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Les critiques de Bifrost

La Fille automate

La Fille automate

Paolo BACIGALUPI
AU DIABLE VAUVERT
608pp - 23,00 €

Bifrost n° 66

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Premier roman de Paolo Bacigalupi, La Fille automate débarque en France bardé d’un nombre de récompenses assez impressionnant, dont un doublé Nebula/Hugo (ce dernier ex-aequo avec The City and the City de China Miéville). Avant cela, on avait déjà pu découvrir quelques-unes de ses nouvelles dans les pages de la revue Fiction, parmi lesquelles « Le Calorique », qui se déroule dans le même univers.

A l’instar de Ian McDonald dans Le Fleuve des dieux (éd. Denoël), Bacigalupi a choisi de situer l’action de son récit dans un lieu des plus dépaysant, la Thaïlande, quelques décennies dans le futur. Un futur cauchemardesque, où la biogénétique est à l’origine de catastrophes sanitaires à l’échelle planétaire, où les foyers de guerre ne cessent de se multiplier, et où la disparition du pétrole a bouleversé toutes les relations commerciales. Mais aussi chaotique que soit la situation en Thaïlande, elle n’en demeure pas moins privilégiée si on la compare à celle de la plupart de ses voisins asiatiques qui se sont effondrés les uns après les autres.

La Fille automate démarre sur un rythme nonchalant, rythme qu’il va garder pendant près de trois cent pages. Le temps pour Paolo Bacigalupi d’immerger pleinement son lecteur dans ce monde exotique, d’en faire ressentir les particularités tant politiques que sociales ou culturelles. Petit à petit, on obtient un tableau extrêmement vivant de cet univers aussi foisonnant qu’effrayant, où la majeure partie de la population doit mener une lutte permanente pour survivre, tandis qu’au sommet de l’Etat, une poignée de profiteurs n’hésite pas à remettre en cause le fragile équilibre qui s’est instauré afin d’accroitre encore un peu plus ses privilèges. Au fil des chapitres, on s’acclimate progressivement aux conditions locales, à ce monde en perpétuel mouvement, peuplé de mastodontes transgéniques, de réfugiés climatiques et de chemises blanches chargées de faire régner l’ordre. Malgré la diversité des sujets qu’il brasse, le tour de force du romancier est de parvenir à donner une vision cohérente et crédible de cet univers, sans la moindre fausse note.

Bacigalupi prend également son temps pour introduire ses différents protagonistes et leur donner toute l’épaisseur qu’ils requièrent. Il y a Anderson Lake, ressortissant américain, officiellement gérant d’une fabrique de piles, mais en réalité davantage intéressé par la découverte des secrets qui ont permis à la Thaïlande de ne pas connaitre le même sort que ses voisins ; Hock Seng, vieux Chinois qui a fui son pays pour échapper aux guerres de religion qui y font rage, et qui est prêt à tout pour ne plus jamais connaitre pareille horreur ; Jaidee Rojjanasukshai et son lieutenant, Kanya, chargés par le ministère de l’Environnement d’empêcher l’importation sur le sol thaï des produits de contrebande qui ont ravagé le reste de l’Asie ; sans oublier Emiko, la fille automate du titre, jeune femme née dans un laboratoire japonais, conçue pour assouvir tous les fantasmes de ses propriétaires, et qui va soudain se mettre à rêver de liberté. De par sa nature même, il s’agit sans doute du personnage le plus complexe et le plus fascinant du roman.

Le destin de ces quelques individus va s’accélérer dans la seconde moitié du roman, lorsque le chaos qu’on sentait planer depuis le début s’abat brusquement sur le pays. Paolo Bacigalupi change alors de braquet et poursuit son récit sur un rythme effréné qui ne ralentira plus. Contraint d’agir dans la précipitation, chacun va devoir prendre des mesures drastiques, d’abord pour survivre, ensuite pour tenir son rôle dans l’Histoire qui s’écrit.

Par l’ampleur de son sujet, par la maitrise dont fait preuve son auteur, d’autant plus impressionnante qu’il s’agit, rappelons-le, d’un premier roman, La Fille automate mérite largement tous les prix qui lui ont été attribués. Le monde qu’annonce ce livre n’a rien d’enthousiasmant, mais Paolo Bacigalupi le fait vivre avec une telle énergie qu’on souhaite le voir y revenir le plus tôt possible, tant il offre de potentialités qu’il lui reste à explorer.

Philippe BOULIER

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