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Les critiques de Bifrost

Et c'est comme ça qu'on a decidé de tuer mon oncle

Rohan O'GRADY
MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE
17,50 €

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Deux enfants turbulents, Barnaby Gaunt et Christie MacNab, viennent passer leurs vacances sur une île au large de la Colombie britannique. En dépit de leur jeune âge, ils sont déjà bien éprouvés par la vie. L’un est orphelin, l’autre est fille d’alcoolique. Leur arrivée va bouleverser le quotidien d’une population vieillissante et sans promesse de futur, puisque la guerre a emporté toute une génération d’hommes. Seul le sergent Coulter est revenu du conflit mondial, et depuis il se sent coupable. L’exubérance enfantine et la douceur des adultes vont faire bon ménage jusqu’à l’arrivée du major Murchinson Gaunt. L’ancien commando charme aussitôt son monde, à l’exception de Barnaby. La simple présence de son oncle le terrorise. Il ne supporte plus ses jeux malsains et est persuadé que le major cherche à l’assassiner pour s’emparer de son héritage. Convaincue, Christie ne voit qu’une seule solution, le tuer avant qu’il ne passe à l’acte.

Le roman de June Margaret « Rohan » O’Grady inaugure la collection « Monsieur Toussaint Laventure », avec sa couverture originale due au grand Edward Gorey, et servi par une superbe traduction de Morgane Saysana. On ne pouvait rêver mieux, et ce n’est pas faute d’avoir essayé, durant des années auprès de nombre d’éditeurs… Car il s’agit d’un chef-d’œuvre qu’anime une naïveté perverse. Les enfants jouent dans un cimetière, nettoient la tombe d’un bébé, et envisagent de faire endosser leur crime par l’innocent du village. La narration, tout en suggestions, laisse deviner que l’oncle est un meurtrier pédophile, de nombreuses fillettes qu’il a recueillies ont disparu.

La totalité du récit repose sur l’adultération, soit l’influence néfaste des adultes sur le comportement des enfants. Ceux-ci s’adaptent au contexte en le réduisant à des règles qu’ils peuvent appliquer à leur tour. Puisque tous les habitants de l’île sont familiers de la mort, et que l’oncle veut les tuer, jouons le jeu.

Le tout baigné d’éléments clairement fantastiques. L’un des points de vue sur l’intrigue est celui d’Une-Oreille, couguar prédateur qui va devoir composer avec les enfants. L’oncle porte continuellement des lunettes noires pour cacher ses yeux, il a les paumes des mains velues, ses empreintes floutées ne ressemblent à rien, pas même à celles des primates, et il est au maximum de sa puissance les nuits de pleine lune.

Ce n’est pas parce qu’il y a des enfants qu’un livre est seulement pour les enfants. Ou alors à ce prix-là, il faut ranger le récit à côté de La Nuit du chasseur, roman de David Grubb adapté au cinéma de Charles Laughton. Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle a pour sa part été porté à l’écran par William Castle, maître du fantastique.

Chaînon manquant qui relie Roald Dahl à Neil Gaiman, le roman désespérément joyeux d’O’Grady est une perle noire de l’Imaginaire.

Xavier MAUMÉJEAN

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