volet de la série, exit la Terre, l’univers et le reste… Baxter plante le décor sur une Lune rouge dont les vagabondages dans l’infinité des réalités l’amènent à moissonner de façon aléatoire la vie à la surface de la Terre. Malenfant et ses compagnons découvrent ainsi un monde où coexistent plusieurs espèces d’hominidés, dont l’une d’entre elles semble avoir atteint un stade d’évolution supérieur à celui de l’Homo sapiens. Ils rencontrent également quelques contemporains issus d’une réalité alternative, notamment des Anglais provenant d’une Terre où les Etats-Unis n’existent pas et où l’Homme de Néanderthal n’a pas disparu.

Si les prémisses du roman paraissent stimulantes, on déchante assez vite. Origine s’apparente à une purge longue et douloureuse. Une sorte de Au cœur des ténèbres chez les pithécanthropes écrit par un Homo guère habilis. A vrai dire, Baxter tire à la ligne, ne nous épargnant rien des soucis digestifs de ses personnages et de leurs tracas quotidiens. Le récit se cantonne à une interminable litanie de scènes de viol, de cannibalisme, de torture et d’actes de barbarie, sans que l’on ne ressente une quelconque progression dramatique. C’est juste gore et vain. A sa décharge, l’auteur britannique ne choisit pas la facilité, adoptant avec maladresse le point de vue de quelques hominidés. Ceci n’excuse toutefois pas les nombreuses pistes qu’il laisse en friche, préférant donner libre cours à son penchant pour la Préhistoire et l’évolution. Quant au paradoxe de Fermi, il se réduit à la portion congrue, se résumant à une nouvelle question à laquelle Baxter apporte une réponse bâclée dans les cent dernières pages.

Au final, si Temps paraît incontournable, on ne peut manifester autant d’enthousiasme pour Espace. Quant à Origine, mieux vaut passer outre pour sauter directement à la case du recueil Phase Space évoqué plus haut, histoire d’achever la série des « Univers multiples » sous de bons augures.

Temps

[Critique commune à Temps, Espace et Origine.]

Pierre d’achoppement de nombreuses conversations érudites, la définition de la SF agite périodiquement un genre à la recherche d’une identité, ou du moins essayant de comprendre les motifs de son désaveu parmi une intelligentsia prompte à exclure. Pourtant, il suffit de lire la série des « Univers multiples » (« Manifold » chez nos cousins de la perfide Albion) pour expérimenter l’intuition de Norman Spinrad. Pour l’auteur américain, la SF semble être en effet la seule forme de littérature vraiment en prise avec son époque, explorant la réalité multiple dans laquelle nous vivons.

Un message parfaitement reçu par Stephen Baxter, puisque l’on retrouve bien chez l’auteur britannique cette volonté de dévoiler la multitude des possibles. Une détermination conjuguée à un désir quasi-prométhéen de pousser l’humanité hors de son berceau terrestre pour l’amener à accomplir son destin d’espèce intelligente, pour la forcer à s’affranchir du carcan bureaucratique, économique, idéologique et religieux l’empêchant de coloniser l’espace.

De fait, Baxter n’a de cesse dans ses romans, astucieux cocktails de sense of wonder et de hard science, de vilipender la frilosité des institutionnels, refaisant au passage l’histoire de la conquête spatiale avec Voyage. Il déplore également la perte de l’esprit pionnier rappelant la fragilité de l’humanité et son caractère éphémère au regard de l’histoire de l’univers.

Paru dans l’Hexagone entre 2007 et 2008, la série des « Univers multiples » gravite autour du paradoxe énoncé en 1950 par le célèbre physicien Enrico Fermi. Au cours d’un repas avec des collègues, le scientifique s’interroge sur la possibilité d’une vie, et d’une visite extraterrestre. Constatant que notre soleil est une étoile jeune à l’échelle de la galaxie, il formule la question suivante : « S’il y a des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient déjà être chez nous. Où sont-ils ? »

A ce paradoxe, Baxter répond en plusieurs points, déclinant ses propositions en trois épais romans. A l’instar du David Bowman de L’Odyssée de l’espace de Kubrick et Clarke, Reid Malenfant y apparaît comme le moteur d’une variation thématique riche en trouvailles sidérantes. Un personnage fort, certes quelque peu monolithique, animé par son obstination à rallier l’espace et les étoiles. Autour de lui, diverses réalités se déploient, se faisant et se défaisant au gré des extrapolations scientifiques et science-fictives de l’auteur britannique.

En guise d’ouverture, Temps propose au lecteur un véritable feu d’artifice d’idées, de théories et de notions scientifiques, toutes plus vertigineuses les unes que les autres. Le propos n’est pas sans rappeler les perspectives cosmiques, pour ne pas dire métaphysiques, d’Olaf Stapledon, ou encore celles d’H. G. Wells dans La Machine à explorer le temps, roman pour lequel — ce n’est sans doute pas un hasard — Baxter a imaginé une suite.

Temps explore l’hypothèse d’un univers dépourvu de toute autre forme de vie intelligente. A la question de Fermi : « Où sont-ils ? », il répond : « Nulle part ». Et ce n’est pas la vision du futur offerte par un artefact venu de l’avenir, la perspective d’une fin du monde probable ou l’apparition de mutants aux desseins mystérieux qui rassure l’humanité. Bien au contraire, ces faits l’accablent et l’affolent, ressuscitant les pires réflexes de préservation de l’espèce.

Par le biais de la physique quantique, Stephen Baxter nous projette à la fois dans l’avenir, au terme de l’univers, et dans l’arborescence des possibles. Deux interrogations lancinantes traversent le roman. Que deviendra l’intelligence une fois l’humanité disparue ? Comment parvenir à vaincre l’entropie ? A ces questions, l’auteur britannique apporte des réponses époustouflantes, sans omettre d’user d’un des points forts de la SF : adopter le point de vue de l’autre, l’étranger, l’inhumain, ici incarné par des calmars génétiquement modifiés. On en redemande.

Situé en un même temps et un même lieu, mais sur une ligne parallèle, Espace joue la carte du foisonnement, l’intrigue linéaire cédant la place à une succession de récits entrecoupés d’ellipses temporelles. Cette fois-ci, Stephen Baxter use et abuse de la profondeur de champ de l’univers, déroulant son histoire sur quelques milliers d’années. Le procédé a de quoi réjouir l’amateur avide de spéculation science-fictive, cependant il faut reconnaître que le récit se montre beaucoup plus décousu, accusant de sérieux coups de mou, même si le final reste toujours aussi vertigineux.

Au paradoxe de Fermi, l’auteur britannique répond ici par une autre question : « Pourquoi les extraterrestres n’arrivent-ils que maintenant ? » Baxter imagine en effet que la vie est présente partout dans l’univers. Sous diverses formes, elle grouille littéralement, affichant ses manifestations passées et présentes aux yeux d’une humanité désormais ravalée au rang d’espèce superflue. Toutefois, si la vie intelligente abonde et prolifère, affrontant avec succès ou non ses démons intérieurs, pourquoi aucune civilisation extraterrestre n’est-elle parvenue à conquérir et dominer la galaxie ? Guère pressé d’apporter une réponse, l’auteur britannique nous ballade d’un lieu à un autre. Des déplacements dans l’espace et le futur — conformément au principe de la physique d’Einstein — accomplis via des portails convertissant la matière en lumière. Ces voyages permettent à Stephen Baxter de mettre en scène des formes de vie étranges et de balayer quelques millénaires d’évolution de l’humanité dans une perspective fort peu réjouissante, il faut le reconnaître. Ces diverses spéculations ne tempèrent malheureusement pas complètement la déception. Après Temps, Espace fait un peu l’effet d’un brouillon un tantinet indigeste.

Avec Origine, troisième volet de la série, exit la Terre, l’univers et le reste… Baxter plante le décor sur une Lune rouge dont les vagabondages dans l’infinité des réalités l’amènent à moissonner de façon aléatoire la vie à la surface de la Terre. Malenfant et ses compagnons découvrent ainsi un monde où coexistent plusieurs espèces d’hominidés, dont l’une d’entre elles semble avoir atteint un stade d’évolution supérieur à celui de l’Homo sapiens. Ils rencontrent également quelques contemporains issus d’une réalité alternative, notamment des Anglais provenant d’une Terre où les Etats-Unis n’existent pas et où l’Homme de Néanderthal n’a pas disparu.

Si les prémisses du roman paraissent stimulantes, on déchante assez vite. Origine s’apparente à une purge longue et douloureuse. Une sorte de Au cœur des ténèbres chez les pithécanthropes écrit par un Homo guère habilis. A vrai dire, Baxter tire à la ligne, ne nous épargnant rien des soucis digestifs de ses personnages et de leurs tracas quotidiens. Le récit se cantonne à une interminable litanie de scènes de viol, de cannibalisme, de torture et d’actes de barbarie, sans que l’on ne ressente une quelconque progression dramatique. C’est juste gore et vain. A sa décharge, l’auteur britannique ne choisit pas la facilité, adoptant avec maladresse le point de vue de quelques hominidés. Ceci n’excuse toutefois pas les nombreuses pistes qu’il laisse en friche, préférant donner libre cours à son penchant pour la Préhistoire et l’évolution. Quant au paradoxe de Fermi, il se réduit à la portion congrue, se résumant à une nouvelle question à laquelle Baxter apporte une réponse bâclée dans les cent dernières pages.

Au final, si Temps paraît incontournable, on ne peut manifester autant d’enthousiasme pour Espace. Quant à Origine, mieux vaut passer outre pour sauter directement à la case du recueil Phase Space évoqué plus haut, histoire d’achever la série des « Univers multiples » sous de bons augures.

Lumière des jours enfuis

Ce livre est mauvais.

Ce livre est excellent.

Si tant Arthur C. Clarke que Stephen Baxter étaient de brillants stylistes, ça se saurait ! Chez ces éminents britanniques représentants du courant hard science, l’intérêt est ailleurs. Clarke, que l’on a toujours préféré nouvelliste que romancier — peut-être cela tient-il au fait qu’il a été un auteur de l’ « Age d’or » –, et Baxter, dont on a jusqu’à présent peu lu les nouvelles en français, n’ont jamais proposé des récits particulièrement rythmés. Plus courts, les premiers romans de Baxter, Gravité et Singularité, souffraient moins de ce manque que des œuvres plus récentes telles que Titan ou Déluge, par exemple. Rendez-vous avec Rama, roman pourtant peu volumineux jouissant d’une réputation exceptionnelle et justifiée qui le hisse au rang des chefs-d’œuvre d’Arthur C. Clarke, souffre du même défaut. Peut-être est-ce dû aux options résolument réalistes qu’ils choisissent l’un et l’autre ? Quoiqu’il en soit, ils ont tous deux assez à offrir pour que ce défaut, bien que majeur et récurrent, ne soit pas rédhibitoire.

Cette collaboration entre ces deux auteurs proches, tant par leur manière que par leur intérêt pour les extrapolations scientifiques de hautes volées, a achevé d’établir la réputation de Stephen Baxter comme héritier d’Arthur C. Clarke.

L’histoire ? Elle tient dans les histoires de famille d’Hiram Patterson et les coups de pute auxquels il se croit autorisé en tant que patriarche fondateur d’un empire technologique. Les victimes : son fils Billy ; son autre fils David, qu’il utilise bien qu’il le méprise parce qu’il est catholique fervent comme sa mère ; Heather, la mère (porteuse de Billy) ; la fille de celle-ci, Marie ; et plus que tout autre, Kate Manzoni, l’amour de Billy. Outre cette famille plus décomposée que recomposée, on ne croisera guère que l’agent du FBI Michael Mavens et Mae Wilson, aussi cinglée que sa fille. Hiram Patterson n’aime personne et tout le monde le déteste. Les auteurs ont utilisé là le matériel minimum pour faire de leur livre un roman.

Tout le reste n’est que spéculations de hautes volée et c’est bien ce qui passionne !

Spéculations qui tournent autour de la camver, une caméra high-tech qui possède la formidable capacité de voir le passé ! Par cet aspect, ce roman est à rapprocher de La Rédemption de Christophe Colomb d’Orson Scott Card, et des Yeux du temps de Bob Shaw. Du coup, des légions de cadavres sortent des placards où on les avait planqués à tout jamais, pensait-on. Les cadavres de la vie privée de tout un chacun, parfois au sens propre (il faut bien quelques éléments pour alimenter une narration un peu pauvre), tout aussi bien que ceux de l’Histoire avec un grand « H ». Des millions de gens avec des millions de camver scrutent le passé des grands et des moins grands. De l’origine d’une célèbre chanson des Beatles à un discours de Lincoln, tandis que le Roi Arthur s’évapore dans les limbes du temps, Jésus se révèle d’une classe sociale bien supérieure à ce à quoi on pourrait s’attendre : point de pauvre charpentier mais un maître artisan de première bourre ; le Frank Lloyd Wright de son époque ! De là, les auteurs interrogent la mythographie qui constitue notre vérité historique. Une vérité plus vraie, la réalité, chasse des mensonges dont il était pourtant bien plus facile de s’accommoder.

Tandis que l’ancien monde vole en éclats, la jeunesse s’adapte au monde de la camver et le pousse dans ses derniers retranchements. L’information passe par les trous de ver minuscules à travers l’espace et/ou le temps, et bientôt la technologie permet de se greffer une camver dans la cervelle pour créer un gestalt télépathique qui rappelle fort la « cohérence » du roman d’Andreas Eschbach, Black*out. Muni d’un traqueur génétique, la camver peut bondir d’une génération à la précédente en remontant l’ADN mitochondrial jusqu’aux origines même de la vie dans un vertigineux plongeon à travers le temps.

A travers La Lumière des jours enfuis, Clarke et Baxter essaient d’envisager tout le potentiel de la technologie qu’ils ont imaginée, forçant le fameux « et si » aussi loin qu’ils le peuvent. La technologie de la camver est trop spéculative pour faire l’objet d’un essai, aussi ont-ils écrit un roman. Une première collaboration qui brille davantage par les problématiques ahurissantes qu’elle soulève que par sa force narrative.

Poussière de lune

Présenté comme le dernier tome de la « trilogie de la NASA », Poussière de lune est cependant un roman très différent de Voyage et Titan, et l’agence spatiale américaine n’y intervient en définitive que par la bande, et tardivement. A vrai dire, on peut même se demander s’il s’agit réellement, à l’instar de ses illustres prédécesseurs, d’un roman de hard science… Cet ultime volume est en effet beaucoup plus fantasque que les deux autres, et, si la science y a son mot à dire — la géologie, en l’occurrence, bien plus que l’astronautique —, le contexte est essentiellement celui d’un roman apocalyptique (mais d’une manière bien différente de Titan… et, autant le dire de suite, nettement moins convaincante).

Tout commence lors d’une mission Apollo, quand l’astronaute Jays Malone rapporte sur Terre une étrange pierre lunaire. Bien des années plus tard, cette pierre devient la préoccupation essentielle du géologue de la NASA Henry Meacher, lequel, après s’être vu refuser son programme de sondes lunaires automatiques Shoemaker, quitte Houston pour Edimbourg, et par la même occasion son astronaute de femme, Geena. L’échantillon lunaire, longtemps ignoré, l’accompagne. Hélas, suite à une brèche dans la quarantaine (un peu forcée pour le coup), la « poussière de lune » qu’il contient va se retrouver répandue sur Arthur’s Seat, un volcan éteint de la ville écossaise. Et c’est ainsi que va se mettre en branle un terrible processus destiné à provoquer la fin de la Terre, une fin sans doute comparable à celle de Vénus, qui explose sans que l’on sache vraiment pourquoi dans les premières pages du roman…

Après une (trop) longue mise en place essentiellement consacrée à la géologie, Henry Meacher parvient à persuader la NASA (et les Russes, tant qu’à faire) que l’unique échappatoire se trouve sur la Lune. Et c’est ainsi qu’est élaboré dans l’urgence (quelques semaines à peine !) un nouveau vol habité à destination de notre satellite, avec à son bord Henry et Geena.

Le problème, c’est qu’il faut se farcir cinq cents pages environ avant que cette thématique ne soit véritablement introduite dans le roman.

Et c’est long. Beaucoup trop long.

Stephen Baxter, on le sait — et un simple coup d’œil à sa bibliographie suffira à en persuader quiconque —, a tendance à faire dans le « dilaté », et sa « trilogie de la NASA » n’échappe pas à la règle. Ce qui ne pose pas nécessairement de problème. Un bon Baxter, c’est souvent long, mais c’est avant tout passionnant. Mais, quand le projet ne tient pas totalement la route, c’est hélas affreusement long. En témoigne Poussière de lune, roman raté, bancal, mal construit, mal écrit, mal traduit, qui conclut sur une note amère de profonde déception une trilogie jusque-là fascinante.

On s’ennuie en effet franchement à la lecture de ce dernier volume, abusant des digressions inutiles et autres personnages superflus et caricaturaux (dont un magnifiquement ridicule moine pédophile irlandais exilé au Japon, lequel, heureusement, n’apparaît que brièvement, mais c’est un exemple éloquent…) pour meubler, façon film catastrophe, une trame qui n’en demandait pas tant. Ce qui rend déjà la lecture de Poussière de lune extrêmement pénible. Hélas, les personnages principaux ne sont pas mieux servis, et les rapports humains, sous la plume maladroite de Baxter, tournent au théâtre de boulevard, amant dans le placard inclus (en l’occurrence, dans un Soyouz).

Cela dit, on pourrait presque fermer les yeux sur ces fâcheux travers si l’histoire principale tenait la route. Hélas, ce n’est pas vraiment le cas. Si Voyage brillait par son réalisme extrême, et si Titan se montrait en définitive convaincant malgré une plausibilité moindre, Poussière de lune jette très vite toute crédibilité aux orties. Cette histoire de roche destructrice laisse déjà quelque peu sceptique, c’est rien de le dire, et, durant tout le roman, en dépit des efforts — visibles — de l’auteur pour nous faire adhérer à son propos, on n’y croit pas vraiment… En s’éloignant de la pure hard science pour une SF plus fantasque, pour ne pas dire carrément loufoque, Stephen Baxter s’égare. Et s’il tente à nouveau, en fin de volume, de jouer la carte du vertige, procédé pour lequel il est tellement doué d’habitude, rien n’y fait : tout cela est beaucoup trop gros, et ça ne passe pas.

Aussi Poussière de lune, bien loin de confirmer la réussite de Voyage et Titan, achève-t-il la « trilogie de la NASA » sur une fausse note des plus regrettables. Un Baxter raté, poussif, sur lequel on pourra très légitimement faire l’impasse ; l’auteur britannique a fait tellement mieux…

Titan

Deuxième tome de la « trilogie de la NASA », Titan poursuit le questionnement de la conquête de l’espace, et notamment des vols habités, entrepris dans Voyage. Mais pas d’uchronie, cette fois : Stephen Baxter se livre ici à une anticipation à très court terme (à tel point que c’est déjà en partie du passé pour nous), et si le résultat est à nouveau vertigineux (plus encore, dans un sens), l’optique est cependant bien différente. Autant le dire d’emblée : tout ceci n’est pas très joyeux, et, à bien des égards, Titan sonne comme un requiem…

Tout commence en 2004, par deux événements concomitants et fondamentaux. D’une part, la sonde Cassini-Huygens fournit des renseignements sur Titan, l’un des satellites de Saturne, et d’aucuns en déduisent que la lune en question pourrait bien abriter une forme de vie, quoique fort différente de ce que nous connaissons. D’autre part, la navette Columbia se crashe en rentrant d’une mission, tuant deux des astronautes à son bord ; accident qui ne manque pas de rappeler le drame de Challenger, témoigne de l’état de délabrement du programme spatial américain, et pourrait bien en sonner le glas…

Paula Benacerraf, une des survivantes de Columbia, se voit en effet confier la dure charge de la gestion des dernières navettes spatiales de la NASA, l’idée sous-jacente étant le démantèlement à court terme. Mais elle fait une rencontre déterminante en la personne de Rosenberg, un jeune chercheur passablement autiste, de toute évidence gros lecteur de science-fiction, qui lui suggère une idée hautement farfelue, un ultime défi en forme de tour d’honneur ; il s’agit d’utiliser les dernières ressources dont dispose la NASA (menacée à brève échéance par l’élection attendue/redoutée d’un républicain de tendance dure et fondamentaliste chrétien à la présidence des Etats-Unis) pour lancer un dernier vol, du genre à renouveler, et même dépasser, l’alunissage historique d’Apollo 11 : un aller simple à destination de Titan, à bord de la navette Discovery légèrement modifiée. Parce que Titan, donc — il en est persuadé —, est susceptible d’abriter la vie ; mais aussi parce que la lune de Saturne, bien plus que notre satellite ou que Mars, est à ses yeux la clef de la conquête du Système solaire (pour tout un tas de raisons scientifiques passablement complexes qu’il serait vain de vouloir résumer ici).

Un projet complètement fou : un voyage de six ans en microgravité, et aucune chance de retour… Mais Benacerraf finit par être convaincue, et réunit une petite équipe pour préparer cette nouvelle odyssée de l’espace. Et, à la date prévue, c’est-à-dire 2008, Discovery quitte l’orbite terrestre à destination de la géante gazeuse aux célèbres anneaux, avec à son bord Benacerraf, Rosenberg et trois autres astronautes.

Une fois cette date fatidique franchie, le roman développe deux lignes narratives : d’une part, nous suivons nos héroïques aventuriers de l’espace dans leur long périple semé d’embûches ; d’autre part, nous jetons régulièrement un coup d’œil à ce qui se passe sur Terre.

Or, le tableau n’est guère réjouissant : le cow-boy texan intégriste est élu président, et s’empresse de mettre en place une politique populiste, isolationniste et réactionnaire à même de faire passer son compatriote George W. Bush pour un libéral ultra-progressiste. L’Air Force prend enfin sa revanche sur la NASA, qui ne sert plus désormais que les projets de militaires paranoïaques tout droit sortis de Docteur Folamour (là, pour le coup, c’est assez franchement ridicule…). Et la situation internationale n’est pas plus enthousiasmante : l’Occident, les Etats-Unis en tête, flippant comme c’est pas permis devant la puissance chinoise (qui s’est elle aussi autorisée un programme spatial, tardif et risqué, et aux terribles conséquences)…

On peut légitimement trouver que notre auteur britannique en fait « un peu trop ». Mais cela sert le propos d’ensemble qui, dans les deux trames, est à se pendre… Le message, ici, prend en quelque sorte le pas sur la crédibilité de Voyage. Si Titan, aussi dingue semble-t-il à première vue, relève bien de la hard science, et constitue à nouveau un roman très technique s’appuyant sur une documentation parfaitement sérieuse, on est cependant en droit d’y voir avant tout un constat désabusé sur un programme spatial moribond et une planète qui ne l’est pas moins, constat et avertissement aux allures de fable, pour ne pas dire de parabole.

Aussi Titan, plus ou moins pertinent, plus ou moins lucide, n’a probablement pas le brio de Voyage. Les vagues regrets qui teintaient ce précédent roman se muent ici en franche dépression ; malgré le caractère fou de l’odyssée vers Titan, on ne peut pas dire que l’enthousiasme débridé soit caractéristique de ce deuxième tome de la « trilogie de la NASA », peinture avant tout de lendemains qui déchantent. Mais il reste vertigineux — Baxter était décidément d’ores et déjà un maître en matière de sense of wonder —, et tout à fait recommandable ; simplement, le rêve plus ou moins régressif prend ici des couleurs de cauchemar….

Voyage

On sait que Stephen Baxter, avant de se consacrer à l’écriture, fut un astronaute frustré ; rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’il ait livré une « trilogie de la NASA » (informelle, chaque volume étant indépendant), dans laquelle il questionne la conquête de l’espace. Voyage en est le premier volume (les suivants étant Titan et Poussière de lune), et il est pour le moins éloquent à cet égard. Cette vaste fresque de science-fiction hard science ultra documentée et réaliste (ne faites donc pas attention aux couvertures, qui n’ont absolument rien à voir avec le contenu…) joue en effet la carte de l’uchronie subtile pour proposer une vision aussi lucide que fascinante de ce qui aurait pu advenir si la NASA, après l’alunissage historique d’Apollo 11, ne s’était pas désintéressée des vols habités, et, plus précisément, avait lancé un vaste et complexe programme destiné à envoyer des astronautes sur Mars avant la fin du XXe siècle.

L’histoire que nous conte Stephen Baxter ne diverge de la nôtre que par petites touches en apparence anodines, mais pourtant décisives, la survie de John Fitzgerald Kennedy à l’attentat du 22 novembre 1963 n’étant pas la moindre. En effet, quand Neil Armstrong et Joe Muldoon (exit Buzz Aldrin…) posent le pied sur notre satellite en 1969, ce qui représente l’apogée du programme spatial américain, JFK est aux côtés de Nixon (malgré leur « inimitié »…) pour les féliciter et, en direct, lancer l’idée du vol habité à destination de Mars comme prochaine étape à franchir, à plus ou moins long terme. Ce qui chamboule totalement la conquête de l’espace versant américain telle que nous l’avons connue : la NASA fait ainsi l’impasse sur la navette spatiale, par exemple, et les sondes automatisées en pâtissent également.

Le roman alterne entre deux lignes narratives : l’une, très simple, évoque, au milieu des années 1980, le vol pour Mars des trois astronautes Phil Stone, Ralph Gershon et Natalie York (cette dernière, une géologue à l’origine, étant probablement le personnage central du roman) à bord du vaisseau Arès ; l’autre, bien plus complexe et « chorale », traite de tous les préparatifs de ce vol historique depuis 1969, et fait intervenir un très grand nombre de personnages fort variés, dont il serait vain de vouloir dresser la liste : astronautes, ingénieurs, chercheurs, administrateurs, etc., qui ont tous joué leur rôle dans la préparation de cette expédition martienne.

Si le démarrage est un peu laborieux, notamment du fait d’un style médiocre assez typique de l’auteur, a fortiori dans ses plus anciennes productions, et d’une tendance à l’abus de jargon ultratechnique, Voyage séduit néanmoins rapidement par son ambition à la limite de la mégalomanie et la somme de recherches qu’il représente. On sent que Stephen Baxter s’est extrêmement documenté pour livrer au final une vision aussi lucide et réaliste que possible d’une conquête de l’espace « autre ». Et le résultat est aussi fascinant qu’intelligent.

Ici, comme dans bon nombre de ses romans, Baxter s’avère un authentique maître du sense of wonder. La science et la technologie s’allient pour faire rêver le lecteur, qui veut croire en la possibilité (avortée…) de cette expédition martienne. Il faut dire que tout dans Voyage se montre plausible ; la ligne historique divergente traitée par l’auteur, documents à l’appui, ne paraît pas invraisemblable, loin de là, et on ne peut s’empêcher, à la lecture de ce pavé, de regretter « la perte de Mars » explicitée en postface…

Et pourtant, Voyage se révèle autrement plus subtil qu’une simple rêverie sur les vols habités post-Apollo. La science « dure » et la technologie sont en effet mises en rapport avec le politique et l’économique de façon extrêmement pertinente — la vision que nous livre l’auteur de ce programme à long terme est globale —, et le propos de Baxter est plus ambigu qu’il n’y paraît au premier abord. Il livre en effet au passage une réflexion passionnante sur l’intérêt tout relatif des vols habités, qui vient quelque peu refroidir le rêveur qui sommeille en tout lecteur de SF. Voyage n’est qu’en apparence une apologie de cette conquête de l’espace différente, dont la pertinence à tous égards est fort intelligemment questionnée. D’autant que Baxter nous montre aussi ce qu’une telle ambition peut avoir de destructeur, voire de tragique, pour les principaux intéressés.

Dès lors, le bilan est sans appel : malgré quelques défauts sur lesquels on ne saurait totalement faire l’impasse (tenant notamment au style médiocre et à des personnages pas toujours très bien campés — Natalie York comprise, qui est pour le moins insupportable), Voyage constitue bel et bien un modèle de SF hard science aussi intelligente que palpitante, une preuve supplémentaire du talent de son auteur pour le sense of wonder à l’état pur. Brillant, enthousiasmant (et en même temps un brin déprimant…), ce premier roman de la « trilogie de la NASA » est une remarquable machine à rêver, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.

Les Vaisseaux du temps

C’est avec ce fort roman, suite directe de La Machine à explorer le temps de Herbert G. Wells, que le public français devait découvrir, en 1998, Stephen Baxter, romancier qui s’imposerait bientôt comme l’un des auteurs de science-fiction contemporains les plus importants.

Les Vaisseaux du temps commence exactement là où finissait le roman de Wells. Revenu à son époque, en 1891, le voyageur temporel n’a qu’une envie : repartir dare-dare dans l’avenir pour sauver, des terrifiants Morlocks mangeurs de chair humaine, la belle Weena dont il est manifestement épris.

Baxter se livre ici à un exercice de style « à la manière de » Wells. Ce roman, écrit juste un siècle après celui de son compatriote, se présente également comme un récit rédigé par le voyageur et doit donc conserver sa tournure d’esprit du XIXe siècle et le style particulier de l’époque. Baxter s’en sort fort bien.

Cependant, H. G. Wells aurait été totalement incapable d’écrire Les Vaisseaux du temps ! Et pour cause. La science a progressé en ce siècle plus qu’en aucun autre, au point de devoir générer un genre littéraire pour se mettre en scène. Quant à la science-fiction, elle n’existait tout simplement pas à l’époque de Wells qui a été considéré, a posteriori, comme en étant le principal cofondateur avec Jules Verne. Le genre, s’appuyant sur la science, a évolué avec elle. Des traitements secondaires de la thématique du voyage dans le temps, tel le paradoxe temporel et les moyens de le circonvenir, sont apparus et constituent autant de figures imposées pour Stephen Baxter.

Le voyageur retourne donc fissa dans l’avenir pour sauver Weena, mais rien ne va plus. Le futur n’est plus ce qu’il était. Cent cinquante mille ans avant l’époque de Weena, le Soleil a disparu, la Terre entière est livrée à l’obscurité et arpentée par les Morlocks. En fait, le Soleil n’a pas vraiment disparu : les Morlocks ont construit tout autour une sphère de Dyson pour accéder à un barreau supérieur de l’échelle civilisationnelle de Kadarshev. Hormis leur physique peu avenant au goût d’un homme de l’époque victorienne, et auquel le voyageur peine toujours à se faire, les Morlocks n’ont plus rien à voir avec les sinistres anthropophages de Wells. Ils ont bâti une formidable civilisation sur l’extérieur de la sphère, tandis qu’à l’intérieur, où brille le soleil encapsulé, des Eloïs, plus proches du voyageur, se livrent à des guerres apocalyptiques. Le récit qu’il a laissé lors de son bref retour en 1891 semble avoir suffi à modifier l’avenir, si on en croit le Morlock Nebogipfel qui va désormais accompagner le voyageur dans ses diverses pérégrinations temporelles. Un compagnon aux informations et aux explications fort utiles au voyageur (mais aussi, bien évidemment, à l’auteur, qui trouve là un moyen d’exposer la science mise en scène dans Les Vaisseaux du temps). Si les Morlocks de Wells nous apparaissaient bien sous les mêmes auspices qu’au voyageur, notre jugement sur ceux de Baxter sera différent de celui du narrateur. A travers Baxter, on porte un autre regard sur l’arrogance impérialiste occidentale de l’époque victorienne et, plus d’une fois, le voyageur se sent dans le rôle de la brute épaisse, en particulier après avoir battu à grands coups de tisonnier des enfants morlocks en arrivant à l’ère de la sphère, ou pour avoir frappé au visage Nebogipfel au moment de partir pour le Paléocène.

Après nous avoir fait découvrir l’extraordinaire civilisation morlock éprise de savoir, Baxter exécute une autre figure imposée du voyage temporel, vers le passé cette fois : la fatidique rencontre du voyageur avec lui-même, plus jeune, et l’inévitable paradoxe qui en découle (à moins de faire définitivement son deuil d’un futur/présent à nul autre pareil, à jamais perdu dans la plurimondialité d’Everett).

On verra la guerre contre les Allemands et le voyage dans la préhistoire qui sont autant de figures habituelles du thème. La guerre s’est étendue dans le temps, et lors de chaque nouvelle itération du voyage temporel, le voyageur et Nebogipfel plongent toujours plus loin. Ils découvrent des trames temporelles de plus en plus vertigineuses où l’enjeu est d’améliorer l’univers, rien de moins !

Bon nombre de romans de Baxter tendent vers une apothéose qui apparaît soit dans une sorte de coda finale, comme dans Titan ou Poussière de Lune, soit en progressant de plus en plus vite et fort, comme ici, où semble s’annoncer la trilogie des « Univers Multiples ».

Les Vaisseaux du temps est l’un des romans les plus vertigineux, mais aussi des plus aboutis de l’auteur. Une brillante réussite dont Wells aurait pu être fier.

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