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Les critiques de Bifrost

Titan

Titan

Stephen BAXTER
J'AI LU
700pp - 9,50 €

Bifrost n° 70

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

Deuxième tome de la « trilogie de la NASA », Titan poursuit le questionnement de la conquête de l’espace, et notamment des vols habités, entrepris dans Voyage. Mais pas d’uchronie, cette fois : Stephen Baxter se livre ici à une anticipation à très court terme (à tel point que c’est déjà en partie du passé pour nous), et si le résultat est à nouveau vertigineux (plus encore, dans un sens), l’optique est cependant bien différente. Autant le dire d’emblée : tout ceci n’est pas très joyeux, et, à bien des égards, Titan sonne comme un requiem…

Tout commence en 2004, par deux événements concomitants et fondamentaux. D’une part, la sonde Cassini-Huygens fournit des renseignements sur Titan, l’un des satellites de Saturne, et d’aucuns en déduisent que la lune en question pourrait bien abriter une forme de vie, quoique fort différente de ce que nous connaissons. D’autre part, la navette Columbia se crashe en rentrant d’une mission, tuant deux des astronautes à son bord ; accident qui ne manque pas de rappeler le drame de Challenger, témoigne de l’état de délabrement du programme spatial américain, et pourrait bien en sonner le glas…

Paula Benacerraf, une des survivantes de Columbia, se voit en effet confier la dure charge de la gestion des dernières navettes spatiales de la NASA, l’idée sous-jacente étant le démantèlement à court terme. Mais elle fait une rencontre déterminante en la personne de Rosenberg, un jeune chercheur passablement autiste, de toute évidence gros lecteur de science-fiction, qui lui suggère une idée hautement farfelue, un ultime défi en forme de tour d’honneur ; il s’agit d’utiliser les dernières ressources dont dispose la NASA (menacée à brève échéance par l’élection attendue/redoutée d’un républicain de tendance dure et fondamentaliste chrétien à la présidence des Etats-Unis) pour lancer un dernier vol, du genre à renouveler, et même dépasser, l’alunissage historique d’Apollo 11 : un aller simple à destination de Titan, à bord de la navette Discovery légèrement modifiée. Parce que Titan, donc — il en est persuadé —, est susceptible d’abriter la vie ; mais aussi parce que la lune de Saturne, bien plus que notre satellite ou que Mars, est à ses yeux la clef de la conquête du Système solaire (pour tout un tas de raisons scientifiques passablement complexes qu’il serait vain de vouloir résumer ici).

Un projet complètement fou : un voyage de six ans en microgravité, et aucune chance de retour… Mais Benacerraf finit par être convaincue, et réunit une petite équipe pour préparer cette nouvelle odyssée de l’espace. Et, à la date prévue, c’est-à-dire 2008, Discovery quitte l’orbite terrestre à destination de la géante gazeuse aux célèbres anneaux, avec à son bord Benacerraf, Rosenberg et trois autres astronautes.

Une fois cette date fatidique franchie, le roman développe deux lignes narratives : d’une part, nous suivons nos héroïques aventuriers de l’espace dans leur long périple semé d’embûches ; d’autre part, nous jetons régulièrement un coup d’œil à ce qui se passe sur Terre.

Or, le tableau n’est guère réjouissant : le cow-boy texan intégriste est élu président, et s’empresse de mettre en place une politique populiste, isolationniste et réactionnaire à même de faire passer son compatriote George W. Bush pour un libéral ultra-progressiste. L’Air Force prend enfin sa revanche sur la NASA, qui ne sert plus désormais que les projets de militaires paranoïaques tout droit sortis de Docteur Folamour (là, pour le coup, c’est assez franchement ridicule…). Et la situation internationale n’est pas plus enthousiasmante : l’Occident, les Etats-Unis en tête, flippant comme c’est pas permis devant la puissance chinoise (qui s’est elle aussi autorisée un programme spatial, tardif et risqué, et aux terribles conséquences)…

On peut légitimement trouver que notre auteur britannique en fait « un peu trop ». Mais cela sert le propos d’ensemble qui, dans les deux trames, est à se pendre… Le message, ici, prend en quelque sorte le pas sur la crédibilité de Voyage. Si Titan, aussi dingue semble-t-il à première vue, relève bien de la hard science, et constitue à nouveau un roman très technique s’appuyant sur une documentation parfaitement sérieuse, on est cependant en droit d’y voir avant tout un constat désabusé sur un programme spatial moribond et une planète qui ne l’est pas moins, constat et avertissement aux allures de fable, pour ne pas dire de parabole.

Aussi Titan, plus ou moins pertinent, plus ou moins lucide, n’a probablement pas le brio de Voyage. Les vagues regrets qui teintaient ce précédent roman se muent ici en franche dépression ; malgré le caractère fou de l’odyssée vers Titan, on ne peut pas dire que l’enthousiasme débridé soit caractéristique de ce deuxième tome de la « trilogie de la NASA », peinture avant tout de lendemains qui déchantent. Mais il reste vertigineux — Baxter était décidément d’ores et déjà un maître en matière de sense of wonder —, et tout à fait recommandable ; simplement, le rêve plus ou moins régressif prend ici des couleurs de cauchemar….

Bertrand BONNET

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