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Les critiques de Bifrost

Gravité

Gravité

Stephen BAXTER
LE BÉLIAL'
304pp - 21,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

Imaginez ! !

Voilà ce Stephen Baxter fait. Il nous donne à voir ce que jamais encore nous n'avions vu. Il ne renouvelle pas tant le genre qu'il ne le pousse à de nouvelles extrémités, qu'il ne le transcende, pour paraphraser l'un de ses titres les plus récents. Il est un continuateur. Principalement celui de feu Arthur C. Clarke, avec qui il avait collaboré, notamment pour Lumière des jours enfuis. Malheureusement, comme pour Clarke, la narration n'est pas son point fort et ses romans Titan et Poussière de lune souffrent d'une longueur qui confine à la langueur. L'intérêt suscité par les idées éblouissantes qu'il développe peine cependant à compenser un manque de rythme patent. Dans Titan, il pèche par une sorte d'excès de réalisme, faisant coïncider le rythme du récit à l'extrême lenteur de l'action. Eh oui ! Les trajectoires orbitales vers Saturne prennent beaucoup de temps…

Gravité, son premier roman, date de 1991. Il est bien plus court que les pavés qu'il produira par la suite, dont Evolution (Pocket) est l'un des meilleurs exemples. Vu ses piètres qualités de narrateur, c'est assurément un atout.

Maintenant, regardons la belle couverture signée Manchu qui représente « la Ceinture », un des lieux de l'action. Elle n'est pas sans rappeler celle de l'Anneau-Monde de Larry Niven. Et pour cause ! C'est un anneau-monde ! Un minuscule anneau-monde. Gravité se passe dans un univers où la constante gravitationnelle est des milliers de fois plus forte que dans le nôtre. Baxter pose, avec la plus grande simplicité, le fameux « Et si… », fondateur de l'essentiel de la S-F. Ensuite, il applique. En physicien, il connaît le rôle joué par la constante gravitationnelle dans l'apparence de notre univers. Bien entendu, tout un chacun expérimente en permanence l'effet de cette constante dans sa vie quotidienne, mais d'une manière si totalement empirique que c'était loin d'être une évidence. Baxter ne s'est pas tant posé la question de savoir à quoi ressemblerait le monde humain dans les conditions de son hypothèse que celle de savoir à quoi pourrait ressembler l'univers en question. Dans cet univers, les humains sont des pièces rapportées. D'absolus aliens, naufragés venus d'un autre univers — le nôtre — qui survivent tant bien que mal.

C'est la nature même de cet univers qui va dicter les péripéties du roman aux protagonistes humains. Ils vivent dans une nébuleuse où ils respirent sans appareil ni difficulté, se tiennent debout sur la Ceinture comme des hirondelles sur un fil électrique, exploitant une mine de fer sur une étoile éteinte de cinquante mètres de diamètre… Pour sûr, voilà un univers qui ne ressemble guère au nôtre.

Rees est mineur, mais il se pose des questions. Il a deviné que son monde change et meurt, il veut comprendre et si possible, agir. Il va connaître bien des vicissitudes qui le conduiront jusque chez les Osseux pour un passage qui nous rappellera Serge Brussolo au mieux de sa forme. Rees — et a fortiori, les autres personnages — n'est pas un modèle de profondeur. Par contre, ce roman est, de loin, le plus remuant qui ait été traduit à ce jour de l'auteur anglais. Bien qu'elle découle directement de l'univers créé par Baxter, l'action n'a rien d'étrange en soi. En la matière, l'auteur anglais ne fait guère montre d'originalité. L'intrigue, linéaire s'il en est, est à la portée du premier venu et, malgré son étrangeté radicale, l'univers proposé par Stephen Baxter est tout aussi accessible. Parce que Baxter maîtrise parfaitement les paramètres de l'univers qu'il a créé, les explications viennent au fil du texte, sans jamais en grever le rythme.

Dans ce premier tome du cycle des Xeelees, on n'en voit pas un seul, ni même n'en entendons parler, juste une ombre diaphane et fugitive ici et là, où nul ne songerait à les voir si l'on n'était pas prévenu.

Plus simple, plus rythmé, ce premier roman est une bonne pioche. Aux frontières indécises du space opera et de la hard science, Gravité aborde la thématique devenue rare de l'intrusion dans un autre univers. La S-F très populaire des débuts du Fleuve Noir « Anticipation » en faisait pourtant ses choux gras, mais des livres tel que Au-delà de l'infini (n° 8) de Jimmy Guieu, aux limites de la cohérence, n'avaient pas le moindre crédit scientifique. De loin s'en faut. C'est ce que Baxter apporte : la plausibilité, la crédibilité. Il est quasiment le premier à nous proposer un univers étranger qui tienne debout. Gravité est l'archétype du roman de S-F néoclassique. Ce premier roman est certes moins complexe et abouti que ceux qui suivront, mais il est aussi plus vif et dynamique, plus aventureux mais tout aussi passionnant.

Jean-Pierre LION

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